& Contemporains
Classiques
Molière
Dom Juan
TEXTE INTÉGRAL
LY C É E
2
Classiques & Contemporains
Molière
Dom Juan
DOM JUAN
Texte intégral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Après-texte
POUR COMPRENDRE
Étapes 1 à 10 (questions) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
GROUPEMENT DE TEXTES
Dom Juan refait et défait . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160
INFORMATION / DOCUMENTATION
Bibliographie, filmographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174
Présentation 5
1. Klincksieck, deuxième édition, 1924, réédité en « Livre de Poche » n° 4663, 2000, p. 421.
Molière
Dom Juan
ou Le Festin de Pierre
ACTE I
SCÈNE 1
SGANARELLE, GUSMAN
SGANARELLE,
tenant une tabatière.
Quoi que puisse dire Aristote et toute la Philosophie, il n’est
rien d’égal au tabac1 : c’est la passion des honnêtes gens, et qui
vit sans tabac n’est pas digne de vivre. Non seulement il réjouit
et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes
5 à la vertu, et l’on apprend avec lui à devenir honnête homme.
Ne voyez-vous pas bien, dès qu’on en prend, de quelle manière
obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi
d’en donner à droit2 et à gauche, partout où l’on se trouve ? On
n’attend pas même qu’on en demande, et l’on court au-devant
10 du souhait des gens : tant il est vrai que le tabac inspire des sen-
timents d’honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent.
Mais c’est assez de cette matière. Reprenons un peu notre dis-
cours. Si bien donc, cher Gusman, que Done3 Elvire, ta maî-
tresse, surprise de notre départ, s’est mise en campagne après
15 nous, et son cœur, que mon maître a su toucher trop forte-
ment, n’a pu vivre, dis-tu, sans le venir chercher ici. Veux-tu
1. Il était en usage en France depuis un siècle environ, mais Louis XIII en avait interdit la vente. Les
dévots s’en disaient les adversaires.
2. Emploi masculin, courant à l’époque.
3. Calque en français de Donna (« Dame ») en italien ; c’est le correspondant féminin de Don, que
Molière orthographie « Dom » pour le rattacher à l’étymologie latine : dominus = « seigneur ».
16 Dom Juan
GUSMAN
20 Et la raison encore ? Dis-moi, je te prie, Sganarelle, qui1 peut
t’inspirer une peur d’un si mauvais augure ? Ton maître t’a-t-il
ouvert son cœur là-dessus, et t’a-t-il dit qu’il eût pour nous
quelque froideur qui l’ait obligé à partir ?
SGANARELLE
Non pas ; mais, à vue de pays2, je connais à peu près le train
25 des choses ; et, sans qu’il m’ait encore rien dit, je gagerais
presque que l’affaire va là3. Je pourrais peut-être me tromper ;
mais enfin, sur de tels sujets, l’expérience m’a pu donner
quelques lumières.
GUSMAN
Quoi ! ce départ si peu prévu serait une infidélité de Dom
30 Juan ? Il pourrait faire cette injure aux chastes feux de Done
Elvire ?
SGANARELLE
Non, c’est qu’il est jeune encore, et qu’il n’a pas le courage…
1. Qu’est-ce qui ?
2. D’après ce que je vois, avec la vue limitée qui est la mienne (on n’est pas très loin de « à vue de nez »).
3. Tend à cela.
Acte I, scène 1 17
GUSMAN
Un homme de sa qualité ferait une action si lâche ?
SGANARELLE
Eh oui, sa qualité ! La raison en est belle, et c’est par là qu’il
35 s’empêcherait des choses1.
GUSMAN
Mais les saints nœuds du mariage le tiennent engagé.
SGANARELLE
Eh ! mon pauvre Gusman, mon ami, tu ne sais pas encore,
crois-moi, quel homme est Dom Juan.
