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Définition et évaluation de la compétence interculturelle en contexte de


mobilité : ouvertures

Article · January 2004

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Fred Dervin
University of Helsinki
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Fred Dervin 2004 ©

Définition et évaluation de la compétence interculturelle en contexte de mobilité :


ouvertures

Fred Dervin

1.0 Introduction
L’Union européenne a fêté l’année dernière le départ du millionième étudiant
Erasmus. Face à ce succès d’une dizaine d’années, l’institution a décidé de multiplier
les actions de mobilité qui ouvriraient davantage de portes d’établissements supérieurs
européens (mais aussi américains ou asiatiques, Cf. le programme de la Commission
européenne Erasmus Mundus, 2003) à tout étudiant : qu’il soit linguiste, juriste,
littéraire, médecin, etc.
Aucun système n’est parfait, chacun est conscient qu’un certain nombre
d’obstacles à la mobilité européenne ou mondiale demeurent. En juillet 2001, le
Parlement européen et le Conseil des ministres ont formulé une recommandation
fondée sur les propositions du Livre Vert sur les obstacles à la mobilité publié par la
Commission en 19971. Après une présentation des bénéfices de la mobilité, ce dernier
proposait de concentrer les efforts sur les obstacles suivants: « Les difficultés liées au
droit de séjour ; le traitement différencié des chercheurs en formation selon les pays ;
les prélèvements obligatoires applicables aux différentes catégories de personnes ; la
protection sociale ; la reconnaissance, la certification, la validation ; la territorialité
des bourses ; les obstacles socio-économiques ; les obstacles administratifs ; les
obstacles linguistiques et culturels et enfin ; les obstacles pratiques » (1997 : 2).
Il est surprenant de constater que ceux-ci sont, pour la plupart, de nature pratique
(documents officiels, finance et certification). Bien sûr, faire l’impasse sur ces
éléments de base serait grotesque : sans accords officiels, sans bourses, il n’y aurait
pas de mobilité. Pourtant, il nous semble nécessaire de nous interroger sur les
questions dites culturelles auxquelles le Livre vert consacre un petit paragraphe très
(trop) succinct. Peut-être s’imagine-t-on que les difficultés que ces problématiques
peuvent engendrer sont gérables une fois sur place et que c’est au voyageur de se
débrouiller, de se questionner sur les rencontres et de s’adapter ? Ou bien qu’elles ne
représentent pas de réelles épreuves à la mobilité ? Mieux encore, face à la grande
complexité posée par cet objet, n’avons-nous pas fait impasse sur ces questions
essentielles pour se concentrer sur ce qui est concrètement gérable (en octroyant plus
d’argent par ex. ; un peu comme si l’on disait, voici de l’argent, bougez maintenant) ?
Avec l’arrivée des réformes de Bologne de 1998 et face à la mobilité
croissante (mobilité virtuelle ou physique) de tout le corps universitaire (les
« nouveaux étrangers » d’Elizabeth Murphy-Lejeune (2003): les enseignants, les
chercheurs et les étudiants de tout niveau et toute discipline), une grande réflexion
semble donc nécessaire sur les conditions de réalisation de cette mobilité : qu’il
s’agisse de la préparation aux séjours, de l’apprentissage et de l’acquisition de
compétences diverses (linguistiques, interculturelles, humanistes, etc.) mais aussi de
la certification (crédits accordés, prise en compte de l’expérience de l’étranger, etc.).
Dans cet article, nous tenterons de justifier l’acquisition d’une compétence
interculturelle qui, de l’avis de plusieurs chercheurs tels que Byram (1997), Jordan &
Roberts (2000),ou Dervin (2003), facilite le travail d’adaptation en contexte de
mobilité. Notre réflexion part des questions suivantes :
1) Quel est l’intérêt d’une approche interculturelle de la mobilité ?
1
Commission Européenne (1997) Education- Formation – Recherche: Les obstacles à la mobilité transnationale
(http://www.europa.eu.int/comm/education/lvert/lvfr.pdf - site consulté le 17.10.2003)

1
Fred Dervin 2004 ©

2) Comment définir une compétence interculturelle qui permettrait de se préparer


à la mobilité et au retour dans la culture universitaire d’appartenance (le
phénomène de « réacculturation » et ce que j’appelle « la compétence de
retour » très peu étudiée) mais aussi de profiter pleinement de son séjour à
l’étranger?
3) Faudrait-il imposer l’acquisition de compétences mobilitaires aux étudiants
voyageurs ?
4) Et enfin, puisque l’acquisition de ces compétences se fait dans le cadre des
études, devrions-nous les évaluer ? Quelles solutions pouvons-nous proposer ?

