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Louis Delpech

Ouvertures à la française
Migrations musicales dans l’espace germanique
1660 – 1730


Centre d’études supérieures de la Renaissance
Université de Tours, UMR 7323 du CNRS

Collection « Épitome musical »


directed by Philippe Vendrix & Philippe Canguilhem

Editorial Committee: Hyacinthe Belliot, Vincent Besson, Camilla Cavicchi, David Fiala, Daniel Saulnier,
Solveig Serre, Vasco Zara

Advisory board: Andrew Kirkman (University of Birmingham), Yolanda Plumley (University of Exeter),
Jesse Rodin (Stanford University), Richard Freedman (Haverford College), Massimo Privitera (Università
di Palermo), Kate van Orden (Harvard University), Emilio Ros-Fabregas (CSIC-Barcelona), Thomas
Schmidt (University of Huddersfield), Giuseppe Gerbino (Columbia University), Vincenzo Borghetti
(Università di Verona), Marie-Alexis Colin (Université Libre de Bruxelles), Laurenz Lütteken (Universität
Zürich), Katelijne Schiltz (Universität Regensburg), Pedro Memelsdorff (Chercheur associé, Centre
d'études supérieures de la Renaissance–Tours)

Editing: Vincent Besson

Cover illustration: Maison de plaisir d’Herrenhausen, D-Hv, Mappe 18 XIX C Nr. 178

© 2020, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium.

All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or
transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise
without the prior permission of the publisher.

ISBN: 978-2-503-58858-2
E-ISBN: 978-2-503-58859-9
DOI 10.1484/M.EM-EB.5.119588
ISSN: 2565-8166
E-ISSN: 2565-9510

Printed in the EU on acid-free paper.


D/2020/0095/211
Louis Delpech
Ouvertures à la française
Migrations musicales dans l’espace germanique
1660 – 1730

F
On croit toucher des orgues ordinaires en touchant
l’homme. Ce sont des orgues à la vérité, mais bizarres,
changeantes, variables. Ceux qui ne savent toucher que
les ordinaires ne feraient pas d’accords sur celles-là. Il faut
savoir où sont les […]

Pascal, Pensées, Fragment Misère 3/24


Introduction

« Un pays dont la musique est indéchiffrable pour toute autre nation.1 » La célèbre charge pronon-
cée par Rousseau contre une musique française jugée grandiloquente, biscornue, incompréhen-
sible, et par-là même inexportable sur le marché européen, n’est pas seulement l’hyperbole d’un
musicien aux abois se débattant avec la figure écrasante de Rameau, ni même l’ultime et aventu-
reuse conséquence d’une réflexion philosophique aux prises avec le problème de l’origine du lan-
gage et l’élaboration théorique d’une dichotomie rigoureuse entre deux modèles musicaux opposés
terme à terme – le modèle italien, posé par le philosophe comme source et avenir de la musique,
et le modèle français, prototype de la dégénerescence d’un art musical coupé du sentiment et peu
à peu asphyxié par une vaine ratiocination. Au-delà des enjeux sociaux et intellectuels immédiats
d’une telle prise de position, la détestation exprimée par Rousseau envers la musique de son pays
d’adoption témoigne d’un fait tenace : dès le milieu du xviiie siècle, la musique française se trou-
vait attaquée sur plusieurs fronts, ramenée à une prolongation sénile et fatiguée de la musique du
Grand Siècle, et du même coup exclue a priori des productions culturelles qui, à la même époque,
faisaient de la France l’un des cœurs battants de la vie intellectuelle dans l’Europe des Lumières.
Les fulminations de Rousseau contre la musique française résonnent encore d’un écho sin-
gulier dans l’historiographie contemporaine. Si l’opposition développée par l’Essai sur l’origine
des langues entre musique italienne et française n’est que l’expression tardive et amplifiée d’un
antagonisme déjà largement à l’œuvre dans le discours théorique dès 1700, qui culmine en France
avec la Querelle des Bouffons et se voit réactivé par le philosophe pour les besoins de son propre
système théorique, le jugement de valeur qu’elle recouvre – élément à la fois propre à Rousseau
et central dans l’économie de sa pensée – a bénéficié d’une grande postérité dans l’histoire des
idées. Aujourd’hui encore, le caractère irréductible et idiosyncrasique de la musique française
d’Ancien Régime, la forte charge identitaire des productions musicales les plus hauts placées dans
la hiérarchie des genres comme la tragédie en musique ou le motet à grand chœur, leur isolement
superbe vis-à-vis d’une Europe baroque tout acquise à la musique italienne, sont autant de lieux
communs qui viennent mettre au jour le rousseauisme latent de notre tradition musicologique.
La forte cohérence interne de la vie musicale dans le royaume de France, très centralisée d’un
point de vue institutionnel mais aussi stylistique et générique, aurait eu pour corollaire l’inca-
pacité des productions musicales françaises à s’inscrire dans d’autres paysages institutionnels,
confessionnels, culturels et sonores. À la longue liste des différences entre musique française et
italienne dressée par les théoriciens de la première moitié du xviiie siècle, la musicologie a donc
progressivement pris l’habitude d’ajouter celle-ci : alors que la musique italienne voyage, circule,
se transmet, la musique française reste à la maison.

1 Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l’origine des langues, in : Œuvres Complètes, vol. 5, éd. Bernard Gagnebin et
Marcel Raymond, Paris 1995, p. 412. L’Essai sur l’origine des langues, publié de façon posthume en 1786, fut
commencé par Rousseau dès 1755, au sortir de la Querelle des Bouffons.

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Introduction

Un angle mort au cœur de l’Europe


Cet ensemble de préjugés a longtemps découragé toute vélléité de constituer la circulation de la
musique française en objet de recherche : devant les kilomètres de musique italienne conservés
dans les bibliothèques au Nord des Alpes, se mettre en tête d’y dénicher des productions françaises
aurait été vouloir trouver une aiguille dans une botte de foin. Pour une musicologie allemande
très tôt marquée par le protestantisme culturel de ses représentants les plus prestigieux, la mu-
sique française a également pâti de son association avec la danse et le théâtre, par opposition
avec une musique italienne qui avait été très tôt acclimatée au culte luthérien et pouvait donc
être érigée en objet de recherche respectable. De ce point de vue, la fortune historiographique
de l’anecdote rapportant la fuite de Louis Marchand, quittant Dresde avec armes et bagages en
1717 pour ne pas risquer de perdre la face devant Johann Sebastian Bach, peut être lue comme le
symptôme le plus emblématique de la difficulté à appréhender la musique française du premier
xviiie siècle dans un contexte européen. Exactement un siècle après cet épisode, Carl Zelter oppo-
sait toujours dans une lettre à Goethe « l’écume française » à « l’élément fondamental allemand »
dans la musique de Bach, reconduisant une figure centrale du discours musicologique depuis la
nécrologie de 1754 et la première biographie publiée par Forkel en 1802, mais qui avait gagné une
actualité nouvelle à la suite des guerres napoléoniennes.2
Le déficit d’attention accordée à la circulation européenne de la musique et des musiciens
français ne fit que se renforcer au cours du xxe siècle : les développements dramatiques de la rela-
tion franco-allemande à partir de 1870, la faiblesse structurelle du Saint Empire dans les études
historiques francophones, le privilège accordé aux traditions musicales nationales des deux côtés
du Rhin et la complexité des relations musicologiques franco-allemandes laissèrent dans la car-
tographie musicale de l’Europe moderne un trou béant que l’amitié franco-allemande ne put
immédiatement combler.3 Alors que les pérégrinations des troupes de comédiens français firent
très tôt l’objet de recherches approfondies, leurs collègues musiciens restèrent paradoxalement
les parents pauvres d’une historiographie pourtant tout disposée à célébrer les splendeurs passées
de l’Europe française. Il fallut attendre les années 1980 pour voir les études musicologiques se
saisir de cet objet, notamment sous l’impulsion d’Herbert Schneider.4 Depuis 2010, une nouvelle
génération de chercheurs s’est emparé de la question et a entamé une réévaluation décisive du
destin européen de la musique française autour de 1700.5

Migration, dissémination, invention : décrire la mobilité


L’intensification des circulations musicales entre la France et les États impériaux prend en effet
une ampleur spectaculaire à partir de 1660 : l’embauche de musiciens dans plusieurs cours alle-
mandes, la dissémination du répertoire, l’exécution d’œuvres françaises dans les grands centres

2 Lettre de Carl Friedrich Zelter à Johann Wolfgang von Goethe, Berlin, 5-14 avr. 1827. Briefwechsel zwischen
Goethe und Zelter in den Jahren 1799 bis 1832, éd. Edith Zehm et Sabine Schäfer, vol. 1, Munich 1998, p. 992.
Toutes les traductions sont de l’auteur.
3 Christophe Duhamelle, « Das Alte Reich im toten Winkel der französischen Historiographie », in : Imperium
Romanum – irregulare corpus – Teutscher Reichs-Staat. Das Alte Reich im Verständnis der Zeitgenossen und der His-
toriographie, dir. Matthias Schnettger, Mayence 2002, p. 207-219.
4 Herbert Schneider, « Opern Lullys in deutschsprachigen Bearbeitungen », Hamburger Jahrbuch für Musikwis-
senschaft, 5, 1981, p. 69-80. « Mattheson und die französische Musik », in : New Mattheson Studies, dir. George
J. Buelow et Hans Joachim Marx, Cambridge 1983, p. 425-442. « Unbekannte Handschriften der Hofkapelle
in Hannover. Zum Repertoire französischer Hofkapellen in Deutschland », in : Aufklärungen. Studien zur
deutsch-französischen Musikgeschichte im 18. Jahrhundert. Einflüsse und Wirkungen, dir. Wolfgang Birtel et Chris-
toph Hellmut Mahling, Heidelberg 1986, p. 180-194. « The Amsterdam editions of Lully’s orchestral suites »,
in : Jean Baptiste Lully and the Music of the French Baroque. Essays in Honour of James R. Anthony, dir. John Hajdu
Heyer, Cambridge 1989, p. 113-130.
5 Rebekah Ahrendt, A Second Refuge. French Opera and the Huguenot Migration c. 1680 – c. 1710, PhD Disserta-
tion, University of California Berkeley, 2011. Margret Scharrer, Zur Rezeption des französischen Musiktheaters
an deutschen Residenzen, Sinzig 2014.

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Introduction

musicaux de l’espace germanique ainsi que l’émergence d’un discours théorique de langue alle-
mande sur la musique française constituent autant de modalités essentielles de la circulation des
hommes, des œuvres, des pratiques et des savoirs dans l’Europe moderne. Ce qui fait de ces cir-
culations musicales un objet d’étude fascinant et absolument unique, c’est qu’elles nouent étroite-
ment ensemble des mouvements migratoires humains, une dissémination des sources musicales à
l’échelle continentale, et un transfert de valeurs et de représentations culturelles. C’est en appro-
chant conjointement ces différents phénomènes que l’on peut toucher du doigt – ou peut-être
même goûter – ce que Marc Bloch aurait appelé la « chair humaine » de transferts culturels qui
sont loin de se résumer à de purs transferts de papier.6
La prise de conscience de cette pluralité fut un moment décisif dans la genèse de ce livre, et
m’a conduit à mener de front une enquête sur la migration des musiciens français et une étude sur
les circulations musicales. Pour arriver à cette étape, il fallait opérer une sorte de renversement
copernicien : au lieu de partir du sommet que constitue la réception allemande du style français
pour redescendre vers l’histoire des circulations, il fallait accomplir le trajet inverse – s’enraciner
dans les sources, s’enfoncer dans la vallée des archives, quitte à remettre à plus tard l’exploration
des sommets. C’est à ce prix seulement qu’il était possible de mettre à distance les monumentales
histoires nationalistes du xixe siècle, les biographies des compositeurs canoniques, les grands
récits traditionnels de l’Europe française et de l’exode des huguenots. C’est aussi à partir de ces
considérations que la question des échelles spatiales s’est posée avec une acuité renouvelée et
qu’une méthode s’inspirant de la prosopographie a permis de traquer les circulations humaines
et culturelles au plus près du terrain.
La conjonction de ces trois types de circulations – humaines, matérielles, culturelles – ne
doit cependant pas faire oublier leurs spécificités respectives et la difficulté à les nommer. En
effet, si la « circulation » semble un terme commode et quasiment neutre pour décrire toutes les
formes de mobilité, si les « transferts » mettent l’accent sur les transformations que subissent les
textes et les objets culturels en se déplaçant dans l’espace, aucun de ces lexiques n’est employé à
l’époque moderne : la mobilité semble bien souvent rester une réalité inarticulée et silencieuse.
Une certaine latitude était donc possible dans le choix lexical des termes utilisés pour décrire
et penser ces différentes formes de circulation. Nous avons finalement opté pour une triade
de notions dont la déclinaison reflète la cohérence entre ces différents types de mobilité, mais
aussi leurs spécificités : les mouvements humains sont appréhendés à travers la catégorie de la
migration, la circulation des sources musicales à travers le temps et l’espace est comprise comme
une dissémination, le transfert d’œuvres, de techniques et de représentations culturelles est décrit
comme une invention de plein droit. Chacune de ces notions éclaire d’une manière différente
l’histoire des circulations musicales dans l’Europe moderne.

Une contribution à l’histoire des circulations


Dans le contexte de la fascination contemporaine pour les formes historiques de mobilité et à la
suite des profonds renouvellements qui ont bouleversé l’histoire des circulations au cours des der-
nières décennies, ce travail enraciné dans un cadre franco-allemand a d’abord très naturellement
été pensé sous le régime des transferts culturels. Forgée en 1987 dans un article programmatique
de Michel Espagne et de Michael Werner, la notion de transferts culturels visait à fournir un

6 Marc Bloch, Apologie pour l’ histoire ou métier d’ historien, Paris 1952, p. 4: « Il y a longtemps, en effet, que nos
grands aînés, un Michelet, un Fustel de Coulanges nous avaient appris à le reconnaître : l’objet de l’histoire est
par nature l’homme. Disons mieux : les hommes. Plutôt que le singulier, favorable à l’abstraction, le pluriel,
qui est le mode grammatical de la relativité, convient à une science du divers. Derrière les traits sensibles
du paysage, les outils ou les machines, derrière les écrits en apparence les plus glacés et les institutions en
apparence les plus complètement détachées de ceux qui les ont établies, ce sont les hommes que l’histoire veut
saisir. Qui n’y parvient pas, ne sera jamais, au mieux, qu’un manœuvre de l’érudition. Le bon historien, lui,
ressemble à l’ogre de la légende. Là où il flaire la chair humaine, il sait que là est son gibier. »

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Introduction

cadre théorique à l’étude des échanges culturels franco-allemands en mettant l’accent sur les
modifications subies par un objet culturel lorsqu’il se déplace dans l’espace, quitte son système
culturel d’origine et se trouve réinterprété par un système culturel concurrent.7
Il s’agissait d’enterrer définitivement « l’histoire des influences » qui avait longtemps domi-
né le discours sur les échanges culturels européens, charriait bon nombre d’implicites sur la hié-
rarchie des cultures et sous-estimait systématiquement l’ampleur des déplacements opérés par la
culture d’accueil, les effets déformants et les obstacles qui marquent les échanges culturels.8 Ainsi
la réception française de Kant n’est-elle pas d’abord envisagée par les deux historiens comme la
découverte neutre d’un texte, mais comme une série d’appropriations gouvernées par des lignes
de fracture et des enjeux extra-philosophiques spécifiquement français : le « Kant des jacobins »,
celui des émigrés, des Idéologues ou de Madame de Staël ne se recouvrent pas complètement et
correspondent à autant de lectures signifiantes. L’étude des « véhicules institutionnels du trans-
fert franco-allemand » était enfin arrimée à une « sociologie des médiateurs ». Il s’agissait de
mettre l’accent sur les cadres institutionnels, les conditions sociales et les réseaux qui déterminent
dans la culture d’accueil le processus d’acculturation.
Les transferts firent rapidement l’objet d’appropriations diverses par des disciplines voisines
de l’histoire culturelle, en particulier l’histoire de l’art et la littérature comparée.9 Dans le cadre de
la musicologie, les travaux d’Arne Spohr sur les musiciens anglais en Allemagne du Nord autour
de 1600 fournissent un exemple précoce et particulièrement fructueux d’appropriation de cet
arsenal méthodologique.10 Depuis le début des années 2000, sous la double influence de l’histoire
croisée et de l’histoire mondiale, l’étude des circulations est pourtant rapidement sortie du champ
de l’histoire culturelle : l’extension des échelles, la pluralisation des objets et la multiplication des
méthodes a ouvert la voie à une approche pragmatique, intuitive et éclatée des différents types de
circulations, désormais étendue à quasiment tous les domaines et les objets de l’histoire.
Dans cette perspective, ce livre ne se limite pas seulement à l’étude de circulations cultu-
relles : il cherche également à élucider les conditions et les modalités de la migration des musiciens
français autour de 1700 à travers une enquête de type prosopographique. Peut-être davantage
assimilable à un « style de recherche » qu’à un corpus méthodologique très articulé, la prosopo-
graphie cherche à élucider les constantes et l’évolution d’un groupe social par le biais des trajec-
toires individuelles et des biographies singulières des membres qui le constituent.11 Ici, on a choisi
de mettre au centre du récit un groupe qui n’est pas habituellement considéré pour lui-même et
dont la cohérence n’est pas immédiatement évidente : celui des musiciens français actifs dans
l’espace germanique entre 1660 et 1730. Cette enquête s’inspire donc du rapprochement entre
histoire sociale et musicologie dans lequel Mélanie Traversier repérait dès 2010 un « tournant his-
toriographique ».12 Deux projets collectifs ont parfaitement mis en lumière toute la richesse que
pouvait offrir un métissage entre l’histoire des migrations, la prosopographie et l’histoire de la
musique. Sous la direction d’Anne-Madeleine Goulet et de Gesa zur Nieden, le projet « Musici » a
permis de rassembler dans une base de données tous les musiciens étrangers actifs à Rome, Naples

7 Michel Espagne et Michael Werner, « La construction d’une référence culturelle allemande en France : genèse
et histoire (1750-1914) », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 42/4, 1987, p. 969-992.
8 D’abord élaborée dans le champ de l’astrologie, la notion d’influence fait l’objet d’une belle et étrange défini-
tion en 1693 dans le Dictionnaire universel de Furetière : « Influence s. f. Qualité qu’on dit s’escouler du corps
des astres, ou l’effet de leur chaleur & de leur lumiere, à qui les astrologues attribuent tous les évenements qui
arrivent sur la terre. L’homme sage vaincra toutes les influences des astres. »
9 Béatrice Joyeux, « Les transferts culturels. Un discours de la méthode », Hypothèses, 1, 2002, p. 149-162.
10 Arne Spohr, « How chances it they travel ? » Englische Musiker in Dänemark und Norddeutschland 1579-1630, Wies-
baden 2009, notamment p. 92 sq.
11 Pierre-Marie Delpu, « La prosopographie, une ressource pour l’histoire sociale », Hypothèses, 18/1, 2015,
p. 263-274.
12 Mélanie Traversier, « Histoire sociale et musicologie : un tournant historiographique », Revue d’ histoire mo-
derne et contemporaine, 57/2, 2010, p. 190-201.

