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Économie rurale

Agricultures, alimentations, territoires


324 | juillet-août 2011
324

Transfert : les déterminants de la performance des


exploitations agricoles familiales
Quebec: Financial and technical-economic components of farms performance
after intergenerational transfer

Fanny Lepage, Jean Pierre Couderc, Jean-Philippe Perrier et Diane


Parent

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/economierurale/3058
DOI : 10.4000/economierurale.3058
ISSN : 2105-2581

Éditeur
Société Française d'Économie Rurale (SFER)

Édition imprimée
Date de publication : 30 juillet 2011
Pagination : 3-17
ISSN : 0013-0559

Référence électronique
Fanny Lepage, Jean Pierre Couderc, Jean-Philippe Perrier et Diane Parent, « Transfert : les
déterminants de la performance des exploitations agricoles familiales », Économie rurale [En ligne],
324 | juillet-août 2011, mis en ligne le 30 juillet 2013, consulté le 30 avril 2019. URL : http://
journals.openedition.org/economierurale/3058 ; DOI : 10.4000/economierurale.3058

© Tous droits réservés


Québec : la performance
des exploitations agricoles à la suite
du transfert intergénérationnel
Fanny LEPAGE, Jean-Pierre COUDERC • Supagro, Marchés, organisations, institutions et stratégies
d’acteurs (MOISA), Montpellier, lepage@supagro.inra.fr, couderjp@supagro.inra.fr
Jean-Philippe PERRIER • Université Laval, Département d’économie agroalimentaire et sciences
de la consommation, Traget Laval, Québec, Canada, JeanPhilippe.Perrier@eac.ulaval.ca
Diane PARENT • Université Laval, Département des sciences animales, Traget Laval, Québec,
Canada, Diane.Parent@fsaa.ulaval.ca

Introduction reprendre la ferme et d’en assurer la péren-


nité. Le peu de rentabilité en agriculture, la
e transfert des exploitations agricoles
Lculture
devient un objectif significatif de l’agri-
du XXIe siècle au Canada et dans
faiblesse des revenus de retraite (Vilain,
2004) et la hausse des valeurs des actifs
agricoles (Levallois, 2003) représentent un
plusieurs autres pays industrialisés. Aupa- frein à la reprise, mais également des causes
ravant, les exploitations agricoles n’avaient d’insuccès des transferts. D’autres éléments
qu’une faible valeur monétaire et étaient organisationnels nuisent au transfert tel que
simplement léguées à l’un des fils. Aujour- le manque de préparation, le désir des
d’hui, les fermes de plus en plus capitalisées parents d’avoir un revenu satisfaisant à la
et de moins en moins rentables sont diffici- retraite, ainsi que leur volonté d’être équi-
lement transférables. table envers tous leurs enfants. Tous ces
L’agriculture est un secteur économique constats incitent à se préoccuper de la réus-
où la majorité des exploitations reste encore site des transferts en se remémorant qu’à
de nos jours détenue et gérée par le noyau chaque échec le secteur agricole subit un
familial. Toutefois, depuis l’industrialisation dépeuplement de ses territoires, sans
de l’agriculture et encore aujourd’hui, il y a compter les implications sur la durabilité
un déclin constant des exploitations : une de l’agriculture familiale versus l’agriculture
chute de 4,5 % entre les recensements de industrielle et salariée (Lobley, 2007).
2001 et de 2006 au Québec (Statistique La problématique du transfert des exploi-
Canada, 2006). En plus de cette décrois- tations agricoles familiales attire de plus en
sance, l’augmentation de l’âge moyen des plus l’attention des chercheurs. Les princi-
exploitants rend de plus en plus actuelle la paux sujets étudiés ont été les facteurs de
question de la retraite et des transferts d’ex- succès et d’insuccès des transferts (Eaton,
ploitation en agriculture : au Québec, il est 1993 ; Parent et al., 2000 ; Tondreau,
passé de 47 ans en 2001 à 49,3 ans en 2006. Morisset, 1998), les conditions dans
L’arrivée de l’âge de la retraite dans le lesquelles le transfert se déroule (Blanc,
secteur agricole implique, soit le transfert de Perrier-Cornet, 1993) et les diverses étapes
l’exploitation à une relève familiale, soit la menant à celui-ci (Errington, 1999 ; St-Cyr
vente à une personne hors cadre familial, ou et al., 1998), les stratégies d’établissement
encore le démantèlement de l’exploitation. (Parent et al., op. cit. ; Perrier et al., 2004 ;
La première option, le transfert familial, Taylor et al., 1998 ; Tondreau, Morisset,
représente 73 % des établissements en agri- op. cit. ; Tondreau et al., 2002) et les problé-
culture (MAPAQ, 2006). Plusieurs matiques socio-organisationnelles familiales
contraintes augmentent la difficulté de (Taylor, Norris, 2000).

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Québec : transfert des exploitations intergénérationnel

