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TAXER LES RICHES POUR SOULAGER LA DETTE ?

LES TENTATIVES DE
RÉFORME DU MINISTÈRE SILHOUETTE (1759)

Arnaud Orain

Altern. économiques | « L'Économie politique »

2014/1 n° 61 | pages 21 à 37
ISSN 1293-6146
ISBN 9782352400936
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L’Economie politique

Maîtriser la dette publique :


Trimestriel - janvier 2014

les leçons de l’histoire


p. 21

Taxer les riches


pour soulager la dette ?
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Les tentatives
de réforme du ministère
Silhouette (1759)
Arnaud Orain, chercheur au Laboratoire d’économie dionysien,
université Paris 8 Saint-Denis.

A
U COURS DE LA « SECONDE GUERRE DE CENT ANS » (1689-
1815) opposant la France et l’Angleterre, et en parti-
culier de la guerre de Sept Ans (1756-1763), l’année
1759 fait figure de véritable annus horribilis pour
le royaume de Louis XV. Qu’on en juge : alors que les escadres
françaises de Toulon et de Brest sont battues respectivement à
Lagos (19 août) et Quiberon (20 novembre), Québec a capitulé
le 18 septembre (Montréal suivra moins d’un an plus tard). Aux
Antilles, c’est la Guadeloupe qui s’est rendue en mai 1759. Si la
situation est un peu meilleure sur le théâtre européen, la France
subit également plusieurs revers en 1759 et 1760, et le relatif enli-
sement des Prussiens se fait au prix fort, celui de l’entretien d’une
armée de plusieurs dizaines de milliers d’hommes dans l’Est. Ce
coût se double d’une construction navale dynamique lors des
premières années du conflit, à laquelle il faut ajouter en 1759 la
fabrication de barges de débarquement qui doivent servir à une
opération d’attaque terrestre de l’Angleterre. Autant d’éléments ›››

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p. 22 qui ne permettront pas à la France de défendre ses possessions


américaines (au sens large) et son commerce atlantique [Dull,
2009]. Or, cette série de défaites va encore entamer le crédit de
la monarchie française, ce dont elle n’avait vraiment pas besoin.

La bataille des chiffres fait rage, mais on peut estimer qu’en


1759, le roi pouvait compter sur environ 300 millions de livres
de recettes fiscales effectives, pour sans doute un peu moins
de 400 millions de dépenses (et peut-être 3 000 millions de
produit national). Sur la totalité du conflit, il a fallu emprun-

Le système fiscal de l’Ancien Régime

La taille est le principal impôt direct sées (aides), l’entrée aux frontières
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de l’Ancien Régime, elle n’est pas puis la circulation des marchandises
payée par les aristocrates. Deux dans le royaume (traites). Ces impôts
autres impôts directs, en théorie uni- sont prélevés par une compagnie
versels, ont également été créés au privée qui opère pour le compte
tournant des XVIIe et XVIIIe siècles : la de l’Etat, la fameuse Ferme géné-
capitation et le dixième, qui devien- rale, à laquelle sont délégués des
dra le vingtième en 1749. Ce dernier pouvoirs régaliens. Au roi, la Ferme
est assis sur une déclaration de verse un montant négocié à chaque
revenus vérifiable a posteriori, les bail (tous les six ans) et empoche
contribuables nobles comme rotu- la différence (importante) d’avec
riers devant acquitter une taxe de les sommes collectées. Les proprié-
5 % applicable sur leur estimation taires de la compagnie, les fermiers
totale. La capitation touche peu les généraux, sont les plus importants
privilégiés, mais le vingtième frappe financiers du royaume et, pour
nombre de propriétaires nobles et caricaturer, on pourrait dire qu’ils
d’officiers de justice dans des pro- prêtent à la monarchie à des taux
portions non négligeables. Toutefois, élevés les recettes fiscales qu’ils se
ces taxes alourdissent la fiscalité des sont partiellement appropriées au
roturiers, ne touchent pas le clergé et préalable. Hautement décriée (plu-
beaucoup de « revenus » resteront sieurs fermiers seront guillotinés
sous-évalués voire ignorés (reve- sous la Révolution) pour la violence
nus industriels, revenus issus de la de ses commis et l’opulence de ses
finance, etc.). dirigeants, la Ferme générale collecte
C’est cependant surtout la fiscalité des impôts assez régressifs (tout
indirecte qui s’accroît dans la France le monde a besoin de sel et beau-
du XVIIIe siècle, dans des proportions coup de privilégiés ont des domaines
toutefois moindres qu’en Angleterre. viticoles et ne paient pas les aides)
Les principales taxes concernent le et très différenciés en fonction des
sel (gabelles), les boissons alcooli- provinces du royaume.

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ter entre 600 et 850 millions de livres, et ainsi faire passer la p. 23
dette publique d’un peu plus de 30 % de la richesse nationale
en 1755 à plus de 55 % en 1764. Finalement, on estime que le
financement de la guerre de Sept Ans a reposé à plus de 70 %
sur l’emprunt [Mathias et O’Brien,
1976 ; Riley, 1986 ; Félix, 1999]. La La fiscalité n’a d’abord pas suivi
fiscalité n’a d’abord pas suivi la la hausse faramineuse des dépenses
hausse faramineuse des dépenses et la couronne a dû recourir très vite
et la couronne a dû recourir très à des emprunts importants à des taux
vite à des emprunts importants d’intérêt élevés.
à des taux d’intérêt élevés, qui,
malgré tout, auront bien du mal à séduire les prêteurs fin 1758-
début 1759, période qui voit plusieurs d’entre eux ne pas être
souscrits. Alors que les dépenses de guerre sont toujours plus
urgentes, il faut trouver de nouvelles recettes dans le cadre
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d’une fiscalité d’Ancien Régime assez régressive (voir encadré).

