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Fred Dervin
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Fred Dervin
1.0 Introduction
L’Union européenne a fêté l’année dernière le départ du millionième étudiant
Erasmus. Face à ce succès d’une dizaine d’années, l’institution a décidé de multiplier
les actions de mobilité qui ouvriraient davantage de portes d’établissements supérieurs
européens (mais aussi américains ou asiatiques, Cf. le programme de la Commission
européenne Erasmus Mundus, 2003) à tout étudiant : qu’il soit linguiste, juriste,
littéraire, médecin, etc.
Aucun système n’est parfait, chacun est conscient qu’un certain nombre
d’obstacles à la mobilité européenne ou mondiale demeurent. En juillet 2001, le
Parlement européen et le Conseil des ministres ont formulé une recommandation
fondée sur les propositions du Livre Vert sur les obstacles à la mobilité publié par la
Commission en 19971. Après une présentation des bénéfices de la mobilité, ce dernier
proposait de concentrer les efforts sur les obstacles suivants: « Les difficultés liées au
droit de séjour ; le traitement différencié des chercheurs en formation selon les pays ;
les prélèvements obligatoires applicables aux différentes catégories de personnes ; la
protection sociale ; la reconnaissance, la certification, la validation ; la territorialité
des bourses ; les obstacles socio-économiques ; les obstacles administratifs ; les
obstacles linguistiques et culturels et enfin ; les obstacles pratiques » (1997 : 2).
Il est surprenant de constater que ceux-ci sont, pour la plupart, de nature pratique
(documents officiels, finance et certification). Bien sûr, faire l’impasse sur ces
éléments de base serait grotesque : sans accords officiels, sans bourses, il n’y aurait
pas de mobilité. Pourtant, il nous semble nécessaire de nous interroger sur les
questions dites culturelles auxquelles le Livre vert consacre un petit paragraphe très
(trop) succinct. Peut-être s’imagine-t-on que les difficultés que ces problématiques
peuvent engendrer sont gérables une fois sur place et que c’est au voyageur de se
débrouiller, de se questionner sur les rencontres et de s’adapter ? Ou bien qu’elles ne
représentent pas de réelles épreuves à la mobilité ? Mieux encore, face à la grande
complexité posée par cet objet, n’avons-nous pas fait impasse sur ces questions
essentielles pour se concentrer sur ce qui est concrètement gérable (en octroyant plus
d’argent par ex. ; un peu comme si l’on disait, voici de l’argent, bougez maintenant) ?
Avec l’arrivée des réformes de Bologne de 1998 et face à la mobilité
croissante (mobilité virtuelle ou physique) de tout le corps universitaire (les
« nouveaux étrangers » d’Elizabeth Murphy-Lejeune (2003): les enseignants, les
chercheurs et les étudiants de tout niveau et toute discipline), une grande réflexion
semble donc nécessaire sur les conditions de réalisation de cette mobilité : qu’il
s’agisse de la préparation aux séjours, de l’apprentissage et de l’acquisition de
compétences diverses (linguistiques, interculturelles, humanistes, etc.) mais aussi de
la certification (crédits accordés, prise en compte de l’expérience de l’étranger, etc.).
Dans cet article, nous tenterons de justifier l’acquisition d’une compétence
interculturelle qui, de l’avis de plusieurs chercheurs tels que Byram (1997), Jordan &
Roberts (2000),ou Dervin (2003), facilite le travail d’adaptation en contexte de
mobilité. Notre réflexion part des questions suivantes :
1) Quel est l’intérêt d’une approche interculturelle de la mobilité ?
1
Commission Européenne (1997) Education- Formation – Recherche: Les obstacles à la mobilité transnationale
(http://www.europa.eu.int/comm/education/lvert/lvfr.pdf - site consulté le 17.10.2003)
1
Fred Dervin 2004 ©
L’utilité d’une approche interculturelle (telle qu’elle est conçue par les chercheurs
français : Abadallah-Pretceille, Zarate, Porcher en autres) est que la rencontre avec
l’autre ne consiste plus à le réduire à son appartenance culturelle (entendre nationale
« elle est française… alors, c’est normal qu’elle réagisse de cette façon ») par une
sorte de déterminisme culturel mais, de discerner toute rencontre, qu’elle soit intra- ou
inter-, comme une rencontre de l’hétérogénéité. Il ne s’agit plus de connaître l’autre
mais de le RE-connaître dans sa diversité.
2
Par le biais de ce que nous appelons la tradition culturaliste.
