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Collection U • Géographie
Avant-propos
Introduction
4. Les méandres
2. La hiérarchisation du réseau
4. La pénéplaine
5. Les lacs
5. Les facteurs de complexité dans les reliefs volcaniques : érosion, destruction violente, emboîtements
2. L'équilibre isostatique
8. Un type d'accident commun aux chaînes, aux socles et aux bassins sédimentaires : la cassure
4. Le quaternaire : Le postglaciaire
5. Conclusion
3. Le modelé
4. Conclusion
2. Répartition zonale
3. Tentatives d'explication
4. Conclusion
Orientation bibliographique
© Armand Colin/Masson, Paris, 1969, 1996
© Armand Colin/HER, Paris, 2001
© Armand Colin, Paris, 2007, 2010
978-2-200-27134-3
Collection U • Géographie
Illustration de couverture : Dunes de sable, Death Valley, Californie, États-Unis © Rudy
Sulgan / Corbis
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ARMAND COLIN ÉDITEUR • 21, RUE DU MONTPARNASSE • 75006 PARIS
Avant-propos
COMME TOUTES LES SCIENCES, la géomorphologie évolue. On assiste à une rénovation des
instruments et des méthodes. La télédétection à l'aide d'images prises de satellites permet de
lever des cartes sans l'aide de la traditionnelle et fastidieuse triangulation du terrain au sol. Elle
fournit un système de repérage immédiat de tous points : c'est le GPS (Global Positioning
System, global signifiant mondial). Elle apprécie les différences minimes d'altitude dans le
temps, ce qui est précieux pour l'estimation des mouvements tectoniques. Les sondages sous-
marins et les explorations par des engins submersibles automatisés ont accompli de grands
progrès.
La datation des roches en âge absolu s'est introduite avant le milieu du XX siècle et a
e
progressé sans cesse depuis. On sait de mieux en mieux utiliser les corps radioactifs : ainsi le
béryllium de masse atomique 10 à côté du carbone 14 ; les traces des fissions spontanées des
noyaux d'uranium 238 et leur raréfaction progressive au-dessus de 60 degrés Celsius, utilisées
dans un cristal comme l'apatite permettent de connaître les températures passées subies par les
roches au cours de leur histoire géologique, donc, en raison de la gradation géothermique,
l'étage crustal où elles se sont trouvées.
En ce qui concerne les méthodes de pensée, une des plus prisées depuis la fin du XX siècle e
surfaces d'érosion cycliques (chapitre 4.3). La théorie qui invoquait leur existence a été
critiquée au milieu du XX siècle, et on est peut-être passé d'un extrême à l'autre. C'est alors
e
s'agira de raison garder et de donner à chaque objet et à chaque méthode d'étude la place qu'ils
méritent.
Il paraît nécessaire de connaître la vitesse de l'ablation que les agents d'érosion font subir au
relief. De nombreux géographes ont entrepris des mesures, en évaluant soit l'évacuation
annuelle, jusqu'à la mer, de la charge solide ou dissoute apportée par chaque fleuve, soit le
transport de débris du haut au bas d'une aire limitée (une parcelle en végétation naturelle ou en
exploitation agricole). Les difficultés sont nombreuses, l'une des plus apparentes étant
l'existence de « voies de garage » des matériaux transférés : l'accumulation, pour un temps
indéterminé, de tel dépôt alluvial ou de tel stock de débris immobilisé en bas de pente.
Quelle que soit l'indécision des mesures, on devra distinguer les transformations rapides et
les transformations lentes de la surface de la Terre, l'homme ayant plus de prise sur les
premières et surtout leur étant plus exposé. L'étude des risques, parfois appelée la « cindynique
» (du grec kindunos κινδυνος, danger) est particulièrement susceptible d'applications. L'étude
des transformations lentes, celles qui datent du passé lointain et qui permettent de comprendre
les paysages où nous vivons, est plus désintéressée et d'autant moins négligeable qu'elle est
objet de culture.
Parmi les reliefs les plus mobiles et les plus dangereux, on classera les volcans, les espaces
voués aux tremblements de terre, les versants instables sujets aux glissements de terrain, les
formes d'accumulation littorale, celles de la morphologie fluviatile : berges, plaines
d'inondation, défluviations rapides, cônes de déjection, l'érosion accélérée du sol agricole.
Perceptible par nos sens, encore que moins spectaculaire, est l'action du gel sur les roches et
surtout sur les crêtes de haute montagne. Bien entendu, la pénéplaine, qui demande pour
s'établir plusieurs millions d'années, est à l'autre bout de l'échelle de la mobilité.
Enfin, parmi les agents d'érosion, il en est un dont on n'a pas le droit de négliger le rôle :
l'homme lui-même. Nous lui consacrerons un chapitre : « le système anthropique » (chapitre
21).
Introduction
L'ÉTUDE DES FORMES du relief terrestre doit distinguer les terres immergées (fonds des mers et
des lacs) et les terres émergées, c'est-à-dire le relief subaérien (figure 1). Le contact des unes et
des autres, le littoral, est un domaine particulier. On n'étudiera dans cet ouvrage que les terres
émergées et le littoral. On n'oubliera cependant pas que le moteur de la formation des
continents et des montagnes se trouve sous les océans (chapitre 21.3).
1. Talwegs et interfluves
La topographie des espaces émergés se divise en général en deux éléments, les talwegs et
les interfluves. On appelle talweg la ligne unissant les points bas d'une vallée. Le lit de la
rivière, si l'on fait abstraction de sa largeur et si on le considère comme une ligne, à la manière
de sa représentation sur les cartes, suit le talweg. S'il n'y a pas de cours d'eau permanent,
comme c'est le cas dans les déserts ou dans un vallon de fond perméable, le talweg n'en existe
pas moins. Seules exceptions, les topographies présentant des dépressions fermées, comme
dans certaines régions calcaires ou entre des dunes, ou encore des topographies à peu près
planes, par ailleurs assez rares.
L'espace entre deux talwegs s'appelle l'interfluve. L'interfluve comprend lui-même un
sommet et deux versants. Le sommet d'un interfluve peut être assimilé à une ligne, celle du
partage des eaux, et qu'on appelle parfois ligne de crête mais ce terme a l'inconvénient de créer
une confusion, le mot crête étant réservé, en géomorphologie, à une ligne de sommet acérée et
rocheuse. La ligne des sommets est, plus souvent, une succession de croupes séparées par des
cols ou des ensellements cols évasés à la manière de l'emplacement de la selle sur le dos d'un
animal (figures 2 et 3).
Figure 2 Interfluves, talwegs
Représentation cartographique en courbes de niveau. En tireté, les lignes de
partage (dites parfois de crête), sommets d'interfluves : chaque talweg est
représenté par l'indication tn t' . Les talwegs t t' et t t' sont drainés par un cours
n 1 1 9 9
d'eau principal, coulant dans le sens de la flèche, les talwegs t t' , t t' , t t' , t t' par
3 3 4 4 6 6 8 8
un cours d'eau secondaire affluent d'un cours d'eau principal. Les talwegs t t' , t 2 2 5
t' , t t' n'ont pas de cours d'eau : ce sont des fonds de vallon sec. Remarquer le col
5 7 7
Le profil du talweg en long est régulier ou non. On dit qu'il est régulier si la variation de la
pente est progressive ou si la pente est constante sur des sections entières, même si les roches
traversées sont différentes. C'est donc que le travail de l'érosion a eu raison des différences de
résistance (figure 5B).
Supposons une portion de roches affleurant à l'air libre sur un versant. Elle n'est pas
inaltérable et subit l'action des intempéries. Il s'agit donc de l'altération sur place par
opposition à l'érosion qui transporte. Cette altération sur place n'est pas désignée en France par
un mot commode. On peut imiter les langues étrangères qui la désignent, comme c'est le cas
du portugais, par le terme de météorisation.
L'altération sur place peut se présenter de trois façons : elle peut être mécanique ; elle peut
se faire par dissolution dans l'eau ; elle peut enfin être une altération chimique.
L'action mécanique s'appelle la désagrégation. Elle est facilitée par la structure même de la
roche qui est tantôt composée de grains, comme le granit, tantôt plus homogène mais fendillée
comme le calcaire. Chaque roche a un comportement particulier devant les agents de
désagrégation : le granit s'émiette, le basalte donne des blocs.
Cette action mécanique est due aux variations de température qui dilatent et contractent la
roche et peuvent la faire éclater, mais ces différences thermiques sont peu sensibles tant que
les températures restent au-dessus de zéro : c'est le gel qui est le principal agent de
désagrégation. On appelle gélivation (mieux que l'anglicisme gélifraction) ou cryoclastie cette
action du gel sur les roches.
On remarquera que, pour que l'action mécanique du gel soit efficace, il faut que la roche soit
imbibée d'eau ; c'est le gel de l'eau contenue dans les interstices des roches qui les font éclater.
Certains organismes vivants, comme les racines qui s'accroissent, peuvent aussi agrandir les
fentes des roches et disloquer des blocs.
1.2. La dissolution
La dissolution est très inégale suivant les matériaux. On peut classer les substances
chimiques, suivant leurs aptitudes à être dissoutes, des plus solubles aux moins solubles : le
chlorure de sodium, le calcium, la plupart des bases, la silice, l'alumine. Pour que la
dissolution puisse agir, il faut que l'eau puisse être en contact avec les parcelles de roches : il
faut donc que les roches soient poreuses. Il faut aussi, dans certains cas, que l'eau soit chargée
de gaz carbonique, condition nécessaire pour l'attaque des calcaires.
L'eau se charge parfois de molécules isolées et forme ainsi des solutions vraies ; mais, plus
souvent, les corps solides forment dans l'eau de petits agrégats constitués de plusieurs
molécules. Dans ce cas, on dit qu'on a affaire à une solution colloïdale, c'est-à-dire capable de
former colle.
L'eau qui s'infiltre dans la roche et qui s'est chargée de molécules, isolées ou groupées,
constitue ce qu'on appelle le complexe d'altération. Ce complexe tend à s'infiltrer par
pesanteur mais, il reste soumis à des actions qui peuvent le faire remonter à la surface,
l'évaporation par exemple. On appelle lessivage l'entraînement vers le bas des particules prises
en charge dans le complexe d'altération ; ces particules sont généralement enlevées à la surface
et descendent à quelques décimètres de profondeur ; elles peuvent aussi descendre plus
profondément et gagner, à travers la roche, la nappe d'eau que l'on appelle nappe phréatique
du grec phrear (φρέαρ), puits, car il s'agit de la nappe qui affleure au fond des puits. Cette
nappe alimente aussi les sources. On appelle lessivage oblique l'évacuation des matériaux
dissous empruntés à la roche et enlevés au versant par l'intermédiaire des sources.
L'altération chimique se fait très rarement à sec, mais en général par l'intermédiaire de l'eau.
Elle s'effectue soit directement sur les parois rocheuses soit, plus souvent, sur des fragments
de roche désagrégée. Suivant le processus de l'attaque par les ions de l'eau, les molécules de la
roche sont transformées. Il se constitue ainsi principalement des oxydes et des argiles.
Exemple d'un oxyde : la limonite qui colore en jaune beaucoup de nos sols et qui n'est autre
que la rouille. C'est un oxyde de fer très hydraté. Les argiles sont des molécules de forme
aplatie qui glissent les unes sur les autres et qui peuvent s'imbiber d'eau puisque, entre leurs
feuillets, il existe des espaces libres. Cette mobilité des feuillets séparés par l'eau explique la
plasticité des argiles (on peut les modeler).
Une roche qui a subi une fragmentation mécanique mais surtout une attaque par l'eau sous
la forme de la dissolution et de l'altération, devient en général plus meuble. Elle se recouvre
d'un manteau de débris. Si ce manteau contient assez d'éléments fins pour nourrir des
végétaux, par l'intermédiaire des racines qui s'y enfoncent, il devient un sol, au moins à sa
partie superficielle.
Il importe donc de distinguer le sol et la roche. Le sol est le résultat de l'altération des
roches au contact de l'atmosphère et c'est aussi le support de la végétation qui le transforme à
son tour, notamment par le lent pourrissement des débris végétaux morts. La roche, au
contraire, est une formation géologique intacte, non encore attaquée. La roche peut être dure,
comme le calcaire, ou tendre, comme l'argile. Toute roche n'est donc pas un roc. Il existe
même des roches liquides, comme le pétrole.
La science des roches est la géologie, la science des sols, la pédologie.
Sur les versants, on a, dans quelques cas, affaire à des roches intactes, mais plus souvent à
des roches fragmentées, altérées, allant jusqu'à former de véritables sols ; ce sont les débris de
la roche, résultat d'une simple fragmentation mécanique ou d'une altération chimique poussée,
que nous allons voir en mouvement.
L'action mécanique qui s'exerce sur une pente forte conduit au détachement immédiat de
blocs et à leur chute sur la pente. Les blocs dévalent jusqu'à ce qu'ils trouvent une pente faible
située au pied de l'abrupt rocheux.
En s'accumulant les uns après les autres, ils forment un chaos qui peut se disposer de la
façon suivante :
• si les éboulis, en tombant, suivent un couloir, ils s'accumulent à son extrémité aval, en
formant un cône dont la pointe est située vers l'amont ;
si les couloirs que suivent les éboulis sont proches les uns des autres ou si la chute des
blocs se fait sur toute une pente sans passer par des couloirs d'érosion, il se forme un
talus d'éboulis continu.
La pente des cônes d'éboulis et des talus dépend de la taille des matériaux, de leur densité et
de leur forme. Elle varie entre 27 et 37 degrés. On l'appelle la pente du talus d'équilibre
(figure 7).
Au lieu de blocs détachés coup par coup, l'éboulement entraîne, par gravité, à sec, en une
seule fois, toute une masse, délimitée par une surface de rupture dans la roche.
Dans les pays montagneux fortement enneigés, la neige peut descendre brutalement sur les
pentes, accompagnée d'un « souffle » destructeur, en avalanche. L'avalanche suit des couloirs,
qu'elle contribue d'ailleurs à façonner. Une fois la neige fondue, les matériaux qu'elle a
arrachés et transportés avec elle constituent, à l'arrivée dans la vallée, des tas informes, formés
à la fois de pierres et de débris fins.
Sur un versant, la pluie ruisselle en filets qui ne peuvent creuser les roches non altérées mais
qui transportent les éléments fins du sol.
Ce ruissellement ne se transforme pas habituellement en ravinement : il ne le fait que si la
roche est particulièrement affouillable et imperméable, comme l'argile, et si le sol n'est pas
recouvert par un manteau végétal. Il ne produit donc pas couramment des talwegs mais il s'agit
bien d'un processus de versant : les filets contournent les moindres obstacles, s'anastomosent,
finissent par transporter peu à peu les débris du sommet vers la base.
Le terrain, non quand il s'agit d'une roche comme le granit ou le basalte, mais quand on est
en présence d'une argile ou d'un sol épais, est capable d'absorber l'eau et peut perdre la
consistance solide. Il peut, en effet, en absorbant de l'eau, devenir plastique, c'est-à-dire qu'une
poussée peut alors le rendre mobile. Il peut même, s'il est particulièrement imbibé, se
comporter comme un véritable liquide. Dans tous ces cas, la masse qui se met en mouvement
s'arrache plus ou moins nettement à la partie amont du versant (figure 8) et descend en formant
une loupe ou même une véritable coulée boueuse constituée de bourrelets successifs et de
bossellements.
Figure 8 Glissement de terrain
La reptation, ou creeping, n'est pas un mouvement de masse comme le glissement mais une
descente grain à grain du manteau de débris. Bien entendu, il n'affecte que les formations
meubles (roches telles que les sables, sols). Il se produit sur des pentes plus faibles que le talus
d'équilibre car, si la pente dépassait celle du talus d'équilibre, les débris s'ébouleraient. Un
mouvement peut paraître paradoxal sur une pente relativement faible et, cependant, la
croissance et la mort des racines, le travail des animaux fouisseurs, les changements fréquents
de volume dus aux variations de température et d'humidité, enfin, facteur très important, le gel
et le dégel du sol (c'est alors la gélireptation), secouent imperceptiblement les débris et les font
descendre avec des vitesses, il est vrai, très faibles, de l'ordre du centimètre par siècle (figure
9, carton). On peut mettre ce mouvement en évidence en constatant par exemple que les
poteaux plantés sur une pente tendent à s'incliner, ce qui explique par le fait qu'ils sont en
profondeur ancrés dans un terrain fixe mais que le sol superficiel descend lentement comme
s'il rampait d'où le terme de reptation.
Figure 9 Versant doux couvert d'un manteau de débris
Nous savons déjà que certains versants ont un profil irrégulier et d'autres un profil régulier.
Sont irréguliers des versants sur lesquels affleurent plusieurs couches rocheuses qui n'ont pas
été encore ensevelies sous une couverture d'éboulis ; sont irréguliers aussi des versants
modelés en loupes de glissement. Mais beaucoup de pentes sont au contraire lisses. En
général, c'est qu'elles sont recouvertes par un manteau de débris.
Ce manteau de débris peut être, à la partie aval, un chaos d'éboulis que la végétation
commence à fixer et, à la partie amont, une couverture mince due à la fragmentation de la
roche et à un début d'altération. On a alors des versants lisses mais à pente forte comme c'est
souvent le cas en montagne. Un tel versant a une pente encore proche de celle du talus
d'équilibre. On l'appelle versant de Richter.
Toutefois la plupart des modelés nous montrent des versants recouverts d'un sol et pourvus
d'une pente beaucoup plus faible que celle du talus d'équilibre. Ces versants doux révèlent que
l'érosion a eu le temps de les modeler beaucoup plus que les versants de Richter. Ils sont
convexes à leur partie supérieure, concaves à leur partie inférieure, de sorte qu'ils se
raccordent progressivement avec le fond de la vallée ou avec le talweg. Entre le sommet
convexe et la base concave se place souvent un secteur en pente constante qui raccorde la
section amont et la section aval (figure 9).
Il est très difficile d'expliquer de tels profils. Bornons-nous à signaler qu'ils sont dus à des
déplacements lents de débris comme ceux que produisent le ruissellement diffus, le creeping,
le lessivage oblique. Suivant les roches, ils varient quelque peu. Quand les débris produits par
la roche sont perméables, la convexité du sommet est très développée ; c'est le cas de la craie
et du sable. Au contraire, quand les débris produits sont imperméables comme sur les versants
argileux, la concavité basale l'emporte et le secteur rectiligne médian tend assez souvent à se
modeler en loupes de glissement qui altèrent un peu la régularité. Le profil des versants varie
aussi suivant les climats. Nous verrons (chapitre 20) que des bases de versants très allongées,
presque planes, mais en pente longitudinale sensible, caractérisent les pays arides et tropicaux.
On appelle glacis ces plans inclinés de bas de versants.
On a dit que les versants convexes au sommet, concaves à la base, sont en profil d'équilibre.
On entend par là, non que leurs formes sont définitives, mais qu'il ne se produit aucune
déformation violente comme le serait un éboulement. Il y a équilibre entre la vitesse de
formation des débris par fragmentation de la roche sous le sol et la vitesse d'évacuation de ces
débris. En effet, si l'évacuation était plus rapide que la formation des débris, le versant se
dénuderait de son manteau, la roche apparaîtrait à vif et on n'au rait plus le tapis régulier. Au
contraire, si l'évacuation était incapable de soutenir le rythme de production des débris, ceux-
ci s'accumuleraient et noieraient le versant sous leur masse. Le terme de profil d'équilibre
signifie qu'il y a équilibre entre l'attaque de la roche et sa protection par le sol qui la recouvre.
Chapitre 2
Tous les bassins ne se ressemblent pas. Prenons quelques exemples ; les affluents de rive
gauche de la Garonne dans l'Armagnac nous montrent un réseau formé de cours d'eau
parallèles ou légèrement divergents, en éventail. C'est là l'image d'un réseau élémentaire, non
hiérarchisé puisqu'il n'y a, pour ainsi dire, pas de distinction entre petits et grands cours d'eau
et que tous se trouvent égaux (figure 10). Au contraire, les affluents de rive droite de la Seine
offrent un dessin complexe avec de grandes rivières, comme la Marne ou l'Oise, d'autres plus
petites comme l'Aube, des sous-affluents enfin comme l'Aisne ou la Vesle. Il y a toute une
hiérarchie ; on dit parfois que le réseau est dendritique, c'est-à-dire en forme d'arbre, avec
branches maîtresses et rameaux.
La densité des cours d'eau varie elle aussi. Rares dans des régions perméables, comme les
Causses, qui sont calcaires et où les eaux s'infiltrent en profondeur, les cours d'eau forment au
contraire un chevelu dans les régions argileuses où le moindre ravin a son ruisseau.
Figure 10 Deux types de réseau fluvial
À gauche, les affluents de rive gauche de la Garonne dans l'Armagnac sont peu
hiérarchisés. À droite, le réseau hiérarchisé des affluents de rive droite de la Seine,
jusqu'au confluent du fleuve et de l'Oise.
Certains réseaux sont coupés de lacs et semblent de véritables pays-éponges : c'est le cas du
système hydraulique de la Finlande ou de l'Irlande ; d'autres régions sont très pauvres en lacs.
La taille des bassins est elle-même très différente. Celui de l'Amazone a plusieurs millions
de kilomètres carrés. Au contraire, un continent étroit ou une île a en général des bassins
fluviaux plus petits : en Grande-Bretagne, aucun bassin ne fait plus de 12 000 km , soit la
2
Les cours d'eau diffèrent par leur taille et par leur aspect. Prenons quelques exemples :
l'Amazone, qui a 6 000 km de longueur et roule en moyenne plus de 150 000 m d'eau à la 3
seconde, a 3 km de largeur en moyenne pour son lit principal. Mais il faut encore ajouter des
chenaux parallèles, des marécages inondés pendant la moitié la plus humide de l'année. On a
affaire non seulement à un grand cours d'eau mais à tout une zone amphibie qu'on appelle la
varzea.
La Seine est un fleuve plus modeste, long d'un peu plus de 700 km, large en moyenne de
moins de 100 mètres, et elle se divise parfois en deux bras enserrant une île (comme à la Cité).
Son débit moyen est 300 fois plus faible que celui de l'Amazone.
La Durance, dans son cours inférieur, présente un lit composé de courants anastomosés
enserrant des bancs de graviers sur une largeur de plusieurs centaines de mètres (figure 11).
Son débit est comparable à celui de la Seine.
Celui du haut présente généralement un lit unique (type Seine), parfois divisé en
deux par une île ; celui du bas est formé de chenaux anastomosés (ou en tresse)
séparés par des bancs de gravier (type Durance).
Tel petit ruisseau qui n'écoule que quelques litres à la seconde et saute de pierre en pierre au
fond d'un talweg, qui ne coule que sur quelques kilomètres, représente l'exemple d'un cours
d'eau en miniature. Mais il faut bien se dire que de tels cours d'eau sont très nombreux.
Il arrive même que certains ruisseaux soient temporaires. On a montré que, dans les vallées
situées dans la région d'Étampes, c'est-à-dire à une cinquantaine de kilomètres au sud de Paris,
les cours d'eau ne coulent qu'après de fortes pluies ou après des pluies même légères si le sol,
gelé, empêche l'infiltration. On n'est pourtant pas là dans une région de climat aride !
On remarquera que deux cours d'eau de débit comparable comme la Seine et la Durance
peuvent offrir des aspects très différents. Ces différences s'expliquent par le climat, plus
spasmodique dans la région méditerranéenne de la Durance que dans le bassin de la Seine ;
elles s'expliquent aussi par le relief. La Durance, issue de montagnes élevées, a une pente plus
forte, roule des galets de grosse dimension pris à la montagne alors que la Seine ne charrie
guère que des sables et des troubles en suspension.
Suivant la roche qui constitue le fond du lit, on peut avoir affaire à une sculpture dans la
roche en place ou à un modelé dans les alluvions. Quand le cours d'eau travaille dans la roche
en place, il creuse des rainures et tourbillonne en creusant des cavités circulaires appelées
marmites de géants. Quand il modèle les alluvions, son lit est, au contraire, formé de bancs de
sable séparés par des chenaux.
Un même cours d'eau peut présenter une pente régulière de bout en bout (c'est le cas de la
Seine) ou faire alterner des biefs calmes et des sections de rapides : ce dernier cas est celui de
la plupart des fleuves africains (Niger, Congo, Zambèze, Nil, etc.).
2.1. Le torrent
Il faut réserver une place spéciale à un type de cours d'eau : le torrent (figure 12). Il s'agit
d'un organisme court, à pente forte, travaillant dans une région de terrain affouillable
(argileuse en général) et sous un climat qui lui donne un débit saccadé, des maigres alternant
avec des crues soudaines. On voit par cette définition, que le terme ne doit pas être appliqué à
de grands cours d'eau fougueux comme le Rhône car ce dernier a un débit relativement
régulier et ne travaille pas particulièrement en terrain affouillable.
La violence des actions de l'érosion sur les torrents fait de ces cours d'eau de véritables
laboratoires géomorphologiques car nous y voyons le relief se modifier sous nos yeux. Le
torrent se compose de deux ou trois parties. Les deux parties constantes sont : 1. sa longue
vallée linéaire de profil transversal « en V », le canal d'écoulement ; et 2. une espèce d'éventail
alluvial situé à l'endroit où il débouche dans la vallée principale : le cône de déjection. La
troisième partie, occasionnelle, du torrent, est le bassin de réception : c'est la zone où, par
rassemblement des eaux de plusieurs ravins-affluents, tout à l'amont, se forme le lit du torrent.
Figure 12 Les trois parties du torrent classique
3.1. Définitions
Le lit est l'espace qui peut être occupé par les eaux d'un cours d'eau. Mais cette définition
nécessairement vague appelle des précisions, parce qu'un fleuve a plusieurs lits.
Le lit majeur, ou lit d'inondation, ou encore plaine d'inondation, est toute la zone que le
fleuve inonde et qu'il peut recouvrir des « alluvions modernes » des cartes géologiques. Il est
beaucoup plus large que le lit ordinaire.
Le lit ordinaire, ou, mieux, le lit apparent, est l'alvéole bien déterminé entre des berges,
occupé par des matériaux roulés par les eaux et peu masqués, à l'inverse du lit majeur, par la
végétation ou l'occupation humaine ; mais, en temps ordinaire, tout ce lit « ordinaire » n'est
pas toujours empli d'eau, puisque des bancs de sable ou de gravier y apparaissent.
Le chenal d'étiage (on appelle étiage les basses eaux les plus marquées) n'occupe souvent
qu'une petite partie du lit apparent, surtout dans le cas de rivières de régime irrégulier, comme
la Loire ou les cours d'eau méditerranéens. Ce chenal d'étiage n'est pas limité par des berges
nettes. Même dans un lit apparent rectiligne, il sinue à l'intérieur de ce lit apparent et va d'une
berge à l'autre. Il peut aussi se subdiviser en bras plus ou moins nombreux, comme dans le cas
de la Durance (figure 11).
N. B. : nous n'employons pas le terme de lit mineur, parce qu'il prête à confusion, désignant
tantôt le lit apparent, tantôt le chenal d'étiage.
La largeur la plus définissable est celle du lit apparent, encore qu'il faille prendre garde aux
divisions de ce lit en deux, là où est enserrée une île.
3.2. Les matériaux des lits
Les matériaux des lits peuvent être soit des roches en place, soit des matériaux transportés
par le cours d'eau, c'est-à-dire des alluvions. Un cours d'eau peut couler sur un lit alluvial sans
que cela signifie qu'il exhausse son lit. Il est normal, en effet, que les matériaux du fond du lit
soient mobiles, déposés par une crue, enlevés par une autre.
Les matériaux du lit apparent ou du lit majeur ont été usés par le transport. Ils sont plus ou
moins émoussés et, s'il s'agit de cailloux, ces cailloux sont roulés ; ce sont des galets. Une
analyse granulométrique permet de connaître la taille de ces alluvions. Dans un même lit,
voisinent des limons, des sables, des galets ; ces derniers sont d'autant plus gros que le courant
qui les a transportés était plus rapide.
Les parties les plus profondes de ce chenal sont situées dans ses courbes, au pied des berges,
tandis que les parties rectilignes qui traversent obliquement le cours d'eau en allant d'une
courbe à l'autre du chenal sont moins profondes. Les parties profondes sont les mouilles ; les
parties moins profondes, rectilignes, obliques par rapport à l'axe du lit apparent, sont les seuils
(figure 13).
4. Les méandres
Le chenal d'étiage d'une rivière décrit des sinuosités à l'intérieur du lit apparent, en
particulier quand celui-ci est rectiligne. Mais le lit apparent peut aussi présenter des
sinuosités ; on n'appelle pas méandre toutes ces sinuosités, mais on réserve le terme à un tracé
qui s'écarte sans raison apparente de la direction de l'écoulement pour y revenir après avoir
décrit une courbe prononcée.
Le méandre est un trait fréquent des tracés fluviaux ; on en trouve sur des rivières calmes
comme la Seine, mais aussi sur des rivières rapides comme la Meuse dans l'Ardenne.
On peut distinguer deux types de méandres :
• les méandres de vallée, appelés aussi méandres encaissés, cas réalisé quand la vallée
méandre comme la rivière, à la même échelle ;
les méandres de plaines alluviales, appelés aussi, mais à tort, méandres libres ou
méandres divagants, cas réalisé quand les sinuosités marquées de la rivière sont
indépendantes du tracé de la vallée et à plus petite échelle.
Les méandres de vallée sont aussi fréquents que ceux de la plaine alluviale. Ceux de la
Meuse ardennaise sont peut-être les plus classiques, tandis que ceux du Mississipi ou du
Danube hongrois sont de typiques méandres de plaine alluviale.
Un méandre et même une sinuosité ont tendance à s'exagérer. En effet, le courant principal
est déporté du côté extérieur du méandre, c'est-à-dire qu'il passe tout près de la rive concave
(les termes de concave, convexe s'entendent toujours comme si la rive était regardée du chenal
d'écoulement). Dans une série de méandres, le courant vient donc lécher successivement la
rive droite et la rive gauche, en décrivant des sinuosités plus grandes que l'axe du lit apparent
et en tendant à exagérer ces sinuosités puisque le lieu des plus grandes vitesses est celui de
l'érosion maxima (figure 14) ; la rive concave se creuse donc de plus en plus, tandis que, sur la
rive convexe, le courant, trop lent pour sa charge, abandonne une partie de celle-ci et construit
une grève. La courbure s'accentue ainsi. Par ce processus, la rive concave devient abrupte,
tandis que la rive convexe, construite, est basse.
À force de s'accentuer, deux méandres voisins peuvent se recouper ; ce recoupement peut se
faire de deux façons différentes :
par débordement, quand, pendant une crue, toute la plaine est mondée et que le courant
garde après la crue le trajet rectiligne plus court plutôt que de décrire le méandre (ce
processus est évidemment impossible dans le cas de méandres encaissés) ;
par tangence (on dit aussi par contact), quand l'exagération de la courbure réduit à néant
le pédoncule (figures 15.4).
Figure 14 Exagération d'un méandre par creusement (figuré en hachures) des rives
concaves et alluvionnement (figuré en pointillé) sur les rives convexes
Tout cours d'eau, à un moment quelconque, transporte une certaine charge, composée des
troubles en suspension, de matériaux roulés sur le fond et de matériaux alternativement roulés
sur le fond et transportés entre deux eaux : dans ce dernier cas, on parle de saltation.
La charge se définit, pour chaque mètre cube d'eau, par son poids total et par son calibre.
Tous les matériaux, dans un mètre cube d'eau pris au hasard, n'ont pas le même calibre : il y a
des limons, des sables et peut-être des galets, voire des blocs.
