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Wolfgang Sofsky

Wolfgang Sofsky
Wolfgang Sofsky Wolfgang Sofsky Également parus
Citoyens sous surveillance aux Éditions de L’Herne
Sociologue, philosophe et
journaliste allemand, il est l’un W. Sofsky discerne dans les pratiques de surveillance de
Hannah Arendt

Citoyens
des meilleurs spécialistes de notre époque, et plus encore dans les motivations de ceux qui
La politique a-t-elle encore
la violence politique et de la les mettent en place, une menace réelle et immédiate pour un sens ?
terreur institutionnalisée. Son la liberté des citoyens, y compris dans les démocraties qui À propos de l’affaire Eichmann
ouvrage L’Organisation de la semblent les plus solides. Il apporte ici une pierre importante
Jacques Ferrier

sous
terreur (Calmann-Lévy, 1995) à la réflexion sur l’organisation et la préservation des libertés La ville machine
est un texte de référence sur individuelles dans les démocraties occidentales.
Général Jean-Yves Lauzier
la structure et les « règles » de L’Europe contre l’Europe
fonctionnement des camps de Il y a très longtemps que les gens se sont habitués aux ca-

surveillance
Rosa Luxemburg

Citoyens sous surveillance


concentration nazis. méras, aux cartes de fidélité et aux courriels publicitaires.
Réforme sociale ou révolu-
Certaines choses paraissent pesantes, d’autres inévitables, tion ?
beaucoup sont invisibles et inconnues. Les caméras pro- Dans l’asile de nuit
mettent la sécurité, la saisie des données personnelles ap- Karl Marx
porte un certain confort. Ils renoncent, sans rien y trouver La guerre civile en France
à redire, à être anonymes, inaccessibles, hors du champ Louise Michel
d’observation. Ils sont totalement insensibles à la perte de Aux citoyennes de Paris
la liberté individuelle. Ils ne devinent même pas qu’il y a Octave Mirbeau
quelque chose à défendre. La grève des électeurs
W. Sofsky Écrits politiques
Élisée Reclus
Pourquoi sommes-nous
anarchistes ?
Préface et traduction de l’allemand par Olivier Mannoni.
Bertrand Russell
De la fumisterie intellectuelle
Simone Weil
Note sur la suppression

L’Herne
générale des partis politiques

L’Herne
14,00 € - www.lherne.com Conditions premières d’un
travail non servile
Wolfgang Sofsky
CITOYENS
SOUS
SURVEILLANCE
La fin de la vie privée

Préface et traduction de l’allemand


par Olivier Mannoni

L’Herne
PRÉFACE

Personnages obscurs et citoyens de verre

C’était il y a un peu plus de dix ans, et l’on se


souvient peut-être encore de cette phrase terrible  :
«  Monsieur Soumaré reste un personnage obscur.  »
Cette phrase prononcée par deux maires (UMP) du
Val-d’Oise, Francis Delattre et Sébastien Meurant1,
est venue clore un épisode rocambolesque de la
campagne des élections régionales françaises en 2010.
Sur la base d’informations dont on ne connaît toujours
pas l’origine, on avait accusé un candidat socialiste à
ces élections d’être «  un délinquant multirécidiviste
chevronné  ». Une rapide enquête avait montré que

1. Le Monde, 24 février 2010.

5
hormis une lointaine condamnation, purgée et effacée
par la réhabilitation judiciaire, ledit Ali Soumaré
n’avait rien à se reprocher. Il demeurait pourtant aux
yeux de certains un « personnage obscur ». Et l’expres-
sion même est tout un monde.
Elle renvoie certes à ces noirs héros de la
tragédie et de l’histoire, ces conseillers de l’ombre, ces
éminences grises qui ont, de tout temps, alimenté les
paranoïas collectives. Mais le choix de ces termes en
dit long aussi sur le regard que nos sociétés portent
aujourd’hui sur la biographie et la vie personnelle de
l’individu – et il illustre admirablement la profonde
dérive des mentalités et des modes de vie que dénonce
Wolfgang Sofsky dans ce livre.
Depuis la garde à vue avec fouille à nu d’un
journaliste de Libération2 jusqu’à l’adoption d’une
loi autorisant les fichiers de police sur décision admi-
nistrative et la mise en place d’une « base élève » qui
permet à l’éducation nationale de suivre l’évolution
familiale, personnelle et médicale des enfants3 ou à la
décision de généraliser la vidéosurveillance des espaces
publics, en passant par la révélation des mesures
d’espionnage grotesques et disproportionnées prises
contre un groupe de pseudo-terroristes surnommé

2. Libération, 28 novembre 2008.


3. Voir par exemple Marianne, 11 avril 2010.

6
« les épiciers de Tarnac4 » et l’ordre donné, sans véri-
fication préalable, par la Direction de la Police natio-
nale aux agences de presse de diffuser les images de
cinq pompiers catalans en vacances pris à tort pour
des membres de l’ETA5. Ces faits ont révélé l’ampleur
du travail de sape mené contre les libertés élémentaires
dans une démocratie considérée jusqu’ici comme à
peu près exemplaire. Un travail qui semble n’avoir
qu’un seul but : porter sur les « personnages obscurs »
que nous sommes tous un éclairage suffisamment vif
et crû pour faire de nous tous des « citoyens de verre »,
parfaitement transparents au regard du pouvoir et de
l’État6. C’était il y a plus de dix ans.