2.0 Justifier l’approche interculturelle

2.1 Eviter l’ « adjectivisation d’autrui »


A l’étranger, dans mon pays, à la télé, sur un forum Internet, lorsque je rencontre un
Paul, un Klaus ou une Paula pour la première fois, c’est en fait un stéréotype acquis et
renforcé à partir de connaissances ethnographiques à qui j’ai affaire. Ces
connaissances, je les ai acquises en amont par le biais des médias, des manuels
d’enseignement de langues2, de ma famille, de mes amis, de mes voyages touristiques,
etc. (Neuner in Zarate & Byram 1997 : 47). Toutes ces étapes dans ma perception
d’autrui n’ont été cantonnées qu’à un discours d’ « adjectivisation » qui filtre mes
rencontres (Abdallah-Pretceille, 2003 : 14). Ceci se traduit positivement mais aussi
négativement : par ex. on entend souvent que les Français sont chaleureux, les
Espagnols paresseux et les Finlandais timides. En fait, quand je définis l’autre, je tente
de me définir. Si je dis « les Finlandais sont timides », je sous-entends que mon
groupe (les Français) ne l’est pas.

L’utilité d’une approche interculturelle (telle qu’elle est conçue par les chercheurs
français : Abadallah-Pretceille, Zarate, Porcher en autres) est que la rencontre avec
l’autre ne consiste plus à le réduire à son appartenance culturelle (entendre nationale
« elle est française… alors, c’est normal qu’elle réagisse de cette façon ») par une
sorte de déterminisme culturel mais, de discerner toute rencontre, qu’elle soit intra- ou
inter-, comme une rencontre de l’hétérogénéité. Il ne s’agit plus de connaître l’autre
mais de le RE-connaître dans sa diversité.

2.2 Recadrer la culture et l’identité


De ce fait, les notions de culture et d’identité prennent de nouvelles significations.
Reconnaître l’autre dans sa diversité, c’est accepter que ces notions ne soient pas /plus
statiques : la culture est de plus en plus « multidimensionnelle » (dans sa définition
anthropologique, je suis peut-être français mais j’ai aussi des appartenances
religieuses, professionnelles, sexuelles, étrangères, etc.) et les identités que l’on
véhicule face aux Autres se multiplient, invoquant ainsi une sorte d’ « émiettement »
des appartenances (Maffesoli in Michaud, 2002 : 96). Par conséquent, en accord avec
Abdallah-Pretceille (1999 : 15-19), il faudrait dire que nos cultures et nos identités se
définissent par les relations et les interactions entretenues avec les autres individus et
les groupes, plutôt que par des caractéristiques stéréotypées (et c’est ce que le
« culturalisme » ambiant nous fait croire : dans telle situation, tel étranger réagira de
telle façon).

2
Par le biais de ce que nous appelons la tradition culturaliste.

2
Fred Dervin 2004 ©

Nous proposons donc d’avoir recours aux termes suivants pour traduire ce côté
variable, instable :
Cultures – Culturalité
Identités – Identification – Inter-identité

2.3 L’interpersonnel est interculturel


Somme toute, ajoutons que l’interculturel, ce n’est pas seulement la rencontre entre un
membre d’une culture nationale et un autre, mais, c’est toute rencontre avec l’Autre.
Ainsi, dans certains contextes, la communication passe mieux entre deux « étrangers »
qui partagent des identités (professionnelles et religieuses, par ex.) que dans le cas de
rencontre « inter- ». Ce qui nous pousse à dire que parler de communication
interculturelle uniquement dans le cadre de rencontres entre représentants de pays
différents est une erreur : l’Interculturel, c’est de l’interpersonnel. D’après ce que
nous avons essayé d’expliquer sur les notions de cultures et identités, tout acte
communicatif est donc un acte interculturel. Si le voyageur est conscient de tout cela,
c’est un grand pas vers l’acceptation de chaque autre dans sa diversité (qu’il soit de
même nationalité ou pas).

