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riches de l’Ouest. Il l’a fait savoir dans une lettre


ouverte adressée à l’ancien président du Parlement
UE: l’heure de vérité pour Orbán à
européen Martin Schulz : « L’Allemagne est la
Bruxelles? principale bénéficiaire du marché unique, elle reverse
PAR CORENTIN LÉOTARD
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 10 DÉCEMBRE 2020 une partie des bénéfices qu’elle en tire à d’autres
États membres via le budget européen, dont la majeure
Viktor Orbán ferraille depuis des mois contre le
partie revient ensuite dans son propre pays. »
reste de l’Union pour garder la main sur des fonds
européens qui ont bétonné son pouvoir. Un compromis Ces fonds sont vitaux pour le système Orbán. En
s’esquissait à l’approche du sommet qui s’ouvre jeudi les canalisant à sa guise, il a pu faire émerger
à Bruxelles. des « champions nationaux » au service de son
pouvoir. L’exemple le plus illustre est celui de L#rinc
Budapest (Hongrie). –« Ils veulent nous mettre
Mészáros, son ami d’enfance, un simple chauffagiste
la pression, mais nous ne plierons pas. » Viktor
devenu en dix ans de gouvernance du Fidesz le patron
Orbán l’avait réaffirmé vendredi 4 décembre dans son
du conglomérat le plus puissant du pays, qui a racheté
émission de radio hebdomadaire. Son gouvernement
de nombreux titres de presse en retour.
n’accepterait pas le mécanisme adopté par le
Parlement européen qui prévoit de « sucrer » les fonds Le gouvernement a aussi pu s’acheter les faveurs
de l’Union à un pays ne respectant pas « l’État de de toute une classe moyenne supérieure biberonnée
droit ». aux subventions européennes. Tout cela en prétendant
œuvrer à l’émergence d’un capitalisme national.
Aux côtés de Varsovie, Budapest tente depuis des
Conséquence de ces manœuvres, la Hongrie est le pays
semaines de négocier un mécanisme plus inoffensif en
de l’UE où l’OLAF (le bureau européen de l’anti-
bloquant l’adoption du budget 2021-27 mais surtout
fraude) a trouvé le plus à redire à l’utilisation des
le plan de relance dit « Next Generation EU »
fonds, dans un rapport publié il y a un an.
destiné à soutenir les économies qui souffrent de la
crise sanitaire. Le compromis dévoilé mercredi par Les vieilles lunes
l'Allemagne esquisse un début de sortie de crise : Pour publiciser son bras de fer contre le reste de
le texte resterait inchangé, mais serait complété d’une l’Europe, le chef du gouvernement est resté sur ses
« déclaration interprétative », qui obligerait d’abord acquis : les technocrates de l’Union européenne,
de vérifier la légalité du mécanisme auprès de la sous influence du milliardaire George Soros, veulent
Cour de justice de l’UE, avant l’entrée en vigueur de imposer l’immigration et le multiculturalisme à la
n’importe quel type de sanction. Hongrie. Le mécanisme voulu par le Parlement
européen, explique-t-il, constitue une atteinte à la
souveraineté nationale, et revient à placer une arme
politique dans les mains de ses adversaires libéraux.
Cela leur permettra « d’obliger la Hongrie à faire des
choses qu’elle ne veut pas, comme abattre la barrière
frontalière [contre les migrants] ou relocaliser des
réfugiés ».
16 octobre 2020, à Bruxelles. Viktor Orbán quitte le Conseil européen après
deux jours de face-à-face avec l'Union. © Johanna Geron / AFP (Pool) L’eurodéputée libérale hongroise Anna Donáth
Dans la tête de Viktor Orbán, les subventions (Renew) estime que « le seul sens de son veto, c’est : si
européennes sont une contrepartie à l’ouverture des je ne peux pas les voler, alors personne ne doit pouvoir
marchés qui a tant profité aux entreprises étrangères profiter des fonds européens ». Elle est à l’unisson
transnationales, lesquelles captent une partie de ces
fonds puis rapatrient leurs bénéfices dans les pays plus