Dans les années 1990, Colson et Pineau liorer un indicateur traditionnel de la


(1991) ont proposé des indicateurs de performance, la marge de sécurité, afin de
détection de la difficulté financière des prendre en compte dans l’évaluation de la
exploitations françaises en période d’éta- performance la capacité de l’exploitation :
blissement. Toutefois, au Québec, aucune à rembourser ses emprunts, à renouveler ses
recherche portant sur le lien entre la situa- immobilisations et à dégager un surplus.
tion financière au moment du transfert et la Dans un premier temps, l’intérêt de l’éva-
performance post-transfert n’a jamais été luation de l’impact de ces trois périodes sur
présentée. La présente étude a comme la performance post-transfert est présenté,
objectif principal de découvrir les déter- suivi de la méthodologie utilisée et des
minants financiers et technico-écono- résultats descriptifs de cette étude. Il est
miques qui influencent la performance des ensuite question des résultats obtenus par la
exploitations agricoles à la suite du trans- régression linéaire multiple effectuée à partir
fert intergénérationnel. Pour répondre à des indicateurs financiers et technico-écono-
cet objectif, les résultats financiers de trois miques sur la performance de 158 exploi-
moments clés ont été observés : le montage tations agricoles québécoises ainsi que des
financier permettant le transfert des avoirs, enseignements qu’il est possible d’en tirer.
la situation de l’exploitation l’année du
transfert et l’évolution de l’exploitation
(figure 1). Ce cadre conceptuel, inspiré de Les trois périodes financières clés
celui proposé par Morris et al. (1997), Le processus de transfert d’exploitation
permet de compléter les aspects organisa- inclut une passation (successeur/repreneur)
tionnels (le niveau de préparation des à trois niveaux : les savoirs (Samson, 2004),
repreneurs, la nature des relations parmi les les pouvoirs et les avoirs (Hugron, 1991 ;
membres de la famille et les activités de Samson, op. cit.). Dans les exploitations
planification et de contrôle) étudiés par familiales, le transfert des savoirs se fait à
cet auteur. Une étude parallèle à celle-ci partir de l’enfance et se poursuit durant plu-
(Gariépy, 2009) a démontré que les sieurs années. Le transfert des pouvoirs,
facteurs organisationnels (préparation à nommé transfert de direction par Hugron
l’établissement, durée de la planification, (op. cit.), est en lui-même un processus de
accompagnement du cédant) sont expli- longue durée qui peut être défini en quatre
catifs de la performance de l’exploitation, étapes : l’incubation, le choix du succes-
cinq ans après le transfert des avoirs. Bien seur, le règne conjoint et le désengagement.
qu’importants pour la performance de À la fin de la phase de règne conjoint
l’exploitation transférée, ces aspects ne entre le cédant et le repreneur, ce dernier
seront pas traités à nouveau dans le présent devient le propriétaire majoritaire de l’ex-
article. ploitation et la dernière passation s’ef-
Cette étude propose de vérifier l’impact, fectue : le transfert des avoirs. La réalisa-
en termes financiers et technico-écono- tion de cette étape se fait à l’aide du
miques, de ces périodes sur la performance montage financier qui est représenté par
des entreprises cinq années après leur trans- la combinaison des divers modes d’acqui-
fert. Pour y arriver, nous proposons d’amé- sition utilisés que sont le don, l’emprunt, les
Figure 1. Cadre conceptuel des déterminants de la performance post-transfert
Pré-transfert Année du transfert
Performance
Évolution de l’entreprise
post-transfert
Montage financier Situation financière
et technico-économique Source : les auteurs

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subventions et les apports personnels. Au treprise à faire face annuellement à ses


Québec, deux études, Perrier et al. (op. cit.) obligations de même durée (taux d’endet-
et St-Cyr et al. (op. cit.), ont été produites tement, capacité de remboursement, solde
sur le financement de l’acquisition des résiduel, rentabilité). Enfin, l’appréciation
fermes familiales. Leur conclusion similaire de la solvabilité (quantité et qualité des
est que la combinaison des modes d’ac- garanties) utilisée plus spécifiquement en
quisition est une pratique courante et que cas de cessation volontaire ou contrainte de
les emprunts (bancaires ou aux parents) l’activité.
ainsi que les dons sont très importants.
Par la suite, les indicateurs technico-écono-
Dans la période précédant le transfert, les
miques permettent de mesurer la capacité de
propriétaires (cédants et repreneurs)
l’exploitation à transformer de façon efficace
évaluent et choisissent le montage financier
les intrants en extrants et ce afin de générer
qui permettra, dans un premier temps, à une marge la plus élevée possible (Levallois,
l’exploitation de survivre, et dans un Perrier, 2002 ; Walsh, Anderson, 2006). La
second temps, d’assurer aux cédants une figure 2 illustre cette affirmation en sché-
retraite convenable. La combinaison des matisant les interrelations entre les produits,
moyens financiers nécessaires à l’achat de les charges et les indicateurs de l’efficacité
la ferme est, à notre avis, un déterminant de technico-économique.
la performance post-transfert étant donné
son impact sur le taux d’endettement et
Le point de départ de l’efficacité technico-
par le fait même sur la capacité d’inves-
économique est la relation entre les produits
tissement des repreneurs. D’où la première
ou, en termes financiers, le chiffre d’af-
hypothèse : H1. Le montage financier est
faires (CA), et les charges d’exploitation.
un déterminant de la performance post-
Cette relation mène à trois ratios :
transfert
– la productivité du capital, calculée en divi-
Le second moment financier clé est la
sant les produits (CA) par les actifs immo-
situation de l’exploitation l’année du trans-
bilisés ;
fert. Avant de faire l’acquisition d’une
exploitation, les acheteurs dressent un bilan – l’inverse du pourcentage de charges qui
indiquant la situation financière de celle- correspond aux produits (CA) divisés par
ci. Pour faire cette évaluation, deux types de les charges d’exploitation ;
ratios sont généralement utilisés : les indi- – la marge brute de l’exploitation, obtenue
cateurs financiers et les indicateurs tech- en soustrayant les charges d’exploitation
nico-économiques. des produits (CA). En enlevant de cette
marge brute les intérêts, les salaires et les
Pour ce qui est des indicateurs financiers, amortissements, il est possible d’obtenir
plusieurs ratios peuvent être utilisés tels que le résultat ou bénéfice net (hors impôt).
le fonds de roulement, la structure finan- Ce résultat (en lui additionnant les inté-
cière, l’effet de levier, l’autonomie finan- rêts et les amortissements) est utilisé
cière, les rentabilités économique et finan- pour déterminer les capacités de
cière. Trois éléments principaux semblent remboursement (CDR) maximale et opti-
essentiels à évaluer afin de saisir la globa- male (en lui additionnant uniquement les
lité de la situation financière. Tout d’abord, intérêts). La CDR maximale correspond
des indicateurs de liquidité qui indiquent la au montant le plus élevé que l’exploita-
capacité d’une exploitation à subvenir à tion peut rembourser en termes d’an-
ses besoins de court terme (fonds de roule- nuité. Cette CDR ne prend pas en compte
ment). Ensuite, des mesures de moyen et le renouvellement des immobilisations
long terme pour évaluer la capacité de l’en- contrairement à la CDR optimale.

