Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Guillaume Budé
Taffin André. Comment on rêvait dans les temples d'Esculape. In: Bulletin de l'Association Guillaume Budé, n°3, octobre 1960.
pp. 325-366;
doi : 10.3406/bude.1960.3909
http://www.persee.fr/doc/bude_0004-5527_1960_num_1_3_3909
9. Philostrate, Apollonius de Tyane, sa vie, ses voyages, ses prodiges, II, 27,
trad. Chassang, Didier, Paris, 1862.
— 329 —
15. Id., ibid. ; cf. aussi, pour le récit d'un bain semblable dans le Sélinus, à
Pergame, Bouché-Leclercq, op. cit., III, p. 303.
16. A. Gauthier, op. cit., p. 45-46.
17. On sait quelles sont les attaques portées par CicÉron (De divinatione, II,
56, 70) contre l'ambiguïté des oracles de tous genres et les jongleries dialectiques
par lesquelles on essayait d'en justifier les échecs. Ces virtuosités, selon H. Web-
ster, La magie dans les sociétés primitives, trad. J. Gouillard, Payot, Paris, 1952,
p. 441, ne sont pas ignorées des sorciers dans les sociétés dites primitives.
— 333 —
20. A. Boulanger, op. cit., p. 127 sq. Si, dans L'oracle de Delphes, Marie
Delcourt écrit, p. io, que « le rôle des prêtres y était nul » (à Épidaure), et nous
dit encore, p. 28, que l'incubation était « un procédé oraculaire où tout peut
se passer entre les puissances mystérieuses et son suppliant et qui n'exige
l'intervention d'aucun prêtre », elle ajoute : « Des prêtres ont dû s'installer partout
où les pèlerins étaient assez nombreux pour les faire vivre en leur demandant
de servir d'interprètes, si le rêveur se déclarait incapable de saisir le message
divin. » Dans Les grands sanctuaires de la Grèce, elle avait fait allusion, p. 94,
à leur « technique mystérieuse », et, p. 110, si elle avait nié le rôle des prêtres,
elle paraissait en attribuer un au « personnel subalterne », c'est-à-dire les néocores.
Dans la traduction que le R. P. Festugière (La révélation d'Hermès
Trismégiste, I : L'astrologie et les sciences occultes, Gabalda et Cie, Paris, 1944,
P- S4-58) nous a donné du pittoresque récit du médecin Thessalos, du 11e siècle
de notre ère, venu à Thèbes pour ne pas demander moins à Asklépios que la
révélation d'une science, on lit que le prêtre gardien du temple commence par lui
proposer de lui servir d'intermédiaire avec le dieu, et que, Thessalos ayant insisté
pour le consulter « seul à seul », le prêtre avait fini par le lui accorder, mais,
ajoute-t-il, « sans plaisir (les traits de son visage le montraient bien !) ».
Encore une fois, il ne nous appartient pas de trancher cette question: le rôle
des prêtres a sans doute varié de façon notable selon les milieux et les temps,
et il semble en tout cas que celui des néocores y était ou y devint considérable
(cf. P. Girard, op. cit., p. 28-29).
335
n'avaient pas à leur base des remarques psychologiques plus ou
moins implicites ou plus ou moins élucidées, dont la
reconnaissance pourrait nous aider à désocculter cette pratique si
mystérieuse en apparence.
En effet, indépendamment de leur contexte religieux, ces
rêves présentent deux caractères paradoxaux : d'une part, ils
sont divinatoires, traduisons en langage moderne : diagnostics et
thérapeutiques ; d'autre part, ils sont provoqués, institutionnalisés,
pour ainsi dire obtenus sur commande.
22. Ces deux traités ont été édités dans le volume Petits traités d'histoire
naturelle, trad. R. Mugnier, dans la « Collection des Universités de France »,
Les Belles Lettres, Paris, 1953 ; J. Tricot avait, en 1951, publié la traduction
du même recueil sous le titre Parva naturalia, Vrin, Paris, 1951 (avec, en outre,
le traité pseudo-aristotélicien De spiritu).
337
pendant le jour. Si les révélations qu'ils en tirent sont parfois
vérifiées par la réalité, elles n'en ont pas plus de valeur.