3.0 Compétence interculturelle et mobilité


« De nombreuses études ont démontré que les échanges ne réduisent pas
systématiquement les stéréotypes et les préjugés » (Abdallah-Pretceille 1999 : 95)
Beaucoup ont confirmé cette illusion et nous en avons tous fait l’expérience. Face à la
« différence », nous avons nos représentations (positives ou négatives – xénophobes
ou xénophiles) qui nous permettent de (mal) expliquer un phénomène. Combien de
fois avons-nous vu des groupes de lycéens étrangers face les uns aux autres s’insulter
dans leur langue respective ? Il faut être clair : les échanges ne sont pas toujours LA
solution à l’apprentissage interculturel. Ceci s’applique également aux échanges
Erasmus (Cf. les résultats de l’enquête de Meara, 1994).

Avant d’en arriver à une tentative de définition de la compétence interculturelle,


interrogeons-nous sur les diverses modalités d’apprentissage offertes en mobilité
estudiantine.

3.1 Modalités d’apprentissage en mobilité


Les modalités d’apprentissage par le biais du séjour à l’étranger ont un caractère autre
de l’apprentissage institutionnalisé. Le séjour3 contextualise l’apprentissage de la
langue et de la culture d’accueil en tant que pratique sociale ; il met en marche un
nouveau processus de socialisation ; il constitue une expérience totale qui marque
profondément l’individu et enfin il est soumis à plusieurs rituels de passage (passage
physique, social, symbolique et professionnel) qui le rapproche d’autres situations de
mobilité sociale (le déménagement, l’internat ou le service militaire) (Murphy-
Lejeune, 1998).

La condition d’étranger, vécue par l’étudiant Erasmus, est « active » dans la société
d’accueil. Autrement dit, l’étudiant joue un rôle bien déterminé et ce qu’il doit
apprendre se superpose sur son apprentissage social préalable : il lui faut découvrir le
« jonglage » avec les éléments déjà présents dans sa biographie personnelle et ceux
qu’il peut intégrer des autres cultures.

3
En anglais, on parle de “stay abroad”.

3
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Murphy-Lejeune voit trois modalités d’apprentissage dans le cadre d’un échange


Erasmus : l’observation, la participation et la communication explicite (Ibid. : 99).
L’observation mais aussi la perception de la société d’accueil, dans son sens large, en
échange Erasmus est restreinte4. Effectivement, l’étudiante ne touche qu’à certaines
sphères (limitées): des situations fermées (Hall 1959 : 79-117) ; l’université,
l’administration, les transports en commun et les commerces et des situations
ouvertes ; le restaurant universitaire, le CROUS (logement) ainsi que les activités
extra-universitaires. Les rapports avec les « natifs » seront plutôt instrumentaux
qu’affectifs (Cf. l’étude de Yum dans Gudykunst et Kim 1987 : 195). Certains
étudiants auront, bien sûr, des lieux d’observation plus nombreux : cela dépendra
essentiellement des conditions de logements (Murphy-Lejeune ibid. : 83), des
activités extra-universitaires et de l’année d’étude que l’étudiant Erasmus va intégrer
(en général Licence et Maîtrise en France mais aussi DEUG5).

En ce qui concerne la participation, elle devrait diminuer la distance socioculturelle


entre l’étudiant étranger et les membres d’autres cultures nationales (observons qu’en
échange Erasmus, les étudiants intègrent très souvent des groupes sociaux et culturels
dont les membres sont des représentants d’autres cultures nationales). Plus les
situations sociales seront variées, plus les contacts avec les natifs étroits6, plus
l’étranger aura l’occasion de diversifier et d’affiner ses points de participation.

La communication devrait pouvoir s’opérer la plupart du temps dans la langue de la


culture nationale cible. Pour ce faire, plusieurs facteurs entrent en compte : les
connaissances linguistiques des étudiants (ils n’ont jamais appris la langue ou ils sont
spécialistes : germanistes, hispanistes, etc.) ; les motivations (ils n’ont pas envie
d’apprendre la langue pour un si court séjour7) ; la politique linguistique dans la
culture cible et, les capitaux sociaux des acteurs mobiles dans la culture cible. Pour ce
dernier point, notons que les étudiants Erasmus restent assez souvent ensemble et
qu’ils optent pour une lingua franca (français, anglais ou espagnol).

