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Comptes rendus des séances de

l'Académie des Inscriptions et


Belles-Lettres

Le périple d'Hannon
Maurice Euzennat

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Euzennat Maurice. Le périple d'Hannon. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,
138ᵉ année, N. 2, 1994. pp. 559-580;

doi : https://doi.org/10.3406/crai.1994.15385

https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1994_num_138_2_15385

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COMMUNICATION

LE PÉRIPLE D'HANNON,
PAR M. MAURICE EUZENNAT, CORRESPONDANT DE L'ACADÉMIE

Peu de récits de voyage ont suscité autant de commentaires et


d'hypothèses que le « Périple d'Hannon, roi des Carthaginois, le long des
parties de la Libye situées au-dessus des Colonnes d'Héraclès », titre
d'un manuscrit du IXe siècle présenté comme la traduction en grec
d'une inscription « suspendue dans le temple de Kronos » à Carthage.
Publié pour la première fois en 1533, ce texte a fait l'objet d'un
« Mémoire sur les découvertes et les établissements faits le long des
côtes d'Afrique par Hannon, amiral de Carthage », lu par Bougain-
ville à l'Académie en 1754, 1757 et 1758, imprimé en 1759, et Jérôme
Carcopino lui a consacré en 1943 trois communications successives
qui ont fourni la matière du second chapitre de son Maroc antique
publié la même année : « Le Maroc marché punique de l'or »*. Des
nombreuses éditions qui en ont été données depuis le début du
xixe siècle, les meilleures sont aujourd'hui celles de W. Aly, en 1927,
et de J. Desanges, en 1978, auxquelles il faut ajouter un très
important commentaire philologique de G. Germain, paru en 19572.
D'une lecture sans préjugé on retiendra que Hannon fut envoyé,
à une date inconnue, au-delà des Colonnes avec 60 pentécontores
transportant 30 000 marins et passagers, hommes et femmes, pour
y fonder des villes de Libyphéniciens.
Après deux jours de navigation, il crée une première ville, Thumia-
têrion. Au-delà, il parvient au Soloeis, « promontoire de Libye
couvert d'arbres », où il élève un sanctuaire à Poséidon puis, après une

1. M. de Bougainville, « Mémoire sur les découvertes et les établissements faits le long


des côtes d'Afrique par Hannon, amiral de Carthage », Mémoire de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres, 26, 1759, p. 10-45, 1 carte h.t. ; J. Carcopino, « Étude critique du
Périple d'Hannon », CRAI, 1943, p. 137-139, 149-151, 152-154 et Le Maroc antique, Paris,
1943 (2e éd., 1948), p. 73-163 et p. 305-306 ; A. Merlin, « La véritable portée du Périple
d'Hannon », JS, 1944, p. 62-76.
2. Manuscrit de Heidelberg, Palatinus 398, fol. 55 r-56 r. W. Aly, « Die Entdeckung
des Westens. Die Ùberlieferung von Hannos Fahrtbericht », Hermès, 52, 1927, p. 299-341
et 485-489 ; J. Desanges, ^Recherches sur l'activité des Méditerranéens aux confins de l'Afrique,
Rome, 1978 (Coll. de l'École Française de Rome, 38), p. 39-85 : analyse et commentaire ;
p. 392-397 : texte et traduction ; id., « Le point sur le « Périple d'Hannon » : controverses
et publications récentes », Enquêtes et documents. Nantes-Afrique-Amérique, 6, 1981, p. 13-29.
G. Germain, « Qu'est-ce que le Périple d'Hannon ? document, amplification littéraire ou
faux intégral ? », Hespéris, 44, 1957, p. 205-248.
560 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

_i i 1OOO km
I. Madère
situation des comptoirs d'Hannon
selon Gsell
situation des comptoirs d'Hannon
I. Canaries selon Carcopino

M0 'II Ha Cap Sp artcl«---^~7

A* 0 "•
Thumiaterion mj

JE?'

Mont 200 km
Kakoulima J.LENNE

Mont
Cameroun
Cap des Palmes
Golfe de
Guinée

FlG. 1. — Le Périple d'Hannon selon Gsell et Carcopino.


LE PÉRIPLE D'HANNON 561

demi-journée de navigation « à l'inverse » (rcàXiv), à une lagune


couverte de roseaux où vivent des éléphants. Après une autre journée
de navigation, il fonde cinq colonies : le Mur Carien (Kocpixov xeîxoç),
Guttê, Akra, Melitta et Arambus (2-5).
Il atteint ensuite le fleuve Lixos et s'arrête quelque temps chez
les Lixites, qui sont des éleveurs nomades, au-delà desquels vivent
des Éthiopiens et des Troglodytes. Il continue vers le Midi pendant
deux jours en longeant le désert puis, pendant un jour, vers le soleil
levant pour arriver à un golfe dans lequel il trouve une petite île
qu'il appelle Képvrj/Cernè et qu'il estime située à la même distance
des Colonnes que Carthage. Il y laisse des colons (6-8).
De Cerné il passe dans un grand fleuve, le Chrétès, qui le conduit
à un lac dans lequel se trouvent trois îles, dominé par une haute
montagne habitée par des hommes sauvages. Il entre alors dans un
autre fleuve, « rempli de crocodiles et d'hippopotames », puis rebrousse
chemin et retourne à Cerné (9-10).
Il en repart vers le Midi, navigue pendant douze jours le long
d'une côte peuplée d'Éthiopiens, reconnaît des montagnes qu'il
contourne pendant deux jours, puis une plaine (11-13). Cinq jours plus
tard, il pénètre dans un golfe, la Corne de l'Occident, 'Ea7cépoo xépocç,
dans lequel une grande île enferme une lagune, et cette lagune une
autre île ; il arrive ensuite, en quatre jours, le long d'une côte embrasée,
à la hauteur d'un volcan, Geôov oxt]|aoc, le « Char des dieux » ou plutôt,
si l'on suit Desanges, le « Support des dieux » (14-16). Enfin, après
trois autres jours de navigation, Hannon découvre un troisième golfe,
la Corne du Sud, Nôtou xépocç, abritant, comme la Corne de
l'Occident, des îles emboîtées où vivent des sauvages velus, les FoptXXat.
Il arrête là sa navigation faute de vivres (17-18).
Escales non comprises, ce voyage a pu durer de 35 à 40 jours :
un peu plus de deux jours des Colonnes au cap Soloeis ; une journée
et demie pour rejoindre l'endroit où fut établie la première colonie
sur l'Océan ; un nombre de jours non précisé jusqu'au fleuve Lixos ;
trois jours du Lixos à Cerné ; vingt-six jours enfin de Cerné au Nôtou
xépocç. En revanche, il est impossible d'en dresser une carte théorique
en raison des incohérences ou des lacunes dans l'indication des caps
successifs3.

3. Ainsi, après avoir longé la côte sud du détroit jusqu'au cap Soloeis, la
navigation « à l'inverse dans la direction du soleil levant pendant une demi-journée », Périple,
3-4, puis l'approche de Cerné, ibid., 8, ci-dessous, p. 577, n. 48 ; cf. M. Rousseaux,
« Hannon au Maroc », R. Afr., 93, 1949, p. 181-183. On notera également
l'invraisemblance, maintes fois soulignée, d'une flotte de 60 pentécontores, navires à 50 rames ou
50 rameurs, transportant 30 000 marins et passagers, avec vivres et équipements, cf.
Germain, op. cit., p. 238-240 ; sur les pentécontores, cf. R. RebufFat, « Une bataille navale
au vme siècle (Josèphe, Ant. jud., IX, 14) », Semitica, 26, 1976, p. 71-79 (navires à
50 rameurs, p. 73, à 50 rames, p. 79).
562 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