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Introduction

et Venise entre 1650 et 1750.13 De son côté, le projet « Musefrem » dirigé par Bernard Dompnier
a développé une base de données sur les musiciens d’église actifs en France au lendemain de la
Révolution.14
À la différence de ces deux projets, la démarche adoptée ici n’est cependant pas prosopo-
graphique au sens strict du terme mais ressemble davantage à une biographie collective, nous le
verrons au début du Chapitre 3. L’essentiel est dans la recherche d’un équilibre entre l’individu et
le groupe. En effet, aucune des biographies n’est intéressante seulement pour elle-même, même
enrichie par le croisement de divers fonds d’archives. C'est bien plutôt leur « mise en série » qui
permet de faire surgir les musiciens français comme un groupe cohérent, dont les trajectoires
individuelles et l’expérience collective de la migration s’éclairent réciproquement et se trouvent
donc au cœur de l’enquête. Cette mobilité artistique est largement conditionnée par des logiques
de marché qui gouvernent l’Europe des arts du spectacle autour de 1700, et conserve un lien
essentiel avec la mobilité des troupes de théâtre : pour tous ces aspects, les travaux de Rahul
Markovits ont constitué une source d’inspiration essentielle.15

De l’Europe à la Basse-Saxe et la Saxe : les cadres de l’enquête


Aussi bien pour l’étude des circulations que pour l’histoire des migrations, la question des échelles
est décisive, car elle détermine non seulement le cadre de travail et la définition de l’objet, mais
aussi les résultats de l’enquête.16 Si cette notion était restée à l’arrière-plan des premières re-
cherches sur les transferts culturels, qui se référaient d’autant plus naturellement au cadre natio-
nal qu’elles se développaient dans le champ des études franco-allemandes, Michael Werner a très
tôt mis en évidence les enjeux méthodologiques décisifs liés à cette question.17 Tout en prenant
acte des travaux qui, dans la lignée des transferts culturels, faisaient éclater le cadre national et
introduisaient des variations d’échelle dans leurs objets, Werner mettait en garde contre le dan-
ger de « projeter sur une échelle locale ou régionale des questions ou des objets intellectuels tou-
jours constitués dans un cadre de référence dominée [sic] par le modèle de la culture nationale ».
Il insistait sur l’inévitable dissymétrie des échelles régionales entre deux cultures étrangères (un
Land allemand et une région française sont sur bien des points radicalement différents l’un de
l’autre) et invitait à croiser délibérément les angles d’approche en faisant varier les échelles pour
aborder un même objet.
Cette ambition figurait également au cœur de l’histoire croisée.18 Un de ses objectifs est
ainsi de « sonder, par un biais particulier, des questions générales telles que celle des échelles ».
Il s’agissait de remédier à un problème qui affecte aussi bien le comparatisme – aucun « niveau
de comparaison » ne saurait être rigoureusement transposable d’un espace à un autre, mais est
au contraire toujours le fruit d’une construction historique dont la particularité est gommée par
la comparaison – que les transferts culturels – les « cadres de référence » sont pensés comme des
unités stables et connues d’avance, pôles d’un transfert linéaire simple, ce qui ferme la porte à des
approches plus complexes portant sur des échelles multiples. À partir de cette analyse, le « croi-

13 Europäische Musiker in Venedig, Rom und Neapel (1650-1750). Les musiciens européens à Venise, Rome et Naples
(1650-1750), dir. Anne-Madeleine Goulet et Gesa zur Nieden, Kassel 2015.
14 Bernard Dompnier, Sylvie Granger et Isabelle Langlois, « Deux mille musiciens et musiciennes d’Église en
1790 », in : Histoires individuelles, histoires collectives. Sources et approches nouvelles, dir. Christiane Demeule-
naere-Douyère et Armelle Le Goff, Paris 2012, p. 221-236. La Circulation de la musique et des musiciens d’église,
France xvie – xviiie siècle, dir. Xavier Bisaro, Gisèle Clément, Fañch Thoraval, Paris 2017.
15 Rahul Markovits, Civiliser l’Europe. Politiques du théâtre français au xviiie siècle, Paris 2014.
16 Bernard Lepetit, « Architecture, géographie, histoire : usages de l’échelle », Genèses. Sciences sociales et histoire,
13, 1993, p. 118-138.
17 Michael Werner, « Les usages de l’échelle dans la recherche sur les transferts culturels », Cahiers d’études ger-
maniques, 28, 1995, p. 39-53.
18 Michael Werner et Bénédicte Zimmermann, « Penser l’histoire croisée : entre empirie et réflexivité », Annales.
Histoire, Sciences Sociales, 58/1, 2003, p. 7-36.

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Introduction

Illustration 0.1. Emplacement des villes et des cours citées au cours de l’ouvrage sur la carte actuelle de l’Allemagne. En
rouge figurent les cours qui se trouvent au cœur de l’enquête.

sement des échelles spatiales et temporelles » était présenté par Werner et Zimmermann comme
l’un des axes centraux de l’histoire croisée, permettant à la fois de privilégier une « démarche
inductive et pragmatique » à rebours des échelles toutes prêtes léguées par l’historiographie, et
d’inciter le chercheur à justifier ses choix de façon réflexive.19
Le choix d’échelles spatiales adaptées, le croisement de différents angles d’approche et
l’introduction d’une variable d’ajustement dans la focale sont au cœur de ce travail. Ces enjeux
méthodologiques sont particulièrement cruciaux pour un travail portant sur les migrations dans
le Saint Empire, puisqu’il s’agit d’un espace politique immense, morcelé et complexe dont les
frontières internes et externes ont beaucoup varié au cours de l’histoire et ne sont pas reflétées
dans la géographie actuelle de l’Europe.20 S’il était évident dès le départ que l’Empire formait

19 Werner et Zimmermann, « Penser l’histoire croisée », p. 21-26.


20 Louis Delpech, « Les musiciens français en Allemagne du nord (1660-1730). Questions de méthode », Diaspo-
ras. Circulations, migrations, histoire, 26, 2015, p. 57-73.

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Introduction

un espace beaucoup trop vaste pour pouvoir être embrassé d’un seul regard, il m’est cependant
apparu de plus en plus clairement au fil du temps que le cadre de référence franco-allemand choisi
à l’origine de mon travail explosait sans cesse au fil de l’enquête, les trajectoires des musiciens
français ne se limitant généralement pas à quelques régions mais parcourant l’Europe en tous
sens. De nombreuses variations d’échelles sont donc introduites à partir du cœur de l’enquête,
formé par deux Länder de l’actuelle République fédérale d’Allemagne : la Basse-Saxe, qui ras-
semble les différentes cours princières de l’ancien duché de Braunschweig-Lüneburg mais inclut
aussi Osnabrück tout en offrant un cadre de référence immédiatement identifiable pour le lecteur
d’aujourd’hui, et la Saxe qui est peut-être plus familière au lecteur français (Illustration 0.1). Par
le biais des cours de Celle, d’Osnabrück, de Hanovre et de Dresde, ces deux régions ont abrité les
principaux contingents de musiciens français actifs dans l’Empire : un échantillon représentatif
de 144 musiciens français a ainsi pu être constitué, indépendamment de la durée de leur séjour
dans l’une de ces deux régions.21 C’est à partir de cet échantillon que sont étudiées les migrations
musicales françaises dans l’espace germanique, tout en faisant ponctuellement appel à d’autres
espaces et à d’autres cas d’étude.

Un phénomène aux facettes multiples


Bien que formant un tout cohérent, les différentes facettes des circulations musicales entre la
France et l’espace germanique sont nécessairement abordées de manière successive au fil de l’ou-
vrage. Les trois premiers chapitres se concentrent avant tout sur les migrations humaines, tandis
que les deux derniers abordent leur dimension spécifiquement musicale et esthétique. Même si
ces deux ensembles de chapitres pourraient à la limite faire l’objet d’une lecture indépendante,
c’est précisément leur coexistence et leurs points de convergence qui font à mes yeux l’intérêt
de ce livre et mettent en évidence la solidarité profonde entre la migration des musiciens, la
dissémination de la musique et l’invention allemande du style français. Les cinq chapitres sont
ainsi conçus comme cinq points de vue différents sur une même réalité, cinq variations sur un
thème commun : le fonctionnement global d’un marché du travail, les procédures de patronage
et d’administration de la musique française mises au point par les mécènes, l’expérience de la
migration et les conditions de travail des musiciens, la dissémination des sources et du répertoire
musical français, l’invention allemande du style français.
Le livre s’ouvre par une enquête sur l’Europe galante comme marché du travail : il s’agit de
faire apparaître les logiques économiques, les pôles d’activité et la pluralité des réseaux qui struc-
turent l’espace européen du point de vue des musiciens français. Depuis l’émergence d’un marché
international de la musique au lendemain de la guerre de Trente Ans jusqu’à l’apparition des
premiers phénomènes de célébrité musicale dans les métropoles européennes du premier xviiie
siècle, l’élargissement progressif et l’intégration croissante de l’espace musical pour les artistes
français est mis en évidence à travers trois parcours successifs. Le premier prend pour point de
départ la tournée d’Anne de La Barre en Europe du Nord au milieu des années 1650 : à travers un
tour d’horizon préliminaire des différentes cours qui accueillent des artistes français, il s’agit de
montrer la cohérence de l’espace nord-européen du point de vue des migrations musiciennes. Ce
premier aperçu est complété par une investigation en profondeur des différents réseaux aristocra-
tiques, diplomatiques et artistiques qui participent à l’élargissement considérable de ce marché
du travail dans les décennies suivantes, jusqu'en 1700. Un autre parcours arpente l’Europe en
compagnie des troupes de théâtre. L’établissement de troupes de comédiens français dans les
cours de Celle, Hanovre, Osnabrück et Dresde permet d’apercevoir la mobilité des acteurs depuis
la France et la Hollande, d’esquisser les contours du modèle social et artistique bien particulier
de la troupe, et de mettre en lumière le rôle joué par les musiciens au sein de ces structures. Les
aventures de l’opéra de Pologne permettent cependant aussi de mesurer les difficultés auxquelles

21 Le répertoire bibliographique des musiciens peut être consulté en ligne à l’adresse suivante : https://tiny.uzh.
ch/13G.

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Introduction

se heurte une transposition trop littérale du modèle de la troupe au monde de la musique. Sortant
de l’espace de la cour, le troisième parcours lève le voile sur l’Europe des métropoles et retrace les
mutations de l’espace musical européen provoquées par le passage d’un modèle de mécénat aris-
tocratique à un modèle de célébrité urbaine et publique. À partir des productions françaises sur la
scène de l’opéra de Hambourg dans les années 1690, il met en lumière un processus d’adaptation
du répertoire et du personnel musical français et permet d’appréhender plusieurs carrières situées
au point de jonction de ces deux univers.
Le deuxième chapitre procède à un changement de décor complet et à un rétrécissement
radical de la focale spatiale et chronologique. Il s’agit d’adopter le point de vue des mécènes et de
dresser un état des lieux sur le patronage de musique française. L’enquête porte désormais sur les
pratiques de mécénat et d’administration de la musique française. Elle est conduite de façon beau-
coup plus intensive sur une échelle géographique très resserrée, limitée aux régions de Basse-Saxe
et de Saxe. En s’interrogeant sur les motivations qui ont conduit plusieurs cours de ces régions
à engager des artistes français dès les années 1660, plusieurs aspects sont passés en revue : leur
politique française est d’abord examinée pour déterminer la nature de leurs liens respectifs avec
la France sur le plan diplomatique et militaire. Mais au-delà de ces considérations stratégiques,
le point décisif est l’articulation et la négociation de nouvelles identités aristocratiques parmi la
noblesse d’Empire dans les dernières décennies du xviie siècle. À partir de l’exemple de Sophie de
Hanovre et d’Auguste le Fort, on examinera comment les codes et les valeurs de la galanterie sont
adoptées et négociées par ces nouveaux patrons de musique française et façonnent leur amour du
théâtre et de la musique. Ici, la correspondance de Sophie de Hanovre et le positionnement confes-
sionnel d’Auguste le Fort seront appréhendés à travers leurs implications musicales, révélant une
corrélation étroite entre le mécénat de musique française et l’émergence de nouvelles conceptions
de l’individu, de la société et du monde. Une fois ce cadre culturel et anthropologique posé, les
pratiques d’administration de la musique française sont placées au centre de l’attention pendant
toute la fin du chapitre : il s’agit de s’interroger sur les ressorts bureaucratiques, comptables et
institutionnels qui transforment les catégories de « musique française » et de « musiciens fran-
çais » en réalités stables dans le monde des cours allemandes. À travers un examen du corpus
documentaire légué par l’administration, ce chapitre met en évidence l’aspect contingent de telles
dénominations, montrant en particulier la grande diversité d’origines parmi les « musiciens fran-
çais ». Mais il examine surtout l’autonomisation progressive des musiciens par rapport au théâtre
et s’interroge sur la construction administrative d’une telle autonomie : arrivés dans le sillage des
troupes, les musiciens français sont rapidement intégrés dans les différentes chapelles ducales ou
princières (Hofkapellen) et rejoignent de ce fait des institutions anciennes, stables, très intégrées
au monde de la cour, acquérant par ce biais un statut indépendant du monde des troupes. Enfin,
il s’agira de mettre en lumière les différentes stratégies déployées par l’administration pour gérer
l’économie matérielle de la musique française, et négocier la coexistence parfois difficile des musi-
ciens français, allemands et italiens au sein d’un même ensemble.
Le troisième chapitre se concentre sur les conditions d’existence, de migration et de travail
des musiciens français dont il dresse une biographie collective à l’aide d’un arsenal théorique lar-
gement issu de l’histoire des migrations. Il fait d’abord apparaître les différents facteurs sociaux,
économiques et professionnels qui les ont conduits à quitter leur lieu d’origine et à sortir hors
du royaume de France pour rejoindre une destination allemande. Le poids très important des
réseaux socio-professionnels et familiaux ainsi que l’importance des considérations financières
liées aux différences de salaires bien réelles et à la contraction du marché du travail en France
constituent deux aspects essentiels du récit. Mais il s’agit aussi de prendre en considération l’as-
pect vécu et humain de cette migration en reconstruisant l’expérience que les musiciens eux-
mêmes ont pu en faire : les modalités du voyage et l’installation dans leur pays d’accueil, leurs
conditions d’existence et le choix de s’installer définitivement dans l’Empire ou de rentrer en
France après quelques temps sont autant d’aspects éclairés au fil de ces développements. Dans
un deuxième temps, le récit se focalise plus spécifiquement sur l’exercice du métier de musicien

– 14 –
Introduction

français : un parcours à travers les différents espaces de la musique française et le passage en


revue de plusieurs sous-groupes professionnels à l’identité spécifique – chefs de bande, hautbois
et chanteuses – permettent de mettre en évidence la diversité des tâches échues aux musiciens
français et d’aborder leur polyvalence professionnelle, leurs pratiques d’enseignement et leurs
activités de copie de musique.
C’est précisément ce dernier aspect qui traverse le quatrième chapitre de part en part.
L’étude de la dissémination de la musique française suppose en effet de faire un aller-retour per-
manent entre la diffusion des imprimés musicaux, dont la production et la distribution accélérée
par le biais des réseaux d’imprimeurs et de libraires participe à partir de 1660 à la formation de
bibliothèques musicales institutionnelles et privées, et la copie manuscrite du répertoire français.
Celui-ci sera envisagé selon une très grande variété : répertoire instrumental et vocal, répertoire
de chambre, de théâtre et d’église. La diffusion de musique imprimée est d’abord envisagée au
prisme de trois cas d’étude exemplaires : la place de la musique française dans les bibliothèques
royales, ducales et princières, mais aussi aristocratiques et privées ; la diffusion des sources impri-
mées du motet français dans l’espace germanique ; et la dissémination des livres d’orgue français
dans l’entourage de Bach en Allemagne centrale. Dans un deuxième temps sont scrutées les prin-
cipales collections manuscrites de musique française : la grande collection de parties séparées de
la chapelle royale de Dresde forme un immense gisement de sources permettant de reconstruire
dans le détail l’élaboration, l’exécution et les usages d’un répertoire d’ouvertures et de suites fran-
çaises dans le cadre de la vie de cour. À l’inverse, les collections musicales de la cour de Hanovre
sont plus maigres et éparpillées dans plusieurs endroits : à Darmstadt, dans les collections royales
de Londres ainsi qu’à Berlin dans la collection Bokemeyer. La reconstruction de cet ensemble
de sources permet d’entrevoir la diversité de répertoire et d’usages auxquels pouvait se plier la
musique française dans l’entourage de Sophie et Ernst August de Hanovre. Enfin, un dernier
développement sera consacré à la place de la musique française dans les livres de musique per-
sonnels de quelques grands aristocrates allemands, les collections de Wolfenbüttel offrant ici un
complexe de sources particulièrement riche : entre recueil de lieux communs et objet de mémoire,
le livre de musique porte la trace d’une relation personnelle et intime avec la musique française,
qui s’y trouve très naturellement intégrée à un répertoire de provenance et de nature très diverse.
Le dernier chapitre de ce livre examine enfin l’invention allemande du style français. Cette
invention est double : pratique et compositionnelle d’une part, théorique et discursive de l’autre.
Ici, le genre de l’ouverture sera constamment sollicité et placé sur le devant de la scène : l’ouver-
ture à la française forme en effet le support et le catalyseur de l’appréhension allemande du style
français, tant sur le plan pratique que sur le plan théorique, et reste pendant toute la première
moitié du xviiie siècle la pierre de touche d’un art de composer à la française. Se mettant à la
recherche d’une « méthode française », l’enquête porte d’abord sur les techniques de copie, de
mémorisation et d’invention qui sont à l’œuvre dans la composition d’ouvertures à la française.
C’est notamment à travers l’exemple de Johann Sigismund Cousser que ces procédures d’assimila-
tion et d’imitation du style français seront mises en évidence et interrogées. Il s’agira alors d’exa-
miner l’adaptation et l’hybridation du genre de l’ouverture dans le cadre de la musique d’église
luthérienne à travers l’exemple de la cantate. Ici, les compositions de Georg Philipp Telemann et de
Johann Sebastian Bach fourniront la base de l’enquête. Celle-ci portera sur trois moments emblé-
matiques absolument cruciaux pour comprendre le développement d’un art de l’ouverture chez ces
deux compositeurs : séparées par une dizaine d’années, ces trois phases de travail atteignent leur
point culminant en 1714, en 1723-1724 puis en 1733-1734 et correspondent à autant d’étapes dans
l’appropriation de l’ouverture. Enfin, on se mettra à la recherche des marqueurs du style français
en-deçà de l’ouverture, en s’enfonçant dans la chair de la musique : l’usage des doublures de violon
et la prédominance de certaines modulations harmoniques montrent que le style français peut
étendre des racines sous-terraines et parfois insoupçonnées sur l’art des musiciens allemands. La
dernière partie du livre porte sur l’invention théorique du style français, en examinant les diffé-
rentes controverses sur la musique française qui émaillent la vie musicale allemande entre 1710 et

– 15 –
Introduction

1750. L’association de la musique française avec les valeurs de la galanterie et de la modernité au


seuil des années 1710 laisse bientôt place à une réalité plus contrastée, marquée par l’apparition
des premières Lumières dans l’espace public et l’émergence d’une critique éclairée de la galanterie,
parfaitement visibles à Hambourg au milieu des années 1720 à travers la presse et sur la scène de
l’opéra. Dès lors, le répertoire français et l’artiste de cour sont perçus comme des reliques d’un
monde galant frivole, vain et dépassé. Face à ces critiques, de nouveaux modes de consommation
de la musique française voient le jour, notamment par le biais de l’opéra comique. Mais ceux-ci ne
peuvent enrayer une évolution qui se poursuit jusqu’à la fin des années 1730 : l’amour de la musique
française change définitivement de camp et se range du côté de la critique des Lumières, du conser-
vatisme esthétique et d’un scepticisme radical face à la modernité musicale.

