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Hindus
L.-F. Céline
Collection dirigée par
L.-F. Céline L.-F. Céline et Milton Hindus Laurence Tâcu
(1894-1961) Une amitié particulière Dans la même collection
Considéré comme l’un des écrivains
majeurs du xxe siècle, Louis Ferdinand
Destouches a 20 ans quand la Première
Guerre mondiale éclate, il en revient
« Aucune gêne à vous avouer que je n’ai jamais lu Mein Kampf !
Tout ce que pensent, ou racontent ou écrivent les Allemands
Milton Hindus Simone de Beauvoir
Les Inséparables
Malentendu à Moscou
gravement blessé à la tête mais Walter Benjamin
auréolé de gloire. En réaction, il écrit m’assomme – Celte dans chaque pouce de ma misérable per- Enfance berlinoise
Une amitié
N’oublie pas le meilleur
Voyage au bout de la nuit en 1932 sous sonne tout ce qui vient d’outre-Rhin me coagule – Je ne suis pas
le pseudonyme de Céline. Grâce à une comme Romain Rolland, Renan et tant d’autres – pas germani- Thomas Bernhard
écriture d’une férocité aiguë, Céline L’Italien
sant pour un sou – Le moins germanisant des Français, le plus
restitue l’émotion vécue et bouleverse Colette
particulière
Français celte des Français – Je ne me suis lancé (comme un Paris je t’aime !
la littérature. Médecin aux idées
largement antisémites, il est condamné con) dans cette effroyable aventure et quelle misère ! que dans Un bien grand amour
en 1950 à l’indignité nationale et à la un but = un seul UNIQUE : éviter une autre guerre – Que le sang Betty Duhamel
confiscation de ses biens avant d’être français ne coule plus – Hélas ! Voyez comme j’ai réussi ! Alors Gare Saint-Lazare
finalement amnistié en 1951. Il meurt ce que déconnait Hitler m’a toujours semblé futile. D’ailleurs Mircea Eliade
L’Herne
Les vents
L’Herne
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Louis-Ferdinand Céline
Milton Hindus
UNE AMITIÉ
PARTICULIÈRE
L’Herne
NOTE DE L’ÉDITRICE
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INTRODUCTION
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Céline vit et continuera à vivre, de même que survit à ses chefs exter-
minés le menu peuple innombrable qui a contribué au fascisme et à
la collaboration.
Voici près de cinq ans que s’est achevée la plus grande guerre de
l’Histoire. Que se passe-t-il dans la tête des collaborateurs blanchis
et des Nazis dénazifiés ? Parfois, mais rarement, la vérité se fait jour
dans la presse, comme dernièrement à la faveur de ce compte rendu
d’une bagarre causée à Munich par une lettre adressée à un journal
allemand, selon laquelle l’erreur des Nazis aurait été non pas d’avoir
gazé les Juifs, mais de ne les avoir pas gazés tous. Voilà tout le change-
ment qui s’est produit depuis que la guerre éclata, il y a dix ans. C’est
un changement qu’il faut noter et apprécier, non pour le danger qu’il
représente actuellement, mais pour celui qu’il pourrait représenter, si
on l’ignorait ou si on le passait sous silence.
Naguère les journalistes parlaient volontiers de Hitler sur l’Europe.
Plus adéquate, je crois, serait aujourd’hui la formule : Céline sous
l’Europe. Il est à sa base, en effet. Il habite ses entrailles et peut-être
le fond de son âme, si elle en a encore une. Pour Céline, Hitler était
une idole de théâtre à la voix de fausset. L’événement Hitler a été jeté
au rebut de l’Histoire, mais Céline, des millions de Céline grondent
toujours sourdement dans les boyaux du vieux continent. Oui,
Céline sous l’Europe, ébranlant la terre sous les pas des Américains et
des Russes victorieux, voilà le thème qui remplira les manchettes des
journaux de demain, comme il emplissait celles d’hier.