4. Soupçonné d’entreprises terroristes, ce groupe de jeunes libertaires


a fait l’objet d’une surveillance vidéo et électronique pendant plusieurs
mois.
5. Notamment Le Canard enchaîné, 24 mars 2010  ; la diffusion de
cette bande vidéo tournée dans un hypermarché s’est faite en quelques
heures, sur réquisition de la Direction de la Police nationale, sur les
chaînes de télévision et sur le réseau Internet. On imagine à peine
ce qui aurait pu se produire si la police avait rencontré ces hommes
avant qu’ils ne signalent leur présence et leur identité. Un responsable
policier expliqua par la suite que cette diffusion avait permis d’éliminer
cette piste, laquelle ne « polluerait plus l’enquête »…
6. On n’a d’ailleurs pas tardé à voir le revers de l’idéal du « citoyen de
verre » : quelques jours après l’incident des pompiers, c’est le chef de
l’État français en personne qui, fait exceptionnel, lançait les services
secrets sur la piste d’un « corbeau » propageant des « rumeurs » sur sa
vie privée...

7
Depuis ces événements qui paraissent aujourd’hui
aussi grotesques que rudimentaires, la technique
de surveillance et de détection a fait d’incroyables
progrès. Il suffit de lire le livre récemment paru de
Kai Strittmatter sur la Chine7 pour comprendre que
ce que l’on écrivait dans la première décennie du
xxie siècle relève déjà de l’Antiquité. Techniques de
reconnaissance faciale, détection des mouvements
suspects, sanctions automatiques de délits mineurs
comme le simple fait de traverser au feu rouge,
système de « crédit social » liant les avantages sociaux
à un nombre de « points » analogues à celui de notre
permis de conduire, surveillance intensive d’Internet,
répression des opinions, la liste est interminable, des
restrictions qu’une technologie omniprésente impose
à nos libertés. Aussi, le premier chapitre de ce livre,
qui peut encore apparaître comme de la science-
fiction – comme l’était sa version de 2010 – n’est-il en
réalité qu’une légère anticipation. Une bonne partie
des techniques de surveillance utilisées en Chine sont
produites par de grandes entreprises occidentales.
Elles ne demandent qu’à les vendre chez elles.
Wolfgang Sofsky, sociologue auteur notamment
d’un ouvrage remarquable consacré à l’organisation des

7. Kai Strittmatter, Dictature 2.0, trad. O. Mannoni, Paris, Tallandier


(Texto), 2021.

8
camps de concentration nazis8, a choisi dans Citoyens
sous surveillance de ne pas s’arrêter à la description de
ces pratiques, aussi inquiétantes soient-elles. Même si
le tableau qu’il brosse au début de son essai donne des
frissons, tant ce qui aurait encore relevé de la science-
fiction il y a dix ans est aujourd’hui devenu notre
réalité quotidienne, Sofsky s’interroge sur les raisons
profondes de la fascination-répulsion que nous inspire
cette société de surveillance. Il rappelle que l’état de
surveillance actuel n’a pas toujours été la règle. Que
dans les époques les plus éloignées, des règles coutu-
mières, sociales et politiques délimitaient précisément
la frontière entre un espace privé intangible et un
espace public dans lequel l’individu devait rendre des
comptes.
Car au-delà des atteintes aux libertés élémen-
taires que sont l’arrestation brutale, l’espionnage de
nos conversations, Wolfgang Sofsky met en relief dans
cet essai une réalité beaucoup plus sournoise, et d’au-
tant plus terrifiante : ce qui se joue au xxie siècle, ce
n’est pas la propagation des caméras de la surveillance
à la Orwell, ou pas seulement cela. C’est la dissolution
d’un principe fondamental de notre civilisation : celui
de la liberté qu’a l’individu de posséder un espace privé,

8. Wolfgang Sofsky, L’Organisation de la terreur, trad. Olivier Mannoni,


Calmann-Lévy, 1995.