Puisque chaque chapitre adopte une perspective différente sur une réalité complexe et poly-
morphe, chacun d’entre eux parcourt à nouveaux frais l’ensemble de la chronologie, de 1660 à
1730, avec quelques incursions ponctuelles au-delà de ce cadre. Plusieurs fils rouges traversent
cependant l’ensemble du livre de manière sous-jacente et lui confèrent une forte unité thématique
sans pourtant faire l’objet de développements séparés. Les liens entre la circulation des musiciens
et celle des troupes de comédiens français constituent ainsi un premier leitmotiv présent du début à
la fin du livre : beaucoup de musiciens français se déplacent en effet dans le sillage de la comédie ou
sont engagés pour venir en renfort à des troupes de théâtre françaises. Les trois premiers chapitres
cultivent d’ailleurs un certain flou sur la dénomination des artistes français dont il est question :
musiciens, danseurs, maîtres à danser ou comédiens. Les mêmes personnes apparaissent bien sou-
vent sous différents rôles, et même si le récit se concentre avant tout sur les musiciens, il doit envi-
sager la polyvalence de leurs activités et leurs liens étroits avec le monde du théâtre et de la danse.
Le destin allemand de la musique et des musiciens français a donc partie liée avec la réception de
la danse et du théâtre français dans l’espace germanique. Ceci a un effet décisif sur la dissémina-
tion de la musique ainsi que sur l’invention allemande du style français, dans la mesure où c’est
d’abord le répertoire instrumental en usage sur les théâtres de cour qui va orienter l’ensemble de
la production musicale et théorique, notamment à travers le genre de l’ouverture.
La question de la galanterie forme le deuxième fil rouge de l’ouvrage : si le patronage de
musique française est lié à l’émergence de nouvelles identités aristocratiques parmi la noblesse
d’Empire et par ce biais à une éthique ou un art de vivre galant, la galanterie est également
une catégorie éthique et littéraire présente dans les débats théoriques, et constitue un ferment
puissant dans l’invention allemande du style français. Dans ce contexte, l’opéra du Gänsemarkt à
Hambourg fait deux apparitions éloignées mais décisives : au premier chapitre, cette institution
sert à montrer l’urbanisation de l’opéra français dès les années 1690, tandis qu’au dernier cha-
pitre, elle est mobilisée comme le lieu où se nouent de manière privilégiée une critique éclairée
de la galanterie, un refus du modèle de l’artiste de cour et une mise en crise des genres lyriques
français. Le corpus de textes allemands qui proposent une réflexion littéraire et éthique sur la
galanterie apparaît également de façon ponctuelle.

Si le travail de l’historien consiste selon la définition fameuse de Roger Chartier à « écouter les
morts avec les yeux », il implique aussi parfois de prêter une oreille attentive aux vivants.22 Ce
livre est issu d’une thèse de doctorat soutenue à l’Université de Poitiers le 11 décembre 2015.
Rédigé sous la direction de Thierry Favier et de Michael Heinemann, il a bénéficié de leur audace
scientifique, de leur hauteur de vue et de leur bienveillance. Il a aussi pu profiter de la lecture
et des remarques pénétrantes formulées par les membres du jury de thèse : Rebekah Ahrendt,
Xavier Bisaro (†), Laurence Dreyfus et Rahul Markovits. Qu'ils en soient ici individuellement et
collectivement remerciés.

22 Roger Chartier, Écouter les morts avec les yeux, Paris 2008.

– 16 –
Chapitre 1. L’Europe galante comme marché du travail

Au début du printemps 1666, une semaine après Pâques, sept instrumentistes originaires de Paris
arrivèrent à la cour de Celle, une petite ville du Nord de l’Allemagne perdue dans la lande de
Lüneburg, au milieu de marécages couverts de bruyère et parsemés de bois de pins courts bat-
tus par le vent. Au centre du bourg se dressait un gigantesque château qui subsiste encore au-
jourd’hui : la résidence du duc Georg Wilhelm von Braunschweig-Lüneburg et de sa jeune épouse
Éléonore Desmiers d’Olbreuse, une huguenotte française alors enceinte de son premier enfant.
La sonorité de leurs patronymes trahissait immédiatement l’origine française des musiciens :
Philippe La Vigne, Claude Pécour, Thomas de La Selle, François Robeau, Jean-Jacques Favier,
Guillaume Josse et René des Vignes. D’âge jeune, entre dix-sept et vingt-sept ans, ils avaient sans
doute pu franchir sans encombre, juste après la fin de l’hiver, les quelques huit cents kilomètres
qui séparaient Paris de Celle par la route de Hollande. Rien ne permettait alors de deviner que
cette petite bande de violons, d’abord logée à l’auberge puis chez l’habitant avant de s’installer
définitivement à Celle, allait devenir au fil des années la première chapelle musicale française
permanente de l’Empire, celle-là même qui allait faire découvrir, une trentaine d’années plus
tard, le son de la musique française au jeune Johann Sebastian Bach.
L’arrivée de ces sept hommes dans l’un des principaux duchés de l’Empire peut être lue
comme l’indice d’une réalité nouvelle : l’émergence d’un marché européen des arts du spectacle,
apparu au lendemain de la guerre de Trente Ans et au sein duquel les artistes, surtout lorsqu’ils
étaient originaires de France ou d’Italie, se mettent de plus en plus souvent en quête de travail au-
delà des frontières de leur pays d’origine. À partir de la fin des années 1650, non seulement pour
les musiciens mais aussi pour les acteurs et les danseurs, le départ à l’étranger change progressi-
vement de statut, dépassant le cadre traditionnel, exceptionnel et temporaire du voyage d’études
pour devenir une étape professionnelle assez courante, souvent longue et parfois définitive. Ce
phénomène, qui se développe jusqu’au milieu du xviiie siècle, constitue l’un des facteurs décisifs
de l’homogénéisation culturelle de l’Europe, un levier essentiel dans l’émergence de la célébrité
artistique, et peut être interprété comme la conséquence d’une nouvelle « culture de la mobilité »
décrite par Daniel Roche pour la seconde moitié du xviiie siècle, mais déjà considérée par Paul
Hazard comme l’un des premiers indices de la « crise de la conscience européenne » qui aurait
secoué le Grand Siècle finissant.1
Ce nouveau marché du travail fut pourtant bientôt l’objet d’interprétations divergentes.
C’est aussi en 1666 que le polygraphe Samuel Chappuzeau, huguenot français exilé à Genève, en-
tamait la publication de son Europe vivante dédiée aux « puissances souveraines de la Chrétienté »,
dont la première partie consistait en une description des principaux États de l’Europe – un vaste
panorama géopolitique couvrant tout l’espace compris entre les îles Britanniques et la Turquie, en

1 Paul Hazard, La Crise de la conscience européenne 1680-1715, Paris 1961 [1935], en particulier le premier chapitre
« De la stabilité au mouvement », p. 9-25. Daniel Roche, Humeurs vagabondes. De la circulation des hommes et de
l’utilité des voyages, Paris 2003.

– 17 –
Chapitre 1

passant par l’Allemagne, la Pologne ou la Moscovie. Cette Europe vivante, Chappuzeau en situait
significativement le centre de gravité non pas en France, mais dans un espace germanique situé
entre les Alpes et la Mer du Nord, entre Genève et Königsberg, et qualifié en raison de sa com-
plexité politique de « Labyrinthe où se perdent les plus intelligens ».2 Il promettait par ailleurs
d’en livrer une description plus complète dans un prochain ouvrage, et de réaliser ainsi l’objectif
premier de L’Europe vivante.3 Cette seconde partie, la Suite de l’Europe vivante, parue cinq ans plus
tard en 1671 sous la forme d’un journal de voyage en Allemagne, rédigé d’avril à août 1669 et
dédié aux « princes de l’Empire », fournit une « relation fidele & particuliere de l’estat present de
plusieurs Cours de l’Empire » qui prend parfois les allures d’un bottin mondain visant à « désa-
buser ceux qui croyent que toute la politesse & la galanterie du siecle sont renfermées entre Calais
& Marseille.4 » Là encore, l’objectif de Chappuzeau est clair : il s’agit de situer le cœur battant de
l’Europe dans l’Empire plutôt que dans le royaume de France, et de montrer que les puissances
impériales participaient tout autant – sinon mieux – à la vie civilisée de l’Europe que l’aristocra-
tie française avec laquelle il entretenait visiblement un rapport compliqué.5 De ce point de vue,
il est significatif que les deux volumes de L’Europe vivante aient été traduits en allemand aussitôt
après leur sortie, et que le second volume porte parfois le titre L’Allemagne protestante.6 Aux yeux
de notre courtisan huguenot, « l’Europe vivante » et « l’Allemagne protestante » semblent bien
faire une seule et même chose.
Fin connaisseur de l’espace germanique, Samuel Chappuzeau était avant tout spécialiste de
théâtre. Sa production dramatique inclut une douzaine de pièces, rééditées de nombreuses fois
sous des titres différents, ainsi qu’un ouvrage sur le théâtre français publié après son exil, et qui
demeure aujourd’hui une mine d’informations pour les historiens du théâtre.7 Au cours de son
voyage en Allemagne, l’écrivain avait fait halte aux environs de Hanovre, aux eaux de Pirmont
où toutes les branches de la famille ducale de Braunschweig-Lüneburg se trouvaient rassemblées
pour une pause estivale. Il avait pu y faire la connaissance des princes de Hanovre, Wolfenbüttel,
Osnabrück et Celle, et surtout entendre leurs musiciens et leur troupe de comédiens français,
lesquels avaient joué une pièce de circonstance composée par lui.8 Leurs contacts se prolongèrent
et eurent un résultat très concret plus de dix ans plus tard : Chappuzeau fut employé par la cour
de Celle à partir de 1682 comme gouverneur des pages.9 Si l’ouvrage de Chappuzeau témoigne
d’une forte conscience de l’Europe comme entité culturelle homogène, il constitue donc surtout
une étape cruciale dans une stratégie de carrière, dont le couronnement est atteint au début des

2 Samuel Chappuzeau, L’Europe vivante ou relation nouvelle historique & politique de tous ses Etats, Genève 1667,
p. 339. Notons que si l’ouvrage est publié en 1667, son titre affiche l’ambition de dresser un portrait des États
européens « selon la face qu’ils ont sur la fin de l’année [1666] », et que la gravure figurant sur la page de titre
illustrée est datée de 1666.
3 Chappuzeau, L’Europe vivante, p. 334-335 : « Avant que de passer outre, il faut que j’avertisse le Lecteur, que
n’ayant pû recevoir de toutes les Provinces d’Allemagne les instructions necessaires pour mon projet, non plus
que de la Suisse ny des Pays-Bas, je ne donnerai icy que le plan des choses, dont je reserve le detail à une seconde
impression. […] Je me contenteray donc de donner icy la Description Generale de l’Empire, & de la Suisse, &
des Pays-Bas, avec les Portraits des Princes régnans, ce qui est mon but principal, & ce que j’appelle proprement
L’Europe vivante. »
4 Samuel Chappuzeau, Suite de l’Europe vivante contenant la relation d’un voyage fait en Allemagne, Genève 1671, p. 3.
5 Sur la biographie de Chappuzeau, voir Friedrich Meinel, Samuel Chappuzeau 1625-1701, Leipzig 1908. Neil Jen-
nings et Margaret Jones, A Biography of Samuel Chappuzeau, a Seventeenth-Century French Huguenot Playwright,
Scholar, Traveller, and Preacher. An Encyclopedic Life, Lewiston 2012.
6 Samuel Chappuzeau, L’Allemagne protestante, ou Relation nouvelle d’un voyage fait aux cours des électeurs et des
princes protestants de l’Empire, Genève 1671. Samuel Chappuzeau, Jetztlebendes Europa, Francfort 1670. Samuel
Chappuzeau, Jetztlebenden Europae anderer Theil, Francfort 1670.
7 Samuel Chappuzeau, Le Théâtre françois, éd. Christopher J. Gossip, Tübingen 2009 [Lyon 1674]. La liste des
pièces de Chappuzeau est donnée par Jennings et Jones, A Biography of Samuel Chappuzeau, p. 197-202.
8 Chappuzeau, Suite de l’Europe vivante, p. 348.
9 Jennings et Jones, A Biography of Samuel Chappuzeau, p. 55-63.

– 18 –
L’Europe galante comme marché du travail

années 1680, et le modèle européen qu’il élabore ne peut pas être séparé de ses visées profession-
nelles ni de ses projets artistiques. Par bien des aspects, l’Europe vivante de Chappuzeau, issue
d’une pratique de l’Europe qui trouve son origine dans l’exil religieux, mais aussi le théâtre fran-
çais et la vie de cour, coïncide donc avec l’Europe de nos musiciens français. En somme, « l’Europe
vivante » qu’il décrit n’est pas autre chose qu’un marché du travail aux frontières définies de façon
pragmatique par le hasard des rencontres, dont les centres de gravité sont déterminés par les
différentes cours où il était susceptible de trouver un emploi.
Ce modèle européen est diamétralement opposé à celui de L’Europe galante représenté sur
la scène de l’Académie royale de musique dans un opéra-ballet donné le 24 octobre 1697, plus
de trente ans après la publication du premier ouvrage de Chappuzeau. Cette œuvre, qui connut
un succès retentissant dès sa création et une diffusion très large au-delà même des frontières du
royaume jusque dans les années 1730, était le premier grand succès d’André Campra et du libret-
tiste André Houdar de la Motte, qui écrivit de nombreux livrets avant d’être reçu à l’Académie
française en 1710 et de renoncer à un genre perçu comme inférieur. Protégé de Fontenelle et
proche de Fénelon, ses options intellectuelles étaient clairement favorables au camp des Modernes
comme en témoigne notamment sa traduction de l’Iliade en 1714, qui marqua un nouveau départ
de la Querelle.10 De façon plus radicale encore que les tragédies en musique de Lully et Quinault
vingt-cinq ans auparavant, l’Europe galante était donc l’œuvre de Modernes, qui brisaient le cadre
séculaire de la tragédie en introduisant un genre par fragments.11 Dans une lettre à la traductrice
d’Homère Madame Dacier, Saint-Hyacinthe ne manque d’ailleurs pas, pour prendre la défense
de Houdar de la Motte, de citer un long passage de l’Iphigénie en Tauride, une tragédie en musique
de Campra, comme exemple de la « fleur de l’esprit » contemporain.12
Bien sûr, l’Europe galante du ballet est un décor de carton-pâte pittoresque et n’est pas à
prendre trop au sérieux : Europe méditerranéenne de pacotille où se succèdent les stéréotypes
amoureux, elle joue avec les préjugés et ne se comprend pas sans une certaine dose d’ironie.13
Mais cette œuvre, donnée quelques semaines seulement après la signature du traité de Ryswick,
est aussi en un sens littéral un ballet des nations, dont Alain Viala a bien mis en évidence les
enjeux politiques en insistant sur une triple particularité : le message délibérément optimiste
d’une France soumettant l’Europe aux « doux liens » de la galanterie, la présence incontournable
de l’Empire ottoman – le meilleur allié de la France face aux Habsbourg une fois entériné l’échec
de la diplomatie impériale française – dans le dernier acte, et enfin l’association entre gloire et
galanterie opérée par le livret.14 De cette Europe galante, les grands pays du Nord sont complè-
tement absents – conséquence du contexte géopolitique et du substrat diplomatique de l’œuvre,
mais aussi indice de la distance culturelle profonde qui sépare ce modèle de celui esquissé trente
ans auparavant par Chappuzeau au moment du traité d’Aix-la-Chapelle.
L’opposition qui peut être creusée terme à terme entre ces deux modèles francophones de
l’Europe – une « Europe vivante » d’imprégnation huguenotte, centrée sur le Saint Empire, fa-
çonnée par la circulation des comédiens français et déployée de façon érudite par Chappuzeau
pour un public germanophile d’une part, contre une « Europe galante » d’inspiration moderne

10 Marc Fumaroli, La Querelle des Anciens et des Modernes, Paris 2001, p. 450-493.
11 Sur les liens entre tragédie lyrique et les Modernes, cf. Fumaroli, La Querelle, p. 163-178.
12 Hyacinthe Cordonnier, dit Thémiseul de Saint-Hyacinthe, « Seconde lettre à Madame Dacier », in : Fumaroli,
La Querelle, p. 543-544. Tragédie en musique créée à l’Académie royale de musique le 6 mai 1704, Iphigénie en
Tauride avait été composée par Henry Desmarest et André Campra sur un livret de Joseph-François Duché de
Vancy et Antoine Danchet.
13 Voir la remarque insérée après le Prologue dans la partition générale : « On a choisi des Nations de l’Europe,
celles dont les caractères se contrastent davantage, & promettent plus de jeu pour le Théatre […] : On a suivy
les idées ordinaires qu’on a du génie de leurs Peuples. » André Campra, L’Europe galante, Paris 1714, p. 68.
14 Alain Viala, La France galante. Essai historique sur une catégorie culturelle, de ses origines jusqu’ à la Révolution,
Paris 2008, p. 318-319.