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des six partis de l’opposition rassemblés dans un front « La seule chose qui compte pour lui ce sont les
commun capable de déloger le Fidesz aux législatives élections de 2022 », dit le politologue Botond Feledy.
en 2022, à en croire les enquêtes d’opinion. « Il voit vraiment dans la procédure de l’État de
L’Europe centrale, dont Viktor Orbán s’est érigé droit une menace à son pouvoir. Mais il sous-estime
en porte-parole, serait victime d’un impérialisme le risque qu’il encourt à se mettre à dos les États
culturel occidental et l’État de droit serait un concept membres (alors que jusqu’alors il ne s’en était pris
fumeux pour mettre au pas les « pays de l’Est » qu’aux institutions). »« Le Fidesz développe une
entrés dans l’UE après 2004, dit-on à Budapest, mentalité de siège, typique des groupes cloisonnés,
comme à Varsovie. Eux qui ont connu la dictature poursuit-il. On lui en avait fait la critique dès 1993.
et l’oppression connaissent mieux que quiconque le Alors après plus de dix années au pouvoir, marquées
prix de la liberté et n’ont de leçon à recevoir de par une communication extrême, contre George Soros,
personne, jugent-ils. Pourtant, les alliés du groupe de les migrants, l’Union…, cela a fini par peser sur sa
Visegrád les ont lâchés : la Slovaquie désapprouve la lucidité. »
croisade polono-hongroise et la Tchéquie s’en tient Le vent ne souffle plus dans le bon sens pour
soigneusement à l’écart. Orbán. Ses alliés britanniques ont quitté l’Union,
Jusqu'à présent, Angela Merkel a toujours fait en les formations nationalistes qui voudraient en faire
sorte de ménager le Hongrois, officiellement pour leur tête de proue (Vlaams Belang, Rassemblement
mieux le contrôler, mais plus vraisemblablement national, Liga…) ont échoué à peser davantage à
pour préserver les intérêts faramineux des entreprises l’issue des européennes 2019 et le Fidesz a été mis au
allemandes, les principaux investisseurs et employeurs ban du Parti populaire européen (PPE).
en Hongrie. Car tout souverainiste qu’il est, Viktor Serait-il séduit par l’idée d’un « Huxit » ? Au début
Orbán choie les entreprises étrangères et notamment de l’année, le premier ministre s’est laissé aller face
les patrons de l’industrie automobile allemande, aux journalistes de la presse étrangère à envier la
un pilier du capitalisme autoritaire hongrois. Cette Grande-Bretagne pour son « Brexit ». Il a réitéré
proximité du patronat allemand avec l’exécutif vendredi à la radio, se risquant là où il ne s’est que très
hongrois, documentée par une enquête de Direkt36 rarement aventuré : les Britanniques ont-ils vraiment
(ici, en anglais), a même viré à la compromission l’air de se porter si mal aujourd’hui ? a-t-il interrogé.
lorsque les supermarchés Aldi ont fait retirer de leurs De l’avis, très partagé, de Tamás Mellár, économiste
étals les journaux défavorables au Fidesz. et membre du parti de gauche Dialogue, un veto du
Une fuite en avant ? budget pluriannuel de l’Union serait un prélude à la
sortie de la Hongrie.
Signe que le gouvernement hongrois s’est préparé
à un long bras de fer avec l’Union européenne, la Ce scénario du pire pour les Hongrois, très
Hongrie a émis plus d’obligations que d’habitude sur majoritairement attachés à l’adhésion européenne,
les marchés financiers. Et Orbán assure que la Hongrie est toutefois loin d’être le plus probable. Orbán a
peut se financer à de bonnes conditions sur les marchés maintes fois démontré sa capacité à négocier… et à
asiatiques, au cas où ; qu’elle n’a pas besoin du plan arracher des concessions. Le compromis qui se dessine
de relance auquel elle ne participe que par « geste s’annonce à double tranchant. « C'est clairement la
de solidarité » avec les pays les plus affectés par victoire de l’UE et la défaite d'Orbán », a réagi
la crise économique ; quant au budget européen, mercredi l’ancien eurodéputé de gauche Benedek
« nous avons de quoi mener à bien tous les projets Jávor, désormais représentant de la ville de Budapest
de développement que nous avons prévus pour les dix auprès de l'UE. « Mais une grave concession a été faite
prochaines années ». » par les Européens, juge-t-il pour autant.

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Car le recours à la CJUE permettrait à Orbán de l'opposition hongroise survivra jusque-là. En bref,
gagner du temps – des mois voire des années. l'UE laisserait tomber la Hongrie en échange de
« Cela signifierait que le gouvernement hongrois peut l'efficacité à long terme [du mécanisme]. »
financer son régime sur les ressources de l’Union Une seule chose paraît certaine, quoi qu’il advienne
jusqu'aux élections de 2022 et s'acheter un mandat à l’issue du sommet bruxellois, les médias du Fidesz
de plus jusqu'en 2026. La question est de savoir si acclameront une nouvelle grande victoire de leur chef.

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