2
Fred Dervin 2004 ©
Nous proposons donc d’avoir recours aux termes suivants pour traduire ce côté
variable, instable :
Cultures – Culturalité
Identités – Identification – Inter-identité
La condition d’étranger, vécue par l’étudiant Erasmus, est « active » dans la société
d’accueil. Autrement dit, l’étudiant joue un rôle bien déterminé et ce qu’il doit
apprendre se superpose sur son apprentissage social préalable : il lui faut découvrir le
« jonglage » avec les éléments déjà présents dans sa biographie personnelle et ceux
qu’il peut intégrer des autres cultures.
3
En anglais, on parle de “stay abroad”.
3
Fred Dervin 2004 ©
4
Hall & Toll disent clairement que la perception de la culture cible depend du rôle joué par l’actrice mobile: assistante de langue,
étudiante dans une fac parisienne ou grande école, etc. (Raising intercultural Awareness in preparation for periods of residence
abroad article tire de http://www.lancs.ac.uk/users/interculture/subproj1.htm visité le 10.2.2003)
5
Après le DEUG, les “groupes” sociaux sont déjà formés et il est ainsi plus difficile de les intégrer pour le nouvel arrivant.
6
Même par le biais des médias (télévision, journaux, etc.). Cf. l’étude de J. Kim (1980) sur l’impact des médias sur
l’acculturation des immigrants hispanophones aux Etats-Unis.
7
Cas des Erasmus en Finlande. On a noté que beaucoup d’étudiants d’Europe du sud venaient en Finlande pour apprendre
l’anglais. La plupart des cours de spécialités leur sont offerts en anglais.
4
Fred Dervin 2004 ©
Nous partons du principe que tout individu est interculturel, qu’il a la capacité de
respecter nos quatre principes de base et qu’il/elle a donc un certain degré de
compétence qu’il peut parfaire ou non.
Très peu de chercheurs se sont penchés sur une définition complète d’une compétence
interculturelle en mobilité (Cf. Papatsiba 2003). Le modèle de Byram (1997), malgré
sa complexité, est un bon départ. Il met au point un système de savoirs, savoir-être,
savoir-faire et savoir-apprendre qui définissent des objectifs d’apprentissage de la
compétence interculturelle. L’apprentissage interculturel et l’acquisition de la
compétence est avant tout un auto-apprentissage (Barbot 2000 : Chap. 1). D’où le
postulat que l’autonomie fait partie intégrante de la compétence interculturelle.
L’étudiant se retrouve « seul » face à l’autre et il doit trouver, développer et évaluer
des stratégies pour faire face à ses besoins communicationnels (cognitifs mais aussi
affectifs). Ces processus s’opèrent dans la plupart des cas inconsciemment. Des
recherches sur l’autonomisation de l’apprenant, retenons qu’il serait nécessaire de
« déconditionner » et d’amener les étudiants mobiles à se fixer des objectifs
8
De Certeau, M. (1990), L’invention du quotidien. 1. Arts de faire, Gallimard.
5
Fred Dervin 2004 ©
c) Enfin, et en liaison avec cela, il faut rappeler ici que les rencontres interculturelles
sont liées à des phénomènes cognitifs mais aussi affectifs : un jour je peux être
« compétent interculturel », un autre non, car je suis fatigué ou malade.
9
Seelye décline comme objectif culturel: “the student should show that s/he has developed the skills needed to locate and
organize information about the target culture from the library, the mass media, people, and personal observation” (1988: 56).
6
Fred Dervin 2004 ©
4) Faudrait-il mettre une note pour faire plaisir à l’institution et aux besoins de la
société10? Que faire si l’on met une mauvaise note ? Est-ce que l’étudiant
pourrait l’interpréter comme un échec (et se dire qu’il n’est pas fait pour
l’autre) ?
5) Finalement, y aurait-il intérêt à mettre au point une grille de niveaux pour
évaluer cet apprentissage après l’acte de mobilité11?
Nous n’allons pas essayer de répondre à toutes ces questions ici. Toutefois, la
réflexion est lancée, simplement.
5.0 Conclusions
Il y a clairement trois étapes dans les recherches sur la compétence interculturelle et
son évaluation en contexte de mobilité:
1) Il faudrait d’abord une définition des objectifs d’apprentissage concrets par
l’institution qui envoie et reçoit des étudiants étrangers ;
2) En outre, tout le personnel (mais surtout les étudiants mobiles) devraient se
pencher sur l’élaboration d’un système transparent d’évaluation formative de
la compétence à être utilisé avant, pendant et après le séjour ;
3) Pour finir, les universités doivent reconnaître officiellement les capitaux
interculturels acquis durant le séjour dans une université étrangère et offrir un
certain nombre de crédits aux étudiants mobiles pour ceux-là.