Silhouette et Forbonnais
Ces éléments sont parfaitement connus à l’époque et les inéga-
lités du système ont été pesées par un groupe de réformateurs
réunis dans les années 1750 autour d’un haut personnage du
Contrôle général des finances, lui-même ancien négociant,
Jacques Vincent, marquis de Gournay (1712-1759) [Charles,
Lefebvre, Théré, 2011]. Avant les physiocrates et Adam Smith,
le « cercle de Gournay » soutient l’idée selon laquelle la
recherche de l’intérêt individuel conduit à un optimum social,
il convient par conséquent pour eux de favoriser les mesures
qui encouragent l’enrichissement des particuliers et de la
nation. Ainsi vont-ils défendre la libéralisation du commerce
des grains (alors soumis à des contrôles étatiques très stricts),
l’abolition des corporations de métiers, la diminution du taux
d’intérêt et un certain nombre de réformes fiscales qui nous
intéressent au premier chef. Au sein de ce cercle en effet, deux
personnages se sont particulièrement intéressés à ce dernier
point : Etienne de Silhouette (1709-1767) et François Véron de
Forbonnais (1722-1800).

Né à Limoges en 1709 dans une famille de receveur des


tailles, Silhouette a fait des études de droit et devient maître des
requêtes en 1745. C’est autour de la fin des années 1740 qu’il
commence à fréquenter Versailles et plusieurs hauts person-
nages parmi lesquels Gournay. C’est aussi un grand voyageur et
un homme de goût, qui a travaillé dans la banque à Londres et ›››

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p. 24 qui a effectué plusieurs missions diplomatiques outre-Manche.


Il est encore le traducteur de plusieurs ouvrages anglais et a tiré
de cette vaste expérience de la nation à la fois ennemie et modèle
des Observations sur les finances, le commerce et la navigation
d’Angleterre qui vont circuler à la fin des années 1740 sous forme
de mémoire manuscrit.

Forbonnais est né dans le milieu des négociants du Mans.


Après avoir interrompu ses études de droit, il embrasse la car-
rière de sa famille, puis l’abandonne à la fin des années 1740. Il
s’installe à Paris, rencontre Gournay et se met à écrire plusieurs
ouvrages fondateurs en matière de finance et de fiscalité : ses
Considérations sur les finances d’Espagne (1753), Eléments
du commerce (1754) et Recherches et considérations sur les
finances de France (1758). A la fin des années 1750, alors que
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François Quesnay est encore connu uniquement pour ses tra-
vaux de chirurgie et de médecine, ce sont Gournay et Forbonnais
qui passent pour les plus savants personnages dans ce qui ne
s’appelle pas « l’économie politique », mais qu’ils ont nommé la
« science du commerce ».

Dans les premiers mois de 1759, la France est dans une


situation financière hautement critique, le roi décide alors de
remplacer le contrôleur général en titre, Jean de Boullongne.
Un homme accepte la place et, le jour de son intronisation, le
président de la Chambre des
Lorsque des classes oisives s’enrichissent comptes explique le choix du
par un transfert de ressources issues monarque  : c’est parce qu’il
de la rente foncière (grands propriétaires) connaît parfaitement l’Angle-
et surtout de l’impôt et du crédit terre –  son économie et sa
(fermiers généraux), Silhouette puissance  – qu’Etienne de
et Forbonnais y voient un principe Silhouette devient le nouveau
destructeur des sociétés. contrôleur général. Voulant
s’adjoindre Gournay comme
principal conseiller, mais celui-ci étant trop sérieusement
malade (il va mourir peu après), le ministre fait appel à For-
bonnais. Le duo est en place et va tenter en moins de dix mois
(2 mars-21 novembre 1759) de mettre en œuvre une politique
ambitieuse : profiter d’un moment de grande détresse pour
tenter de réformer la fiscalité tout en soutenant les opérations
militaires. Leur échec, comme on va le voir, est le résultat d’une
conjonction d’oppositions dans lesquelles, bien entendu, les
privilégiés du royaume vont jouer le premier rôle.

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Le cercle de Gournay et la question fiscale p. 25
Dans leurs travaux théoriques des années 1740-1750, Silhouette
et Forbonnais défendent avec ardeur l’émergence de ce qu’on
a appelé depuis la « révolution des consommateurs », autre-
ment dit l’accroissement important, en Angleterre et en France
en particulier, de la production et des échanges de produits
manufacturés et exotiques. Peu enclins à adopter une position
de moralistes, tous deux s’inquiètent cependant de l’augmen-
tation des inégalités que ce phénomène semble entraîner.
Ce n’est pas l’enrichissement – bon en lui-même – qu’ils
dénoncent, mais le mode d’acquisition des richesses. Si ces
dernières sont le fruit d’une activité « utile » – fermier, manu-
facturier, négociant –, ils n’ont aucune objection. En revanche,
lorsque des classes oisives s’enrichissent par un transfert
ascendant de ressources issues de la rente foncière (grands
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propriétaires) et surtout de l’impôt et du crédit (fermiers géné-
raux) et que de plus ces fortunes sont dépensées dans les
grandes villes presque exclusivement en luxe, alors Silhouette
et Forbonnais y voient un principe destructeur des sociétés.
Pour eux, en effet, la consommation de ces classes très aisées
entraîne une allocation de la main-d’œuvre et du capital vers
les arts de luxe au détriment de l’agriculture et des manufac-
tures plus communes, souvent rurales. Ce manque d’investis-
sements dans ces deux secteurs y diminue les embauches,
élève les prix des biens de consommation courante, dépeuple
les campagnes dont les bras viennent grossir le bataillon des
mendiants urbains qui ne trouvent pas à s’embaucher dans les
rares secteurs du luxe tenus par les corporations de métiers.