La plupart des interprétations qu'on en a données et des


commentaires qui s'y rapportent ne méritent plus guère aujourd'hui de retenir
l'attention. D'une manière générale, leurs auteurs ont cherché à
confronter le récit à la connaissance des côtes africaines qu'on avait
de leur temps, en se référant à celle que pouvaient en avoir eue les
Anciens ainsi qu'aux conditions de navigation supposées de leurs
navires. L'interprétation la plus séduisante, longtemps retenue, a été
donnée en 1920 par Gsell, puis amendée vingt ans plus tard par
Carcopino4 (fîg. 1).
Selon Gsell, Hannon faisant quelque 110 milles nautiques, c'est-à-
dire plus de 200 km, en deux jours à partir du cap Spartel, considéré
comme point de départ, fonde sa première colonie, Thumiatêrion,
à l'embouchure de l'oued Sebou. Une deuxième étape le conduit au
cap Cantin, identifié avec le cap Soloeis, et c'est au-delà qu'il crée
cinq colonies, échelonnées de Mogador à Agadir.
Il atteignit ensuite l'oued Draa, qui serait le fleuve Lixos du Périple,
puis l'île de Cerné qu'il faudrait rechercher sur la côte saharienne
au-delà du cap Juby. Plus loin, le fleuve Chrétès serait la Seguiet
el-Hamra ; les premières montagnes rencontrées, le cap Vert. La Corne
de l'Occident se trouverait le long des côtes du golfe de Guinée ; le
@ewv ô'xrifxa correspondrait au mont Cameroun, qui est effectivement
un volcan. La Corne du Sud serait plus loin, au fond du golfe, et
il faudrait reconnaître dans les FopiXXai des Négrilles ou des Pygmées.
Les invraisemblances ne manquent pas dans cette reconstitution
souvent laborieuse et Gsell, comme ceux qui l'ont précédé, les a bien
senties. Tous ont dû en effet recourir au même expédient : corriger
le texte du Périple pour le mettre en accord avec la géographie ou,
ce qui est pire, corriger la géographie pour l'accorder au récit. Il a
été ainsi nécessaire, faute d'île dans le secteur où Gsell plaçait Cerné,
d'imaginer un changement profond de la ligne de rivage pour la faire
disparaître, ou encore de donner à l'oued Draa le nom de Lixos5,
alors que le Lixos des Anciens est l'oued Loukkos actuel.
C'est pour se dégager de ces incohérences que Carcopino s'est refusé
à les nier : pour lui, elles sont indissociables du texte du Périple car
voulues par son auteur afin d'éviter que des concurrents, en particulier
des Grecs, ne l'utilisent pour s'emparer des marchés commerciaux
que les Carthaginois entendaient se réserver. Fondant au passage
Thumiatêrion, toujours selon lui à l'embouchure du Sebou, les
Carthaginois allèrent bien jusqu'au cap Cantin/Soloeis, mais ils retournèrent
ensuite jusqu'à l'oued Loukkos, le Lixos, qui retrouve sa vraie place,

4. S. Gsell, Histoire ancienne de l'Afrique du Nord, I, Paris, 1920, p. 472-509 ;


Carcopino, ci-dessus, p. 559, n. 1.
5. Gsell, op. cit., p. 488 et p. 484.
LE PÉRIPLE D'HANNON 563

en créant du sud au nord leurs colonies. Hannon repartit ensuite vers


Cerné, point de rencontre avec les peuplades africaines et centre du
commerce de l'or, que Carcopino situe dans l'île de Herné, au fond
du Rio de Oro. De là il poussa jusqu'au fleuve Chrétès, qui ne peut
être selon lui que le Sénégal, d'où vient justement cet or que les
caravanes apportent à Cerné ; puis il revint dans l'île pour entreprendre
une troisième navigation qui le conduisit vers le sud puis vers l'est
pour doubler le cap des Palmes et pénétrer dans le golfe de Guinée,
reconnaissant au passage le mont Cameroun. Carcopino fait observer
que le récit change ensuite singulièrement de caractère et ne permet
plus guère d'interprétation.
Sa démonstration s'appuie sur une extraordinaire richesse
d'arguments empruntés aux documents les plus divers, des écrits antiques
aux portulans des premiers navigateurs de la Renaissance et aux
modernes instructions nautiques ; mais elle n'entraîne pas la
conviction6. Le rapprochement Herné/Cernè, qui en est la clef de voûte ne
résiste pas à l'examen : les prospections faites dans l'île du Rio de Oro
successivement en 1973 et 1974 par J. Gran Aymerich et, en 1977 et
1978, par Théodore Monod ont montré qu'il n'y existait aucune trace
de présence antique (fig. 4). L'homophonie approximative Herné/Cernè
est un pur hasard : à la fin du xvne siècle, l'île s'appelle île des Hérons
sur la carte française de Nicolas du Fer, qui est la première à lui
donner un nom. Elle le garde sur la plupart des cartes du siècle suivant,
pour devenir tout naturellement Hern Island sur les cartes anglaises,
et ce n'est qu'à partir de 1821 qu'elle figure sous le nom de Hernê
sur les cartes espagnoles7.
En revanche, deux repères fondamentaux ont été oubliés au tout début
du récit : la position bien établie des Colonnes d'Héraclès, Calpe et
Abila, à l'entrée du détroit, et la localisation, aujourd'hui communément
admise, du cap Soloeis au cap Spartel, à la sortie océanique du détroit8.
Or ces deux repères rendent le début du texte parfaitement clair, car
il s'ajuste avec une surprenante rigueur à la topographie (fig. 2) :
« Après avoir passé au large des Colonnes et avoir navigué au-delà
pendant deux jours, nous fondâmes une première ville que nous

6. M. Euzennat, « Jérôme Carcopino et le Maroc », Hommage à la mémoire de Jérôme


Carcopino, publié par la Société archéologique de l'Aube, Paris, 1977, p. 87-89.
7. Euzennat, ibid., p. 88 ; J. Gran Aymerich, « Prospections archéologiques au Sahara
atlantique (Rio de Oro et Seguiet el Hamra) », Antiquités africaines, 13, 1979, p. 7-21 ; T. Monod,
« A propos de l'île Herné (baie de Dakhla, Sahara occidental) », Bull. Inst. Fondam. Afr.
Noire, 41, sér. B, 1979, p. 1-34.
8. Hérodote, IV, 43. Desanges, L'activité des Méditerranéens aux confins de l'Afrique, p. 30,
118, 133 ; Rousseaux, op. cit., p. 164-165, 188-189, 202-207 ; Germain, op. cit., p. 241-246 ;
R. Rebuffat, « D'un portulan grec du XVIe siècle au Périple d'Hannon », Karthago, 17, 1976,
p. 146-147 ; id., « Recherches sur le bassin du Sebou, II. Le Périple d'Hannon », BAM,
16, 1985-1986, p. 257-258, n. 4.
564 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

Calpe

Âbila

Cap Soloeis

FiG. 2. — Les Colonnes d'Héraclès et le détroit. L'emplacement des marécages et des


merjas a été établi d'après M. Ponsich, BAM, 5, 1964, p. 260-261 et J. Desanges, L'activité
des Méditerranéens aux confins de l'Afrique, pi. III, complétés par des cartes anciennes,
notamment celles de Tissot, « Recherches sur la géographie comparée de la Maurétanie
tingitane », pi. III, Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Savants étrangers,
IX, 1878.

appelâmes Thumiatêrion ; au-dessus d'elle était une grande plaine ».


Cette plaine est la baie de Tanger, seul abaissement de la ligne de
crête à pouvoir mériter ce nom sur la rive africaine du détroit, à
une soixantaine de kilomètres.
« Ensuite, nous étant avancés par mer vers le couchant, nous par-
vîmes au Soloeis, promontoire de Libye couvert d'arbres ». La
description est également fidèle : au-delà de Tanger, les pentes du Djebel
Kebir, qu'on longe avant d'atteindre le cap Spartel, ont de tout temps
été boisées. Après avoir contourné le cap, Hannon arrive à « une
lagune située non loin de la mer, couverte de roseaux abondants et
élevés. Il y avait là des éléphants et d'autres animaux sauvages qui
paissaient en très grand nombre ». Ce paysage, observé par d'autres
LE PÉRIPLE D'HANNON 565

auteurs anciens et confirmé par l'archéologie, existait encore au


xixe siècle et on l'observe toujours, même s'il a été réduit à de
moindres proportions. On trouvait les premières lagunes à une dizaine
de kilomètres ; puis, entre 15 et 20 km selon la saison, les marais
de l'oued Tahaddart, étalés sur plus de 20 km en bordure de la mer.
La présence d'éléphants n'a rien qui puisse surprendre et A. Jodin
a recueilli naguère, au bord de la lagune de Sidi Kacem, la première
que l'on rencontre, « un fragment de défense de forte taille », sur
un site occupé de la préhistoire à l'époque romaine9.
La présence, dans la zone côtière et dans l' arrière-pays, de
nécropoles se rattachant à la xotvrj libyphénicienne que les archéologues
espagnols ont appelé « le cercle du détroit »10 (fig. 3), indique qu'on
est dans une région d'influence ou de colonisation phénicienne
ancienne, dont l'établissement le plus important reconnu jusqu'ici
se trouvait au sud du Tahaddart, à la hauteur de Kouass où M. Ponsich
a retrouvé des ateliers de potiers qui ont pu être en activité dès le
Ve siècle av. J.-C, peut-être même dès le VIe, sur un site déjà occupé
avant eux11. Il est dès lors logique de situer dans cette région les
« colonies » d'Hannon12 et d'en conclure que. tout commentaire du