En effet il y a des rêves dûs à des coïncidences fortuites et
c'est le cas de « tous ceux qui sont extraordinaires et dont le
principe n'est pas en nous » par exemple ceux qui se rapportent
à « des combats navals, des événements lointains » (463 b) : si le
hasard peut leur apporter une vérification, de même que si on
lance une quantité de flèches on atteint parfois le but, la plupart
du temps il ne s'ensuit aucune réalisation, la simple coïncidence
n'étant ni perpétuelle ni générale.
Il y a ensuite des rêves où l'on trouve un lien de causalité
entre eux et nos actions, le rêve jouant le rôle d'effet quand nos
préoccupations de la veille se prolongent dans notre sommeil, ou
le rôle de cause quand l'idée des actions que nous accomplissons
à l'état de veille a été préparée par les représentations éprouvées
durant la nuit.
En outre, les rêves peuvent être des signes. Dans la veille le
contact pour ainsi dire massif que nous avons avec le monde
extérieur par le moyen des sens nous empêche de remarquer
les sensations plus ténues, mais lorsque, durant le sommeil
l'adaptation sensorielle se relâche, et que, comme aurait dit
Taine, les états faibles ne sont plus réduits par les états forts, il
est possible que des stimuli non-perçus quand nous veillons
franchissent le seuil de la conscience, dans laquelle ils se
traduisent sous des formes plus ou moins illusoires :
On croit être foudroyé quand de petits bruits se font entendre
dans les oreilles, et Ton croit sentir du miel et de douces saveurs,
parce qu'une goutte infiniment petite d'humeur coule, et marcher
à travers un brasier et avoir extrêmement chaud, parce que certaines
parties du corps s'échauffent un peu *3.
C'est ainsi que nous arrivons à la signification clinique des
rêves, à laquelle les médecins attachent une grande importance
(462 b), et par voie de conséquence aux révélations de
l'incubation, bien qu'Aristote n'y fasse pas d'allusion explicite : les
débuts de maladies, remarque-t-il, sont souvent insidieux et,
par suite du mécanisme qui vient d'être indiqué, les symptômes
légers qui nous échappent quand nous sommes en état de veille
peuvent se dévoiler à nous pendant le sommeil.
Toutefois, comme les images les rêves ne sont pas l'exacte
représentation de la vérité, ainsi que nous venons de le constater,
mais sont déformés comme les reflets des objets qui se projettent
dans l'eau en mouvement, il s'agit de saisir quelle est l'exacte
ressemblance entre le modèle et la copie, et, certaines personnes,
24. L'argumentation d' Aristote a été reprise, avec une redondance tout
autre, par Cicéron, De divinatione, II, 58-72, qui, s'il reconnaît le profit que
les médecins peuvent tirer de certains rêves pour leurs diagnostics, se montre
très opposé à toute autre mantique que l'on peut en extraire. Cf. aussi saint
Thomas, Summa theologica, IIa IIae, quaest. 95, art. 6. On trouve, d'autre part,
chez les médecins indiens des remarques analogues, relevées par J. Filliozat,
Le sommeil et les rêves selon les médecins indiens et les physiologues grecs,
Journal de psychologie, 1947, p. 326-346, notamment p. 332 sq. : le traité de
Çaraka, Indrivasthava, V, 40-46, distingue, parmi les différentes sortes de rêves,
dont certains n'ont pas de valeur prémonitoire, ceux qui sont provoqués par
les « éléments de trouble » : pour ceux-ci, « le praticien qui connaît ces rêves
terribles, qui sont aussi symptômes prémonitoires, n'entreprend pas aveuglément
les traitements chez les incurables » ; ils sont dûs au fait que les « éléments de
trouble », circulant dans les canaux sensoriels, qui sont aussi ceux par lesquels
circule la conscience, perturbent ainsi les souffles sensoriels : il s'agit donc,
comme le note J. Filliozat, d'allusion à des « phénomènes pathologiques réels
se déroulant dans les voies sensitives ».