– 19 –
Chapitre 1

et gallicano-parisienne, centrée sur


l’espace méditerranéen, polarisée par
la galanterie entendue comme tech-
nique amoureuse déclinée en plusieurs
styles nationaux mais dominée de façon
naturelle par les Français, et représen-
tée de façon comique par Campra et La
Motte sur la scène de l’Académie royale
de musique – reflète l’ampleur et la cen-
tralité des interrogations sur le modèle
culturel européen dans le débat intellec-
tuel de la fin du siècle. Ce contraste n’est
peut-être nulle part plus visible que dans
l’Europe écrite par Chappuzeau en 1689
pour la cour de Celle (Illustration 1.1).15
Cette « pastorale héroïque ornée de
Musique, de Dances, de Machines, &
de Changemens de Théâtre » prend
pour sujet l’enlèvement d’Europe par
Jupiter, à laquelle Chappuzeau ajoute
l’histoire de sa délivrance par son frère
Cadmus, symbole à peine voilé de la
sauvegarde de l’Europe par les princes
de Braunschweig qui, défenseurs de sa
liberté face aux tentatives de domina-
tion sans partage d’un « grand Roy »
Illustration 1.1. Samuel Chappuzeau, Europe, page de titre du livret. sous lequel on reconnaît Louis XIV, sont
D-W, Textb. 180. explicitement assimilés à de nouveaux
Cadmus.16 Ce livret remarquablement élaboré subvertit donc le modèle lullyste de deux manières :
d’une part, en faisant référence par sa thématique à la première tragédie en musique écrite par
Quinault et Lully en 1673, Cadmus et Hermione ; d’autre part, en convoquant le genre tout nou-
veau de la « pastorale héroïque » inventé trois ans auparavant par Lully et Campistron avec Acis
et Galatée, première pastorale héroïque. L’année même où Chappuzeau créait son Europe à Celle,
l’œuvre de Lully était d’ailleurs produite sur la scène toute proche du Gänsemarkt de Hambourg –
et comme l’œuvre de Chappuzeau, le livret de Hambourg portait également, sur la page de titre,
le sous-titre de « pastorale héroïque ». Pour imaginer son Europe, Chappuzeau s’est donc inspiré du
modèle lullyste, tout en inversant sa charge politique afin d’en faire un éloge passionné de l’Europe
vivante, alors même que venait de commencer la guerre de la Ligue d’Augsburg.
De quelle Europe parle-t-on, lorsque l’on étudie les circulations des musiciens français entre
1660 et 1730 ? Notre hypothèse est que « l’Europe vivante » de Chappuzeau, labyrinthe centré
sur l’Empire, avec ses dénivelés, ses impasses et ses plateaux, ses travailleurs et ses migrants,
forme le soubassement, la base matérielle ou – pour parler en termes marxistes – l’infrastruc-
ture d’une « Europe galante » souvent idéalisée, uniformisée, et ramenée à une aire culturelle

15 Samuel Chappuzeau, Europe, pastorale héroïque, Celle 1689.


16 Chappuzeau, Europe, p. 19-20 : « [L’oracle dit] que Cadmus son frere feroit tous ses efforts pour la tirer d’escla-
vage ; Qu’il entreroit dans les terres d’un puissant Roy, où il auroit d’abord un furieux dragon à combatre,
& dont il seroit victorieux ; Que des dents de ce dragon semées en terre, il sortiroit des hommes armez, qui
s’egorgeroient aussi tôt les uns les autres […]. Enfin que dans les siecles futurs il se trouveroit des Princes, qui
charmez de même de la beauté de l’Europe entreprendroient de s’en rendre maîtres, & voudroient la posseder
toute entiere, mais qu’il se trouveroit aussi de nouveaux Cadmus pour defendre sa liberté. »

– 20 –
L’Europe galante comme marché du travail

où l’influence française rayonnerait sans effort, sans écran et sans partage. Pour faire surgir les
rouages de l’Europe galante, il faut donc descendre de la scène, détacher ses yeux du spectacle et
aller regarder l’envers du décor, pour parcourir à la suite de Chappuzeau un espace dont la cohé-
rence est véritablement produite par la circulation des artistes. Espace de circulations culturelles
où se rejoignent musiciens, comédiens et danseurs, l’Europe vivante est avant tout un marché du
travail gouverné par des logiques économiques d’offre et de demande. L’expression de marché
du travail, déjà utilisée par Rahul Markovits pour décrire les carrières européennes d’acteurs
français au xviiie siècle, n’est pas la projection sur l’époque moderne d’une catégorie économique
formulée seulement à partir de la fin du xixe siècle.17 Elle est plutôt le moyen de mettre à distance
un type de discours souvent idyllique sur les échanges culturels, habituellement crédités d’une
valeur intrinsèque positive, en mettant en avant leur dimension économique et concurrentielle,
de même que leurs aspects les plus concrets et les conditions de travail des musiciens.

L’émergence d’un marché international


Depuis les années 1650 et jusqu’à la fin de la Grande guerre du Nord en 1721, le littoral de la
Mer Baltique et de la Mer du Nord émerge comme entité économique, diplomatique et géopoli-
tique de premier plan, grâce à l’expansion territoriale de la Suède après la guerre de Trente Ans,
au développement continu des échanges commerciaux entre les grandes villes portuaires de la
Hanse, et à la position stratégique des puissances du Nord comme arbitres potentiels des conflits
qui opposaient la France et l’Empire.18 Au même moment, cet espace devient également une
destination privilégiée pour les artistes français. À partir du milieu du xviie siècle, juste après la
fin de la guerre de Trente Ans (1618-1648), plusieurs cours luthériennes du Nord de l’Europe com-
mencèrent à embaucher des musiciens français pour produire opéras, divertissements et ballets,
ainsi qu’un vaste répertoire musical en provenance de la France, créant progressivement un large
bassin d’emplois dans la région. Christine de Suède (1626-1689) fut l’une des premières personna-
lités à mener cette politique musicale, en faisant venir plusieurs musiciens français à Stockholm,
notamment Anne et Joseph Chabanceau de La Barre. Une dizaine d’années plus tard, vers 1660,
l’option musicale française gagna plusieurs autres cours luthériennes de l’Europe du Nord – la
cour royale de Danemark à Copenhague, mais aussi plusieurs cours moyennes situées au Nord
de l’Allemagne : Celle, Osnabrück, Hanovre, Wolfenbüttel, Schwerin, Güstrow ou Berlin. Entre
1660 et 1730, plus d’une centaine de musiciens quittèrent donc la France et se mirent en route
vers le Nord, traversant les frontières politiques, confessionnelles et linguistiques pour servir
ces nouveaux maîtres et leur goût croissant pour la musique française. La tournée d’Anne de La
Barre, chanteuse française qui fut invitée à Anvers, La Haye, puis dans les cours de Stockholm,
Copenhague et Kassel, avant de retourner à Paris d’où elle était partie, fournit à la fois un bon
exemple de telles migrations et un excellent fil directeur pour s’orienter dans cet espace complexe
tout en faisant le point sur la présence de musiciens français.19

Anne de La Barre et l’Europe du Nord


« La difficulté d’un si grand voyage septentrional » – c’est ainsi que Constantijn Huygens
caractérise en juillet 1648 les projets de départ en Suède d’Anne Chabanceau de La Barre, l’une
des chanteuses les plus célèbres de son époque.20 Rejeton d’une lignée musicale prestigieuse, Anne

17 Markovits, Civiliser l’Europe. Politiques du théâtre français au xviiie siècle, notamment le chapitre 2 « Un marché
du travail européen », p. 43-92. Notre propre usage de cette notion doit beaucoup aux conseils de Rahul Mar-
kovits.
18 Éric Schnakenbourg, La France, le Nord et l’Europe au début du xviiie siècle, Paris 2008.
19 Sur la carrière d’Anne de La Barre et son voyage en Europe du Nord, cf. Lisandro Abadie, « Anne de La Barre
(1628-1688). Biographie d’une chanteuse de cour », Revue de Musicologie, 94/1, 2008, p. 5-44.
20 Lettre de Constantijn Huygens à Anne de La Barre, 21 juil. 1648. Jacob Adolf Worp, De Briefwisseling van
Constantijn Huygens, vol. 4, Gravenhage 1915, p. 486-487. Voir la citation complète ci-dessous.

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Chapitre 1

était la fille de Pierre III Chabanceau de La Barre, organiste de la Chapelle du roi Louis XIII
et claveciniste de la reine Anne d’Autriche. Elle commence sa carrière dès son plus jeune âge,
lorsque son père, à l’exemple de Jacques Champion de Chambonnières, ouvre sa maison au public
en y accueillant des « concerts spirituels » de musique instrumentale et vocale vers 1650. Dans
sa préface aux Airs à quatre parties, Jacques de Gouy évoque cette « Mademoiselle de La Barre,
que Dieu semble avoir choisie pour inviter à son imitation toutes celles de son sexe, à chanter
les grandeurs de leur Createur, au lieu des vanitez des ses Creatures21 » ainsi que les talents de
son frère Joseph, qui jouait du luth dans ces mêmes concerts. Leur séjour relativement bref en
Europe du Nord, dont les préparatifs s’étendent sur six ans mais qui ne dura qu’un peu moins de
deux ans, est représentatif à trois égards : il illustre l’intérêt des cours d’Europe du Nord pour la
musique française dès le milieu du xviie siècle, ainsi que la cohérence d’un espace septentrional
au sein duquel les musiciens d’élite franchissent les frontières politiques ; les différentes étapes
du parcours entrecroisent en un écheveau complexe tout un ensemble de relations artistiques,
scientifiques, diplomatiques et dynastiques, où les mécanismes de célébrité, les services rendus et
les rapports de concurrence entre les différents patrons déterminent les carrières individuelles des
musiciens ; enfin, ce voyage illustre le caractère central des Pays-Bas, qui commencent à s’affirmer
comme véritable plaque tournante du marché du travail européen des arts vivants, rôle qu’ils
continueront à jouer jusqu’à la fin de notre période.

Les préparatifs d’un voyage


C’est ce dernier point qu’avait d’ailleurs parfaitement compris le grand humaniste Constantijn
Huygens, musicien et poète accompli, secrétaire du prince d’Orange et ami de Descartes. Dans
une lettre envoyée à Anne de La Barre, il invite la chanteuse et son frère Joseph à faire étape à
La Haye sur leur route vers Stockholm, ayant eu vent de leurs projets par l’intermédiaire d’un
certain Verpré, sans doute le maître à danser François de Verpré.22 Huygens invite donc Anne de
La Barre à demeurer quelques semaines en Hollande avant de rejoindre la Scandinavie :
[Verpré] nous faict esperer, Mad[emoisel]le, que vous auriez dessein de passer par nos païs en Suede. C’est
de quoy je vien m’informer chez vous mesme, pour vous dire que, si ny la difficulté d’un si grand voyage
septentrional, ny les tendresses de ce digne pere qui vous a mis au monde, ne vous destournent, je vous
guetteray au passage, et en vous faisant un peu reculer pour mieux saulter, vous prieray de reposer
quelques sepmaines dans mon logis, qui peut estre n’est pas des plus incommodes de la Haye, et dans
lequel au moins vous trouverez luths, tiorbes, violes, espinettes, clavecins et orgues à vous divertir, quasi
autant que toute la Suede vous en pourra fournir.23

Constantijn Huygens était loin d’être un novice en matière de musique française, et cette lettre
révèle un flair musical aiguisé. Correspondant régulier de Marin Mersenne, Thomas Gobert ou
Henry Du Mont, il jouait du luth et composait lui-même de la musique : un volume (Pathodia sacra
et profana) avait été imprimé par Ballard en 1647, et plusieurs manuscrits semblent avoir circulé
dans les cercles musicaux parisiens, comme en témoigne notamment une passionnante lettre à
Du Mont, dans laquelle le savant se plaint doucement de l’altération que le compositeur a fait subir
à l’une de ses allemandes en détruisant l’équilibre entre les deux parties, ou encore une lettre du
2 juin 1655 à Jacques Champion de Chambonnières où il évoque la circulation de ses manuscrits.24

21 Cité d’après Abadie, « Anne de La Barre », p. 8.


22 François de Verpré avait été maître à danser de Louis XIII : F-Pn, Rés. F 494, contient une « Courante de M. de
Verpré. Favorite de Mr. le Marquis de Qualin en 1639. Les parties en sont faites par Mr. de Lazarin. » Huygens
le connaissait bien, puisqu’il avait composé une épigramme satyrique sur le maître de danse : « Dans ce braue
Verpré tout est fort estimable, | La main, le mouvement, l’air et le contrepoint : | Ha! qu’il seroit louäble, | S’il
ne se louöit point. » Jacob Adolf Worp, De Gedichten van Constantijn Huygens, vol. 4, Groningen 1894, p. 208.
23 Lettre de Constantijn Huygens à Anne de La Barre, 21 juil. 1648. Worp, De Briefwisseling van Constantijn
Huygens, vol. 4, p. 486-487.
24 Lettres de Constantjin Huygens à Henry Du Mont, 16 mars 1655, et à Jacques Champion de Chambonnières,
2 juin 1655. Worp, De Briefwisseling van Constantijn Huygens, vol. 5, Gravenhage 1916, p. 232 et 239.

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L’Europe galante comme marché du travail

Huygens avait aussi envoyé à Pierre III de La Barre certaines de ses compositions pour le
luth en tablature. Ce dernier travaillait d’ailleurs à transcrire une allemande « fort propre et
agreable pour l’Espinette » lorsqu’il reçut l’invitation adressée à ses enfants. Quelques jours plus
tard, il répond au savant hollandais en expliquant le retard pris par le projet de voyage de ses
enfants, et sonde Huygens sur la possibilité de les employer au service des princes d’Orange :
Nous avons recogneu la bonne volonté que vous nous tesmoignez dans l’offre que vous nous faittes de
vostre maison en passant pour aller en Suede, mais ce voyage a esté remis accause du Coronnement [sic]
de la Reine de Suede qui ne se fera pas si tost. Or, puisque vous nous faittes l’honneur de nous aymer, je
ne feindray point de vous dire que si par vostre prudence vous recognoissez que le prince et la princesse
[d’Orange] vouleussent avoir aupres d’eux une personne comme ma fille pour l’entendre chanter et mes
autres enfans qui touchent des instruments pour accompagner la voix, vous me ferez la faveur de m’en
advertir […]. Je vous ay fait cette priere parceque, comme mes enfans ont tasché d’acquerir de la Science,
il ne reste si non [sic] a trouver quelque prince auquel ils puissent plaire et donner du contentement qui
recognoisse leur peine, ne trouvant pas la vertu assez cogneue en nostre propre pays.25

Pierre de La Barre, visiblement impatient du retard que prenait le voyage en Suède, semblait donc
désireux d’envoyer rapidement ses enfants à La Haye au service du couple d’Orange, le prince
Friedrich Heinrich, qui était lui-même le fils d’une huguenotte française Louise de Coligny, et
la princesse Amalie d’Orange. Huygens évoque cette demande quelques semaines plus tard dans
une lettre à Mersenne, mais se refuse provisoirement – sans doute par égard pour Christine de
Suède – à favoriser un tel revirement.26 Quelques mois plus tard, Joseph de La Barre prospectait
pour Huygens un luth de Bologne d’occasion parmi les vendeurs parisiens, toujours en lien avec
François de Verpré.27 Il est très étonnant que La Barre, très introduit dans les cercles royaux, se
plaigne en termes assez forts de ne pas trouver « la vertu assez connue en notre propre pays ».
Allusion aux désordres politiques de la Fronde qu’il oppose à la paix qui règne en Hollande, cette
sortie stigmatise aussi le manque d’opportunités professionnelles qui en résulte, la « vertu » étant
ici à comprendre en son sens étymologique de capacité.
L’invitation à Stockholm pour Anne et Joseph était arrivée en 1647 ou au début de l’année
1648, probablement par l’intermédiaire de Magnus de La Gardie, favori de Christine qui avait
mené une ambassade doublée d’une campagne de recrutement pour le compte de sa maîtresse au
cours de l’automne 1646 à Paris.28 Après plusieurs années d’hésitation, ils se décidèrent enfin à par-
tir. Huygens s’était refusé à griller la politesse à la reine Christine en faisant embaucher les enfants
de La Barre au service de la maison d’Orange, mais il organisa pour Anne une tournée à Anvers
chez les ducs de Lorraine. Le 10 novembre 1652, la duchesse Béatrix de Cusance écrivait en effet à
Huygens qu’elle jouissait à Anvers « des merveilles de l’aimable La Barre29 » avant d’annoncer deux
mois plus tard le départ de cette « divine Amarante30 ». L’étape suivante était La Haye, où Huygens

25 Lettre de Pierre III Chabanceau de La Barre à Constantijn Huygens, 31 juil. 1648. Julien Tiersot, « Une famille
de musiciens français au xviie siècle : les de La Barre », Revue de Musicologie, 9/25, 1928, p. 1-11, ici p. 7-8.
26 Lettre de Constantijn Huygens à Marin Mersenne, 14 août 1648. Worp, De Briefwisseling van Constantijn
Huygens, vol. 4, p. 490 : « Le S.r de la Barre me tesmoigne de l’inclination à dedier le service de sa fille et fils à
nos Altesses. Si une consideration ne me retenoit, je travailleroy à ce marché, et verray pourtant ce qu’il y aura
moyen d’y faire à la Haye […]. »
27 Lettre de Constantijn Huygens à Joseph de La Barre, 15 oct. 1648. Worp, De Briefwisseling van Constantijn
Huygens, vol. 4, p. 501-502.
28 Cette hypothèse est avancée par Abadie. D’après Michel Le Moël, le voyage des La Barre aurait été négocié
par Pierre Chanut, diplomate à Stockholm et ami de Descartes, qui comptait aussi parmi les correspondants
de Huygens : Michel Le Moël, « L’entrée des femmes à la Musique du Roi : Anne de La Barre et les autres », in :
Études sur l’ancienne France offertes en hommage à Michel Antoine, dir. Bernard Barbiche, Paris 2003, p. 227-234, ici
p. 232.
29 Lettre de Beatrix de Cusance à Constantijn Huygens, 10 nov. 1652. Worp, De Briefwisseling van Constantijn
Huygens, vol. 5, p. 156.
30 Lettre de Beatrix de Cusance à Constantijn Huygens, 12 janv. 1653. Worp, De Briefwisseling van Constantijn
Huygens, vol. 5, p. 164 : « De goddelijke Amarante gaat ons verlaten. »

– 23 –
Chapitre 1

l’attendait et la fit loger près de chez lui dans le Plein, ainsi qu’il l’écrit à Beatrix. Anne de La Barre
y fait la connaissance d’Élisabeth Stuart, reine de Bohême et mère de Sophie de Hanovre, où elle
« réussit à merveille », tout comme dans d’autres cercles aristocratiques.31 Elle resta environ six
mois chez Huygens à La Haye, attendant la fin de l’hiver pour poursuivre son voyage. Son départ,
que Huygens avait cherché plusieurs fois à retarder, fut bientôt inéluctable, et Anne de La Barre
arriva à Stockholm autour de juillet 1653. Huygens écrit alors à Pierre Chanut « qu’il n’y aurait
point de mal que ceste merveilleuse Reine […] fust informée de la valeur de la belle marchandise
qui luy vient de Paris ».32 La chanteuse comme marchandise de valeur : voilà une belle expression
du marché européen de la musique sur lequel se mouvaient désormais les musiciens français.
Juste après le départ des La Barre, Chambonnières se mettait lui aussi en quête d’un emploi
en Europe du Nord. Huygens lui dressa cependant un tableau assez désabusé de la cour d’Orange
à La Haye : « Mais ces grands Princes ne sont plus, pour l’amour desquels il valoit la peine de
faire le voyage, et à peine l’ombre nous en reste.33 » Pourtant, Chambonnières cherchait tou-
jours à quitter la France sept ans plus tard. Dans une lettre adressée à Otto von Schwerin, haut
fonctionnaire berlinois également mélomane, Huygens s’enquiert des possibilités d’emploi à la
cour de Brandebourg et recommande le claveciniste :
Si vous avez la bonte de souffrir que par ceste occasion je puisse vous entretenir d’un mot de la musique,
nostre commune maistresse, je vous advertiray, Monsieur, que le tres illustre Sieur de Chamboniere,
qu’homme du monde n’esgale sur le clavecin, soit que vous consideriez la composition ou le beau toucher,
se trouve icy si degousté de se veoir ostée par le bas et mauvais menage qui regne en ceste cour, une pen-
sion d’environ mil escus par an, qu’il auroit moyen d’en chevir, s’il trouvoit un prince digne amateur de
sa science, et capable de le faire vivre avec un peu d’honneur, comme il a toujours faict icy.34

On voit donc qu’au-delà du destin individuel des musiciens, un mouvement collectif vers le Nord
se dessine au milieu des années 1650, auxquels plusieurs professionnels de grande réputation vou-
laient visiblement prendre part.