Si moi, Juif d’Amérique, je suis allé m’entretenir avec Céline l’été
dernier, c’est parce qu’il m’avait spirituellement atteint et ébranlé
pendant la guerre, comme Hitler avait ébranlé mon pays et mes
congénères en particulier. Je considérais Céline – et je le considère
toujours –comme un phénomène artistique sans équivalent dans le
monde contemporain. Par rapport aux classiques, il n’est pas plus
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secondaire que ne l’est Duke Ellington, par exemple, en face de
Beethoven. Céline, de même que nos artistes de jazz, a fait passer un
frisson nouveau1 dans la littérature. Il en a modernisé les rythmes, il
l’a accordée au goût du peuple le plus sensible de la terre. Mais en
Céline ce n’est pas seulement l’artiste, c’est aussi le pamphlétaire qui
m’intéressait. Il est important du fait qu’il est de façon manifeste le
porte-parole d’autres voix qui, sans lui, bien que murmurantes, nous
demeureraient inaudibles. Les représentants politiques parlent au
nom du peuple, parce qu’ils ont été élus pour le faire ; mais il est une
autre forme d’élection qui s’accomplit sans bulletins. C’est l’élection
qui fait les prophètes et les grands écrivains nationaux. Dans la majo-
rité des cas ces hommes, choisis par le Ciel pour exécuter ses volontés
et doués d’assez de talent pour nous confirmer la validité de ce choix,
sont haïs, méprisés et repoussés par leurs propres compatriotes, parce
qu’ils ne manquent jamais d’être sincères, même quand ils se font les
prophètes du malheur et du désastre : ils disent tout haut ce que les
autres n’ont ni le courage ni le pouvoir de s’avouer dans le secret de
leur conscience.
Céline, qui ne fut jamais nazi, est cependant plus représentatif
que les Nazis eux-mêmes de la mentalité qui assura le triomphe de
leurs idées. La plupart d’entre eux, comme l’ont prouvé les procès qui
se sont déroulés depuis la fin de la guerre, n’étaient que des oppor-
tunistes et des arrivistes sans envergure, des profiteurs à la petite
semaine, des perroquets écervelés. Quand Céline parle, lui, c’est avec
le tonnerre que faisaient les millions de voix réunies des hommes qui
le lisaient entre les deux guerres et durant cette dernière. Il parle avec
l’autorité d’un monde qui a été matériellement pulvérisé et spirituel-
lement usé jusqu’à l’âme, mais qui se refuse à mourir. Il est semblable
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au cauchemar dont l’emprise persistant trouble le reste du jour.
Je prétends hardiment que ce livre, quels que soient ses défauts de
forme, d’esprit, d’analyse et, disons même, de bonne foi, a pourtant
quelque chose qui le distingue de toute la littérature d’aujourd’hui :
j’ai trouvé une mine de matériaux dans le cœur d’un homme qui
habite le cœur de cette Europe instable, dangereuse et aussi explosive
que les nouveaux isotopes de la chimie. La seule différence réside en
ceci que la bombe atomique a déjà explosé, tandis que le mouvement
historique qui déclenchera la désintégration de la psyché européenne
(et dont Hitler n’était qu’un signe avant-coureur) est encore à venir.
Céline est important, non seulement en soi, mais pour ce qu’il repré-
sente. On le verra plus clairement lorsque les fumées de la présente
période se seront dissipées.
Si je me mets en scène, ce n’est point par vanité, mais parce qu’en
donnant une image de Céline, j’ai voulu montrer l’objectif à travers
lequel il avait été vu, de façon que le lecteur puisse corriger comme
il l’entend les inévitables déformations de ma vision partiale et enta-
chée de préjugés.
Ceci est un ouvrage littéraire – dans mes intentions tout au moins.
Ce n’est ni un dossier, ni un jugement, ni un acte d’accusation. C’est
le portrait d’un homme et d’une époque fait par un autre homme,
vivant comme lui dans un temps où il se sent presque englouti.
