Vous êtes sur la page 1sur 39

« Une vraie jeune

fille de famille… »
Etre une jeune fille
en Dordogne entre 1880 - 1930
par Sophie Barrière
historienne
Diaporama réalisé par le
L’image
de la
parfaite
jeune
fille

( années 1900) coll. de l’auteur


Le terme de jeune fille
correspond à une réalité sociale
autant que sexuelle.
Il ne concerne que les couches les
plus aisées de la société.

Pour les petites filles des


classes paysannes il n’y avait
qu’un laps de temps insignifiant
entre l’enfance et l’entrée dans
le monde des adultes.
La jeune fille de
la famille doit
alors incarner cet
être pur,
obéissant,
sachant broder,
chanter, jouer du
piano et faire le
bonheur de sa
famille :
« une jeune fille
accomplie »
ADD 24 8 Fi portrait 117 – Portrait de Rachilde enfant
Le poème
« Intérieur »
dépeint cette
harmonie
parfaite que
serait une
famille dont
la fille
aimante et
cultivée
ornerait le
foyer " La pauvre Jeanne" (monologue en prose pour
jeune fille - supplément au journal des
demoiselles du 15 juillet 1909 et poème) AD 24 -
19 J 70 (voir diapositive suivante)
Extrait du poème « Intérieur »

Le père écrit. La mère, active et recueillie,


Couvre un grand canevas de dessins bigarrés
Et l’on voit sous ses doigts s’élargir par degrés
Le tissu nuancé de laine rouge et noire.
Assise au piano, sur les touches d’ivoire,
La jeune fille essaie un thème préféré,
Puis se retourne et rit. Son profil, éclairé
Par un pâle rayon est fier et sympathique
Et si pur qu’on croirait voir une camée antique.
Elle a vingt ans. Le feu de l’art luit en ses yeux
Et son front resplendit, et ses cheveux soyeux
Tombent en bandeaux lourds jusque ses épaules
Une
nouvelle
jeune fille :
la jeune
fille
sportive

( années 1920) coll. de l’auteur


L’archétype de la
jeune fille, pour
ne pas dire sa
caricature dans le
personnage
de « l’oie
blanche » est
cependant battu en
brèche au XIXème
siècle par une
nouvelle image :
celle de la jeune
fille sportive et
bien dans son corps.
( années 1920) coll. de l’auteur
( années 1920) coll. de l’auteur
Femina ADD 24 - REV 1016/2 p. 113

Dans ce document de 1905, la question est posée :


la jeune fille moderne doit-elle faire du sport ?
La revue
Fémina
développe
des
arguments
pour et
contre le
sport pour
les jeunes
filles

Illustration pour la revue Fémina :


Miss Douglas, Vainqueur du
Championnat de dames simples et
du Championnat double mixte avec
E.-R. Allen, à Monte-Carlo
Femina ADD 24 - REV 1016/2 p. 113
Arguments développés dans la revue Fémina
Pour la pratique du sport
Le sport est moral : retour
à des valeurs saines et
naturelles

La femme sportive garde


sa féminité

La pratique du sport
permet de mieux
connaître le sexe opposé
avant le mariage et de
s’en défendre par la suite

La pratique du sport
donne une liberté et une
ouverture qui instaure
une relation de confiance
avec son mari
( années 1920) coll. de l’auteur
Contre la pratique du sport
Le sport est immoral :
il est l’occasion de
flirter avec des
garçons

Le sport rend
la femme plus
masculine

La connaissance des
hommes les amène à
faire des expériences
sentimentales et à
multiplier les mariages
et les divorces

Les hommes qui


n’auront plus à
protéger ces femmes
s’en détacheront ( années 1920) coll. de l’auteur
Dans les
années 20,
la jeune fille
sportive
pratique aussi
les sports
nautiques,
le costume de
bain a évolué
et permet
désormais
de ne plus
entraver les
mouvements.
1922 coll. de l’auteur
L’éducation
de la
jeune fille

ADD 24 8 Fi portrait 118 Rachilde jeune fille


La réflexion sur l’enjeu éducatif
devient centrale pour le XIXème
siècle car si l’image littéraire
et artistique place la femme sur
un piédestal en tant qu’allégorie
ou de muse, la femme instruite est
encore mal acceptée.