9. A. Jodin, « L'éléphant dans le Maroc antique », Actes du 92' Congrès national des
Sociétés savantes, Strasbourg-Colmar, 1967. Section d'Archéologie, Paris, 1970, p. 57-58.
10. M. Tarradell, Marruecos pûnico. Tetuân, 1960, p. 25 ; M. Ponsich, « Pérennité des
relations dans le circuit du Détroit de Gibraltar », ANRW, II.3, 1975, p. 655-684 ; J. Gran Ayme-
rich, « Le Détroit de Gibraltar et sa projection régionale : les données géo-stratégiques de
l'expansion phénicienne à la lumière des fouilles de Malga et des recherches en cours », Lixus.
Actes du colloque organisé par l'Institut des sciences de l'archéologie et du patrimoine de Rabat
avec le concours de l'École française de Rome. Laroche 8-11 novembre 1989, Rome, 1992 (Coll.
de l'École française de Rome, 166), p. 59-60 et fig. 1, p. 61 ; J. Osuna, « Lixus, ïel Gadir
magrebi en el « Circulo del Estrecho » ? », Actas del Congreso internacional « El Estrecho de
Gibraltar », Ceuta, 1987, Madrid, 1988, 1. Prehistoria e Historia de la Antigù'edad, p. 563-576.
11. F. Lôpez Pardo, « Sobre la expansion fenicio-pûnica en Marruecos. Algunas preci-
sîones a la documentaciôn arqueolôgica », AEspA, 63, 1990, p. 16-37, article essentiel
réexaminant, à vingt-cinq ans de distance, les découvertes faites à Kouass et dans la région
de Tanger. Kouass : M. Ponsich, Alfarerîas de época fenicia y pûnico-mauritana en Kouass
(Arcila, Marruecos), Valencia, 4, 1968 (Papeles del Laboratorio de Arqueologîa de Valen-
cia, 4), réimprimé en français sous le titre « Note préliminaire sur l'industrie de la
céramique préromaine en Tingitane (Kouass, région d' Arcila) », Karthago, 15, 1969-1970,
p. 77-97 et plusieurs publications préalables. Région de Tanger : id., Nécropoles
phéniciennes de la région de Tanger, Tanger, 1967 (Études et travaux d'Archéologie marocaine, 3),
à compléter par les Recherches archéologiques à Tanger et dans sa région, Paris, 1970, p. 67-168,
du même auteur. Id., « Influences phéniciennes sur les populations rurales de la région
de Tanger », Tartessos y sus problemas, V Symposium internacional de Prehistoria Penin-
sular, Jerez de la Frontera, Septiembre 1968, Barcelone, 1969 (Univ. de Barcelona, Inst.
de Arqueologia y Prehistoria, Publ. eventuales XIII), p. 173-184.
12. R. Mauny, « Notes sur le Périple d'Hannon », I" Conférence internationale des
Africanistes de l'Ouest, Dakar, 1945 (1950), p. 509-530 ; Rousseaux, op. cit., p. 208-21 1 ; Germain,
op. cit., p. 246-247 ; M. Euzennat, « Aux origines de l'histoire marocaine », L'Education
nationale (Rabat), mars 1960, p. 20 ; id., « Pour une lecture marocaine du Périple d'Hannon »,
BCTH, n.s., 12-14 B Afrique du Nord, 1976-1978 (1980), p. 244 ; Rebuffat, Karthago,
17, 1976, p. 147-148 ; S. Lancel, Cannage, Paris, 1992, p. 119-120 ; E. Gozalbes Cravioto,
« Algunas observaciônes acerca del Periplo de Hannon », Hispania Antigua, 17, 1993, p. 7-20.
566 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

• vm*/VI« siècle avant J.-C.


O V*/lV* siècle avant J.-C.

Fig. 3. ■— Influences phéniciennes et puniques au Maroc.


Les indications chronologiques sont celles fournies par la céramique.
Au nord du détroit les principaux établissements ont été seuls figurés.
LE PÉRIPLE D'HANNON 567

Périple doit d'abord se fonder sur la connaissance qu'on peut avoir


du Maroc phénicien et punique.
A cet égard, les découvertes faites en 1950 dans l'îlot de Mogador,
aujourd'hui Essaouira, 400 nautiques au sud-ouest du cap Spartel, ont
une importance décisive13. Les fouilles qui s'ensuivirent révélèrent
l'existence à cet endroit d'un très petit établissement occupant moins
d'un hectare, situé face à la côte distante d'environ 900 m (fig. 5). Son
état le plus ancien ne paraît pas avoir comporté de constructions ; mais
des restes de sols, de foyers et des dépôts de céramique témoignaient
d'une occupation discontinue, comme l'aurait été celle d'un habitat
occasionnel. Les nombreux graffiti en caractères phéniciens relevés sur
les tessons recueillis ne laissent aucun doute sur ceux qui le
fréquentaient, tandis que la présence de fragments d'amphores grecques
caractéristiques, à côté de céramiques d'origine phénico-chypriote, portait
à dater les premiers passages de la seconde moitié du vne siècle, plutôt
même aujourd'hui de sa première moitié par comparaison avec les
établissements de la côte espagnole, notamment ceux de Toscanos et
du Castillo de Dona Blanca14. Les vestiges mis au jour ne sont ceux
ni d'une base permanente, ni d'une escale, mais d'un comptoir
avancé15. Dans le courant du vie siècle, l'île cessa d'être fréquentée.
Elle ne le sera ensuite que très épisodiquement vers le ive/ine siècle,
avant d'être occupée plus durablement à partir des dernières décades
du Ier siècle av. J.-C, sous les rois Juba et Ptolémée16.
Les recherches entreprises au sud de Mogador n'ont rien observé
qui puisse renforcer le témoignage très incertain de menus tessons
autrefois recueillis dans une grotte du cap Rhir, à 65 nautiques, et
considérés comme « puniques » ou « ibériques » par Cintas17 : rien à

13. R. Thouvenot, « Recherches archéologiques à Mogador », Hespéris, 41, 1954, p. 1-5 ;


P. Cintas, Contribution à l'étude de l'expansion carthaginoise au Maroc, Paris, 1954
(Publications de l'Institut des Hautes-Études marocaines, 56), p. 35-59 ; A. Jodin, « Note sur les fouilles
exécutées à Mogador en mai et juin 1956 », BCTH, 1957, p. 118-126 ; F. Villard, «
Céramique grecque du Maroc », BAM, 4, 1960, p. 1-26 ; A. Jodin, Mogador, comptoir phénicien
du Maroc atlantique, Tanger, 1966 (Études et travaux d'archéologie marocaine, 2) et, en dernier
lieu, « Les Phéniciens à Mogador », Les Dossiers de l'Archéologie, 132. Les Phéniciens, 1988,
p. 88-91 ; M. G. Amadasi Guzzo, « Notes sur les graffitis phéniciens de Mogador », Lixus,
Actes du colloque de Larache 1989 (ci-dessus, p. 565, n. 10), p. 155-171.
14. D. Ruiz Mata, « Las cerâmicas fenicias del Castillo de Dona Blanca », Los Fenicios en
la Peninsula ibérica, G. del Olmo Lete et M. E. Aubet Semmler éds, Sabadell, 1986, 1, p. 251.
15. F. Lôpez Pardo, « Mogador, « factoria extrema » y la cuestiôn del Comercio fenicio
en la costa atlântica africana », Histoire et archéologie de l'Afrique du Nord. Actes du V'
Colloque international : Spectacles, vie portuaire, religions (Avignon, 9-13 avril 1990), Paris, 1992,
p. 277-296.
16. J. Desjacques et P. Koeberlé, « Mogador et les îles Purpuraires », Hespéris, 42, 1955,
p. 193-202 ; A. Jodin, Les établissements du roi Juba II aux îles Purpuraires (Mogador), Tanger,
1967.
17. Au sud de Mogador, le littoral a été suivi à plusieurs reprises jusqu'à l'oued Salogmat,
frontière de ce qui était à l'époque l'enclave espagnole d'Ifni, cf. Cintas, op. cit., p. 32-34 ;
A. Luquet, « Prospection punique de la côte atlantique du Maroc », Hespéris, 43, 1956,
568 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