9
un espace intime, de disposer de son corps, comme le
suggère un autre vieux principe, du droit anglais celui-
là. L’enregistrement du corps à chacun de ses passages
en un point donné, son dénudement total dans les
appareils de surveillance de la nouvelle génération,
l’obligation de se laisser palper, fouiller en des occa-
sions parfaitement anodines, tout cela constitue des
atteintes plus profondes à la liberté de l’esprit humain
que n’importe quelle surveillance électronique. Ces
mesures s’accompagnent d’une emprise croissante de
l’État sur le corps : du contrôle des vaccins – ce que
la protection du bien public justifie amplement9  –,
on est passé à l’idée que l’individu devait œuvrer à
la santé publique en soignant sa propre constitu-
tion. Interdiction du tabac, proscription de l’alcool,
lutte contre l’obésité sont autant de manières, pour
le pouvoir public, de prendre possession du corps

9. L’échec retentissant de la campagne de vaccination contre le virus


AH1N1, à l’hiver 2010, en France, avait pu être considéré comme
la première grande marque de résistance collective à cette volonté
d’emprise étatique sur les corps. Wolfgang Sofsky remet dans l’épilogue
de cette nouvelle édition les choses à leur place : la liberté du corps,
dont il défend le principe, est aussi celui de ne pas être contaminé par
autrui. Et donc celle de réclamer que les autres le protègent fait partie
des fondements de la liberté commune. Il récuse dans cet ouvrage les
thèses des «  antivax  » et des «  antimasques  » dont le mouvement a
pu prendre, en Allemagne, des proportions parfois inquiétantes et a
souvent été intiment lié à l’extrême droite, comme en France du reste.

10
de l’individu, tout comme l’obligation, pour un
conducteur, d’attacher sa ceinture au volant. Le prin-
cipe de la liberté individuelle a longtemps été : « Fais
tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Ce que l’on tente
de nous inculquer aujourd’hui est l’idée que notre
corps, appartenant à la collectivité, donne à celle-ci
un droit de regard sur chacun de nos actes, jusqu’aux
plus intimes : ne va-t-on pas jusqu’à nous ordonner
aujourd’hui, sous prétexte de sécurité, de ne pas sourire
sur les photos qui expriment notre identité ? On peut
avoir peur de ces évolutions. On peut aussi noter le
rejet de ces technologies lorsqu’elles deviennent trop
invasives – l’échec cuisant des « Google glass », dispa-
rues après que plusieurs personnes les portant se sont
fait invectiver et molester en est un bon exemple –
et le développement de contre-technologies ouvre
quelques portes de sortie, au moins dans les pays
démocratiques. On ajoutera, pour bien connaître les
précédents historiques, que la collecte entropique du
renseignement finit toujours par s’annihiler d’elle-
même, ne serait-ce qu’en raison de l’invraisemblable
foisonnement du matériau. Les monstrueuses archives
de la Stasi en sont un bon exemple.
Toutes les grandes révolutions de l’histoire
mondiale ont eu leurs acteurs et leurs penseurs. Avec

11
quelques autres penseurs de renom10, Wolfgang Sofsky
ouvre le champ de réflexion sur un retour au corps
individuel et à ses prérogatives. « Celui qui croit qu’il
n’a rien à cacher a déjà renoncé à sa liberté  », écrit
Wolfgang Sofsky. On ne saurait mieux dire : il nous
faut réapprendre d’urgence l’art de la dissimulation.
Sans lui, aucun principe sacré, aucune déclaration de
droits de l’homme, aucune liberté formelle n’a plus
aucun sens. Pour vivre heureux, vivons caché. Mais
entre une existence souterraine et l’exposition au grand
jour, il y a sûrement une voie. À nous de la creuser.

Olivier Mannoni
Juin 2021

10. On se reportera notamment à Luc Boltanski, De la critique – Précis


de sociologie de l’émancipation, Gallimard, 2009.

12
Le critère de l’oppression est le rôle que d’autres personnes jouent, de
mon point de vue, directement ou indirectement, intentionnelle-
ment ou involontairement, dans la dissipation de mes souhaits. Être
libre, dans ce sens, signifie pour moi que je ne suis pas importuné ou
dérangé par les autres. Plus large est le domaine de la non-perturba-
tion, plus grande est ma liberté. Le souhait de ne pas être importuné,
d’être laissé en paix, a toujours été, aussi bien chez les individus que
dans des sociétés entières, un signe de culture élevée. Le sens de la
sphère privée, du fait que le rayon des relations personnelles devrait
rester intangible, naît d’une conception de la liberté qui, en dépit de
ses racines religieuses, remonte sous sa forme développée à peine plus
loin que la Renaissance ou la Réforme. Son déclin serait toutefois un
présage de la mort d’une civilisation et de son éthique.

Isaiah Berlin (1958)

13
I – UNE JOURNÉE DANS LA VIE
DE LA FAMILLE B.

Lorsque la famille B. quitte son immeuble, le


matin, elle s’est déjà fait remarquer à plusieurs reprises.
Peu après 6  h, Anton B. s’est réveillé et a allumé sa
radio et sa lampe. Le nouveau compteur électrique
a aussitôt enregistré la hausse de sa consommation
d’énergie. Sur la courbe de charge, la centrale a pu lire
à quel moment la famille a pris sa douche et a préparé
son café. Avant même le petit-déjeuner, Anton avait
appelé son frère pour prendre des nouvelles de sa mère,
récemment hospitalisée. L’ordinateur de la compagnie
téléphonique a stocké la conversation.
Sur la table, outre du café, du lait et une bouteille
de jus de fruits, on trouve aussi quelques boîtes et des
sachets. Sur les pots de confiture et de crème choco-
latée, des cercles rouge foncé ornés d’une tête de mort