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Lorsque les annuités sont enlevées de la Même s’il n’est pas évident que le repreneur
CDR, il reste un solde résiduel qui corres- ait les mêmes compétences de gestionnaire
pond au « coussin de sécurité » dont que le cédant, il semble, a priori, logique de
disposent les exploitations pour absorber penser qu’une entreprise en bonne santé a
une variation négative du CA et/ou auto- plus de chance d’avoir de meilleures perfor-
financer les nouveaux investissements. mances cinq ans plus tard. D’où la deuxième
Le ratio entre le solde résiduel et le CA hypothèse : H2. La situation financière et
est nommé « marge de sécurité ». technico-économique est un déterminant de
Exprimée en pourcentage, elle s’inter- la performance post-transfert.
prète de la façon suivante : une marge de La dernière période est celle post-trans-
sécurité de 5 % signifie que l’exploitation fert, qui permet de vérifier la qualité de la
peut subir une baisse de son chiffre d’af- gestion et l’efficacité du nouveau repre-
faires de 5 % tout en continuant de neur. L’évolution durant les cinq années
rembourser ses annuités, si elle a été suivant le transfert, sous la direction du
calculée avec la CDR maximale, ou repreneur, autant au niveau financier que
encore de continuer de rembourser ses technico-économique influence également
annuités et de renouveler ses immobili- la performance finale. La troisième hypo-
sations, si elle a été calculée avec la CDR thèse pose donc que l’évolution de l’ex-
optimale. Une variation plus grande du ploitation dans les années suivant le trans-
CA pourrait donc conduire l’entreprise à fert, qui est fonction du profil, de la vision
des difficultés financières. et des objectifs du repreneur, est un déter-
L’état de santé financière de l’exploita- minant de la performance post-transfert.
tion, l’année du transfert, est, selon nous, un H3. L’évolution de l’entreprise est un déter-
déterminant de la performance post-transfert. minant de la performance post-transfert.

Figure 2. Schéma des interrelations entre les indicateurs technico-économiques

➬ Produits

➩ ➩

– Charges ÷ Charges ÷ Actifs moyen et long terme


Marge brute Pourcentage Productivité


de l’entreprise de charges du capital

– Intérêts, salaires
et amortissements

Capacité de remboursement
+ Intérêts ➩ optimale
Bénéfice net ➩ – Annuités

+ Intérêts et Capacité de remboursement


amortissements ➩ maximale
Solde
Marge de sécurité sur les produits ➩ ÷ Produits ➩ résiduel
Source : les auteurs

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Méthodologie de la recherche démantelées devraient être incluses car


potentiellement non viables. Dans cette
1. Échantillon
analyse de la performance à terme de l’en-
Cette recherche a été réalisée en collabora- treprise, la comparaison des plus et moins
tion avec la Financière agricole du Québec performantes donnera des pistes d’amélio-
(FAQ). Cet organisme a comme mandat de rations potentielles pour ces dernières.
stimuler les investissements et de protéger Les données utilisées pour calculer les
les revenus en vue de favoriser la réussite et variables de la première période sont celles
la pérennité des exploitations agricoles de 1998 ou 1999 ; pour la deuxième période
québécoises. Les données comptables des ce sont les années 1999 ou 2000 et pour la
clients de la FAQ répondant aux critères dernière c’est la variation des données entre
de sélection suivants ont été utilisées : 1999 et 2004 ou 2000 et 2005.
– exploitation transférée en 1999 ou en
2000. L’année du transfert des exploita- 2. La performance des exploitations
tions est évaluée par la présence d’un agricoles
changement de propriétaire principal (indi- À la suite du transfert d’une exploitation, il
vidu possédant 50 % des parts ou plus) ; existe une période critique de cinq années
– exploitation toujours existante en 2005 ; durant laquelle le transfert a le plus de
– présence à la FAQ des états financiers chances d’échouer. Effectivement, entre 40
entre 1998 et 2004 ou entre 1999 et 2005. et 50 % des firmes disparaissent durant cette
période (Lank, 1992) et ce pour diverses
La FAQ a extrait, selon ces critères de raisons : manque de planification et/ou de
sélection, 207 exploitations. Par contre, 49 compétences du repreneur, ou encore situa-
n’ont pas été utilisées dans l’analyse puisque tions financières irrécupérables. L’évaluation
les données se sont révélées incomplètes. de la performance de ces exploitations et de
Les données manquantes se trouvaient prin- ses déterminants est ainsi nécessaire pour
cipalement dans les états financiers de 1998 pouvoir assurer à l’avenir leur meilleure
et 1999 soit l’année avant le transfert et pérennité. Il est toutefois difficile de trouver
sans elles l’étude du montage financier était un indicateur complet parmi ceux proposés
impossible. L’échantillon a donc été dans la littérature. Pour nous un indicateur
constitué des données de 158 exploitations complet de la performance de l’exploita-
agricoles familiales. tion doit prendre en considération autant la
Cette base de données ne contenant pas capacité de l’exploitation à rembourser ses
ou peu d’informations socio-économiques emprunts, qu’à renouveler ses immobilisa-
ou organisationnelles, l’étude a été limitée tions ou à dégager un surplus.
aux aspects financiers. Même si la base de Les indicateurs traditionnels tels que la
données contient des informations sur plus rentabilité économique et financière ou
de 20 000 fermes parmi les 30 000 que encore les variations des ventes en volume,
compte le Québec, le critère d’échantillon- du chiffre d’affaires ou des parts de marché
nage (transfert, permanence de l’entreprise ne sont pas adaptés aux particularités des
sur six ans) a éliminé bon nombre d’entre- exploitations agricoles. Ces exploitations
prises, et en particulier celles qui ont disparu sont dans la majorité des cas de petites
de la base pendant la période pour diffé- tailles, gérées et détenues par les membres
rentes raisons (non fourniture des données, d’une famille et par conséquent elles ne
changement d’identifiant, cession ou déman- visent pas nécessairement un objectif d’aug-
tèlement de l’entreprise). mentation de la valeur actionnariale ou de
Dans une analyse portant sur la viabilité forte rentabilité des actifs (financiers et
des entreprises, les entreprises cédées ou humains) investis par la famille.