l'embouchure de l'oued Sous, 20 milles au-delà ; rien non plus à


l'embouchure de l'oued Noun, 150 milles au sud de Mogador, sinon
une gravure rupestre réprésentant un éléphant18. A l'embouchure
du Draa enfin, l'ancien poste militaire français était établi sur le seul
point réellement favorable, exactement à l'emplacement d'un atelier
de taille préhistorique et probablement d'un habitat reconnus depuis
longtemps19. Au-delà et jusqu'au Rio de Oro les prospections de
J. Gran Aymerich n'ont trouvé que des sites préhistoriques (fig. 4)
et l'auteur en conclut que « l'existence de comptoirs puniques ou
romains dans ces latitudes paraît chaque jour plus improbable »20,
constat confirmé par les recherches des préhistoriens, y compris pour
les sites ayant fourni des objets de métal, cuivre ou fer, notamment

p. 122-123 et « Contribution à l'Atlas archéologique du Maroc. Le Maroc punique », BAM,


9, 1973-1975, p. 292. Les conditions de la découverte de « tessons de poterie punique »
dans une grotte du cap Rhir, Luquet, Hespéris, 43, 1956, p. 123, ainsi que leur
identification par Cintas, op. cit., p. 32 et p. 108, fig. 13, comme « des fragments de céramique
punique de la fin du me siècle avant notre ère et un petit morceau de céramique ibérique
géométrique probablement contemporain » m'ont laissé perplexe, après que Jean Meunier,
Inspecteur des Monuments Historiques du Maroc, me les eût montrés et après une visite
sur place en 1955, cf. R. Thouvenot, « Rapport sur l'activité de l'Inspection des
Antiquités du Maroc », BCTH, 1954, p. 57-58 et M. Euzennat, « Héritage punique et influences
gréco-romaines au Maroc à la veille de la conquête romaine », Le rayonnement des
civilisations grecque et romaine sur les cultures périphériques. VIII' Congrès international
d'Archéologie classique (Paris, 1963), Paris, 1965, p. 263-264.
18. M. Tarradell considérait qu'on n'avait jamais rien retrouvé dans l'enclave d'Ifni qui
remontât à l'Antiquité et les seules découvertes signalées depuis concernent la Préhistoire :
R. Letan, « Un campement néolithique à Tarfaya (cap Juby) », BAM, 7, 1967, p. 138-150 ;
D. Grébénart, Matériaux pour l'étude de l'Épipaléolithique et du Néolithique du littoral
atlantique saharien du Maroc (Travaux du LAPEMO, 1974). De l'oued Noun à l'oued Draa,
la côte a fait l'objet, en 1960, d'une reconnaissance attentive mais vaine, cf. M. Euzennat,
« L'Archéologie marocaine de 1958 à 1960 », BAM, 4, 1960, p. 564 et Fasti Archaeologici,
15, 1960, 4649. La gravure rupestre représentant un éléphant a été vue en bordure de
l'oued Noun, à environ 1 km de la plage. Celle-ci n'a fourni aucun tesson susceptible
de passer pour antique ; des prospections ultérieures s'intéressant à la région de Nul Lamta
et de Tagawst, plaques tournantes du commerce saharien médiéval, et poussées jusqu'à
la mer, n'ont rien signalé non plus, cf. P. Cressier, M. Naïmi et A. Touri, « Maroc
saharien et Maroc méditerranéen au Moyen Âge : le cas des ports de Nul Lamta et de Badîs »,
Histoire et archéologie de l'Afrique du Nord. Actes du Ve colloque international (Avignon, 1990),
p. 396. Voir aussi R. Rebuffat, « Vestiges antiques sur la côte occidentale de l'Afrique
au sud de Rabat », Antiquités africaines, t. 8, 1974, p. 40-46.
19. Euzennat, BAM, 4, 1960, p. 564 ; cf. M. Antoine et P. Biberson, « Compte rendu
d'une mission de préhistoire dans la région sous contrôle français du Draa inférieur »,
Bull, de la Soc. de Préhist. du Maroc, 1954, p. 33-34. Une gravure rupestre de l'Azrou
Klan, dans la vallée du Draa, publiée par V. Monteil, « Les pierres tatouées du sud-ouest
marocain », Revue Et. islam., 1940, p. 6-8 et pi. II, 8, puis par R. Mauny, « Gravures,
peintures et inscriptions rupestres de l'Ouest africain », Initiations africaines (IFAN), 1 1,
1954, fig. 7, n° 14, représente un navire à voile carrée qui a été considéré comme une
figuration de navire antique, cf. Jodin, Les établissements du roi Juba II aux îles Purpu-
raires, p. 10, fig. 3a, suivi par Luquet, BAM, 9, 1973-1975, p. 292, n° 53 ; rien n'autorise
malheureusement à les suivre si l'on se reporte à la publication originelle, cf. R. Rebuffat,
op. cit., p. 41-42, n. 1.
20. Gran Aymerich, Antiquités africaines, 13, 1979, p. 21.
LE PÉRIPLE D'HANNON 569

ILES CANARIES

RAOE du MEOANIO de SANTIAGO


SER JA de TARUMA
MEOANO de SANTIAGO
APOirsJTGEOOESIQUE CGG 88.7
ZONE du MED ANO de SANTIAGO
LOS ARBOLITOS
ZONE de LAS BOCAS
HASI SUMBEICA
LA PALANGANA
BOUCHE de JARRO

H> HAIMERMACH

ILEdeHERNE,
EL PUERTITO,
PUERTO Rll

POINTE de LAS
....• : PONTE NORD.

:-:
POINTE SUD
T- ETIENNE
/' /' .'■ ILEdeHERNE
CAP«BLANC
g-, _ &0 fOpO 1500*
CAP D ARGUIN
Fig. 4. — La côte atlantique au sud de l'oued Draa et l'île de Herné,
d'après J. M. J. Gran Aymerich, Antiquités africaines, 13, 1979, p. 8, fig. 1.
Aucun matériel d'époque punique ou romaine n'a été recueilli.
570 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

en Mauritanie21. Certains ont pensé dans ces conditions que le


voyage d'Hannon avait pu se prolonger non pas le long des côtes
d'Afrique mais vers les Canaries, voire jusqu'à Madère ou aux Açores ;
mais rien jusqu'à présent n'autorise à prendre au sérieux ce genre
d'hypothèse22.
Au nord de Mogador, en revanche, des escales jalonnaient la route
qui y conduisait, au moins dans sa première partie (fig. 3). A
l'embouchure du fleuve Lixos, la ville du même nom représentait une étape
cardinale, quasi inévitable. Son célèbre sanctuaire d'Héraclès-Melquart
passait pour plus ancien que celui de Gadès, ce qui reste archéo-
logiquement à démontrer ; mais on s'accorde aujourd'hui à admettre
qu'un établissement ancien y existait au tout début du vne siècle,
peut-être dès la fin du vmc, et qu'un habitat antérieur avait même
pu le précéder23. Il est possible qu'un autre établissement ait été