15
mettent en garde contre les taux de sucre élevés. Sur
l’emballage du beurre, c’est un autocollant violet qui
signale que le taux de graisse fait peser un risque sur
leur existence, et sur l’emballage du müesli, le petit-
déjeuner préféré du jeune Christophe, resplendit un
triangle orange. Brigitte, l’épouse d’Anton et la mère
de Christophe, se promet de déverser enfin, ce soir-là,
le contenu de tous les sacs, boîtes et sachets dans des
contenants neutres, afin qu’on cesse de lui rappeler
chaque matin que sa famille s’empoisonne en toute
connaissance de cause.
Avant de partir, Brigitte a eu le temps de lire
son courrier électronique. Elle sait que toutes ses
communications sur son smartphone ou sur son PC
se trouvent, aussi peu chiffrées que des cartes postales,
chez les fournisseurs d’accès et que n’importe quelle
personne intéressée peut les consulter. Ce qu’elle
ne sait pas, c’est que les ordinateurs de plusieurs
entreprises ont scanné tous ses messages et vont en
conserver une copie pendant quelques mois. Qui a
lu en même temps qu’elle l’écrivait le message où elle
parle à son amie du catarrhe fébrile de Christophe ?
Qui sait ce que les deux femmes pensent des hommes
ou quelles chaussures elles ont achetées ensemble
l’avant-veille ?
Brigitte apprécie la technique qui facilite la

16
communication. Chaque pensée, se dit-elle, peut
ainsi être transmise immédiatement et sans devoir être
formulée de manière impeccable. Le gain d’insou-
ciance lui fait oublier la perte d’intimité. Elle ne veut
pas qu’on lui rappelle que des personnes indésirables
ont eu connaissance de tout cela. Si elle devait penser
à ces yeux et à ces oreilles étrangères, elle n’écrirait ni
ne dirait plus un mot.
Anton est moins insouciant. Il est le premier
à quitter l’appartement. Dès qu’il fait un pas dans
le couloir, c’est une caméra qui, chaque matin, le
prend dans sa ligne de mire. Elle a également filmé
chacun de ceux qui passaient devant son appartement
et levaient les yeux dans sa direction. Alors qu’il se
dirige à grands pas vers l’ascenseur, le portier, au rez-
de-chaussée, qui a l’œil sur tout, file vers la porte-
tambour. Une main dans le dos, tripotant de l’autre
le bouton supérieur de sa livrée grise, il salue aima-
blement Anton. Avant de remonter son pantalon et
d’entreprendre la ronde suivante, il note en vitesse sur
son registre l’heure à laquelle Anton a quitté l’édifice.
Tandis qu’il roule vers la gare, deux localités
plus loin, Anton  s’aperçoit que l’indicateur de la
jauge d’essence se rapproche dangereusement de la
zone rouge. Il semble que l’on ait installé un nouvel
appareil au-dessus d’un carrefour. Les caméras fixes

17
de la station-service sont en revanche probable-
ment toujours les mêmes. Elles montrent au caissier,
sur trois petits écrans, les voitures qui repartent, les
pompes, des passagers qui s’ennuient et se curent le
nez, ou des clients qui portent des bouteilles d’eau et
des paquets de chips frappés de l’autocollant rouge
sombre. B.  paye son plein, comme d’habitude, avec
sa carte de crédit, ce qui, le cas échéant, prouvera où il
se trouvait à ce moment-là. Sur la facture figure, outre
le prix de l’essence, celui du journal et d’un paquet de
bonbons à la réglisse, de quoi grignoter pendant son
long trajet de travailleur pendulaire.
En chemin, Anton entend à la radio qu’un procu-
reur a publiquement demandé l’interdiction d’un
texte satirique blasphématoire. Des représentants de
diverses Églises, de sectes, de communautés, d’associa-
tions et de syndicats se sont plaints à l’unisson et ont
réclamé des mesures exécutoires sans lesquelles l’ordre
public ne pourrait plus être garanti. Les porte-parole
des partis se sont hâtés d’entonner le même refrain.
La rédaction du magazine en question est orpheline
depuis la veille : les rédacteurs impies, par précaution,
ont disparu dans la nature.
Les anciens radars disposés aux feux tricolores
ont été plusieurs fois démolis. Des caméras modernes,
téléguidées, ont donc été installées un peu plus en