Les cours royales de Suède et Danemark


Pendant qu’Anne de La Barre séjournait à La Haye puis Anvers, Joseph de La Barre s’était rendu
directement à Stockholm où il apparaît dans les états de la chapelle royale dès 1650.35 Là, il put
rencontrer d’autres musiciens français moins connus qui avaient été recrutés dans le cadre d’une
politique de spectacles largement inspirée de la France.36 Chronologiquement parlant, la cour de
Suède était ainsi en avance d’une bonne quinzaine d’années sur les autres cours de la région, puisque
des musiciens français y étaient présents dès le milieu des années 1640 sous l’impulsion de la reine
Christine de Suède (r. 1644-1654). Les premiers musiciens furent en effet engagés en 1646, lors de

31 Lettre de Constantijn Huygens à Beatrix de Cusance, 30 janv. 1653. Worp, De Briefwisseling van Constantijn
Huygens, vol. 5, p. 166 : « J’use du mieux que je puis de celle qu’il a pleu à V. A. me faire naistre en nous envoyant
la divine Amaranthe qui est admirée et cherie icy selon son merite. La Reine de Boheme et sa royale niepce ne
se peuvent saouler de sa presence, et pour la premiere fois Madame la Princesse Mere en a eu sa part chez la
Reine, ou ceste illustre fille eut une audience fort solemnelle, et ou veritablement elle reuscit à merveille. Elle
loge aussi proche de ma maison qu’elle fut à Anvers de l’hotel de V. A., de sorte que nous avons moyen de la
veoir souvent, pour aultant que mes occupations me le permettent. »
32 Abadie, « Anne de La Barre », p. 19.
33 Lettre de Constantijn Huygens à Jacques Champion de Chambonnières, 2 juin 1655. Worp, De Briefwisseling
van Constantijn Huygens, vol. 5, p. 238.
34 Lettre de Constantijn Huygens à Otto von Schwerin, 31 août 1662. Worp, De Briefwisseling van Constantijn
Huygens, vol. 5, p. 471.
35 Erik Kjellberg, Kungliga musiker i Sverige under stormaktstiden. Studier kring deras organisation, verksamheter och
status ca. 1620 – ca. 1720, thèse de doctorat, Université d’Uppsala, 1979, vol. 2.
36 Pour le ballet, voir Stefano Fogelberg, The Queen Danced Alone. Court Ballet in Sweden during the Reign of Queen
Christina (1638-1654), Turnhout 2018. Pour le théâtre, cf. Marvin Carlson, « Scandinavia’s International Ba-
roque Theatre », Educational Theatre Journal, 28/1, 1976, p. 5-34.

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L’Europe galante comme marché du travail

l’ambassade de Magnus de La Gardie : Pierre Verdier (1672-1706), Pierre Guilleroy (†1666), Pierre
Garset (né en 1618), Nicolas Bigot (†1653), Nicolas Picart et Alexandre Voullon. Ils rejoignirent à
Stockholm le violoniste Cuny Aubry (†1665) et le luthiste Béchon, déjà présents en Suède avant
l’ambassade de La Gardie (Tableau 1.1).37 Dans la mesure où la musique française était liée de près
à l’univers du ballet, les maîtres à danser étaient également des figures éminentes dans la diffu-
sion de la musique française : si Antoine de Beaulieu, qui avait été engagé comme maître à danser
par la mère de Christine dès 1636, resta le principal créateur de spectacles à Stockholm jusqu’en
1663, il devait parfois céder la place à des concurrents recrutés à l’extérieur, comme en 1646 à un
certain Daniel, maître à danser en provenance de Kassel.38

Nom Date de séjour Nom Date de séjour


Cuny Aubry 1640-1665 Joseph Chabanceau de la Barre 1650-1653
Philippe de Beaumont 1649-1653 Adrien et François de La Croix 1650-1653
Bechon 1644-1647 Munier 1650-1651
Béthune 1649-1651 Nicolas Picart 1646-1650
Nicolas Bigot 1646-1653 Picquet 1651-1652
Jacques Feugre 1650-1653 Jean-Baptiste Preudhomme 1650-1651
Pierre Garset 1646-1650 Paul Prevost 1663-1669
Pierre Guilleroy 1646-1666 Pierre Verdier 1646-1706
Anne Chabanceau de la Barre 1652-1654 Alexandre Voullon 1646-1653

Tableau 1.1. Musiciens français engagés à la cour de Suède sous Christine de Suède.

Plusieurs documents conservés aux Archives Nationales permettent de retrouver à Paris la trace
de ces musiciens avant ou après leur séjour en Suède. C’est le cas de Nicolas Bigot, qui épousa
en 1637, dix ans avant son départ, la fille d’un marchand fripier à Paris, avant de s’associer en
1639 à deux autres instrumentistes puis à trois autres en 1644.39 Pour d’autres, le séjour en Suède
semble avoir fonctionné comme une sorte de capital professionnel assez efficace et comme point
de départ de réseaux durables : Adrien de La Croix achète ainsi en février 1656, trois ans après
son retour à Paris, la charge de violon ordinaire de la Chambre du roi à Louis Bruslard, et conclut
en 1660 un contrat d’association avec Jacques Desannez, maître à danser de la reine Christine
de Suède, témoignant ainsi du fait que les relations tissées à Stockholm survivent dans l’espace
parisien et constituent un vrai capital relationnel et professionnel pour nos musiciens.40 Quelques
années après son retour de Suède, Philippe Le Roy de Beaumont est ordinaire de la musique de
la Chambre du roi en qualité de chantre.41 Cette mobilité musicienne allait aussi de pair avec
une circulation des sources musicales françaises, majoritairement perdues pour les années 1650-

37 Kjellberg, Kungliga musiker i Sverige. Fogelberg, The Queen Danced Alone, p. 89.
38 Stefano Fogelberg et Maria Schildt, « L’Amour constant et Le Ballet de Stockholm. Livret et musique pour la repré-
sentation d’un ballet de cour durant le règne de la reine Christine », Dix-septième siècle, 261/4, 2013, p. 723-751.
39 AN, Minutier Central, XVI-75, 10 sept. 1637 : Contrat de mariage entre Nicolas Bigot, maître joueur d’ins-
truments, demeurant rue Aubri-le-Boucher, et Anne Hénault, fille de défunt Jean Hénault, marchand fripier,
et de Madeleine Chambelan, demeurant rue des Gravilliers. AN, Minutier Central, IX-385, 10 déc. 1639 :
Association de trois joueurs d’instruments, dont Nicolas Bigot. AN, Minutier Central, IX-399, 19 août 1644 :
Association de quatre joueurs d’instruments, dont Nicolas Bigot.
40 AN, Minutier Central, C-242, 20 fév. 1656 : Vente par Louis Bruslard, l’un des vingt-quatre joueurs de violon
ordinaires de la Chambre du roi, à Adrien Delacroix, joueur d’instruments, de la charge de violon ordinaire
de la Chambre du roi, dont il est pourvu, moyennant 2400 livres tournois. AN, Minutier Central, XCII-169,
29 oct. 1660 : Association de Jacques Desannez, maître de danse de Christine de Suède, et d’Adrien Delacroix,
l’un des 24 joueurs de violon ordinaire de la Chambre du roi pour enseigner la danse et le violon pendant 3 ans.
41 AN, O1 7, fol. 159. AN, Minutier central, XLV-208, 5 juil. 1660.

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Chapitre 1

1690, mais dont la collection d’Uppsala conserve la trace pour la période autour de 1700. Ce
phénomène n’engage donc pas seulement des carrières, des réseaux et des biographies, mais aussi
la circulation de textes, de partitions et d’œuvres – et c’est là une grande partie de son intérêt.42
Pour les enfants de La Barre, le séjour suédois se déroula sous des auspices bien étranges,
puisque la peste éclata à Stockholm pendant l’hiver 1653, forçant la cour à quitter la ville. La
reine Christine abdiqua en outre quelques mois plus tard, le 6 juin 1654, en faveur de son cousin
Charles X, avant de quitter le pays et de se convertir au catholicisme. La veille de son abdication,
le 5 juin 1654, elle écrivait encore une lettre à son « Cousin » Louis XIV pour lui demander une
pension en faveur de Joseph de La Barre.43 Arrivée beaucoup plus tard que son frère, Anne de La
Barre ne semble pas avoir joui de la même faveur auprès de Christine de Suède, si l’on en croit
le témoignage de l’ambassadeur du Danemark à Stockholm.44 La plupart des musiciens français
durent quitter la Suède au début du règne de Charles X (r. 1654-1660), cousin et successeur de
Christine, à l’exception de quelques individus isolés qui demeurent en Suède après 1660 : outre
Pierre Guilleroy et Pierre Verdier qui meurent respectivement en 1666 et 1706 à Stockholm, le
chanteur Paul Prevost y est engagé de 1663 à 1669.45 Ce dernier avait séjourné à Berlin de 1650
à 1659 puis à Dresde, où l’électeur de Brandebourg l’avait recommandé en soulignant son style
très personnel dans la musique vocale.46 D’autres musiciens français sont engagés par Charles XII
(r. 1697-1718) mais n’apparaissent pas sur les listes de personnel des archives de la Hovkapellet, sans
doute parce qu’ils se déplacent avec des troupes de comédiens. La troupe de Rosidor, engagée par
la cour de Suède entre 1699 et 1706 et placée sous la direction de Claude-Ferdinand Guillemay
du Chesnay, dit Rosidor, comprenait par exemple quatre chanteurs et sept musiciens, dont les
noms sont fournis par Tobias Norlind.47 La troupe de Rosidor père avait déjà joué en 1669 à la
cour de Danemark où elle donna des représentations en allemand et en français jusqu’à la mort
de Frederik III en 1670, puis sous la direction de Rosidor fils, entre 1682 et 1721.
Ce fut aussi le cas d’Anne de La Barre, qui se rendit à Copenhague immédiatement après son
départ de Suède en 1654, où elle se produisit auprès de la reine Sophia Amalia. Ces deux étapes
ont été durablement marquantes, puisqu’une quinzaine d’années plus tard, dans son contrat de
mariage rédigé à Paris en 1668, Anne de La Barre est toujours désignée comme « damoiselle
d’honneur des Reines de Suède et de Danemark.48 » À la cour du Danemark, la présence de
musiciens français, si elle est attestée par la littérature secondaire, est moins bien documentée
qu’en Suède. La musique française semble avoir bénéficié d’une première période de faveur sous le
règne de Christian IV, qui avait engagé le violoniste Jacques Faucart comme maître des concerts

42 Voir notamment Mary Terey-Smith, « French Baroque Partbooks in the Uppsala University Library », Canadian
Association of University Schools of Music Journal, 9/1, 1979, p. 29-47. Kjellberg, Kungliga musiker i Sverige, p. 828.
43 Fogelberg, The Queen Danced Alone, p. 100.
44 Lettre de Peder Juul à Charisius, Stockholm, 16 juil. 1653. Abadie, « Anne de La Barre », p. 21 : « Mademoi-
selle La Barre est ici, mais elle ne vieillira pas ici, et elle est beaucoup moins estimée qu’elle ne l’aurait été si elle
n’avait pas mis autant d’années pour arriver ici. »
45 Kjellberg, Kungliga musiker i Sverige, p. 471.
46 Curt Sachs, Musik und Oper am kurbrandenburgischen Hof, Berlin 1910, p. 164. Paul Prévost est engagé comme
soprano en février 1650 avec un salaire annuel de 400 Thaler, augmenté à 600 Thaler en mai 1654. Il est ren-
voyé en 1659. La lettre de recommandation, datée du 9 novembre 1660, atteste que Paul Prevost « sich wegen
seiner sonderlichen manier, Zumahll in der Vocal Music sehr beliebt gemacht [hat].»
47 Tobias Norlind, « Die Musikgeschichte Schwedens in den Jahren 1630-1730 », Sammelbände der Internationa-
len Musikgesellschaft, 1/2, 1900, p. 165-212, ici p. 169-170. Marie Aubert (dessus), Despas (haute-contre), Ma-
riau (ténor), Chantreau (basse), Mademoiselle Renaud (femme du premier violon et chanteuse de petits rôles),
Renaud ou Rénot (violon), Robert Lemoine de Lafrance (basse de viole et hautbois), Jean Baptiste De Grouset
Le Petit Clerc (violons et hautbois), Bernard Montain et Caillard (musiciens). Caillard peut être identifié à
Guillaume Caillat, actif à Celle puis à Schwerin.
48 AN, Registre des Insinuations du Châtelet de Paris, Y 214, fol. 248, 28 avril 1668 : Contrat de mariage entre
Antoine de Cocquerel, conseiller du Roi aux conseils et lieutenant ordinaire en la prévôté de l’hôtel et grande
prévôté de France demeurant à Paris, rue du Sentier, paroisse Saint-Eustache, et Anne Chabanceau de La
Barre, damoiselle d’honneur des Reines de Suède et de Danemarck.

– 26 –
L’Europe galante comme marché du travail

dès 1626. Le « Hintze-Manuskript », impressionnante collection de pièces pour le clavier de style


français copiée par Matthias Weckmann aux alentours de 1650, pourrait également avoir été
commencée à Copenhague lorsque celui-ci était au service de Christian IV.49 Le successeur de ce
dernier, Frederik III, avait séjourné à Paris pendant son Grand tour et engagea en 1665 le violo-
niste Pascal Bence pour diriger une bande de sept violonistes français. Cette présence d’artistes
français, qui collaboraient pour produire des opéras et des ballets de cour, était surtout liée au
mécénat de la reine Sophia Amalia von Braunschweig-Lüneburg (1628-1685) qui était en compéti-
tion permanente avec Christine de Suède et engagea une troupe de comédiens français en 1669.50
Entre 1661 et 1667, le maître de chapelle de la cour Kaspar Förster avait composé plusieurs œuvres
dont le style suggère l’influence de la musique française, en particulier un opéra Cadmus.51
En dehors de ces quelques données fragmentaires, un opuscule imprimé, intitulé Relation du
voiage de Breme et publié à Leiden en 1676, permet d’entrevoir la mobilité des musiciens français
de part et d’autre de la frontière danoise.52 Il s’agit d’un récit grotesque en « vers burlesques »,
composé par un musicien nommé Clément et dédié à un certain Besson, chef des violons du roi
de Danemark. Les trois « chants » retracent le périple d’une troupe d’instrumentistes passant par
Copenhague, Rentzbourg, Hambourg, pour arriver enfin à Brême à l’occasion d’une fête où leurs
services sont requis. Christine de Suède donnait parfois des fêtes importantes dans les villes de la
région pour lesquelles elle faisait venir les instrumentistes des chapelles princières avoisinantes :
c’est peut-être pour une telle occasion que les musiciens danois furent appelés à Brême.53 Cette
odyssée en vers de mirliton paraît avoir connu un certain succès, puisqu’elle fit l’objet de plusieurs
réimpressions.54 Son auteur, un certain Clément, est recensé comme « Premier violon du roi »
dans les registres de l’église réformée de Copenhague entre 1685 et 1700.55 Il aurait donc pu suc-
céder dans cette fonction au dédicataire de son opuscule Besson. Au cours de son voyage, Clément
rencontre deux troupes de comédiens français. La première accompagne le comte d’Oxenstiern,
grand rival de Magnus de la Gardie à la cour de Suède. La seconde n’est autre que la troupe de
comédiens de la cour de Hanovre, que Clément rencontre à Hambourg en compagnie de Thomas
de La Selle, musicien à la cour de Celle entre 1666 et 1705, qui jouait de la « poche » (petit violon
aisément transportable que les maîtres à danser pouvaient sortir de leur poche pour les leçons de
danse) lors d’un dîner donné pour l’anniversaire d’une dame de la compagnie.56 Le texte fait aussi
allusion au musicien Jacques de Loges.57 Vingt ans plus tard, celui-ci est employé à la chapelle

49 Siegbert Rampe, « Das “Hintze-Manuskript”. Ein Dokument zu Biographie und Werk von Matthias Weck-
mann und Johann Jakob Froberger », Schütz-Jahrbuch, 19, 1997, p. 71-111.
50 Jan Fransen, Les Comédiens français en Hollande aux xvii e et xviiie siècles, Paris 1925, p. 125-126.
51 Berthold Warnecke, Kaspar Förster der Jüngere (1616-1674) und die europäische Stilvielfalt im 17. Jahrhundert,
Schneverdingen 2004, p. 217-262.
52 Clément, Relation du voiage de Breme, en vers burlesques dediee à Monsieur Besson, chef de la Troupe de Musiciens, et
de Violons de sa Majesté le roi de Danemarc, de Norvegue, &c., Leiden 1676.
53 Laure Gauthier, L’Opéra à Hamburg 1648-1728. Naissance d’un genre, essor d’une ville, Paris 2010, p. 33.
54 Première édition à Leyde en 1676 chez « la veuve Boxe ». Seconde édition à Leiden chez « Pecker » en 1677.
Troisième édition à Brême chez « Claude Lejeune » en 1705. En réalité, ces trois éditions peuvent être attri-
buées à la veuve de Jean Elzévir, comme le suggère Charles Nodier dans une note manuscrite placée en tête de
l’exemplaire de la Bibliothèque nationale (F-Pn, Res. P ye 2259) : « Il faudroit n’avoir jamais vu d’édition elzé-
virienne pour méconnaître ici les types qui avoient servi en 1666 pour la Description d’Amsterdam de Lejolle, et
depuis en 1676 même pour les nombreux et misérables ouvrages de Blessebois. »
55 Daniel Louis Clément, Notice sur l’église réformée française de Copenhague, Copenhague 1870, p. 9.
56 Clément, Relation du voiage de Breme, p. 30-32 : « A la santé du Sieur le Roi, | Fort-bien, dis-je, portés-là moi. |
Puis, m’adressant au sieur la selle, | Je lui portais justement celle | D’un nommé Monsieur des Marets | Dont la
femme beaucoup me plaît | Pour son humeur escarbellarde, | Bien qu’elle ait la mine paillarde | Je l’estime de
tout mon cœur. […] Et la selle par cas fortuit, | Avoit sa poche | en son étuit | Qu’il tira d’une autre pochette, |
Et nous joua landerirette. »
57 Clément, Relation du voiage de Breme, p. 13-14 : « Et dés que le jour fut venu | Falut faire jacques déloge | Et
sortir chacun de sa Loge. »

– 27 –
Chapitre 1

de Hanovre.58 Originaire d’Anjou, le musicien est marié à une danoise, comme le montre un
acte de baptême.59 La même année, Jacques de Loges est aussi témoin lors du mariage entre un
Parisien et une habitante de Hanovre, pour lequel le maître de danse François Desnoyers se porte
aussi témoin.60 De son côté, Clément avait séjourné en Allemagne avant de venir au Danemark,
puisqu’il avait été violoniste à la cour de Schwerin entre 1664 et 1669.