21. Le Sahara atlantique à l'Holocène. Peuplement et écologie, N. Petit-Maire éd., Alger


s.d. (1979) (Mémoires du centre de Recherches anthropologiques, préhistoriques et
ethnographiques, 28), notamment p. 307-308, Mauny : « L'auteur n'a trouvé nulle part, dans
les endroits les plus favorables de cette côte hostile aux marins, de traces de navigateurs
de l'Antiquité » ; J. C. Rosso et N. Petit-Maire, « Amas coquilliers du littoral atlantique
saharien », Bull. Musée Anthrop. Préhist. Monaco, 22, 1978, p. 79-193. R. de Bayle des
Hermans et D. Vialou, « Gisements préhistoriques littoraux du Sahara occidental. Étude
typologique de l'industrie et tests décorés », Bull, de la Soc. préhistor. fr., 76, 1979, p. 445-453 ;
D. Grébénart, Les premiers métallurgistes en Afrique occidentale, Paris, 1988, notamment
p. 73 et p. 174-175. Les découvertes faites en Mauritanie dans la région minière d'Akjoujt,
300 km au sud-est de Nouadibhou et à 200 km du littoral sur des itinéraires caravaniers
anciens, n'intéressent pas directement les navigations antiques, cf. N. Lambert, art.
« Akjoujt », Encyclopédie berbère, III (1986), A145, p. 417-419 et « Medinet Sbat et la
Protohistoire de la Mauritanie occidentale », Antiquités africaines, 4, 1970, p. 15-62 : le seul
objet qu'on puisse considérer sûrement comme antique est une fibule que l'auteur date
du VIe siècle av. J.-C. et qui appartient en réalité au type dit d'Aucissa, Ier siècle av./ier siècle
ap. J.-C, cf. Rebuffat, op. cit., p. 42 et n. 2 et R. R. Gerharz, « Fibeln aus Afrika », Saalburg
Jahrb., 43, 1987, p. 92, n° 37. Sa provenance paraît incertaine : elle n'a pas été retrouvée
dans une fouille ni dans un ramassage systématique mais provient d'une collection privée,
« collection Ramin » j or J. Ramin, qui a beaucoup écrit sur le Périple d'Hannon et qui
privilégie le cuivre d'Akjoujt et l'étain du Niger comme objectif possible de l'expédition,
n'en fait pas état, cf. J. Ramin, Le Périple d'Hannon - The Periplus of Hanno, Oxford
(BAR Supplementary Séries, 3), p. 35-36.
22. P. Schmitt, « Connaissance des îles Canaries dans l'Antiquité », Latomus, 27, 1968,
p. 362-391 ; E. Gozalbes Cravioto, « Sobre la ubicaciôn de las islas de los Afortunados
en la antiguedad », Anuario de Estudios Atlânticos, 35, 1989, p. 17-43 ; J. Onrubia Pintado,
« Les relations entre les îles Canaries et l'Afrique du Nord pendant les temps préhispaniques.
Archéologie et ethnohistoire d'une aire marginale », L'histoire du Sahara et des relations
transsahariennes entre le Maghreb et l'Ouest africain du Moyen Âge à la fin de l'époque
coloniale. Actes du IV' colloque euro-africain, Erfoud, 20-25 octobre 1985, Bergame, 1986, p. 59-78 ;
T. Monod, « Les monnaies africaines anciennes de Corvo (Açores) », Bull. IFAN, 35 B,
1973, p. 221-234 et 548-550 ; G. Brizzi, Riv. di Storia dell'Antichità, 9, 1979, p. 188-189,
cf. Desanges, Enquêtes et documents, 6, 1981, p. 21 ; G. Amiotti, « Le Isole Fortunate :
mito, utopia, realtà geografica », Geografia et storiogrqfia nel mondo classico, Milan, 1988,
p. 166-177 (Contributi dell'Ist. di Storia Antica Milano, 14).
23. Pline, H.N., XIX, 63. R. Rebuffat, dans Lixus, Actes du colloque de Larache, 1989,
p. 398 ; F. Lôpez Pardo, « Reflexiones sobre el origen de Lixus y su delubrum Herculis
en el contexto de la empresa comercial fenicia », ibid., p. 85-94. Également : Y. Bokbot
et J. Onrubia-Pintado, « La basse vallée de l'oued Loukkos à la fin des temps préhistoriques »,
LE PÉRIPLE D'HANNON 571

créé très tôt à l'embouchure du Bou Regreg, Sala flumen : de rares


fragments de céramique phénico-chypriote ont été trouvés dans les
fouilles de Chellah et le promontoire des Oudaïas offrait encore de
meilleures possibilités en raison de l'existence dans l'estuaire d'une
barre difficile à franchir24. Mais une solution de continuité irritante
existe toujours, du moins dans les publications, entre le Bou Regreg
et Mogador, sur quelque 450 km. La modestie des vestiges reconnus
dans l'île, plus de trente ans après la création du service des
Antiquités du Maroc, indique bien que de telles découvertes restent
problématiques sans le secours d'un hasard providentiel ; mais il est
significatif que les embouchures des principales rivières n'aient fourni aucun
tesson déterminant. A. Jodin a fait état, il y a six ans, d'« indices
prometteurs » à l'embouchure de l'Oum er Rebia et de l'oued Tensift,
mais rien n'est venu depuis les préciser ou les confirmer25. On a
retrouvé ici ou là, souvent depuis longtemps, des traces qui évoquent
l'Antiquité ; mais les moins incertaines sont postérieures au Ier siècle
av. J.-C. et les autres sont douteuses par leur nature même ou en
raison des conditions de leur découverte26. Peut-être faut-il voir dans
ce vide, reflet de l'éloignement et de l'isolement du comptoir de
Mogador sinon de l'hostilité des habitants du pays, l'explication de
l'abandon, dès le vie siècle av. notre ère, d'une factorerie qui devait
faire figure de bout du monde.

ibid., p. 17-26 ; H. G. Niemeyer, « Lixus : fondation de la première expansion phénicienne,


vue de Carthage », ibid., p. 45-57 ; M. Habibi, « La céramique à engobe rouge phénicien
de Lixus », ibid., p. 145-153.
24. J. Boube, « Les origines phéniciennes de Sala de Maurétanie », BCTH, n.s. 17 B
Afrique du Nord, 1982 (1988), p. 155-170; id., « Introduction à l'étude de la céramique
à vernis noir de Sala», BAM, 16, 1985-1986, p. 138, n. 113.
25. Jodin, Les Dossiers de l'Archéologie, 132, 1988, p. 91. D'après Philostrate, Vita Apoll,
V, 1, au-delà du fleuve Sala « la Libye est déserte et on n'y trouve plus d'hommes »,
cf. J. Desanges, « Aperçus sur les contacts transsahariens d'après les sources classiques »,
L'Universo, 64, 1983, p. 132 (Le passé du Sahara et les zones limitrophes de l'époque
des Garamantes au Moyen Âge, Actes du IIe colloque euro-africain).
26. Euzennat, VIIIe Congrès international d'Archéologie classique (Paris, 1963), p. 263-264
et p. 275, n. 28-35. Cf. Cintas, L'expansion carthaginoise au Maroc, p. 22-32 ; Luquet,
Hespéris, 43, 1956, p. 123-132 et BAM, 9, 1973-1975, p. 261-290 ; Rebuffat, Antiquités
africaines, 8, 1974, p. 29-39. Aucun tesson déterminant n'a été recueilli nulle part. Les
très nombreux « puits » des environs du ribât sanhajien de Tit ne sont pas des tombes,
cf. Euzennat, « Rapport sur l'Archéologie marocaine en 1955 », BCTH, 1955-1956, p. 201
et A. Tejera Gaspar, Las tumbas fenicias y pûnicas del Mediterraneo occidental, Séville, 1979,
p. 79-80 et 179, type VI- 1. Les chambres creusées dans la falaise entre Azemmour et le
cap Cantin sont des haouanet, cf. G. Camps, Aux origines de la Berbérie. Monuments et
rites funéraires protohistoriques, Paris, 1961, p. 94 et 603-604 ; certaines traduisent une
influence punique tardive, cf. Cintas, p. 28-29, que rien cependant n'est venu préciser
ni confirmer (type VII-lc de Tejera Gaspar, op. cit., p. 90). Enfin, les conditions de la
découverte au Jorf el-Youdi, 15 km au sud de Safi, au pied de la falaise et dans un éboulis,
d'un fragment du pied d'une statue grandeur nature en grès stuqué, Cintas, p. 30-31,
ne m'ont pas convaincu après avoir vu les lieux et m'être informé.
1994 37
572 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS
.a
8
si
o-fi
LE PÉRIPLE D'HANNON 573