Or, les deux hommes lient intimement ces problèmes à la


fiscalité. Ainsi Forbonnais écrit-il en 1754 que « [l]e législateur
est toujours en état de réprimer cet excès en corrigeant son prin-
cipe ; il saura toujours maintenir l’équilibre entre les diverses
occupations de son peuple, soulager par des franchises et par des
privilèges la partie qui souffre, et rejeter les impôts sur la consom-
mation intérieure des denrées de luxe » [Forbonnais, 1754, vol. I,
pp. 59-60]. Le terme de « denrée » doit être pris ici au sens large
de marchandise, mais ce qui compte dans cette citation, c’est
que Forbonnais a posé les principes qui vont en partie – mais
en partie seulement – guider le ministère : tenter de soulager
la fiscalité des plus pauvres en alourdissant celle, en particulier
indirecte, des plus riches. Silhouette et Forbonnais ont en effet
compris que ce n’est pas tant le niveau de la taxation que sa ›››

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p. 26 répartition qui pose problème au peuple français. Les historiens


contemporains s’entendent d’ailleurs pour conclure que la pres-
sion fiscale était très certainement supérieure en Angleterre à ce
qu’elle était en France au milieu du XVIIIe siècle. Mais la première
était probablement beaucoup plus indolore car plus indirecte, à
défaut d’être plus juste, que la seconde.

Nos deux hommes sont opposés aux taxes « personnelles »,


c’est-à-dire à la fiscalité directe sur le revenu. Deux raisons à
cela. La première, encore avancée de nos jours, tient à ce qu’un
certain nombre de revenus échappent à l’impôt car on ne sait
pas comment les fiscaliser. La seconde, que l’on retrouve aussi
bien lors des débats relatifs à la création de l’impôt sur le revenu
au début du XXe siècle qu’aujourd’hui chez des ultralibéraux,
renvoie à l’idée selon laquelle ce type de taxe détruit l’émula-
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tion et la volonté de s’enrichir, surtout lorsqu’il est progressif.
Conscients cependant qu’une imposition directe est nécessaire,
Silhouette et Forbonnais se prononcent en faveur de taxes
« réelles », autrement dit des droits forfaitaires calculés sur les
surfaces ou la possession de certains biens. Dans le premier cas,
il s’agit surtout d’aménager la taille, et en particulier d’élargir son
assiette en n’épargnant plus les privilégiés. Dans le second cas,
de frapper certains signes de distinction sociale.

Toutefois, c’est, comme en Angleterre, sur la taxation indi-


recte que les deux hommes veulent faire porter la majeure partie
du fardeau fiscal. Là encore, ils mettent en avant deux éléments.
Le premier, c’est une volonté de préférer les droits d’accise,
c’est-à-dire des taxes forfaitaires sur le poids des marchandises
(aujourd’hui sur le tabac ou le pétrole) plutôt que des taxes ad
valorem (telles que la TVA), à l’image des excise duties anglaises.
Le second élément – le plus important – est relatif à la construc-
tion même de la taxation indirecte. En un mot, elle doit principa-
lement porter sur les objets de luxe, consommés par les privilé-
giés. En utilisant d’une manière tout à fait moderne la notion de
progression géométrique, Forbonnais explique ainsi comment
distribuer toutes les marchandises en différentes catégories, des
« nécessités » aux « superfluités », pour ensuite leur appliquer un
droit forfaitaire progressif à mesure que l’on tend vers le luxe. Et
pour des biens similaires, il souhaite encore taxer plus les villes
que les campagnes. L’objectif est double. Il s’agit, premièrement,
de faire porter au maximum la nouvelle fiscalité sur les privilégiés
et, deuxièmement, de limiter la consommation de luxe et par

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conséquent le déplacement des facteurs de production vers des p. 27
secteurs « peu utiles » à la société.

Voilà, en gros, ce que Silhouette et Forbonnais ont dans leurs


cartons lorsqu’ils arrivent à Versailles en ce début de mars 1759.
Ils vont tenter en deux temps de mettre en œuvre plusieurs de
ces idées, mais en devant faire face à la fois aux urgences de
la guerre et aux frondes légères d’abord, violentes ensuite, que
leurs projets vont susciter.

Un ministère qui débute dans l’enthousiasme


Qu’il s’agisse du pouvoir monarchique ou de ses opposants
(en particulier parlementaires), on publie et on fait publier, sur
différents registres pour différents auditoires, la publicité que
l’on souhaite donner aux réformes fiscales. Ainsi Forbonnais
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fait-il paraître de manière anonyme une Lettre d’un banquier à
son correspondant de province en avril 1759. Son but est simple :
promouvoir les réformes du ministère.

Les deux premières mesures concernent la vérification


des pensions royales supérieures à 600 livres annuelles et la
suspension des exemptions de taille d’un grand nombre de
privilégiés. La quasi-totalité du royaume ne peut qu’applau-
dir à ce qui semble être une remise en cause du système des
pensions indues, la Lettre de Forbonnais insistant sur le fait
qu’elles ne sauraient être accor-
dées qu’en échange d’un service Silhouette et Forbonnais se prononcent
« utile » à l’Etat. Quant à la taille, en faveur de taxes « réelles ». Il s’agit
elle est un impôt de répartition et surtout d’aménager la taille,
non de quotité, fixé par paroisse : et en particulier d’élargir son assiette
son montant est forfaitaire, réparti en n’épargnant plus les privilégiés,
plus ou moins selon les revenus de et de frapper certains signes
chacun, mais ces revenus ne déter- de distinction sociale.
minent pas son montant global,
fixé préalablement. Dès lors, les exemptions sont un fardeau
pour les moins aisés : dès qu’un fermier enrichi parvient à
acheter un office, autrement dit une charge (de service public
ou fictive) que l’on ne peut exercer qu’en ayant payé un droit
élevé au roi, il devient souvent exempté de taille. Le même mon-
tant d’impôt que l’année précédente doit alors être réparti sur
un plus petit nombre de taillables, eux-mêmes souvent moins
riches. La suspension des exemptions des officiers doit faire
cesser cette « niche fiscale » délétère en augmentant l’assiette ›››