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Québec : transfert des exploitations intergénérationnel

Le cycle de vie de l’exploitation est égale- immobilisations (que l’on approche au


ment à prendre en compte dans l’évaluation montant des amortissements) ce qui
de sa performance. Dans la présente situa- implique que les exploitations doivent néces-
tion, les exploitations considérées ont dans sairement recourir à l’emprunt pour investir.
tous les cas été transférées depuis cinq ans. Dans un second temps, des durées d’em-
Contrairement à une exploitation qui est prunts très contrastées ont été observées :
dans une phase de stabilité de son cycle de certaines exploitations avaient une excel-
vie, l’exploitation récemment transférée lente marge de sécurité mais des emprunts
aura comme principal objectif financier le sur 40 ans tandis que d’autres avaient une
remboursement des emprunts (sur une durée marge plus faible mais un financement court
conséquente) et le renouvellement des sur cinq ans. Des modifications ont donc
immobilisations. Ceci s’explique par l’im- été apportées ici afin de construire une marge
portant endettement des exploitations pour de sécurité standardisée sur les produits
acheter la ferme et la nécessité de changer (MSSP), présentée en troisième colonne du
le matériel et la machinerie quand le besoin tableau.
s’en fait sentir. Premièrement, la capacité de rembour-
La présente étude propose une améliora- sement optimale plutôt que maximale a été
tion d’un indicateur traditionnel de la perfor- utilisée. Ceci permet de prendre en compte
mance : la marge de sécurité, afin de la capacité de l’exploitation à remplacer ses
permettre une analyse synthétique de l’état immobilisations et pas seulement son poten-
de l’exploitation. Tel qu’expliqué à la tiel à rembourser ses emprunts. Deuxième-
figure 2, la marge de sécurité sur les produits ment, la marge de sécurité a été standar-
représente la capacité d’une exploitation à disée par rapport à la durée des emprunts.
assumer une diminution des produits. Le Ceci permet d’éviter des situations où la
choix de ce ratio est basé sur l’importance, marge de sécurité est acceptable mais où les
pour une exploitation, d’être en mesure de remboursements d’emprunts s’étendent sur
faire face à une diminution de son CA, sans des périodes très longues (30 ans et plus).
se placer dans une situation de difficulté Dans le cas présent, la standardisation a été
financière (solde résiduel négatif) qui entraî- faite selon la durée moyenne des emprunts
nerait à terme la faillite. Le tableau 1 de toutes les exploitations soit environ
montre, en deuxième colonne, les étapes à 13 ans. Cette nouvelle donnée a été utilisée
suivre pour calculer la marge de sécurité afin de calculer le capital devant être inclus
sur les produits, conventionnellement dans les annuités et ainsi obtenir un solde
utilisée par les institutions financières. résiduel standardisé.
Cet indicateur manque toutefois de Le tableau 2 présente une typologie basée
réalisme pour évaluer la performance des sur la MSSP qui permet la comparaison
exploitations transférées pour deux princi- entre les différents niveaux de performance.
pales raisons. Dans un premier temps, il ne Les exploitations du groupe 1 ne sont pas en
prend pas en compte le renouvellement des mesure de rembourser la totalité de leurs
Tableau 1. Calcul des marges de sécurité sur les produits
Marge de sécurité standardisée
Ratios Marge de sécurité sur les produits
sur les produits (MSSP)
Capacité de remboursement Produits – Charges (avant Produits – Charges (avant intérêts
(CDR) amortissements et intérêts) après amortissements)
Solde résiduel CDR maximale – Annuités CDR optimale – intérêts – (dette
long terme / durée moyenne des
emprunts)
Source : les auteurs

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Tableau 2. Typologie des exploitations selon la MSSP


Groupes Fourchette de MSSP Performance Nombre d’exploitations MSSP moyenne (%)
1 <–8% Mauvaise 72 – 24,03
2 Entre – 8 % et 0 % Acceptable 31 – 3,56
3 Entre 0 % et 8 % Bonne 27 3,17
4 >8% Excellente 28 14,88
Total 158 – 8,47
Source : les auteurs

annuités. Elles sont donc en mauvaise donnerait des pistes d’amélioration pour la
posture : incapables de faire face au risque majorité (ou presque) des entreprises.
économique et d’autofinancer le renouvel-
lement des immobilisations. La conséquence 3. Résultats descriptifs
de cette dernière incapacité est le recours à Globalement au niveau du montage finan-
l’emprunt (augmentation des annuités) pour cier, deux constats sont particulièrement
financer le renouvellement d’immobilisa- intéressants en ce qui concerne les résultats
tions (qui généralement n’entraîne pas descriptifs qui sont inscrits dans le tableau 3
d’augmentation de la productivité et des (noter, les groupes de MSSP 2 et 3 ont été
CDR), ce qui aggrave la situation et mine la regroupés pour mettre l’emphase sur les
pérennité de l’exploitation. Celles du groupe groupes 1 et 4 qui représentent les extrêmes
2 ont la capacité de payer leur annuité mais de performance). Le premier est la réparti-
ne couvrent pas la totalité de leurs amortis- tion parmi les groupes du pourcentage d’ex-
sements, elles sont donc dans une position ploitations données1 par le cédant au repre-
acceptable à court terme mais qui, à long neur. Curieusement le groupe 1 est constitué
terme, pourrait devenir critique et les faire à environ 30 % d’exploitations données
basculer dans le groupe inférieur. Les exploi- tandis que le groupe 4 en a seulement 11 %.
tations du groupe 3 présentent un résultat Ce sont également ces dernières qui ont le
intéressant puisque leurs produits peuvent plus emprunté pour acheter la ferme : ce
varier (d’un maximum de 8 %) sans remettre montant est d’ailleurs croissant avec les
en question le remboursement des emprunts groupes, passant de 143 810 $ pour le
ou le renouvellement des immobilisations premier groupe à 370 052 $ pour le dernier.
Finalement, les exploitations du groupe 4 Le second constat émanant du montage
sont dans une excellente situation et peuvent financier est l’évaluation du prix de vente de
assumer un niveau de risque élevé. l’exploitation : 0,84 $/$ de produits. Ce
Le tableau 2 indique également le nombre montant se rapproche certainement plus de
d’exploitations présentes et la moyenne de la valeur économique des capitaux propres
MSSP de chaque groupe. Le principal que de leur valeur marchande qui est évaluée,
constat est le nombre élevé d’exploitations en 2001, à 4,42 $ de capitaux propres par
qui se trouvent dans la plus mauvaise des dollar de produits selon les données de l’en-
situations : près de la moitié des exploita- quête financière sur les fermes produite par
tions (46 %), cinq ans après le transfert, ne Statistique Canada (2007).
sont pas en mesure de satisfaire, a minima, Ce dernier constat s’explique par le
leurs obligations financières. Ceci se reflète niveau de capitalisation élevé qui est l’une
dans la moyenne de la marge de sécurité
standardisée (– 8,47 %). La dispersion des
1. Une exploitation est considérée comme
résultats parmi les groupes permet de penser « donnée » lorsque les dettes (emprunts, recon-
qu’une meilleure connaissance des déter- naissance de dettes aux parents) n’augmentent pas
minants de la performance post-transfert consécutivement au transfert des avoirs.