Les cours allemandes


Lorsque la guerre éclata entre la Suède et le Danemark en 1655, la chapelle royale danoise fut dis-
soute et Kaspar Förster retourna à Gdansk. Anne de La Barre quitta alors la cour de Copenhague
pour celle de Hessen-Kassel, où elle avait apparemment été recommandée par Ernst August von
Braunschweig-Lüneburg, frère de la reine du Danemark et proche de Wilhelm VI von Hessen-
Kassel. Elle y fut accueillie par Wilhelm VI, dit Le Juste, qui avait visité la France entre 1644
et 1649 et l’avait déjà entendue lors d’un concert à Fontainebleau.61 Si la cour de Kassel tient
une place éminente dans notre Europe galante, c’est moins à cause de la migration de musiciens
français, qui ne peut plus guère être reconstruite suite à la destruction de la plupart des archives
pendant la Seconde Guerre mondiale, qu’à cause des fameux manuscrits de Kassel, copiés autour
de 1660 et qui illustrent très bien la diffusion du répertoire français dans l’espace germanique.62
Rédigés par un copiste anonyme, qui pourrait être identifié à Christoph Thomas, membre de la
Hofkapelle jusqu’à 1660 au moins, ils sont l’un des rares témoignages de la dissémination de la
suite d’orchestre française dans les territoires germaniques vers le milieu du xviie siècle.63
Mais c’est surtout en Allemagne du Nord que l’on trouve la trace de nombreux musiciens
français. L’étude de Clemens Meyer sur la Hofkapelle de Schwerin montre par exemple que dix-
huit d’entre eux ont été actifs à la cour de Mecklenburg-Schwerin entre 1664 et 1710, sous le règne
de Christian Louis I qui entretenait des relations étroites avec la France. Un premier groupe de
musiciens français appelé les « 6 Violons » fut engagé entre 1664 et 1669.64 Entre 1671 et 1673, un
autre groupe de huit « Violons » fut également présent à Schwerin.65 Plusieurs autres musiciens
au patronyme français furent engagés à titre individuel : le « Petit Jean » est subventionné par
la cour pour apprendre la trompette, puis engagé comme Hoftrompeter en 1679, avant d’obte-
nir le 4 octobre 1680 un passeport pour l’étranger.66 Philibert Morwald ou Moureval, peut-être
Français, fut timbalier dans l’armée à partir d’août 1677 puis engagé à la cour entre 1678 et 1713.67
Le Français Charles Guarnier est engagé entre 1695 et 1699, mais sa fonction n’est pas précisée.68
Enfin, en 1709-1710, Jean Baptiste est engagé comme directeur et maître des concerts.69 La pré-

58 NLAH, Hann. 76c A Nr. 118, p. 314 : « dem Musicanten Jacque de Loges von Ostern biß den 21 July 1698 von
10 Wochen à jährlich 115 Thlr. womit derselben gleichfalß abgehet: 35 Thlr. 15 gr. »
59 BAHild, KB Nr. 777, Hannover St. Clemens, Taufbuch 1671-1699, 7 mai 1696, p. 189 : « baptizavi infantem
natum ex Jacobo des Loges Andegavensi et Anna Helena Gilmer Haffniensi. » Dès 1691, on trouve égale-
ment dans les registres catholiques de Hanovre une Marie de Loges, qui parraine l’enfant du musicien Gilles
Héroux.
60 BAHild, KB Nr. 778, Hannover St. Clemens, Traubuch 1667-1711, 28 avr. 1696, p. 132.
61 Abadie, « Anne de La Barre », p. 24.
62 Jules Écorcheville, Vingt Suites d’orchestre du xviie siècle français, Berlin 1906.
63 Michael Robertson, The Courtly Consort Suite in German-Speaking Europe, 1650-1706, Farnham 2009, p. 66-67.
64 Clemens Meyer, Geschichte der Mecklenburg-Schweriner Hofkapelle, Schwerin 1913, p. 30. Le groupe comprend :
Clément, Delilie (altération probable de Delisle), Lamontange (Lamontagne), Fontenge, Dumain (Dumaine)
et Lesperanz (L’Espérance).
65 Meyer, Geschichte der Mecklenburg-Schweriner Hofkapelle, p. 30-31. Ce groupe comprend : Claude de Lisle (pro-
bablement identique à celui du premier groupe), Nicolaus Dumesnil, Jean Barisot (Parisot), François Galoche,
Pierre Janary, Anthoine Mutan, Michel Begne et Caillat.
66 Meyer, Geschichte der Mecklenburg-Schweriner Hofkapelle, p. 33.
67 Meyer, Geschichte der Mecklenburg-Schweriner Hofkapelle, p. 33-34. Le passage par l’armée de ce musicien à partir
d’août 1677 est précisé par une note manuscrite sur l’exemplaire de la bibliothèque de l’Université de Leipzig.
68 Meyer, Geschichte der Mecklenburg-Schweriner Hofkapelle, p. 34.
69 Meyer, Geschichte der Mecklenburg-Schweriner Hofkapelle, p. 38.

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L’Europe galante comme marché du travail

sence de musiciens français ou francophones à Schwerin, même discontinue, est donc un élément
important dans la vie musicale de la cour qui coïncide exactement, sur le plan chronologique, avec
des phénomènes similaires dans les cours de Basse-Saxe.
À la cour de Güstrow, sous le règne du duc Gustav Adolph (r. 1654-1695), plusieurs musi-
ciens dits « français » sont également présents dans la Hofkapelle. Le plus connu d’entre eux est
Daniel Danielis, natif de Visé près de Liège et engagé comme chanteur (« Bassist ») par la cour de
Güstrow le 20 juin 1658.70 Il est élevé en février 1661 au rang de Kapellmeister, poste dont il démis-
sionne une première fois en 1664-1665 à la suite d’un violent conflit avec ses musiciens, puis défi-
nitivement en 1681, après s’être absenté entre 1674 et 1678.71 En 1683, il se présente au concours
organisé pour remplacer Henry Du Mont et Pierre Robert à la chapelle royale de Versailles, sans
succès.72 Il est nommé l’année suivante maître de musique à la cathédrale de Vannes.73 Dans les
mêmes années, on repère également le violoniste Bernard Gérard, engagé entre 1665 et 168374, et
d’autres chanteurs originaires du Brabant : Nicolas Chauveau, le Diskantist Johannes Anthonius
Ravissart et Leonhard von der Houte, engagés en 166975, ainsi que Servais Le Roy, qui fit un bref
séjour comme Kapellknabe en 1679.76
La cour de Brandebourg à Berlin n’était pas en reste : outre le chanteur Paul Prevost déjà
mentionné plus haut, plusieurs noms de musiciens français peuvent être repérés dans les dernières
décennies du xviie siècle, sous le règne de Friedrich I (r. 1688-1713). Le nombre et la régularité
des engagements de hautboïstes est très frappante et constitue une spécificité berlinoise : entre
1681 et 1708, pas moins de quatre hautboïstes sont engagés de façon continue. Déjà, sous le règne
de Friedrich Wilhelm, les hautboïstes Pierre Potot et François Adam Beauregard avaient été
engagés le 22 décembre 1681 pour un salaire annuel de 300 Thaler.77 En 1693, Labuissière est
engagé comme successeur de Beauregard et demeure à Berlin jusqu’en 1700.78 On trouve la men-
tion d’un trompettiste réformé du nom de Piquard (1688) et d’un chanteur Baron (1694).79 En
1692, Volumier est engagé comme maître de danse.80 Enfin, en 1708, les deux derniers Français
arrivent : le hautboïste Louis Rose et le violoniste Jourdain sont intégrés au personnel de la
Hofkapelle berlinoise.81 Après la mort de Friedrich I en 1713, celle-ci fut dissoute et certains de
ses membres, dont Rose, furent alors recrutés par la cour de Köthen, où le duc Leopold von
Anhalt-Köthen fonda une nouvelle Hofkapelle en 1717, avec à sa tête Johann Sebastian Bach.
Ces différentes trajectoires illustrent le formidable élargissement d’un marché du spectacle qui
conduit les musiciens français à investir l’ensemble des territoires d’Empire, allant parfois même
jusqu’aux confins de l’Europe.

70 Clemens Meyer, « Geschichte der Güstrower Hofkapelle : Darstellung der Musikverhältnisse am Güstrower
Fürstenhofe im 16. und 17. Jahrhundert », Jahrbücher des Vereins für Mecklenburgische Geschichte und Altertums-
kunde, 83, 1919, p. 1-46, ici p. 25.
71 Meyer, « Geschichte der Güstrower Hofkapelle », p. 25-26 et 166. Voir Chapitre 3, p. 155 et 186.
72 Pour une description détaillée de ce concours, voir Marcelle Benoît, Versailles et les musiciens du roi 1661-1733.
Étude institutionnelle et sociale, Paris 1971, p. 102-108.
73 Guy Bourligueux, « Le mystérieux Daniel Daniélis (1635-1696) », Recherches sur la musique française classique, 4,
1964, p. 146-178. Catherine Cessac, L’Œuvre de Daniel Daniélis (1635-1696). Catalogue thématique, Paris 2003.
74 Ce musicien est désigné comme français par Friedrich Chrysander, « Englische, französische und deutsche
Musicanten im siebenzehnten Jahrhundert am Hofe des Herzogs zu Mecklenburg-Güstrow », Niederrhei-
nische Musik-Zeitung, 3/46, 1855, p. 364-367, ici p. 367.
75 Meyer, Geschichte der Mecklenburg-Schweriner Hofkapelle, p. 31.
76 Meyer, Geschichte der Mecklenburg-Schweriner Hofkapelle, p. 33. Voir aussi Chapitre 3, p. 160-161. Sur les fonc-
tions des Kapellknaben, voir le contrat de nomination de Johann Christoph Schmidt à Dresde vers 1687 : Mo-
ritz Fürstenau, Zur Geschichte der Musik und des Theaters am Hofe zu Dresden, vol. 1, Dresde 1861, p. 264-265.
77 Sachs, Musik und Oper am kurbrandenburgischen Hof, p. 172.
78 Sachs, Musik und Oper am kurbrandenburgischen Hof, p. 182.
79 Sachs, Musik und Oper am kurbrandenburgischen Hof, p. 187 et 178.
80 Sachs, Musik und Oper am kurbrandenburgischen Hof, p. 68 et 182. Voir ci-dessous, p. 155-156.
81 Sachs, Musik und Oper am kurbrandenburgischen Hof, p. 185.

– 29 –
Chapitre 1

Un marché en expansion
Dès 1660, l’Europe du Nord est donc devenue un pôle d’activité privilégié pour les musiciens
français. Cet espace, que les artistes semblent parcourir sans trop s’arrêter aux frontières poli-
tiques, est largement polarisé par les cours : au-delà des cours royales de Suède et du Danemark,
il englobe toute une myriade de résidences de taille intermédiaire situées dans la moitié Nord de
l’Allemagne, depuis la frontière avec les Provinces-Unies jusqu’aux régions orientales de l’Em-
pire. Entre Osnabrück et Berlin, en passant par Schwerin et Güstrow, se dessine peu à peu une
aire culturelle dans laquelle la musique française a le vent en poupe. Au cours des décennies
suivantes et jusqu’en 1700, cet espace s’élargit progressivement jusqu’à prendre une amplitude
continentale, témoignant d’une expansion progressive du marché du travail européen pour les
musiciens, et plus largement pour les arts du spectacle. On peut identifier trois leviers principaux
qui contribuent à cette extension : la généralisation de la pratique du Grand tour, la profession-
nalisation croissante et la diversification du personnel diplomatique français, ainsi que la porosité
accrue des frontières confessionnelles.

L’Europe des Grands tours


Objet d’un intérêt historiographique renouvelé dans les dernières décennies, le Grand tour est
un paramètre décisif des circulations musicales dans l’Europe moderne.82 Le gouverneur des
fils du comte de Waldeck-Pyrmont, Joachim Christoph Nemeitz, était rompu à la préparation
et la planification de tels voyages. Après de nombreuses années de déplacements à travers toute
l’Europe, il rassembla le fruit de son expérience dans un Séjour de Paris, sorte de guide à l’usage
des jeunes Allemands de bonne condition qui faisaient halte dans la capitale française. Nemeitz
témoigne d’une conscience aiguë des opportunités musicales offertes par un séjour parisien, sou-
lignant que « l’on peut perfectionner sa Musique à Paris, où on en a l’occasion & du profit.83 » Il
donne quelques renseignements très concrets sur la vie musicale, évoquant bien sûr l’Académie
royale de musique et le collège des Jésuites, mais éclairant aussi des rouages moins connus de la
vie musicale parisienne comme les séries de concerts privés, le choix d’un maître de musique, ou
même les dangers qui guettent ceux qui se risquent à fréquenter les chanteuses d’opéra.84
C’est seulement quatre ans avant la sortie de ce guide que le prince Friedrich August II, le
fils aîné du prince électeur de Saxe et roi de Pologne Auguste le Fort, arriva à Paris pour inau-
gurer la partie française de son Grand tour. Tout comme Nemeitz, l’entourage du prince était
tout à fait conscient de l’importance du volet musical du séjour parisien, puisqu’ils s’étaient fait
accompagner par quelques-uns des meilleurs musiciens de la Hofkapelle : le Kapellmeister Johann
Christoph Schmidt, le Konzertmeister Volumier, le violoniste Johann Christian Richter et l’orga-
niste Christian Pezold. Le Grand tour de Friedrich August fut exceptionnel sur bien des plans :
il s’étendit sur une durée de huit ans (1711-1718) et fut marqué par un séjour de plus d’un an en
Italie, notamment à Venise (1716-1717). La musicologie a surtout retenu la partie italienne de ce
Grand tour, au cours de laquelle furent recrutés des musiciens d’exception – Antonio Lotti qui
avait déjà servi le duc de Hanovre Johann Friedrich, et Johann David Heinichen qui résidait en
Italie depuis 1713.

82 Voir en particulier Grand Tour. Adeliges Reisen und Europäische Kultur vom 14. bis zum 18. Jahrhundert, dir. Rai-
ner Babel et Werner Paravicini, Ostfildern 2005. Mathis Leibetseder, Die Kavalierstour. Adlige Erziehungsreisen
im 17. und 18. Jahrhundert, Cologne 2004. Eva Bender, Die Prinzenreise. Bildungsaufenthalt und Kavalierstour im
höfischen Kontext gegen Ende des 17. Jahrhunderts, Berlin 2011.
83 Joachim Christoph Nemeitz, Séjour de Paris, c’est-à-dire, Instructions fidèles, pour les Voiageurs de Condition, Lei-
den 1727, p. 69. La première édition allemande paraît en 1718. Sur l’environnement musical de Nemeitz, voir
Friedhelm Brusniak, « ‘Von Besuchung der publiquen und privat-Bibliothequen’. Die Empfehlungen des Fürst-
lich Waldeckischen Hofmeisters Joachim Christoph Nemeitz (1679-1753) an ‘Reisende von Condition’. Ein
Beitrag aus musiksoziologischer Perspektive », in : Frühneuzeitliche Bibliotheken als Zentren des europäischen
Kulturtransfers, dir. Claudia Brinker von der Heyde, Stuttgart 2014, p. 105-112.
84 Nemeitz, Séjour de Paris, p. 70-71 et 99-105.