18
hauteur, elles sont en outre pourvues d’un système
d’alarme. Les images sont envoyées vingt-quatre heures
sur vingt-quatre à l’autorité chargée de la surveillance
de la circulation  ; toutes les plaques d’immatricula-
tion sont filmées et comparées au fichier des voitures
volées.
Bien que l’arrivée des passagers n’ait, globale-
ment, aucune espèce d’importance, la petite gare est
elle aussi pourvue de trois caméras. À la centrale, on
voit quotidiennement, à heure fixe, un petit groupe de
travailleurs pendulaires qui montent dans le train ici
pour se rendre en ville ainsi que quelques jeunes qui
font les clowns avec des cannettes. Il est impossible
de savoir si elles contiennent du jus de fruits, de la
bière ou de la gnôle. Depuis des années, la consomma-
tion d’alcool sur la voie publique est interdite ; finale-
ment, au nom de la santé pour tous, on l’a totalement
interdit à la vente.
Pendant le trajet, Anton pianote sur son smart-
phone pour y trouver les dernières nouvelles, vérifie
son courrier et son agenda, envoie un SMS à sa secré-
taire et cherche des indications sur ses douleurs à
gauche du thorax qui l’inquiètent depuis la veille au
soir. Il ne sait pas qui a suivi ses traces numériques.
Son appel chez le médecin pour prendre rendez-vous
a certainement été enregistré, tout comme son coup

19
d’œil sur son compte en banque, où ne figurait, à son
soulagement, que le prélèvement mensuel des impôts.
Les autorités ont décidé peu avant de confisquer
à la source 40  % de tout revenu situé au-dessus du
salaire minimum afin de combler la dette publique.
Ces impôts forcés ont tout d’abord suscité quelques
protestations, mais les sujets ont fini par s’habituer en
grinçant des dents.

Arrivé à la gare centrale, qui est souterraine,


Anton descend et fait la queue dans la longue file
d’attente qui s’étire devant l’un des seize sas. Chaque
voyageur souhaitant remonter à la lumière du jour et
se diriger vers les arrondissements du centre-ville doit
en franchir un. Des vigiles en uniforme bleu nuit véri-
fient valises, sacs à dos et sacs à main, avec une préci-
sion parfois méticuleuse.
Les caméras qui scrutent le moindre recoin
sont de la toute dernière génération. Elles disposent
de micros et de filtres de reconnaissance qui
déclenchent l’alarme au moindre mouvement ou
visage hors norme. Après les incidents de ces derniers
temps, la société ferroviaire a fait installer en toute
hâte ces nouveaux appareils. Même l’œil le mieux
exercé, a-t-on alors expliqué, n’est pas en mesure de
surveiller simultanément des milliers de passants. La

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comparaison automatique des images avec la banque
de photos et de vidéos ne prend en revanche qu’une
milliseconde. À partir des sourcils, de l’écart entre les
yeux, de la pointe du nez et d’autres innombrables
pixels, un sujet suspect peut être reconnu immédia-
tement et quelle que soit la direction de son regard.
Ni lunettes, ni barbe ou perruque ne peuvent empê-
cher l’identification. Anton a lu des articles sur tout
cela dans le journal. Il s’étonne tout de même de la
présence de quelques vigiles en uniforme qui ne se
promènent plus à pas lents dans le hall, comme autre-
fois, mais se tiennent ostensiblement à l’écart. Il voit,
du coin de l’œil, quatre gardiens encercler un jeune
homme au bout d’un quai. Ils le poussent contre une
rambarde et le fouillent. Les passants passent leur
chemin, quelques-uns détournent la tête, d’autres font
comme s’ils n’avaient rien remarqué. Ne pas se mêler
de ça, dit-on, tout se passe comme cela doit se passer
et quand on n’a rien à cacher on n’a rien à craindre
non plus. Si ces petites arrestations sont ordonnées par
les autorités, c’est pour assurer la sécurité de tous.
Ces longues fouilles, les gens les acceptent depuis
que les taxes sur l’essence, les frais de parking et le péage
dans les centres-villes ont considérablement augmenté
pour que personne ou presque ne s’y rende en voiture.
La cité sans voiture ni poussière est l’idéal de tous

21
les partis politiques ; fumer dans les lieux publics était
interdit déjà depuis longtemps. Si une fouille vous
prenait avec du tabac sur vous, vous deviez laisser nom
et adresse. Anton s’est pris quelquefois à rêver d’émi-
grer quelque part où l’on pourrait encore respirer plus
librement.
Ce trajet quotidien pour rejoindre la ville est
en revanche épargné à Brigitte. Elle peut aller à pied
à l’école où elle enseigne. Auparavant, elle a déposé
Christophe à la maternelle. Elle lui recommande
d’être particulièrement attentif ce jour-là  : le soir,
les éducatrices doivent en effet remplir le formulaire
d’évaluation trimestrielle. Depuis qu’il a deux ans, on
note précisément si l’enfant a traînaillé au repas, s’il
a adopté une position subalterne pendant le jeu, s’il
a su faire des nœuds à des rubans, s’il a zézayé, s’il a
gentiment appris sa leçon d’anglais ou s’il a préféré
faire l’idiot dans la cage à écureuils. Chaque progrès a
été noté, chaque retard signalé, chaque action surpre-
nante commentée. Brigitte est fière des résultats de
son rejeton. Pour Christophe, la scolarité obligatoire a
commencé à l’instant même où il a quitté le berceau.
Pédagogue convaincue, elle a inscrit son fils de bonne
heure dans une crèche, puis dans une école mater-
nelle où l’enseignement est dispensé toute la journée.
Récemment, en conseil des maîtres, un collègue plus

22
âgé s’est gaussé regrettant que de nos jours, la page
des jeux inutiles et déplacés soit tournée si jeune.
L’esprit malfaisant d’une nation, a-t-il ajouté, trans-
paraît d’abord dans la vie de sa descendance. Une
société de vieillards ne peut pas se permettre de défail-
lances parmi ceux qui vont lui succéder. Après tout, les
jeunes sont bien là pour les vieux, et pas le contraire.