25. Defrasse et Lechat, loc. cit., p. 145.
26. Artémidore, Oneirocriticon, V, lxi, cité par N. Vaschide et H. Piéron,
339
Dans son ouvrage classique Le sommeil et les rêves, Alfred
Maury s'est livré à une expérimentation systématique et nous a
donné une série d'observations : l'une d'elles corrobore presque
textuellement un des exemples donnés par Aristote cité, plus
haut : « On croit marcher à travers un brasier et avoir
extrêmement chaud, parce que certaines parties du corps s'échauffent un
peu. » Ayant fait approcher de son visage un fer chaud durant
son sommeil, A. Maury obtint un rêve dans lequel il vit les
« chauffeurs » de la Révolution, qui s'introduisaient dans les
maisons et forçaient ceux qui s'y trouvaient, en leur approchant
les pieds d'un brasier, à déclarer où était leur argent 27.
Le psychologue norvégien Mourly Vold a fait des expériences
analogues, par lesquelles il s'est surtout attaqué aux sensations
cutanéo-motrices : par exemple on liait, sur les sujets en
expérience, l'articulation d'un ou deux pieds avec la plante afin de
provoquer une flexion plantaire, et il en résultait des rêves de
courses, de montées d'escaliers ; ou bien encore on gantait une
des mains ou les deux, de manière à provoquer leur
engourdissement, et le sujet ainsi expérimenté rêvait que sa propre
main ou une autre frappait, poussait une autre main 2S.
Rappelons aussi l'observation de H. Bergson, qui nous raconte
qu'en rêve il se crut un jour à une tribune d'où il haranguait
une assemblée au sein de laquelle s'élevaient des murmures, qui
s'intensifiaient bientôt en un vacarme épouvantable, scandé par
des cris « A la porte, à la por te ! » Se réveillant brusquement il
constata qu'un chien dont chacun des oua-oua se confondait
avec chacun des «A la porte ! » du rêve aboyait dans le voisinage 29.
La psychologie du rêve au point de vue médical, J.-B. Baillère et fils, Paris, 1902, p. 14.
On notera aussi l'origine sensorielle ou sensitive relevée par Hippocrate pour
certains rêves (cf. p. 335).
27. A. Maury, Le sommeil et les rêves, 4e éd., Didier et Cle, Paris, 1878, p. 155.
28. Les expériences de Mourly Vold de même que celles de Maury et de
d'Hervey de Saint-Denis ont été résumées dans Vaschide, Le sommeil et les
rêves, 5e mille, Flammarion, Paris, 191 8.
29. Le rêve, in L'énergie spirituelle, P. U. F., Paris, 1946, 4e éd., p. ior. Nous
n'avons rapporté que ces quelques exemples, mais on en trouve une multitude
dans les livres d'ensemble sur les rêves : cf. par exemple l'excellent résumé de
J. Lhermitte, Les rêves, collection « Que sais-je ? », P. U. F., Paris, 1941.
A la base de cet exposé la réalité de rêves d'origine ou de coloration perceptive
se trouve supposée. Or cette origine et cette coloration ont été, sinon formellement
niées, du moins très minimisées par Freud et ses disciples. Dans La science des
rêves (trad. I. Meyerson, F. Alcan, Paris, 1926, p. 25 sq., 202 sq.), il objecte
à cette action des sens externes ou internes qu'on ne peut s'en contenter, car
elle n'explique pas pourquoi les excitations sensorielles n'apparaissent pas sous
leur vraie forme, ni la variété des images par lesquelles une même excitation
sensorielle se manifeste dans les rêves, ni les cas négatifs dans lesquels il y a
excitations sensorielles sans rêves, ces excitations sensorielles étant pourtant
permanentes. Toutefois, il admet que des éléments somatiques peuvent être
imbriqués dans un rêve, mais sans en modifier l'essence, qui reste
accomplissement du désir : « L'état général de notre corps est assurément au nombre des
éléments directeurs du rêve. Il ne peut déterminer son contenu, mais il fournit
à ses pensées des éléments qu'elles doivent utiliser : il choisit, présente certains
34°
faits, en éloigne d'autres (p. 126). » Ce n'est pas le lieu de discuter ce problème
dans toute son ampleur, et les objections que fait Freud aux facteurs perceptifs
des rêves pourraient être facilement retournées contre sa conception (cf. par ex.