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p. 28 de la taxe. Si elle est naturellement populaire, cette mesure


va cependant apporter au ministère Silhouette ses premiers
opposants. Or, il faut s’en méfier, car ce sont des hommes qui
comptent dans le royaume, et surtout des particuliers qui sont
normalement les soutiens naturels de la monarchie. En érodant
leurs privilèges, on sape leur fidélité, et ce point est loin d’être
négligeable, hier comme aujourd’hui [Kwass, 1998].

La troisième mesure du printemps 1759, la plus importante,


est une opération d’une nature particulière. Il s’agit de l’émis-
sion de 72 000 actions de 1 000 livres de la Ferme générale, soit
72 millions, qui doivent être perçus par la monarchie elle-même.
Ces actions sont ce que nous appelons des obligations (le pre-
mier terme recoupe à l’époque les deux sens) : elles portent un
intérêt fixe de 5 % plus une somme forfaitaire sur les profits de
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la Compagnie, le tout défiscalisé et remboursable à échéance.
L’opération, qui va être un succès sans précédent, porte en elle
plusieurs innovations importantes. On relèvera d’abord l’étran-
geté, même pour l’époque, du procédé. En gros, c’est comme si
une entreprise privée qui assure une délégation de service public
pratiquait une émission obligataire pour le compte de l’Etat. L’en-
treprise en question étant chargée
En augmentant l’assiette de la taxe, de payer les intérêts et de rembour-
Silhouette connaît ses premiers ser les titres à échéance…
opposants. Or, il faut s’en méfier,
car ce sont des hommes qui comptent On aurait tort cependant de voir
dans le royaume, et surtout dans cette histoire un des abus de
des particuliers qui sont normalement l’Ancien Régime. La « soulte » sur
les soutiens naturels de la monarchie. EDF en 2005 – entreprise qui lance
régulièrement des emprunts obliga-
taires – n’a pas servi uniquement à provisionner de l’argent pour
les futurs retraités de ce qui allait devenir une société anonyme,
elle a aussi (et peut-être surtout) permis une baisse du déficit
public cette année-là. Par ailleurs, l’émission sur la Ferme peut
s’entendre comme une forme d’avance de trésorerie : puisque
les actions devront être remboursées à la fin de la guerre par
la compagnie, cette dernière pourra, lors de l’adjudication
du nouveau bail entre elle et le roi, verser moins à ce dernier,
en déduisant cette avance de 72 millions. Reste les intérêts à
payer aux souscripteurs. De ce point de vue, il y a bien eu une
« nationalisation » partielle des profits de la Ferme générale,
que Silhouette et Forbonnais assignent d’autorité au paiement
des intérêts des actions en question. Enfin, les deux hommes

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décident de diminuer certaines rémunérations des fonds avancés p. 29
par les fermiers généraux et de supprimer certaines pensions
que ces mêmes fermiers doivent à de grands personnages de
la cour qui ont facilité l’obtention de leurs places. Toutefois,
en même temps, le ministre fait augmenter les rémunérations
fixes des fermiers, pour tenter de les amadouer. D’ailleurs, tant
économiquement que politiquement, l’opération est excellente
pour le gouvernement.

Sans compter les millions de livres qui entrent en un clin


d’œil dans le budget de l’Etat, l’opération a été bien accueillie
par le public. Car si la Ferme est mal vue, on reconnaît son effi-
cacité et on ne doute pas de sa rentabilité. Le taux d’intérêt de
l’opération est élevé, mais plutôt moins que celui des emprunts
proposés avant, puis après (souvent à plus de 9 %) le ministère
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Silhouette. Mais la confiance est là : ce n’est pas le budget de
l’Etat qui assurera le paiement des intérêts, mais la Ferme géné-
rale via ses bénéfices. On craindra moins de les voir réduits par
une banqueroute partielle. De ce point de vue, Silhouette et For-
bonnais mènent une opération « à l’anglaise » avec des recettes
directement dédiées au paiement de la dette. Le gouvernement
peut donc proposer des taux moins coûteux pour lui, n’a plus à
dépendre d’une poignée de financiers et montre à l’ennemi que
l’épargne nationale peut être mobilisée et que, par conséquent,
la nation n’est pas à terre. Voltaire ne s’y trompe pas : « On se
plaignait autrefois qu’il y eût quarante de ces messieurs [les
fermiers généraux], et aujourd’hui tout le monde l’est. C’est le
royaume qui est fermier général du royaume » [Voltaire, 1980-
1993, vol. V, p. 474]. La crise des dettes souveraines en Europe a
conduit certains gouvernements à pratiquer la même politique,
pour des raisons assez similaires. Par exemple, au plus fort de
la crise, plutôt que de s’adresser aux « marchés », c’est-à-dire
à quelques grandes banques, fonds de pension ou fonds sou-
verains, l’Italie a émis plusieurs fois des titres de dettes auprès
des particuliers, toujours avec succès. Il s’agissait à la fois
d’emprunter facilement sans voir les taux s’envoler et de montrer
à ces mêmes « marchés » la capacité de rebond de la péninsule.
Peut-être qu’en 1759, une émission de dette perpétuelle aurait,
in fine, coûté moins cher à la monarchie, comme le soulignent
certains historiens [Riley, 1976], mais Silhouette et Forbonnais
n’avaient pas d’autres buts que de remplir très rapidement les
caisses en restaurant (un peu) la confiance des prêteurs et en
diversifiant leurs interlocuteurs. ›››