À un moment quelconque, en un point quelconque de son cours, tout cours d'eau a une
certaine puissance. Cette puissance dépend de la masse d'eau, c'est-à-dire du débit, et de la
vitesse. La vitesse dépend elle-même de la pente longitudinale du lit. Une partie de la
puissance du cours d'eau est utilisée par le transport de la charge c'est-à-dire des limons,
sables, galets, transportés ; une autre partie est utilisée par des frottements internes, ceux qui se
produisent entre les filets d'eau et tout particulièrement quand la rivière présente des
tourbillons. Si la puissance absorbée par le transport de la charge combinée à la puissance
absorbée par les frottements internes de l'eau, n'est pas suffisante pour épuiser toute la
puissance du cours d'eau, le surplus disponible est employé à l'érosion du lit : le cours d'eau a
en effet assez de force pour creuser. On appelle la puissance totale la puissance brute ; on
appelle puissante nette celle qui reste quand on a défalqué de la puissance brute celle
qu'absorbent le transport de la charge et les frottements internes ; autrement dit, la puissance
nette est celle qui est utilisée à éroder.
Si la puissance brute est juste suffisante pour le transport et les frottements, la puissance
nette est nulle : le cours d'eau est incapable de creuser ; si la puissance brute n'est pas
suffisante pour le transport et les frottements internes, le cours d'eau non seulement ne peut
pas creuser, mais il est obligé d'abandonner une partie de sa charge : il dépose.
Nous avons déjà des exemples de cours d'eau creusant (le torrent dans son bassin de
réception) et de cours d'eau remblayant (le torrent sur son cône de déjection) mais tous les
cours d'eau, à des échelles diverses, creusent en tel endroit, remblaient en tel autre, et
régularisent leur cours. En effet, un cours d'eau n'est pas libre de modifier son débit qui lui est
donné par son bassin-versant, lequel reçoit les pluies ; il n'est pas libre non plus de modifier
instantanément sa charge mais il peut en revanche modifier sa pente en creusant ou déposant,
donc modifier sa vitesse pour retrouver l'équilibre dont nous avons parlé.
Chaque section où s'effectue le creusement tend à remonter vers l'amont, pour des raisons
difficiles à expliquer ici. On dit que l'érosion est régressive. On en a la preuve, par exemple
dans le recul des grandes cascades, telles que la chute du Niagara. Les ravinements qui se
créent dans les champs lors d'un orage et qui sont comme de petits cours d'eau expérimentaux
tendent à se propager vers le haut à l'orage suivant. Au changement d'échelle près, il en est de
même sur les fleuves et les rivières (figure 16).
Figure 16 Recul d'une rupture de pente par érosion régressive
Chaque cours d'eau creuse une gorge à partir de l'escarpement initial EE'. La
rupture de pente est parvenue sur les profils aux points R , R .
1 2
L'aménagement du cours, section par section, par creusement des pentes trop déclives et
remblaiement de celles trop douces, donne au cours d'eau sa pente d'équilibre. Un cours d'eau
qui a en tout point la pente d'équilibre est dit en profil d'équilibre (figure 17). Nous
considérons le profil de la surface de l'eau courante et non celui du fond de lit, qui présente de
nombreuses contre-pentes.
1. Capture et déversement
Soit deux cours d'eau proches 1 et 2 coulant à des niveaux différents (figure 18), 2 se
trouvant perché au-dessus du cours de 1. Sur le territoire qui sépare les deux cours, les
affluents de 1, de pente plus forte que ceux de 2, vont reculer leur tête par érosion régressive.
Un affluent de 1, que nous nommerons 3, va ainsi reculer sa source jusqu'à atteindre le cours
de la rivière 2 en un point C. La pente de 3 étant forte, le cours de 2 va s'engouffrer dans celui
de 3 et se jeter dans 1. Il va creuser le cours et consolider sa capture.
On appelle 1 cours d'eau bénéficiaire, 3 cours d'eau conquérant (ou de soutirage), 2 cours
d'eau tronçonné, le cours de 2 en amont de C cours capturé. Le coude du nouveau cours d'eau
en C est le coude de capture. Sur l'ancien cours de 2, immédiatement en aval de C, la vallée
est sans rivière : on l'appelle vallée morte.
Soit des cours d'eau 1 et 2 de même disposition que dans le cas précédent (figure 19). Si le
cours d'eau 2 est au-dessous de son profil d'équilibre (bien qu'il soit au-dessus du cours d'eau
1), par exemple dans le cas où une charge anormalement forte lui vient de l'amont, il exhausse
son lit et peut remblayer sa vallée jusqu'à un niveau supérieur à celui des cols les plus bas
séparant son bassin de celui du cours d'eau 1. Oscillant sur sa plaine de remblaiement, comme
un torrent sur son cône de déjection, il pourra ainsi obliquer vers le bassin du cours d'eau 1 ou,
comme on dit, s'y déverser, sans que le travail des cours d'eau du bassin du cours 1 y soit pour
rien. Une fois le déversement effectué, la dénivellation augmentant, le cours d'eau qui vient de
se constituer creuse et consolide son nouveau tracé.
Figure 18 Capture proprement dite (par recul de tête)
Figure 19 Déversement
2. La hiérarchisation du réseau
Les captures et les déversements tendent à une hiérarchisation du réseau. En effet, soit une
pente uniforme : le réseau originel suit la pente en cours parallèles, comme on le voit sur un
talus argileux après un orage. La disposition hydrographique de l'Armagnac, déjà mentionnée,
en donne un exemple approché.
Mais les conditions ne sont pas strictement uniformes sur tous ces cours d'eau équidistants ;
un avantage peut naître pour l'un d'entre eux d'une alimentation légèrement plus abondante, ou
d'une lithologie moins résistante. Dès lors, le cours d'eau avantagé va tendre à devenir
conquérant, car il creuse plus que ses voisins et les menace de capture. Chaque capture
augmente son débit et accroît son avantage ; ainsi les avantages du cours d'eau font boule de
neige, et le réseau du conquérant s'étend de proche en proche.
Toutefois, le réseau conquérant ne va pas s'étendre indéfiniment. Il se heurtera à des
barrières de roches dures, à des mouvements orogéniques qui tendront à créer sur les faîtes
tectoniques de nouvelles lignes de partage.
En même temps que le réseau s'élargit et que se constituent les grands bassins fluviaux, les
continents s'usent. En effet, ils perdent constamment des matériaux. Même si l'alluvionnement
exhausse momentanément une petite zone comme le cône de déjection dans la vallée alpine, la
résultante des actions fluviatiles est à sens unique : les matériaux vont finalement de l'amont à
l'aval pour se déposer au fond des mers ; les altitudes d'ensemble diminuent ; on tend vers un
aplanissement.
Le travail d'usure régulière peut être perturbé par des mouvements tectoniques et même par
des changements de climat. La marche vers l'aplanissement exige une grande stabilité du
terrain pendant une longue période ; elle peut tout au plus tolérer des mouvements tectoniques
lents, de vitesse inférieure à celle du creusement fluvial. Mais des mouvements rapides
(soulèvements, déformations accompagnées parfois de failles et de plis) perturbent ou brisent
le profil d'équilibre, et l'érosion n'arrive pas à rétablir une évolution conforme à ce qui vient
d'être indiqué, des creusements et des remblaiements locaux s'exerçant de façon en apparence
brouillonne au gré des changements de pente. Même problématique en ce qui concerne des
évolutions de climat, modifiant les débits et les charges fluviatiles.
Il y a des types divers de comportements régionaux. Un espace assez stable comme le
Bassin parisien s'oppose au monde méditerranéen, domaine de tectonique active avec des
soulèvements, des affaissements, des failles cisaillantes, l'œuvre fluviale d'aplanissement ne
s'étant exercée que dans des secteurs limités. Quand les mouvements datent du Quaternaire, on
parle de néotectonique.
Au cours de l'histoire géomorphologique, une région peut traverser des périodes calmes et
des périodes de mouvements tectoniques. Que se passe-t-il si les périodes calmes sont longues
et les périodes de mouvements brèves ? C'est ce qu'a considéré comme le cas général, vers la
fin du XIX siècle, le géomorphologue américain William Morris Davis (1850-1934) en
e
admettant que les périodes de mouvements faisant ressurgir le relief sont intenses, mais de
courte durée par rapport au lent et tenace travail de l'érosion et qu'elles mettent ainsi
brusquement fin à l'œuvre d'aplanissement, de sorte qu'elles font recommencer l'érosion
fluviale. Davis a appelé cycle d'érosion l'ensemble « période mobile / période stable ». En fait,
on a tendance à appeler cycle d'érosion la seule phase d'aplanissement progressif. Nous
l'étudierons d'abord, parce qu'elle clarifie quelques données simples, mais elle n'est pas un cas
universel : il faudra ensuite introduire quelques complications usuelles.
Nous supposerons que, dans une région, un mouvement rapide vient de plisser le relief ou
de le soulever au-dessus du niveau de base. Après un tel mouvement tectonique, les fleuves
s'encaissent ou remblaient suivant les lieux. Les versants sont irréguliers (figure 22A). C'est le
stade de la jeunesse. Peu à peu, les profils en long se régularisent, les pentes d'ensemble
s'adoucissent, mais les dénivellations restent bien marquées et les croupes abondent (figure
22B). C'est la maturité. Finalement, la région devient une succession d'interfluves surbaissés
recouverts d'un tapis continu de débris altérés et séparés par des vallées à fond alluvial. C'est le
stade de la vieillesse (figure 22C).
Figure 22 Trois stades d'un cycle d'érosion
4. La pénéplaine
Après un temps très long (plusieurs millions d'années vraisemblablement, pour des roches
de résistance moyenne), si aucun accident n'est venu contrarier l'évolution du cycle, le relief
est réduit à une surface sans grandes dénivellations. C'est la pénéplaine.
Une pénéplaine est un ensemble de talwegs et d'interfluves. Ceux-ci, du moins sous un
climat tempéré, doivent présenter des pentes encore sensibles : les pentes limites pour que les
agents du modelé des versants soient encore actifs (creep, ruissellement diffus). Les talwegs
peuvent en revanche présenter une topographie aussi plane que possible puisqu'un manteau
d'al luvions les occupe ; mais leurs pentes longitudinales ne sont pas nulles : il reste encore, en
effet, une charge à évacuer.
L'érosion ne saurait aboutir à un aplanissement parfait, du moins sous climat tempéré ; on
ne peut admettre la réalisation d'une véritable plaine d'érosion que sous un climat tropical à
longue saison sèche et les topographies d'érosion parfaitement aplanies qui peuvent être
conservées sous climat tempéré sont les restes d'une époque où régnait un climat tropical.
Les pénéplaines présentent même parfois des reliefs sensibles, résiduels. Du nom de l'un
d'eux, un sommet de la Nouvelle-Angleterre, aux États-Unis, on les appelle des monadnocks
(figure 22C). Il s'agit de buttes surbaissées se raccordant progressivement, à la base, avec la
surface générale de la pénéplaine. Ils sont dus soit à la dureté particulière de la roche qui les
constitue (monadnocks dits de résistance), soit à leur éloignement par rapport aux vallées
principales, à leur situation sur des lignes de partage des eaux (monadnocks dits de position).
Une plaine d'érosion tropicale présente aussi, on le verra, des reliefs, aux versants
particulièrement vigoureux et ne se raccordant pas à la surface de la pénéplaine, mais
s'enlevant brusquement au-dessus d'elle : ce sont les inselbergs (chapitre 20.1.3). Beaucoup de
monadnocks actuels sont vraisemblablement d'anciens inselbergs, vestiges d'une époque où le
relief des pays aujourd'hui tempérés était modelé sous un climat tropical à longue saison
sèche, mais des inselbergs dont les versants se sont adoucis, depuis lors, sous climat plus frais.
Il n'existe pas de pénéplaine en rapport avec le niveau de base actuel ; c'est que le niveau de
base actuel s'est fixé à une époque très récente alors que le développement d'une pénéplaine
nécessite un temps très long. Les pénéplaines que l'on observe dans les massifs anciens de
l'Europe occidentale datent du Primaire, du Secondaire ou du début du Tertiaire. Elles ont été
soulevées par les mouvements tectoniques de la fin du Tertiaire, mouvements qui leur ont valu
d'être reprises par l'érosion, réentaillées par des vallées encaissées qui tendent à détruire le
relief de pénéplaine. Ainsi s'expliquent les surfaces du Massif Central français, du Massif
Schisteux rhénan, qui dominent de 100, 200, 500 mètres et plus les gorges qui les entaillent.
Il ne faut pas considérer leurs quelques centaines de mètres d'altitude comme un résidu des
quelques milliers de mètres de la chaîne hercynienne, mais leur évolution les a fait passer par
un stade d'aplanissement presque total (altitude : quelques mètres ou quelques dizaines de
mètres), puis par une phase d'exhaussement massif, qui leur a donné leur altitude actuelle
(rajeunissement).
Puisque les portions de pénéplaines qui subsistent sont des surfaces anciennes, comment
dater leur élaboration ? C'est ici que le géomorphologue doit se faire détective et chercher des
pièces à conviction ! Une pénéplaine qui tranche des couches plissées par les mouvements
hercyniens de la fin du Primaire et qui est recouverte par des couches de grès déposé au début
du Secondaire, est évidemment postérieure aux mouvements de la fin du Primaire et antérieure
aux dépôts des grès qui l'ont fossilisée au début du Secondaire (figure 23). Elle date donc de la
limite entre le Primaire et le Secondaire. C'est une pénéplaine posthercynienne et prétriasique
(le Trias est le début du Secondaire).
Il y a bien d'autres moyens de dater une pénéplaine, mais il s'agit là d'une recherche difficile
que l'on ne peut aborder ici.
Figure 23 Datation d'une pénéplaine
5. Les lacs
Les lacs, même naturels, apparaissent toujours comme des perturbations du profil fluvial. Il
y en a de toutes tailles, surtout si on compte parmi eux des étendues d'eau dites à tort « mers »,
comme la Mer Morte ou la Caspienne. Cette dernière occupe une superficie de 395 000 km 2
(les trois quarts de la France). Sa profondeur maximale dépasse 1 000 mètres, mais, sur ce
point, elle ne détient pas le record, qui appartient au lac Baïkal (1 637 m).
Classer les lacs d'après leur origine est une délicate entreprise. Il est commode de distinguer
les lacs dus à un barrage naturel (coulée de lave, moraines, éboulement d'un versant) et ceux
établis dans la roche en place (lacs tectoniques, lacs de surcreusement glaciaire, lacs de
cratère). Une origine mixte est fréquente. Les plus grands lacs sont d'origine tectonique (fossé,
vaste gauchissement) ou occupent la place d'une ancienne calotte glaciaire.
Les lacs se réduisent par comblement alluvial (aidé par les débris végétaux) et par
creusement de l'exutoire. Leur longévité varie grandement de l'un à l'autre.
Chapitre 5
Considérons une région qui a été aplanie au point d'être devenue une pénéplaine. Les cours
d'eau y coulent lentement, creusent à peine, déposent à peine. Supposons que des mouvements
tectoniques soulèvent l'ensemble de la région. L'érosion va s'activer, à la fois régressivement et
globalement ; on passera par les stades de maturité et de vieillesse. Une nouvelle pénéplaine se
substituera finalement à l'ancienne (figure 22, p. 45).
Mais, tant que le travail de la nouvelle vague d'érosion régressive n'a pas atteint un degré
d'évolution avancé, il subsiste dans la région de larges portions de l'ancienne pénéplaine. La
forme récente, en voie d'élaboration à partir de l'aval, est littéralement emboîtée dans ce qui
subsiste de l'ancienne pénéplaine. Sur le profil en long des fleuves, et peut-être de leurs
affluents, on distingue une rupture de pente correspondant à l'endroit où est parvenue, dans sa
remontée, la nouvelle vague d'érosion régressive.
Supposons qu'une pénéplaine déjà constituée se déforme en cuvette (figure 24). Dans la
partie amont, la pente du cours d'eau principal augmente ; il se met à creuser comme dans le
cas précédent et tend à créer une gorge puis un relief de maturité évoluant vers la pénéplaine.
Mais, en creusant, il se charge des matériaux qu'il a arrachés. Or, dans la partie centrale, sa
pente s'atténue et même, dans sa partie aval, une contre-pente tend à se constituer. Si le
relèvement des bords de la cuvette était instantané, un lac se formerait. En fait, le lac n'a pas le
temps de naître parce que le cours d'eau, dont la force vient d'être ralentie par la modification
de pente, se met à alluvionner, à déposer les matériaux pris à l'amont : il tend à reprendre son
profil d'équilibre en exhaussant sa pente grâce au remblaiement. L'ancienne pénéplaine se
trouve donc à l'amont détruite par érosion et, plus en aval, fossilisée sous le nouveau
remblaiement.
Figure 24 Réaction d'un profil fluvial dans le cas d'une déformation en cuvette
Imaginons une pénéplaine. Les cours d'eau y coulent en profil d'équilibre. Si le climat
devient brusquement plus humide et la couverture végétale bien fournie, protégeant assez le
sol pour que peu de débris s'arrachent aux versants, le débit du cours d'eau augmente, et par
conséquent sa puissance également. Or, sa charge n'augmente pas en proportion, puisque les
versants livrent peu de matériaux. Le cours d'eau est donc doué d'une puissance nette de plus
en plus grande qui lui permet de creuser.
Ainsi, sans qu'il y ait de mouvement tectonique, un simple changement de climat peut
modifier le rapport charge-débit et conduire à un creusement. On peut aussi imaginer qu'un
climat devienne plus sec, que les versants, de moins en moins protégés par la végétation,
livrent de plus en plus de débris à un cours d'eau de débit de plus en plus indigent et que, à
l'inverse du cas précédent, on ait affaire à un remblaiement.
Supposons maintenant qu'un réchauffement du climat à partir de demain fasse fondre tous
les glaciers des régions polaires et notamment la grande calotte du continent Antarctique. Le
niveau des mers augmenterait de quelques dizaines de mètres. La pente des cours d'eau, en
conséquence de l'exhaussement du niveau de base, se trouverait diminuée dans la partie aval et
le cours d'eau se mettrait à remblayer. Si les principales capitales du monde comme Londres,
Tokyo ou Paris, ne se trouvaient pas noyées sous les eaux, elles disparaîtraient à coup sûr sous
les alluvions déposées !
On appelle mouvement eustatique une telle dénivellation générale du plan d'eau des océans
et des mers (évidemment sans rapport avec le phénomène quotidien ou biquotidien de la
marée). L'exemple précédent nous a montré un mouvement glacio-eustatique. Un semblable
mouvement du niveau de base s'est produit entre 10 000 ans et 5 000 ans avant nous, quand le
climat, après la dernière époque glaciaire, s'est réchauffé. On l'appelle la transgression
flandrienne (transgression = avancée de la mer).
Les quatre exemples qui précèdent montrent que les causes remettant en question le
déroulement du cycle d'érosion peuvent être multiples.
Claude Klein, étudiant l'Ouest du Bassin parisien et l'Est du Massif armoricain, est arrivé
aux conclusions suivantes. Pendant la fin de l'ère secondaire et l'ère tertiaire, la région ne s'est
jamais figée dans une immobilité totale : le schéma du cycle d'érosion n'a donc pu se réaliser
et l'érosion a travaillé d'une façon acyclique. Mais les mouvements tectoniques ont été lents et
d'ampleur modérée. Certains secteurs, doucement déprimés, ont subi des accumulations
comme celle de l'argile à silex : c'est l'aggradation. D'autres ont été légèrement recreusés de
bout en bout, assez lentement pour que les versants s'évasent au fur et à mesure du creusement,
mais il ne s'est pas produit de pénéplanation : c'est la regradation.
L'évolution des régions de grande instabilité, où des mouvements tectoniques basculent ou
faillent le terrain, est également acyclique.
Géographie structurale
Chapitre 6
Introduction
LA GÉOGRAPHIE STRUCTURALE, on l'a vu, comprend l'étude de la nature des matériaux (la
lithologie) et aussi l'étude de leur disposition. Il importe de connaître les caractères originaux
des roches et d'abord de les classer d'un point de vue morphologique. Mais il convient de faire
précéder cette étude de quelques définitions.
On ne peut définir le terme roche que par rapport à deux autres termes : minéral, sol.
1.1. Minéral
Un minéral est une portion de matière solide, de composition définie, constante. Ainsi, le
quartz est un minéral. Il a une composition chimique fixe : c'est du dioxyde de silicium, SiO . 2
Les feldspaths, qui sont des silicates d'alumine calciques, potassiques, sodiques, sont des
minéraux. L'amphibole, silicate ferro-magnésien, est aussi un minéral. Même s'il existe
plusieurs variétés d'un minéral donné, comme c'est le cas le plus fréquent (notamment pour les
amphiboles et les feldspaths), chaque variété a sa composition chimique bien déterminée ; elle
est une combinaison chimique et non un mélange.
Un minéral peut se présenter à l'état cristallin ou à l'état amorphe :
• État cristallin : les atomes sont disposés en réseau selon une périodicité (figure 28)
qu'on a comparée de façon très heureuse à celle des soldats à la revue, ou à celle des
gymnastes sur un stade. Chacun peut se déplacer, mais selon les limites imposées par
la conservation de la figure d'ensemble. Le cristal a donc une forme propre (cube,
rhomboèdre, etc.) et des propriétés optiques propres : la lumière ne s'y transmet pas de
la même façon dans toutes les directions. C'est d'ailleurs cette propriété qui permet
d'identifier avec précision les cristaux, même microscopiques. On pratique dans
l'échantillon une « lame mince » c'est-à-dire une coupe d'une épaisseur assez faible
(25 micromètres, par convention) pour être transparente, et on l'observe au
microscope polarisant, c'est-à-dire en la faisant traverser par une lumière qui ne vibre
que dans un plan, ou même par une lumière qui n'arrive à l'œil qu'en profitant des
propriétés optiques des cristaux et qui, sans le cristal, serait entièrement tarie.
Figure 28 Un type de structure cristalline : atomes disposés en réseau
1.2. Roche
Une roche est une portion quelconque de l'écorce, portion qui présente seulement une
homogénéité relative. Elle comprend plusieurs minéraux juxtaposés, sous la forme cristalline
ou amorphe, chaque minéral se présentant sous sa forme originelle ou fragmenté en débris.
Exemples : le calcaire, le granit. Ainsi, le granit est formé de quartz, de feldspath (deux types
de feldspath le plus souvent) et de mica noir. Il peut aussi contenir d'autres minéraux. Dans un
même granit, l'association des minéraux varie entre certaines limites étroites, qui donnent au
granit en question son homogénéité. Mais elle n'est pas absolument fixe, tandis que chaque
minéral a sa composition fixe quelle que soit l'association.
Les roches se débitent suivant des joints, appelés diaclases (figure 29), qu'il ne faut
confondre ni avec des cassures tectoniques (fractures ou failles suivant que la cassure
dénivelle ou non la roche), ni avec les plans de stratification séparant certaines couches. Les
diaclases semblent dues tantôt aux conditions de refroidissement des masses éruptives, tantôt
aux relâchements de pression pendant les efforts tectoniques, tantôt aux conditions de
consolidation des sédiments après leur dépôt.
Figure 29 Diaclases, couches, cassures tectoniques (fractures et failles)
On se souvient que roche ne signifie pas roc ; en d'autres termes, l'appellation roche
n'implique pas une dureté particulière. Le sable, l'argile sont des roches aussi bien que le
granit.
1.3. Sol
Quant au sol, c'est une altération superficielle de la roche. Il en a été question au chapitre 1.
On convient de réserver le nom de coupe à une succession de roches telle que les fait
apparaître une tranchée ; on dira que la coupe révèle par exemple plusieurs couches
horizontales. Quand il s'agit d'un sol, on parle au contraire d'un profil, qui fait apparaître
plusieurs horizons. Ces deux derniers termes sont évidemment mal choisis, puisqu'ils
désignent des successions suivant un ordre vertical, celui des parois d'une tranchée, et que rien
dans un profil de sol ne se « profile » sur l'« horizon ». Mais la convention est assez
solidement établie pour qu'on la respecte et pour qu'on parle sans sourciller de l'horizon
profond d'un sol.
Un sol a une profondeur variable, de quelques centimètres à quelques mètres : des valeurs
variant entre 30 centimètres et 1, 50 mètres sont habituelles. Mais il peut être réduit à rien, si,
par exemple, le ruissellement a emporté toute la terre, ou à quelques microns, si la roche
commence à peine à s'altérer en surface, juste assez pour accueillir des lichens. L'expression
relief du sol est à éviter, dans le sens de relief terrestre (de même, celle de structure du sol dans
le sens de structure géologique). On ne peut parler de relief du sol que si l'on veut désigner les
irrégularités dues au sol proprement dit ou modelées aux dépens d'un sol proprement dit.
Parallèlement, structure du sol désigne la texture de la formation superficielle de
décomposition ; exemple, le tchernoziom, sol noir de la steppe russe et ukrainienne, a une
structure grossière, parfois prismatique. On peut toutefois employer sol, comme le font les
géomètres, dans le sens de surface, surface cadastrée.
1. Quelques définitions
On dit que deux couches sont concordantes quand la couche supérieure repose directement
sur le « dos » de la couche inférieure, sans qu'aucun épisode de ravinement ou de plissement
se soit manifesté entre le dépôt des deux couches. On appelle série un ensemble de couches
concordantes (figure 30A).
Une couche repose sur la précédente en discordance quand sa base paraît recouper la couche
précédente, autrement dit quand une phase d'érosion ou de plissement sépare le dépôt des deux
couches. En général, la surface de discordance recoupe plusieurs couches (figure 30B).
Une transgression est une avancée de la mer. Elle dépose des sédiments marins sur un
subtratum continental.
Les géomorphologues ne classent pas les roches sédimentaires exactement comme les
géologues. Nous avons déjà vu qu'ils séparent les dépôts superficiels (dunes, moraines, etc.) et
les roches sédimentaires proprement dites. Ils opposent aussi, en raison du modelé différent
qu'elles donnent, les roches à grains et les roches homogènes construites dont les principales
sont les calcaires. Parmi les roches à grains, les unes ont un ciment liant ce grain (c'est le cas
des grès ou des poudingues) ; d'autres sont formées au contraire de grains indépendants, non
liés (argile, sable).
2.1. Classification
Lorsque les grains ne sont pas cimentés, on classe les roches selon la grosseur de ces grains,
selon un critérium qui se trouve donc être purement physique.
Il existe plusieurs classifications d'après la dimension des grains. Voici la plus simple :
• Grains de plus de 200 mm de longueur : blocs
Grains compris entre 20 mm et 200 mm : galets ou cailloux
Grains compris entre 2 mm et 20 mm : gravier
Grains compris entre 0,2 mm et 2 mm : sable grossier
Grains compris entre 20 µm et 200 µm : sable fin (micron se dit aussi micromètre)
Grains compris entre 2 µm et 20 µm : limon
Grains plus petits que 2 µm : argile, qui, par les dimensions de ses grains, est susceptible
de former des solutions colloïdales.
Les grains plus petits que 50 µm représentent, dans les arènes, la fraction fine, qu'il est
intéressant d'évaluer.
Il va sans dire que, dans la nature, toutes les formations ne sont pas calibrées, et que,
souvent on se trouve en présence d'une roche dont les constituants sont de dimensions
variables. L'étude de la dimension des grains s'appelle la granulométrie. On représente la
composition granulométrique d'une formation géologique par un graphique. Le plus souvent
on met en abscisse la taille des grains suivant une progression logarithmique ; en ordonnées,
on figure les pourcentages cumulés de chaque taille suivant une échelle arithmétique. La
figure 31 montre une formation bien classée car il existe très peu de grains de moins de 1
millimètre et très peu de grains supérieurs à 1,5 millimètre, parce que toute la formation est
constituée d'éléments dont le calibre est compris entre ces deux valeurs. Au contraire, le
graphique suivant (figure 32) représente une formation constituée de grains de tailles
différentes (on dit qu'elle est hétérométrique, alors que la première était homométrique). On
peut donc avoir affaire à une formation de cailloux emballés dans des limons ou à une
formation mélangeant des sables et des argiles.
Figure 31 Courbe granulométrique d'une formation bien calibrée, « homométrique »
Figure 32 Courbe granulométrique d'une formation mal calibrée (« hétérométrique »)
1/4 du poids de ses grains ont moins de 0, 7 mm, 1/4 entre 0, 7 et 2 mm, 1/4
entre 2 et 5 mm, 1/4 plus de 5 mm.
L'étude de la taille ne suffit pas à caractériser une roche à grains. Il faut tenir compte de la
composition géologique de ces grains (s'agit-il de quartz, de morceaux de calcaire, etc. ?). Il
faut aussi tenir compte de la forme et de l'aspect des grains. C'est ce qu'on appelle la
morphoscopie. On convient, quand il s'agit de sable, de quartz, de distinguer les grains non
usés (ceux qui n'ont subi que peu de transport), les grains émoussés luisants (ils ont subi un
long transport dans l'eau fluviale ou marine), les grains ronds mats (ils ont subi un transport
éolien et les chocs à sec pendant ce transport ont occasionné de multiples cassures
microscopiques en étoilement, de sorte que le grain ne brille pas), les grains corrodés par des
eaux tièdes.
Quand il s'agit de galets ou de cailloux, on étudie le degré d'émoussé. Si l'émoussé est nul,
on parle de cailloux ; s'il est sensible, il s'agit de galets. Le degré d'émoussé de galets se
mesure en posant le galet à plat (figure 33). On l'exprime par un indice qui est le rapport entre
le diamètre du cercle de la plus petite courbure du galet et le plus grand axe de ce galet ou, ce
qui revient au même, entre deux fois le rayon de la petite courbure et le grand axe en
question :
Toutes ces méthodes peuvent s'appliquer aussi bien à des roches sédimentaires proprement
dites qu'à des dépôts superficiels ; on peut même (et on le fait couramment) étudier la
granulométrie d'un sol. On remarquera d'ailleurs que les termes géologiques qui désignent les
roches à grains s'emploient aussi pour les débris provenant d'une altération : s'il y a en effet
des argiles et des sables qui sont des roches sédimentaires proprement dites déposées en séries
de strates, d'autres sont, au contraire, le résultat d'altérations chimiques sur place (argile
surtout) ou de désagrégation mécanique (sable surtout). Mais nous n'allons étudier ici que les
argiles ou les sables constituant des roches sédimentaires proprement dites.
Le galet a été posé à plat, de sorte que le plan de représentation indique la plus
grande largeur l ; e est l'épaisseur, L la longueur, r le plus petit rayon de
courbure.
Les sables sont formés, en général, de grains de quartz parce que le quartz est résistant,
pratiquement inaltérable, et que l'altération a enlevé les autres éléments. Le quartz est
extrêmement résistant parce qu'il est dur, mais le sable ne peut pas être considéré comme une
roche résistante parce que chaque grain peut être entraîné par rapport au suivant : le sable est
meuble, surtout quand il est sec, sauf quand il est emballé dans une manière argileuse liante ou
quand il est gelé. Un sable compacté est une arénite.
Les versants sableux sont très convexes car ils sont surtout modelés par le creeping ;
cependant, en climat sec ou sur les littoraux dépourvus de végétation, le sable se modèle en
dunes, comme on l'étudiera en géomorphologie climatique.
Le sable est perméable puisque l'eau s'infiltre entre les grains. Cependant, comme les
interstices entre les grains sont réduits, il est vite saturé en cas de pluies abondantes et l'eau
dans les talwegs constitue alors des ruisseaux temporaires.
