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Presses
universitaires
de Rennes
Musique et politique | Alain Darré
10. Le syndrome
de l’acculturation
musicale : un
siècle de
résistances en
Bretagne
http://books.openedition.org/pur/24578 1/15
24/09/2016 Musique et politique - 10. Le syndrome de l’acculturation musicale : un siècle de résistances en Bretagne - Presses universitaires de Rennes
Yves Defrance
p. 187-195
Texte intégral
1 En août 1895, la Ville de Brest organisait un des concours de
musique les plus spectaculaires qui soient. Plus de quarante
couples de sonneurs traditionnels de biniou et de bombarde
furent invités à participer à une fête magistralement
orchestrée et qui s’étala sur plusieurs jours. Ils vinrent de
Penthièvre et, pour leur majorité, de Cornouaille et du pays
Vannetais, puisqu’il n’y avait quasiment aucun sonneur
établi en Léon et très peu en Trégor. On les réunit d’abord à
Quimper puis, embarqués à Douarnenez, ils gagnèrent Brest
par un bateau à vapeur. Une véritable épopée couronnée par
un triomphe dont le magazine L’Illustration porta l’écho aux
quatre coins de France et d’Outre-Mer (Defrance, 1987).
2 Le souci des promoteurs de cette manifestation de masse
était à la fois de valoriser la musique bretonne et de mettre le
doigt sur le danger de sa disparition. En présentant les
derniers sonneurs sur la scène régionale, on souhaitait
provoquer une prise de conscience de la valeur d’un
patrimoine musical original et de la nécessité de le
conserver.
3 Cette tentative de sauvegarde du biniou (dans son acception
générale d’un duo cornemuse-hautbois) comme instrument
exclusif d’accompagnement des fêtes à l’échelle villageoise se
solda par un échec. D’autres concours furent organisés un
peu partout, notamment lors de chaque congrès annuel de
l’Union Régionaliste Bretonne, mais, déjà, le nombre de
participants régressait régulièrement. Tous les efforts de
promotion du biniou, qui furent mis en œuvre durant la IIIe
République, restèrent vains. Rien ne put endiguer le
formidable raz de marée que fut la pénétration de
l’accordéon, porteur de nouveaux idéaux, symbole d’une
émancipation des jeunes générations du XXe siècle naissant.
Après la Première Guerre mondiale, danses et musiques
traditionnelles tombent progressivement en décrépitude. Les
seuls témoins de traditions anciennes sont très âgés et leurs
successeurs, dans les fonctions sociales d’animations
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La mise en scène du patrimoine
5 La première correspond à la naissance du mouvement
folklorique, comparable aux mouvements d’autres régions
d’Europe dans la forme, mais assez différents dans l’esprit.
Les revendications d’un droit à une culture « autre »
reviennent comme un leitmotiv dans le discours des
dirigeants des grandes fédérations bretonnes : War Leur,
Kendalc’h, Bodadeg Ar Sonerien, Al leur nevez, etc. Une
vaste entreprise de réaction prenant en contre-pied les
assauts culturels de la société englobante se déploie à travers
le combat pacifique des cercles celtiques, lieux d’initiation
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L’autogestion, comme postulat musical
7 Vers la fin des années 1960, au moment même où les
mouvements folkloriques commencent à s’essouffler, arrive
une nouvelle vague d’intérêts pour les musiques bretonnes
présentées sous un jour inédit. Par le biais de la radio et du
disque parviennent jusque dans les campagnes les plus
reculées les produits sonores du revival anglo-américain. Ce
dernier est à l’origine du mouvement folk porté par les
événements de Mai 68 et en lequel se reconnaît toute une
génération (Defrance, 1993). Donnant une sorte de réplique
au yeyé parisien des années soixante, les Bretons
s’organisent en groupes de musiciens dont le modèle
principal vient d’Irlande. Alan Stivel (pseudonyme d’Alain
Cochevelou), formé lui-même dans les bagadoù, ouvre une
voie nouvelle dans laquelle s’engouffre un nombre important
de groupes musicaux, aux dénominations bretonnes
obligées, mais aussi de chanteurs qui interprètent des textes
contemporains, ne cachant pas leur engagement politique,
parfois même franchement sympathisants aux organisations
autonomistes (Brekilien, 1973; Erwan & Legras, 19793). Les
années 1970 sont d’ailleurs le théâtre de luttes sociales où le
droit de vivre au pays et à y laisser s’épanouir une culture
régionale « différente » trouvent en la chanson, engagée et
contestataire, un support correspondant bien aux aspirations
du temps (Vassal, 1973 ; Durand, 1977). Les festivals de
musique folk émergent alors un peu partout en France. La
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L’éclat de la pureté
9 Une troisième étape dans l’action endoculturelle menée par
les Bretons en faveur de leur musique se dessine à la fin des
années 1970 et s’organise au cours de ces quinze dernières
années. Tout se passe comme si émergeait d’une profonde
léthargie, ou plus exactement d’un long silence, une prise de
conscience subite de l’accélération des mutations culturelles
parmi les tenants eux-mêmes d’une tradition musicale, en
particulier vocale. Avec une certaine frénésie, une course au
document sonore inédit s’engage. Ce que l’on peut nommer
un exotisme rural, saisit une frange de la population
bretonne qui se passionne pour redonner vie aux traditions
qui lui conviennent et peuvent contribuer à définir des
« racines culturelles » valorisantes. Le caractère urgent de la
collecte d’un patrimoine oral en péril n’est pas franchement
neuf. Dès 1839, La Villemarqué annonçait l’agonie proche de
la chanson bretonne. Dans son sillage, Paul Sébillot participa
au mouvement folkloriste des années de la IIP République
pour, précisément, susciter une vaste campagne d’enquêtes
et de sauvetages d’informations se mourant sous ses yeux.