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L’Europe galante comme marché du travail

Mais la musique et le recrutement de musiciens avaient occupé une place éminente dès la
partie française du Grand tour : les dépêches envoyées chaque semaine à Dresde révèlent que le
prince était souvent invité à des dîners, des bals et des concerts donnés à Paris, à Versailles ou à
Sceaux.85 Les musiciens de la Hofkapelle n’avaient pas pour seule mission d’agrémenter le voyage
du prince, mais également de nouer des contacts avec le monde musical parisien et peut-être
même de recruter d’autres musiciens. Ils n’apparaissent qu’une seule fois dans la correspondance
officielle, lorsque que le prince reçoit Maximilian Emanuel de Bavière le 14 décembre 1714 : ils
sont alors chargés de le « divertir après le repas par une petite musique de chambre ».86 Ce sont
sans doute eux qui, au cours de leur séjour parisien, avaient établi le contact avec le flûtiste de
l’ambassadeur de Turquie Pierre-Gabriel Buffardin.
Cinq ans avant son engagement à Dresde, Buffardin se trouvait en effet à Constantinople
dans la suite de l’ambassadeur français à la Grande Porte. La correspondance diplomatique du
marquis des Alleurs depuis la Turquie ne contient malheureusement pas de renseignements
sur le personnel qui l’accompagnait, et sa correspondance privée n’a pas pu être localisée.87 La
source de cette information est Carl Philipp Emanuel Bach, qui assure vers 1774, dans une lettre
à Forkel contenant plusieurs additions au document manuscrit intitulé Ursprung der musicalisch-
Bachischen Familie, que Johann Jacob Bach (1682-1722), le frère aîné de Johann Sebastian, avait
pris des cours de flûte avec Buffardin alors qu’il se trouvait à Constantinople comme hautboïste
de l’armée suédoise – celle-ci s’étant réfugiée avec le roi Charles XII de Suède dans la ville toute
proche de Bender, après sa défaite face à l’armée russe à Poltawa en Ukraine à l’été 1709, dans le
cadre des affrontements de la Grande guerre du Nord (1700-1721) :
Depuis Bender, [Johann Jacob Bach] se rendit à Constantinople où il prit des leçons de flûte auprès du
célèbre flûtiste Buffardin, qui était arrivé à Constantinople avec un diplomate français. Je tiens cette
information de Buffardin lui-même, alors qu’il était autrefois chez J. S. Bach à Leipzig.88

Buffardin transportait sans doute avec lui des partitions de musique française : Raschid Pegah
émet ainsi l’hypothèse que la copie manuscrite du premier livre de pièces de viole de Marin
Marais réalisée par Sven Agrell, le prédicateur de la délégation suédoise à Constantinople en
1710, pourrait avoir été faite sur un exemplaire de Buffardin.89
Sans doute né à Avignon le 29 juin 1689, le musicien reçut à Marseille une formation musi-
cale sur laquelle nous n’avons aucun renseignement.90 Buffardin rédigea lui-même une notice
autobiographique dans une liste de personnel où tous les musiciens de la Hofkapelle en poste à
Dresde en 1718 indiquèrent leur nom, leur âge, leur origine et la date de leur engagement, proba-
blement pour des raisons administratives de calcul d’âge et d’ancienneté :
Pierre Gabriel Buffardin né en provence Elevé a Marseille agé d’environ vingt et sept ans Musicien du
Roy depuis la foire d. St. Michel 1716.91

85 Pour une présentation détaillée de ce voyage, voir Louis Delpech « ‘Abends zu einem Concert de musique ein-
geladen.’ Aspects musicaux du séjour parisien de Friedrich August II de Saxe (1714-1715) », in : Les foyers artis-
tiques à la fin du règne de Louis XIV (1682-1715). Musique et spectacles, dir. Anne-Madeleine Goulet, Rémy Cam-
pos, Mathieu Da Vinha et Jean Duron, Turnhout 2019, p. 277-295.
86 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 758/4, fol. 196.
87 AAE, Turquie 50-56.
88 BD III, Dok. 802, p. 287 : « Von Bendern ist er nach Constantinopel gereiset u. hat da von dem berühmten Flöte-
nisten Buffardin, welcher mit einem Französischen Gesannten nach Constantinopel gereist war, Lektion auf der
Flöte genommen. Diese Nachricht gab Buffardin selbst, wie er einstens bey J. S. Bach in Leipzig war. »
89 Rashid Sascha Pegah, « Begegnungen in Konstantinopel und Leipzig. Pierre Gabriel Buffardin und Johann
Jacob Bach », Bach Jahrbuch, 97, 2011, p. 287-292.
90 L’acte de naissance est retrouvé par Ingrid Kollpacher-Haas, « Pierre-Gabriel Buffardin. Sein Leben, sein
Werk », Studien zur Musikwissenschaft, 25, 1962, p. 298-306.
91 HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 5, fol. 92. Sur ce document, voir Kai Köpp, « Ein Musikerverzeichnis
aus dem Jahr 1718 als Referenzquelle für die Dresdner Kapellgeschichte », in : Johann Georg Pisendel. Studien
zu Leben und Werk, dir. Ortrun Landmann et Hans Günter Ottenberg, Hildesheim 2010, p. 353-382.

– 31 –
Chapitre 1

C’est probablement par l’intermédiaire de la famille des Alleurs qu’il fut engagé pour le compte
de la cour de Dresde à la fin de l’année 1715. En effet, le journal de Kos, accompagnateur du
prince, garde la trace de nombreuses visites échangées entre le prince de Saxe et Madame des
Alleurs – « femme de Mr. Desalleurs ambassadeur à Constantinople », ainsi que le note Kos le
25 novembre 1714, date où le prince l’invite pour la première fois – jusqu’au départ du premier
en juin 1715. Ces visites mutuelles étaient fréquemment accompagnées de jeux de cartes, de col-
lations, mais aussi de concerts de musique, ainsi que le note par exemple Kos à la même date :
Le soir, il y eut des dames chez le prince électoral, Madame Villafranche [sic] née de Frisen en Saxe,
avec ses deux filles, Mademoiselles [sic] Villefranche et Montbrun, Madame Desalleurs, femme de Mr.
Desalleurs ambassadeur à Constantinople, née Lützebourg, Mr. le marquis de Gèvres, Mrs. Lubomirscy,
Mr. Kospott, Mr. Suhm, Mr. Montbrun, Mr. Minquitz, Mr. Michałowski. Tous étaient assemblés, et
avant le jeu de l’ombre il y eut un concert de musique. Après la collation, on joua au basset, concert de
musique également.92

Les 17 et 21 mars 1715, c’est l’ambassadeur lui-même (« le comte Desalleurs ») qui rend respecti-
vement visite au prince et à Kos, avec à chaque fois des concerts de musique privés.93 Il est donc
tout à fait probable que le prince et certains de ses accompagnateurs purent entendre Buffardin
lors d’un de ces concerts et arrangèrent ensuite son transfert à la cour de Dresde. Ceci suggère
que Buffardin se trouvait donc à Paris au printemps 1715 au service de l’ambassadeur, avant d’être
recruté, sans doute directement par le prince ou les musiciens qui l’accompagnaient. Il arriva à
Dresde le 1er novembre 1715, ainsi que le mentionne l’ordre pour le versement de son premier
salaire de 500 Thaler par an.94 Dans les Hofbücher, Buffardin est toujours qualifié de « Flûte
allemande », avec quelques variantes orthographiques.95 C’est également le cas dans les listes de
personnel rédigées vers 1717-1718 puis en 1733.96
Un autre musicien parisien fut aussi démarché pendant le Grand tour de Friedrich August :
François Godefroy Beauregard, le fils du hautboïste François Adam Beauregard qui avait séjour-
né quelques mois à Celle avant d’être engagé à Berlin en décembre 1681. Né à Berlin en 168497,
l’enfant dut rentrer à Paris peu après la mort de son père, puisque sa mère Marie Letellier se
remarie à Saint-Germain l’Auxerrois le 2 mars 1692.98 En 1711, un certain « Sieur Beauregard »
est mentionné par le Mercure galant comme « Maître de la Musique de la Chapelle » de Joseph
Clemens, évêque de Cologne, lors d’une messe célébrée au Val-de-Grâce pour son jubilé sacer-
dotal.99 Il s’agit sans aucun doute de François Godefroy, que le prince de Saxe pourrait avoir
rencontré chez l’évêque de Cologne où il se rendait régulièrement. Là encore, le contact avait sans
doute été établi par les musiciens. François Godefroy Beauregard est employé comme chanteur
haute-contre par la cour de Dresde dès décembre 1714, sur le même document que d’autres musi-
ciens engagés pendant le séjour du prince en France.100

92 Aleksander Kraushar, Podróże królewicza polskiego, póżniejszego Augusta III [Voyages du Prince royal polonais,
futur Auguste III], vol. 2, Lwów 1911, p. 19-20.
93 Aleksander Kraushar, Podróże królewicza polskiego, p. 43-44.
94 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 143. Buffardin est engagé en même temps que
d’autres comédiens, musiciens et danseurs recrutés par le prince durant la suite de son voyage.
95 HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 5, fol. 89 : Flute Allemand. K II Nr. 6, fol. 4 : Fleute Allemant. K II Nr. 6,
fol. 75r : Fleute Allemande. K II Nr. 7, non folié, K II Nr. 8, non folié : Fleute Allemante.
96 HStA Dresden, 10006 OHMA, Loc. 383/2, fol. 121 et 138. Loc. 907/4, fol. 1.
97 HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 5, fol. 91 : « François Godfroid Beauregard né a berlin le 30 octobre
1684 et Elevé à paris, entré au service de Sa majesté le roy de pologne et Electeur de Saxe l’an 1715. »
98 F-Pn, Fichier Laborde, NAF 12046, fiche 3276 : « Du lundy deuxiesme mars 1692, Pierre Creholet, aagé de
trente-cinq ans, cuisinier, et Marie Letellier, aagé [sic] de trente ans passés, veuve de François Adam Beaure-
gard, vivant musicien de Monsieur l’électeur de Brandebourg […] ».
99 Mercure galant, mars 1711, p. 133-137 : l’évêque « celebra la Messe chantée par la Musique sous la conduite du
Sieur Beauregard, Maistre de la Musique de la Chapelle de ce Prince. »
100 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/2, 14 nov. 1715, fol. 37.

– 32 –
L’Europe galante comme marché du travail

C’est seulement après avoir passé son deuxième hiver à Paris, en juin 1715, que le prince
quitta la capitale, rejoignant d’abord Lille pour redescendre le littoral jusqu’à Rouen, Saint-Malo
et Brest, avant de gagner Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Grenoble. Il s’arrête à Lyon avant
de passer en Italie, attendant qu’on lui donne la permission de se rendre à Venise afin d’y pas-
ser le carnaval. Après plusieurs refus, l’autorisation lui fut accordée de guerre lasse.101 Pendant
cette étape lyonnaise de deux mois, on note la visite régulière de l’opéra de Lyon, où deux nou-
veaux intendants venaient de prendre leurs fonctions : Antoine Michel et un certain Debargues,
membre d’une famille de musiciens et de maîtres à danser lyonnais.102 Un Debargues avait été
engagé comme « maître des ballets » à la cour de Dresde en juin 1709, avant d’être renvoyé avec
sa femme en juin 1714.103 C’est seulement un an et demi plus tard, pendant le séjour du prince
à Lyon, que le couple de danseurs fut réintégré dans les effectifs de Dresde.104 Il s’agit bien des
mêmes personnes, puisque le mandat de Debargues à la tête de l’opéra de Lyon fut de courte
durée : en février 1716, plusieurs créanciers engagèrent des poursuites contre les deux anciens
directeurs de l’opéra devant la Sénéchaussée de Lyon.105
Parmi les signataires de l’acte de poursuite figurait Jean David Drot, qui fit baptiser un
fils à Sainte-Croix lès Lyon en mars 1716. Ce musicien arriva à Dresde dès le mois de janvier
1716, en compagnie de sa femme et de sa fille, la danseuse Mademoiselle Clément.106 Le prince
avait donc profité de son séjour à Lyon pour prendre contact avec des musiciens de l’opéra et les
engager pour la cour. Il avait même avancé sur ses deniers personnels leur salaire pour le mois de
janvier 1716, puisqu’il demande plus tard qu’on le rembourse par l’intermédiaire de son valet de
chambre Hoffmann.107 Le danseur Cherrier a également été engagé à Lyon en compagnie de sa
femme. Ces différents exemples mettent parfaitement en lumière le rôle central du Grand tour
dans la formation de l’Europe galante, non seulement dans la perspective d’une histoire des élites
aristocratiques, mais plus encore comme facteur de mobilité des musiciens.

Diplomaties de la musique française


« Du temps de M. de Louvois, tous les maîtres de danse et d’escrime étaient salariés, afin
d’espionner ce qui se passait dans les cours d’Allemagne.108 » Cette affirmation de Madame

101 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 785/5, fol. 175-187. Auguste le Fort interdit d’abord formelle-
ment à Friedrich August d’aller passer le carnaval à Venise : « Au sujet de la permission que S. M. lui donne,
de retourner en Italie et de passer le Carnaval à telle Cour qu’il voudra, excepté Venise » (fol. 175). Cinq jours
plus tard, il lui enjoint « de ne point aller à Turin » (Dresde 25 nov. 1715, fol. 176). Finalement, dans une lettre
adressée à Kos (Guber, 20 déc. 1715) il l’autorise finalement à se rendre à Venise.
102 Léon Vallas, Un siècle de musique et de théâtre à Lyon (1688-1789), Lyon 1932, p. 18-19.
103 Auguste le Fort avait fait la connaissance de la danseuse Debargues à Bruxelles, lors de la campagne militaire
de 1709, juste après avoir embauché la troupe de Villedieu : Fürstenau, Zur Geschichte der Musik und des Theaters
am Hofe der Churfürsten von Sachsen und Könige von Polen, vol. 2, Dresde 1862, p. 7-49. HStA Dresden, 10026
Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, 28 juin 1709, fol. 92 et Loc. 383/2, fol. 41 : « Der Tanzm. de Barques und seiner
Frau, haben mit ult. Juny 1714 ihre dimission erhalten. »
104 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/2, 12 nov. 1715, fol. 39 : « Monsieur Debarques, als Maître
des ballets, seine Frau und Monsieur Cherrier, seynd zu Johannis d.c. wiederum in Dienste gekommen. »
105 Vallas, Un siècle de musique, p. 140-142.
106 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4 fol. 150-153.
107 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 151 : « Specification Waß Ihro Hoheit d. Königl.
Chur Prinz vor die auf Ihro Königl. Mayt. genädigsten Befehl aufgenommenen dreÿ Personen in Lyon, zu d.
franc: Comedie der Zeit an Besoldung avansiren lassen. […] Umb welchen Vorschus Ihro Hoheyt d. Prin: Ihro
Königl. May. bittet, alhier wie an mich restituiren zu laßen, die weilen ich ordre hab, daß quantum von der
Meße, nacher Frankreich zu remitiren. »
108 Lettre d’Elisabeth Charlotte von der Pfalz, duchesse d’Orléans, à la comtesse Palatine Louise, Paris, 19 mars
1716. Pierre Brunet, Correspondance complète de Madame Duchesse d'Orléans née Princesse Palatine, vol. 1, Paris
1855, p. 222. Voir aussi la lettre du 26 juin 1716, p. 248 : « M. de Louvois seul était bien servi par ses espions,
mais il n’épargnait pas l’argent : tous les Français qui étaient en Allemagne ou en Hollande étaient des espions
à ses gages ; maîtres de danse ou d’escrime, écuyers, serviteurs, dans toutes les cours. Après sa mort on n’a pas
continué ce système ; voilà pourquoi les ministres d’aujourd'hui sont si ignorants. »

– 33 –
Chapitre 1

Palatine comporte sans doute une part de fantasme, en supposant l’existence de services secrets
au service de l’ancien ministre de la guerre. Mais il est vrai que trois ans après la mort de Louvois,
le nœud postal de Celle commençait à jouer le rôle d’un véritable « filtre » dans la correspondance
entre la France et ses représentants diplomatiques en Europe du Nord, à travers la collecte et
la diffusion d’informations contenues dans les lettres qui étaient systématiquement ouvertes et
déchiffrées. Les alliés de Georg Wilhelm étaient ainsi parfois plus rapidement avertis des déci-
sions de Versailles que les ambassadeurs français dans les pays nordiques.109
La remarque de Madame Palatine n’est ainsi peut-être pas tout à fait dénuée de fondement.
Elle-même avait bien connu le maître à danser Élie Jemme, qu’elle appelle affectueusement
« mon maître110 » et qui semble avoir rempli des missions diplomatiques officieuses entre Paris
et Osnabrück. C’est en tout cas ce que suggèrent quelques quittances conservées dans les papiers
d’un certain Fuzelier, officier (« Hofjunker ») à la cour d’Osnabrück et qui servait d’agent diplo-
matique.111 On trouve ainsi un « Memoire des depenses que Mr Jemme a fait pour Mr Le Fuselier
par son ordre » signé par Jemme le 14 mars 1676, qui contient de menues dépenses courantes faites
à Paris et en Hollande.112 Dans une lettre jointe à ce document, on découvre que Jemme avait
remboursé de la part de Fuzelier une dette de 1000 Thaler à Jean Hérault de Gourville, l’une
des figures d’élite de la diplomatie française.113 Les comptes de Jacques de Rozemont, représen-
tant du duc Ernst August à Paris, montrent également que Jemme envoyait entre trois et cinq
paquets par mois à Paris en 1676.114 Si le contenu des lettres et des paquets évoqués demeure
inconnu, le volume de la correspondance suggère un échange très intense entre le maître de danse
et les milieux diplomatiques. L’appartenance de musiciens à des réseaux informels d’information
est aussi illustrée par le « Fragment d’une lettre d’un des Violons du Duc de Zelle à un de ses
amis sur le Mercure hebdomadaire du Sieur Chappuzeau le Père » conservé à la bibliothèque de
Wolfenbüttel. Texte au caractère hybride, semi-diplomatique et semi-privé, cette lettre en forme
de gazette ne relate pas de nouvelles personnelles, mais seulement (à la manière d’une dépêche
d’ambassadeur) des épisodes très variés de la vie politique et mondaine locale, rédigés clairement
et parfois plaisamment par un violoniste de la cour qui ne peut malheureusement pas être identi-
fié : la fondation d’un nouveau journal à Celle par Chappuzeau ou encore les démêlés d’une jeune
française avec un ambassadeur et les princes de Wolfenbüttel.115
Mais plus que d’hypothétiques réseaux d’espions au service du ministère de la guerre, ce sont
surtout les réseaux diplomatiques classiques qui forment le support décisif d’une circulation des
artistes élargie à l’ensemble de l’Europe. Les mutations profondes du métier d’ambassadeur sous
les ministères de Croissy et Torcy contribuent à accroître ce rôle traditionnel : la professionnali-

109 Stewart P. Oakley, « The Interception of Posts in Celle, 1694-1700 », in : William III and Louis XIV. Essays 1680-
1720 by and for Mark A. Thomson, dir. Ragnhild Hatton et John Selwyn Bromley, Liverpool 1968, p. 95-116. Ce
phénomène est appelé « filtre hanovrien » par Lucien Bély, Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV, Paris
1990, p. 140-142.
110 Lettre d’Elisabeth Charlotte von der Pfalz à Sophie von der Pfalz, Saint-Cloud, 5 août 1673. Eduard Bode-
mann, Aus den Briefen an die Kurfürstin Sophie von Hannover, Hanovre 1891, p. 2-3.
111 NLAO, Rep. 110 I Nr. 259. Sur la mort de Fuzelier, voir aussi Rep. 110 I Nr. 19.
112 NLAO, Rep. I Nr. 259, fol. 7.
113 NLAO, Rep. I Nr. 259, fol. 26.
114 NLAH, Cal. Br. 23 Nr. 140, fol. 95-118 (« Compte que Jacques de Rozemont Rezident a la Cour de France
pour son altesse Serenissime Monsieur le Duc Ernest Auguste de Brunswik et Lunebourg Prince et Evesque
d’Osnabruck &c. a l’honneur de luy rendre pour l’année 1676 »). Quelques exemples : « Le 3e de janvier [1676]
il fut payé un Escu pour un paquet de lettres recü de la poste dont le dessus est de la main de M. Jemme. […] Le
mesme jour [17 fév.1676] quarente quatre sols pr deux pacquets un de la main de Mr de Genebar du 8 de vingt
six sols et l’autre de dix-huit de Mr Jemme, marqués sur le dessus de sa lettre envoyée à Melle Jemme. […] Le 15
[août 1676] pour une lettre de Sr Angeau musicien de S.A.R. 8 s. »
115 D-W, Cod. Guelph. 383 n°5, Celle 27 fév. 1685. Sur la fondation de Mercures en Europe du Nord, voir Marion
Brétéché, Les Compagnons de Mercure. Journalisme et politique dans l’Europe de Louis XIV, Paris 2015. Pour une
réflexion sur le statut de la lettre diplomatique, voir Sébastien Schick, Les Liaisons avantageuses. Ministres, liens
de dépendance et diplomatie dans le Saint-Empire romain germanique (1720-1760), Paris 2018, p. 237-270.