GUSMAN
Je ne sais pas, de vrai, quel homme il peut être, s’il faut qu’il
40 nous2 ait fait cette perfidie ; et je ne comprends point comme
après tant d’amour et tant d’impatience témoignée, tant
d’hommages pressants, de vœux, de soupirs et de larmes, tant
de lettres passionnées, de protestations ardentes et de serments
réitérés, tant de transports enfin et tant d’emportements qu’il a
45 fait paraître, jusqu’à forcer, dans sa passion, l’obstacle sacré d’un
convent3, pour mettre Done Elvire en sa puissance, je ne com-
SGANARELLE
50 Je n’ai pas grande peine à le comprendre, moi ; et si tu
connaissais le pèlerin1, tu trouverais la chose assez facile pour
lui. Je ne dis pas qu’il ait changé de sentiments pour Done
Elvire, je n’en ai point de certitude encore : tu sais que, par son
ordre, je partis avant lui, et depuis son arrivée il ne m’a point
55 entretenu ; mais par précaution je t’apprends, inter nos 2, que tu
vois en Dom Juan, mon maître, le plus grand scélérat que la
terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un Turc,
un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou3, qui
passe cette vie en véritable bête brute, un pourceau d’Épicure4,
60 un vrai Sardanapale5, qui ferme l’oreille à toutes les remon-
trances qu’on lui peut faire et traite de billevesées tout ce que
nous croyons. Tu me dis qu’il a épousé ta maîtresse : crois qu’il
aurait plus fait pour sa passion, et qu’avec elle il aurait encore
épousé toi, son chien et son chat. Un mariage ne lui coûte rien
65 à contracter ; il ne se sert point d’autres pièges pour attraper les
belles, et c’est un épouseur à toutes mains6. Dame, demoiselle,
bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop chaud ni de trop
GROUPEMENT DE TEXTES
Dom Juan refait et défait ................................................................................................ 160
INFORMATION/DOCUMENTATION
Bibliographie, Filmographie ....................................................................................... 174
140 VUE D’ENSEMBLE DE LA COMÉDIE
Oral
POUR COMPRENDRE
un sermon,
C’est l’ombre d’un roué qui ne vaut
11 Alfred de Musset a réduit, dans pas Valmont. »
Namouna, le Dom Juan de Molière à
un simple roué : Pour préparer un débat à ce sujet,
« Quant au roué Français, au don Juan vous ferez la part de ce qui est pré-
ordinaire, sent dans le texte de Molière et de ce
qui ne l’est pas, vous présenterez des
Ivre, riche, joyeux, raillant l’homme
objections à une telle réduction, vous
de pierre,
vous interrogerez sur la validité de la
Ne demandant partout qu’à trouver le comparaison avec le personnage des
vin bon, Liaisons dangereuses de Laclos.
À SAVOIR
LES DÉCORS
Un mémoire de l’époque, dû à un nommé Mahelot, et ayant trait à la mise
en scène de l’adaptation en vers de la comédie de Molière par Thomas
Corneille (voir p. 167), fournit des renseignements sur les décors qui
étaient utilisés pour les cinq actes de Dom Juan :
Premier acte : il faut un palais (c’est-à-dire une demeure noble).
Deuxième acte : une chambre (une simple maison, une cabane même), une mer.
Troisième acte : un bois, un tombeau.
Quatrième acte : une chambre (somptueuse, cette fois), un festin.
Cinquième acte : le tombeau paraît ; il faut une trappe, de l’arcanson (résine
jaunâtre, pour les effets de feu), deux fauteuils, un tabouret.
Un autre document, retrouvé au Minutier central, à la suite d’un marché passé
par la troupe de Molière avec deux peintres pour les décors de Dom Juan
décrit six décors, le décor surnuméraire étant prévu pour le IIIe acte, avec
deux tableaux représentant successivement l’extérieur et l’intérieur d’un
même lieu, à savoir le tombeau, « superbe édifice ».
Vous pouvez consulter sur ce point l’étude de Christian Delmas dans
Mythologie et mythe dans le théâtre français, 1650-1676, p. 104-123.
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