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Tableau 3. Résultats descriptifs de la première période : montage financier


Groupe MSSP 1 2 et 3 4 Moyenne
Don total 29,2 % 15,5 % 10,7 % 20.9 %
Emprunt pour l’achat 143 810 216 575 370 052 210 615
Prix de l’achat/$ de produit 0,60 0,89 1,25 0,84
Valeur économique* 170 225 235 443 550 442 318 703
Note : *La valeur économique des capitaux propres est ici approximée au montant d’un emprunt (20 ans, 6 %) entraînant
une annuité égale au solde résiduel.
Source : les auteurs

des caractéristiques des entreprises agri- meilleure que celle des premiers groupes. Il
coles, en particulier au Canada où la terre est est donc logique de penser qu’il existe un
possédée par les producteurs à près de 90 % lien entre le montage financier, la situation
et où les quotas de production (dans le lait, initiale et la situation finale.
la volaille et les œufs) ont une valeur de
marché importante. Puisque l’inflation a été Tel qu’indiqué au tableau 4, l’année du
et est encore élevée sur ces actifs, la produc- transfert, les exploitations sont, en moyenne,
tivité du capital diminue, creusant l’écart dans une situation financièrement « accep-
entre la valeur marchande des biens et leur table » : la marge de sécurité moyenne est de
valeur économique. Il paraît évident que 9 % et par conséquent les annuités peuvent
cet écart malmène les valeurs patrimoniales, donc être remboursées. Toutefois, le solde
qui, normalement, conduisent à un trans- résiduel ne permet pas de procéder à la tota-
fert familial (avec un don élevé), au profit du lité des investissements annuels nécessaires :
démantèlement (réalisation des actifs pour il représente uniquement 63 % des amor-
en tirer l’entière valeur marchande). tissements. Seul le groupe 4 possède un
L’écart entre la valeur économique et le solde résiduel suffisamment élevé pour
prix de vente, beaucoup plus faible pour renouveler ses immobilisations sans
les trois premiers groupes que le quatrième, emprunter. Les exploitations les plus perfor-
amène à penser que même si le groupe 4 mantes, cinq ans après le transfert, sont
rachète les parts de l’entreprise à un prix plus dans une situation financière au moment du
élevé, il les paie beaucoup moins que ce transfert « excellente » alors que les exploi-
qu’il serait capable de payer et donc sa tations du groupe 1 ont une situation
situation à terme devrait être encore « acceptable ».
Tableau 4. Résultats descriptifs de la deuxième période : année du transfert
Groupe MSSP 1 2 et 3 4 Moyenne
Marge de sécurité maximale 6,16 % 8,40 % 16,19 % 9,05 %
Solde résiduel 14 841 20 527 47 990 22 803
Amortissements 32 888 36 101 43 205 35 896
Taux d’endettement 77 % 72 % 81 % 76 %
Actif total 672 179 725 023 672 684 691 667
Dettes 517 193 519 104 542 025 522 295
Productivité du capital 0,36 0,34 0,44 0,36
Produits (taille) 240 741 244 487 296 419 251 983
Pourcentage de charges 76 % 73 % 70 % 73 %
Marge économique 10,76 % 12,25 % 15,41 % 12,26 %
Source : les auteurs

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RECHERCHES
Fanny LEPAGE, Jean-Pierre COUDERC, Jean-Philippe PERRIER, Diane PARENT

Tableau 5. Résultats descriptifs (%) de la troisième période : post-transfert


Groupe MSSP 1 2 et 3 4 Moyenne
Variation de la taille 64 52 54 58
Variation de l’actif total 56 42 46 49
Variation du passif total 77 54 15 57
Variation du taux d’endettement 13 9 – 21 6
Autofinancement –6 6 74 11
Variation de la productivité du capital 5 8 6 6
Variation du pourcentage de charges 14 –5 –7 4