Insistons ici sur le fait que les problèmes liés à l’évaluation d’une compétence
interculturelle en mobilité sont éthiques, pratiques, scientifiques et institutionnels. A
notre avis, Il faut considérer l’évaluation de la compétence interculturelle comme
personnelle avant tout. C’est bien évidemment à l’étudiant de travailler et de se
rendre compte que c’est un apprentissage pour lequel la motivation et la persévérance
sont nécessaires. Il doit également savoir s’il le veut vraiment. Le rôle de l’enseignant
ou du responsable des échanges est bouleversé : il devient de préférence un guide, et
non pas un dirigeant.
Pour conclure, nous sommes convaincu qu’une préparation interculturelle (ce que
nous appelons le « déconditionnement », Cf. Dervin, 2002) dès l’entrée à l’université
est indispensable. De façon générale, la formation à l’interculturel reste marginale et
elle se limite à quelques UV souvent optionnelles. Nous voyons cette formation basée
sur des principes de diversité et de variation plutôt que sur ceux des différences.
Ajoutons finalement que les objectifs de ces formations devraient être intégrés /
intégrables dans le processus d’évaluation – plus autonome à notre avis. Les exemples
d’initiatives sont nombreuses12:
- Formation par l’expérience et l’implication & simulations globales ;
- Formation par l’analyse critique (Etudes de cas, méthode des incidents
critiques) ;
- Apprentissage de la distanciation et de la décentration (travail sur les
représentations : photo-langage, approche sémiologique) (Abdallah-
Pretceille 2003: Chap. IV) .
10
Et aux étudiants qui les réclament, Cf. l’ouvrage de Le Goff, 1999, dans lequel il remet en cause les logiques de nos systèmes
éducatifs trop inspirés du monde de l’économie
11
Nous renvoyons le lecteur aux cahiers du CIEP: La reconnaissance des competences interculturelles: de la grille à la carte
(coordonnés par G. Zarate et A. Gohard-Radenkovic) à paraître chez Didier.
12
Voir également Dervin (id).
7
Fred Dervin 2004 ©
C’est dorénavant à nous de voir si nous avons le désir de travailler là dessus, de les
intégrer dans nos cursus et de redonner à la mobilité universitaire les valeurs
humanistes qu’elle revêtait à la Renaissance.
Bibliographie
Abdallah-Pretceille, M. & Porcher, L. (1999), Diagonales de la communication
interculturelle, Anthropos, Paris.
Abdallah-Pretceille, M. (1999), L'Education Interculturelle, PUF: Que sais-je?, Paris.
Abdallah-Pretceille, M. (2003), Former et éduquer en contexte hétérogène,
Anthropos, Paris.
Barbot, M.-J. (2000), Les Auto-apprentissages, Clé-International, Paris.
Byram, M. (1997), Teaching and Assessing Intercultural Communicative
Competence, Multilingual Matters, Clevedon England Philadelphia.
Dervin, F. (2002), “Urgence: davantage d’interculturel dans la formation des
enseignants de langues”, Lingua LMS 5, pp. 60-63.
Dervin, F. (2003), Rencontres interculturelles en mobilité universitaire : propositions
de méthodes d’évaluation ex post facto de l’acquisition de la compétence
interculturelle. Université de Rouen.
Gipps, C (1994), Beyond Testing: Towards a Theory of Educational Assessment, The
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Gudykunst, W. & Kim, Y. (éds) (1987), Cross-cultural adaptation, current
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Hall, E.T. (1959), Le langage silencieux, Points Essais, Paris.
Jordan, Sh. & Roberts, C. (2000), Introduction to Ethnography for Language
Learners, LARA: Learning and Residence Abroad, Oxford and London, Oxford
Brookes University and Thames Valley University/ King’s College London.
Kim, J.K. (1980), “Explaining acculturation in a communication framework : an
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Le Goff, J-P. (1999), La barbarie douce, Editions la découverte, Paris.
Meara, P. (1994), « The year abroad and its effects ». Language Learning Journal, 10,
pp. 32-38.
Maffessoli, M. (2002), “Perspectives tribales ou le changement de paradigme social”,
in Michaud, Y. (dir), La société et les relations sociales, UTLS, Poches Odile Jacob,
pp. 88-98.
Murphy-Lejeune, E. (1999), “La formation de l’interculturel par l’interculturel”, Les
Cahiers de l’Asdifle 11, pp. 81-99.
Murphy-Lejeune, E. (2003), L’étudiant européen voyageur : un nouvel étranger,
Didier, Paris.
Papatsiba, V. (2003), Des étudiants européens : « Erasmus » et l’aventure de
l’altérité, Peter Lang.
Seelye, H.N. (1988), Teaching Culture, National Textbook Company, Lincolnwood.
Zarate, G. & Byram, M. (1997), Sociocultural Competence in Language Learning and
Teaching, Council of Europe.