Sous certains climats, des actions chimiques peuvent contribuer aussi à l'imperméabilité du
sable malgré la perméabilité originelle. Ainsi, sous climat frais, il se forme un sol compact, le
podzol, qui accentue l'imperméabilité. Le sol des Landes de Gascogne, pays marécageux, est
un typique podzol.
2.3. Les argiles
Les argiles sont, à l'inverse des sables, très imperméables parce que les espaces entre leurs
grains sont encore plus faibles et surtout parce que l'eau et l'argile forment pâte, l'eau
s'immisçant entre les feuillets microscopiques qui constituent les molécules d'argile. Il y a
donc, dans les régions argileuses, tout un chevelu hydrographique.
Puisqu'elle forme pâte avec l'eau, l'argile peut solifluer ; mais il faut, pour cela, que la
pénétration de l'eau soit profonde ce qui est rare en raison de l'imperméabilité. L'argile ne
soliflue vraiment que si elle inclut des bancs plus grossiers qui forment niveau d'eau.
En général, l'eau qui ruisselle sur l'argile l'entaille facilement. Elle ravine les régions
argileuses ; dans les régions aux pluies rares et violentes, pauvres en végétation, des ravins
ramifiés, très étroits et très rapprochés, profonds de quelques mètres, séparés par des crêtes
relativement aiguës, forment un paysage où l'on circule mal et que l'on nomme bad-land (du
nom des Bad-Lands du Dakota, aux États-Unis). Sur les pentes très fortes, l'argile donne des
loupes, bosselant tout le versant. En effet, le creeping proprement dit se fait mal puisque les
grains sont liés les uns aux autres.
Sur les terrains absolument plats, le ravinement a peu de prise et le glissement est inconnu.
C'est le cas d'anciens fonds de mers argileux comme celui de la mer Champlain au Canada. La
mer Champlain, qui a recouvert les parties basses du pays peu après la dernière glaciation, a
aujourd'hui disparu, mais ses argiles forment de grandes plaines unies. Analogues aux argiles
Champlain et de même époque, les argiles à Yoldia (fossile caractéristique) constituent de
grandes plaines sur le pourtour de la mer Baltique.
Quand l'argile se dessèche, elle se fend et se craquelle. Mais que survienne l'orage et l'eau
pourra l'imbiber jusqu'à une bonne profondeur, facilitant glissement ou ravinement.
Les marnes sont des argiles qui contiennent une certaine proportion de calcaire ; quand elles
ne sont pas trop calcaires, elles évoluent à peu près comme des argiles.
Conglomérats et grès sont en général coupés de diaclases et l'érosion exploite les zones
faibles que sont ces diaclases en les élargissant. Ils s'éboulent donc par pans verticaux car ils
sont cohérents en raison de leur cimentation. Entre les diaclases qui s'élargissent, subsistent
donc des avancées de tracé festonné et des buttes (photographie 4, p. 54). Sur les pentes
verticales, des blocs parallélépipédiques s'éboulent. D'où un paysage pittoresque de chaos
dominé par des piliers. Les grès altérés ont un chimisme particulier caractérisé par la
fréquence des enduits ferrugineux.
De vastes régions sont constituées de grès : grands plateaux du Brésil, du Sahara (Tassili) et
de l'Afrique tropicale, Arabie, Nord des Vosges, etc.
Suivant la nature du ciment, les grès sont plus ou moins résistants ; les plus résistants (sauf
au gel intense) sont ceux dont non seulement les grains sont siliceux mais aussi le ciment : ce
sont les quartzites. Mais en général ces quartzites très durs, capables de donner des crêtes, sont
des roches métamorphiques (voir chapitre 9).
Chapitre 8
1. Composition et propriétés
Les calcaires sont des carbonates de chaux (CaCO ) plus ou moins impurs. Le carbonate de
3
chaux est soluble dans l'eau chargée d'acide carbonique. Et l'eau pénètre facilement dans les
couches calcaires parce qu'elles sont fissurées (le calcaire n'est pas perméable sur un petit
espace, de quelques centimètres carrés, mais l'est à grande échelle à cause de ces fissures).
Ainsi, les régions calcaires sont érodées par dissolution. Seules restent sur place des impuretés
non solubles, qui ne constituent en général qu'une faible partie de la roche.
Les calcaires non karstiques sont les plus impurs. En voici quelques exemples.
La meulière est un calcaire siliceux qui provient d'une dissolution du carbonate de calcium
et du dépôt immédiat de la silice sur la paroi des cavités de dissolution. C'est une roche
imperméable (la seule roche calcaire imperméable), très résistante, capable de donner des
plateaux à bords raides, comme dans les environs de Paris.
La craie, roche particulièrement bien représentée dans l'Europe du Nord-Ouest depuis le
Bassin de Paris jusqu'au Bassin de Londres et aux îles danoises, est un calcaire à grain fin,
poreux, léger, friable et se tassant facilement ; elle est souvent marneuse, ce qui accroît encore
sa disposition au tassement. Le relief de la craie est extrêmement divers. Elle est capable de
donner, quand elle est sapée par les vagues, des falaises qui reculent très vite, parce qu'elle est
tendre, mais assez compacte pour s'ébouler par pans entiers. Elle donne, dans le relief
continental, des croupes convexes parce que ses débris sont de petits fragments anguleux
sujets au creeping mais non au ruissellement. Entre ces croupes, les talwegs sont des vallées
sèches (sans cours d'eau) en berceau ; dans certaines régions comme la Champagne dite
Pouilleuse, la craie, lors des périodes froides du Quaternaire, s'est montrée particulièrement
sensible au gel. Elle a alors formé de longs versants peu déclives (3 à 4 % en moyenne) sur
lesquels s'est étendue une nappe de fragments anguleux emballés dans une argile.
Le flysch est une alternance de lits calcaires et de lits marneux, chacun d'une épaisseur de
l'ordre du mètre, une sorte de feuilletage marno-calcaire (souvent gréseux). Il se présente en
épaisses accumulations synchroniques de la formation des chaînes alpines et constituées dans
la mer où surgissait la montagne. Il ne donne pas de belles formes structurales, car il se
démantèle facilement. Il n'est pas davantage karstique, car les marnes intercalaires sont
imperméables. Son relief est fait de hautes collines informes.
Les calcaires karstiques ceux dont le relief est caractérisé par le processus de dissolution
sont des calcaires relativement purs ou des dolomies, carbonates doubles de calcium et
magnésium.
La dolomie a un relief original : « ruiniforme » à allure de tourelles, comme à Montpellier-
le-Vieux dans les Causses. Ces formes fantastiques ne sont pas dues comme on le croyait, à la
progression inégale de la dissolution selon la proportion de carbonate de calcium soluble et de
carbonate de magnésium pratiquement insoluble, mais au fait qu'à la différence des autres
roches calcaires, la dolomie donne des débris de la taille des sables et des graviers :
l'émiettement arrondit les formes.
Moins soluble en théorie que le calcaire pur puisqu'elle contient du carbonate de
magnésium, la dolomie est cependant très exposée aux attaques de l'eau parce qu'elle est très
poreuse.
Le nom de karst vient d'une vieille racine linguistique qui signifie pierre. Il a été donné à
une région située aux limites de la Slovénie, de la Croatie et de l'Italie et étendu ensuite par les
géographes. Les régions karstiques sont particulièrement pierreuses car le calcaire ne donne
pas de petits fragments ; sur ses versants, se débitent soit des argiles, soit des blocs ; les
versants ne sont donc pas soumis au creeping comme s'ils étaient formés de grains sableux,
d'où des profils anguleux avec des escarpements verticaux séparés par des pentes douces ou
par des talus d'éboulis. Les plateaux sont nus, peu ou point coupés de vallées, mais présentant
des dépressions fermées de formes et de dimensions variables. Ce relief, où l'on ne reconnaît
pas la marque de l'érosion fluviatile, s'explique par l'absence à peu près totale de tout
écoulement superficiel, bien que le climat soit assez humide pour que s'établisse un réseau
hydrographique permanent. Ici, les eaux pénètrent le calcaire et circulent en profondeur en
dissolvant intérieurement la roche. Tout se passe comme si la région se vidait
mystérieusement de sa substance en fondant pour ainsi dire sur elle-même.
3.1. La gamme des formes karstiques
Le canyon
Une forme fréquente dans les régions karstiques, et qui représente cependant un écoulement
subaérien, est le canyon. C'est une vallée à flancs raides, un véritable trait de scie entre des
plateaux calcaires (figure 35A). Le canyon du Petit Colorado (celui du Grand Colorado n'est
pas un vrai canyon car le fond s'élargit dans le socle), celui du Tarn, dans les Causses, celui du
Verdon, dans les Alpes du Sud, en représentent des exemples saisissants. La dureté et la
perméabilité des versants expliquent que l'essentiel de l'érosion se fasse sur le fond du lit,
tandis que les flancs évoluent lentement. Ils se présentent comme une succession de parois
abruptes, de surplombs, de talus en pente moins raide, le tout disposé selon l'alternance des
bancs calcaires. Les rivières qui traversent les régions karstiques en canyon sont des rivières
allogènes, c'est-à-dire qui ont leur source ailleurs, dans des régions imperméables, et qui, sur
leur fond alluvial qui atténue les pertes à la traversée de la région calcaire, arrivent à conserver
une partie de leurs eaux. Tel est le Tarn, né au pied de la montagne cristalline de la Lozère.
Les canyons ne sont que rarement d'anciennes rivières souterraines dont la voûte se serait
effondrée, mais le plus souvent leurs rivières se sont encaissées sur place.
Les canyons n'existent que si le calcaire dans lequel ils se creusent est assez épais pour
affleurer aussi bien sur le fond du talweg que sur les flancs. Si, au contraire, un cours d'eau
atteint une couche imperméable sous-jacente (marne par exemple), l'évolution est toute
différente. La vallée s'élargit par le fond, puisque l'évolution des versants par ruissellement se
fait rapidement sur la roche imperméable. D'où un profil en U, les formes amples du fond étant
dominées par des escarpements verticaux. Vers l'amont, la vallée aboutit à une source
vauclusienne, au contact de la couche imperméable et des calcaires sus-jacents. Mais au-
dessus de la source vauclusienne, un abrupt calcaire ferme la vallée. On a donc une vallée en
cul-de-sac (exemple de la vallée d'Autoire, sur le rebord nord du Quercy), une reculée, comme
on dit sur le rebord du Jura au-dessus de la plaine de la Saône, un « bout-du-monde » (figure
35B).
Formes structurales
Si le calcaire a été plissé, comme c'est le cas dans les Préalpes, il est attaqué par l'érosion
comme on l'étudiera à propos de l'évolution du relief plissé. Il peut alors constituer des buttes à
sommet incliné ou gondolé dont la surface a l'aspect pierreux caractéristique et dans la masse
desquelles l'eau s'infiltre en un réseau profond exerçant la dissolution. La perméabilité et la
résistance de la roche permettent à ces reliefs calcaires bordés de grandes parois abruptes, de
défier longtemps la destruction : les plateaux ondulés du Vercors, les hauts sommets isolés de
la Grande-Chartreuse, sont un exemple caractéristique (formes structurales dérivées, p. 125).
Lapiez
Ce sont des ciselures à la surface des roches calcaires. Elles peuvent être recouvertes d'une
terre ou paraître à l'air libre. Dans le premier cas (lapiez virtuel), l'attaque de la roche
s'effectue grâce à l'humidité et aux acides humiques du sol. Dans le second, c'est l'eau de
ruissellement qui est responsable de l'attaque. Les formes sont alors étranges : champs de
pierres, chenaux profonds, etc. Les dimensions des creux et des reliefs du lapiez sont de l'ordre
du mètre.
Aven
L'aven est un abîme, un entonnoir qui s'ouvre à la surface du plateau. Certains sont célèbres,
comme l'aven Armand sur le Causse Méjean, le gouffre de Padirac dans les Causses du
Quercy. Ils se forment à partir d'une fissure que la dissolution élargit, et que des décollements
ou des éboulements peuvent agrandir encore ; l'aven peut alors rencontrer d'autres fissures
elles-mêmes élargies, et prendre des proportions notables (figure 36).
Figure 36 Type d'aven
Doline
La doline est une dépression de forme ovale, à contours parfois sinueux, mais non anguleux
(figure 37A). Le bord de la doline est le plus souvent en pente raide et la roche y affleure à nu,
cependant que la terre (souvent une argile de décalcification, c'est-à-dire le résidu des calcaires
enlevés, rougeâtre) tapisse le fond de la dépression et en fait une terre de culture. La doline
offre ainsi un profil en baquet ; mais il existe bien des variantes à ce type classique : certaines
dolines ont une forme de transition entre celle d'un baquet et celle d'un entonnoir. Les
dimensions sont également très variables, de quelques dizaines de mètres à quelques
hectomètres de diamètre ; la profondeur varie de quelques mètres à plus de 200 mètres.
L'origine des dolines semble due à l'existence d'un point d'absorption puisque l'eau de la
dépression fermée ne peut s'écouler, après la pluie, que vers la profondeur. Mais pourquoi le
point d'absorption ne donne-il pas un aven ? Il y a là des problèmes difficiles.
Ouvala
Plusieurs dolines entrant en contact donnent une dépression aux contours sinueux
ressemblant à une rosace irrégulière ; c'est une ouvala (figure 37B).
Poljé
Le mot poljé, dans les langues slaves, signifie tout simplement plaine, mais les
géomorphologues réservent le nom à une plaine karstique fermée, large de quelques centaines
de mètres à quelques kilomètres, longue de quelques kilomètres à quelques dizaines de
kilomètres, qui contraste par sa platitude et souvent par sa mise en culture avec les plateaux
karstiques pierreux qui la bordent (figure 38).
Figure 38 Un poljé
Les plateaux karstiques ont non seulement des dépressions fermées (dolines, ouvalas,
poljés), mais aussi des réseaux de vallons conduisant soit au-dessus d'un canyon, soit à un
poljé, et ordinairement privés d'eau. C'est seulement après de fortes pluies qu'un courant s'y
établit. Ces vallons secs, que nous avons déjà rencontrés dans la craie, s'expliquent peut-être
par une plus grande humidité lors des époques froides du Quaternaire : l'écoulement y était
alors beaucoup plus fréquent qu'aujourd'hui et, peut-être, quasi permanent.
La circulation intérieure des eaux dans une région calcaire (figure 39) se fait entre des
points d'absorption, innombrables fissures, avens, ponors, où disparaissent des rivières
subaériennes, et des résurgences (les puristes disent exsurgence quand l'origine de l'eau est
diffuse et réservent résurgence pour la réapparition d'un cours d'eau précis) : certains tracés
souterrains ont pu être prouvés par des expériences de coloration des eaux. Mais certaines
eaux disparaissent sans qu'on ait jamais réussi à mettre en évidence leur point de résurgence,
comme si elles allaient se perdre dans une nappe profonde ou dans le fond de la mer.
Entre le point d'absorption et le point de sortie, le tracé est indépendant de celui des rivières
superficielles anciennes ou actuelles ; ainsi, il n'existe pas de rivière souterraine sous les
canyons.
Le trajet souterrain s'effectue par des puits et des galeries. Dans ces galeries, les eaux
circulent soit en écoulement libre, par gravité, soit sous pression. Puits et galeries suivent les
points faibles de la masse rocheuse : plans de stratification, diaclases, etc. Leur tracé est
toujours compliqué.
Il n'y a pas de communication, en général, entre deux galeries voisines : l'une peut être
sèche et l'autre occupée par l'eau. Il n'y a donc pas, dans les karsts, une nappe phréatique
continue. À la rigueur on peut parler de nappe continue dans les alluvions qui tapissent le fond
de certains poljés et dans certains calcaires poreux et peu fissurés mais, en général, on ne peut
pas considérer qu'il existe un niveau de base intérieur en fonction duquel se fait l'attraction des
eaux superficielles.
Figure 39 Exemple de circulation karstique
On devine que les karsts, puisqu'ils se modèlent par dissolution, sont érodés beaucoup plus
sûrement sous un climat humide que sous un climat sec. Quant à l'action de la température,
elle est très discutée, parce que l'eau froide, contrairement à ce qu'on pourrait croire, dissout
plus de gaz carbonique que l'eau chaude, mais l'eau chaude dissout mieux le calcium que l'eau
froide, de sorte que ceci compense cela et que les avis sur l'efficacité de la température sont
partagés.
Cependant, il semble bien que les karsts les plus typiques soient ceux des régions
intertropicales (figure 40). Là, les pentes raides sont encore plus vertigineuses que dans les
pays tempérés, et les hums qui dominent le fond des poljés ressemblent à des tourelles (on
parle de karsts à tourelles ou de karsts à pitons : Cuba, Nord Viêt-nam, etc.) ; là sont aussi les
plus beaux poljés. Du relief karstique, le plus caractéristique, mais non le seul des reliefs
calcaires, on retiendra en tout cas les grands contrastes entre les plateaux pierreux, les versants
qui les limitent versants de canyons, rebords de poljé et les fonds où se rassemble la terre
(fond de dolines ou de poljés) ; les formes y sont donc particulièrement originales ; on a même
parlé d'une morphologie poussée jusqu'à l'absurde.
Fond d'un poljé et hums en forme de tours. D'après une photographie de H. von
Wissmann.
Chapitre 9
Les roches plutoniques se sont formées en profondeur, sous la terre, à une certaine pression
et à forte température. On ne doit pas les appeler roches éruptives anciennes. En effet, si
beaucoup d'entre elles sont anciennes, d'autres sont récentes : les roches granitiques qui
affleurent dans la région des lacs italiens subalpins sont contemporaines de la chaîne récente,
tertiaire, que sont les Alpes.
Les roches plutoniques sont formées de cristaux. Elles sont entièrement cristallisées, à la
différence des roches volcaniques qui ne le sont que partiellement. Les cristaux peuvent être
de taille régulière ou irrégulière. Ils peuvent être petits (on dit que la roche a une structure
aplitique) ou moyens (la roche est dite grenue).
Les roches plutoniques diffèrent aussi entre elles suivant leur nature chimique, qui se traduit
par la présence de tel ou tel minéral de composition caractéristique. Ainsi, le granit comprend
environ 70 % de silice tandis qu'un gabbro n'en a que 45 % environ ; le granit est une roche
acide, le gabbro une roche basique. Les principaux cristaux du granit sont le quartz, qui est de
la silice pure, les feldspaths, qui sont des silicates d'alumine, et le mica noir, appelé aussi
biotite, qui est un silicate d'alumine, de magnésium et de fer.
Selon le mode de gisement, une roche plutonique peut se présenter :
• sous la forme d'un filon, c'est-à-dire d'une espèce de moulage interne mince, à la façon
d'un mur qui serait monté en profondeur dans d'autres roches ;
sous la forme d'une grande masse, dite « massif », presque aussi large que longue. Le
massif peut, ou bien représenter une intrusion (c'est-à-dire qu'il s'est mis en place aux
dépens d'autres roches, avec une limite nette recoupant les affleurements voisins et on
l'appelle alors batholite), ou bien passer progressivement à des roches
métamorphiques sans qu'on puisse indiquer sur le terrain la limite exacte de son
gisement : c'est alors une roche plutonique d'anatexie.
2. Les roches cristallophylliennes
On appelle cristallophylliennes, les roches qui, quelle qu'ait été leur nature originelle, ont
subi une transformation appelée métamorphisme (figure 41). Cette transformation est le
résultat de la chaleur et de la pression ; elle consiste en une recristallisation effectuée selon une
certaine direction, si bien que les cristaux de roches métamorphiques sont orientés.
On distingue trois types de métamorphisme :
• Le métamorphisme de contact, au voisinage d'une masse éruptive intrusive. Les roches
qu'il engendre sont appelées cornéennes. D'une façon générale, ce métamorphisme
n'intéresse qu'une zone étroite, quelques centaines de mètres en général. Ainsi,
l'intrusion du granit de Margeride dans les micaschistes a donné près du confluent du
Lot et de la Truyère (Massif Central français) une auréole métamorphique qui ne
dépasse pas 3 kilomètres de largeur.
Toutes les roches cristallines sont imperméables, mais certains des sols qui en dérivent
laissent s'infiltrer l'eau. C'est le cas des arènes granitiques. Cette perméabilité des sols explique
que quelques têtes de vallées n'ont pas de cours d'eau mais, vers l'aval, le ruisseau ne tarde pas
à sourdre ; en effet, les sources sont nombreuses, insignifiantes le plus souvent, à l'opposé des
résurgences caractéristiques des pays calcaires. Il en résulte que les vallées sont rapprochées,
déterminant entre elles des croupes, des échines plus ou moins élevées selon l'enfoncement
des talwegs. Cette topographie est caractéristique des régions cristallines et domine toute la
répartition des sols arables et de l'installation humaine.
Les croupes sont en général convexes, parce que les débris cristallins sont sujets au creep,
qui l'emporte sur le ruissellement concentré. Mais, dans le détail, des formes originales
accidentent souvent ces versants.
Au sommet, peuvent se trouver des crêtes dentelées, en général dues à des roches aplitiques
(qui sont souvent des filons mis en relief par l'érosion) ou des tors, volumes rocheux de taille
décamétrique, diaclasés mais bien en place, qui émergent du manteau d'arène. D'autres
sommets ont des formes de dômes lisses, rocheux, fréquents surtout dans les pays
intertropicaux et qui représentent souvent des affleurements de roches plus dures que leurs
voisines. Ce sont les pains de sucre, dont le plus célèbre domine la baie de Rio de Janeiro
(chapitre 19, p. 180). La rotondité est parfois structurale, correspondant à des diaclasés
courbes accompagnant un toit de batholite, mais comme elle affecte parfois aussi des roches
sédimentaires ou des coulées de lave, il faut bien admettre qu'elle peut être due à des
phénomènes de décompression, de décharge, après l'ablation de tranches sus-jacentes du relief.
Ailleurs, on voit apparaître des boules, surtout dans les granits à grain moyen. Ces boules
peuvent former de véritables chaos ou des amoncellements, avec des roches en équilibre les
unes sur les autres (comme dans le Sidobre du Massif Central français ou le Huelgoat, en
Bretagne). Les boules se forment : soit à l'air libre, à partir de blocs parallélépipédiques,
déterminés par le réseau de diaclasés, les angles étant progressivement arrondis ; soit par une
préformation interne : des boules de granit dur sont, en profondeur, entourées d'une série
d'écailles de granit altérable. Cette disposition a une origine mal connue. En tout cas, on
comprend que l'érosion dégage facilement les écailles de granit altéré et mette à jour les
noyaux résistants.
Sous certains climats, secs toute l'année (Sahara, Antarctique) ou une grande partie de
l'année (Corse, Sardaigne) les boules sont excavées de cavités sphériques d'origine mal
connue, dont les dimensions sont de l'ordre du mètre. Ce sont les taffoni.
La tectonique récente du cristallin est dominée par la rigidité. Le cristallin ne se plisse que
sous des conditions de température et de pression qui ne sont jamais réalisées quand il affleure
en surface ou qu'il reste enfoui sous couverture peu épaisse. Il y a, certes, des degrés dans cette
rigidité, qui est plus faible dans les roches cristallophylliennes (en raison des possibilités de
glissement des plans de cristaux les uns sur les autres) que dans les roches cristallines
plutoniques. Mais, d'une façon générale, le cristallin ne se plisse pas, ou ne se plisse qu'à grand
rayon de courbure. Il peut, en revanche, se débiter en une multitude de blocs basculés de toute
taille ou pupitres, dénivelés les uns par rapport aux autres par des failles.
Les fractures sont donc un des traits majeurs des régions cristallines ; elles se traduisent par
des escarpements plus ou moins émoussés, parfois aussi par des vallées de ligne de fracture,
ou de ligne de broyage, les cours d'eau se fixant sur ces zones de faible résistance. On en
connaît de très beaux exemples au Portugal ; il en existe peut-être aussi dans la Forêt-Noire
(vallée de l'Elz) : leur dessin rectiligne, comme s'il était indépendant de la pente et de toute
influence lithologique, ressemble à un coup de hache dans la montagne. Ces vallées de ligne
de fracture sont surtout caractéristiques des roches plutoniques, mais ne sont pas absentes dans
les roches cristallophylliennes.
À la différence des roches cristallines, les roches volcaniques ne sont pas entièrement
cristallisées. Après un début de refroidissement dans les profondeurs, un magma remonte dans
les couches froides de l'écorce, ce qui arrête sa cristallisation. Les roches volcaniques sont
donc des roches à deux temps de cristallisation. On les dit aussi microlithiques parce que la
pâte qui se forme par brusque refroidissement est constituée de cristaux microscopiques en
baguettes, les microlithes. Les cristaux visibles à l'œil nu (phénocristaux) sont rares ou
absents. Certaines roches volcaniques ne sont même que des « verres ». Telles sont les scories,
projetées par le volcan, ou les obsidiennes, qui forment des coulées et qui ressemblent à des
tessons de verre noir.
La composition chimique des roches volcaniques et celle des roches cristallines sont
semblables ; seul l'aspect diffère. Ainsi, un gabbro et un basalte ont la même composition. Ils
donnent toutefois des reliefs totalement différents.
Dans une certaine mesure, à chaque composition chimique de roches volcaniques
correspond un relief particulier, lui-même dû à un mode d'éruption particulier. On peut dire
que, pour en rester aux grandes lignes, plus les matériaux sont acides, plus les volcans sont
explosifs. De même, plus ces matériaux sont acides, plus ils sont de couleur claire. D'où une
assimilation très approximative des roches claires et des formes d'explosion, des roches
foncées et des formes d'écoulement calme.
Mais, pour une composition chimique déterminée, les matériaux se présentent de façon
différente suivant qu'ils se sont épanchés sous forme de coulée liquide ou qu'ils ont été rejetés
sous forme solide (ou en aérosols). Dans ce dernier cas, on dit qu'on est en présence de
projections ou de matériaux pyroclastiques. Dans le cas de lave liquide, on parle de matériaux
effusifs, ou de lave proprement dite.
Nous étudierons tous ces divers matériaux avec les types d'activité volcanique.
volcanique, ce qui ne signifie pas quatre types de volcans parce qu'un même type d'activité
peut donner des combinaisons diverses et que des volcans simples s'opposent, comme nous le
verrons, à des volcans complexes.
En principe, du premier au quatrième type, la température et la fluidité de la lave diminuent,
la nature des roches émises devient plus acide, les explosions se font plus violentes, la
proportion des matériaux solides rejetés l'emporte de plus en plus sur la proportion des
matériaux liquides (figure 42).
Le type hawaïen est caractérisé par des épanchements de laves très fluides, toutes les autres
manifestations (explosions, projections, formation d'un cône de scories) restant fort rares.
L'éruption est continue, en ce sens que le cratère est un lac dont la lave bouillonne des années
entières et s'en épanche de temps à autre par débordement ou par une fissure. Les types les
plus parfaits et les mieux étudiés sont représentés par les volcans des îles Hawaï, comme le
Mauna-Loa, qui dépasse 4 100 mètres, ou le Kilauea (1 235 m) leurs cratères se sont
cependant vidés. Le Nyamlagira et le Nira-Gongo, au Kivu (Afrique Centrale), l'Erta Alé, dans
la corne de l'Afrique, la Fournaise, à la Réunion, appartiennent au même type.
Le mode d'activité strombolien (du nom du volcan Stromboli, une des îles Lipari, situé au
nord de la Sicile) est également continu ; le cratère contient de la lave fluide, mais, de temps à
autre, le volcan projette une colonne de gaz et de pierres. Habituellement, ces explosions ne
présentent aucun danger, les matériaux retombant dans le cratère même, mais sont très
fréquentes (plusieurs par heure) ; elles sont particulièrement spectaculaires la nuit. En dehors
du cratère, les matériaux vont glisser sur une pente d'éboulis, comme la Sciara del fuoco du
Stromboli. Aux périodes de paroxysme, la lave peut s'épancher par effusion. Par extension, on
appelle éruption strombolienne celle qui émet, en volume à peu près égal, des scories et des
laves, même si l'activité (ce qui est le cas général) n'est pas continue. Les matériaux rejetés par
une éruption strombolienne sont donc des laves ou des scories.
Le type vulcanien tire son nom du volcan Vulcano, situé dans la plus méridionale des îles
Lipari. La lave, nettement moins fluide que dans les types précédents, se solidifie très
rapidement ; aussi la cheminée se bouche-t-elle entre chaque éruption et l'activité se réduit-elle
alors à quelques émissions latérales de vapeurs soufrées. Le paroxysme éruptif est au contraire
très violent : la lave est alors pulvérisée en cendres ou projetée sous la forme de ponces (laves
très bulleuses), avec peu de matériaux grossiers. Ces émissions peuvent s'effectuer de deux
façons : ou par projection d'un panache en parasol d'où retombent les matériaux fins, ou par
écoulements en aérosols à ras de terre. Ces écoulements se figent en amoncellements de
cendres et de ponces plus ou moins soudés appelés ignimbrites. Les coulées vulcaniennes de
lave sont rares et peu étendues : elles se solidifient très vite, même sur des pentes rapides ;
elles sont formées de laves peu fluides, telles que les rhyolites.
La montagne Pelée, à la Martinique, qui s'est rendue tristement célèbre par son éruption de
1902, a servi d'exemple pour le quatrième type. La lave, même si elle a été émise à forte
température, est très visqueuse (rhyolite, domite, dacite). Les éruptions sont séparées par de
longs intervalles. Elles commencent par une phase préliminaire caractérisée par des émissions
de fumées et de cendres ; puis une gigantesque explosion se produit, émettant un panache
comme dans une éruption vulcanienne et en même temps, des nuées ardentes sont émises par
le sommet éruptif ou par des fissures latérales. Ce sont des nuées foncées, composées de blocs
et de cendres enveloppés par de la vapeur d'eau ; chaque bloc reste isolé ; il ne se choque pas
avec les blocs voisins, la vapeur d'eau plus ou moins chargée de cendres formant entre eux
matelas. La nuée descend en roulant sur le sol, à des vitesses variant entre 10 et 150 m/s,
précédée d'une onde aérienne. Elle détruit tout sur son passage, renversant les murs et, de plus,
brûlant les arbres. C'est une nuée ardente qui en 1902 a détruit Saint-Pierre, à la Martinique,
catastrophe dans laquelle presque toute la population trouva la mort.
Avant ou après l'éruption, se produit une intumescence, ou extension de lave pâteuse, qui
peut soit donner un dôme, soit se transformer en aiguille à la verticale de la cheminée.
L'aiguille craque en se solidifiant et s'éboule par fragments.
Cette classification reste une base à connaître. Elle a le mérite de la simplicité, mais
l'inconvénient de faire du « type vulcanien » un fourre-tout qui va nous amener à distinguer de
nombreux sous-types alors même que le « type péléen » peut être considéré comme un de ces
sous-types. Mieux vaut abandonner le nom de vulcanien et parler, pour l'ensemble du 3 et du e
4 type, de volcans « explosifs ». Il faut, d'autre part, introduire dans la classification des
e
modes d'activité qui étaient restés inconnus ou jugés accessoires par Lacroix.
Les reliefs élémentaires construits par les volcans sont les suivants :
Les champs de scories se présentent comme des reliefs plus indécis que les cônes : simples
saupoudrages sur des reliefs préexistants. Les plus étendus sont composés de cendres
pliniennes fines, que le vent peut transporter fort loin. Des cendres peuvent se sédimenter dans
des lacs ; elles deviennent compactes et forment ce que l'on nomme des cinérites.