Pour ce qui est du taux d’endettement dettement de 13 %. Il faut ici souligner que
(76 %), il peut paraître très élevé, mais il est l’autofinancement, qui est le pourcentage
calculé sur des actifs à un coût d’acquisition des investissements réalisés sans recourir
déprécié. Généralement les financiers, pour aux emprunts, est de 74 %, pour le groupe
apprécier les garanties, calculent le taux 4 et négatif pour le groupe 1. Ceci est signe
d’endettement sur la valeur marchande des de problèmes graves pour le groupe 1
actifs. Sur cette base, le taux d’endettement puisque les producteurs de ce groupe utili-
moyen des exploitations agricoles québé- sent ce différentiel de passif pour financer
coises était de 24 % en 2001 et de 27 % en des déficits d’opération.
2005, toujours selon l’enquête financière Au niveau des résultats et de l’efficacité
sur les fermes de Statistique Canada. technico-économique en particulier, les
Ensuite, en comparant les exploitations du exploitations du groupe 1 ont augmenté leur
groupe 1 et 4, il est possible de constater que pourcentage de charges de 14 % tandis que
leurs actifs sont similaires mais que le les exploitations du groupe 4, qui pourtant
groupe 4 a un taux d’endettement un plus avaient un pourcentage plus faible au
élevé (soit 3 % de plus) que celui du groupe moment du transfert, ont réussi à le réduire
1. Le groupe 4 a également une productivité de 7 %. Des choix d’investissements plus
du capital et une taille plus élevées, tandis productifs, moins d’investissements, une
qu’il présente un pourcentage de charges plus grande part d’autofinancement, une
inférieur. Ces écarts conduisent à une diffé- meilleure efficacité technico-économique
rence de presque 5 % entre le groupe 1 et 4 sont les éléments composant la gestion des
sur la marge économique qui est obtenue par repreneurs dont les exploitations se retrou-
le ratio bénéfice net plus intérêts sur le vent dans le groupe des plus performantes
chiffre d’affaires. cinq années après le transfert.

Selon les résultats descriptifs indiqués La synthèse de cette brève analyse


au tableau 5, dans les cinq ans suivant le descriptive pourrait être :
transfert des avoirs, les exploitations, sous – des exploitations peu performantes au
le règne de la relève, ont connu une crois- moment du transfert sont transmises à un
sance importante : de la taille, des actifs, prix plus faible, qui est cohérent avec leur
mais, de façon inquiétante, aussi du passif valeur économique. Leurs performances
(en moyenne plus importante que celle de cinq ans plus tard se sont grandement
l’actif). Le groupe des exploitations perfor- détériorées suite au choix d’investisse-
mantes n’a vu son passif augmenter que de ments moins productifs et du manque
15 % et son taux d’endettement se réduire de d’autofinancement dû à une gestion quoti-
21 %, contrairement au groupe 1 dont le dienne (efficacité technico-économique)
passif a progressé de 77 % et le taux d’en- défaillante ;

ÉCONOMIE RURALE 324/JUILLET-AOÛT 2011 • 11


Québec : transfert des exploitations intergénérationnel

– des exploitations performantes au moment ces entreprises. Un ensemble de 15 variables


du transfert ont une valeur économique continues, dont les calculs utilisés sont indi-
supérieure au montant nécessaire pour qués dans l’encadré 1, et 3 variables dicho-
couvrir les besoins de retraite des cédants, tomiques représentant l’aspect financier et
et leurs performances cinq ans plus tard technico-économique de chacune des
se sont encore améliorées. périodes ont été utilisées comme variables
Bien que ces conclusions ne dérogent en indépendantes. Pour la période 1, les
rien de la logique de gestion financière stan- variables sont le montant emprunté pour
dard, il est inquiétant que le groupe d’ex- acheter l’exploitation divisé par les produits
ploitations en difficulté financière repré- et la présence (ou non) d’un don total de
sente 46 % de l’échantillon, ce qui l’exploitation du cédant au repreneur. Pour
questionne l’avenir du renouvellement des la période 2, le fonds de roulement, la marge
générations en agriculture, au moins au économique, la marge de sécurité conven-
Québec. Elles confirment aussi l’intérêt tionnelle, l’endettement par dollar de
d’approfondir les relations entre le montage produits, le pourcentage de charges, l’actif à
financier, la situation initiale et la période long terme par dollar de produits, la taille, le
post-transfert. secteur d’activité agricole et la région admi-
nistrative ont été retenus. Finalement, ce
sont les évolutions du fonds de roulement, de
Analyse statistique et résultats la marge économique, de l’endettement par
Pour vérifier nos hypothèses (H1, H2 et H3) dollar de produits, du pourcentage de
sur le lien entre les trois périodes et la perfor- charges, de l’actif long terme par dollar de
mance post-transfert, une régression linéaire produits et de la taille ainsi que l’autofinan-
multiple a été effectuée sur la variable MSSP, cement qui ont été choisies comme variables
construite pour synthétiser la performance de pertinentes de la période 3.

Encadré 1. Calculs des variables indépendantes


Emprunt pour achat de la ferme par dollar de produits :
Variation des emprunts – achats d’immobilisation + billet au propriétaire
Produits

Ratio du fonds de roulement : Actif court terme


Passif court terme

Marge économique : Bénéfice net + intérêts


Produits

Marge de sécurité sur les produits :


Capacité de remboursement – annuités
Produits
Pourcentage de charges :
Charges avant amortissements, intérêts et après rémunération du travail
Produits

Actif long terme par dollar de produits : Actifs long terme


Produits

Évolution : tous les ratios d’évolution ont été calculés par la même formule soit
Ratio en 2004 ou 2005 – ratio en 1999 ou 2000
Ratio en 1999 ou 2000

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Fanny LEPAGE, Jean-Pierre COUDERC, Jean-Philippe PERRIER, Diane PARENT

Tableau 6. Résultats statistiques des déterminants de la performance post-transfert


