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Abstract
This article aims to introduce the reader to the aesthetics of Jacques Rancière
(1940–). By examining his latest publications and papers – Le Partage du
sensible (2000), L’Inconscient esthétique (2001) and Le Spectateur émancipé
(2008) – we shall shed light on some key concepts of his thought, such as “Le
Partage du sensible” and “Dissensus”, and explain how they are linked to the
different regimes of artistic expression that Rancière identifies in his work as
the ethic regime, the representational regime and the aesthetic regime of art. In
so doing, we shall show how Rancière rightfully demonstrates that political and
pedagogical implications are always present and felt within artistic expression.
Pressé de s’exprimer sur les émeutes qui eurent lieu en 2005 dans la
banlieue de Paris, Jacques Rancière fait alors remarquer, lors d’une
conférence à la Columbia University1, qu’elles étaient fondamentalement mal
orientées. Non pas que les revendications des banlieusards étaient injustifiées,
mais bien plutôt que la critique sociale qui les parrainait n’était pas à la
hauteur de celles-ci. Rancière souligne qu’à l’heure même où on réclamait
l’égalité sociale, les banlieusards minaient leurs propres revendications en
s’identifiant à la marginalité de leur arrondissement, Seine-Saint-Denis, l’une
des plus pauvres et misérables de l’Île de France. Ils réclamaient l’égalité
sociale mais se reconnaissaient d’emblée dans l’inégalité, ils revendiquaient
une inclusion sociale mais s’identifiaient en marge de la communauté. Sur le
fond, leurs discours critiques reproduisaient et enchâssaient sensiblement les
mêmes divorces (d’égalité/inégalité, d’inclusion/exclusion) qu’ils voulaient
pourtant régler. À cet effet, lorsque le ministre de l’Intérieur en exercice se
1
Rancière, Jacques. « Conversations with Jacques Rancière », dans le cadre du 2nd annual
radical philosophies & education seminars, Columbia University (Teachers College), Itunes
U, 2008, 1 heure 47 minutes.
GNOSIS (2011) VOL.12, NO.1: 41-56
ISSN 1927-5277
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Lagrange, Hugues. http://www.liberation.fr/tribune/0101547214-des-banlieues-prises-au-
feu, Jounal Libération, le 4 novembre 2005, 1 page.
3
Rancière, Jacques. Le partage du sensible : esthétique et politique, La Fabrique-éditions,
Paris, 2000, page 75.
4
Rancière, Jacques. Le spectateur émancipé, La Fabrique-éditions, Paris, 2008, page 145.
5
Rancière, Jacques. Le partage du sensible : esthétique et politique, page 9.
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Le partage du sensible
6
Rancière, Jacques. Le spectateur émancipé, page 55.
7
Rancière, Jacques. Le partage du sensible : esthétique et politique, page 12.
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La politique de l’art
8
Rancière, Jacques. Le partage du sensible : esthétique et politique, page 14.
9
Rancière, Jacques. Le partage du sensible : esthétique et politique, page 68.
10
Rancière, Jacques. Le partage du sensible : esthétique et politique, page 16.
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11
Rancière, Jacques. Le partage du sensible : esthétique et politique, page 28.
12
Rancière, Jacques. Le partage du sensible : esthétique et politique, page 30.
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Ces deux conceptions de l’esthétique sont loin du propos de Rancière. En fait, il dit
poursuivre plutôt dans la lignée post-kantienne et romantique dans laquelle s’inscrivent des
auteurs comme Schiller, Schlegel et Hegel. À son point vue, ce n’est qu’avec ces auteurs
qu’on commence pour la première fois à développer proprement une « pensée de l’art ».
Rancière, Jacques. L’inconscient esthétique, Éditions Galilée (coll. « La philosophie en
effet »), Paris, 2001, page 12-16.
14
Rancière, Jacques. Le partage du sensible : esthétique et politique, page 31.
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15
Idem.
16
Idem.