La coulée est formée d'une lave liquide qui, à partir d'un point d'émission, descend sur les
pentes par gravité. Elle se refroidit au cours de cette descente, ralentit son allure et finit par
s'immobiliser. Au voisinage du point d'émission, elle est rapide et étroite ; mais en descendant,
sa vitesse se réduit à quelques mètres à l'heure et sa largeur augmente : elle est de l'ordre de la
centaine de mètres. La surface des coulées peut se présenter sous deux formes différentes, le
pahoehoe, l'aa. Ces termes viennent du langage indigène des îles Hawaii ; le premier désigne
un aspect dû à la solidification d'une croûte très mince sous laquelle la lave continue à
s'écouler en ridant cet épiderme encore élastique. L'ensemble donne l'impression de la peau
rugueuse d'un vieil éléphant à chair flasque. La lave du pahoehoe peut se lover comme un
écheveau de corde, en se refroidissant (lave cordée) ; elle peut aussi former des excroissances,
larges de 30 à 60 centimètres. Le pahoehoe n'existe que dans le type hawaïen, tandis que l'aa
se rencontre aussi dans les autres types.
L'aa est un chaos de lave scoriacée, semblable à un champ de mâchefer ; ses irrégularités
peuvent atteindre quelques décimètres, mais souvent aussi quelques mètres de hauteur. En
Auvergne, on nomme cheire (c'est-à-dire pays pierreux) une telle accumulation.
Les coulées diffèrent entre elles non seulement par leur aspect superficiel, mais aussi par
leur forme d'ensemble et par leurs dimensions ; sans parler des coulées qui s'associent à des
formes plus complexes (bavures sur un cône de scories, coulées se recouvrant les unes les
autres), elles diffèrent beaucoup selon la quantité de lave émise (il y a ainsi des coulées
longues de quelques mètres et des coulées longues de plusieurs kilomètres et même de
plusieurs dizaines de kilomètres) ; elles diffèrent aussi suivant la forme topographique sur
laquelle elles se sont épanchées (pente longitudinale forte ou faible, variable ou uniforme,
profil transversal en pente plus ou moins forte). Certaines coulées, épanchées dans des vallées
étroites et encaissées, s'étirent en longueur avec un profil transversal convexe, à la manière
d'une langue (coulées filiformes), d'autres, épanchées dans des plaines ou sur des plans
inclinés, s'étalent en largeur. La forme topographique des coulées est donc, dès l'émission,
extrêmement variable, selon la topographie préexistant à l'épanchement, selon la quantité de
lave émise et aussi selon sa fluidité.
Une lave fluide peut aussi combler le cratère qui l'a émise ou une dépression préexistante et
y constituer un lac, qui se fige.
Certains volcans explosifs donnent, comme on l'a vu, des dômes de lave (type le Puy-de-
Dôme) ; il se forme aussi, sur les pentes, des conglomérats de types divers, dont nous n'allons
retenir qu'un exemple. Si, sur les pentes d'un volcan, d'abondantes pluies, ou la brusque
vidange d'un lac secoué par un tremblement de terre, imbibe des cendres fines, il se forme une
coulée non de laves, mais d'eau fangeuse, ou de boue, qui descend par gravité. Un tel
phénomène est dit lahar (mot javanais).
Une fois les reliefs volcaniques construits, l'érosion travaille à les détruire. Elle profite des
inégalités de résistance entre les laves, qui sont dures, les scories qui sont relativement peu
résistantes, et les roches non volcaniques qui enrobent ou supportent la lave. L'érosion
différentielle joue donc à la fois d'une roche volcanique à l'autre et des roches volcaniques aux
autres matériaux.
Les cendres volcaniques sont très sensibles à l'érosion ; comme elles sont fines, elles se
saturent rapidement d'eau de pluie, se comportent comme des roches imperméables, et sont
emportées par le ruissellement. Les scories grossières résistent un peu mieux ; mais elles sont
meubles, sujettes au creeping, de sorte que les pentes des cônes de scories s'émoussent très
vite. Au bout de quelques dizaines de milliers d'années, les cratères ne sont plus apparents, les
cônes, dont les pentes étaient voisines de 35 degrés à l'origine, n'ont plus que des déclivités de
l'ordre de 25 degrés. Les deux millions d'années environ qu'a duré le Quaternaire, suffisent à
les détruire presque entièrement.
La lave des coulées est la roche volcanique la plus résistante. Elle s'érode quelque peu sur
ses bords car sa structure est très diaclasée et présente un débit prismatique qui permet à
l'érosion de la découper en tuyaux d'orgues (dont l'origine est discutée). En surface, la coulée
voit d'abord ses irrégularités se détruire par éclatement, amenuisement et formation d'un sol
(assez rapidement en pays tropical humide). La coulée la plus rugueuse devient toujours, en
vieillissant, une coulée unie, et, si le climat le permet, cultivable. Une coulée récente, toujours
fissurée, est perméable ; mais à la longue, les débris comblent les fissures et la coulée devient
assez imperméable.
Cependant, malgré le dégagement des prismes sur les bords, et l'établissement d'un sol
d'altération sur la surface, les coulées résistent bien dans leur ensemble. Leur érosion aboutit à
l'inversion du relief volcanique (figure 43). À l'origine, une coulée suit la ligne de plus grande
pente puisqu'elle est liquide et qu'elle obéit à la gravité. Elle tend donc à occuper les fonds de
vallées où elle peut d'ailleurs perturber le réseau hydrographique, barrant les vallées affluentes
de celle dans laquelle elle s'épanche et formant ainsi des lacs de barrage volcanique (exemple :
le lac d'Aydat en Auvergne). Mais elle ne tardera pas à être mise en relief parce que le terrain
sur lequel elle s'établit est pour ainsi dire cuirassé par elle, et que l'érosion travaille plus
aisément dans les roches non volcaniques de part et d'autre. Ainsi, la coulée, qui occupait les
points bas, devient une partie haute de la région. Tout au plus est-elle fragmentée en buttes
isolées à sommets plats, qu'on appelle mesas, mot espagnol qui signifie tables.
Figure 43 L'inversion du relief volcanique
Figure 44 Blocs diagrammes d'un dyke (A), et d'un culot de lave (B)
1 : lave ; 2 : marnes
Le sill est le moulage d'un plan stratigraphique séparant deux couches sédimentaires (figure
45A).
Le laccolite est le boursouflement de lave qui a soulevé en dôme des roches sédimentaires
(figure 45B).
Les destructions violentes sont une autre source de complications. Deux cas peuvent se
présenter : l'explosion et l'effondrement volcaniques. L'explosion, ou plutôt les successions
d'explosions qui font sauter tout une partie de volcan, donnent des cavités circulaires qui sont
souvent à l'origine d'un lac, comme le lac Pavin en Auvergne. On remarquera qu'il n'existe pas
de lac dans les cratères des cônes de scories grossières car ces dernières sont perméables. Mais
quand les explosions pénètrent jusqu'au socle imperméable du volcan, on atteint une zone
imperméable et l'eau peut séjourner.
Les cratères d'explosion ont un diamètre qui dépasse rarement 1,5 kilomètre. On distinguera
ces lacs de cratères d'explosion, appelés maars, des lacs de barrage volcaniques.
Sous un cratère d'explosion, la cheminée, de grand calibre, est remplie de brèches et de
masses de lave. On l'appelle un diatrème (étymologiquement : trou traversant). Seule l'érosion
la dégage, quelques millions d'années après l'éruption. Les cheminées diamantifères de
l'Afrique du Sud sont des diatrèmes.
Les effondrements sont fréquents dans les volcans. En effet, sous un volcan, il existe un
réservoir de matières volcaniques qui s'est peu à peu vidé au cours de l'éruption. Le volcan
n'est donc plus supporté par son tréfonds et peut s'effondrer en partie. Il en résulte encore une
cavité circulaire, en général beaucoup plus grande que celle d'un cratère d'explosion. Les
grands cratères des îles Hawaï sont de ce type ; ils s'ouvrent dans les empilements de laves ; il
existe aussi des cratères d'effondrement dans les volcans de lave acide (exemple : celui du lac
Toya au Japon, car ces cratères d'effondrement s'emplissent d'eau eux aussi). Cratères
d'effondrement et cratères d'explosion sont appelés calderas, quand ils sont de grande taille
(plus d'1,5 km de diamètre).
Les effondrements, les emboîtements, le travail plus ou moins poussé de l'érosion créent des
associations de formes qui conduisent à diviser les reliefs volcaniques complexes en de
nombreux types.
Quand d'anciens empilements de flood basalts, qui superposent des dizaines de coulées de
quelques mètres d'épaisseur, avec interpositions de minces saupoudrages de cendres, sont
entaillés par des vallées, ils deviennent des plateaux. Les versants font apparaître une structure
en millefeuille se traduisant par des marches d'escalier (c'est le sens du germanique trap).
Deux régions presque aussi grandes que la France, les plateaux de la Columbia River, dans le
Nord-Ouest des États-Unis, et le Nord-Ouest du Dekkan, dans l'Inde, sont des pays de traps.
Il se présente comme une galette de lave consolidée, sur laquelle bavent de temps en temps
des laves récentes fluides. L'ensemble peut être considérable, puisque le Mauna Loa compte
près de 100 km de diamètre. Il culmine à plus de 4 000 mètres. Les pentes d'ensemble restent
faibles, mais, localement, une accumulation de laves peut présenter des déclivités supérieures
à 20 . Sur les flancs, aa et pahoehoe se succèdent. Le sommet est une vaste cuvette
o
d'effondrement creusée de plusieurs fosses qui sont les cratères. Mais la lave ne sort pas
toujours du sommet : elle passe par des fissures radiales et s'épanche par grandes masses
fluides. Si un cône de scories s'édifie, son volume reste faible.
La topographie est encore compliquée par la juxtaposition de plusieurs grands volcans ;
ainsi la grande île Hawaï se compose de six ensembles volcaniques dont les flancs se
recoupent et entre lesquels se disposent de grandes vallées. Un de ces grands centres, le
Kilauea, plus étroitement soudé que les autres au volcan du Mauna Loa, a un immense cratère
d'effondrement de 5 km de diamètre.
Quand les éruptions cessent, l'érosion ne tarde pas à l'emporter. C'est ce qui se passe dans
l'île Kauaï, l'une des Hawaï, où elle creuse dans la lave de grandes gorges, semblables aux
canyons des régions calcaires. Du côté de l'amont, ces gorges s'élargissent parfois en vastes
amphithéâtres torrentiels, comme dans l'île de Maui, une autre des Hawaï. Ainsi, l'organisme
hawaïen évolue vers une dissection qui le réduit à des échines inclinées séparées par des
vallées à flancs raides.
Un cône est rarement isolé. Même le petit volcan classique présente non seulement un cône
à cratère mais aussi une coulée, qui s'épanche en général par la base, entre le substratum et la
masse des scories.
Les formes se compliquent parce que, le plus souvent, le cône lui-même est en fait un
emboîtement de cônes. Un premier cône est tranché, à son sommet, par un vaste cratère
(souvent cratère d'explosion ou d'effondrement). Une nouvelle éruption fait naître à l'intérieur
de ce petit cratère, dans une position parfois excentrée, un nouveau cône de scories. Entre ce
petit cône et la paroi du grand cratère préexistant s'allonge une dépression circulaire. Telle est
la structure du Vésuve.
On appelle Somma le sommet de l'amphithéâtre extérieur, Atrio del Cavallo la dépression
semi-circulaire entre cet amphithéâtre et le cône central, lequel porte le nom de Vésuve
proprement dit.
Le grand volcan composé classique n'est pas seulement un grand cône complexe. Il est
formé essentiellement par de grandes coulées alternant avec des masses de scories. Ces
édifications peuvent avoir enseveli des cratères d'effondrement dont il ne reste plus de trace
superficielle. La surface supérieure est un système de pentes rayonnantes dont les coulées
forment la charpente et que des vallées peuvent disséquer. Un fragment de coulée inversée
entre des vallées qui s'encaissent devient une sorte de plateau doucement incliné, la planèze.
En plan, celle-ci présente une forme triangulaire, le sommet dirigé vers l'amont, c'est-à-dire
vers le centre de l'édifice volcanique (figure 46).
Figure 46 Schéma perspectif de volcan à planèzes
Les grands organismes vulcano-péléens, comme ceux du Japon, ont une superficie de 1 000
à 8 000 km . Ils sont formés d'une caldera centrale, de calderas annexes, d'un ensemble de
2
points éruptifs (cratères, dômes, aiguilles), situés sur le bord des calderas, et d'une périphérie
en forme de flanc de cône descendant de tous côtés vers l'extérieur en pente douce concave
(figure 47). Ces flancs extérieurs sont constitués de cendres et de ponces, agglomérées ou non.
Les calderas centrales peuvent être occupées par des lacs.
Figure 47 Un complexe à caldera
LES CHAPITRES PRÉCÉDENTS ont étudié les matériaux des montagnes et des plaines mais ne se
sont guère interrogés sur leur origine et sur les mouvements tectoniques générateurs du relief :
ces problèmes vont être abordés maintenant.
2. L'équilibre isostatique
L'écorce est moins dense dans les masses montagneuses que sous les plaines, et sous les
plaines que sous les océans. Tout se passe comme si les blocs d'écorce émergeaient d'autant
plus qu'ils sont moins denses, comme des flotteurs de bois, placés sur une cuve d'eau,
s'enfoncent d'autant moins qu'ils sont faits de bois moins dense. Ainsi, est née la notion
d'équilibre hydrostatique ou, comme on dit, isostatique, des portions d'écorce. L'équilibre
isostatique peut être rompu, par exemple :
• lors de la formation d'une chaîne de montagnes ;
si une intense érosion allège un bloc montagneux, par ablation de matériaux qui vont
s'accumuler sur un autre bloc, sous-océanique celui-là, par apport et sédimentation ;
si un réchauffement climatique fait fondre une épaisse calotte de glace recouvrant un
bloc.
L'équilibre tend alors à se rétablir par des mouvements verticaux ; le bloc allégé tend à se
soulever, le bloc surchargé à s'enfoncer, et il doit en résulter des mouvements infracorticaux de
matières fluides (figure 49).
Un cas particulier est celui des bourrelets liminaires des continents. Beaucoup de continents
sont limités par des socles bordiers plus élevés que les étendues de l'intérieur : montagne
Scandinave plus haute que le socle suédois et finlandais, Labrador, rebords atlantiques du
Brésil et de l'Afrique tropicale, Australie de l'Est. L'explication est complexe, mais un transfert
infra cortical de matière, sans doute en rapport avec l'ouverture des océans (voir ci-dessous la
théorie des plaques) est probablement intervenu.
Le cas d'un allègement par fonte des glaces (mouvements glacio-isostatiques mentionnés
chapitre 15, p. 159) a pu être étudié de près en Scandinavie, où il s'est produit depuis la
disparition de la calotte glaciaire quaternaire, soit depuis environ dix mille ans. Le mouvement
se continue encore de nos jours, à raison d'environ 1 mètre par siècle, à tel point que la
profondeur des ports du golfe de Botnie diminue notablement et que la navigation s'en trouve
gênée. L'amplitude maxima du mouvement dépasse 250 mètres ; ses conséquences
morphologiques ont été considérables : la forme de la Baltique s'est plusieurs fois modifiée au
cours du soulèvement. Le Canada a subi un mouvement analogue.
La stabilité des blocs isostatiques est très variable. On appelle craton un bloc relativement
stable, formé de sial. On dit aussi que c'est un bloc continental, même s'il est recouvert par la
mer, parce que la mer est alors peu profonde et que son fond ne tend pas à s'enfoncer
rapidement. Ainsi, la mer du Nord et la Manche font partie d'un craton. Au contraire, pour les
géophysiciens, les véritables aires océaniques sont basaltiques.
Figure 49 Schéma d'un mouvement de compensation isostatique
La théorie de la dérive des continents a été formulée par l'Allemand Wegener en 1912. Les
continents, aujourd'hui séparés, étaient à l'ère primaire soudés ; deux immenses continents
primitifs de sial se seraient fragmentés, et les fragments se seraient déplacés sur le sima pour
occuper leur position actuelle.
La théorie a pris une forme différente. Ce n'est pas le sial qui flotte sur le sima, mais la
lithosphère sur l'asthénosphère. La lithosphère du globe se divise en six grandes « plaques » et
quelques petites. Chacune peut comporter des portions de continent et des portions d'océan
(figure 50). Ces plaques se déplacent de quelques centimètres par an, car des courants de
convection, dus à des différences de densité, affectent l'asthénosphère, qui entraîne à son tour
la lithosphère comme un plateau rigide posé sur un tapis roulant (figure 51). En s'écartant
(c'est une distension), deux plaques créent un fossé de rupture, ou rift, qui se situe souvent
dans l'axe d'un soulèvement du plancher sous-marin, une dorsale océanique.
Un rift est l'accident dans lequel l'océan prend naissance ou, s'il est déjà constitué, s'accroît.
L'Atlantique a ainsi commencé par un rift continental qui s'est formé au début de l'ère
secondaire. L'enfilade des rifts de l'Afrique orientale qui ont pris naissance à partir du début du
Tertiaire, commence à être une mer (dans la région de la Mer Rouge).
L'accroissement des océans par écartement de plaques a une contrepartie. Il y a en effet des
rencontres de plaques avec diverses formes de télescopage.
1er cas : deux plaques continentales s'affrontent, comme la plaque Inde-Australie et la
plaque Eurasie, la première représentée par le Dekkan, la seconde par le Tibet. Le Dekkan,
sans plonger, est passé sous le Tibet, d'où la forte altitude de l'Himalaya, chaîne qui résulte de
la rencontre.
2e cas (figure 52) : le plus fréquent, la subduction qui se produit surtout si le rebord d'une
plaque est constitué de croûte océanique tandis que celui de l'autre plaque est de la croûte
continentale. La croûte océanique, probablement parce qu'elle est plus dense, tend à passer
sous la croûte continentale plus légère ; elle descend dans l'asthénosphère suivant un plan
oblique qui est un plan de glissement entre les deux plaques : on l'appelle plan de Benioff. Ce
glissement, jusqu'à 700 kilomètres de profondeur, est un lieu de séismes ; une chaîne de
montagnes du côté continental, avec un volcanisme surtout andésitique, et une fosse marine
longitudinale, bien entendu du côté océanique, accompagnent le phénomène. L'exemple
typique est celui du contact de la plaque Amérique avec les plaques du Pacifique de l'Est,
contact suivi par les chaînes de l'Ouest de l'Amérique du Nord et par les Andes. On dit qu'il
s'agit d'une marge continentale active, tandis que lorsque le passage du continent à l'océan se
fait à l'intérieur d'une même plaque (comme entre l'Atlantique et l'Amérique ou l'Atlantique et
l'Europe), on est en présence d'une marge passive souvent découpée en blocs faillés. De l'autre
côté du Pacifique, où se disposent les « guirlandes insulaires » (Philippines, Japon), il se
constitue une fosse océanique profonde du côté où arrive la plaque Pacifique qui s'enfonce
sous la plaque Asie, puis, parallèlement, en arrière, un arc insulaire volcanique, puis encore en
arrière, une mer peu profonde (Mer du Japon) (figure 53). De la croûte océanique s'épanche,
comme une lave sous-marine, dans le fond des fosses : c'est l'origine des « roches vertes » ou
ophiolites, de chimisme basique, comme celles du Mont Viso dans les Alpes du Sud.
3e cas : plus rare, l'obduction : la croûte océanique passe sur la croûte continentale.
4e cas : des alternances de distension et de compression, comme dans l'espace
méditerranéen et périméditerranéen, chaîne Alpine comprise. La plaque Afrique et la plaque
Eurasie se sont tantôt écartées, tantôt rapprochées, créant alors des chaînes de montagne, non
sans complications telles que détachement de petites plaques intermédiaires (la Sardaigne et
ses abords), coulissements (peut-être celui des Pyrénées et des Monts Cantabriques le long de
l'Aquitaine et du Golfe de Gascogne), pivotements.
L'échelle des hauteurs est purement figurative. C'est à environ 700 kilomètres de
profondeur que le plan de Benioff se termine et que les matériaux de la croûte et du
manteau supérieur se confondent parfaitement, par mélange.
Figure 53 Coupe d'un contact de plaques avec subduction et arcs insulaires (type
Ouest-Pacifique, Indonésie)
Des plaques se bombent, créant des plateaux immergés ; sur des sources thermales, des
nodules polymétalliques se constituent.
La théorie des plaques explique à la fois la localisation des volcans et celle des chaînes de
montagne. Les volcans se situent :
• Sur les rifts et sur les cassures qui leur sont associées. Ces rifts peuvent être
océaniques, et les volcans sont alors sous-marins ou insulaires, comme sur le rift
médian de l'Atlantique ; ils peuvent être aussi continentaux, comme les fossés de l'Est
africain. Alimentés le plus souvent par une croûte océanique, ces volcans accusent en
général un chimisme basique.
Sur les zones de convergence de plaques (monde méditerranéen jusqu'à l'Indonésie, «
ceinture de feu » du Pacifique). Ce volcanisme est en général de chimisme acide et
explosif.
Il existe aussi un volcanisme éloigné des contacts de plaques : un volcanisme « intra-
plaques », comme celui des îles Hawaï. On l'explique par le passage de la plaque sur
un réchauffement local du manteau et de la croûte, un « point chaud ».
Quant aux chaînes de montagne, elles s'expliquent par des compressions entre deux plaques,
qu'il s'agisse de collision (Himalaya), de subduction (Andes), avec ou sans formation d'arcs
insulaires, ou de compressions avec des distensions momentanées (monde méditerranéen). Les
chaînes récentes, postérieures au début du Tertiaire, se situent sur des rencontres de plaques
encore en mouvement de nos jours, mais les anciennes chaînes sont en rapport avec la
géographie de paléoplaques et peuvent avoir été tronquées par une ouverture d'océan.
Les Alpes franco-italiennes, comme sur la figure 55, mais à l'époque pliocène, il
y a 5 millions d'années, sont prises comme modèle. Il y a collision des deux
plaques, avec forte poussée de la plaque africano-adriatique. La chaîne est déjà
bien formée, mais un bras de mer, dans lequel s'est déposée de la molasse, occupe
encore le Sillon Rhodanien, et la mer Adriatique, due à l'effondrement de la partie
Est de la montagne, arrive jusqu'au futur emplacement de Turin. Au contraire, les
poussées ont non seulement comprimé mais soulevé une partie de la croûte de la
plaque eurasiatique, couverture comprise, en édifiant Préalpes et massifs centraux
alpins, de même que tout l'Ouest de la fosse avec ses sédiments métamorphisés et
sa croûte océanique. Fort raccourcissement de la distance Lyon-Turin !
N : nappe, Aut. : terrain autochtone. Des paquets de couches glissent sur les
flancs d'un soulèvement. Le paquet Aut s'est plissé. Le paquet N, décollé, est passé
sur Aut en formant une nappe de charriage.
Figure 58 Disposition des zones interne et externe dans une chaîne alpine typique (en
plan)
L'ancien tréfonds, surgissant en donnant les massifs cristallins centraux, n'a pas
été figuré. Il peut apparaître au contact des deux zones, mais aussi dans la zone
interne.
Dans une chaîne de couverture comme le Jura, et aussi dans certaines parties des chaînes
complexes comme les Alpes, se présentent des éléments dont il convient d'étudier la structure
(figure 59).
serait aussi inexact de croire que toute chaîne alpine ne présente que des pics aigus et que tout
massif d'ancienne consolidation n'offre que des formes lourdes. En effet, les formes de pics
aigus sont dues, on le verra, non à la structure, mais à un type d'érosion dans lequel l'action du
gel est prédominante. Aussi, un massif ancien peut-il présenter des crêtes, comme c'est le cas
au pays de Galles ou dans le Cumberland anglais. En revanche, une des montagnes les plus
jeunes de France, le puy de Dôme, volcan quaternaire, est une des plus arrondies. L'altitude
n'est pas davantage un critérium permettant d'opposer chaînes alpines et massifs anciens : le
Tian-Chan, qui dépasse 7 000 mètres, est un fragment de socle soulevé ; le pic Saint-Loup,
près de Montpellier, qui dépasse à peine 650 mètres, est de par sa structure plissée un fragment
de chaîne alpine.
Un socle peut être déprimé, nous l'avons vu, par des mouvements postérieurs à son
arasement et recouvert par la mer. Si l'accumulation des sédiments indique une légère
tendance à l'enfoncement, à la subsidence, comme on dit, de sorte que le socle s'enfonce sous
des dépôts épais, on est en présence d'un bassin sédimentaire.
Il existe donc toutes les formes de transition entre un socle recouvert d'une couverture peu
épaisse, un bassin sédimentaire, et presque un géosynclinal. Ainsi, les Causses du Massif
Central français, les plateaux de Castille peuvent être considérés, selon le point de vue auquel
on se place, comme des bassins ou comme des couvertures de socle.
Dans les bassins où les sédiments ont une épaisseur moyenne (un millier de mètres) et une
plasticité moyenne, des plissements peuvent se produire, mais ils ne sont jamais d'amplitude
considérable ; le pays de Bray est un exemple de ce genre de plis.
8. Un type d'accident commun aux chaînes, aux socles et aux bassins sédimentaires : la
cassure
Les cassures peuvent se rencontrer dans tous les matériaux, qu'ils soient ou non
sédimentaires. Lorsque, pendant un effort tectonique, la limite de plasticité est dépassée, les
roches se cassent.
Une cassure tectonique doit être distinguée : 1 d'une diaclase ; 2 d'une cassure d'éclatement
o o
Plan de faille : C'est le plan le long duquel s'est fait le glissement des deux blocs dénivelés.
Il est rarement vertical, le plus souvent oblique. Il peut présenter une certaine épaisseur
correspondant à la zone de broyage ; il n'est alors plus un véritable plan au sens géométrique,
mais, en raisonnant à une grande échelle, on peut l'assimiler à un plan. De même, le « plan »
peut être une surface légèrement gauche.
Une partie du plan de faille dégagée et polie par le glissement est parfois appelée miroir de
faille.
L'aspect d'une région cassée peut être très différent selon le style tectonique ; les blocs
séparés par des failles peuvent être restés horizontaux ou avoir été inclinés ; le Morvan dans
son ensemble est ainsi un bloc basculé, surélevé par faille au Sud, plongeant doucement sous
les sédiments du Bassin Parisien au Nord. Dans le détail, un tel relief se décompose lui-même
en plusieurs blocs dont la résultante est une allure générale en pente. On peut en dire autant du
Massif Central, des Vosges, inclinés dans leur ensemble du Sud-Est au Nord-Ouest, coupés
dans le détail de nombreuses dénivellations tectoniques. Une région est constituée d'une
succession de blocs monoclinaux si le basculement des blocs est partout de même sens (figure
63). Le Mâconnais a une telle structure.
On appelle fossé en touche de piano (figure 62) un fossé dont le fond est constitué par un
bloc basculé et qui est affaissé à la manière d'une touche que l'on joue entre deux touches
intactes.
Le tracé des lignes de faille est très variable ; il est le plus souvent de forme géométrique :
rectiligne, subrectiligne, en arc de cercle. Elles peuvent donner des enfilades de fossés, et aussi
de véritables champs de fractures, véritables mosaïques de blocs.
Tels sont les principaux éléments sur lesquels nous allons voir à l'œuvre l'érosion : l'érosion
modèle des formes diverses dont nous allons étudier l'évolution.
Chapitre 12
Parmi les structures de couches sédimentaires concordantes non faillées, deux cas peuvent
se présenter : ou bien on a affaire à des couches de résistance uniforme, ou bien à des couches
tendres et à des couches résistantes alternées.
Le premier cas est représenté par d'épaisses séries, qui se trouvent en général dans des
plaines formées de sédiments déposés au pied des chaînes alpines. Ces plaines sont dites
subalpines. Un des meilleurs exemples est constitué par la partie sud du Bassin aquitain (la
Gascogne) et en particulier par l'Armagnac. Mais on trouve aussi de telles plaines le long des
Alpes, en Suisse, en Bavière, en Autriche et le long des Carpates, en Pologne, en Ukraine, en
Roumanie.
Dans de telles plaines, l'érosion est incapable d'exercer une œuvre différentielle : elle se
contente de découper des croupes ; les vallées s'élargissent plus ou moins (elles s'élargissent
tout particulièrement si l'on a affaire à des cours d'eau instables, à large lit d'inondation, par
exemple dans la plaine de Tarbes où coule l'Adour).
Au contraire, quand la série sédimentaire est formée de couches de dureté différente
alternées dans une superposition assez régulière, l'érosion travaille inégalement dans les roches
tendres et dans les roches résistantes. C'est le cas de bassins sédimentaires tels que le Bassin
parisien ou la grande Plaine Anglaise, ou encore le bassin de Souabe-Franconie, en Allemagne
du Sud. La variété des formes nous conduit, dans ce cas, à insister sur les différentes
dispositions possibles.
Un front de cuesta étant l'œuvre de l'érosion, il recule à des rythmes différents suivant les
points : plus vite là où l'érosion régressive d'un ruisseau l'at taque par recul de source. Aussi, le
front de cuesta présente-t-il souvent un tracé festonné.
Cependant, toutes les cuestas sont loin d'être modelées sur le même type. On peut distinguer
cinq facteurs de différenciation :
Figure 67 Profil de cuesta dans le cas d'une grande différence de résistance entre
couche dure et couche tendre (A) et dans le cas d'une faible différence de résistance
(B)
Si la différence de résistance des deux couches est très grande, la cuesta est bien marquée
dans le relief. Elle présente une corniche nette (cas du calcaire des Côtes de Moselle et du
calcaire des Côtes de Meuse). Si, au contraire, la différence de dureté entre la couche dure et la
couche tendre est peu accentuée, aucune corniche ne se dessine ; la cuesta présente un profil
convexe en haut, concave en bas, et se marque peu dans le paysage. Tel est le cas de la côte de
Champagne (côte de la craie) aux environs de Troyes.
L'épaisseur relative des deux couches (figure 68)
Si une couche dure mince repose sur une couche tendre épaisse, le démantèlement est facile,
la mince cuirasse recule rapidement : le tracé est particulièrement sinueux (cas de la côte du
grès infraliasique près de Contrexéville). Si, au contraire, une épaisse couche dure repose sur
une couche tendre mince, l'érosion a beaucoup de mal à faire reculer la cuesta, d'où un aspect
massif, un tracé rectiligne, comme celui de la cuesta de l'Argonne entre Varennes et Grandpré.
Figure 68 Allure d'une cuesta quand la couche résistante est mince (A) et quand la
couche résistante est épaisse (B)
Plus le pendage est faible, plus le recul est rapide et plus le tracé est sinueux. En effet,
supposons une cuesta déterminée par des couches de faible pendage : toute butte-témoin, tout
éperon a une altitude à peine supérieure à l'altitude moyenne du sommet du front ; il peut donc
subsister longtemps, et les festonnements se conservent (exemple de la cuesta du calcaire
grossier dans la région de Laon). Au contraire, quand le pendage est fort, les buttes-témoins ou
les éperons éventuels se trouvent à une altitude tellement supérieure à l'altitude moyenne du
sommet du front qu'ils sont très exposés à l'érosion et tendent à disparaître : on a alors une
cuesta de tracé peu sinueux, et les buttes sont rares ou inexistantes (cas de la Côte de Meuse à
l'ouest de la Woëvre).
Figure 69 Allure d'une cuesta quand les couches sont peu inclinées (A) et quand elles
sont fortement inclinées (B)
Comme, sur une même cuesta, le pendage est loin d'être uniforme, la cuesta peut présenter
des avancées là où la couche dure a été moins soulevée et des reculs plus prononcés là où la
couche a été plus relevée.