Coefficient Écart Plus- Moyenne Écart
VIF Élasticité
(β) type (β) value (χ) type (χ)
1 - Pourcentage
de charges – 0,43 0,132 0,001 5,124 2,71 71,8805 16,89
2 - Évolution de l’actif
long terme par
dollar de produits – 12,07 2,404 0,000 1,778 0,96 0,0380 0,53
3 - Marge de sécurité
sur les produits 0,22 0,085 0,012 3,703 0,39 7,1270 22,16
4 - Marge économique 22,47 8,516 0,009 3,013 0,33 0,1216 0,20
5 - Actif long terme par
dollar de produits – 1,47 0,440 0,001 8,943 0,17 3,4039 3,45
6 - Évolution
de la taille 1,73 0,313 0,000 2,167 0,09 1,1018 3,99
7 - Évolution du pour-
centage de charges – 57,93 4,621 0,000 2,171 0,08 0,0834 0,31

tion de la variable dépendante suite à une


Tous les postulats nécessaires à l’utilisa- variation de 1 % de la variable indépen-
tion de la régression linéaire multiple ont été dante (toutes les autres ne variant pas).
vérifiés. De la multicollinéarité a été détec- Contrairement à ce que laissait penser le
tée entre l’endettement par dollar de produits cadre conceptuel, l’analyse de notre échan-
et les autres variables. Nous l’avons donc tillon ne permet pas d’affirmer que le
retiré de notre modèle. Le modèle final pré- montage financier est en lien avec la perfor-
sente un R2 ajusté de 0.632 ce qui indique mance post-transfert de l’exploitation :
que les variables significatives de la régres- aucune variable de cette période n’est signi-
sion permettent d’expliquer 63 % des varia- ficative. Avant de conclure que le montage
tions de la performance post-transfert. Le financier n’est pour rien dans les perfor-
tableau 6 détaille ces variables significa- mances futures de l’exploitation, il convient
tives ainsi que leur coefficient non standar- de prendre en considération que générale-
disé qui permet de déterminer si la variable ment le transfert de l’exploitation familiale
a un impact positif ou négatif sur la perfor- poursuit, au niveau financier, essentielle-
mance (les autres variables et la constante du ment deux objectifs (Eaton, op. cit.) : la
modèle ne sont pas incluses dans ce tableau pérennité de l’exploitation transférée et les
afin de prioriser les variables significatives). revenus de retraite du cédant. Le prix de
Les variables sont ordonnées selon leur vente est donc un compromis entre ces deux
coefficient d’élasticité2 qui indique la varia- objectifs contradictoires. En situation finan-
cièrement difficile, le transfert de l’exploi-
2. Pour calculer ces coefficients, un ratio représen- tation donne la prépondérance au premier
tant la valeur des observations pour une variable
objectif. Si bien que le prix de vente va être
divisée par la valeur des observations pour la marge
de sécurité standardisée sur les produits a été calculé. fonction de la capacité de l’exploitation à
Ceci nous permet d’obtenir un ratio pour chaque « se payer » au moment du transfert. Il est
observation et pour chaque variable significative. Par donc logique de constater que c’est dans le
la suite, le coefficient β de chaque variable a été groupe 1 qui est, au moment du transfert, en
multiplié avec les ratios qui lui sont associés. Cette moins bonne situation financière (marge
étape donne l’élasticité de chaque entreprise pour les
sept variables. Finalement, la moyenne des élasti- économique, solde résiduel, productivité du
cités individuelles pour chaque variable a été capital faible, pourcentage de charges élevé)
calculée puis inscrite au tableau 6. que le pourcentage d’exploitations qui ont

ÉCONOMIE RURALE 324/JUILLET-AOÛT 2011 • 13


Québec : transfert des exploitations intergénérationnel

été données est le plus élevé ou que les aussi une variable significative qui a un
emprunts pour l’achat de la ferme sont les impact négatif sur la situation à terme. Cette
plus faibles. De plus, dans le groupe 4, la variable reflète d’une part la productivité
valeur de vente très inférieure à la valeur des capitaux qui se retrouve dans le montant
économique laisse penser que les deux de produits et d’autre part le niveau de capi-
objectifs (pérennité et niveau de retraite) talisation auquel sont rattachées des charges
sont atteints. fixes, en particulier les amortissements. Ces
À l’opposé, les exploitations plus perfor- deux variables influencent, au moins partiel-
mantes au moment du transfert peuvent lement, la marge économique (4) qui repré-
(auto-) financer un prix de vente plus élevé. sente la capacité à rémunérer les capitaux
Donc, si le montage financier n’est pas en totaux de l’exploitation, ainsi que la marge
lien avec la performance post-transfert de de sécurité (3) qui mesure la capacité de
l’exploitation, il est étroitement lié à la situa- l’exploitation à honorer ses obligations
tion financière au moment du transfert qui financières de moyen-long terme et à faire
elle-même explique, au moins en partie, la face au risque économique.
situation post-transfert. En situation de trans- En bref, ces variables indiquent que la
fert, le prix se base sur la valeur écono- performance à terme dépend de la santé
mique de l’exploitation, valeur certes fonc- technico-économique et financière de l’ex-
tion des actifs et de leur productivité, mais ploitation au moment du transfert. C’est au
surtout de l’efficacité technico-économique. niveau des indicateurs technico-écono-
Alors qu’en situation de démantèlement, miques que se situe le cœur de l’avenir du
c’est la valeur de marché des actifs, beau- transfert : ils sont tous significatifs (pour-
coup plus élevée que la valeur économique, centage de charges, marge de sécurité et
qui s’impose, indépendamment de leur productivité des actifs à long terme). L’enjeu
productivité et de l’efficacité avec laquelle majeur de la performance se trouve donc
ils sont utilisés. dans la capacité du producteur à transformer
Cependant, le fait que le montage finan- ses intrants en extrants le plus efficacement
cier ne soit pas en lien avec la performance possible et au moindre coût possible. La
future de l’exploitation amène à se ques- réduction des charges, et l’augmentation de
tionner sur la forme des aides à l’établisse- la productivité du capital et de la marge de
ment consenties par le Gouvernement, en sécurité sont des éléments qui influencent
particulier la prime à l’établissement positivement la performance.
(jusqu’à 40 000 $ de capital). En effet, il est Tout comme pour les variables du
facile d’imaginer que cette aide, par l’in- montage financier, celles portant sur une
termédiaire du prix de vente, devienne une dimension organisationnelle (le secteur de
aide au cédant plutôt qu’à la relève. production, la région administrative et la
La situation de l’exploitation l’année du taille) ne sont pas significatives. La surre-
transfert influence, en partie, la performance présentation des fermes laitières dans cet
future de l’exploitation (4 variables). Le échantillon (> 70 % par rapport à 30 %
pourcentage de charges (1) qui reflète l’ef- dans la population) rend probablement le
ficacité technico-économique de l’exploi- secteur de production non significatif. La
tation est la variable qui a le plus de poids non-significativité de la région semble
sur la performance. Il s’agit d’une variable permettre de conclure que la performance
de court terme dans le sens où elle relève de n’est pas liée à la densité des réseaux et
décisions tactiques (quantité d’engrais, services agricoles sur un territoire,
surface en céréales,…) plus facilement compensée, au moins partiellement, par le
modifiables d’une année à l’autre. L’actif à niveau de capitalisation (terre en particulier).
long terme par dollar de produits (5) est Les résultats amènent aussi un constat