3.2 Controverses sur la compétence interculturelle


Venons en donc au vif du sujet : en quoi consisterait une compétence interculturelle
qui permettrait d’optimiser ces contextes d’apprentissage ?

Quatre remarques préliminaires :


* Tout d’abord, disons qu’une compétence interculturelle développée au cours d’un
séjour ne servirait en rien à créer un double du « natif » car 1) c’est impossible (qui
serait le référent ? Le dominant ?) 2) faire croire aux étudiants qu’ils peuvent devenir
autre pourrait impliquer des problèmes psychologiques énormes (shizophrénie). En
bref, l’intermédiaire interculturel « n’est pas un sujet social condamné à des pratiques
d’imitation systématiques du natif » (Zarate & Byram 1997 : 12).

4
Hall & Toll disent clairement que la perception de la culture cible depend du rôle joué par l’actrice mobile: assistante de langue,
étudiante dans une fac parisienne ou grande école, etc. (Raising intercultural Awareness in preparation for periods of residence
abroad article tire de http://www.lancs.ac.uk/users/interculture/subproj1.htm visité le 10.2.2003)
5
Après le DEUG, les “groupes” sociaux sont déjà formés et il est ainsi plus difficile de les intégrer pour le nouvel arrivant.
6
Même par le biais des médias (télévision, journaux, etc.). Cf. l’étude de J. Kim (1980) sur l’impact des médias sur
l’acculturation des immigrants hispanophones aux Etats-Unis.
7
Cas des Erasmus en Finlande. On a noté que beaucoup d’étudiants d’Europe du sud venaient en Finlande pour apprendre
l’anglais. La plupart des cours de spécialités leur sont offerts en anglais.

4
Fred Dervin 2004 ©

* Deuxième remarque, la compétence interculturelle n’est jamais fixée, c’est un


apprentissage à vie. Par conséquent, les objectifs d’apprentissage qui sont fixés (ou
que l’on se fixe) consciemment ou inconsciemment sont révisés tout le temps, toute
notre vie. Il serait ridicule de penser ou d’affirmer, à un moment de sa vie, ça y est, je
suis compétent à 100 %.

* Cette compétence rappelle ce que Michel de Certeau qualifie d’ « apprentissages


buissonniers »8, parce qu’elle peut s’acquérir, de façon générale, en dehors de
l’institution.

* Finalement, si l’on parle de compétence interculturelle, il devrait y avoir une


incompétence interculturelle. Dire qu’une personne est « interculturellement
incompétente » n’est-il pas une sorte de paradoxe ? Qui peut se permettre un tel
jugement ? Comme beaucoup l’ont démontré, la communication intra- et
interculturelle sont des processus complexes, qui mettent en œuvre plusieurs
éléments ; d’où l’idée que nous sommes parfois de bons ou de mauvais
communicateurs.

3.3 Proposition de définition de la compétence interculturelle


A partir de ces éléments, nous pourrions proposer de délimiter quatre principes de la
compétence interculturelle comme :
1) Une ouverture à l’altérité (Porcher in Abdallah-Pretceille et Porcher 1999 :
226) et le développement de capitaux interculturels ;
2) Une connaissance de soi: “L’interrogation identitaire de soi par rapport à
autrui fait partie intégrante de la démarche interculturelle” (Abdallah-
Pretceille 2003: 10) ;
3) Une négociation des rapports entre ses propres croyances, attitudes et
significations et celles de l’Autre (Byram 1997: 12), i.e. mettre fin à
l’ethnocentrisme ;
4) Une compétence d’interaction et d’analyse. Autrement dit, il s’agirait plus de
« compréhension » que de « connaissances » sur l’Autre.

Nous partons du principe que tout individu est interculturel, qu’il a la capacité de
respecter nos quatre principes de base et qu’il/elle a donc un certain degré de
compétence qu’il peut parfaire ou non.