Lhermitte, op. cit., p. 104 sq.). Sans soutenir d'autre part avec H. Bergson
que les impressions extérieures fournissent « les matériaux de la plupart des
songes » (Le rêve, op. cit., p. 100), et tout en reconnaissant que celles-ci
n'expliquent ni tous nos rêves ni le tout de nos rêves, il reste, des multiples observations
des psychologues et qui sont, plus que probablement, corroborées par
l'expérience de multiples rêveurs, que la vie onirique subit de façon très nette
l'influence des données sensorielles et sensitives et que celles-ci, sans expliquer
les rêves dans leur intégralité et sans en être les seuls facteurs, y entrent
souvent comme élément pour les provoquer, les traverser, les colorer ou les
orienter. C'est, au demeurant, ce qu'a reconnu Freud lui-même, bien que dans
ses analyses des rêves il ne s'occupe que fort peu de ce facteur. Les auteurs de
traités récents, tels R. Bossard, Psychologie du rêve, trad. Lamorlette, Payot,
Paris, 1953, et R. de Becker, op. cit., tout en se montrant réticents sur la portée
de ces éléments sensoriels et sensitifs dans le rêve, ne peuvent néanmoins nier
leur réalité ; cf. également H. Delacroix, Le rêve et la rêverie, in Dumas, Nouveau
traité de psychologie, t. V, Alcan, Paris, 1936, p. 294 sq. Dans un article récent,
A. Fernandez-Zoila et J. Olivier (De la pensée et des images dans le rêve
devenir psychopathologique, Annales médico-psychologiques, avril 1959, p. 673-
694) considèrent le rêve comme une réaction à des excitations, que celles-ci
viennent des sens externes, de la sensibilité générale, ou du psychisme lui-même,
soit sous forme de reprises des faits éprouvés pendant la veille (souvenirs,
préoccupations, etc.), soit sous forme des faits propres au rêve (désirs, émotions,
réflexions volitives), ces différentes excitations pouvant du reste chevaucher les
unes sur les autres (p. 684). Les facteurs des rêves sont multiples et varient selon
les circonstances et selon les personnes et il y aurait sans doute une caractérologie
du rêve à établir, mais, pour être diversement interprétés, ces apports
sensoriels et sensitifs sont des faits d'expérience qui ne peuvent pas être niés.
34i
43. Cette tenue régulière d'un journal des rêves en favorise l'éclosion, R. de
Becker, op. cit., p. 32, remarque la multiplication des siens à partir du moment
où il s'y est intéressé ; cf. également N. Vaschide, op. cit., p. 88 sq.
346
celles que l'on ressent, en voiture, dans les tournants ou sur les
routes sinueuses.
Des transpositions de l'impression primitive sur le même
registre sensoriel ou sur celui d'un autre sens sont également
possibles.
Pour illustrer le premier cas, voici une observation
personnelle : il y a quelques années, j'étais allé à la terrasse de Bellevue,
et je m'étais longuement intéressé au beau panorama que l'on y a
de Paris et de la région parisienne, en prenant comme point de
repère pour situer le paysage le pont du viaduc d'Auteuil, aperçu
par conséquent de la perspective aval de la Seine ; le soir, en
m'endormant, j'eus une vision hypnagogique de ce même pont,
mais cette fois de la perspective amont, de laquelle je le
connaissais de longue date. Vinrent ensuite d'autres images sans rapport
apparent avec elle, une boutique au coin d'une ruelle montante,
peut-être la réminiscence de l'ascension de Bellevue, une
hôtellerie dans la campagne, un enfant traversant une rue.
En illustration du deuxième cas, J. Y. Belaval 50 a rapporté
une suite d'observations prises sur lui-même et dans lesquelles la
vision hypnagogique dépendait de la position de son corps, de
la pression d'objets extérieurs, de douleurs localisées telles que
migraines, rhumatismes etc. Par exemple, ayant, par suite d'une
posture incommode une courbature en V renversé par
remontée le long des côtes et descente le long des bras, il éprouve une
vision dans laquelle une Japonaise, avec un enfant sur le dos,
gravit une montagne dont la paroi est presque à la verticale
et sur laquelle elle prend appui par les pieds tandis que ses
mains s'accrochent à une corde tendue depuis le sommet, ce qui
aboutit, en perspective latérale, à une image reproduisant elle
aussi un V.