Je n’ai pas conscience, à l’instant où j’écris ces lignes, d’aimer
Céline ou de le haïr, bien qu’on puisse voir dans le Journal et les essais
qui suivent qu’il y eut des moments où j’éprouvai pour lui ces deux
sentiments, alternativement ou simultanément. Je crois que mon
attitude actuelle est celle que définit Swift lorsqu’il fait le portrait
de Lord Wharton : « Quiconque veut présenter la description d’un
serpent, d’un loup, d’un crocodile ou d’un renard est censé le faire
sans amour ni haine. »
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Je me suis constamment efforcé, dans mes rapports avec Céline
et plus tard dans mes souvenirs, de le comprendre. À quel point j’y
ai réussi, c’est à d’autres de le dire. Le plus grand handicap dans cette
entreprise tenait, je crois, au fait que je suis américain. Au Juif en
moi, persécuté et massacré depuis des générations par les ancêtres
de Céline, celui-ci était plus compréhensible, plus proche dirais-je
même, de la parenté du bourreau avec sa victime. Mais pour l’Amé-
ricain en moi, optimiste et rationnel, il était comme un homme
d’un autre monde. Nous autres, Américains, nous sommes pour
la plupart moins qualifiés pour comprendre l’Européen que pour
comprendre le Zoulou d’Afrique ou l’Indien de nos réserves. Je dis
moins qualifiés, parce qu’avec l’Européen, nous ne sommes pas, d’or-
dinaire, conscients de nos différences comme nous le sommes avec
les sauvages. Nous portons à peu près les mêmes vêtements, nous
lisons à peu près les mêmes livres, nous avons à peu près le même
code moral, et pourtant, malgré ces avantageuses ressemblances, il y
a quelque chose chez l’Européen qui échappe à l’Américain, si bien
intentionné soit-il, et inversement. Nous lisons le récit des voyages
que les plus intelligents et les mieux disposés d’entre eux font chez
nous et, finalement, nous fermons le livre, insatisfaits.
Pound et Céline, dont les deux cas s’éclairent mutuellement. Le
lecteur est invité à comparer par lui-même. Deux nettes distinctions,
toutefois, doivent être marquées. Céline, à la différence de Pound, n’a
jamais – sauf dans une pièce de théâtre – confondu son travail créa-
teur et sa propagande ; ses idées antisémites ne se trouvent pas expo-
sées dans ses romans. À la différence de Pound également, Céline ne
s’est jamais livré activement à une tâche journalistique ou radiopho-
nique pour le compte des fascistes dont il partageait les idées.
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PREMIÈRE
PARTIE
LETTRES DE L.-F. CÉLINE
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– mais avec quel passeport ? et quel visa ? Si l’on me donne des condi-
tions de vie ici qui me permettent de me remettre au travail c’est déjà
presque tout c’est-à-dire un peu de paix et de sécurité – ma femme
est ici avec moi, elle fut emprisonnée aussi, la pauvre innocente
martyr, puis relâchée – même mon malheureux vieux chat Bébert
que nous avons amené avec nous de Montmartre à travers quels
déluges ! à travers l’Allemagne en feu, a subi aussi la prison ! Vous
voyez que l’anathème qui pèse sur les gens de mon espèce s’étend
assez loin ! Toutes mes amitiés toute ma reconnaissance je vous prie
à Parker à Miller, à tous vos amis qui veulent bien s’intéresser à mon
sort. Il y aurait peut-être une combinaison d’être accepté médecin
au « Grœnland » colonie danoise qui manque de médecins – Le
frère de Mikkelsen est gouverneur d’une partie du Groenland – Cela
me rapprocherait de vous, délivrerait le Danemark continental de
ma gênante présence, bien des avantages… Mais il faudrait je pense
une rude intervention officielle américaine et officieuse auprès du
Gt Danois pour qu’il prenne sur lui tant d’audace ! Enfin ce sont là
projets de malade !
Et bien affect., à vous,
Céline
Voici la meilleure adresse à présent :
Dr Louis DESTOUCHES
c/o Thorwald Mikkelsen
45 a Bredgade
Copenhague
P. S. : J’ai connu à Montréal Canada le Pr. Barbeau – Professeur de
littérature française à l’Université de Montréal – Qu’est-il devenu ?