L’historien américain Eugen Weber (1983) estime, lui, que la
« fin des terroirs » se déclenche en France au cours du
dernier quart du XIXe siècle. L’imminence de la disparition
des traditions s’avère, en fait, le refrain le plus
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Vers une réconciliation
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Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
BECKER Roland, LE GURUN Laure, La musique bretonne, Coop
Breizh, 1994, 120 p.
Notes
1. On compte encore 160 cercles celtiques et 60 bagadoù en 1989
(Defrance, 1991).
2. On peut encore citer la Fête des Filets bleus (Concarneau), la Fête des
Mouettes (Saint-Briac), la Fête des OEillets (Saint-Malo-Paramé), la Fête
des Ajoncs d’or (Pont-Aven).
3. Citons, parmi d’autres, Diaouled ar menez, Ar sonerien du, An
Triskel, Tri Yann, Kouerien SantYann, Ar bleizi ruz, Satanazet, Dir ha
tan, Katel Goant, Gwerz, Skolan, Kornog, Penserien, Kas deiz, Daouarn,
Taran, Daou dezi, Ar re Yaouank, etc.
4. De « pop » (en référence à la pop music) et « plin » (prononcer pline,
nom d’un style de danse traditionnelle originaire du Centre-Bretagne, cf.
Guilcher, 1995).
5. À l’heure actuelle, l’association Dastum (me de la Santé, Rennes),
regroupe l’ensemble des collecteurs bretons et publie quelques-uns de
ses « meilleurs documents ». La maison d’étidion Ar Men (Douarnenez)
s’est engagée dans la publication d’une « Anthologie des chants et
musiques de Bretagne ». De nombreuses associations locales (en
particulier « La Bouèze », à Rennes) proposent des cassettes
magnétiques consacrées aux répertoires musicaux de leur « pays ».
6. On comprend que le cadre de cette communication interdise toute
tentative d’exhaustivité. Rappelons simplement qu’à côté des concours
de sonneurs de couple (biniou-bombarde), organisés par le mouvement
folklorique (Gourin, Quimper, etc.), apparaissent des concours où la
participation prend autant d’importance que les décisions du jury.
Certains sonneurs du passé sont présentés comme des « maîtres », et
leur mémoire est honorée dans le titre de nouveaux trophées : « Jean-
Claude Jégat » (Pontivy), « Matilin an dall » (Quirnperlé), « Per
Guillou » (Carhaix), « Victor Frogé » (Fougères). En Côtes d’Armor, un
collège d’enseignement secondaire porte le nom d’un ménétrier du XIXe
siècle, joueur de clarinette : Pierre-Marie Sérandour, dit « Pier an dall »
(Pierre l’aveugle). Afin de donner la parole aux revivalistes et aux
musiciens fidèles à la tradition, les organisations folkloriques mettent en
place un important concours, ayant lieu au printemps, le « Kan ar Bobl »
et dont les éliminatoires se déroulent durant l’hiver dans différents
terroirs. En réaction contre la « partialité » du jury et le montant
« exorbitant » des récompenses, des opposants à cette vaste opération,
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Auteur
Yves Defrance
© Presses universitaires de Rennes, 1996
Référence électronique du chapitre
DEFRANCE, Yves. 10. Le syndrome de l’acculturation musicale : un
siècle de résistances en Bretagne In : Musique et politique : Les
répertoires de l'identité [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de
Rennes, 1996 (généré le 24 septembre 2016). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/pur/24578>. ISBN : 9782753539204.
Référence électronique du livre
DARRÉ, Alain (dir.). Musique et politique : Les répertoires de l'identité.
Nouvelle édition [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes,
1996 (généré le 24 septembre 2016). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/pur/24557>. ISBN : 9782753539204.
Compatible avec Zotero
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