Analogues par certains de leurs aspects aux rêves, les images
de demi-sommeil en diffèrent par d'autres, les principales
différences étant qu'elles ne sont pas pleinement objectivées, mais
constituent, ainsi que l'écrit E. Bernard-Leroy, des spectacles
auxquels on s'intéresse (p. 125) et dont la matière sensible se
réduit à l'illumination d'une image ou à l'illustration d'une
rêverie (p. 42 sq.), tandis que le rêve, d'une objectivité beaucoup
plus poussée, au lieu d'être un spectacle auquel on assiste, est
une action à laquelle on participe (p. xi et 98).
cise), op. cit., p. 22 « n'accordait sa foi qu'aux songes faits à l'aube ». Ces
affirmations sont corroborées par celle de de Mirbel, qui, dans son Palais du sommeil,
inséré dans le Recueil des dissertations sur les apparitions, les visions et les songes
de l'abbé Lenglet-Dufresnoy, chez Jean-Noël Leloup, Paris et Avignon, 1751,
t. II, 2e partie, p. 82, soutient lui aussi que le temps le plus favorable aux songes est
«vers le matin, inter somnium et vigiliam» (= hallucinations hypnopompiques),
alors que les modernes et contemporains ont plutôt décrit ces rêves comme
survenant au moment de l'installation du sommeil (= hallucinations hypnagogiques).
A. Tournay, dans son article : Remarques sur mes propres visions du demi-
sommeil, Revue neurologique, 53 (1941), p. 209 sq., note des images du demi-
sommeil survenant le matin, mais en remarquant que, le réveil se faisant par des
oscillations entre la sommeil et la veille, c'est dans les phases de
réendormissement de ces oscillations qu'il a constaté chez lui-même la présence de ces
images.
Peut-être il y aurait-il à établir une étude historique et sociologique du rêve,
s'ajoutant à celles de la physiologie et de la psychologie, non seulement, ainsi
que cela a été fait par divers psychologues ou ethnographes (cf. R. Bastide,
chapitre « La sociologie du rêve », in Sociologie et psychanalyse, P. U. F., Paris, 1950),
pour leur signification, leurs types, leur contenu et leur symbolisme, mais aussi
pour leur mécanisme et pour leur structure. Il y a aussi à tenir compte de la labilité
des souvenirs du rêve, ce qui avait amené E. Goblot à soutenir la thèse qu'il n'y
avait des rêves qu'au réveil (Sur le souvenir des rêves, Revue philosophique, 1896,
II, cité par N. Vaschide, op. cit., p. 246 sq.).
53. L'étude d'ensemble en a été faite par Ph. de Felice, Poisons sacrés, ivresses
divines, Albin-Michel, Paris, 1936 ; L. Lewin, Les paradis artificiels, trad.
F. Gidon, Payot, Paris, 1928. Cf. aussi L. Livet, Les rêves narcotiques et leurs
conséquences, Journal de psychologie, 18 (1921), p. 389-407 ; Rohde, Psyché,
p. 177, note 1.
35i
D. Images et hallucinations.
Les62.images-éclairs,
Woodworth,Journal
Psychological
de psychologie,
review, 26
1915,
(1929),
p. 14,
p. 569-580.
cité par L'importance
I. Meyerson,
de ce facteur d'émotion et d'attitude a été relevé par P. Quercy, op. cit., p. 330,
même dans des perceptions réelles : « Je tombe à l'arrêt, à l'état de veille,
devant un serpent ! C'est, à mes pieds, une lanière de cuir, grise et poussiéreuse.
J'ai très bien vu, tout de suite, que c'était une lanière de cuir, quadrangulaire et
un peu pelucheuse sur une de ses faces ; mais en même temps, j'ai eu la réaction
verbale, motrice et affective : "un serpent" ; et le petit orage émotif a peut-être
duré deux ou trois secondes. J'ai eu la perception " lanière de cuir " et la conduite
" serpent ". » Les psychiatres, d'autre part, admettent volontiers que les
hallucinations de leurs malades ne sont souvent et essentiellement qu'un «
comportement hallucinatoire » plutôt qu'une « perception sans objet » proprement dite.