II est naturellement tentant d'y reconnaître Cerné : izù\i<x.rr\ Képvr),


ultima Cerné11, et les arguments ne manquent pas. Cerné est le
dernier établissement de « colons » créé par Hannon28 ; Pline la situe,
d'après Polybe, contra montem Atlantem29, ce qui correspond assez
bien à la réalité (fig. 3) ; enfin la description qu'en donne le Périple
de Scylax, quelles que soient les incertitudes et les discordances de
ce texte, est tout à fait convaincante : quand les Phéniciens « arrivent
dans l'île de Cerné, ils abordent avec leurs vaisseaux ronds et se
dressent des tentes à Cerné. Mais la cargaison, après l'avoir retirée
des navires, ils la transbordent dans de petites embarcations vers le
continent. Il y a des Éthiopiens sur le continent. Ce sont là les
Éthiopiens avec lesquels se fait le trafic. < Les Phéniciens > vendent < leurs
marchandises > contre des peaux de gazelles, de lions, de léopards,
des peaux et des défenses d'éléphants, < des dépouilles > d'animaux
domestiques... Les marchands phéniciens leur apportent de l'huile
parfumée, des pierres d'Egypte, des sangliers (?)..., de la céramique
attique, des congés30... ».
L'occupation saisonnière, la vie sous la tente expliquent la modestie
du premier établissement de Mogador et l'absence d'un habitat
permanent dans l'île. On y a retrouvé, outre des céramiques phénicienne
et phénico-chypriote, de la céramique grecque en abondance, des perles
en pâte de verre colorée, qui pourraient être les « pierres d'Egypte »,
et aussi des ossements d'éléphants ; et si rien n'autorise à croire que
les treize défenses qui ont été découvertes dans l'épave de Bajo de
la Campana, au nord-est de Carthagène, dans une cargaison datée
du vne/vie siècle av. J.-C, et qui proviennent certainement du
Maroc, aient transité par Mogador, elles témoignent du commerce
qu'en faisaient, à cette époque, les Phéniciens31. L'identification de
Cerné avec Mogador est d'autant plus séduisante que leur situation
commune de terminus orbis est clairement indiquée dans le Périple

27. Dionys. Pér., 218-219; Avienus, Ora, 328.


28. Périple d'Hannon, 8.
29. Pline, H.N., VI, 199. Les premiers reliefs du Haut-Atlas, dont le cap Rhir est l'ultime
contrefort, sont à moins de 50 km au sud-est de Mogador.
30. Périple de Scylax, 112, trad. Desanges, L'activité des Méditerranéens aux confins de
l'Afrique, p. 414 et étude critique du texte, p. 116-120.
31. J. Mas, « El poligono submarino de Cabo de Palos. Sus aportacïones al estudio del
trâfico maritimo antiguo », VI Congreso Internacional de Arqueologia submarina, Cartagena,
1982, Madrid, 1985, p. 156-161 ; Lôpez Pardo, Histoire et archéologie de l'Afrique du Nord,
Actes du V' colloque international (Avignon, 1990), p. 289-292. Éléphants de Mogador : Jodin,
Mogador, comptoir phénicien du Maroc atlantique, p. 187 ; mais il est évident que le comptoir
de Mogador n'a pas le monopole du commerce de l'ivoire, si même il l'a alimenté de
manière notable : id., « L'éléphant dans le Maroc antique », ci-dessus, p. 565, n. 9, article
dans lequel Jodin a dressé un inventaire des découvertes de défenses et d'ossements faites
au Maroc, des textes mentionnant les éléphants et des représentations figurées qu'on en
connaît, cf. E. Gozalbes Cravioto, « Los elephantes de Septem Fratres », Cuarternos del
Archivo municipal de Ceuta, I, 1988, p. 3-12.
574 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

de Scylax : « au-delà de l'île de Cerné, on ne peut plus naviguer » ;


l'auteur ajoute : « en raison du peu de profondeur de la mer, de la
vase et des algues »32, mais une explication spécieuse ne saurait
diminuer la valeur du constat.
L'île doit à cette situation une image quasi mythique qui explique
probablement l'incertitude de ceux qui en ont parlé et qui va parfois
jusqu'à la confondre avec Cyrène, Képvrj/KoprivT}33, suivis par les
copistes, voire par les éditeurs. Lorsque Zosime écrit, à la fin du Ve
ou au début du VIe siècle ap. J-C, dans son Histoire nouvelle, que
l'Afrique s'étend des Syrtes à Cerné, àrcô SupTewv Képvrjç àxpt, un
copiste de la Renaissance rectifie Kuprjvr)ç et Mendelssohn corrige en
1887, suivi encore par Paschoud en 1971 : Kaicrapr)vaiaç àxpij estimant
que « le diocèse d'Afrique se termine vers l'est à la Grande Syrte, vers
l'ouest à la Maurétanie césarienne34 ». C'est oublier que l'île de
Mogador, rarement visitée aux ive/me siècles av. J.-C. après avoir été
abandonnée au vie35, devenue un établissement fixe, sinon permanent,
sous les rois maures Juba et Ptolémée, puis de nouveau délaissée,
redevint un comptoir fréquenté au début du ivc siècle ap. J.-C.36. Les
premiers témoignages datés de ce dernier état sont constantiniens, le
dernier est un semissis de Valentinien III, à moins qu'il ne s'agisse d'une
demi-silique d'Anthème, entre 425 et 472 selon le cas37.
Le caractère stable de cette nouvelle installation, qui réutilise en
partie d'anciennes constructions du Ier siècle av. J.-C, est confirmé
par des aménagements relativement soignés, dont une mosaïque figurée,
et par l'existence, à proximité, d'une petite nécropole38 (fig. 6). Sa

32. Périples de Scylax, 112 et Desanges, op. cit., p. 119-120. La même idée de bout
du monde se retrouve dans le sémitique QRN, dont le nom de Képvr)/Cernè a été souvent
rapproché, à plus juste titre sans doue que du grec xépaç-occoç, cf. Carcopino, Le Maroc
antique, p. 131 ; G. Amiotti, « Cerne : ultima terra », // confine nel mondo classico, M. Sordi
éd., Milan, 1987, p. 43-49 (Contributi dell'Istituto di Storia antica Milano, 13) ; J. Desanges,
« Le sens du terme « Corne » dans le vocabulaire géographique des Grecs et des Romains :
à propos du Périple d'Hannon », BCTH, n.s. 20-21 B Afrique du Nord, 1984-1985 (1989),
p. 29-34. Je remercie M. André Caquot d'avoir appelé mon attention sur ce point de
toponymie et de m'avoir fourni des éléments qui ont facilité ma recherche.
33. Arrien, 'Iv8txr|, XLIII, 13 ; Desanges, op. cit., p. 69-70 et p. 81 ; Palaiphatos, Ilepî
àmorwv, XXXI, éd. N. Festa, Leipzig, 1902, p. 45-46, cf. Desanges, p. 397 et p. 46, n. 39 ;
également Kùpocuvtç/Cercina, Hérodote, IV, 195, Carcopino, op. cit., p. 115 et Desanges,
p. 117, n. 234.
34. Zos., II, 33, cf. Zosimi comitis et exadvocati fisci Historia nova, éd. L. Mendelssohn,
Leipzig, 1887, p. 90 et n. 17 ; Zosime, Histoire nouvelle, texte établi et traduit par
F. Paschoud, Paris, 1971, II, 33, 2 et n. 46, p. 234.
35. M. Euzennat, art. « Mogador », Princeton Encyclopedia of Classical Sites (1976), p. 586 ;
Jodin, Mogador, comptoir phénicien du Maroc atlantique, p. 192-193.
36. Id., Les établissements du roi Juba II aux îles Purpuraires (Mogador), p. 13-24.
37. Ibid., p. 245-257. Sur 54 monnaies susceptibles d'être classées, 42 sont postérieures
à la Tétrarchie, dont 31 de Constant à Julien. La sigillée claire tardive du ive-ve siècle
est abondante, cf. p. 152-160.
38. Jodin, op. cit., p. 78-86, mosaïque figurant deux paons affrontés, datée du IVe siècle
ap. J.C. Nécropole : Jodin, ibid., p. x et IAM2, p. 206, n" 341 et 341 bis.
!□
mosaïque LJ
20m
FiG. 6. — Les constructions antiques de l'île de Moga
d'après À. Jodin, Les établissements du roi Juba II aux îles Purpuraires (Mogado
576 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