Très peu de chercheurs se sont penchés sur une définition complète d’une compétence
interculturelle en mobilité (Cf. Papatsiba 2003). Le modèle de Byram (1997), malgré
sa complexité, est un bon départ. Il met au point un système de savoirs, savoir-être,
savoir-faire et savoir-apprendre qui définissent des objectifs d’apprentissage de la
compétence interculturelle. L’apprentissage interculturel et l’acquisition de la
compétence est avant tout un auto-apprentissage (Barbot 2000 : Chap. 1). D’où le
postulat que l’autonomie fait partie intégrante de la compétence interculturelle.
L’étudiant se retrouve « seul » face à l’autre et il doit trouver, développer et évaluer
des stratégies pour faire face à ses besoins communicationnels (cognitifs mais aussi
affectifs). Ces processus s’opèrent dans la plupart des cas inconsciemment. Des
recherches sur l’autonomisation de l’apprenant, retenons qu’il serait nécessaire de
« déconditionner » et d’amener les étudiants mobiles à se fixer des objectifs

8
De Certeau, M. (1990), L’invention du quotidien. 1. Arts de faire, Gallimard.

5
Fred Dervin 2004 ©

d’apprentissage interculturel, à s’auto-évaluer et à trouver et reconnaître des stratégies


de re-médiation en cas de problèmes, techniques d’auto-évaluation, « apprendre à
apprendre »9, définition d’objectifs à partir de besoins, diversification des stratégies,
choix des ressources, etc.) : « L’autonomie dans l’apprentissage constitue à la fois un
moyen et une fin. L’apprenant, en prenant en charge ses responsabilités dans son
propre apprentissage, apprend à apprendre ouvertement, cognitivement et
explicitement » (Barbot , Ibid. : 21).

4.0 Evaluation de la compétence : ouvertures


Les recherches sur l’évaluation de la compétence interculturelle en mobilité
universitaire est limitée. En Europe, on retrouve quatre chercheurs dans les années 80
& 90 (Campos, Meyer, Zarate et Byram) et un aux Etats-Unis (Singerman, Cf. Dervin
2003). On peut comprendre que, puisque l’interculturel n’est pas « mesurable » et que
l’on présente souvent l’évaluation comme une science exacte (Gipps 1994), peu ait eu
envie de s’y frotter.

a) L’apprentissage interculturel pose le problème de l’évaluation d’un « acte », d’une


« performance ». Les différents savoirs de la compétence qui sont proposés par Byram
(Cf. supra) ne sont pas véritablement observables dans les comportements ou mieux
dans des modifications de comportements des sujets. En d’autres termes, l’acquisition
de certains critères n’est pas quantifiable.

b) La compétence interculturelle est un apprentissage largement implicite et comme le


rappelle Gipps (id.), elle ne peut donc pas être évaluée par des tests de connaissance.
L’évaluation formative semble donc plus adaptée que l’évaluation sommative car
cette dernière ne peut donner une image authentique de la compétence acquise. Faire
avancer les apprenants dans leur maturation interculturelle semble être l’élément
majeur de l’évaluation.

c) Enfin, et en liaison avec cela, il faut rappeler ici que les rencontres interculturelles
sont liées à des phénomènes cognitifs mais aussi affectifs : un jour je peux être
« compétent interculturel », un autre non, car je suis fatigué ou malade.

En tout, on pourrait souligner que la problématique de l’évaluation en rapport avec la


mobilité étudiante touche aux questionnements de base suivants :
1) A quel type d’évaluation pourrions-nous avoir recours? Comment définir des
critères d’évaluation à partir d’objectifs fixés et négociés ?
2) Où et quand évaluer ?
3) Qui pourrait évaluer ? Profs de langue ? Spécialistes en interculturel ?
Responsable des échanges au sein d’une institution ?

9
Seelye décline comme objectif culturel: “the student should show that s/he has developed the skills needed to locate and
organize information about the target culture from the library, the mass media, people, and personal observation” (1988: 56).

6
Fred Dervin 2004 ©

4) Faudrait-il mettre une note pour faire plaisir à l’institution et aux besoins de la
société10? Que faire si l’on met une mauvaise note ? Est-ce que l’étudiant
pourrait l’interpréter comme un échec (et se dire qu’il n’est pas fait pour
l’autre) ?
5) Finalement, y aurait-il intérêt à mettre au point une grille de niveaux pour
évaluer cet apprentissage après l’acte de mobilité11?