63. Op. cit., p. 28, 31 sq. De même, P. Quercy et P. Izans (Remarques sur
quelques variétés de métesthésie, Journal de psychologie, 33, 1936, p. 1 14-123)
relèvent que « l'image consécutive d'un texte est parfaitement illisible ; celle d'un
tableau est une nuée confuse, qui rappelle de très loin son objet, ou un autre »
(p. 115) ; et, à propos des métesthésies « tardives », à l'état de veille ou de demi-
sommeil, ils nous disent de ces images : « Toujours dans notre cas elles sont
faibles mais vives ; pauvres en détails mais riches de physionomie ; à peine
distinctes de la nuit, et efficaces comme une flamme (p. 118). » La célèbre
boutade d'Alfred Binet qu'on a une pensée de cent mille francs avec des images de
quatre sous est devenue classique. On pourrait en dire autant des sentiments
de certitude et de présence qu'elles apportent.
354
« aurores » et les « crépuscules » d'images, états intermédiaires
entre l'image bien caractérisée et la pensée non-imagée, tandis
que I. Meyerson décrit les « images-éclairs », surgissant
brusquement et disparaissant de même au cours d'une méditation
ou d'une préoccupation, le degré de certitude dont elles sont
nanties étant, paradoxalement, souvent en raison inverse de la
précision et de la richesse de leur contenu 64.
Le rôle compensateur des images. Freud a défini le rêve
comme la représentation déguisée d'un désir refoulé, formule
qui peut être retenue pour certains d'entre eux, à condition
d'ajouter que le déguisement peut être extrêmement
transparent, et que le refoulement n'est pas toujours celui qu'il décrit,
de nature endogène, résultat d'une « censure » qui s'exerce sur
des pulsions inavouables, mais peut avoir aussi une origine
exogène, quand les circonstances mettent obstacle à la satisfaction
de tendances qu'aucune règle morale ou sociale ne nous interdit,
ou ne nous contraint à cacher. A condition également d'ajouter
que ces désirs refoulés, pour chercher souvent dans le rêve leur
réalisation illusoire, peuvent aussi la trouver dans des images au
cours d'états plus ou moins éveillés de la conscience.
Ce refuge dans le rêve et dans l'image est chose bien connue,
depuis sans doute que les hommes existent, par la psychologie
populaire, et qui a été corroborée par des observations
nombreuses. On sait que P. G. Jung a beaucoup insisté sur cette
fonction de compensation.
De même que les états inanitionnels engendrent des rêves de
repas fastueux, que des naufragés croient apercevoir des navires
venant à leur secours, que la claustration dans une plaine morne
provoque les images de paysages et de sites enchanteurs 65, de
même les blessures ou les maladies qui étaient leur lot devaient
incliner ceux qui venaient consulter Esculape à des rêves ou à
des rêveries de guérison ou du moins des moyens de l'obtenir,
en vertu de ce mécanisme de satisfaction compensatoire, que le
contexte et l'ambiance de ces cérémonies, ainsi que nous y avons
assisté, ne pouvait que favoriser.
Par là, en liaison avec la croyance, si répandue parmi les pri-
64. I. Meyerson, loc. cit. ; P. Janet, L'intelligence avant le langage, Flammarion,
Paris, 1936, p. 270-299.
65. Cf., par exemple, les notations saisissantes de L. Thomas, Le naufrage du
Dumaru, trad. G. Malcorn, Payot, Paris, 1932, notamment p. 105-106, journal
de bord d'un navire naufragé dans le Pacifique en octobre 1918 ; et celles, si
joliment décrites, de P. M. Schuhl, « Images captives », in Le merveilleux, la
pensée et l'action, Flammarion, Paris, 1952, p. 112-118. Si l'on me permet une
fois de plus des observations personnelles, j'ai relevé sur des camarades de
captivité et sur moi, au camp de Mailly en juin-août 1940, dans un climat de
« minimum vital » physiologique, des rêves dans lesquels repas et restaurants
jouaient un rôle primordial.