À peine échappé des bras de sa mère, le petit


garçon, rayonnant de joie, se rue dans la grande salle
de jeux ; au plafond pend la tête mobile d’un clown
dont l’œil de verre gauche jauge la pièce, immobile et
noir. Si, une fois arrivés au bureau, le père ou la mère
avaient voulu surveiller depuis leur ordinateur les acti-
vités de leur fils, ils n’auraient eu qu’à connecter leur
ordinateur.
À l’entrée de l’école de Brigitte, deux vigiles
inspectent chaque serviette, chaque sac à dos, chaque
cartable. Comme un enseignant a été assassiné
quelque part douze ans plus tôt, la centrale a installé
des caméras et des systèmes d’alarme, mais aussi
détaché deux fonctionnaires. L’uniforme de l’école,
dont les poches sont cousues, facilite considérable-
ment la recherche de coups-de-poing américains, de
cigarettes ou d’alcool.
Anton entre dans son bureau à l’aide d’une carte

23
à puce qui inscrit son heure d’arrivée sur son compte-
temps. Le portier lui fait signe de loin ; dans le couloir
et dans l’ascenseur, les caméras indiquent à la sécurité
du bâtiment qui s’y trouve à l’instant T. Arrivé à son
poste de travail, il allume son ordinateur pour inspecter
son courrier professionnel. Le keylogger disposé entre
l’ordinateur et le clavier dresse le compte rendu de
chaque ordre donné  par le biais des touches. Le
Conseil d’entreprise a exigé l’installation de cet appa-
reil sur tous ses ordinateurs afin que tous soient logés
à la même enseigne et que l’on garantisse une trans-
parence absolue. Bien qu’Anton occupe dans l’entre-
prise un poste de confiance et de haut niveau, on lui a,
lui aussi, installé un keylogger. Les employés ont certes
le droit d’utiliser Internet pour leur usage personnel,
mais doivent, en contrepartie, accepter que toutes
les entrées soient enregistrées. La plupart renoncent
donc volontairement à utiliser l’ordinateur de l’entre-
prise pour leur correspondance privée. Beaucoup ont
sur eux un smartphone, lequel est surveillé par une
autre instance. Le discret appareil monté sur le clavier
rappelle à chacun qu’il ferait mieux de garder autant
que possible ses secrets pour lui.
À la maternelle, en dépit des mises en garde de
sa mère, le jeune Christophe n’a pas la moindre envie
de se montrer docile. Il n’évite aucune querelle, on

24
dirait même qu’aujourd’hui, précisément, il cherche
la bagarre. Les paroles apaisantes des éducatrices lui
tapent sur les nerfs, il veut mesurer ses forces et prouver
à ses petits camarades qu’il n’est pas un fils à maman.
Il a commencé par éprouver le niveau de sa voix, puis
la puissance de ses coudes et pour finir l’énergie de ses
poings. Les surveillantes épouvantées ont aussitôt noté
dans le dossier cette éruption d’énergie intempestive.
Cela vaudra à Christophe, le soir venu, un bruyant
interrogatoire de sa mère.
Dans l’école de Brigitte aussi, l’atmosphère est à
la coercition tolérante. Cela ne tient pas seulement à
la densité du programme, aux consignes ou à la disci-
pline de l’enseignement, qui ne laissent pratiquement
aucune place à l’agitation des sens et de l’esprit. Le
collège est fier de cette attitude fondée sur une ligne
pédagogique rigoureuse. On encourage sciemment
quelques enfants moins avantagés, mais jamais ceux
qui sont plus doués. On évite les expérimentations,
on réprime les folies. Aucun élève ne doit sortir du
rang, aucun ne doit être trop rapide, trop bruyant,
trop original ni même faire preuve de curiosité. Le
climat d’uniformité indolente s’est déposé comme du
mildiou sur le fonctionnement de l’établissement et a
étouffé en germe toute singularité.
Peu avant midi, Anton B.  reçoit un coup de