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p. 30 Plus généralement, le ministère semble nettoyer les écuries


d’Augias en supprimant certaines pensions et en faisant croire
qu’il met la Ferme et les fermiers au pas. Les louanges pleuvent
dans les pamphlets et chansons anonymes du printemps et du
début de l’été 1759. On imagine l’inquiétude qui règne en Angle-
terre depuis l’élévation de M. de Silhouette au Contrôle général,
car les succès militaires suivent toujours les succès financiers.
Dans le style du républicanisme classique, les réformes du
printemps sont présentées comme ayant porté un coup mortel
au luxe financier et Silhouette y reçoit les éloges afférents : il
est le nouveau Solon, un Lycurgue, un Numa Pompilius et Paris
devient la Rome des temps héroïques de la République. La plus
intéressante de ces chansons est peut-être les Remontrances
adressées à Mgr de Silhouëtte Controlleur gnal des finances
[1] Bibliothèque nationale par les filles du monde, autrement courtisannes (sic)  [1]. Elle
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de France, Ms. Fr. 10479,
f°630-632. est pleine d’une ironie mordante, en voici un extrait : « Déjà
plus d’une de leurs sœurs / A mis un frein à sa dépense. / Faut
[2] C’est-à-dire
les prostituées (de luxe) il, helas quel crève cœur ! / Pour un corps aussi respectable /
dans des institutions
de charité.
Et dans qui tout est adorable ! / Faut il lui ravir la douceur / De
depenser en bagatelles / Comme au tems de ces jours heureux,
[3] Aujourd’hui
« haridelle ». Jeu de mots, / Soit en bijoux, soit en dentelles, / Le fruit des pleurs des mal-
le vocable désignant heureux ? / Car enfin il faut vous le dire, / Dans ces moments
à la fois une femme laide
et un mauvais cheval. calamiteux, / Si les Traitants voloient l’Empire / C’étoit plus pour
[4] Seconde requeste,
nous que pour eux. »
Bibliothèque nationale
de France, f°633 verso
et 634 recto. Dans ces quelques vers, les coupables sont nommément
cités : le luxe exécré des financiers (les « traitants ») qui vivent
à la fois dans le luxe futile (les « bagatelles ») et la luxure
(voir le « corps » en question). La chanson pointe la dureté de
l’imposition indirecte et son caractère régressif (« les pleurs des
malheureux »), qui enrichit non pas les ordres privilégiés d’une
hiérarchie acceptée, mais des sangsues qui « volent l’empire »
pour leur seul intérêt. Mieux, dans la Seconde requeste des filles
du monde, l’analyse « économique » de Forbonnais est reprise
en tous points. Si seulement le nouveau ministre se contentait de
mettre « les filles à l’hospital » [2], non, la chanson fait semblant
de plaindre « tailleurs ou marchandes de mode ; vernisseurs,
peintres et selliers », « qui partageoient un gain commode » et
qui vont devoir « renoncer à leurs métiers ». Que vont-ils devenir ?
C’est à un exode urbain que l’on assistera : tous ces ouvriers de
luxe revenant « plaire aux Iris de leurs villages », qui « n’auront
plus que des aridelles  [3] à mener tristement aux champs »  [4]. Le
ton ironique marque bien l’idéal d’une campagne qui retrouverait

L’Economie politique n° 61
L’Economie politique

Maîtriser la dette publique :


les leçons de l’histoire
Arnaud Orain
les bras que des arts « frivoles » et « inutiles » lui ont malheureu- p. 31
sement enlevés.

En résumé, cette première action concertée du printemps 1759


incarne l’esprit du ministère Silhouette. Bien sûr, il s’agit d’abord
et avant tout de trouver de l’argent rapidement pour soutenir la
guerre, mais toujours en donnant aux mesures prises une tour-
nure particulière, celle de la justice fiscale que nos deux hommes
et avec eux le cercle de Gournay appelaient de leurs vœux dans
leurs travaux théoriques. Mais rien n’y suffit. Au cœur de l’été, les
caisses sont vides et il faut recourir à un nouveau plan.

La « subvention générale » et la chute du ministère


Silhouette
A la fin du mois d’août 1759, la situation semble désespérée.
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Dans un Mémoire sur la situation des finances, Silhouette fait
part au souverain de son désarroi. Un emprunt au nom de l’Etat
serait sûrement mal souscrit, les opérations non convention-
nelles comme celle sur la Ferme générale ne peuvent être mul-
tipliées, les augmentations de masse monétaire ne conduisent
qu’à des catastrophes (l’expérience de Law est dans tous les
esprits). Aussi, pour rétablir le crédit de la monarchie, n’existe-
t-il plus qu’un moyen : augmenter la pression fiscale. L’urgence
dicte la conduite du ministre, mais comme au printemps, il veut
donner aux nouvelles mesures un caractère réformateur : « Dans
la dure nécessité où l’on est d’aug-
menter l’imposition, on a préféré Bien sûr, il s’agit d’abord et avant tout
des voies de perception désirées de trouver de l’argent rapidement
depuis longtemps par les peuples, pour soutenir la guerre, mais toujours
et dont l’essai, s’il réussit, conduira en donnant aux mesures prises
réellement à la réforme d’abus qui une tournure particulière, celle
contribuent à la surcharge autant et de la justice fiscale.
peut-être plus que le fonds même
de l’imposition » [Silhouette, 1788, p. 39]. Les mesures préco-
nisées dans le Mémoire vont être mises en forme et amendées
par le Parlement de Paris au cours du mois de septembre, avec
de multiples allers et retours qui verront le ministère céder
sur certains points, tout en tenant ferme sur d’autres. Aucun
compromis ne se dégagera cependant, le Parlement s’étouffant
d’une « interversion générale » de l’économie et de la société
provoquée par les nouveaux édits. Ils seront par conséquent
enregistrés de force sous le nom de « subvention générale », en
lit de justice, le 20 septembre 1759. ›››