17
À titre d’exemples : produit identique à du non-produit (Merda d’artista – Piero Manzoni),
savoir transformé en non-savoir (le génie kantien ignorant ce qu’il produit), activité et
passivité présentes dans « l’état esthétique » schillérien, la définition schellingienne de l’art
comme identité d’un processus conscient et d’un processus inconscient, idée proustienne du
livre entièrement calculé et absolument soustrait à la volonté, idée mallarméenne du poème
du spectateur-poète, œuvres surréalistes exprimant l’inconscient du l’auteur… Rancière,
Jacques. Le partage du sensible : esthétique et politique, page 32 et 70. Et ailleurs, Rancière
identifie aussi la révolution esthétique, d’Hegel à Nietzsche, dans l’optique de la dynamique
contradictoire entre le logos et le pathos : « comme immanence du logos dans le pathos, de la
pensée dans le non-pensée [Hegel et la marche de l’Esprit, voire la raison dans l’Histoire] ou,
à l’inverse, comme immanence du pathos dans le logos, de la non-pensée dans la pensée
[Nietzsche et la démesure pulsionnelle du dionysiaque que voile la mesure apollienne]. »
Rancière, Jacques. L’inconscient esthétique, page 31.
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18
Rancière, Jacques. Le partage du sensible : esthétique et politique, page 36.
19
Rancière, Jacques. Le partage du sensible : esthétique et politique, page 39.
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Idem.
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21
Rancière, Jacques. Le partage du sensible : esthétique et politique, page 42.
22
Rancière, Jacques. Le partage du sensible : esthétique et politique, page 71.
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La pédagogie de l’art
23
Rancière, Jacques. Le spectateur émancipé, La Fabrique-éditions, Paris, 2008, page 12.
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Rancière, Jacques. Doing or Not Doing: Politics, Aesthetics, Performance,
http://www.dance-tech.net, Itunes U, 11 novembre 2010, 1 heure 11 minutes.
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25
Artaud, Antonin. Le théâtre et son double, Éditions Gallimard (coll. « Folio/essais »),
Paris, 1964, page 148.
26
Artaud, Antonin. Le théâtre et son double, page 128.
27
Artaud, Antonin. Le théâtre et son double, page 134.
28
Rancière, Jacques. Le spectateur émancipé, La Fabrique-éditions, Paris, 2008, page 18.
29
Rancière, Jacques. Le spectateur émancipé, La Fabrique-éditions, Paris, 2008, page 15.
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« Ce qui est essentiel chez Jacotot, c'est l'idée qu'en réalité tout dépend du point de départ.
Ou bien l'on part de l'inégalité ou bien l'on part de l'égalité. Le pédagogue ordinaire, pas
simplement au sens du prof, mais aussi du pédagogue politique, du chef de parti comme
pédagogue du peuple ou du militant qui veut lui faire prendre conscience, part toujours de
l'inégalité. La logique habituelle de la pédagogie, c'est de dire : « On commence avec des
petits enfants qui ne savent encore rien, des gens du peuple qui sont pleins de préjugés et ne
savent pas voir ce qui est en face d'eux, et puis on va petit à petit, progressivement, en bon
ordre, les amener de leur situation d'inégalité vers une situation d'égalité. » Mais bien sûr,
dans la mesure où le pédagogue est toujours celui qui organise le voyage de l'inégalité vers
l'égalité, l'inégalité se reproduit indéfiniment dans le mécanisme même qui prétend l'abolir. »
Rancière, Jacques, « Critique de la critique du « spectacle » », dans La Revue Internationale
des Livres et des Idées, http://www.revuedeslivres.net/articles.php?idArt=360, 2 juillet 2009,
1 page web.
31
Idem.
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32
Rancière, Jacques. Le spectateur émancipé, La Fabrique-éditions, Paris, 2008, page 59.
33
Rancière, Jacques. Le spectateur émancipé, La Fabrique-éditions, Paris, 2008, page 57.
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comme étant l’incarnation de la scène ouvrant sur la vie – les mœurs, vices et
vertus – et en tant que tel, un moyen par lequel on pouvait la changer. Mais
même à l’époque, un auteur comme Jean-Jacques a su contester la ligne droite
qu’on concevait entre l’intention de l’artiste et l’impact effectif de sa
représentation théâtrale sur la vie du spectateur. Rancière partage cette
prudence rousseauiste lorsqu’il dit qu’au fond, il n’est pas sûr que représenter
un drame révoltant pousse à la révolte comme une cause propulse son effet.
Rancière n’admet pas, malgré cela, la solution rousseauiste qui voudrait faire
du théâtre une « forme de vie ». À l’image de la chorégraphie platonicienne,
cette solution considère l’art seulement dans l’optique du régime éthique,
voire même « archi-éthique34 » parce que la représentation théâtrale s’incarne
à même la vie communautaire35. Rancière propose en revanche un nouveau
modèle d’efficacité de l’art qui prend en considération l’avènement et la
spécificité du régime proprement esthétique de l’art. En quelque sorte, il
propose une nouvelle « pédagogie de l’art » et celle-ci est justement à
l’intersection de sa propre conception du spectateur.