Les différents systèmes d'érosion
Bien entendu les différents systèmes d'érosion ne traitent pas les cuestas de la même façon.
Par exemple, dans les déserts, les corniches sont plus apparentes puisqu'il y a moins de sol que
dans les régions humides et par conséquent moins de descente de débris capables d'émousser
les formes.
Le stade d'évolution
La cuesta jeune est peu dégagée par l'érosion ; la cuesta mûre est au contraire celle qui est
bien dégagée : les grandes cuestas du Bassin parisien, celles de Souabe-Franconie sont dans ce
cas. Au contraire, en fin d'évolution, quand les talwegs ne s'enfoncent presque plus, la cuesta
s'estompe peu à peu. Tel est le cas de la côte de Champagne entre l'Aube et la Seine. On peut
donc opposer des régions sédimentaires sans cuesta nette, comme le Sud-Ouest du Bassin
parisien, et des régions à belles cuestas, comme la Lorraine. Dans le premier cas, aucun
soulèvement important au-dessus du niveau de base n'a eu lieu depuis le milieu du Tertiaire :
les formes vieilles n'ont pu être rajeunies. Au contraire, les conditions pour le dégagement de
grandes cuestas sont réalisées en Lorraine. Le soulèvement a atteint 300 à 400 mètres depuis le
Miocène et l'érosion a pu travailler. Elle a d'autant mieux mis en relief les fronts qu'elle avait
affaire à d'épaisses couches dures et à d'épaisses couches tendres.
Les couches sédimentaires, au lieu d'être seulement basculées dans un sens, peuvent être
ondulées ou, comme on dit, plissées. Elles peuvent l'être de façon légère ou prononcée,
symétriquement ou dissymétriquement, sans parler de structures plus complexes qui seront
mentionnées plus tard.
3.1. L'évolution : relief jurassien, relief inversé, relief appalachien (figures 70 et 71)
Soit une succession régulière de plis simples ; si l'érosion attaque un tel ensemble, elle le
débarrasse d'abord des couches tendres qui peuvent le recouvrir. Les couches tendres ne
subsistent plus que dans les zones de moindre érosion, c'est-à-dire les fonds de synclinaux.
Une couche dure est mise à nu : c'est elle qui forme la carapace de la région. On n'a jamais
affaire à une surface tectonique originelle, car l'enlèvement des couches supérieures
commence pendant le plissement.
Figure 70 Évolution du relief plissé
Les principes de l'évolution du relief plissé s'appliquent en particulier aux ondulations des
nappes de charriage (figure 72). Le sommet d'une ondulation de nappe est en général enlevé
par l'érosion de façon à faire apparaître la nappe sous-jacente ou le terrain autochtone, c'est-à-
dire non charrié : on appelle fenêtre cet équivalent en structure charriée de la combe
(exemple : les massifs de l'Aar et du Gothard, l'Engadine). Une nappe érodée peut laisser
subsister des témoins de son ancienne avancée. On les appelle lambeaux de recouvrement ou
klippe (exemple : les Mythen, dans les Préalpes suisses, près de Schwyz, la Pousterle qui
domine la vallée de la Durance dans les Alpes françaises).
Reliefs plissés dans les bassins sédimentaires : Nous avons vu que, dans les bassins
sédimentaires, les couches inclinées évoluent en cuestas. Mais si l'inclinaison, au lieu de se
faire toujours dans le même sens, fait place à une disposition ondulée, le relief tend à se
disposer suivant des formes qui rappellent, à l'échelle près, le relief jurassien. Une déformation
anticlinale, toute atténuée qu'elle soit, tend à être érodée en une espèce de vaste combe que l'on
appelle boutonnière (figure 73) : la boutonnière est limitée par deux cuestas qui se font face et
qui ont une position analogue à celle d'un crêt limitant une combe anticlinale, mais ici les
pendages sont faibles, les hauteurs modérées, la largeur très ample. Exemple : le pays de Bray.
Nous avons vu (p. 116) comment les cassures tectoniques sont responsables de
dénivellations de blocs de l'écorce et de complications de structures. L'érosion, et sa
contrepartie l'accumulation, réagissent à la formation de ces dénivellations tectoniques et il
faut maintenant observer leur œuvre.
Si un bloc se soulève le long d'une faille, l'érosion tend à l'attaquer, tandis que
l'accumulation met en place sur le bloc abaissé des dépôts appelés dépôts corrélatifs de la
faille. Ces dépôts ne sont épais que si, sur le bloc déprimé, aucun écoulement fluvial continu
vers l'extérieur ne s'est maintenu : en effet, un écoulement continu entraîne les matériaux et les
exporte. Les dépôts corrélatifs ne se constituent donc que sous régime endoréique, et ils
tendent alors à masquer le relief de faille qui se crée : le plan de faille est fossilisé au fur et à
mesure de sa naissance et n'apparaît pas dans le relief (il pourra être ultérieurement dégagé,
révélé).
Mais une faille qui n'est pas masquée par des dépôts corrélatifs au fur et à mesure de sa
formation se traduit aussitôt dans la topographie. Les cours d'eau se disposent alors, en
général, perpendiculairement à l'escarpement créé. Cet escarpement est l'escarpement de faille.
Vu de face, il présente un alignement de facettes trapézoïdales (figure 74). Chaque facette est
formée par une section de la base de l'escarpement (grande base du trapèze), une section du
sommet de l'escarpement (petite base du trapèze) et deux flancs de gorges découpantes (côtés
du trapèze). Ces facettes sont particulièrement nettes sous climat aride parce que l'abrupt ne
s'émousse pas, et c'est dans les déserts de l'Ouest des États-Unis qu'elles ont été d'abord
remarquées. Sous un climat tempéré humide, elles s'émoussent très vite, et les plus belles
facettes que l'on remarque dans nos régions (par exemple celles de l'escarpement occidental
bordant la Limagne) sont en fait des portions de plans de faille fossilisés par des dépôts et
redécoupés en facettes très récemment.
L'érosion des versants de cours d'eau découpant l'escarpement et la dégradation des facettes
vont bientôt faire reculer l'escarpement. Son tracé pourra devenir sinueux, avec un recul
maximum le long des ruisseaux les mieux alimentés. Son pied sera fossilisé par des déjections
issues du bloc supérieur, si du moins l'érosion ne les enlève pas de sur le bloc abaissé.
Le recul de l'escarpement de faille se fait suivant les lois de l'érosion sélective. Dans une
région de structure sédimentaire dénivelée en blocs monoclinaux par des failles contraires, le
recul crée des conditions favorables à la réalisation de cuestas : si à la base de l'escarpement
primitif affleure une roche tendre et imperméable, surmontée par une roche résistante, celle-ci
va former une corniche qui reculera à la manière d'un sommet de front de cuesta (figure 75A).
On ne saura plus alors si l'on est en présence d'un escarpement de faille ou d'une cuesta
question de pure terminologie d'ailleurs. Il s'agira, à vrai dire, d'un escarpement de faille
évoluant en cuesta. Ce cas est réalisé dans le Mâconnais.
L'analyse morphologique des reliefs de faille repose donc sur l'examen de deux séries de
facteurs :
• le style tectonique pour le connaître, il faut, d'une part, observer les tracés, d'autre part,
restituer l'allure des déformations dues aux failles ;
le degré d'évolution des escarpements.
Chapitre 13
1. Structures discordantes
Si l'on suppose qu'une série a été, après son dépôt, basculée, érodée jusqu'à donner une
pénéplaine, recouverte par la mer et par de nouveaux sédiments puis soulevée à nouveau et
basculée, chacune des deux séries donne un relief de cuesta.
Ce cas est représenté dans les régions du Bassin parisien qui bordent le Massif armoricain et
dans le Sud-Ouest de la Plaine anglaise. En effet, dans ces régions, la craie crétacée repose en
discordance sur une surface tranchant toutes les couches antérieures. La série précrétacée a été
attaquée par l'érosion récente qui y a dégagé des cuestas. Mais le crétacé s'avance vers l'Ouest
sans aucun rapport avec les directions des cuestas formées par les couches sous-jacentes et sa
propre cuesta est située au voisinage du massif ancien du Devon et du Massif armoricain. Une
butte-témoin crétacée s'élève même à l'ouest d'Exeter, en pleine dépression périphérique
(figure 77), comme si une butte-témoin de la cuesta de Champagne dominait la région
d'Épinal. On a là un type compliqué de structure discordante dans un bassin sédimentaire (voir
le schéma de la page 18 dans Documents et méthodes pour le commentaire de cartes, par M.
Archambault, R. Lhénaff et J.-R. Vanney).
Supposons qu'une chaîne plissée ait évolué de façon à présenter un relief jurassien ou même
un relief inversé. Si elle est alors abaissée tectoniquement dans son ensemble et envahie par la
mer, une sédimentation discordante reposant non sur une pénéplaine mais sur une surface
topographique avec des crêts, des combes et des vals, vient se superposer à peu près
horizontalement à l'ancienne série plissée en remplissant d'abord les dépressions. Si la région
se soulève à nouveau, l'érosion reprend et le relief évolue dans la nouvelle structure complexe
(figure 78). Si de nouveau un plissement affecte pour la seconde fois la première série et pour
la première fois la série nouvelle, on peut avoir deux familles générales de formes structurales
dérivées. Dans ce cas, il est bien évident que la seconde série sédimentaire est moins
violemment plissée que la première et que le modelé y est plus calme.
On se souvient que les cours d'eau peuvent être adaptés ou inadaptés aux reliefs des cuestas.
Il en est de même dans le cas d'un relief plissé : une rivière qui franchit un anticlinal en cluse
est inadaptée, un ruz qui descend le flanc d'un anticlinal ou un cours d'eau logé dans un val
synclinal sont adaptés à la structure.
Si l'on comprend facilement qu'un cours d'eau se loge dans une dépression de type val, il est
plus difficile de comprendre le franchissement des anticlinaux par les cluses. Plusieurs
explications se présentent :
• le cours d'eau a pu profiter d'une cassure perpendiculaire à la direction de l'axe du pli ;
la cluse peut résulter d'une capture ;
le cours d'eau a pu s'établir sur une surface d'érosion qui a tranché tout le relief, puis
l'encaissement a créé des formes nouvelles dérivées (interprétation possible pour les
reliefs appalachiens seulement) ;
le cours d'eau s'est établi sur une couverture discordante, comme si, sur la figure 78, il
s'était établi sur la molasse. Puis l'érosion a pu faire disparaître cette couverture. Ainsi
s'explique que le Rhône traverse le pli de Donzère entre la plaine de Montélimar et
celle du Tricastin (figure 79). On dit qu'un tel cours d'eau, établi sur un manteau de
dépôts masquant le relief sous-jacent, s'est surimposé ;
la rivière étant établie dans une direction quelconque avant le plissement, elle maintient
son cours pendant que le pli se forme, à la façon d'une scie qui continuerait à scier une
planche qu'on soulèverait au fur et à mesure de l'entaille (figure 80). C'est
l'antécédence.
Figure 79 Surimposition
Figure 80 Antécédence
On remarquera que beaucoup de ces théories s'appliquent non seulement au relief plissé,
mais au relief faille, qui pose des problèmes analogues d'adaptation et d'inadaptation du
réseau. En effet, une rivière peut aller d'un fossé à un autre fossé en entaillant en gorge un
horst : elle peut suivre une fracture scindant le horst, ou s'être établie sur une pénéplaine ayant
nivelé toute la région, ou résulter d'une capture, ou s'être surimposée à une époque où le relief
du horst était masqué par un dépôt discordant comme les roches sédimentaires oligocènes du
Massif Central français , ou encore être antécédente par rapport aux effondrements et
soulèvements qui sont à l'origine des fossés et du horst.
Nous savons qu'un socle est une montagne formée de vieux matériel consolidé depuis
longtemps, tranché par une surface d'érosion qui se comporte comme une surface de
discordance et peut porter une couverture.
Quelle que soit la simplicité de cette définition, un socle peut être très divers. Il peut être
compris dans une chaîne alpine (c'est le cas du Massif du Mont-Blanc). Mais nous étudierons
ici surtout les socles qui se disposent en dehors des chaînes alpines proprement dites.
Les uns n'ont pas été plissés depuis l'époque précambrienne : ce sont les boucliers, tels le
Bouclier canadien, le Bouclier fenno-scandien. Ces boucliers ne comprennent guère de
sédiments plissés, mais ils ont pu être faillés, basculés, portés à des altitudes élevées (plus de 1
000 mètres dans la presqu'île de Kola). Cependant, leur morphologie est généralement plus
simple que celle des socles qui ont été plissés plus tard et qu'on appelle les massifs. Selon l'âge
de leur plissement, les massifs sont dits calédoniens, hercyniens, etc., étant entendu qu'un
massif peut avoir subi plusieurs phases de plissement. En tout cas, les massifs n'ont pas été
plissés tout au plus ont-ils été gauchis par les plissements d'âge alpin.
Les socles peuvent être formés de matériel cristallin (plutonique et cristallophyllien) ou de
matériel sédimentaire ancien plissé et consolidé (figure 81) : les formes sont alors tout à fait
différentes. Par exemple, un socle cristallin offre souvent un modelé de granits (boules, etc.) ;
au contraire, un socle formé de roches sédimentaires présente, en général, un relief
appalachien. Le Limousin, dans le Massif Central français, formé presque entièrement de
roches cristallines, est un exemple du premier type. L'Ardenne franco-belge est un exemple du
second type. Le Massif armoricain, qui associe roches cristallines et roches sédimentaires
primaires plissées, appartient à un type intermédiaire.
Le rôle de la tectonique d'âge récent permet aussi d'établir un principe de classement :
certains massifs ont été peu basculés, comme la partie limousine du Massif Central ; d'autres,
au contraire, comme la partie médiane du Massif Central (Auvergne, Velay) ont été très
disloqués, coupés de fossés et de horsts et même le volcanisme y a surgi.
La présence ou l'absence d'une couverture sédimentaire discordante (présente dans le
Mâconnais, absente dans le Limousin) introduit un autre élément de variété dans la géographie
structurale des massifs anciens.
Les formes du contact des massifs anciens avec leur bordure dépendent non seulement de la
structure mais aussi du système d'érosion climatique. En effet, la plupart des roches qui
constituent les massifs anciens sont résistantes sous les climats tempérés et peu résistantes
sous les climats chauds, de sorte que sous ces derniers, les massifs anciens sont parfois
excavés par l'érosion alors qu'ils restent en relief dans les régions de climat tempéré. Nous
allons partir d'un type de structure simple et montrer qu'il donne des reliefs différents suivant
le climat. Nous passerons ensuite en revue des types plus compliqués.
4.1. Massifs anciens basculés sur lesquels repose une couverture discordante de grès ou de
calcaire résistants
Soit un massif ancien basculé qui plonge régulièrement sous une couverture sédimentaire
dont la couche la plus ancienne est une épaisse assise résis tante. Cette assise forme cuesta ;
mais, si le climat ne permet pas l'évidement du massif, il n'existe pas de dépression
subséquente taillée en roche tendre (figure 82, 1 a). Si, au contraire, le climat, chaud, se traduit
par un évidement du massif, alors que la couche sédimentaire résiste, c'est tout le massif qui
constitue une espèce de dépression (figure 82, 1 b).
Le type classique est un peu plus compliqué que le précédent parce qu'il suppose l'existence
d'une alternance couche dure et couche tendre dans la série sédimentaire. L'exemple le plus net
est la bordure nord du Morvan (figure 82, 2). On constate :
• un basculement net du massif, dont la surface de discordance (ici, la pénéplaine
posthercynienne) plonge régulièrement sous la couverture sédimentaire également
inclinée ;
l'existence d'une masse de couches tendres (la base du lias) reposant directement en
discordance sur le massif. L'érosion a pu en venir à bout facilement et développer une
véritable plaine de déblaiement récent, la dépression périphérique (appelée ici la Terre
Plaine) ;
une couche dure inclinée surmontant la masse de couches tendres. La couche dure est
tranchée en une cuesta dont le front domine la dépression périphérique.
Figure 82 Divers types de contact d'un massif ancien avec sa bordure sédimentaire
Dans quelques cas, s'interpose localement une aire de sédimentation en forme d'amande,
d'âge intermédiaire entre le plissement du massif ancien et le dépôt de la couverture
sédimentaire générale : tels sont les bassins d'Autun, sur la bordure sud du Morvan, et de
Saint-Dié, sur la bordure ouest des Vosges. Dans les deux cas, il s'agit de cuvettes permiennes
peu étendues, mais de sédimentation épaisse. Le trias s'est établi indifféremment sur le
permien et sur le cristallin.
Il en résulte que le permien, généralement tendre, est excavé largement là où les roches
dures de la couverture ont été enlevées. Le bassin apparaît donc comme une cuvette
topographique profonde, entre les tables de roche dure sédimentaire d'un côté et le cristallin
très redressé de l'autre (figure 82, 3). Mais, dans le détail, les anomalies sont fréquentes en
raison des nombreux changements de faciès dans le permien.
Les formes sont tout à fait différentes sur le pourtour du Limousin. En effet, une surface
d'érosion d'âge tertiaire a arasé à la fois le cristallin et la bordure sédimentaire (figure 82, 4).
Elle a été, par endroits, recouverte de sédiments peu épais, les sables sidérolithiques. Depuis la
pénéplénation et le dépôt de ces sables, le soulèvement du Limousin, à la fin du Tertiaire, a été
très modéré de sorte que l'érosion n'a pas eu de force pour attaquer sérieusement le relief ; les
vallées n'ont pas eu le temps de s'élargir : elles restent de simples couloirs étroits entre lesquels
la pénéplaine subsiste parfaitement. On passe donc du sédimentaire au cristallin sur cette
pénéplaine légèrement inclinée à la manière d'un glacis, sans se rendre compte du contraste
lithologique.
Les contacts par failles entre un massif cristallin et une bordure sédimentaire (figure 82, 5)
sont très fréquents. Dans beaucoup de cas, les failles ont été nivelées, non exhumées, et l'on est
ramené au type précédent mais la faille bordière peut aussi se marquer dans la topographie :
• On peut être en présence d'une vallée de ligne de faille (figure 82, 5a) (exemple,
bordure ouest du Morvan au nord du mont Vigne) entre le cristallin et le calcaire
bordier, l'un et l'autre pénéplanés au même niveau ;
Si l'érosion différentielle a pu s'exercer davantage, le contact se fait par un bel
escarpement de ligne de faille (figure 82, 5b), comme c'est le cas sur plusieurs
bordures du Massif Central ;
On peut avoir de grandes complications si le contact est haché de failles (figure 82, 5c).
Photographie 5 Vue aérienne de la faille de Limagne
1. Introduction
Cette étude nous intéresse à un double titre. Elle nous permet d'abord de comprendre les
originalités de la morphologie de chaque zone ; mais aussi, comme chaque zone a connu, dans
le passé, des successions de climats divers, les systèmes climatiques révolus n'ont pu manquer
d'y laisser leurs traces.
Le climat actuel ne règne sur l'Europe occidentale et sur l'Amérique du Nord que depuis une
période très courte du point de vue géologique dix mille ans environ pendant laquelle les
formes n'ont pu se remodeler complètement. Bien mieux, les conditions actuelles de l'Europe
occidentale depuis l'époque néolithique, temps où l'agriculture a remplacé dans le système
économique la chasse, la pêche et la cueillette, sont dominées par le grand rôle de l'érosion sur
sol labouré là où s'étendait autrefois un manteau forestier. Le système d'érosion qui se
développe sous nos yeux est donc un système dû à l'homme le système anthropique , artificiel
au premier chef, et qui ne s'est exercé que pendant une durée très courte. Il importe de le
réduire à son rôle véritable et de chercher dans les climats du passé les responsables de la
morphologie actuelle.
À chaque climat correspond une couverture végétale qui influe sur les processus de
modelé ; ainsi la forêt freine considérablement l'érosion, car le feuillage ralentit l'effet de la
pluie, en ne laissant tomber sur le sol qu'un nombre restreint de gouttes, et avec un certain
retard ; le manteau de feuilles mortes au sol, le lacis des racines diminuent considérablement
l'érosion ; les quelques procédés qui l'accélèrent (arrachage de la terre par les racines d'un
arbre tombé) n'interviennent que rarement.
La steppe et plus encore le désert laissent apparaître le sol à nu. Ces formations végétales se
rencontrent sous des climats chauds et arides, comme sous des climats froids ; certains agents,
comme le vent, s'exercent donc sous des climats aussi différents que ceux du Sahara et de
l'Islande, mais en combinaison avec des processus d'érosion thermique différents dans les deux
milieux.
Une notion importante en géomorphologie est celle de crise climatique. Lors d'un
changement de climat, bien des plantes ne peuvent s'adapter aux nouvelles conditions et le
tapis végétal est détruit en attendant que, par l'apport de graines exotiques, une nouvelle
couverture végétale s'établisse. On se trouve momentanément en présence d'une plus grande
érosion : les sols, préparés par l'altération lors de la période précédente, peuvent être
brutalement enlevés. Dans la reconstitution de l'histoire géomorphologique, il faut donc tenir
compte non seulement des climats passés mais de ces crises qui provoquent une surexcitation
momentanée de l'érosion (ce que nous avons appelé p. 65-66, la rhexistasie, par opposition à la
biostasie).
La communauté scientifique n'a pas toujours donné la même importance à la
géomorphologie climatique. De 1950 à 1980, son rôle a peut-être été exagéré. On réagit
aujourd'hui. On a ainsi remarqué que sous climat arctique, malgré le rôle du gel, celui du
ruissellement a la même importance que sous climat tempéré…
Les climats anciens (ou paléoclimats) qui ont joué un grand rôle dans l'histoire
morphologique des formes actuelles sont les suivants :
• climat tropical des régions actuellement tempérées, pendant la première partie du
Tertiaire ;
dans la seconde partie du Tertiaire, le climat de l'Europe occidentale est de type chaud
mais non tropical avec quelques crises froides au Pliocène. Les climats du Quaternaire
méritent une étude particulière, du fait du caractère récent de l'ère et son importance
dans le modelé actuel, et parce que les changements climatiques ont été rapides.
Nous connaissons ces climats grâce à divers indices :
les renseignements fournis par la préhistoire, qui montre des outillages emballés dans
des sols de climats disparus ;
l'accumulation des tourbes dans les marécages nous indique toute une succession, de la
base au sommet. Chaque lit de tourbe a reçu en effet les pollens des espèces végétales
voisines du marécage. L'analyse pollinique, dite aussi palynologique, renseigne donc
sur la végétation et sur le climat de chaque époque ;
la proportion des deux isotopes O et O de l'oxygène varie avec la température. Les «
18 16
carottes » de sédiments forés au fond des mers indiquent une vingtaine de « stades »
depuis 700 000 ans. Cependant, comme les températures sous-marines ne traduisent
pas toujours synchroniquement les variations thermiques continentales, il faut utiliser
la méthode avec prudence.
Pour établir des datations en âge absolu, on s'est d'abord contenté de l'étude des vases
des lacs situés en avant des fronts de glaciers, et qui se présentent sous la forme de
feuillets (varves) dus à l'alternance d'un dépôt d'hiver et d'un dépôt d'été. En hiver, la
fonte du glacier est, en effet, minime, et la sédimentation est à dominante organique ;
en été, au contraire, elle est à dominante détritique, et la couche est plus claire et plus
épaisse. En comptant les feuillets de varves, on arrive ainsi à établir une chronologie
relativement précise. Aujourd'hui, on a recours aux datations radiométriques (chapitre
6, p. 60).
3. Le quaternaire : Les glaciations
Quelques-unes de ces méthodes, en liaison avec l'observation du terrain, ont permis d'établir
que le Quaternaire a connu plusieurs périodes glaciaires séparées par des périodes
interglaciaires de climat tiède, c'est-à-dire analogue au climat actuel ou légèrement plus
chaud. Dans les Alpes, on a cru reconnaître quatre glaciations, que l'on a nommées d'après des
rivières bavaroises : Günz, Mindel, Riss, Würm. (On remarquera que les quatre glaciations se
succèdent par ordre alphabétique, ce qui permet facilement de les retenir.)
En Amérique du Nord, de grandes calottes ont recouvert toute une partie du continent à
quatre reprises. On distingue donc aussi quatre glaciations : Nebraska, Kansas, Illinois,
Wisconsin.
Dans la plaine d'Allemagne du Nord, les études classiques conduisent à distinguer
seulement trois glaciations : Elster, Saale, Vistule. (L'ordre alphabétique, à la différence de la
nomenclature américaine, est encore respecté.)
À vrai dire, l'histoire des glaciations européennes de Günz et Mindel est mal connue et il ne
faut pas s'étonner que, dans d'autres régions que les Alpes, on n'ait pas trouvé d'équivalent du
Günz. Il faut en effet mettre en parallèle Mindel et Elster, Riss et Saale, Würm et Vistule.
L'accord n'est pas réalisé sur la chronologie absolue des époques glaciaires. L'interglaciaire
entre le Riss et le Würm a été relativement court. L'interglaciaire entre Mindel et Riss a duré
assez longtemps.
Le Würm a commencé, assez modérément d'ailleurs, vers 120 000 ans avant nous et s'est
achevé environ 10 000 ans avant nous.
Chaque glaciation a été coupée de stades tièdes et on tend aujourd'hui à allonger ces stades,
tandis qu'on raccourcit les interglaciaires proprement dits.
Dans les déserts, il n'y a jamais eu de glaciers. Mais, pendant que les glaciations
recouvraient les Alpes, l'Europe du Nord et une grande partie de l'Amérique du Nord, ils ont
connu des périodes plus humides que l'actuelle : ce sont les pluviaires.
Aux basses latitudes, la situation est mal connue. Il est possible que le climat ait été plus sec
pendant que les glaciations sévissaient aux hautes latitudes. Il semble, en tous cas, qu'il ait été
humide au début du post-glaciaire des hautes latitudes : en effet, les lacs d'Afrique orientale et
le lac Tchad eurent alors un niveau supérieur à leur niveau actuel.
4. Le quaternaire : Le postglaciaire
Depuis la fin de la dernière glaciation, le climat a été analogue au climat actuel. Cependant,
la glaciation ne s'est pas achevée d'un coup. Il y a eu un premier réchauffement appelé période
d'Alleröd entre 12 000 ans et 11 000 ans avant nous ; puis un retour du froid entre -11 000 ans
et -10 000 ans ; après quoi, les changements n'ont représenté que des nuances.
L'époque historique a connu aussi quelques variations. De 1100 à 1300 après J.-C., il
semble que le climat ait été assez chaud, d'où une expansion de l'agriculture avec de grands
défrichements. Au contraire, à partir de 1300 et jusqu'en 1900, le climat a été plus frais (cette
période a commencé par les disettes alimentaires du début de la guerre de Cent Ans). Certains
auteurs de langue anglaise ont appelé ce retour de fraîcheur le « Petit Âge Glaciaire » car
effectivement les glaciers de nos montagnes ont quelque peu progressé, au point que ceux du
Mont-Blanc ont failli barrer la vallée de Chamonix. De 1900 à 1954, les régions tempérées et
surtout les régions arctiques sont devenues nettement plus chaudes (de 1 degré au moins). On
se demande si la planète ne continue pas à se réchauffer.
Ces dernières petites variations climatiques n'ont pas eu beaucoup d'influence
géomorphologique, mais les grandes périodes chaudes du Tertiaire ont laissé, dans les
paysages des latitudes moyennes, des dépôts caractéristiques des climats tropicaux, et les
époques glaciaires du Quaternaire ont marqué puissamment une grande partie du monde.
Chapitre 15
ensemble grand comme plus de deux fois l'Europe que les glaciers ont dégagé et sur lequel
règne la morphologie glaciaire (figure 83).
Les glaciers actuels sont de toute taille. Certains se réduisent à des plaques de neige
persistantes. Ce sont les névés. À l'opposé, les inlandsis sont d'immenses étendues de glaces
continentales. Tous résultent d'un même phénomène : l'accumulation de la neige d'une année
sur l'autre.
Un glacier ne peut prendre naissance qu'au-dessus de la limite inférieure des neiges
permanentes. Mais il peut se terminer au-dessous de cette altitude car la glace s'écoule vers le
bas et ne fond pas immédiatement. Dans le Massif du Mont-Blanc, le glacier des Bossons se
termine à moins de 1 300 mètres, alors que l'altitude des neiges persistantes est de 2 800
mètres.
Au-dessus de l'altitude limite des neiges persistantes, tous les espaces ne sont pas englacés.
Certains pics ne portent pas de glace (à l'exception d'une pellicule de verglas) parce qu'ils sont
trop escarpés pour que la neige y séjourne ; on les désigne d'un nom esquimau : nunatak.
On peut distinguer, d'après leur disposition, cinq types de glaciers.
700 000 km trois fois la France pour l'inlandsis groenlandais). Leur épaisseur moyenne est au
2
moins de 2 000 mètres. Cette énorme accumulation de glace s'explique plus par la lenteur de la
fusion sous ces climats froids que par l'abondance de l'alimentation en neige, car le climat dans
ces régions est assez sec. La vitesse de la glace est très lente.
Sur la glace de l'inlandsis, l'eau de fonte forme chaque été des courants qui creusent des
canyons encaissés de quelques mètres, les bédières, avant de disparaître dans des puits ou
moulins, termes du langage alpestre, mais qui conviennent tout particulièrement à ces
phénomènes d'inlandsis.
Certaines langues de l'inlandsis atteignent la mer, où la houle et les marées les fragmentent
en icebergs.
De bien plus petites dimensions que les inlandsis, des calottes revêtent des montagnes et
peuvent émettre des langues divergentes à leur périphérie. Tel est le cas du système glaciaire
du mont Rainier, dans l'Ouest des États-Unis, réplique actuelle de ce qu'a dû être aux périodes
froides le massif du Cantal (Massif Central français).
Dans les montagnes dont les sommets dépassent de peu la ligne des neiges persistantes, des
glaciers se logent souvent dans des cirques (parties les plus basses des montagnes arctiques ou
subarctiques, montagnes tempérées et tropicales). Le glacier (figure 84) est de dimensions
réduites et dominé par des parois rocheuses presque verticales, d'où descendent les avalanches
qui l'alimentent.
Figure 84 Glacier de cirque (coupe), sa rimaye, sa moraine
Remarquer la barre rocheuse qui ferme le cirque à l'aval (et qui n'existe
d'ailleurs pas dans tous les cas).
Entre la paroi rocheuse et la glace qui s'en décolle, l'espace béant est appelé la rimaye.
Une moraine, ou plutôt un « croissant de névé », formé par le dépôt des matériaux glissés,
se localise à l'extrémité aval.
Les glaciers de vallée, nombreux dans les montagnes alpines, se présentent essentiellement
comme des langues qui reçoivent dans leur partie amont des glaciers affluents.
La langue glaciaire présente une topographie convexe car la fusion est plus forte sur les
bords. La surface de la glace est plus ou moins recouverte de dépôts (moraines) (figure 85).
Les moraines latérales sont formées par les matériaux tombés sur le glacier ou arrachés par lui
aux parois de la vallée ; quand deux courants de glace confluent, il se forme une moraine
médiane par juxtaposition de deux moraines latérales. Le glacier peut transporter des pierres à
l'intérieur de la masse de glace : elles constituent la moraine interne, mais il semble que cette
charge interne se limite à peu de chose, les galeries creusées pour les captages sous-glaciaires
en vue d'installations hydroélectriques n'ayant rencontré dans la plupart des cas qu'un petit
nombre de blocs pris dans la glace. En revanche, les moraines de fond, constituées de blocs et
de matériaux triturés sur le fond, représentent un volume appréciable. Enfin, le glacier dépose
sur son front les matériaux transportés : ils constituent la moraine frontale, dite aussi moraine
terminale ou vallum (en latin, vallum = rempart) morainique.