Janvier-février-mars 2014
L’Economie politique

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les leçons de l’histoire
Arnaud Orain

p. 32 Commençons par la fiscalité directe. Alors que le vingtième


a déjà été doublé en 1756, Silhouette et Forbonnais proposent
de le tripler. Toutefois, nous avons vu qu’ils sont plutôt hostiles
à ce type de fiscalité « sur le revenu » et veulent par conséquent
en modifier à la fois la perception et l’assiette. D’une part, les
biens « réels », a priori surtout agricoles, devront être taxés à
hauteur de 5 % de plus, mais en nature et non plus en monnaie.
L’idée est sans doute, à l’image de la célèbre « dixme royale »
de Vauban, de tenter de soulager les cultivateurs moins aisés,
qui ont toujours du mal à obtenir des espèces. D’autre part,
ce ne sont plus les bénéfices d’un
Dans le but explicite de faire porter capital (terre, maison, manufac-
la charge sur les riches, on impose ture, etc.) qui devront être frappés,
d’autres impôts directs qui doivent mais la valeur du capital lui-même,
frapper les citoyens qui emploient à hauteur de 0,2 %. Ces innova-
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ou possèdent des maîtres d’hôtel, tions vont-elles dans le sens d’une
des valets de chambre, des domestiques plus grande justice fiscale ? Utili-
de cuisines, des chevaux de selle ser le vingtième, impôt censément
et de carrosse. universel, est un pas dans cette
direction, mais ce n’est pas suf-
fisant. Comme le souligne le Parlement de Paris (et d’autres
à sa suite), les rentes, la finance, et même le commerce et
l’industrie verront très certainement leurs fonds sous-évalués et
par conséquent leur impôt minoré. Il n’en va pas de même des
propriétaires de terres, qui vont se retrouver une nouvelle fois
largement mis à contribution. Comme le souligne Malesherbes,
premier président de la Cour des aides et pourtant proche du
cercle de Gournay, les laboureurs pauvres vont certainement
voir leur fardeau fiscal s’alourdir.

Toutefois, dans le but explicite de faire porter la charge sur


les riches (quel que soit leur statut), la « subvention générale »
impose d’autres impôts directs qui doivent frapper les citoyens
qui emploient ou possèdent dans les villes (les campagnes
ne sont pas concernées) : des maîtres d’hôtel, des valets de
chambre, des domestiques de cuisines, des portiers, porteurs
et autres cochers ainsi que des chevaux de selle et de carrosse.
La fiscalité indirecte nouvelle a été conçue dans le même esprit.
Des droits d’accise sont appliqués sur les textiles d’indiennes
peintes, désormais autorisées, sur le café (produit de luxe s’il en
est) et sur les pièces d’orfèvrerie. Tous sont progressifs : plus la
marchandise est rare et chère (en fonction de sa qualité), plus la
taxe est élevée. Au contraire, rien ne semble plus régressif que

L’Economie politique n° 61
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l’autre grande mesure indirecte : une augmentation de taxe de p. 33
4 sols par livre [5] d’un vaste spectre de biens de consommation.
Mais lors du lit de justice, Silhouette exempte de ce nouveau droit
[5] Une livre vaut 20 sols.
les marchandises les plus courantes comme le sel et le tabac et Une marchandise qui était
va plus loin : il supprime tous les impôts sur les céréales, les vendue 2 livres auparavant
coûtera désormais 2 livres
légumes, le poisson de mer, le beurre, les œufs et le fromage. et 8 sols.
Ces 4 sols, frappant les marchandises plus élaborées, et ces
[6] Extrait des registres
droits d’accise ou de fiscalité directe auraient dû finalement être du Parlement, du mercredi
28 novembre 1759
assez progressifs. Il faut utiliser le conditionnel, car la « subven- du matin.
tion générale » a soulevé une telle fronde qu’elle ne sera en fait
jamais mise en œuvre. Sur la base de quels arguments ?

S’ils ne remettent pas en cause les ravages du luxe, les


officiers des parlements se livrent d’abord à une analyse plus
politique qu’économique. Selon eux, la consommation d’objets
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de luxe est désastreuse car elle sape les bases de la hiérarchie
traditionnelle, dont ils se veulent les garants. Ce qu’ils critiquent,
c’est une ploutocratie de parvenus. C’est le luxe des autres, des
financiers, des roturiers, qu’il faut taxer. Si on frappe indistincte-
ment les possesseurs de domestiques, de chevaux, les acheteurs
de café de l’île Bourbon, comment dès lors marquer les rangs de
la taxonomie monarchique ? Comment mettre chacun à sa place
si les honorables riches – les officiers de toutes espèces – ne
peuvent se distinguer de la masse ? Plus généralement, c’est
à une rhétorique de tous les âges que les opposants vont avoir
recours contre Silhouette et Forbonnais : le fardeau fiscal devien-
drait insoutenable pour la nation. « [S]i d’un côté les revenus
réels des Particuliers diminuent par les impôts qu’il faut prélever
sur leurs patrimoines, et que de l’autre les nouveaux droits aug-
mentent nécessairement le prix des denrées, il est indispensable
que les consommateurs retranchent de leurs dépenses, et que,
par deux conséquences également nécessaires, la valeur des
biens-fonds diminue, parce que les denrées de consommation
ont moins de débit ; et que la consommation diminuant, les
droits d’entrées, un des plus clairs revenus dudit Seigneur Roi,
s’anéantissent. » [6] En clair, trop d’impôts auraient tué l’impôt. Il
faut substantiellement modérer ce jugement.