Pour contrer ce lien (in)assuré entre l’intention de l’artiste et l’effet de sa
représentation sur la vie, Rancière propose ainsi que l’interprète doive
toujours maintenir une distance et une neutralité pour mettre en suspend
l’intention artistique et sa prétendue influence sur le spectateur passif. Un
exemple de ce type d’interprétation s’entrevoit chez Johann Joachim
Winckelmann au sujet du Torse du Belvédère. Son interprétation opère à la
fois une distanciation adéquate car le torse est lui-même coupé de tous
caractères qui pourraient signifier l’intention d’un auteur – il n’a ni bouche, ni
visage, ni membres – et une neutralité car le contenu artistique ne renvoie pas
directement à une forme de vie communautaire – il est d’ailleurs exposé dans
l’espace neutre du musée. Le torse demeure dans « un double rapport de
séparation et de non-séparation entre l’art et la vie.36 » C’est en ce sens qu’il
faut interpréter les œuvres issues du régime esthétique de l’art. Une telle
approche est d’ailleurs appropriée pour interpréter les œuvres modernes parce
qu’elle respecte leur spécificité. Ce type d’interprétation comprend la
nécessité de rendre compte de la tension propre aux œuvres modernes entre le
représenté, le visible, le savoir, voire ce qui rattache l’art à la poétique ou bien
à la vie communautaire, et le non-représenté, l’invisible, le non-savoir, voire
ce qui dans le mode d’être de l’art moderne échapperait au régime de
visibilité et à la communauté. La pédagogie rancienne permet donc de
34
Rancière, Jacques. Le spectateur émancipé, La Fabrique-éditions, Paris, 2008, page 62.
35
« En conséquence, ce qu'il [Rousseau] oppose à la scène théâtrale, c'est la fête populaire à
Genève ou la fête civique dans la Sparte antique. En cela, il reste pris dans l'opposition
platonicienne, car Platon déjà opposait au dédoublement du théâtre le chœur ou la cité qui
tiennent en eux-mêmes et ne se mettent pas en face d'eux-mêmes en quelque sorte, qui ne
regardent pas des spectacles mais sont en acte. » Rancière, Jacques, « Critique de la critique
du « spectacle » », 1 page web.
36
Rancière, Jacques. Le spectateur émancipé, La Fabrique-éditions, Paris, 2008, page 65.
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Conclusion
37
Rancière, Jacques. Le spectateur émancipé, La Fabrique-éditions, Paris, 2008, page 66.
38
Derrida, Jacques. Positions, Les Éditions de minuit (coll. « Critique »), Paris, 1972, page
57.
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39
Derrida, Jacques. Positions, page 56.
40
Rancière, Jacques. 2nd annual radical philosophies & education seminars, 1 heure 47
minutes.
41
Rancière, Jacques. Le spectateur émancipé, La Fabrique-éditions, Paris, 2008, page 131.
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Références
Artaud, Antonin. Le théâtre et son double, Éditions Gallimard (coll.
« Folio/essais »), Paris, 1964, 251 pages.
Derrida, Jacques. Positions, Les Éditions de minuit (coll. « Critique »), Paris,
1972, 133 pages.
Lagrange, Hugues. http://www.liberation.fr/tribune/0101547214-des-
banlieues-prises-au-feu, Jounal Libération, le 4 novembre 2005, 1 page.
Rancière, Jacques. Doing or Not Doing: Politics, Aesthetics, Performance,
http://www.dance-tech.net, Itunes U, 11 novembre 2010, 1 heure 11
minutes.
Rancière, Jacques. L’inconscient esthétique, Éditions Galilée (coll. « La
philosophie en effet »), Paris, 2001, 78 pages.
Rancière, Jacques. Le partage du sensible : esthétique et politique, La
Fabrique-éditions, Paris, 2000, 75 pages.
Rancière, Jacques. Le spectateur émancipé, La Fabrique-éditions, Paris, 2008,
145 pages.
Rancière, Jacques, « Critique de la critique du « spectacle » », dans La Revue
Internationale des Livres et des Idées,
http://www.revuedeslivres.net/articles.php?idArt=360, 2 juillet 2009, 1
page web.
Rancière, Jacques. « Conversations with Jacques Rancière », dans le cadre du
2nd annual radical philosophies & education seminars, Columbia
University (Teachers College), Itunes U, 2008, 1 heure 47 minutes.
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