Toutes ces formes d'accumulation ne sont pas spéciales au glacier de vallée, mais c'est là
que la terminologie peut être le plus nettement établie.
Figure 85 Langues glaciaires et glacier de piedmont
On n'a figuré de moraines que sur le glacier central. Remarquer les moraines
latérales, médianes, terminales. La moraine terminale n'est pas ici un vallum mais
une accumulation en nappe, car le système représenté est plus alaskien qu'alpin.
Le lacis de cours d'eau de fonte est caractéristique de la zone d'accumulation dite
fluvio-glaciaire située en avant du front, le sandur (voir plus loin p. 159). Tr. :
transfluence entre deux glaciers de vallée voisins (voir p. 156).
Si plusieurs glaciers de vallée sont assez bien alimentés pour arriver jusqu'au dehors de la
montagne, ils édifient des lobes de piedmont qui peuvent entrer en coalescence (figure 85). Tel
était le cas des glaciers alpins pendant les époques froides. Actuellement, on en trouve des
exemples dans l'Alaska (glacier Malaspina). De tels glaciers arrivent dans une zone qui peut
être assez constamment tiède, d'où l'extrême importance prise par les phénomènes de fusion,
si bien qu'ils ne donnent pas de moraines proprement dites, mais des accumulations d'alluvions
en nappes.
3.1. Le cirque
Comme le glacier de cirque est un des plus réduits des glaciers, le cirque est une des plus
simples des formes glaciaires. C'est une dépression en demi-cercle dominée par des parois
abruptes. Il existe des cirques de toutes dimensions : petites niches de quelques dizaines de
mètres de largeur, vastes amphithéâtres terminant à l'amont les vallées glaciaires. Il y a lieu de
distinguer :
• les cirques en forme de niche accrochés au flanc de la montagne. Les plus grands de ces
cirques élémentaires ont un fond plat ou faiblement ondulé abritant parfois un petit lac (figure
86). Vers l'aval, ce cirque peut être fermé par une contre-pente qui le barre ;
• les cirques complexes, en escaliers, découpant toute une tête de vallée glaciaire. Tel est le
cas du cirque de Gavarnie.
Les montagnes sculptées par les cirques présentent des crêtes disséquées en dents de scie,
modelées non par l'érosion glaciaire car elles ont toujours été libres de glace (nunataks) mais
par le gel s'exerçant sur des parois nues. Il peut se faire qu'aux points d'intersection des crêtes,
se dresse une pyramide, ou horn (figure 86), dominant de beaucoup le niveau général des
dents de scie (exemples : le Cervin dans les Alpes suisses).
On la trouve surtout dans les montagnes, où elle résulte de l'action d'une langue glaciaire.
Vallée glaciaire, vallée en U, vallée en auge, ces trois termes ont été pris souvent pour
synonymes.
De nombreuses vallées glaciaires ont une forme d'auge caractéristique, avec des flancs
abrupts et un fond plat. Toutefois, la planité du fond est bien souvent due au remblaiement
d'un ancien lac par le cours d'eau qui coule dans la vallée : tel est le cas de l'auge du
Grésivaudan. En dehors des zones qu'occupait un ancien lac, la vallée glaciaire offre en
général un profil en berceau, à fond moutonné.
Certains secteurs de vallée n'ont cependant pas une forme en U très nette ; d'ailleurs, au
fond de l'U, le cours d'eau sous-glaciaire, qui recueille les eaux de fonte, a pu modeler une
gorge en V.
Si toute vallée glaciaire n'est pas une vallée en U, toute vallée en U n'est pas une vallée
glaciaire. Toutes les fois qu'on a affaire à une vallée dans des roches dures capables de
maintenir une forte pente sur les versants, et dont le fond s'élargit par sapement latéral
(sapement par cours d'eau chargés divaguant, sapement par migrations de méandres vers
l'aval), les conditions sont réalisées pour l'élaboration d'une forme en auge. Il suffit que la
rivière coule sur un lit majeur alluvial assez large, qui est aussi plat qu'un fond de lac
remblayé, pour qu'on ait une auge alluviale non glaciaire (figure 15, 3).
La vallée glaciaire se reconnaît non pas à un critère unique, mais à un ensemble de faits :
présence de dépôts morainiques, modelé caractérisé par des irrégularités du profil en long et
du profil en travers.
Le profil en long
Une des irrégularités les plus nettes est due aux discontinuités des placages morainiques et
surtout au vallum plus ou moins bosselé de la moraine frontale.
Mais l'essentiel du modelé du profil en long est dû non à l'accumulation, mais à l'érosion.
C'est elle qui est responsable du surcreusement, c'est-à-dire du creusement se terminant à
l'aval par une contre-pente.
En effet, la vallée glaciaire est une succession d'élargissements, les ombilics, qui sont aussi
des zones d'approfondissement, et d'étroits, les verrous, qui sont des reliefs barrant la vallée
(figure 87 et 88). Un lac a souvent occupé les ombilics que l'action de la glace a surcreusés.
Ainsi les lacs subalpins de Suisse ou d'Italie, certains lacs écossais, comme le Morar, ont des
profon deurs de plusieurs centaines de mètres, et leur fond est parfois au-dessous du niveau de
la mer (lac de Garde : 295 mètres). Le Grésivaudan a été, lui aussi, creusé jusqu'au-dessous du
niveau de la mer, et c'est le remblaiement du lac de surcreusement qui a masqué l'ancienne
dépression.
Figure 87 Coupe longitudinale dans un lit glaciaire, montrant le façonnement d'un
ombilic et d'un verrou
Figure 88 Profil en long d'une vallée glaciaire (trait plein) et retouche post-glaciaire du
profil fluvial (trait interrompu)
Le profil en travers
Le profil en travers est tout aussi irrégulier. Quand il est simple, il varie entre des formes de
« poêle à frire », de « coupe d'œuf » et de « V ». Les irrégularités sont dues non seulement à
des moraines éventuelles (dépôt de moraines de fond, crêtes allongées des moraines latérales),
mais aussi à des replats ou épaulements (figure 86), qui dominent de quelques centaines de
mètres le fond de la vallée et sur lesquels se fixent souvent les villages. Les épaulements
peuvent être simples ou multiples, superposés, comme si plusieurs auges étaient emboîtées
l'une dans l'autre. Certains peuvent être structuraux ; dans ce cas, on peut les expliquer comme
des irrégularités dues à des roches dures et que l'érosion glaciaire n'a pas pu supprimer
(tithonique du Grésivaudan). Mais il existe aussi des replats sur des flancs dont la lithologie
est parfaitement homogène. Le problème de l'origine des épaulements est très compliqué et on
ne l'abordera pas ici.
Les confluences de vallées glaciaires ne se font pas toujours de plain-pied, comme celles
des vallées fluviales ; une vallée est souvent suspendue au-dessus de l'autre (figure 86) : elle
débouche parfois à plusieurs centaines de mètres au-dessus. Ainsi, la vallée de Cauterets est
suspendue au-dessus de celle du gave de Pau. Il peut même arriver que ce soit la vallée
aujourd'hui principale qui débouche au-dessus de celle qui est devenue secondaire ; ainsi la
vallée de la haute Romanche débouche au-dessus de la vallée du Vénéon, probablement parce
que celle-ci, mieux alimentée en glaces par la haute ceinture de l'Oisans, était capable de
creuser davantage ; au contraire, la vallée de la haute Romanche perdait une partie de la glace
d'apport par le col du Lautaret. Il semble bien que ces gradins de confluence soient dus, en
effet, à l'inégal creusement des deux glaciers, le raccord de la surface de la glace se faisant de
plain-pied, mais le niveau du fond étant d'autant plus profond que le courant de glace était plus
épais.
Si un glacier dans sa vallée trouve un col de flanc dont le niveau est inférieur au niveau de
la surface de la glace, il émet une digitation qui peut passer le col et le modeler en berceau.
Ainsi se sont formés les larges cols de transfluence, ou de diffluence (figure 85), qui sont
nombreux dans les Alpes (presque tous les cols carrossables), plus rares dans les Pyrénées, ou
la haute crête formait obstacle au franchissement par les glaces (cependant, le col de
Puymorens est un remarquable exemple). La glace peut même avoir modelé une véritable
vallée de transfluence, ce qui est le cas pour les cluses d'Annecy et de Chambéry. Ainsi les
montagnes fortement englacées pendant les périodes froides du Quaternaire se présentent
aujourd'hui comme un lacis de larges vallées à ombilics et verrous avec transfluences
(montagnes scandinaves, Écosse, Alpes) facilitant la circulation, et contrastant avec les hautes
crêtes découpées entre les cirques ou les hautes surfaces modelées par les glaciers de plateau.
La topographie des plaines et des plateaux glaciaires est très différente de celle des vallées
et des crêtes. Ce sont, en général, des surfaces aux ondulations peu prononcées, qui sont
désignées en Scandinavie sous le nom de Fjell ou Fjeld, coupées de rares auges, généralement
peu profondes.
Les formes d'érosion dominent dans la zone de départ des glaces (Nord du Canada, Nord de
la Suède et de la Finlande) ; au contraire, les zones d'accumulation les plus actives se situent à
la périphérie du glacier (Allemagne du Nord, Nord de la plaine centrale des États-Unis). Mais
les deux types de formes s'imbriquent souvent, d'autant plus que, pendant le recul glaciaire, ce
qui était le centre des inlandsis a pu devenir pour un temps une zone marginale.
Les régions où dominent les roches moutonnées se présentent comme des ensembles
bosselés. Les bosses sur lesquelles affleure le rocher à nu, strié, poli par la glace, ou découpé
en blocs, émergent au-dessus de petites dépressions occupées par des étangs ou des tourbières,
résultat de l'accumulation postglaciaire dans les bas-fonds surcreusés. De petits placages
morainiques peuvent empâter les versants rocheux, mais ils ne constituent qu'un trait mineur
du relief.
L'accumulation prend des formes très différentes selon qu'elle s'est faite sous un glacier
actif ou sur sa marge.
Si l'accumulation s'est faite sous un glacier actif, deux types de paysage dominent :
• les successions de drumlins ; les drumlins (figure 89) sont des collines en forme de dos
de baleine avec quelques variantes. Leurs dimensions sont diverses : longueur de
quelques dizaines à quelques centaines de mètres ; largeur en moyenne trois fois plus
petite que la longueur, hauteur de 5 à 40 mètres. Ces drumlins se groupent, en général,
en « champs » où des dépressions marécageuses séparent les collines ovoïdes. Le
grand axe des drumlins est grossièrement parallèle, dirigé suivant l'ancien écoulement
de la glace. Le drumlin peut avoir ou ne pas avoir de noyau rocheux ; il est en tout cas
composé de matériaux apportés par le glacier, non nécessairement roulés et souvent
mal stratifiés. Il joue le rôle qui, dans l'accumulation fluviale, est celui du banc de
sable, c'est-à-dire qu'il représente le résultat d'un excédent local de charge que le
glacier dépose, tandis que l'écoulement de la glace modèle le dépôt. Les drumlins ne
sont donc que des épaississements locaux de la moraine de fond, que le glacier a
modelés suivant des formes dues à sa dynamique propre ;
• les plaines de moraine de fond, dont le relief est plus informe, là où l'accumulation n'a
pas été localisée par paquets, comme dans le cas du dépôt de drumlins.
La moraine de fond est un manteau assez irrégulier, tantôt plat comme dans une partie
de l'île de Seeland, au Danemark, tantôt ondulé en collines mal digitées, coupées de
petits lacs. Le manteau morainique, contrairement à ce qu'on a longtemps cru, n'est
jamais épais (quelques mètres en moyenne ; une trentaine de mètres si plusieurs
moraines se superposent). Aussi moule-t-il, tout au plus en l'atténuant, le relief
préglaciaire.
Les parties les plus surcreusées des inlandsis, celles qui coïncident avec des sections où la
glace, sans perdre de son épaisseur, s'écoulait plus vite ou avec les vastes affleurements de
roches tendres (sédiments les plus tendres de la Suède centrale), ont été excavées en lacs. Telle
est l'origine de nombreux lacs d'inlandsis, comme ceux qui marquent la bordure du Bouclier
canadien.
Si l'accumulation s'est faite sur la marge du glacier, les formes sont plus compliquées parce
que le travail de l'eau de fonte, c'est-à-dire des eaux appelées fluvio-glaciaires, s'y combine
avec celui de la glace. De plus, les dépôts contemporains du recul du glacier s'y mêlent avec
ceux de la phase d'avancée maxima. Pendant le recul, la glace fond sur place et n'est plus
animée d'un mouvement vers l'aval. Elle se disloque en masses et en culots séparés par des
lacs ou par des eaux courantes. On tend à donner de plus en plus d'importance aux formes
engendrées par l'accumulation des alluvions sur, sous, entre les masses de cette glace morte.
Les eaux de fonte peuvent s'écouler perpendiculairement à la limite du glacier en s'éloignant
de lui, ou constituer de longs courants qui longent son front et sont appelés courants
proglaciaires. C'est l'origine des grandes vallées de la plaine germano-polonaise, aujourd'hui
tronçonnées par des changements de cours post-glaciaires (figure 90). Ces grandes vallées
correspondent à autant de stades de retrait de l'inlandsis. Les savants allemands les ont
nommées Urstromtals. Mais les eaux proglaciaires peuvent aussi former des lacs, là où se
découvre une zone surcreusée ou une vallée barrée par la glace. C'est le cas des Grands Lacs
américains, pendant les stades de retrait de la dernière glaciation.
La fonte des glaces lors des réchauffements climatiques a pour conséquence d'augmenter le
niveau du plan d'eau des mers. On sait qu'on appelle mouvement eustatique un mouvement
général du niveau de base marin. Il s'agit, dans le cas présent, d'un mouvement dit glacio-
eustatique. Mais elle se traduit aussi par un mouvement isostatique : les portions de continents
libérées par la glace sont allégées et, comme elles se trouvent pour ainsi dire en équilibre
instable, elles se soulèvent progressivement. Ainsi, la Scandinavie a subi un mouvement
isostatique qui, dans la région de l'amplitude maxima, a atteint plus de 250 mètres (extrémité
nord du golfe de Botnie). Il en résulte des conséquences sur le dessin des côtes, l'aménagement
de terrasses marines, la sédimentation.
Pendant le retrait des glaces scandinaves, la mer a envahi sur le pourtour de la Baltique des
territoires actuellement exondés, mais situés alors au-dessous du niveau de la mer en raison de
la dépression isostatique de la Scandinavie, où le relèvement consécutif à la fonte ne s'était pas
encore produit. De cette mer, il reste de nombreuses terrasses témoins et des dépôts, les argiles
à Yoldia, précieuses pour l'agriculture des régions riveraines de la Baltique et qui valent à
l'ancienne mer son nom de mer à Yoldia. Des événements analogues se sont produits dans la
vallée du Saint-Laurent, où la mer Champlain a occupé de vastes territoires, exondés depuis
par relèvement isostatique.
Avant de quitter le relief glaciaire, on n'oubliera pas que la glaciation a eu de nombreuses
autres conséquences sur le dessin des côtes. Notamment, les auges glaciaires occupées par la
mer qui constituent les célèbres fjords (chapitre 23, p. 210).
5. Conclusion
Le relief glaciaire aboutit à des formes très diverses dans les montagnes et dans les régions
d'anciens inlandsis ou de piedmont. Dans l'ensemble, toutes les formes dues au glacier lui-
même sont chaotiques (roches moutonnées, profils d'auge, moraines). Mais la collaboration de
la mer ou des eaux de fonte se traduit par des surfaces planes (plaines d'argile à Yoldia,
alluvions comblant les lacs proglaciaires, sandurs, terrasses fluvio-glaciaires).
Les formes dues au système glaciaire et fluvio-glaciaire sont assez rapidement oblitérées au
cours des périodes interglaciaires et postglaciaire. En effet, elles sont soumises aux
dégradations que leur fait subir le système dit périglaciaire. L'érosion fluviatile travaille aussi à
les détruire, en comblant les ombilics et en entaillant les pentes fortes (gorges de raccordement
entre deux sections d'une même vallée, entre une vallée suspendue et la vallée principale,
ravinements torrentiels des flancs d'auge). Si les formes de la dernière glaciation ont encore
gardé leur fraîcheur, c'est qu'elles sont très récentes.
Chapitre 16
1. Introduction
en moyenne) ou trop court pour donner lieu à une couverture végétale. Le roc est le
plus souvent à nu, donnant lieu à un paysage de blocs éclatés par le gel.
Une autre distinction à établir à l'intérieur du domaine périglaciaire est celle des régions à
sous-sol gelé en permanence et des régions dont le sous-sol dégèle entièrement en été. Les
premières correspondent à une température moyenne annuelle nettement inférieure à zéro
(mais, par endroits, le sous-sol gelé est fossile, hérité de la période würmienne, et il se résorbe
de plus en plus). Sous la couche superficielle qui gèle en hiver mais dégèle en été, il existe une
formation toujours gelée qu'on appelle tjäle (mot emprunté à contresens à la Laponie suédoise,
où il veut dire simplement sous-sol gelé), ou merzlota (mot russe), permafrost, ou pergélisol.
Cette formation joue un rôle considérable, non seulement dans les exploitations de mines (elle
dispense du boisage des galeries), mais aussi dans la morphologie. On a cependant exagéré
son importance. L'existence du permafrost n'est nullement indispensable à l'élaboration de la
plupart des formes dues au système périglaciaire. Au-dessus du tjäle, le sol dégelé, imbibé
d'eau, est le mollisol, qui, s'il ne dépasse pas 0,60 mètre, fait ressort sous les pas, avant qu'on
s'y enlise.
La zone actuellement soumise au système périglaciaire comprend deux domaines distincts :
celui des hautes altitudes et celui des hautes latitudes. De plus, au sud de la zone des hautes
latitudes arctiques, une large bande à connu, pendant les périodes froides du Quaternaire, un
climat tel que le système d'érosion périglaciaire y régnait. La plus grande partie de l'Europe
occidentale était incluse dans cette bande. Beaucoup de ses formes peuvent donc avoir été
modelées par les agents que nous allons étudier.
Le mécanisme essentiel est celui de l'action successive du gel et du dégel. Cette action
s'effectue avec une intensité
beaucoup plus faible à sec qu'en milieu humide. À sec, il s'agit presque exclusivement d'un
cas particulier des contractions et dilatations dues aux différences de température. Application
pratique de cette moindre action du gel en milieu sec : dans les pays froids, pour que les routes
ne se déforment pas trop, on les draine par des fossés profonds ou on les surélève d'environ 1
mètre pour les mettre en dehors des atteintes de la nappe phréatique.
En milieu humide, l'eau se fixe dans les roches ou dans le sol et, liquide au-dessus de zéro
degré, elle gèle au-dessous. En gelant, elle augmente de volume, fait éclater les roches et
gonfler les sols. Au moment du dégel, les fragments de roche, dont les interstices cessent d'être
soudés par la glace, se détachent. Quant aux sols, le dégel les imbibe d'eau car la glace s'y
répartit plus uniformément que dans les formations rocheuses. Le sol, au dégel, est donc
relativement fluide. Il peut solifluer sur les pentes ; en tout cas, son volume se réduit puisque
l'eau occupe moins de place que la glace ; sa structure se détruit. Après le dégel, peu à peu, le
sol se dessèche et son volume diminue encore par suite de ce dessèchement ; il peut se
fendiller.
Cette action du couple gel-dégel est donc, comme on le voit, très différente sur les roches et
sur les sols : elle aboutit, sur les premières, à un débitage de blocs, de cailloux ou de graviers
avec quelques détachements de particules fines. Suivant la structure de la roche, les débris qui
résultent de l'éclatement sont grands ou petits. Quand ils sont grands, comme pour les vieilles
coulées de basalte, on dit que l'on a affaire à une roche macrogélive ; quand ils sont petits,
comme pour la craie, qui en arrive même à donner une véritable bouillie emballant des
graviers, on dit que la roche est microgélive. Sur les sols, l'action du gel et du dégel boursoufle
plus qu'elle ne casse.
L'action du gel-dégel sur les sols varie suivant leur granulométrie et leur structure. Les sols
les plus capables de gonfler par le gel, donc de se déformer, sont les argiles, en raison de leur
structure feuilletée, et les limons (calibre : 2 à 20 micromètres) parce que les espaces libres
entre les grains sont assez grands pour admettre une grande quantité d'eau, mais assez petits
pour que les vides n'y soient pas considérables. Les sols sableux ou graveleux sont peu
affectés par le gel. On saisit tout l'intérêt de ces différences pour la composition des
revêtements de routes : il faut à tout prix éviter les revêtements limoneux et argileux.
On s'est demandé si le gel était plus efficace quand il était court mais vif, modéré mais de
longue durée, très coupé de périodes de dégel. En d'autres termes, les mécanismes les plus
actifs sont-ils ceux du gel intense, du gel de longue durée, de la répétition du couple gel-
dégel ? La réponse n'est pas simple. Tout dépend de la roche ou du sol concerné.
Une roche macrogélive comme le basalte des plateaux est particulièrement démantelée par
un gel de longue durée car les diaclases y sont nettes mais espacées. Le gel y procède par
ségrégation de glace, c'est-à-dire que l'eau se condense sous forme de glace sur la glace déjà
formée. Il se constitue donc dans les diaclases une glace qui s'épaissit. On obtient ainsi un
débitage de gros blocs. Au contraire, une roche microgélive comme la craie est surtout
sensible à la multiplicité des couples gel-dégel, quelque courts qu'ils soient, car il suffit de peu
de glace dans la roche pour la mettre en bouillie.
Quant à l'intensité du gel, elle peut faire fendre par contraction les roches les moins gélives
et les plus sèches. Mais en milieu humide, un gel intense n'est pas particulièrement actif parce
qu'au-dessous de 22 , la pression de la glace se relâche.
o
Si un froid très vif ne semble pas agir de façon particulièrement marquée dans les sols par
gonflement, en revanche, il peut produire dans ces sols des fentes verticales dues à la
contraction rapide ; une période de gel plus modéré et humide peut ensuite exploiter ces
fissures en y insérant des « coins » de glace qui s'agrandissent vers le bas et élargissent la
crevasse comme le ferait un « coin » de carrier à fendre la pierre. Les plus beaux coins de
glace se forment dans le permafrost. Il se forme ainsi un réseau régulier de fentes appelé, à
tort, réseau de polygones de toundra (voir ci-dessous).
Les mécanismes qui jouent un rôle subordonné dans les systèmes périglaciaires sont ceux
de la fonte des neiges, du ruissellement, du vent.
La fonte des neiges imbibe le sol et facilite la solifluxion, mais nous savons que le
mécanisme du dégel suffit à ramollir les sols et à leur faire perdre leur structure ; on a donc
beaucoup exagéré le rôle de la fonte des neiges dans l'humidification des sols périglaciaires au
printemps.
Le ruissellement n'est pas négligeable ; il se produit par grande pluie ou par fonte des
neiges, d'autant plus facilement que le sous-sol est gelé et par conséquent que l'infiltration
s'effectue mal.
Les grandes rivières, prises en glace pendant l'hiver, entrent en débâcle au printemps. Elles
charrient alors des radeaux de glace, qui, d'une part, raclent les berges, d'autre part transportent
de gros blocs de rocher : c'est le transport glaciel
Quant au vent, il n'agit pas sur les sols couverts de neige mais, dès que la terre est déneigée,
il peut soulever les particules sableuses, vanner les couches superficielles et n'y laisser que les
cailloux, déposer plus loin de véritables dunes. Armé de sable, il peut aussi s'attaquer aux
blocs et aux rochers pour les modeler en carènes. Il existe ainsi de nombreux blocs éolisés sur
les sandurs d'Islande.
3. Le modelé
Le modelé est très différent suivant qu'il s'agit d'espaces plats ou de pentes, de rochers ou de
formations fines, de surfaces nues ou de zones couvertes d'herbe. Nous opposerons surtout les
espaces plats et les pentes, mais, à l'intérieur de ces domaines, il est bien évident que la
couverture végétale et la lithologie jouent un rôle considérable.
Les sols polygonaux constituent un des aspects les plus typiques des pays arctiques ; on en
connaît aussi dans les montagnes de la zone tempérée et de la zone intertropicale. Ils se
présentent comme une succession de polygones (pentagones plus ou moins réguliers). Les
dimensions varient de plusieurs centimètres à plusieurs mètres (plus de 20 mètres pour des
formes géantes). Tantôt le centre des polygones est limoneux et les côtés formés de pierres
(type cercles de pierres), tantôt, au contraire, le matériel des côtés est fin et le centre du
polygone est formé d'un gros bloc auquel s'accolent des cailloux, plus petits (type roses de
pierres). Il existe aussi des polygones de matériel homogène, sans triage, et assez fin
(polygones dits de terre) ; quand ils sont géants, comme dans les plaines de la Sibérie arctique
et de l'Alaska, ils sont appelés des polygones de toundra, terme à éviter car on les trouve
justement dans les régions de terres nues alors que le mot toundra désigne une formation
végétale.
L'accord est loin d'être fait sur l'origine des polygones. On a notamment évoqué pour les
expliquer des courants de convection. Le maximum de densité de l'eau se plaçant à 4 , pendant
o
le dégel, l'eau située près de la surface a souvent une densité plus grande, surtout si elle est au
voisinage de 4 , que l'eau de glace fondante située au contact de la couche profonde non
o
dégelée et de la couche superficielle dégelée. Cette eau superficielle plus lourde a tendance à
s'enfoncer et à être remplacée par de l'eau à 0 , plus légère ; il en résulterait des mouvements
o
qu'une force minime et qu'ils seraient bien incapables de soulever des pierres, même de petites
dimensions.
Pour les polygones géants, nous savons qu'un processus de rétraction est à l'origine du
réseau de fentes fonctionnant ensuite comme lieux de ségrégation de la glace qui y forme des
coins. Les sols géométriques pierreux de maille plus petite semblent bien devoir leur origine à
des bombements juxtaposés formés par le gel, suivis d'un affaissement au dégel (figure 91B).
Ils commencent par un bourgeonnement du sol, puis les pierres migrent au cours des gels et
dégels successifs sur les pentes des petits bombements.
Il est évidemment difficile d'expliquer pourquoi ces processus aboutissent à la constitution
de réseaux aussi réguliers, mais c'est là un problème général, de même que la formation des
prismes de basalte. On est bien obligé d'admettre que des actions physiques continues
aboutissent à la constitution de formes discontinues, comme les prismes ou les polygones
séparés par des fentes.
Les buttes gazonnées sont des monticules dont les dimensions sont celles de taupinières. On
ne les trouve évidemment pas dans les régions les plus froides, sans végétation ; en revanche,
leur aire s'étend assez loin vers le sud ; dans le Massif Central français, il peut s'en former à 1
200 mètres d'altitude, alors que les sols polygonaux ne sont qu'embryonnaires à 1 750 mètres.
En Islande, elles caractérisent les zones basses, à l'exclusion du plateau central dénudé. Elles
peuvent se juxtaposer avec une grande régularité, formant de véritables champs de buttes.
Il semble que le processus de formation soit assez semblable, mais en milieu différent, de
celui des sols polygonaux. C'est un bourgeonnement dû au gel qui commence à élever
certaines mottes, mais ici on n'a pas de déplacement massif de pierres parce que la végétation
retient les particules du sol.
Les affleurements rocheux des versants sont débités par éclatement et fournissent des
accumulations de pierres, tandis que les formations fines produisent des accumulations de
boues qui descendent par solifluxion et dans lesquelles les pierres se trouvent parfois
emballées. Enfin, les avalanches zèbrent les pentes fortes de couloirs par lesquels descendent
la neige en hiver, l'eau de fonte au dégel.
Le résultat de la gélivation sur les escarpements rocheux est la formation de crêtes alpines
et d'abrupts coupés d'abri-sous-roche. Les crêtes alpines sont modelées en dents de scie et
pinacles, le rocher étant découpé en micro-arêtes et micro-faces qui offrent aux alpinistes les «
prises » qui permettent l'ascension. Des vallons de gélivation s'indentent dans les abrupts.
Quant aux abris-sous-roche, ils se forment au contact d'une couche très gélive et d'une couche
peu gélive la surmontant : la couche très gélive s'excave rapidement et la couche peu gélive
surplombe l'évidement (figure 92).
Les éboulis sont particulièrement fréquents ; ils constituent des amas de types divers suivant
qu'ils se sont disposés à sec selon les seules lois de la gravité ou qu'ils ont été déplacés dans
une matrice ramollie.
Les simples éboulis de gravité forment un talus en pente d'équilibre (chapitre 1, p. 20). Sur
les roches se débitant en graviers, se constituent des grèzes litées. Une coupe montre en effet
une succession de lits fins et de lits grossiers de 10 à 20 centimètres d'épaisseur. Leur origine
pose des problèmes difficiles. La pente des surfaces de grèzes litées est plus faible que le talus
d'équilibre de gravité.
Les coulées de blocs, appelées dans le Velay clapiers, se produisent sur des pentes encore
plus faibles (5 à 6 degrés) ; elles cheminent par suite des gels et dégels soit sur un matelas de
boue qui soliflue, soit sur des coussinets de glace interstitielle. On les appelle aussi glaciers
rocheux.
Les éléments fins sur les versants se disposent parfois en sols striés, c'est-à-dire suivant un
allongement des polygones dans le sens de la pente, si bien que les polygones, d'autant plus
qu'ils sont mal formés, se présentent comme des stries parallèles à la ligne de plus grande
pente. Leur genèse est la même que celle des sols polygonaux, mais les figures géométriques
ont été déformées par la descente.
Les régions cristallines des actuelles montagnes tempérées révèlent, comme relictes des
époques froides quaternaires, une superposition de deux formations solifluées sur leurs
versants : au contact de la roche, des arènes litées, fines, dues au fauchage (Photographie 3,
p. 14) ; au-dessus, des convois à blocs, enrobant des blocs rocheux dans une arène non litée.
Chacune des deux formations a une épaisseur de l'ordre du mètre. On ne sait si elles se sont
mises en place successivement ou simultanément.
Les versants, en système périglaciaire, obéissent, bien entendu, aux règles générales de
l'évolution des interfluves, mais présentent aussi des particularités. Le recul, sous l'action du
gel, des escarpements rocheux, donne des replats appelés parfois replats d'altiplanation ; au
contraire, quand il s'agit de roches microgélives comme la craie, le cheminement des éléments
fins donne de grands glacis de pente faible (1 à 5 %) à peu près constante. Seul reste convexe
le haut de l'interfluve ; tel est le modelé de la Champagne Crayeuse, hérité des époques froides
quaternaires.
4. Conclusion
Les processus et les formes caractéristiques du système périglaciaire présentent une grande
variété. Cependant, l'essentiel des mécanismes et des formes est dû à l'éclatement par le gel, au
gonflement des argiles et des limons et à la solifluxion.
L'intérêt de ces formes est d'autant plus grand que les pays tempérés les ont connues il y a
seulement 10 000 ans et qu'ils vivent encore sur leur héritage.
Chapitre 17
On pourrait être tenté de conclure à la prépondérance de l'action des eaux courantes. En fait,
il faut distinguer deux types de régions :
Les régions dont le total pluviométrique est assez faible (type : centre du Bassin parisien,
550 à 700 millimètres) et qui ne connaissent qu'exceptionnellement des pluies violentes.