Nous n’allons pas essayer de répondre à toutes ces questions ici. Toutefois, la
réflexion est lancée, simplement.

5.0 Conclusions
Il y a clairement trois étapes dans les recherches sur la compétence interculturelle et
son évaluation en contexte de mobilité:
1) Il faudrait d’abord une définition des objectifs d’apprentissage concrets par
l’institution qui envoie et reçoit des étudiants étrangers ;
2) En outre, tout le personnel (mais surtout les étudiants mobiles) devraient se
pencher sur l’élaboration d’un système transparent d’évaluation formative de
la compétence à être utilisé avant, pendant et après le séjour ;
3) Pour finir, les universités doivent reconnaître officiellement les capitaux
interculturels acquis durant le séjour dans une université étrangère et offrir un
certain nombre de crédits aux étudiants mobiles pour ceux-là.

Insistons ici sur le fait que les problèmes liés à l’évaluation d’une compétence
interculturelle en mobilité sont éthiques, pratiques, scientifiques et institutionnels. A
notre avis, Il faut considérer l’évaluation de la compétence interculturelle comme
personnelle avant tout. C’est bien évidemment à l’étudiant de travailler et de se
rendre compte que c’est un apprentissage pour lequel la motivation et la persévérance
sont nécessaires. Il doit également savoir s’il le veut vraiment. Le rôle de l’enseignant
ou du responsable des échanges est bouleversé : il devient de préférence un guide, et
non pas un dirigeant.

Pour conclure, nous sommes convaincu qu’une préparation interculturelle (ce que
nous appelons le « déconditionnement », Cf. Dervin, 2002) dès l’entrée à l’université
est indispensable. De façon générale, la formation à l’interculturel reste marginale et
elle se limite à quelques UV souvent optionnelles. Nous voyons cette formation basée
sur des principes de diversité et de variation plutôt que sur ceux des différences.
Ajoutons finalement que les objectifs de ces formations devraient être intégrés /
intégrables dans le processus d’évaluation – plus autonome à notre avis. Les exemples
d’initiatives sont nombreuses12:
- Formation par l’expérience et l’implication & simulations globales ;
- Formation par l’analyse critique (Etudes de cas, méthode des incidents
critiques) ;
- Apprentissage de la distanciation et de la décentration (travail sur les
représentations : photo-langage, approche sémiologique) (Abdallah-
Pretceille 2003: Chap. IV) .

10
Et aux étudiants qui les réclament, Cf. l’ouvrage de Le Goff, 1999, dans lequel il remet en cause les logiques de nos systèmes
éducatifs trop inspirés du monde de l’économie
11
Nous renvoyons le lecteur aux cahiers du CIEP: La reconnaissance des competences interculturelles: de la grille à la carte
(coordonnés par G. Zarate et A. Gohard-Radenkovic) à paraître chez Didier.
12
Voir également Dervin (id).

7
Fred Dervin 2004 ©

C’est dorénavant à nous de voir si nous avons le désir de travailler là dessus, de les
intégrer dans nos cursus et de redonner à la mobilité universitaire les valeurs
humanistes qu’elle revêtait à la Renaissance.

Bibliographie
Abdallah-Pretceille, M. & Porcher, L. (1999), Diagonales de la communication
interculturelle, Anthropos, Paris.
Abdallah-Pretceille, M. (1999), L'Education Interculturelle, PUF: Que sais-je?, Paris.
Abdallah-Pretceille, M. (2003), Former et éduquer en contexte hétérogène,
Anthropos, Paris.
Barbot, M.-J. (2000), Les Auto-apprentissages, Clé-International, Paris.
Byram, M. (1997), Teaching and Assessing Intercultural Communicative
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Dervin, F. (2003), Rencontres interculturelles en mobilité universitaire : propositions
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Maffessoli, M. (2002), “Perspectives tribales ou le changement de paradigme social”,
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Seelye, H.N. (1988), Teaching Culture, National Textbook Company, Lincolnwood.
Zarate, G. & Byram, M. (1997), Sociocultural Competence in Language Learning and
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