présence peut s'expliquer par la fabrication et le commerce de la


pourpre, qui avaient été à l'origine du comptoir de Juba II et dont
témoignent, sur la côte voisine, d'importants dépôts de coquilles de
murex et de purpura haemastoma39. Elle s'accorde avec le maintien
à Sala, après l'évacuation du sud de la Maurétanie tingitane à la
fin du 111e siècle et sans doute jusqu'au Ve siècle, d'un préside jouant
le rôle d'escale et de base arrière40.
On peut donc croire que Cerné n'était pas inconnue de la
chancellerie impériale, ni de Zosime lui-même qui avait été successivement
avocat du fisc puis cornes, ce qui apporte à son témoignage une
caution officielle difficilement contestable. La date de l'organisation des
préfectures qu'il décrit, et qui rattache la totalité de l'Afrique à celle
d'Italie, a été discutée. Elle ne serait pas antérieure au ve siècle selon
Paschoud, qui se fonde sur une documentation dépassée, ignorant
même, en 1971, la présence romaine à Mogador reconnue vingt ans
plus tôt. Avant lui, Palanque et Piganiol la faisaient au contraire
remonter à Constantin et Chastagnol à la fin du règne de Constance II
ou au début de celui de Julien41, estimations qui paraissent plus
plausibles, et surtout la seconde si l'on retient que vers 360, époque
à laquelle l'établissement de Mogador paraît en pleine activité, la
Tingitane était gouvernée par un praeses Mauritaniae et Tingi-
taniae*2, qui ne pouvait dépendre que d'un préfet ayant juridiction
sur « l'Afrique des Syrtes à Cerné ».
On peut dès lors proposer, sur ces bases et jusque dans le détail,
d'identifier l'îlot de Mogador avec Cerné43. Les quelque 425
nautiques qui le séparent des Colonnes s'accommodent des douze jours

39. Jodin, op. cit., p. 256-257 ; P. Vidal de Lablache, « Les Purpurariae du roi Juba »,
Mélanges Perrot, Paris, 1902, p. 325-329. Sur la pourpre de Gétulie, Pline, H.N., V, 12
et VI, 201, cf. Pline l'Ancien, Histoire naturelle, Livre V, 1-46, 1" partie (l'Afrique du Nord),
texte établi, traduit et commenté par J. Desanges, Paris, 1980, p. 129.
40. Not. Dignitatum, Oc, XXVI, 7 et 17, éd. Seek, p. 177-178. Cf. M. Euzennat, art.
« Sala », Princeton Encyclopedia of Classical Sites (1976), p. 793-794. De rares objets du
vie-vne siècle ont été trouvés à Sala selon J. Boube, « Éléments de ceinturons wisigothiques
et byzantins trouvés au Maroc », BAM, t. 15, 1983-1984, p. 294-296.
41. Zosime, Histoire nouvelle, éd. F. Paschoud, p. 232-234, suivant W. Ensslin, art. « Prae-
fectus praetorio », RE, 22 (1954), col. 2429-2430. Cf. J.-R. Palanque, Essai sur la
préfecture du prétoire au Bas-Empire, Paris, 1933, p. 15 et n. 90 ; A. Piganiol, L'Empire chrétien,
Paris, 1947, p. 323-326 et 2e éd., 1972, p. 356-358 et p. 269, n. 1 ; A. Chastagnol, Le Bas-
Empire, Paris, 1969, p. 171-172 et n. 3, p. 171 ; H. A. M. Jones, « Collegiate Préfectures »,
JRS, 54, 1964, p. 82-83.
42. Lucilius Constantius, CIL, XI, 6958 =ILS, 1252; H. A. M. Jones, J. R. Martin-
dale, J. Morris, The Prosopography of the Later Roman Empire, I. AD 260-395, Cambridge,
1971, p. 227, Constantius 9.
43. M. Euzennat, art. Cerne-Kipvr\, Encyclopédie berbère, XII (1993), p. 1853-1854 ;
id., « Retour à Cerné », BCTH, n.s. 23 B Afrique du Nord, 1990-1992, p. 222-223.
LE PÉRIPLE D'HANNON 577

de navigation du Périple de Scylax^, avec les indispensables escales.


Sa distance de la côte admet volontiers, compte tenu de la
progradation du littoral depuis l'Antiquité, les huit stades ou les mille pas
indiqués par Pline d'après Polybe et Cornélius Nepos ; et si les cinq
stades de circonférence que le Périple d'Hannon lui accorde sont très
sous-estimés, les 2 000 pas de Cornélius Nepos — un peu moins de
3 000 m — sont très voisins des 2 300 m qu'on relève aujourd'hui,
eu égard à l'érosion et à la complexité de la ligne de rivage45 (fig. 5).
Enfin il ne saurait y avoir de meilleure base pour le commerce avec
les Éthiopiens de Scylax et pour le « troc à la muette » entre
Carthaginois et indigènes décrit par Hérodote dans un passage célèbre mais
trop imprécis pour qu'on puisse l'utiliser au bénéfice de Cerné46.
L'accumulation des arguments en faveur de Mogador devrait suffire
à écarter les autres localisations proposées, dont aucune n'a pu jusqu'à
présent s'appuyer sur la moindre preuve, qu'il s'agisse de l'îlot de
Fedala, au nord-est de Casablanca, de l'embouchure de l'oued Tensift,
de l'île d'Arguin, au sud de Nouadhibou, de celles de Gorée ou du
Cap Vert, ou encore du cap Guardafui, à la sortie du golfe d'Aden47.
A l'inverse un des plus récents commentateurs a imaginé qu'Hannon,
embouquant l'oued Sebou dont Cerné aurait été une île, avait pu ensuite
prolonger sa navigation dans les merjas de la plaine du Rharb48 ; mais
on sort ici du domaine de l'archéologie, au-delà de laquelle le seul guide

44. Périple de Scylax, 1 12 : « douze jours des Colonnes d'Héraclès à l'île de Cerné ». Les
estimations qu'on a pu faire de la vitesse des navires antiques restent très incertaines, de
6 nœuds pour le navire romain de la Madrague de Giens selon P. Pomey, « Le navire romain
de la Madrague de Giens », CRAI, 1982, p. 154, à moins de 2 nœuds pour les galères selon
R. Mauny, Les navigations médiévales sur les côtes sahariennes antérieures à la découverte
portugaise (1434), Lisbonne, 1960, p. 14-16, cf. Desanges, L'activité des Méditerranéens aux confins
de l'Afrique, p. 1 18, n. 228 et p. 143. Une estimation moyenne est proposée par P. Arnaud,
« Les distances maritimes chez les Géographes anciens », Histoire et mesures, 8, 1993, p. 1-23 :
500 stades par jour pour une navigation diurne, soit environ 4 nœuds.
45. Pline, H.N., VI, 199. Sur l'évolution récente du rivage côtier : A. Weisrock, « L'apport
des datations isotopiques à la connaissance des phénomènes géomorphologiques. Exemple
du Maroc atlantique », Revue de Géographie du Maroc, n.s., 10, 1986, p. 262-264.
46. Périple de Scylax, 1 12 ; Hérodote, IV, 196, cf. S. Gsell, Hérodote, Alger, 1915, p. 229.
La présence de foyers importants dans l'îlot, susceptibles de correspondre aux « feux pour
faire de la fumée » des Carthaginois d'Hérodote, a été signalée par Jodin, Mogador, comptoir
phénicien du Maroc atlantique, p. 29. En revanche l'arrivée de l'or du Soudan dans le sud
marocain dès l'Antiquité est une idée fausse, cf. C. Cahen, « L'or du Soudan avant les Almo-
ravides : mythe ou réalité ? », Le sol, la parole et l'écrit, 2000 ans d'Histoire africaine. Mélanges
en hommage à Raymond Mauny, 2, Paris, 1981, p. 539-545 (Bibl. d'Histoire d'Outre-Mer,
n.s. Études 5-6). Desanges, op. cit., p. 381, n. 36 n'exclut pas un trafic à partir de mines
du sud marocain, mais rien n'indique qu'elles aient été exploitées dans l'Antiquité.
47. J. Ramin, « Le Périple d'Hannon », Latomus, 35, 1976, p. 796 et 801 ; sur les îles,
ci-dessus, p. 570, n. 22 et pour la Cerné orientale de Pline, H.N., VI, 198-199, Carcopino,
Le Maroc antique, p. 162.
48. R. Rebuffat, BAM, 16, 1985-1986, p. 257-270 et « Voyages du Carthaginois Hannon
du Lixos à Cerné », BCTH, n.s. 18 B Afrique du Nord, 1982 (1988), p. 198-200 avec
observations de G.-Ch. Picard, p. 200-201 et de M. Euzennat, ibid., 20-21, 1984-1985 (1989), p. 126.
578 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