Par un édit de février 1760, en effet, le roi décide la sup-


pression de la subvention générale, mais remplace cette
dernière par un nouveau vingtième sous la forme des deux
précédents ainsi qu’une hausse de la capitation, le tout perçu
à compter du 1 er octobre 1759. Malgré une nouvelle guerre ›››

Janvier-février-mars 2014
L’Economie politique

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Arnaud Orain

p. 34 (plus courte) de procédure avec les cours supérieures, le


monarque et le nouveau contrôleur général Bertin parviendront
à l’imposer. De ce point de vue, le royaume a dû – et pu –
supporter l’alourdissement de la majeure partie de la fiscalité
directe que prévoyaient Silhouette et Forbonnais. Par ailleurs,
certaines accises prévues en 1759 vont être maintenues. Pis,
même les fameux 4 sols pour livre ne sont pas complètement
abandonnés. Par une déclaration du 3 février 1760, une taxe
de 1 sol pour livre est créée sur les gabelles, aides, traites,
sur les droits sur les villes, bourgs et villages ainsi que sur
un certain nombre d’actes judiciaires. Malgré l’opposition
parlementaire, cette taxe sera elle aussi finalement mise en
œuvre. Or, si le droit est diminué (on passe de 4 à 1), l’éventail
des biens taxés, au lieu d’être réduit, est au minimum main-
tenu. De plus, ce ne sont plus tout à fait les mêmes marchan-
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dises qui sont taxées, et c’est cela qui est très important : ce
sol par livre, plus indolore, est aussi plus régressif que les
4 sols qui ne touchaient pas le sel et le tabac, pas toutes les
boissons ni d’autres biens de première nécessité. Aussi la
question n’est-elle pas tant de savoir ce qui reste des édits
d’août-­septembre 1759, mais bien plutôt ce qui n’a pas été
maintenu ! Et la liste est maigre : les accises sur le café, l’or
et l’argent, ainsi que les taxes directes sur les domestiques et
les chevaux, soit les taxes qui frappaient les plus riches et les
consommations de luxe ; et c’est à peu près tout.

Epilogue
Par la publicité qu’ils ont donnée à leurs réformes, en par-
ticulier au printemps, Silhouette et Forbonnais ont tenté de
convaincre le public de leur bien-fondé, tout en cherchant
à restaurer la confiance des prêteurs. Si, dans un premier
temps, la chose va bien fonctionner, il n’en va pas de même
à la fin de l’été. Pourquoi en est-il ainsi ? Il semble que les
défaites militaires et l’ampleur des déficits aient joué leur
rôle, mais c’est surtout le retournement de l’opinion consécu-
tif à la « subvention générale » qu’il faut incriminer. Silhouette
et Forbonnais n’avaient plus le capital politique suffisant
pour tenir le cap des réformes face au torrent d’oppositions
qu’avaient soulevé leurs projets.

Les mesures décidées en mars-avril avaient fait des mécon-


tents, mais dans des proportions limitées. Surtout, aux offi-
ciers redevenus taillables, à quelques pensionnés et à des

L’Economie politique n° 61
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fermiers généraux finalement assez peu lésés, le gouverne- p. 35
ment pouvait opposer plusieurs milliers (dizaine de milliers ?)
d’investisseurs (bourgeois, petits et moyens officiers) qui
avaient eu l’opportunité de placer leur argent dans une opé-
ration lucrative et sûre. Il pouvait
encore compter sur les réforma- Silhouette et Forbonnais n’avaient
teurs de tous poils qui connais- plus le capital politique suffisant
saient les abus de l’ancienne pour tenir le cap des réformes face
monarchie (Mirabeau, le compa- au torrent d’oppositions qu’avaient
gnon de Quesnay, avait applaudi soulevé leurs projets.
aux mesures du printemps). Le
peuple lui-même n’avait pas à se plaindre du nouveau ministre
et de son principal conseiller. Tout au contraire, les deux
hommes semblaient le venger des vexations quotidiennes de
la Ferme générale et peut-être parviendraient-ils même à faire
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diminuer les tailles. Il n’en va pas de même avec la subvention
générale. Si beaucoup de mesures phare concernent les privi-
légiés, ce ne sont pas celles qui doivent rapporter le plus, loin
de là. Le nouveau vingtième frappera beaucoup de laboureurs
médiocres, et même pauvres. Les 4 sols pour livre n’épar-
gneront pas les ménages modestes. Nombre de chansons et
libelles de l’automne pointent alors les « Edits profanes » qui
mettent « Homme et cheval à meme prix » et pour finir « ce
traître, Qui nous laisse aujourd’huy sans pain, Prest d’aller à
Bicestre ». Au-delà des privilégiés, c’est donc une fronde plus
large et plus sincère qui se lève contre les réformes Silhouette.
Ce mouvement va saper la confiance et finalement aboutir à
la chute du ministre et de son conseiller, moins de neuf mois
après leur arrivée au Contrôle général.