25
téléphone. Son conseiller fiscal l’informe que l’admi-
nistration des impôts s’interroge sur un virement à
l’étranger. Anton B. ne se rappelle pas avoir commis
la moindre irrégularité. Hormis quelques contraven-
tions pour stationnement illicite ou excès de vitesse,
il n’a jamais eu affaire aux autorités. Un an plus tôt,
cependant, il a payé avec sa carte de crédit l’hôtel où
il passait ses vacances. Cette demande de renseigne-
ments laisse penser que le fisc connaît les moindres
mouvements de son compte. Manifestement, un
contrôleur est allé fouiner dans ses affaires sans
l’en informer. Anton sent monter en lui un certain
agacement.
Vers 13  h, Anton B.  s’enquiert une nouvelle
fois auprès de son frère de l’état de leur mère. Il n’y
avait rien de neuf. La conversation a donc été brève.
L’entreprise a certes explicitement autorisé l’usage
du téléphone de l’entreprise pour les conversations
privées. Mais les indicatifs et les numéros d’utilisateur
sont répertoriés pour la facture mensuelle. La minceur
des parois du bureau interdit de toute façon les
communications trop confidentielles et trop longues.
Cela fait déjà un certain temps qu’Anton a perdu
l’habitude de prononcer des noms au téléphone. Mais
il ne faut pas être grand clerc pour deviner, à partir
de quelques expressions caractéristiques que l’on

26
ne peut s’empêcher d’employer, le sujet de chaque
conversation.
Anton ouvre la fenêtre et regarde la grande place.
Autrefois, elle accueillait un trafic animé. Aujourd’hui,
la vie semble étouffer sous le silence. Il peut ouvrir la
fenêtre sans être gêné par le bruit de la ville. Seule une
musique discrète sort d’un haut-parleur. Ici et là, on
entend un étrange bourdonnement. Il provient d’un
moustique artificiel qui inspecte les rues latérales et
adjacentes à la recherche de bruits suspects.
Tout d’un coup, cependant, de petits groupes
de citoyens se réunissent sur la place  ; quelques-
uns brandissent des banderoles porteuses de slogans
écrits à la va-vite, d’autres attendent, indécis. Ils sont
là pour affirmer leur soutien aux rédacteurs impies.
Un orateur qui devait intervenir n’a au début pas osé
le faire. Puis trois personnes ont apporté une table,
l’une d’elles a sauté dessus, a placé un vieux méga-
phone devant sa bouche et s’est exprimée. L’homme,
qui a sans doute une petite cinquantaine et porte
un chapeau noir, rappelle les conquêtes de la liberté
d’opinion. Il exige la liberté à l’égard de toute reli-
gion. Il affirme que les idées absurdes peuvent être à
tout moment exposées à la risée du public.
La destruction de la liberté commence dans la tête
des gens, clame-t-il, pendant que la foule applaudit. La

27
lâcheté et l’autocensure ruinent les droits de l’homme.
La manifestation n’était pas déclarée ; au bout de
vingt minutes, les forces de l’ordre la dissolvent et on
emmène l’orateur.
De tout cela, Brigitte n’a pas entendu parler. La
ville est loin. Les informations ont passé l’incident sous
silence. Lorsqu’elle a terminé ses cours du matin et sa
surveillance de l’après-midi, elle a récupéré son fils à la
maternelle, réceptionné le formulaire de son évalua-
tion puis est allée faire des courses au supermarché.
Juste derrière l’entrée se trouve un objet discret,
de la taille d’un réfrigérateur. Le backscatter scanne
chaque client. Sur l’écran, on ne voit pas seulement
ce que peuvent dissimuler les vêtements ou les sous-
vêtements. On distingue précisément la silhouette
nue. Brigitte a beau faire régulièrement des courses
pour la famille sur le chemin du retour et connaître
le moindre recoin du magasin, elle est un peu désem-
parée, ce jour-là, en remontant les allées. À la caisse,
elle hésite un bref instant à présenter sa carte de fidé-
lité. Les remises lui paraissent cher payées. À chaque
achat, le magasin enregistre ses préférences, note si
elle a essayé un nouveau produit et quel budget elle
consacre à l’alimentaire. Son goût pour les substances
grasses et sucrées n’est pas non plus passé inaperçu.
Chez elle, vibrant d’un joyeux espoir, elle se

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penche sur le bulletin de Christophe. La déception
lui fait froncer les sourcils lorsqu’elle lit les remarques
sur la brutalité de son comportement. Elle ne connais-
sait pas du tout son fils sous cet angle-là, ne l’a-t-elle
pas constamment incité à se montrer d’un pacifisme
absolu  ? Elle lui fait sévèrement la leçon. Il faut un
quart d’heure pour qu’il avoue et disparaisse dans sa
chambre la tête dans les épaules ; il y restera jusqu’à
ce qu’on l’appelle. Que ces brefs arrêts de rigueur lui
servent de leçon.
En fin d’après-midi, Anton a pris une heure sur son
horaire habituel pour aller voir un médecin. Celui-ci
ne le connaît pas, mais la carte de santé de son patient
lui permet de prendre immédiatement connaissance
de tous les diagnostics, traitements et médicaments
qui lui ont jamais été prescrits jusqu’alors. Le médecin
a brièvement posé son stéthoscope sur sa cage thora-
cique, pris son pouls et sa tension, et lui a fait passer
un électrocardiogramme par mesure de sécurité. Ses
douleurs sur le côté gauche peuvent provenir des
côtes et de tensions dans le dos, dit-il pour rassurer
son patient, un peu plus de mouvement et moins de
stress seraient sans doute bienvenus. Soulagé, Anton le
remercie, il déteste le mouvement depuis que tout le
monde milite pour l’achat d’un podomètre et conseille
de ne pas faire moins de 9 500 pas quotidiens. Si ça