Depuis plus de deux siècles, la


femme savante n’est-elle pas
l’épouvantail qui détruit le
bonheur des familles bourgeoises ?
L’éducation
des filles sera
par conséquent
d’abord une
éducation
chrétienne

Jeunes filles en tenue de pensionnat


( années 20) coll. de l’auteur
L’école
paroissiale,
le catéchisme et
les ouvrages
édifiants
concourent tous
à dessiner le
portrait de la
jeune fille pieuse
idéale. Outre sa
piété, cette
dernière devra
faire montre d’une
morale au-dessus
de tout soupçon.
Photographies du concours de premières
communiantes du magazine Femina.
AD 24 - Femina REV 1016 / 2 année 1905
La loi Falloux du 15
mars 1850 prévoit une Deux lois
école primaire de filles viendront
dans chaque commune de
plus de 800 habitants organiser
mais cette école n’est l’enseignement
pas forcément laïque et des filles
elle n’est ni gratuite
ni obligatoire.

Le 21 décembre 1880 la
loi Camille Sée donne
accès à des jeunes
filles à un enseignement
secondaire laïque et
gratuit
ADD 24 - Fi 1 photographie de la classe de filles de Montcaret (canton de Vélines) en 1921
« Monsieur mon très cher papa
et madame ma très chère maman
Je suis très charmée lorsque je puis avoir
l’honneur de vous renouveller les
assurances de mes tendres et
respectueux sentiments et m’ainformer de
l’état de votre santé, jayeu le plaisir de voir
ces jours passés, ma chère tante elle se
porte fort bien et elle ma comblée
d’amitiés elle ajugé par elle-même de més
progrets surtous mes exercices, ils ne
sont pas encore fort considerables, parce
que je nay pas beaucoup de facilité, on
est cependant content de moy (…) »
Extrait d’une lettre d’une pensionnaire à
ses parents ADD 24 – 2 E 1797/36 173
Que faut-il
enseigner aux
filles ?

Dans un premier
temps,
l’enseignement sera
limité à de
l’éducation
religieuse,
avec très peu de
matières abstraites
et un enseignement
« profitable »
c’est-à-dire
ménager.
D’autres voix, comme celle
de Suzanne Lacore, se font
entendre pour permettre
un égal accès aux
disciplines, ce qui ne sera
acquis qu’en 1924.
Suzanne Lacore,
C’est seulement en 1937 que (mai 1875-novembre
les femmes seront 1975), directrice
autorisées à enseigner le d’école à Ajat (canton
latin, le grec et la de Thenon), sous-
philosophie secrétaire d'État à la
Santé publique,
« (la femme) entend être, non pas, chargée de la
comme le disait récemment une voix protection de
autorisée d’universitaire, « une ménagère l'enfance du 4 juin
et une maman avant tout ». Avant tout, 1936 au 21 juin 1937
elle veut être elle même. Non un moyen, (1er gouvernement de
mais un être humain ayant sa fin en soi. » Léon Blum)
Extrait de Féminisme et socialisme de Suzanne Lacore disponible
sur le site http://www.lours.org/
Les écoles normales d’institutrices
sont un formidable moyen de promotion
pour les filles de l’agriculture et de
la petite bourgeoisie.
Mais une fois le diplôme obtenu,
leur travail implique souvent la
séparation géographique d’avec la
famille, les déplacements incessants,
la solitude et parfois la réprobation
sociale, car ce mode de vie est
considéré comme peu moral.
Carte postale de l’Ecole Normale d’Institutrice de
Périgueux annotée de la main d’une normalienne
Arrière de la « boîte » avec de jeunes normaliennes
au repos
Malgré les
premières femmes
bachelières,
l’enseignement des
jeunes filles
restera longtemps
marqué par un
caractère
« profitable » en
témoignent encore
ces coupures de
presse des années
1950
Les jeunes filles
ainsi élevées, n’en
Entre demeurent pas moins
sujettes aux
soumission tentations du siècle
et à ses influences
et diverses voire
contradictoires.
insoumission Elles doivent
choisir en
grandissant entre
la soumission et
l’insoumission.
Soumission :
« Chers parents
J’ai eu la tentation de ne pas vous écrire
car je sais la peine que vous cause le quatre
qu’a mérité votre petite Andrée.
J’ai eu quatre à l’étude de Mme du Sacré
Cœur ; j’en ai bien eu de la peine.
Je vous promets que la semaine prochaine
je m’appliquerai davantage. On donnait des
roses à celles qui avaient eu un sept
à la tenue à l’Eglise et un sept à la classe.
J’espère en avoir une Dimanche prochain.
Adieu chers parents
je vous embrasse de tout cœur
André Marty
PS j’oubliai de vous dire que je vous envoie mon
bulletin de cette semaine et celui de l’autre. »
Correspondance de l'élève Andrée Marty à ses parents.
École Sainte Ursule du Sacré Cœur à Périgueux (1902)
ADD 24-J2160
Insoumission :

la fugue amoureuse reste parfois


la seule stratégie matrimoniale à
la disposition des jeunes filles
pour éviter un mariage forcé