14 • ÉCONOMIE RURALE 324/JUILLET-AOÛT 2011


RECHERCHES
Fanny LEPAGE, Jean-Pierre COUDERC, Jean-Philippe PERRIER, Diane PARENT

particulièrement intéressant sur la taille de imminente de l’âge de la retraite pour de


l’exploitation. Il existe d’importants débats nombreux producteurs. Par le fait même,
en agriculture sur la constante augmentation ils auront à faire un choix difficile : soit le
de la taille des entreprises. D’une part, le transfert de l’exploitation à une relève fami-
discours qui associe taille et performance en liale, soit la vente à une personne hors cadre
vertu des économies d’échelles. D’autre familial ou encore le démantèlement de
part, plusieurs spécialistes évoquent la taille l’exploitation. Pour ceux qui optent pour le
des exploitations comme une difficulté pour transfert de l’exploitation à leur enfant,
la reprise. La présente recherche tend à plusieurs embûches risquent de les faire
démontrer que ce n’est pas la taille de l’ex- échouer dans leur démarche : le peu de
ploitation au moment du transfert qui a un rentabilité en agriculture, la faiblesse des
impact sur la post-performance mais plutôt, revenus de retraite (Vilain, op. cit.), et la
comme il en sera question dans la prochaine hausse des valeurs des actifs agricoles
section, l’évolution de la taille. (Levallois, op. cit.).
La troisième et dernière période (l’évo- Ces facteurs auront eu raison de
lution) de l’analyse représente l’impact de la nombreux cas de transferts : taux d’échec de
gestion effectuée par la relève sur la perfor- 40 à 50 % des transferts en l’espace de 5 ans.
mance de la ferme. Trois variables se sont Cette problématique préoccupe les gouver-
révélées être significatives soit l’évolution de nements, les producteurs, les consomma-
l’actif long terme, de la taille et du pour- teurs, les divers intervenants en agriculture
centage de charges. L’augmentation de et les chercheurs. L’intérêt des recherches
l’actif à long terme et du pourcentage de dans le domaine du transfert des exploita-
charges ont un impact négatif sur la perfor- tions agricoles est principalement axé sur les
mance tandis que l’augmentation de la taille facteurs de succès et d’insuccès, les étapes
a une influence positive. La relève doit tenter menant au transfert et les stratégies d’éta-
de restreindre ses achats d’actifs et ses blissement. Nous avons noté un important
charges tout en améliorant ses ventes. La manque de connaissances au niveau de l’as-
gestion menée par le repreneur joue donc un pect financier du transfert et ce malgré une
rôle important sur la performance, au même recherche exploratoire de Parent (op. cit.) qui
titre qu’une entreprise bien gérée au moment dénote que les difficultés financières et le
du transfert. faible potentiel de revenu sont des facteurs
Cette analyse permet de réfuter l’hypo- d’insuccès à l’établissement.
thèse H1 qui supposait le lien entre le Dans l’objectif de « combler ce manque
montage financier et la performance post- d’informations », une régression linéaire
transfert et de confirmer, en partie, les hypo- multiple sur la performance post-transfert,
thèses H2 et H3 qui énonçaient la relation synthétisée par la marge de sécurité stan-
entre la situation de l’exploitation l’année de dardisée, a été effectuée sur un échantillon
transfert ainsi que de l’évolution de l’en- de 158 fermes. Cette analyse a permis de
treprise à la suite du transfert et la perfor- faire ressortir sept variables significatives, les
mance post-transfert. plus explicatives de la variation de la perfor-
mance de l’exploitation cinq années après le
transfert soient : le pourcentage de charges,
Conclusion
l’évolution de l’actif long terme par dollar
La démographie en agriculture est en pleine de produits, la marge de sécurité sur les
transformation avec l’augmentation produits, la marge économique, l’actif long
constante de l’âge moyen des producteurs terme par dollar de produits, l’évolution de
agricoles (Statistique Canada, 2006). Bien la taille et l’évolution de pourcentage de
entendu, cette hausse implique l’arrivée charges. Quatre de ces variables mettent

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Québec : transfert des exploitations intergénérationnel

l’emphase sur la situation de l’exploitation conclusions de la présente étude d’élaborer


au moment du transfert, trois portent sur une nouvelle recherche concernant les
l’évolution de l’exploitation après le trans- exploitations qui n’ont pas survécu jusqu’à
fert. Contrairement à une hypothèse initiale, la fin des cinq premières années suivant la
le montage financier du transfert des avoirs transmission. Une telle étude permettra
n’est pas en lien avec la performance ulté- d’évaluer si les variables significatives sont
rieure de l’exploitation car il est, en fait, les mêmes dans la détermination de la
très conditionné par la situation financière de performance menant à la viabilité et à la
l’exploitation au moment du transfert. faillite de l’exploitation.
Cette analyse financière ne répond pas à Une autre piste de recherche consiste à
toutes les questions et le sujet nécessite des inclure dans notre échantillon des exploita-
études complémentaires. Plusieurs pistes de tions n’ayant pas été transférées. Une évalua-
recherche doivent être considérées. tion des éléments déterminant la performance
Dans un premier temps, puisque les selon le cycle de vie de l’exploitation pour-
déterminants identifiés sont issus d’un rait ainsi être réalisée ainsi que l’identification
échantillon d’exploitations « survivantes », des variables affectant la performance spéci-
il semble nécessaire pour enrichir les fique aux exploitations transférée. ■

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