29
ne s’arrangeait pas, dit le médecin, il pourrait aussi
l’envoyer chez un cardiologue, mais le spécialiste ne
trouvera rien non plus ; seulement, de nos jours, on
doit tout examiner de très près, même quand on ne
trouve rien nulle part.
Lorsque Anton entre dans son immeuble, l’équipe
vient de changer. Le nouveau portier lui adresse
un sourire amical et, conformément au règlement,
inscrit le nom de l’arrivant sur son registre. Il jette
un bref coup d’œil sur les écrans avant de reprendre
ses mots croisés. Anton s’arrête un petit instant. Il lui
est presque impossible d’entrer dans l’ascenseur : il a
tout d’un coup l’impression d’entendre une voix qui
l’invite à attendre.
Il faut que la porte de son appartement se
referme derrière lui pour qu’il se sente hors de toute
observation.
Brigitte le salue distraitement. Le courrier est
sur la table ; il y trouve trois invitations. La première
provient d’un tirage au sort, la deuxième d’une
concession automobile qui propose d’essayer un véhi-
cule, la troisième d’une banque qui recommande la
souscription d’un emprunt à taux zéro. Bien qu’il n’ait
encore jamais fait mine de donner suite à ce genre de
recommandations, cette banque l’invite obstinément
et régulièrement à se livrer à diverses transactions,

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comme si justement sa réserve faisait de lui leur client
préféré. Il ne savait même pas encore à l’époque ce
que le mot « emprunt » à taux zéro signifiait exacte-
ment. Est-ce lui qui doit emprunter quelque chose, ou
quelqu’un veut-il lui confier de l’argent ? Ces derniers
mois, les invitations indésirables se sont multipliées.
Chaque jour, la boîte aux lettres déborde de conseils
pressants. Manifestement, ils veulent tous son
bonheur, bien qu’il n’ait confié à personne ses désirs
secrets. Il a aussi pris congé de beaucoup d’« amis » sur
les réseaux sociaux après s’être rendu compte que des
inconnus ne sont pas des amis. Mais il a l’impression
qu’une sorte de poix lui colle au talon, que les archives
secrètes où sont consignées toutes les informations
jamais collectées sur lui et sa famille ne cessent de
prendre de l’ampleur.
Après le dîner, Brigitte démarre son ordinateur
portable et va sur Internet. Elle attire de nouveau
aussitôt l’attention sur elle. Le fournisseur d’accès note
ses activités. Les gestionnaires des pages qu’elle visite
relèvent ses données. Elle a laissé son adresse mail
dans un newsgroup et la société de vente aux enchères
virtuelles où elle a l’habitude de compléter sa collec-
tion de miroirs anciens a noté ces derniers mois toutes
ses transactions, qu’elle met à la disposition de tous
ceux que cela intéresse. Toutes les dix minutes, un

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écran d’alerte lui rappelle qu’elle doit actualiser dès que
possible son logiciel antivirus. Des troyens inconnus
sont en permanence aux aguets devant le disque dur
de son ordinateur. Brigitte commande deux livres
auprès d’une librairie à qui elle a laissé le numéro de sa
carte de crédit. Elle vérifie le prix des appareils photos
numériques sur trois sites de vente en ligne. Sa boîte
mail contient plusieurs envois publicitaires de sociétés
dont elle ne connaît même pas le nom.
Ensuite, alors que Christophe est déjà au lit, les
époux restent encore une demi-heure ensemble à parler
de choses et d’autres. On évoque aussi brièvement
l’incident à la maternelle. Brigitte plaide pour une
surveillance compréhensive, Anton, qui se rappelle ses
bagarres au même âge, l’approuve d’un hochement de
tête mais donne en silence raison à son rejeton. Puis
ils allument le téléviseur, sans remarquer qu’ils sont
surveillés quand ils regardent l’écran. Peu avant de
s’endormir, Anton B. passe en revue les événements de
la journée. Il est pris d’une brève nausée au moment
où il commence à pressentir qu’il n’a pas été seul ne
fût-ce qu’une minute.

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TABLE DES MATIÈRES

Préface 7

I – Une journée dans la vie


de la famille B. 19
II – Traces 39
III – Pouvoir et espace privé 45
IV – Retours sur le passé 64
V – Liberté et espace privé 75
VI – Les zones réservées de l’individu 85
VII – Les secrets du corps 106
IX – Espaces privés 131
IX – La Propriété 153
X – Informations, données 175
XI – Liberté de penser 199
XII – Défense du privé 233

Épilogue 251

Références 277

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