C’est par exemple l’histoire


de Jeanne Rougié (16 ans)
La mère de Jeanne projette un « Je suis parti de Périgueux avec
mariage arrangé avec un Louis Doucinet qui m’avait dit que si
restaurateur de Périgueux nous partions on serait obligé de nous
ce qui ne plait guère à sa fille. marier. J’avais emporté 45 francs.
Jeanne entretient une Doucinet n’avait pas d’argent. J’ai
correspondance épistolière avec vendu mes bijoux à Poitiers et à Tours.
Louis Doucinet depuis deux ans Nous sommes partis de cette ville
à l’insu de ses parents. pour Paris. C’est là que j’ai vendu mes
Jeanne est au couvent à Bègles cheveux, il nous restait 50 centimes.
avec sa sœur Berthe mais Chacun de nous deux a écrit de son
était à Périgueux en vacances. coté à ses parents pour demander de
Elle avait supplié sa mère de ne l’argent et donner notre adresse.
pas la remettre en pension C ‘est dimanche matin à 5 heures que
et avait évoqué un mariage Doucinet a été arrêté.
avec Louis. Ma mère est arrivée
Devant le double refus de sa quelques heures après ».
mère, elle s’enfuit en limant sa Louis est condamné à 5 ans d’emprisonnement
serrure avec un couteau pour avoir détourné une mineure
le 19 mai 1879 avec son ami. du domicile de ses parents.
AD 24 - 5 U 1004 – Fugue amoureuse de Jeanne Rougié (16 ans)
à Paris avec Louis Doucinet.
Les petites
Le souci de filles sont aussi
élevées dans le
l’apparence : mythe de la
princesse, avec
l’esthétisme le culte de
toujours fêté l’élégance. Le
monde féminin est
comme qualité celui des robes,
de « l’essence des potions et
des pommades avec
féminine » pour rêve d’être
reine d’un jour.
carte postale " Magasins Aux dames de France ADD 24 - 8 fi 106
« Pommade pour le teint
Trois livres de graines d’autour des
rognons qu’on appelle des acques
Une livre de porc mâle
Pour vingt quatre sols des quatre
semences fraîches
Une livre d’amandes amères
Il faut éplucher les graines de veau et
de porc les bien laver et les mettre
bouillir au bain marie pendant quatre
ou cinq heures dans un pot vernissé
avant que de mettre les amandes et
semences fraîches il faut que les dites
graines cuisent quatre ou cinq heures.
Il faut piler les amandes et les
semences fraîches le plus fin que l’on
pourra.
Quand les graines ont bouilli cinq
heures, on mêle le tout ensemble et
Pommade pour le teint on le fait encore cuire cinq heures
ADD 24 - 2 E 1835/372, 12 ensuite on passe le tout par un linge »
Le port du
costume masculin
est pratiqué par
de nombreuses
femmes au XIXème
et au début du
XXe siècle.

Si ces
périgourdines
s’habillent
en hommes par
jeu…

( années 1920) coll. de l’auteur


… d’autres,
au contraire,
comme George
Sand, Rosa
Bonheur, Jane
Dieulafoy ou
Marc de
Montifaud,
incarnent la
résistance à
toutes les
limitations
portées par la
loi et les
normes sociales
à la vie des
femmes.
( années 1920) coll. de l’auteur
Elles montrent
au final
une image
de la jeune
fille de
famille
qui ne tardera
pas à
s’émanciper au
« pays de
l’Homme » comme
ailleurs…

( années 1920) coll. de l’auteur


Exposition virtuelle réalisée
à partir des travaux de
Sophie Barrière, historienne,
enseignante à Périgueux

avec l’aimable autorisation


des Archives Départementales
de la Dordogne

8 mars 2011

74 boulevard Ampère 24000 Périgueux


www.planningfamilial24.org

Vous aimerez peut-être aussi