Pourrait-il nous avoir au Canada ?
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Lettre du 19 mars 1947
Cher Ami,
Il m’est arrivé bien rarement de crier ! Au Secours ! mon appel
ayant été entendu rien ne saurait m’empêcher d’être reconnaissant
envers ceux qui me tendent la perche ! Ouf ! il était temps ! Mikkelsen
a été admirable – Je dois aussi beaucoup, assez paradoxalement au
chef de la Police de Copenhague Aage Sidenfaden mais le nombre de
ceux qui m’ont voulu du bien est infiniment moindre que ceux qui
m’ont voulu au diable ! Seulement je ne sais quoi de providentiel a
joué en ma faveur. La preuve. Une providence USA je pense, la vôtre
– Que cela ne se relâche point ! Je retournerais aux abîmes ! mille
affectueuses amitiés à Parker je vous prie, à ses amis. Il me tarde de
remercier en personne M. Julien Cornell. Je le ferai très bientôt. J’ai
été arraché à plusieurs manuscrits en route – dont Guignol’s Band.
Avez-vous lu le premier tome de Guignol’s ? À ce propos je songe
à me faire éditer en français soit en Suisse, soit au Canada, soit en
Belgique – Mais pourquoi pas aux USA ? Il paraît qu’il y existe à
présent une maison française d’édition ? La France me boycotte il
faut bien que je m’édite qq part – Je ne peux pas rester à crever de
faim auprès de mes livres qui sont de vente facile et classique – Voyage
au bout de la nuit, Mort à crédit, Guignol’s Band pour faire plaisir et
respecter les ukases d’un quarteron de ratés communisants : Aragon,
Triolet, Cassou, etc. Ce serait trop bouffon – L’idiotie a ses limites –
Pouvez-vous me conseiller à ce propos ? Connaissez-vous quelqu’un
au fait de ce problème – Mes romans me rapportaient 1 million par
an jusqu’à 1944 – et à mon éditeur, le malheureux Denoël, large-
ment le double – je tombe de haut vous le voyez – J’étais aussi
l’auteur le plus cher de France ! Ayant toujours fait de la médecine
gratuite je m’étais juré d’être l’écrivain le plus exigeant du marché – et
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je l’étais – Mais ce sont bien misérables bénéfices à côté des lions de
l’édition américaine ! Broutilles ! Hélas actuellement, il n’est même
plus question de broutilles ! Il me tarde aussi moralement de sortir
de cette condition d’intouchable, de paria pourri – C’est pour cela
que je songeais à la médecine au Groenland – mais pour me dépêtrer,
revenir en surface d’une façon ou de l’autre il faut que les danois me
sortent tout à fait de prison ; je suis encore ce qu’on appelle chez vous
je crois « on parole ». Il y a encore un cran à franchir – Ils se décide-
ront si vous les y poussez… Un groupe d’amis français se dévoue à
ma triste cause – vous les connaissez – Marcel Aymé, Daragnès, Gen
Paul… Il faudrait intéresser Picasso – J’ai besoin des sympathies de
l’autre bord un ami espagnol Antonio Zuluoaga (le fils du gr peintre)
est particulièrement actif et bien placé… Il demeure à Paris (54,
rue Caulaincourt, Paris 18e). Je me raccroche à toutes les branches
comme un noyé ! Il fait tout de même bon de pouvoir se débattre –
Pendant 17 mois au fond de ce cachot j’ai laissé tout le champ libre
à mes pires ennemis ! Pensez s’ils s’en sont donné ! Ne croyez pas que
le Groenland présente plus d’attrait pour moi que Chicago mais c’est
un grand pas vers Chicago ! Du moins je le pense très humblement
– Je suis habitué à n’envisager que le côté le plus ardu des entreprises,
la voie la plus douloureuse – je me vois encore mal franchissant de
fière étrave la passe de New York ! Doublant la « Liberty » sans crier
gare ! Nous n’en sommes pas là ! Tout doux !
Votre bien sincère et très affect,
L.-F. Céline
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