— 355 —
Les Grecs et leurs dieux, trad. S. M. Guillemin, Payot, Paris, 1956, p. 268-281.
71. Histoire de l'incubation dans l'antiquité, III, p. 286 ; L'île Tibérine dans
— 357 —
l'antiquité, p. 226 : « On leur avait tant parlé d'Esculape et de ses cures qu'ils ne
pouvaient faire autrement, dans le silence et l'obscurité de la nuit, que de
s'imaginer, par autosuggestion, le voir et l'entendre. »
72. Op. cit., p. 75.
73. Op. cit., p. 275 sq. R. de Becker (op. cit., p. 31) a fait des observations
analogues sur un ami de captivité, qui lui avait affirmé ne jamais rêver : constatant
que celui-ci présentait pendant son sommeil des expressions ténues du visage,
accompagnées de l'émission de légers sons indistincts, il leur donna en écho des
sons analogues, qui progressivement se transformèrent chez son camarade en
mots, puis en un récit, réalisant un « rêve somnambulique », dont aucun
souvenir ne subsistait au réveil.
74. Op. cit., I, 9, et IV, p. 9 et 147 de la traduction citée.
-353 -
d'application à attendre la visite du dieu et qui faisaient trop
d'efforts à cette fin.
On a pu dire en effet que les rêves, loin de traduire nos
préoccupations importantes, se construisent à l'aide des laissés pour
compte de notre vie, et Y. Delage préconisait, comme moyen
d'éviter les cauchemars, de penser fortement, avant de
s'endormir, à nos soucis et à nos peines afin qu'ils ne viennent pas
troubler notre sommeil. Sans aller aussi loin on peut dire que la
suggestion ne se développe pas sur le terrain d'une attention trop
tendue et surtout trop volontaire, qui inhibe les automatismes ;
c'est ce que Baudouin a appelé « la loi de l'effort converti » 75 :
lutter contre une suggestion c'est souvent la renforcer, trop
surveiller son langage est le moyen le plus efficace pour bafouiller,
faire des lapsus ou des coq-à-1'âne, et, réciproquement, vouloir
éprouver un état, retrouver un nom, est bien fréquemment
impossible tant que l'on y fait effort, c'est comme chacun le sait dans la
détente de l'esprit que le nom nous revient à la mémoire. Et
cette loi, d'application générale en psychologie, se vérifie
notamment dans le domaine des images : Paul Souriau avait, bien
avant C. Baudouin, signalé que les images loin de naître d'un
effort volontaire de l'esprit, éclosent au contraire dans les états
de détente, lorsque nous avons, suivant son expression, « donné
congé à notre esprit » et il ajoutait que
... non seulement la pensée, pour se montrer vraiment imagi-
native, ne doit pas être trop surveillée, mais elle ne doit même pas
être trop lucide 76.
Tel devait être encore le sort des dévots d'Esculapc qui
passaient par des périodes analogues à celles des « sécheresses »
dans les états mystiques, périodes pendant lesquelles, pour des
raisons diverses, la communication avec le dieu n'arrivait pas ou
arrivait mal à s'établir.
C'est probablement pour ces déficients du rêve et non
seulement pour ceux à qui leur état de santé ou autres impedimenta
ne permettaient pas de faire les pèlerinages que l'on trouvait
dans les sanctuaires des « intercesseurs » 77 rêvant à leur place,
et dont Apollonius de Tyane fut l'un des plus recherchés. Un
86. H. Webster, op. cit., p. 194 sq., pour une revue d'ensemble, ainsi que les
autres ouvrages cités à la note 81.
87. L. F. Calmeil, De la folie, 2 vol., Baillièrc, Paris, 1845, passim. Sainte
Thérèse d'Avila a signalé à plusieurs reprises (notamment Fondations, VI) des
pseudo-ravissements dus à des jeûnes excessifs.
88. J. Palou, op. cit., p. 18 sq. ; Magie, misère et sorcellerie, La Tour Saint'
Jacques, 11-12, 1958, p. 183-192.
89. J. Cazeneuve, Les rites et la condition humaine, P. U. F., Paris, 1958,
p. 286 ; cf. également p. 90, 103 sq., 277.
— 363 —