reste le texte du Périple, dont l'analyse philologique a déjà été faite de


manière décisive. Pour Aly et Germain, il est indiscutablement d'époque
hellénistique ; mais s'il s'agit, pour le premier, d'une réelle traduction
d'un original punique, le second le considère en grande partie comme
un exercice littéraire ayant utilisé, autour du thème de la navigation du
Carthaginois Hannon, quantité de renseignements tirés d'autres récits
ou d'auteurs qui avaient parlé de l'Afrique et de ses habitants, dans un
contexte souvent contaminé par la légende et notamment par le cycle de
Persée et de Gorgo. La savante étude de J. Desanges dispense désormais
de revenir sur ces différents points49 et elle autorise même à rajeunir
le texte grec davantage que ses prédécesseurs l'avaient osé, en retenant
une date « du ne ou du Ier siècle av. J.-C, sans que la possibilité d'une
datation au Ier siècle de notre ère soit absolument à exclure50 ».
On gardera en définitive du texte du Périple : la navigation des
Colonnes d'Héraclès jusqu'au fleuve Lixos ; avec plus de réserve, la
création des colonies correspondantes ; enfin l'identification de Cerné
avec l'îlot de Mogador, sans exclure que le voyage ait pu être poussé
plus loin, peut-être jusqu'à l'oued Sous ou jusqu'au Draa, qui marque
le début du vrai désert, mais sans oublier que, selon le Pseudo-Scylax,
on ne naviguait pas au-delà de Cerné51.
La date du voyage reste en revanche très incertaine. La plupart des
historiens modernes ont placé le Périple d'Hannon au milieu du
Ve siècle, parce que Hérodote n'en fait pas état et que Pline le situe au
temps de l'apogée de Carthage ; mais rien n'est moins sûr : il pourrait
être plus récent, si l'on considère que, pour Pline, la grande période de
Carthage, Punicis rébus florentissimis52, est sans doute celle du traité de
348, voire le début du mc siècle plutôt que le Ve siècle ; il pourrait être
aussi beaucoup plus ancien dans la mesure où Hérodote, peu averti de
tout ce qui concerne Carthage, a fort bien pu l'ignorer. Or il existe, dans
la partie cohérente du récit, une lacune irritante : l'absence de toute
référence à la ville ou au sanctuaire de Lixos. Les Lixites du Périple sont
des éleveurs nomades, vivant près du fleuve Lixos qui lui fournissent de
bien peu vraisemblables « interprètes » pour continuer son voyage53.

49. Desanges, op. cit., p. 45-85.


50. Ibid., p. 83. Id, Enquête et documents, VI, 1981 (ci-dessus, p. 559, n. 2), p. 17-19, limitant
notamment la portée des travaux de S. Segert, « Phoenician Background of Hanno's Periplus »,
Mélanges de l'Université Saint-Joseph de Beyrouth, 45, 1969, p. 501-519 et de J. Blomqvist,
The Date and Origin of the Greek Version of Hanno's Periplus, Lund, 1979 ; cf. O. Musso,
« II Periplo di Annone owero estratti bizantini da Senofonte di Lampsaco », Méditerranée
médiévale, Studi in onore di Francesco Giunta, Cosenza, 1989, III, p. 955-963.
51. Ci-dessus, p. 574, n. 32. Cette limite rend vain le débat incertain et toujours recommencé
sur la capacité des navires phéniciens de naviguer vent contraire, cf. Desanges, op. cit., p. 40-43 ;
J. Rougé, Recherches sur l'organisation du commerce maritime en Méditerranée sous l'Empire
romain, Paris, 1966, p. 65-66 ; P. Pomey, op. cit., p. 152-153.
52. Pline, H.N., II, 169 et V, 8 ; Desanges, op. cit., p. 85 et n. 292.
53. Périple d'Hannon, 6-8.
LE PÉRIPLE D'HANNON 579

Cette omission peut s'expliquer de trois manières. La première


serait d'admettre que Lixos n'existe pas encore au moment du voyage
d'Hannon, ce qui revient à placer celui-ci à l'époque du premier
établissement de Mogador, c'est-à-dire au début du vne siècle selon
la date actuellement admise. On imagine mal que les Carthaginois
aient pu organiser une pareille expédition à cette époque, et moins
encore qu'ils aient été les premiers à explorer la côte atlantique du
Maroc, où tout évoque au contraire la xowr\ libyphénicienne du détroit.
On ne peut donc guère s'y arrêter54. La seconde explication
pourrait être recherchée dans le passage des colonies phéniciennes du
« cercle du détroit » sous l'influence de Carthage dans la seconde
moitié du VIe siècle, qui ne paraît pas s'être fait sans dommage55.
La troisième enfin est de considérer, avec J. Desanges, que l'épisode
concernant les Lixites représente « une combinaison littéraire
totalement artificielle... inspirée de la mode littéraire de l'« exocéanisme »
hellénistique », dont la part dans le récit, tel qu'il nous est parvenu,
est déjà considérable56. C'est sans doute l'explication la plus
vraisemblable, qui réduit encore l'espace laissé aux spéculateurs. Elle
confirme la portée limitée du Périple, description d'un voyage
imaginaire utilisant, dans sa première partie, ce que son auteur pouvait
connaître de la colonisation phénicienne ou carthaginoise sur la côte
occidentale de l'Afrique. Celui-ci est probablement plus proche de
Strabon qui en avait, semble-t-il, gardé la mémoire, que de Pline
pour qui aucun souvenir ni trace ne subsistait57. Mais Pline nous
ayant conservé avec Mêla, Arrien et Athénée58, le nom du
navigateur, il est probable qu'on parlera encore longtemps du Périple
d'Hannon™.

transition
d'une
54. La
hache
découverte
entre
platele enBronze
dans
bronze
l'oued
moyen
témoigne
Loukkos
et leauBronze
d'une
demeurant
épée
final,de
deetbronze
contacts
sans doute
proche
et, par
aussi,
duconséquent,
type
à Lixus
de Rosnoën,
même,
d'une
présence « précoloniale », à l'embouchure du fleuve, cf. Y. Bokbot et J. Onrubia-Pintado,
Lixus. Actes du colloque de Larache 1989 (ci-dessus, p. 570, n. 23), p. 21-24.
55. M. E. Aubet Semmler, « Le grandi aree : Spagna », / Fenici (Catalogue de
l'exposition de Venise, 1988), p. 236-237.
56. J. Desanges, « Des interprètes chez les « Gorilles ». Réflexion sur un artifice dans
le Périple d'Hannon », Atti de! I Congresso internazionaîe di Studi Fenici e Punici, 1981
(1983), I, p. 267-275. R. Rebuffat, « Les nomades de Lixus », BCTH, n.s. 17 B Afrique
du Nord, 1982 (1988), p. 77-86, considère que les nomades lixites du Périphe sont en
réalité des habitants de Lixos.
57. Strabon, I, 3, 2 et XVII, 3, 3 et 8 ; Pline, H.N., V, 8 et commentaire éd. Desanges,
p. 105-106.
58. Mêla, III, 90 ; Arrien, 'IvBueri, XLIII, 11 ; Athénée, Deipn., III, 83, c. Également
Ilepl 0au[xaauov àxoua(xd-co)v, XXXVII. Desanges, L'activité des Méditerranéens aux confins
de l'Afrique, p. 45-46.
59. Je n'ai pas pu consulter l'article de F. Lôpez Pardo, « El Periplo de Hannon y la
expansion cartaginesa en el Africa Occidental », 5. Jornadas de Arqueologia Fenicio-Pûnica,
1990, p. 59-70 (Trabajos del Museo Arqueolôgico de Ibiza, 25, 1991).
580 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

MM. Jacques Heurgon, François Chamoux et Jean Marcadé


interviennent après cette communication.

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