Leurs petits cours d'eau, en milieu forestier, ne coulent que rarement de façon continue ; ils
n'ont de l'eau qu'après de fortes pluies ou au dégel, quand le sol, encore gelé, empêche
l'infiltration. Leur action ne s'exerce que peu de jours ; elle ne se fait sentir de façon violente
que lors de grandes crues qui se produisent au rythme d'une fois par plusieurs années. C'est
alors qu'ils peuvent raviner, allant jusqu'à arracher des arbres. Au contraire, les grands cours
d'eau ont des crues efficaces tous les ans ; ils creusent, transportent et déposent avec une
relative continuité, mais leur action sur les berges n'est que rarement catastrophique.
Sur les versants, le ruissellement est limité. L'eau chemine dans le feutrage des feuilles
mortes qui se comporte comme une éponge.
Dans ces conditions, le creeping est l'agent principal du modelé aréolaire, mais il est
d'autant plus lent que les variations de volume du sol dues au gel sont peu importantes et que
les racines retiennent les formations meubles.
L'altération chimique, en raison de la modération des températures, est très lente : c'est là la
différence essentielle avec le milieu forestier équatorial (chapitre 19, p. 181).
Au total, ce système d'érosion de type « parisien » est un des moins agressifs qui soient. Il
procède par actions exceptionnelles (grandes crues, coulées boueuses) et lente cicatrisation des
plaies ainsi formées.
Mais le système indolent des forêts océaniques peu humides est relayé, partout où le
défrichement a supprimé la forêt, par le système anthropique, beaucoup plus violent (chapitre
21).
Les régions dont le total pluviométrique est élevé (type : côtes du Japon, 1 100 à 2 500
millimètres) et qui connaissent chaque année des pluies violentes (de typhons notamment).
Le sol y est souvent saturé, si bien que l'écoulement sur les versants est fréquent et que des
glissements de terrain se produisent lors des fortes pluies, malgré la densité du couvert
végétal. Les glissements sont facilités par l'altération chimique, très profonde en raison de
l'humidité et de la forte température de l'été (moyenne d'août à Tokyo : 26 ). De ceso
1. Introduction
Toutes ces régions sont caractérisées par une couverture végétale à peu près nulle (zone
aride) ou clairsemée (steppes de la bordure désertique, forêts claires de chênes-verts des
régions méditerranéennes) ; le sol est mal retenu.
La plus grande partie de la zone aride est aréique, c'est-à-dire qu'elle n'a pas d'écoulement
permanent ; les steppes de la bordure sont aréiques ou endoréiques, la zone méditerranéenne
endoréique ou exoréique. De toute façon, les cours d'eau, exception faite de rares régions
calcaires où les réserves de nappes aquifères sont considérables, ont un régime d'écoulement
spasmodique. Tels sont les oueds du désert, lits de rivières le plus souvent à sec ou les
fiumaras d'Italie méditerranéenne. On a dit des cours d'eau méditerranéens qu'ils sont « le
séchoir favori des ménagères ».
Toutes ces zones ont des températures contrastées, surtout dans les déserts chauds ; les
sables peuvent atteindre 70 au soleil. Cependant, les écarts quotidiens de température à
o
Les sols adaptés à ces régimes climatiques sont en général peu épais ou inexistants. Dans les
déserts, on ne trouve pas cet ensemble de grains rendu cohérent par l'humidité telles que se
présentent les terres des pays frais. Tout au plus rencontre-t-on des sols constitués à une
époque plus humide que la nôtre et dont le vent enlève aujourd'hui les éléments fins. Ou
encore, sur les roches dénudées, les actions chimiques peuvent avoir établi des vernis, enduits
superficiels d'un noir brillant riches en manganèse, épais de quelques dizaines de millimètres
et d'origine obscure.
Dans les pays semi-arides (de 150 à 500 millimètres de précipitations par an), il se forme en
surface ou à faible profondeur, des croûtes calcaires ; l'origine de ces croûtes est discutée ; il
semble, en tous cas, qu'elles sont dues au fait que les précipitations sont trop rares pour que
d'autres matières que les sels et les calcaires soient dissoutes ; les sels et les calcaires sont, tout
de suite après les pluies, fixés par capillarité ou par des organismes végétaux en surface ou à
l'intérieur du sol superficiel. Il en existe plusieurs sortes : pulvérulentes, lamellaires, massives.
Dans ce dernier cas, elles se comportent comme des couches dures, formant des surplombs, tel
celui qui constitue le « toit » des grottes de Bethléem, aménagées en crèches par les bergers.
Dans les fonds des pays trop secs pour que même le calcaire soit dissous, seuls les sels
(chlorure de sodium, sels de potasse) sont mis en mouvement par l'eau d'infiltration actuelle et
remontent à la surface, donnant des efflorescences ou des tapis de sels comme les sebkras
sahariennes.
Dans ces pays mal protégés par la végétation et où la solifluxion ne peut évidemment guère
s'exercer, les principaux agents de l'érosion sont originaux.
Le ruissellement, nul dans un désert absolu, est au contraire actif, malgré la rareté des jours
où l'eau coule, dans les régions subarides. Il y est d'autant plus agressif que la couverture
végétale n'y est pas continue et que la terre n'est pas cohérente comme dans les régions
tempérées humides.
Dans ces régions semi-arides, les versants sont violemment attaqués par les pluies
soudaines. Dans les argiles non boisées, se constituent des ravinements en bad-lands (chapitre
7, p. 70). Sur les pentes rocheuses, le sol peut être complètement enlevé par le ravinement : la
roche y apparaît donc souvent à nu ; les formes structurales sont dégagées et la structure se lit
sur la montagne décharnée.
En contrepartie de ces attaques intenses, les cours d'eau ont des lits majeurs démesurés,
encombrés de cailloux énormes et ne sont envahis qu'au moment des crues.
Dans les régions véritablement arides, la pluie n'est pas absente. Les averses entraînent des
ruissellements diffus qui ne sont pas toujours assez puissants pour creuser des bad-lands, mais
qui enlèvent beaucoup de débris fins de la surface du sol. Les oueds peuvent aussi entrer en
crue, mais rarement. En général, l'oued en crue est trop chargé pour creuser beaucoup et il
n'est vraiment encaissé que dans la montagne désertique. Il se traîne, dans les régions de faible
relief, en un large lit peu creusé.
Dans le passé, les déserts ont subi des climats plus humides que celui de l'époque actuelle.
Des régions arides ont donc connu un écoulement plus intense, celui de régions semi-arides.
Ces successions de climats peuvent se traduire par des successions de terrasses, comme sur la
Saoura dans le nord-ouest du Sahara.
3.2. Faiblesse de l'altération chimique Intensité de la désagrégation mécanique
La désagrégation mécanique est particulièrement forte dans les déserts parce que la
couverture végétale et le manteau du sol ne sont pas là pour tempérer l'effet des variations de
température et que ces variations sont considérables. Dilatations et contractions développent
dans la roche des tensions qui peuvent aboutir à l'éclatement, surtout dans les roches noires ou
dans celles qui présentent une schistosité. Mais cette action est lente et nécessairement limitée.
Celle des sels peut être intense si les cristaux de sel s'encastrent dans les pores de la roche,
mais elle ne s'exerce qu'en quelques endroits. En général, les pentes rocheuses fortes qui
restent sèches sont donc presque immunisées. Le climat du désert est un des meilleurs
conservateurs du relief.
Si le climat du désert absolu est peu agressif, il n'en est pas de même du climat semi-aride :
nous savons que le ruissellement y règne et les formes y seraient encore plus fragiles si les
versants n'étaient pas protégés par les croûtes calcaires dont nous avons parlé.
Le creeping et la solifluxion ne s'exerçant guère dans les déserts, l'érosion des eaux
courantes n'étant vraiment active que sur les bordures semi-arides, l'agent essentiel reste le
vent dans les déserts absolus.
À vrai dire, le désert n'est pas son seul domaine. Il agit aussi dans toute zone découverte sur
laquelle il souffle avec violence (plages, lits fluviaux, marges glaciaires) ; c'est toutefois dans
les déserts qu'il s'exerce le plus librement. Si le vent érode par déflation et par corrasion, il
accumule également.
L'érosion éolienne
La déflation est le balayage par le vent des débris meubles et fins, tels que les sols formés
lors de périodes humides prédésertiques, ou les débris provenant de la décomposition actuelle
de la roche.
Le résultat de la déflation est un tri de matériaux, seuls les plus grossiers restant en place.
Ce vannage aboutit à un véritable pavage de cailloux, protégeant les éléments fins qu'il
recouvre. Ce paysage est le reg.
Si la roche est peu cohérente, elle peut même être creusée.
La corrasion est l'attaque de la roche, même dure, par le vent armé des matériaux qu'il
transporte, et notamment de grains de quartz. Aussi son action est-elle comparable à celle des
jets de sable utilisés comme décapants dans l'industrie. Elle est surtout sensible au voisinage
du sol, car la charge du vent diminue au-dessus d'une certaine hauteur, de l'ordre de 1 à 2
mètres. Cependant on n'est plus persuadé que cette action rasante soit entièrement responsable
des formes de champignons constatées dans les déserts : le rôle des éclatements de roche, plus
forts près du sol, où les variations thermiques sont plus accusées, et le processus de formation
des taffonis (chapitre 9, p. 85) se joignent certainement au vent pour engendrer des surplombs.
La corrasion :
• ronge les argiles, qu'elle découpe en sillons et crêtes instables appelées au Turkestan
yardangs. Les racines des arbustes jouant un rôle fixateur, il arrive que les crêtes de
yardangs soient liées à la localisation des buissons (figure 93) ;
dégage les plans de schistosité des roches par érosion différentielle des parois ; ainsi le
sphinx de Gizeh révèle la stratification des couches dans lesquelles il a été taillé ;
Figure 93 Yardangs
Le vent dépose une partie des matériaux qu'il a balayés ou arrachés ; mais on sait
aujourd'hui que les grandes accumulations de sables éoliens se trouvent sur l'emplacement de
nappes alluviales déposées pendant les époques pluviaires du Quaternaire ou de formation plus
ancienne. Le vent n'a pas déposé tous les sables sahariens ; il a seulement transporté à faible
distance et remodelé des alluvions fines. Ces grandes accumulations de sables ont longtemps
été considérées comme formant la majeure partie des déserts parce que les caravanes suivaient
de préférence les couloirs entre les dunes, mais elles ne représentent guère que 20 % de la
surface totale. Ailleurs les accumulations de sable sont limitées à des angles morts, à des
cavités comme les sillons entre les yardangs, ou réduites à des langues peu épaisses, à des
dunes élémentaires.
Pour que le sable s'accumule, il est évident qu'il faut d'abord qu'il ait été pris en charge ; le
vent ne peut prendre en charge que des sables fins ; il laisse au sol les grains grossiers ; les
grains fins qu'il transporte retombent quand le vent faiblit et notamment dans les zones
protégées où sa vitesse se ralentit. En général, il traîne les sables qu'il transporte au voisinage
du sol ; il les élève de quelques centimètres à peine et si le grain retombe, il rebondit et
continue ainsi sa route. En touchant le sol, les grains transportés peuvent bombarder des grains
plus grossiers que le vent n'a pas pu soulever. Il est fréquent, au Sahara, de voir transiter très
rapidement les grains fins de la dimension du quart de millimètre environ et de voir avancer
lentement par à-coups les grains de 2 millimètres environ, sous le bombardement des grains
fins.
De toute façon, le transport par le vent est sélectif. Un dépôt éolien est relativement
homométrique.
En abandonnant les grains qu'il transporte, le vent constitue des accumulations de sables très
variés. Nous n'en retiendrons que deux types : des dunes élémentaires, dont les principales
sont les barkhanes, et les grandes étendues de dunes longitudinales parallèles qui constituent
les ergs du Sahara.
On appelle barkhanes en Asie Centrale des dunes en croissant ; il en existe aussi beaucoup
au Sahara. Les deux branches du croissant s'allongent dans la direction vers laquelle souffle le
vent car elles avancent plus vite que le centre de la dune. (Au contraire, les dunes des pays
tempérés, qui sont rapidement fixées par la végétation, n'avancent pas plus aux extrémités
qu'au centre, mais la partie centrale, la plus haute, offrant plus de prise, est parfois érodée par
le vent qui y creuse en tourbillonnant une cavité appelée en Gascogne caoudeyre, c'est-à-dire
chaudron. Les bras de la dune se disposent alors dans la direction d'où vient le vent).
La barkhane est une dune jeune formée par un régime de vents dominants. Elle a un profil
en trois sections (figure 94) : une section au vent, par où se fait l'accumulation et qui est en
pente douce ; cette section se termine brusquement comme un tranchant, d'où le nom de sif
(sabre) donné dans le Sahara à la crête (figure 94B). La seconde section, en pente très raide,
est le talus de retombée des sables, sous le vent ; mais une troisième partie, en pente moyenne,
est due au placage, par le tourbillon de retour (par le « rouleau ») contre la pente de retombée,
du sable qui justement retombe du haut du sif.
Les petites dunes se déplacent avec des vitesses de l'ordre de 10 mètres par an, mais les
grandes chaînes des ergs sont stables ; les caravanes qui suivent les gassi ont de tout temps
emprunté les mêmes passages entre les dunes, preuve de cette fixité d'ensemble.
Bien entendu, il existe des combinaisons de formes entre les champs de barkhanes et les
ergs ; il existe, par exemple, des champs de barkhanes occupant des gassi entre les dunes
longitudinales des ergs.
Une autre complication est due au fait que le climat des déserts a changé. Si, comme nous
l'avons vu, une croûte affleure dans les gassi des ergs, c'est que, avant le dépôt des sables, le
désert a connu un climat semi-aride donnant des sols croûteux. De semblables croûtes se sont
formées à plusieurs époques au Sahara et, notamment, il existe ce qu'on appelle hamada ou
carapace hamadienne, c'est-à-dire un encroûtement ancien indurant le sommet d'une série
sédimentaire tertiaire de formation continentale ; le calcaire de cette formation se termine par
une croûte qui se comporte comme une roche dure et donne, sur sa bordure, des festonnements
avec des buttes témoins. De grandes parties du Sahara sont donc formées d'un plateau encroûté
au pied duquel se sont établis les grands ergs, au cours d'une succession d'épisodes elle-même
compliquée (figure 96).
La bordure sud des déserts a d'autre part connu, à une époque rapprochée de nous, un climat
plus sec que le climat actuel. En effet, la végétation occupe aujourd'hui des dunes mortes,
vestiges d'une période où le climat était plus sec que de nos jours et où aucune végétation ne
revêtait le sol. Ainsi, chaque système bio-climatique prend place dans une succession marquée
par des changements de climats.
N.B. : Il existe dans les déserts de grandes plaines dites pédiplaines et des plans inclinés, les
glacis. Des hauteurs isolées, les inselbergs, dominent les unes et les autres.
Mais, comme ces formes ne sont pas représentées dans les seuls déserts, elles seront
étudiées dans un chapitre séparé qui prolongera à la fois l'étude du désert et celle des pays
tropicaux (chapitre 20).
On peut désigner du nom d'équatorial le climat sans saison sèche marquée et de tropical
celui que caractérise l'alternance d'une saison sèche et d'une saison humide. Mais plus
importante que la distinction de la durée des saisons est celle qui s'appuie sur la couverture
végétale. La forêt dense correspond à peu près à la zone sans saison sèche ou à courte saison
sèche. À la forêt, s'oppose la savane des régions plus sèches ; c'est une étendue de hautes
herbes plus ou moins coupée de bouquets d'arbres. Dans les régions encore plus sèches on
passe à des forêts claires d'épineux (Afrique) ou de cactées (caatinga du Nord-Est brésilien).
Cette formation claire passe progressivement, par espacement des arbres, au désert. Dans ce
qui va suivre, quand il sera question de milieu forestier, on devra comprendre qu'il s'agit non
de la forêt claire, mais de la forêt dense équatoriale ou pseudo-équatoriale. Les sols et le relief
diffèrent tout autant que la couverture végétale.
Dans la forêt dense, les sols sont des argiles rouges très épaisses et pâteuses ; ils revêtent
des croupes convexes monotones, « les demi-oranges » ; seuls en émergent des dômes rocheux
lisses dominant tous les environs et qu'on appelle des pains de sucre parce qu'ils ont la forme
des pains de sucre moulés, de section parabolique, dont nos arrière-grands-parents se servaient
(figure 97).
Dans la savane, abondent non les argiles, mais des cuirasses indurées découpées en
plateaux par l'érosion ; il y existe aussi de grands aplanissements s'étendant à perte de vue et
dominés par des reliefs insolites, ceux des inselbergs (figure 98).
Il faut donc distinguer inselbergs et pains de sucre. Le terme inselberg s'applique à un relief
qui surgit nettement au-dessus d'un espace plat et quelle que soit la forme de son sommet.
L'inselberg peut avoir un sommet en pain de sucre ou de section quelconque. Le terme pain de
sucre est employé pour la forme d'un sommet quelle que soit celle de la base. On ne peut pas
appeler inselberg un dôme qui domine une mer de croupes mais le terme de pain de sucre peut
alors s'appliquer.
Quelles que soient les différences, certains problèmes doivent être examinés pour
l'ensemble des pays intertropicaux. En effet, les changements climatiques du passé ont pu,
dans une région intertropicale, faire se succéder des périodes sèches et des périodes humides.
Figure 97 Type de relief de la forêt équatoriale
Croupes d'argile rouge d'altération, dominées par un pain de sucre de roche non
altérée.
Ainsi, dans la boucle du Niger, des périodes plus humides que l'actuelle ont provoqué la
formation d'altérations plus profondes que celles qui se produisent actuellement et des
périodes plus sèches ont vu se constituer des dunes, que la végétation a par la suite fixées.
Quelle que soit l'originalité des conditions climatiques du monde intertropical, il y règne,
sur de vastes espaces, et surtout dans les savanes, des paysages sans originalité : quelques
ondulations, des vallées larges. Ce relief très commun s'explique par l'aggradation et la
regradation (chapitre 5, p. 51), qui se font ici d'autant mieux que la topographie, sur des roches
altérées, se dégrade facilement. Il ne faut donc pas prendre le spectaculaire pour l'universel.
Inselberg dominant des aplanissements qui peuvent être des glacis (à droite),
des pédiplaines, des topographies de regradation (à gauche). Cuirasses
d'altération ferrugineuse étagées.
2. Altération ferrallitique et induration ferrugineuse
Dans la zone intertropicale, l'altération chimique est un agent essentiel. Elle est due à la
pluie tiède et s'exerce donc toute l'année sous climat équatorial mais seulement en saison
humide sous climat tropical à saisons alternées.
L'altération des minéraux se fait dans le même ordre que dans les autres zones climatiques :
elle s'attaque d'abord aux sels et aux calcaires, qui sont dissous rapidement, puis aux métaux
alcalins, c'est-à-dire ceux qui entrent dans les principales bases. Dans les zones tempérées,
l'altération ne progresse pas plus loin. Mais dans les pays intertropicaux, en raison de la forte
température, la silice aussi est dissoute et elle est entraînée par les eaux d'infiltration. Les
minéraux argileux qui se constituent sont appauvris en silice : ce sont surtout des kaolinites,
argiles plus pauvres en silice que celles des pays tempérés.
Seuls, restent insolubles l'alumine et certains oxydes de fer. Alors que, dans la zone
tempérée, il subsiste dans les sols principalement de la silice, de l'alumine et des oxydes de fer
(on dit que la zone tempérée subit une altération siallitique), dans la zone intertropicale il ne
reste que les deux derniers termes, c'est-à-dire l'alumine et certains oxydes de fer : on dit qu'il
y règne une décomposition allitique ou, mieux encore, ferrallitique, c'est-à-dire qui conserve
seulement le fer et l'alumine.
Les oxydes de fer qui se forment sont, dans la zone tempérée, surtout des limonites, qui sont
des oxydes hydratés et de couleur rouille (la rouille est d'ailleurs le nom vulgaire de la
limonite). Dans les pays intertropicaux, il se forme surtout de l'hématite, c'est-à-dire un oxyde
de fer déshydraté par la forte évaporation due à la chaleur et coloré en rouge sang.
Bien entendu, les différences de comportement des roches sont considérables. Sans parler
des calcaires, dont la morphologie originale a été étudiée à part, en raison de leur aptitude à la
dissolution (p. 72), il faut distinguer les roches les plus basiques qui donnent peu de kaolinites,
mais dans lesquelles les cuirasses ferrugineuses (ci-dessous p. 183) se forment facilement, et
les roches acides comme certains granits, qui donnent difficilement des cuirasses. Les filons
de quartz formés de silice pure voient leur silice résister beaucoup mieux que celle des roches
à feldspaths et ils restent en relief.
L'altération intertropicale dépendant de l'humidité, on comprend qu'elle soit plus lente sur
les rochers, qui sèchent rapidement, et par conséquent sur les pentes fortes où la roche est à
nu, alors que l'attaque est active sous un dépôt ou un sol qui garde l'humidité. Ainsi, les flancs
de pain de sucre, contrairement à ce qu'on a affirmé, sont relativement immunisés. L'altération
intertropicale aboutit donc à une exagération des contrastes entre les pentes à rochers lisses,
qui s'érodent peu, et les surfaces peu déclives, garnies d'un manteau de sol rouge, véritable
pansement humide anticicatrisant, qui entretient un état favorable à l'altération.
L'action des processus qui viennent d'être étudiés varie de l'équateur au désert avec la
pluviométrie. Dans les régions équatoriales ou tropicales humides, l'épaisseur des manteaux de
décomposition peut atteindre de 10 à 50 mètres. Mais elle est plus limitée dans les régions de
climat tropical où la tranche d'eau est inférieure à 800 ou à 1 000 millimètres. Au-dessous de
600 millimètres de pluviosité, l'altération ferrugineuse ne se produit même pas.
Les différences de climat, auxquelles s'ajoutent celles du milieu biologique, obligent donc à
étudier séparément le milieu humide de la forêt dense et les régions de savane ou de forêt
épineuse, où la longue saison sèche et la plus faible pluviosité créent des conditions originales.
Dans la forêt dense, à pluies abondantes, à saison sèche courte et marquée par une forte
hygrométrie de l'air, les roches se décomposent profondément en donnant surtout de la
kaolinite. Une argile rouge, épaisse de plusieurs mètres, recouvre les versants, de sorte que les
affleurements rocheux et la pierre à bâtir font défaut.
Un dédale de croupes est la topographie la plus répandue. La pente de ces croupes peut être
assez élevée, jusqu'à 45 parfois. Seuls les dominent les dômes cristallins intacts qui
o
constituent les pains de sucre, résidus de roches dures relativement immunisés puisque non
recouverts du manteau humidifiant.
Les pains de sucre sont donc des reliefs d'érosion différentielle. Reste à savoir pourquoi ils
ont la forme régulière en parabole : c'est là une question discutée qu'on n'abordera pas ici.
Sur les flancs des croupes, l'érosion fait parfois foirer le sol rouge épais et il se constitue des
ravins à flancs escarpés qu'on appelle, dans les régions humides de Madagascar, des lavaka.
Dans les régions de relief vigoureux, par exemple celles qui ont subi un relèvement
tectonique, avec les incisions qui s'en suivent, les « demi-oranges » sont remplacées par des
versants pyramidaux, à facettes multiples : ce sont les « reliefs multifaces forestiers » (Michel
Petit), comme ceux du rebord est de Madagascar.
Quant aux cuirasses qu'on peut trouver dans la forêt dense, comme dans celle de la Côte-
d'Ivoire ou de l'Amazonie, il semble qu'on doive les interpréter comme des relictes d'un climat
ancien, tropical avec une saison sèche.
Le trait le plus original des cours d'eau est l'alternance de biefs calmes et de rapides, ce
qu'explique l'érosion différentielle ; cette irrégularité est l'homologue du contraste entre les
pains de sucre et les croupes d'argile : là où la roche est profondément altérée, le fleuve a pu
modeler rapidement un bief calme, mais il creuse difficilement la roche en place. L'irrégularité
est le résultat d'un rapide décapage du manteau irrégulier de décomposition, en réponse au
soulèvement tertiaire des régions tropicales (socle brésilien, socle africain). Elle n'existe pas
dans les plaines de matériaux meubles comme la zone sédimentaire de l'Amazonie. On ne croit
pas, en tout cas, que les chutes africaines sont le résultat de captures récentes, car on a des
preuves géologiques de la permanence des tracés. Il ne faut pas croire non plus que l'existence
de chutes prouve l'impuissance des cours d'eau : ils sont parfaitement capables d'éroder.
Dans la savane à saisons contrastées, l'altération, pendant la saison humide, tend à se faire
comme dans la forêt dense, mais, en saison sèche, toute dissolution est immobilisée et
notamment l'oxyde de fer présent dans les sols se fixe sur place et tend à constituer des
cuirasses ferrugineuses que la saison humide suivante n'arrivera plus à altérer. Ces cuirasses
sont des formations de 1 à 2 mètres d'épaisseur en moyenne, recouvrant la roche saine ou une
roche altérée transformée en argile sur une épaisseur à peu près égale. Elles sont extrêmement
résistantes, compactes, bien que fissurées, incultivables. Leur constitution est due tantôt au
dépôt du fer contenu dans le complexe d'altération du sol, tantôt à du fer transporté par les
eaux dissolvantes à partir de cuirasses anciennes.
Dans les régions de précipitations inférieures au mètre, les carapaces dues aux migrations
verticales du complexe d'altération ne se forment plus de nos jours, et ne semblent pas s'être
formées depuis le Pliocène. Elles remontent à une époque à courte saison sèche, donc plus
humide que la nôtre. Elles n'ont pas recouvert une topographie plane, mais nettement ondulée.
Au contraire, les cuirasses d'apport latéral se sont formées à plusieurs époques plus récentes, et
constituent une série de terrasses, ou plus exactement de glacis. Le nom de bowal (pluriel
bowé) a été appliqué aux buttes comme aux glacis suspendus. À sa partie amont, le glacis est
nourri par le fer qui vient de la cuirasse située au-dessus ; il tranche la roche en place, ou
emballe des blocs évolués ; à sa partie aval, il passe à des alluvions fluviatiles. Ainsi, les
cuirasses ferrugineuses cimentent souvent des alluvions (figure 99).
Il existe aussi, dans les régions tropicales à saison sèche et saison humide alternées, des
étendues très planes. Ces étendues sont dominées par des monts isolés qui se dressent comme
des îles émergeant d'une mer : les inselbergs. Les plaines qu'ils dominent sont appelées
pédiplaines ; les uns et les autres posent le problème difficile de leur origine et, comme ces
formes sont communes à une grande partie du désert et à la région tropicale, elles seront
étudiées à part.
1. Les formes
1.1. Le glacis
Figure 100 A : Glacis fossile (fossilisé par une coulée de lave ancienne ; cas du
pédiment Ortiz). B : Glacis ancien, en voie de destruction par le ravinement (cas du
Sud marocain)
Le glacis n'est pas une forme de remblaiement ; il peut, vers l'amont, se raccorder à des
cônes de déjection issus de la montagne, comme c'est le cas dans le piedmont de Téhéran,
mais ces apports s'amincissent vite vers l'aval. Normalement, on ne trouve que de minces
placages alluviaux (glacis « couvert »), preuve d'un équilibre entre l'érosion et l'accumulation.
La limite amont du glacis peut être une montagne, une zone de versants peu élevés, un crêt
structural isolé, ou un mont isolé, c'est-à-dire un inselberg. Mais nous verrons que la
réciproque de ce dernier terme n'est pas exacte : tous les inselbergs ne sont pas des points de
départ de glacis rayonnants. Quand une pente abrupte domine le glacis, elle se raccorde à lui
par une très courte section concave, talus où se fragmentent des blocs ; il peut même arriver
que le contact soit une brisure nette : c'est ce contact brutal que les géographes allemands ont
appelé knick (figure 101).
Figure 101 Deux glacis passant l'un à une pédiplaine (à gauche), l'autre à une playa (à
droite)
Du côté de l'aval, le glacis peut déboucher soit sur un oued, soit sur une pédiplaine, à
laquelle il se raccorde insensiblement, soit sur une zone d'accumulation, le champ d'épandage.
Sur ce champ d'épandage appelé parfois playa, ou bahada (transcription phonétique
américaine de l'espagnol bajada, plaine), se trouve souvent une lagune temporaire, la sebkra,
réduite en saison sèche à une croûte de sel. La sédimentation y est limoneuse ou, plus
rarement, argileuse.
Selon les conditions locales, il convient de distinguer les glacis proprement dits et les
pédiments. Les glacis proprement dits sont développés en roche tendre au pied de reliefs
structuraux (front ou revers de crêt, cuesta, etc.). Au contraire, le pédiment est un glacis
modelé dans une roche uniformément dure (cristalline) qui s'arénise. Le terme, qu'on a parfois
étendu abusivement à tous les glacis, signifie fronton parce que l'inselberg entre deux
pédiments est comme la statue qui surmonte le fronton d'un temple. L'abrupt qui limite le
pédiment vers l'amont n'est pas d'origine structurale, mais une morsure d'érosion dans la
masse.
1.2. La pédiplaine
La pédiplaine est une étendue beaucoup moins déclive. La pente est presque nulle en tous
sens. Elle peut se raccorder à des glacis, mais aussi venir buter contre des inselbergs sans
l'intermédiaire de plans inclinés. Beaucoup de ses caractères sont communs avec les glacis : la
couverture de débris est d'épaisseur faible. Des cours d'eau temporaires peuvent la parcourir ;
en tout cas, ils ne s'encaissent pas. Les dénivellations sont minimes, de l'ordre du mètre.
L'horizon s'étend à perte de vue et l'œil n'est arrêté que par les inselbergs qui dominent la
platitude de la pédiplaine.
Dans la zone tropicale, la pédiplaine peut, comme le glacis, porter une cuirasse
ferrugineuse, mais ce n'est pas une règle générale.
1.3. L'inselberg
L'inselberg est un relief isolé, haut de quelques dizaines de mètres à 500 mètres et même
plus, surgissant au-dessus d'une pédiplaine ou d'un glacis, le contact se faisant par une rupture
de pente assez ou très nette. Le nom évoque l'isolement, mais les inselbergs peuvent aussi se
localiser par groupes, ou même constituer un massif compact à vrai dire, on est là à la limite
de la notion. Les formes des sommets sont diverses, la base est rarement masquée par un talus
d'éboulis.
2. Répartition zonale
La répartition zonale des trois formes glacis, pédiplaine, inselberg n'est pas identique. L'aire
des pédiplaines récentes et fraîches est plus restreinte et plus méridionale que celle des glacis.
Les glacis, en effet, du moins les glacis d'érosion en roche tendre, sont une forme vivante
jusqu'à la zone méditerranéenne presque entièrement comprise. Les pédiplaines ne remontent
pas au-delà du Sahara nord-occidental où elles sont, sinon actuelles, du moins récentes et de
formes fraîches. Dans les zones désertiques, elles sont peut-être dues à un ancien climat
tropical moins sec que le climat actuel. Dans la zone tropicale à longue saison sèche, les
glacis, les pédiments et les pédiplaines sont très développés, mais de moins en moins à mesure
qu'on s'approche des régions équatoriales où règne la mer de collines rouges. Les inselbergs
caractéristiques existent dans les zones tropicale et désertique ; ils ne semblent pas actuels
dans la zone équatoriale, ni dans la zone méditerranéenne.
3. Tentatives d'explication
Les problèmes posés par les glacis, les pédiplaines et les inselbergs sont extrêmement
compliqués.