Les dernières semaines ne sont qu’une litanie de catas-


trophes. Le 21 octobre, c’est la banqueroute partielle : deux
arrêts ordonnent la suspension du remboursement des capi-
taux de tous les emprunts ayant cours. Les préambules en
sont explicites : les caisses sont vides et l’on compte sur les
rentrées de la subvention générale pour tenter de reprendre
les paiements. Le 26 octobre, le roi donne ordre de faire porter
sa vaisselle à la monnaie et invite ses sujets à faire de même,
comme aux temps cruels de son aïeul. La perte de crédit de
la monarchie a en effet conduit les contrôleurs généraux suc-
cessifs à passer des rentes perpétuelles et des emprunts à
long terme à ceux, à plus court terme, sur la Ferme générale,
sous forme d’avances sur les rentrées fiscales futures. Or, à ›››

Janvier-février-mars 2014
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les leçons de l’histoire
Arnaud Orain

p. 36 partir du moment où les classes privilégiées ont retiré leur


confiance au ministre, il n’était plus possible d’envisager aucun
nouvel emprunt. Pis, la perte de confiance devait entraîner
une thésaurisation générale qui était à la fois cause et effet
du ralentissement de l’activité économique. Le trésor royal
manquant cruellement de numéraire, il devenait impossible
de rembourser les capitaux précédemment empruntés. Ce qui
restait de confiance devait alors être totalement anéanti. Dans
une telle situation, il n’était plus possible que le ministre se
maintienne car, comme le faisait remarquer Forbonnais un an
avant, « c’est compromettre l’autorité que de l’opposer au tor-
rent des opinions » [Forbonnais, 1758], et Silhouette présenta
le 21 novembre sa démission au roi, qui l’accepta.

On peut, comme Voltaire, blâmer un ministre qui « a voulu


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gouverner en temps de guerre comme à peine on le pourrait en
temps de paix » [Voltaire, Correspondance, vol. V, p. 701]. Mais
on peut aussi voir les choses d’une autre manière : Silhouette
et Forbonnais n’ignoraient rien – et ce dernier moins que qui-
conque – de la situation des finances du royaume en avril 1759.
Leur objectif était d’abord et avant tout de trouver des recettes
nouvelles pour financer la guerre. Mais ce qui est incontestable,
c’est qu’ils ont aussi cherché à profiter d’une situation d’urgence
pour donner à la fiscalité une tournure à la fois ambitieuse et
réformatrice : refuser les emprunts classiques, élargir l’assiette
des impôts, déplacer une partie du fardeau sur la taxation
indirecte pour frapper les privilégiés, instiller une forme de
progressivité et recourir au vingtième pour ne pas épargner les
propriétaires nobles.

Alors que la France traverse depuis cinq ans une crise com-
parable à celle de 1929, avec une hausse de la dette publique
depuis 2007 qui s’apparente à une période de conflit, plusieurs
éléments font écho à l’année 1759. D’abord, comme sous Sil-
houette, la remise à plat de la fiscalité promise n’a pas eu lieu ;
on a préféré alourdir les impôts existants et raboter de-ci de-là
quelques niches fiscales. Ensuite, le gros de l’effort a jusqu’ici
plutôt porté sur les classes moyennes (voire populaires) que
sur les plus aisées, les mesures emblématiques de type taxe
à 75 % étant quasiment insignifiantes sur le plan des rentrées
fiscales. Enfin, tout cela s’est fait à un coût politique très élevé,
sans que la confiance des contribuables et des investisseurs
ne soit réellement au rendez-vous et, surtout, sans que les

L’Economie politique n° 61
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les leçons de l’histoire
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recettes fiscales ne suffisent à couvrir les dépenses. Le « tor- p. 37
rent des opinions » dont parlait Forbonnais emporte les gouver-
nants et les remplace par d’autres qui doivent presque toujours
se résoudre à faire entrer par la fenêtre la fiscalité qui était sor-
tie par la porte, sans pour autant combler les déficits. Jusqu’ici
cependant, si les difficultés peuvent être jugées graves, le
pays est encore loin d’être acculé aux extrémités auxquelles
la monarchie a dû se résoudre en octobre-novembre 1759. ■

Bibliographie

Charles, Loïc, Lefebvre, Frédéric France », The Journal of Modern


et Théré, Christine (dir.), 2011, History, vol. 70, n° 2.
Le cercle de Vincent de Gournay :
savoirs économiques et pratiques Mathias, Peter, et O’Brien, Patrick,
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administratives en France 1976, « Taxation in Britain
au milieu du XVIIIe siècle, and France, 1715-1810 :
Paris, Ined. A Comparison of the Social
and Economic Incidence
Dull, Jonathan, 2009, La guerre of Taxes Collected
de Sept Ans. Histoire navale, for the Central Governments »,
politique et diplomatique, The Journal of European Economic
Bécherel, Les Perséides. History n° 5.

Félix, Joël, 1999, Finances Orain, Arnaud, 2013, « Soutenir


et politique au siècle des Lumières. la guerre et réformer la fiscalité.
Le ministère L’Averdy, 1763-1768, Silhouette et Forbonnais
Paris, Comité pour l’histoire au Contrôle général
économique et financière des finances (1759) », French
de la France. Historical Studies, vol. 36, n° 3.

Forbonnais, François Véron de, Riley, James C., 1986, The Seven
1758, Recherches et considérations Years War and the Old Regime
sur les finances de France, in France : The Economic
depuis l’année 1595 jusqu’à and Financial Toll, Princeton,
l’année 1721, Bâle, Frères Cramer, Princeton University Press.
2 volumes.
Silhouette, Etienne de, 1788,
Forbonnais, François Véron de, Mémoire sur la situation
1754, Eléments du commerce, des finances, et sur les moyens
2 volumes. de subvenir aux dépenses
de l’Etat, et à l’acquit des
Forbonnais, François Véron de, engagemens publics, Lausanne
1753, Considérations et Paris.
sur les finances d’Espagne, Dresde.
Voltaire, François Marie Arouet dit,
Kwass, Michael, 1998, « A Kingdom 1980-1993, Correspondance,
of Taxpayers : State Formation, Paris, Gallimard,
Privilege, and Political coll. Bibliothèque de la Pléiade,
Culture in Eighteenth-Century 13 volumes.

Janvier-février-mars 2014

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