On conçoit que les inselbergs ne se forment pas dans les régions tempérées humides parce
que les pentes raides y sont attaquées tandis que, dans les zones arides et tropicales, les pentes
rocheuses qui sèchent rapidement sont immunisées : alors que sous un manteau de
décomposition progresse l'altération chimique, la roche mise à nu est destinée à rester presque
intacte. Mais d'où vient la mise à nu originelle de la roche lisse ?
La pédiplaine s'explique aussi par le contraste entre les pentes raides qui sont immunisées et
les zones humides soumises à l'altération. Comme la pédiplaine a une pente très faible dans
tous les sens, on comprend que l'altération y soit liée au séjour de l'humidité. Cependant, la
zone tropicale n'étant pas aussi humide que la zone équatoriale, l'altération ne pénètre pas
vraiment en profondeur. Les cours d'eau sont incapables de s'encaisser rapidement dès qu'ils
atteignent la roche en place, et par conséquent aucune incision ne vient rajeunir le relief. Quant
aux pédiplaines qui se trouvent aujourd'hui sous climat désertique, leurs matériaux sont
remaniés en surface par le rare ruissellement et par le vent. Elles se transforment en regs mais
leur destruction est impossible.
Les glacis, bien que toutes les formes de transition avec les pédiplaines puissent se
rencontrer, suggèrent des processus de modelé en partie communs avec les pédiplaines, en
partie différents. Comme elles, ils sont caractérisés par la faiblesse de l'érosion linéaire. Mais
il faut expliquer la pente longitudinale sensible, et c'est un problème trop difficile pour qu'on
puisse l'aborder ici. Notons seulement que la désagrégation mécanique et chimique collabore
avec un ruissellement en rigoles et en vastes nappes (en sheet-flood), incapable de creuser et
qui peut seulement dégager les débris. En effet, les eaux sont très chargées et ne peuvent donc
inciser les grands plans inclinés, sur lesquels elles conservent une pente forte.
4. Conclusion
Les régions tropicales, arides, semi-arides se caractérisent par des contrastes entre des
formes à pente raide et des formes aplanies (glacis, pédiplaines). Ces reliefs heurtés sont en
rapport avec l'aridité du milieu (les pentes raides sèchent vite et s'immunisent) et avec les
difficultés du creusement linéaire, qui s'explique par la faiblesse de l'altération (différence
avec les pays équatoriaux). Mais les ondulations dues à la regradation sont, elles aussi,
développées.
Chapitre 21
Le système anthropique
L'EMPRISE DE L'HUMANITÉ sur la planète engendre des formes artificielles d'autant plus
importantes que les hommes sont plus nombreux et que leurs techniques sont plus puissantes.
Longtemps on a pu considérer que son action s'exerçait surtout par la mise en culture ou en
pâture, mais on se rend compte aujourd'hui qu'elle peut aussi bouleverser la nature par des
effets induits et des constructions. Toutes ces modifications sont rapides et on a pu parler d'une
action accélérée, par comparaison avec l'échelle de temps géologique, beaucoup plus lente.
On peut distinguer deux formes principales de l'action humaine : l'érosion du sol, qui, se
plaçant à la rencontre de la mainmise humaine et des processus d'érosion naturels, accroît la
fragilité des terres culturales et pastorales ; les implantations directes de voies de circulation,
d'exploitations et de constructions industrielles ainsi que leurs effets induits.
1. L'érosion du sol
l'ingénieur Von Tulla, a creusé son chenal de plusieurs mètres, dégageant des seuils rocheux
tels que la barre d'Istein. Inversement, nous dit encore Neboit, « l'endiguement des affluents du
Pô descendus de l'Apennin a entraîné l'exhaussement des lits, favorisé, il est vrai, par l'intense
érosion qui sévit dans leur bassin supérieur ». Beaucoup de cours d'eau, canalisés dans leur lit
avec barrages et écluses, sont devenus de véritables canaux, à commencer par la Seine dans la
région parisienne et les cours d'eau de la France du Nord. Le résultat sur la charge fluviale de
l'extraction de graviers dans le lit même des rivières ne peut être mis en doute, mais ses
modalités sont discutées : il semble que, dans les sections supérieures, l'action s'annule parce
que les matériaux venus d'amont comblent les gravières au fur et à mesure mais que, dans les
sections moyennes et inférieures, l'interception des alluvions dans les gravières du cours
supérieur se traduise par une diminution de charge engendrant un creusement (par exemple sur
la Loire moyenne, où le fleuve, qui autrefois tendait à remblayer, se met à creuser au point
qu'en 1978, affouillant une pile, il a causé à Tours l'effondrement du pont Wilson).
Ce sont surtout les barrages qui diminuent, sans toutefois la supprimer complètement, la
charge des cours d'eau en aval de chaque ouvrage (exemple : le barrage d'Assouan sur le Nil).
D'où, moins de limon de crue fertilisant, moins de charge en matières solides dans le cours,
moins de sédimentation à l'arrivée à la mer, moins de transport littoral de sable, introduction
d'un déséquilibre érosion/accumulation sur les plages au profit de l'érosion. Beaucoup de
fronts de deltas reculent ; beaucoup de plages « démaigrissent », au grand dam du tourisme.
Les touristes, de leur côté, piétinent impénitemment les sentiers fragiles où ils se pressent,
comme entre la station supérieure du téléphérique et le sommet du puy de Sancy, dans le
Massif Central français : le sol a été ainsi enlevé sur près d'un mètre au pied de la table
d'orientation. Même piétinement au voisinage des arrivées et des départs des remontées
mécaniques fréquentées en été.
La déformation de la planète se marque dans l'ouverture des carrières, dans l'édification des
terrils miniers. Une gestion raisonnable consiste dans leur « reverdissement », avec parfois
transformation des plaies d'extraction en plans d'eau, comme on l'a réalisé sur les fosses
d'exploitation du lignite à l'ouest de Cologne. Encore faut-il préserver les affleurements
géologiques dignes d'intérêt, comme les volcanologues en congrès l'ont demandé dans l'Eifel
rhénan ! Les routes, les remblais de voies ferrées, sont aussi des reliefs créés par l'homme, tout
comme les terrils, mais, bien entendu, avec des tracés linéaires et non ponctuels.
Un cas particulier du système anthropique est l'action planétaire (les Anglo-Saxons disent «
globale ») de l'exercice inconsidéré de certaines techniques, comme celles des « bombes » à
composés fluorés sur la couche d'ozone qui nous protège de l'excès de rayons ultraviolets.
Quant aux rejets dans l'atmosphère de gaz carboniques issus principalement de nos moteurs,
ils augmenteraient anormalement, par effet de serre, la température de l'air qui entoure notre
globe. Ils accéléreraient donc la fusion des glaciers et élèveraient ainsi le plan d'eau des
océans, qui tendraient alors à submerger les régions côtières basses, telles que le Bangladesh.
Mais l'ordre de grandeur de ces effets est très discuté. Les jugements portés par ce qu'on a
appelé, non sans dérive sémantique, l'écologie sont trop passionnels pour qu'on les accepte
sans critique.
De toute façon, l'homme modifie les combinaisons naturelles des processus et introduit une
dynamique nouvelle. La biosphère où nous vivons, que nous transformons en bien ou en mal,
que nous nous efforçons de repenser et d'améliorer, tend à devenir en partie une noosphère (du
grec noos νοος , esprit) et n'est plus uniquement le domaine d'une nature soumise au
déterminisme. La géographie humaine s'introduit dans la géographie physique.
Géomorphologie littorale
Chapitre 22
L'érosion littorale
LE CONTACT DE LA TERRE ET DE LA MER s'exerce surtout sur l'estran, espace compris entre le
niveau des plus hautes mers et celui des plus basses mers. La différence de niveau entre marée
haute et marée basse (cette différence est appelée marnage) atteint au maximum 20 mètres,
mais plus couramment 2 ou 3 mètres et même moins. Mais l'érosion littorale intéresse aussi
une portion de terre supérieure à la laisse de haute mer : falaises, espaces atteints par les
embruns ; de plus, des zones toujours immergées appartiennent aussi au domaine littoral en
raison du travail sous-marin de la vague qui se brise.
Les côtes n'ont pas toujours été localisées à leur emplacement actuel puisque, en raison des
mouvements du terrain et de ceux du plan d'eau des océans, transgressions et régressions se
sont succédé au cours de l'histoire géologique. La côte est donc une position momentanée de la
ligne de rivage, qui peut avoir laissé vers la mer ou vers la terre des traces d'une position plus
ancienne.
La rapidité avec laquelle les formes littorales se modifient et l'intérêt de connaître les
transports de troubles par l'eau de mer côtière rendent indispensable l'utilisation des méthodes
de télédétection (photographies aériennes, d'avion ou de satellite ; photographies en « fausses
couleurs » décalant les longueurs d'onde des couleurs pour rendre visible l'infra-rouge ;
thermographie, c'est-à-dire mesure à distance des températures de l'eau, etc.).
Les principaux agents de l'érosion littorale sont les vagues et les courants. On n'oubliera pas
cependant que d'autres actions s'exercent, en particulier la dissolution par les embruns et par le
séjour des flaques sur l'estran, notamment quand la roche est calcaire.
Les vagues résultent d'un mouvement ondulatoire. Chaque molécule d'eau décrit à peu près
un cercle, si bien que chaque molécule repasse sans cesse à peu près au même endroit : c'est là
le propre d'un mouvement oscillatoire par opposition à un mouvement de translation qui
déplace en masse les molécules.
Une vague poussée par le vent est une vague forcée. En revanche, on appelle houle la
succession de vagues dues au vent, mais se propageant en dehors de l'espace où il souffle. La
dimension des vagues dépend de la force du vent, de sa durée, de la dimension du plan d'eau
sur lequel il souffle, c'est-à-dire de la portée ou, si l'on préfère, de la course (anglais : fetch) ; la
hauteur dépasse rarement 5 mètres, mais on a observé plus de 24 mètres ; l'espacement entre
deux vagues est toujours beaucoup plus grand que la hauteur.
Les courants sont de types très nombreux. Ceux qui intéressent le plus la morphologie
littorale sont les courants de débris et les courants de marée.
• Les courants de débris se produisent quand les vagues ne frappent pas
perpendiculairement le rivage (malgré la réfraction, c'est le cas général, car la
réfraction atténue l'obliquité sans la faire disparaître complètement). Le retrait se
faisant avec un angle de réflexion sensiblement égal à l'angle d'incidence, les débris
sont « réfléchis » à chaque vague et suivent une trajectoire en zigzag dont la résultante
est un transport parallèle à la côte (figure 103).
• Les courants de marée. La marée elle-même n'est pas un courant au sens propre du
terme. Mais un courant résulte de la marée car il est la conséquence de la différence
de niveau de l'eau entre deux points : comme le courant fluvial, il a donc pour origine
la gravité. Faible en haute mer, il devient rapide dans les détroits et les estuaires.
Comme le courant fluvial, le courant de marée creuse et accumule suivant des modalités
compliquées que nous n'étudierons pas ici.
Selon que le résultat du travail de la vague et des courants est surtout une érosion ou surtout
une accumulation, la forme correspondante est une falaise ou une plage. Les deux formes se
rencontrent sur une même côte, où une plage peut se construire dans un secteur abrité et une
falaise se former par érosion sur un point exposé.
2.1. La falaise
La falaise est un ressaut « non couvert de végétation, en forte pente (entre environ 15 et la
o
verticale ou le surplomb), de hauteur très variable au contact de la terre et de la mer, et qui est
dû à l'action ou à la présence marine » (André Guilcher).
Toute côte rocheuse n'est pas une côte à falaise, et, inversement, il peut exister des falaises
dans des formations non rocheuses comme du limon. Côte rocheuse et côte à falaise ne sont
donc pas synonymes.
On distingue les falaises vives, encore battues par la mer, et les falaises mortes, séparées de
la mer par une zone de dépôt, par exemple de part et d'autre de l'estuaire de la Somme.
La théorie classique de la formation de la falaise fait appel à la seule érosion mécanique par
la vague ; des recherches récentes ont montré que d'autres processus collaboraient avec
l'érosion mécanique et que le recul de la falaise était très inégal selon les roches, minime pour
certaines d'entre elles.Selon la théorie classique, en effet, c'est le coup de bélier des vagues qui
mine l'abrupt de la côte, lui donne un profil en surplomb et détermine l'éboulement par pans.
Mais l'encoche dite de sapement qui se forme à la base des falaises est en revanche souvent
attribuable à l'érosion chimique. Elle n'est due au sapement que dans le cas de roches tendres ;
ailleurs, et notamment dans les calcaires résistants, la dissolution par les embruns et par les
vasques joue le rôle principal ou même, le recul de la mer peut être minime. Il arrive
qu'aucune falaise ne se forme et que l'abrupt côtier n'ait aucun rapport avec le travail de la mer
(il peut être dû à une flexure ou à une faille) ; on est alors en présence d'une fausse falaise (ne
pas confondre avec une falaise morte, qui est due à une action marine passée).
En avant de la falaise, il existe souvent une plate-forme immergée (figure 104) qu'on a
parfois appelée plate-forme d'abrasion, mais qu'il vaut mieux nommer plate-forme d'érosion
marine ou d'érosion littorale puisque l'abrasion n'est pas le seul agent qui la modèle et que la
dissolution joue aussi son rôle.
Le profil des falaises dépend beaucoup de la nature des roches ; on peut distinguer
notamment :
• les hautes falaises de craie (type pays de Caux) ;
les fausses falaises des roches cristallines ;
les falaises à glissements ou à coulées de boue des argiles.
2.2. La plage
Une plage est « une accumulation, sur le bord de la mer, de matériaux plus grossiers que les
constituants principaux de la vase », encore que certaines plages passent à des vasières dans la
zone de basse mer. On réserve le nom de grève à une plage formée de galets.
Les matériaux des plages comprennent des blocs, des galets, des graviers, des sables, et
même des éléments plus fins. Les matériaux fins ne proviennent guère d'un amenuisement, par
action de la mer, des matériaux grossiers, mais la mer les reçoit tels quels : les sables sont
issus soit de dépôts fluviatiles soit de roches préalablement arénisées, comme les granits.
Mais, si la mer n'amenuise pas, du moins elle façonne : elle émousse les sables et aplatit les
galets plus rapidement que ne font les cours d'eau.
La plage a une partie immergée et une partie émergée, qui se termine souvent par une crête.
Les matériaux sont en général de plus en plus grossiers de bas en haut. Sur la partie émergée,
naissent des dunes. La plupart de ces dunes sont hautes de quelques mètres à peine, mais il en
existe aussi de grandes, comme celle du Pyla, en Gascogne, qui atteint une centaine de mètres.
La formation des dunes s'explique par la présence de grands vents venant du large. L'absence
de végétation sur la plage, l'aptitude du vent à sécher des sables humides favorisent leur
développement. La végétation prend possession de la dune et tend à la fixer jusqu'à ce qu'une
tempête particulièrement violente vienne ouvrir une brèche en forme de chaudron, la
caoudeyre.
Le tracé et la position des plages : Les plages sont tantôt liées à des indentations du rivage,
tantôt plus ou moins indépendantes de son tracé. Dans ce dernier cas, la partie émergée de la
plage est appelée cordon littoral ou crête d'avant-côte émergée.
Parmi les plages liées à une indentation du rivage, on peut distinguer (figure 105) :
• les plages de fond de baie, qui offrent un tracé en arc de cercle, suivant le dessin même
que tendent à prendre par réfraction les vagues déferlantes ;
les plages tendant à barrer une baie à mi-chemin entre la tête de la baie et son entrée
(celles-ci sont assez rares) ;
les flèches tendant à barrer l'entrée de la baie (cas très fréquent) et auxquelles on peut
appliquer le nom picard de poulier.
Le tracé en plan de tous les types de plage est en général simple, et les côtes qu'ils
constituent se caractérisent par de grandes sections rectilignes ou en arcs à grand rayon de
courbure (de concavité tournée vers la mer). Cependant, les pouliers prennent parfois une
forme de crochet à leur extrémité. D'autre part, certaines plages complexes dessinent une
avancée formée de cordons successifs ; c'est le cas du Darss, sur la côte balte, de Dungeness,
sur la côte britannique du Pas de Calais.
Signalons enfin le recul général des plages depuis que les barrages fluviaux réduisent les
apports d'alluvions à la mer (chapitre 21.2 p. 193).
Il est classique d'affirmer qu'un rivage jeune est un rivage dentelé ou festonné et qu'il évolue
vers la vieillesse en se régularisant par sapement des caps et barrage des baies par des flèches
derrière lesquelles les lagunes se comblent rapidement. Cette théorie est exacte dans ses
grandes lignes (figure 107).
Toutefois, il convient d'apporter quelques précisions :
• Après un rajeunissement (une submersion par exemple) la mer peut commencer par
accentuer l'irrégularité de la ligne de rivage. En effet, le relief continental ennoyé est
souvent empâté par des alluvionnements de fond de vallée, des épaississements de
sols masquant les ruptures de pente. La mer va d'abord dégager ces dépôts tendres et
elle accentuera ainsi les irrégularités du tracé côtier. Johnson a nommé « stade crénelé
» (figure 107, II) celui qui résulte de ce travail de lavage des dépôts tendres et de la
première irrégularisation du tracé.
L'érosion marine différentielle ne s'applique pas qu'aux dépôts meubles. Nous avons vu
combien le recul des falaises était inégal selon les roches. Il en résulte que la ligne de
rivage peut présenter des rentrants et des saillants résultant de ce travail. Cependant, la
mer ne peut pas creuser profondément dans les terres, les vagues ne tardant pas à se
freiner dans le rentrant.
Malgré les réserves qui ont été faites, la régularisation est bien la tendance générale de
l'évolution de la ligne de rivage ; elle se fait de telle sorte que la côte tend à prendre une
direction perpendiculaire à la houle dominante (figure 107, VI).
L'estuaire est la partie du fleuve où la marée se fait sentir. Le marais maritime est une zone
basse qui n'est pas liée nécessairement à un débouché fluvial (mais qui peut recevoir de petits
cours d'eau). Le delta est une embouchure fluviale où les alluvions s'accumulent de manière à
la faire (ou à l'avoir fait) avancer. Entre les trois notions, la limite n'est pas nettement tranchée.
Le delta du Fleuve Rouge, lavé par des courants de marée correspondant à un marnage de 4
mètres, n'est-il pas aussi un estuaire ? Un delta est souvent, mais non nécessairement,
caractérisé par la divison du fleuve en plusieurs bras, car il existe des deltas, comme celui du
Tibre, à bras unique : il y a delta tout de même parce qu'il y a bien accumulation des alluvions
en avancée. Enfin, la terminologie est encore compliquée par les deltas de marée, c'est-à-dire
des accumulations produites par le courant de marée à l'entrée d'un marais (bassin d'Arcachon,
côte Sud-Est des États-Unis).
Les marais et les estuaires offrent de nombreux points communs. Ils sont caractérisés par
l'existence de chenaux dus aux courants de marée et par des zones de sédimentation. À leur
origine, se trouve la transgression flandrienne qui a ennoyé d'une part, des zones basses autres
que des débouchés fluviaux (d'où les marais), d'autre part, des embouchures (d'où les
estuaires). Toutefois, un marais peut se former en arrière d'une flèche sans qu'il soit nécessaire
de faire appel à une submersion du continent. De même, la largeur des estuaires s'explique par
le jeu des courants de flot et de jusant sans que l'ennoyage soit indispensable à la
compréhension des formes.
Marais et estuaires se présentent comme des vasières dans lesquelles serpente un chenal (ou
une série de chenaux) de marée. La vase est parfois colonisée par la végétation, végétation
arborée des mangroves tropicales ou herbacée de la Spartina des côtes de l'Europe du Nord-
Ouest. Si elle est peu colonisée, la vasière, recouverte plusieurs heures à chaque marée, se
nomme une slikke. Colonisée par la végétation, elle est une schorre, formée de vase desséchée,
granulée, et qui n'est recouverte qu'à de brefs intervalles. La marée arrive à ne plus occuper
que quelques chenaux, qui dessinent parfois de beaux méandres.
Les deltas se forment quand l'accumulation des sédiments apportés par le fleuve l'emporte
sur l'érosion. De nombreux deltas se trouvent sur des mers sans marée (Rhône, Nil, Pô) ou de
faible marée (Rhin). L'absence et la faiblesse de la marée sont évidemment des conditions
favorables. Mais, pour certains cours d'eau très chargés, la marée, même de grande amplitude,
n'arrive pas à emporter toutes les alluvions amenées, ainsi pour le Fleuve Rouge.
Un delta peut ne pas être émergé : il existe des deltas sous-marins, qu'un accroissement dans
l'accumulation pourrait transformer en vrais deltas : ainsi en face de Saint-Nazaire, la Loire est
divisée en deux passes séparées par un haut-fond dont une partie affleure par basse mer. Le
delta ne constitue, en effet, qu'un cas particulier de l'alluvionnement : le fleuve dépose à
l'embouchure parce que la vitesse y diminue brusquement.
Cet alluvionnement atteint des proportions plus grandes dans le delta que dans l'estuaire
parce que les quantités solides apportées par le cours d'eau y sont disproportionnées à l'action
érosive des courants de marée. Il en résulte souvent une division du cours d'eau en bras, d'où
une disposition en triangle (forme de la lettre grecque delta majuscule) qui a donné son nom à
ce type d'embouchure.
Le delta est une forme très mobile parce que chaque bras fluvial s'exhausse par
alluvionnement, construit des levées sur chaque rive et parvient ainsi à dominer ses abords ;
une crue provoque une brèche dans la levée naturelle et crée un cours d'eau.
La progression d'un delta n'est pas indéfinie, et pour deux raisons. D'une part, tout bras qui
s'allonge tend à diminuer sa pente longitudinale, donc à se voir privé d'eau au profit des bras
en pente plus forte. D'autre part, l'action érosive de la houle se fait de plus en plus forte à
mesure que la bouche avance vers le large.
Sur un même delta, il existe donc des sections en progression, des sections bloquées, des
sections en voie de recul, ces différentes actions résultant du rôle respectif de l'accumulation
fluviale, de l'accumulation marine, de l'érosion par la houle (figure 108A). Cette dernière
dépend beaucoup de l'exposition de la côte. Ainsi, pour la Camargue, les secteurs exposés au
sud-est, c'est-à-dire aux plus fortes houles de mer (le mistral, vent de terre, n'en provoque
guère), se trouvent bloqués même s'ils reçoivent des apports fluviaux importants. Le courant
de débris construit aussi des flèches sur lesquelles peuvent s'édifier des dunes.
La structure des deltas résulte de toutes ces actions. Elle est caractérisée par un
cloisonnement, formé d'une part par les levées de bras actuels ou d'anciens bras abandonnés,
d'autre part par des bourrelets transversaux aux lignes des levées et qui ne sont autres que
d'anciennes positions du cordon littoral à divers stades de la progression. Ces cloisons
déterminent des « casiers » souvent marécageux (étang de Vaccarès, dans le delta du Rhône).
Mais l'homme a pu plus ou moins assécher les dépressions qui se juxtaposent dans un delta :
les grands deltas de l'Asie des moussons, les polders des bouches du Rhin et de la Meuse, sont
les exemples les plus saisissants de la transformation du paysage naturel.
Toute œuvre humaine mise à part, tous les deltas ne se ressemblent pas (figure 108) :
• les deltas caractérisés par une forte accumulation fluviale sont lobés, le ou les lobes
indiquant une progression (Rhône, Pô). Une progression plus rapide encore donne des
deltas digités (Mississipi), les levées de chaque bras avançant en mer en formant de
longs doigts ;
les deltas où domine l'érosion marine offrent un tracé arrondi (Llobregat, en Catalogne,
Nil), simple convexité du dessin de la côte.
Certains organismes construisent littéralement des côtes. Ce sont surtout les coraux qui
vivent dans des eaux tièdes et relativement limpides. Leurs formes sont multiples et rarement
schématiques.
Les récifs-barrières sont édifiés à une certaine distance d'une côte qui peut être celle d'une
petite île ou d'un continent : la Grande Barrière du Queensland australien est de ce type ; ils
sont fréquemment coupés par des passes et de tracé complexe.
Les récifs frangeants sont accolés à un littoral non corallien, qu'il existe ou non un récif-
barrière en avant.
Figure 108 Types de deltas
On appelle ria (terme emprunté au parler de la Galice) une vallée fluviale envahie, en partie
ou en totalité, par la mer (figure 110). La ria est souvent ramifiée et peut présenter des
méandres, comme un réseau fluvial.
L'ennoyage peut être d'origine tectonique, mais il peut aussi résulter de la transgression
flandrienne (postglaciaire). Comme celle-ci a ennoyé toutes les côtes du monde, on pourrait
s'attendre à ce que toutes soient des côtes à rias. Cependant, ne sont pas des côtes à rias :
• celles que l'érosion glaciaire a suffisamment marquées ;
celles qui bordaient une terre aréique (déserts, karst) ;
celles qui ont subi un soulèvement assez fort pour compenser l'ennoyage ou qui, en
raison d'un fort soulèvement préflandrien, ne comportaient pas de vallées fluviales
régularisées, mais seulement des vallons à pente forte, dans lesquels le relèvement
flandrien du plan d'eau s'est traduit par une simple échancrure ;
celles qui présentaient une topographie préflandrienne trop peu différenciée (plaines
basses) pour que la distinction des débouchés fluviaux et des marais maritimes puisse
se faire nettement ;
celles où l'accumulation postflandrienne a fait disparaître toute trace de ria.
En revanche, les plus belles rias correspondent à l'ennoyage de vallées qui ont eu le temps
de s'élargir avant la transgression flandrienne tout en gardant des bords assez marqués.
Une côte à rias peut être plus ou moins régularisée. Les rentrants évoluent par comblement
vaseux, à la manière des estuaires, ou par constitution de deltas, les saillants par formation de
falaise, mais l'âge récent de la transgression flandrienne ne leur a que rarement permis de
reculer sensiblement.
Figure 110 Tracé d'une côte à rias
On peut considérer la côte à calanques comme un cas particulier de la côte à rias. Il est
souhaitable de réserver le nom de calanques à des indentations se terminant en cul-de-sac
(nombreux cas en Provence, en Corse et dans les Baléares), soit parce que la forme ennoyée
est un bout-du-monde ou un poljé karstique, soit parce que la côte correspond à une faille ou à
une flexure préflandrienne et que les cours d'eau qui la dévalaient n'avaient pas eu le temps de
régulariser le profil en long et le profil en travers de leur vallée.
Les côtes d'origine glaciaire peuvent se diviser en trois sous-types bien tranchés : les côtes à
fjords, les côtes à skjär, les côtes des plaines d'accumulation glaciaire.
On appelle fjord une auge glaciaire occupée par la mer après la fonte du glacier.
La répartition des fjords à la surface du monde se calque sur celle des rivages que la
glaciation a occupés longtemps et sur lesquels les courants de glace ont été assez canalisés
pour déterminer des auges. Les fjords sont donc localisés sur des côtes abruptes, où un relief
vigoureux a pu être entaillé en auge. À l'intérieur du domaine de la glaciation, il se trouve que
ces conditions ont permis le développement des côtes à fjords sur les bords ouest des
continents plus que sur les bords est. Les plus beaux fjords se rencontrent sur la côte Pacifique
Nord de l'Amérique du Nord (Canada, Alaska), sur la côte sud du Chili, sur les côtes ouest de
la Norvège, à laquelle le terme a été emprunté, et de l'Écosse, où on les appelle lochs, comme
les lacs de surcreusement glaciaire, enfin dans le Sud de la Nouvelle-Zélande.
On reconnaît dans les fjords tous les caractères des vallées glaciaires. Le profil en long
présente des seuils et des ombilics, beaucoup plus apparents que les mouilles des vallées
fluviales ou des estuaires et taillés dans la roche en place (profondeur de 1 200 mètres dans
des cas extrêmes). Le profil en travers montre des replats. Tantôt les vallées affluentes sont
suspendues et se déversent dans le fjord par des cascades, tantôt elles sont ennoyées : ce sont
alors des seuils de transfluence transformés en détroits, tels les sounds de la Colombie
canadienne. Le réseau des fjords et des sounds peut être dû à des influences lithologiques ou
tectoniques ; il n'en a pas moins été élaboré par les langues glaciaires.
Les côtes à skjâr, c'est-à-dire à écueils, sont dues à des roches moutonnées ennoyées ; elles
sont bordées d'archipels, d'îlots minuscules. La plus grande partie des côtes finlandaises et des
côtes suédoises (Scanie exceptée) appartiennent à ce type. Il correspond à l'occupation par la
mer d'une côte de plaine d'érosion glaciaire, et bien évidemment on rencontre des types de
transition avec les côtes d'accumulation glaciaire.
Elles sont extrêmement variées, les ôs, les drumlins y formant des promontoires ou des
îlots, les vallées de cours d'eau sous-glaciaires constituant les golfes. Ce sont les vallées
ennoyées d'anciens cours d'eau sous-glaciaires qui donnent son originalité à la côte est du
Jutland. Elles forment de longs chenaux ou golfes sinueux, aux rives vertes et basses, avec de
brusques élargissements et des contrepentes. L'érosion marine, facile dans les matériaux
morainiques, l'accumulation, rapide dans ces eaux peu profondes, régularisent assez vite ce
type de côte.
Dans les types précédemment décrits, les influences structurales jouent un rôle certain. Mais
il existe des côtes où elles sont prédominantes et où elles fixent l'essentiel du tracé. Telles sont
les côtes qui correspondent à une flexure particulièrement marquée ou à une faille. Ainsi le
dessin des côtes du massif brésilien suit des directions tectoniques qui lui valent sa simplicité
de contours.
Suivant les rapports des lignes directrices avec l'orientation de la côte, on peut distinguer
des côtes à structure transversale ou longitudinale (figure 111).
La côte à falaise représente le terme d'une évolution ; aussi ne la trouve-t-on que dans les
roches tendres, comme la craie. Elle est rectiligne. Le sommet de la falaise offre un profil
ondulé, celui d'une coupe de relief continental réalisée par le rapide recul, avec des vallées
sèches suspendues (les valleuses du pays de Caux) et des vallées fluviales dont les cours d'eau
ont eu au contraire la force de se raccorder sans cesse avec le niveau marin à mesure que
l'embouchure reculait. Type : pays de Caux, ou côte britannique de la craie.
On remarquera enfin la fréquence des types « mixtes ». La côte ouest de la Bretagne est à la
fois une côte à rias et une côte à structure transversale, la côte dalmate une côte à structure
longitudinale, mais aussi une côte à rias et à calanques. Autant dire que, là encore, la
morphologie générale n'est guère plus qu'un guide pour aborder les problèmes régionaux.
Orientation bibliographique
Le vocabulaire géomorphologique le plus complet, malheureusement peu accessible, est
Claude G. GENEST, Dictionnaire de Géomorphologie, Trois-Rivières, Québec, Canada, Société
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Le plus simple nous paraît être Pierre PECH et allii, Lexique de géographie physique, Paris,
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de la Faculté des lettres de l'Université de Strasbourg, fasc. 130, 1956, 230 p., bien que vieilli
et épuisé, reste excellent.
Utile Dictionnaire de Géologie, par Alain FOUCAULT et Jean-François RAOULT, Paris, 6 e
Ouvrages divers
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Birot P., Les processus d'érosion à la surface des continents, Paris, Masson, 1981, 608 p.
Bourdier J.-L. (dir.), Le volcanisme, Orléans, éd. du BRGM, 1994, 420 p.
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Flageollet J.-C., Les mouvements de terrain et leur prévention, Paris, Masson, 1989, 224 p.
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