– 34 –
L’Europe galante comme marché du travail

sation et la diversification du corps diplomatique, désormais composé non seulement de grands


ambassadeurs mais aussi d’une phalange de négociateurs et de ministres plénipotentiaires aux
fonctions très variées, multipliaient les possibilités d’emploi pour les musiciens. Les négociations
d’Utrecht en 1712 sont un exemple fameux d’imbrication étroite entre cérémonial diplomatique,
divertissement et patronage musical.116 Cette coexistence ne se limitait toutefois pas aux grand-
messes internationales ou aux évènements extraordinaires. Le journal du duc de Wolfenbüttel
Ludwig Rudolf fournit un aperçu sur une réalité beaucoup plus quotidienne en évoquant la pré-
sence de musiciens français dans la suite du marquis de Bonnac.117 Le 24 janvier 1701, deux musi-
ciens français jouent pendant un dîner chez l’ambassadeur de France à Wolfenbüttel : un père
et son jeune fils, qui semble ne pas avoir plus de dix ans mais joue à la perfection de la flûte et
du hautbois.118 Le 24 décembre de la même année, une musicienne française nommée Marianne
chante et se fait entendre sur la viole d’amour à trois reprises lors de dîners au château.119 Les jours
suivants, cette musicienne se fait à nouveau entendre à table chez l’ambassadeur lui-même.120
Enfin, il faut noter que certains musiciens participent à la diplomatie de manière très directe en
devenant eux-mêmes diplomates accrédités : Jean-Baptiste Farinel, maître de chapelle à Hanovre,
est nommé ambassadeur à Venise de la principauté allemande à partir de 1713, mettant ses pas
dans ceux d’Agostino Steffani, abbé compositeur doublé d’un diplomate de haute volée.121
Un dernier exemple montre enfin que les musiciens pouvait parfois servir de monnaie
d’échange dans les relations diplomatiques. Le maître à danser Georges Desnoyers, après un
court séjour à Londres en 1721-1722, fut engagé à Hanovre pour enseigner la danse au prince
de Galles, Friedrich Ludwig.122 Il représente à trois reprises son nouvel élève princier comme
parrain lors du baptême de musiciens dans les registres paroissiaux de Hanovre.123 En 1733, il est
engagé comme Tanzmeister à la cour de Dresde. Deux ans plus tard, l’ambassadeur de Pologne en
Angleterre Johann Adolph von Loss envoie une demande un peu particulière au roi de Pologne
et électeur de Saxe August III :
Le lever fini le Prince s’étant rétiré [sic], il me fit apeler dans son Cabinet, et me dit qu’il avoit encore
à me parler confidemment sur certain point qui regardoit le Maitre de danse Denoyer. Sur cela Son
Altesse Royale me donna à connoitre, qu’Elle devoit m’avouer, que malgré les réprésentations que celui
Lui avoit faites, et malgré le désespoir qu’il Lui avoit marqué d’encourir la disgrace de Vôtre Majesté,
en surpassant le terme qui Lui avoit été prescrit pour Son retour, Elle avoit rétenu le dit Denoyer pour
enseigner les Princesses Ses Sœurs, et l’avoit obligé par un ordre absolu de rester ici trois mois au delà de
sa permission. Le Prince ajouta à cela qu’enhardi par l’étroite amitié qui regnoit entre le Roi Son Pere
et Vôtre Majesté, et se flattant qu’Elle ne le prendroit pas mauvait [sic], il s’étoit permis cette liberté, et
il me chargea non seulement de Lui en faire des excuses, mais aussi de la suplier de sa part, d’agréer que
Denoyer passât dans Son service, Son Altesse Royale ne pouvant me dissumiler [sic] qu’Elle avoit pris
depuis longtems beaucoup d’affection pour cet homme.
La dessus le Prince m’ayant fait sentir qu’il seroit fort obligé à Vôtre Majesté si Elle vouloit bien le Lui
ceder, ce qu’Il ne Lui demandoit néantmoins pas qu’à condition de le Lui renvoyer, en cas qu’Elle voulût
le ravoir dans la suite, il me protesta encore qu’en tous temps il s’empresseroit de trouver des occasions
pour marquer le désir sincère qu’Il avoit d’obliger à Son Tour Vôtre Majesté. Il conclut par me dire, qu’il
ne sauroit se dispenser de rendre justice à Denoyer, en ce qu’il n’avoit point pris, ni jamais voulu prendre
aucun engagement chés Lui, à moins que Vôtre Majesté ne daignât gracieusement y consentir. De mon
côté je répondis au Prince par des Complimens reciproques, en l’asseurant en termes généraux du désir

116 Quelques éléments dans Bély, Espions et ambassadeurs, p. 391-402.


117 D-W, Cod. Guelf. 28 Blankenburg : Diarium Ser[enissi]mi Princip[is] Ludovici Rudolphi Brunsvicensium ac
Luneburg, 1701. Sur le marquis de Bonnac, voir Bély, Espions et ambassadeurs, p. 709-713.
118 D-W, Cod. Guelf. 28 Blankenburg, 24 janv. 1701, p. 2. Voir la transcription du journal Chapitre 4, p. 236-238.
119 D-W, Col. Guelf. 28 Blankenburg, 24 déc. 1701, p. 129.
120 D-W, Cod. Guelf. 28 Blankenburg, 25 déc. 1701, p. 129-130.
121 Sur Steffani, voir Claudia Kaufold, Ein Musiker als Diplomat : Abbé Agostino Steffani in hannoverschen Diensten
(1688-1703), Bielefeld 1997. Sur Jean-Baptiste Farinel, voir Chapitre 3, p.184-185.
122 Moira Goff, « Desnoyers, Charmer of the Georgian Age », Historical Dance Volume, 4/2, 2012, p. 3-10.
123 BAHild, KB Nr. 780, Taufbuch 1711-1777, 5 fév. 1724, 16 avr. 1725, 28 oct. 1728, p. 157-158, 161, 172.

– 35 –
Chapitre 1

de Vôtre Majesté à faire plaisir à Son Altesse Royale, et que je ne manquerai point de faire incessamment
mon tres humble rapport à Vôtre Majesté de la commission dont il s’agissoit.
En attendant en toute soumission les gracieux ordres de Vôtre Majesté, touchant la réponse dont Elle
voudra bien me charger pour le Prince, je prens la liberté de Lui faire remarquer encore que je sais de
science certaine que l’afaire en question tient fortement à cœur au Prince, et que Denoyer ayant été élevé
avec Luy, ainsi qu’il est devenu une espère de favori, Son Altesse Royale verroit avec beaucoup de plaisir
qu’il entrât dans Son service.124

Dans cette lettre, Georges Desnoyers apparaît d’abord comme un objectif diplomatique, puisque
la demande de son engagement à Londres passe par l’ambassadeur, mais aussi un moyen de mon-
nayer de futurs services diplomatiques : le prince de Galle promet ainsi tout à fait explicitement
de « trouver des occasions » pour payer en retour August III si celui-ci voulait bien lui céder son
maître de danse. La proposition londonienne fut acceptée, et la cour de Dresde envoya Desnoyers
au service du prince en y voyant très explicitement une marque de proximité politique.125 Une fois
à Londres, Georges Desnoyers devint rapidement une figure clé de la scène londonienne, se pro-
duisant dans les théâtres de Drury Lane et de Covent Garden qu’il avait déjà fréquentés pendant
son premier séjour, où sa présence fut médiatisée sur une longue période de dix ans (1732-1742) à
grand renfort de publicité et d’annonces de presse.126 Ce passage d’un milieu de cour à un milieu
urbain est aussi celui d’une gloire et d’une valeur individuelles, nées de l’attachement personnel
à un patron, à une forme plus collective et publique de célébrité : il ne représente nullement une
exception, mais allait peu à peu devenir la règle commune.

Marginalité religieuse et itinéraires d’un blasphémateur


À Dresde, la présence de musiciens italiens catholiques à la chapelle luthérienne de la cour avait
provoqué d’importantes tensions confessionnelles dans la première moitié du xviie siècle.127 Mais
la conversion d’Auguste le Fort ouvrit une période de tolérance plus grande vis-à-vis des catho-
liques. L’arrivée de Jean-Baptiste Volumier à Berlin puis à Dresde est un excellent exemple de la
porosité accrue des frontières confessionnelles dans l’espace germanique et de l’acceptation so-
ciale croissante d’individus situés en marge de l’orthodoxie religieuse. De confession catholique,
Volumier est surtout connu pour avoir organisé une célèbre joute musicale qui devait opposer
en 1717 l’organiste du roi Louis Marchand à Johann Sebastian Bach.128 On ignorait tout, en re-
vanche, des raisons qui l’avaient conduit à la Hofkapelle de Dresde, où son arrivée en 1709 marqua
pourtant un tournant décisif pour l’institution puisqu’il introduisit un répertoire nouveau et des
pratiques d’exécution françaises comme Konzertmeister. Le musicien résume lui-même son par-
cours sur la liste de 1718 (Illustration 1.2). Le maître des concerts écrit son nom sous la variante
« Woulmyer », qui apparaît souvent dans les sources, indiquant sans doute une origine flamande.
Volumier se décrit comme « natif espagnol » et pourrait donc venir des Pays-Bas espagnols :
J. Baptiste Woulmyer maître de Concert et Entré au service de sa Majesté l’année 1709. Natif Espagnol
Elevé a la Cour de france agé de 40 ans passé.129

124 Lettre de Johann Adolph von Loss à August III, Londres, 15 nov. 1735. HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabi-
nett, Loc. 907/4, fol. 37.
125 Lettre d’August III à Johann Adolph von Loss, Varsovie, 6 déc. 1735. HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabi-
nett, Loc. 907/4, fol. 40 : « je consens même à ce que le Prince le prenne à Son Service, puisque Je suis bien aise
d’avoir par là occasion de donner à ce Prince Royal quelque marque de Mon penchant et empressement pour
l’obliger et de pouvoir contribuer à Ses plaisirs et divertissements. »
126 Goff, « Desnoyers, Charmer of the Georgian Age ».
127 Mary E. Frandsen, Crossing Confessional Boundaries. The Patronage of Italian Sacred Music in Seventeenth-Cen-
tury Dresden, Oxford 2006, p. 76-100.
128 BD III, Dok. 666, p. 83-84.
129 HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 5, fol. 91.

– 36 –
L’Europe galante comme marché du travail

Illustration 1.2. Notice autobiographique de Jean-Baptiste Volumier. HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 5, fol. 91.

Né dans les années 1670, Volumier affirme avoir été élevé à la cour de France. Aucune source ne
confirme sa présence en France, mais un extrait des registres d’insinuations du Châtelet de Paris
fait mention de deux Volumier demeurant au Palais Royal en 1672 : il s’agit de Jean-Jacques et
de Jonas Volumier, deux frères qui avaient appartenu à la domesticité de la maison, respective-
ment comme garde suisse de Mademoiselle (Anne Marie Louise d’Orléans) et grand valet de
pied de Madame (Marguerite de Lorraine).130 La même année, et jusqu’en 1687, un certain Pierre
Habert, sieur de Volumier, est mentionné parmi les « Huit Fouriers » de la maison d’Orléans dans
l’État de la France.131 Il est donc probable que Jean-Baptiste avait des origines dans la domesticité
de la maison d’Orléans. En effet, le Palais Royal semble avoir été une sorte de pont musical entre
la France et l’Empire dès la fin des années 1660, sous l’impulsion d’Henriette d’Angleterre, puis
à partir de 1671 sous celle de Madame Palatine.132
Le 22 novembre 1692, Volumier est engagé à la cour de Brandebourg comme maître à dan-
ser (« Hoftanzmeister »). Ses fonctions incluaient la supervision de la musique pour la danse et les
ballets, et l’enseignement de la danse aux jeunes nobles de la Ritterakademie à Berlin.133 Les cir-
constances tumultueuses de son départ après quinze ans de service en 1708 donnèrent lieu à une
production importante d’actes administratifs et judiciaires, puisque l’enjeu n’était rien moins que
la tenue d’un procès et la condamnation du maître à danser, accusé de blasphème par plusieurs
collègues de la Hofkapelle. Ces actes, qui ont émergé parmi les archives judiciaires et ne sont pas
référencés dans les archives de la Hofkapelle, étaient jusqu’à présent inconnus.134
La première plainte fut déposée le 4 septembre 1706 par quatre musiciens de la chambre dont
les noms ne sont d’abord pas précisés : il s’agit de Christian Lehmann, Gottlieb August Petzold, Just
Bernhard Gottfried Wiedemann et Heinrich Gottfried Pepusch, qui étaient tous à cette époque
Kammer- und Reisemusikanten (musiciens de la chambre et du voyage) à la cour de Berlin et qui
peuvent être identifiés dans d’autres documents ayant rapport au procès. Ce premier témoignage
porte sur des faits situés « quelques années » auparavant : les quatre musiciens, ayant dû se rendre
à Magdeburg par ordre du prince, se mirent « selon l’habitude chrétienne » à entonner des chants
religieux de bon matin dans la voiture qui les y emmenait, et commencèrent à parler de religion.135

130 AN, Registres des insinuations du Châtelet de Paris, Y 225, fol. 196 : Jean-Jacques Volumier, suisse ordinaire
de la garde de Mademoiselle d’Orléans, Souveraine de Dombes, et Jonas Volumier, grand valet de pied de feue
la duchesse douairière d’Orléans, frères, demeurant ensemble au Palais d’Orléans, à Saint-Germain des Prés
lez Paris : donation mutuelle. Le document indique qu’aucun des deux n’avait femme ni enfant.
131 État de la France, Paris : Besongne, 1672, p. 432. Pierre Habert apparaît de nouveau comme fourier au Palais
Royal dans les États de la France en 1674 (p. 444), en 1677 (p. 431), en 1678 (p. 462), en 1682 (p. 522), en 1683
(p. 546), en 1684 (p. 503), en 1686 (p. 603), en 1687 (p. 704). Dans l’édition suivante de 1692, il n’apparaît plus.
132 Voir Chapitre 2, p. 90-93.
133 Sachs, Musik und Oper am kurbrandenburgischen Hof, p. 68 et 182.
134 Je remercie Rebekah Ahrendt et Lionel Laborie d’avoir attiré mon attention sur ces documents qui lèvent le
voile sur un épisode mystérieux de la chapelle berlinoise. Voir par exemple Sachs, Musik und Oper am kurbran-
denburgischen Hof, p. 180-181, à propos du renvoi de Christian Lehmann à la suite de son implication dans
l’affaire Volumier : « Dann ließ er sich in Umtriebe ein, deren nähere Natur wir nicht kennen, und wurde
infolgedessen seines Amtes enthoben. »
135 GStA PK, Rep. 47 Nr. 20a, fol. 5 : « Als vor einigen Jahren, auff Seyner Königlicher Maÿestät allergnädigste Hohe
Ordre, wir Endes unterschriebene, nach Magdeburg allerunterthänigst folgen müßten, haben wir der Christ-
lichen Gewohnheit nach, in unserer Kutschen frühe morgens, Gott zu Ehren, einige Morgen und andere Lieder

– 37 –
Chapitre 1

Volumier, qui était assis avec eux, leur aurait alors demandé s’ils étaient vraiment assez stupides
pour croire de telles fariboles, et penser que Dieu serait descendu du ciel pour se laisser crucifier.
Lui ayant demandé s’il n’avait jamais lu les Écritures, ou s’il ne pensait pas que la Bible était la
parole de Dieu, ils se virent répondre par Volumier qu’il « emmerdait la Bible et les Apôtres ». Un
second témoignage, daté du 6 septembre 1706, est signé par deux autres musiciens de la chambre,
Otto Gerhard Verdion et Franz Forstmeyer. Il porte sur un fait beaucoup plus récent, situé la
même année, et implique non seulement les deux musiciens de la Hofkapelle berlinoise, mais encore
le très célèbre et très catholique maître de chapelle de l’Empereur à Vienne, Johann Joseph Fux :
chez le pâtissier de la cour Goldschmidt et en leur présence à tous, à l’occasion d’une conversation
roulant sur la religion et la nécessité de travailler à l’unité des différentes confessions chrétiennes,
Volumier aurait dit qu’il « chiait sur toutes les religions », qu’il y avait « plus de réconfort dans
un seul verre de vin que dans le baptême et tous les autres sacrements », et que toutes les Églises
chrétiennes (catholique, luthérienne et réformée) étaient de véritables maisons de prostitution,
et – après avoir répété que « foutre », il emmerdait toutes les religions – il aurait même ajouté qu’il
ne « connaissait pas d’autre dieu que sa viole de gambe ».136 Les témoins se déclarent prêt à renou-
veler ce témoignage sous serment. D’autres documents du même fonds d’archive mentionnent un
mystérieux « Patron » haut placé dans la hiérarchie curiale, le Hofrat Christian Rabe, qui aurait
cherché à protéger Volumier et à l’exonérer de ces accusations par tous les moyens.137
Mais même muni de cette protection, Volumier ne pouvait désormais plus échapper à la
tenue d’un procès et à une probable condamnation. Il demanda au prince un sauf-conduit, qui
lui fut accordé en mai 1707.138 Ce n’est que deux ans plus tard que Volumier refit surface. En mars
1709, une copie d’une lettre de Christian Duden (secrétaire à la cour de Dresde) à son frère Johann
Caspar Duden (maître de danse à Berlin), indique que Volumier se trouve à Dresde, où il dirige
l’orchestre et gagne plus de 1000 Thaler par an.139 Dès le mois de mai 1709, le prince électeur de

angestimmet und gesungen, dann nach Vollbrachtem Gesange, eine und andere Christlichen Discurse geführet,
unter anderen auch die sonderbahre Gnade Gottes und Seines geliebten Sohnes Jesu Christi gebührende gepreÿ-
set und gerühret; Worauf der Franzose Voulmier, welcher nebst uns in der Kutschen gesessen, öffentlich und
ungescheuet, uns in faciem gesaget: Ob wir denn so albern wären, und gläubten solche Narrheiten, (absit Blas-
phemia!) daß Gott vom Himmel gekommen seÿ und hätte sich sollen Kreuzigen laßen? Über welche Gottes=läs-
terliche Worte wir insgesambt solche erschrocken und ihm darauf geantworttet: Ob er denn niemahls die Heÿl.
Schrifft gelesen, od[er] die Heÿl. Biebel nicht vor Gottes=Wort hielte? Worauf er abermahls seine Gottes-läs-
terliche und höchststraffbahre Antwort gab: (S[alva] V[enia]) er schiße was in die Biebel und alle Apostel; daß
dieses nun leÿder Gott erbarm es! in der That würklich passiret, können wir auff begehren, mit einem Juramente
bekräfftigen, weshalb wir uns auch eigenhändig unterschrieben und unsere gewöhnliche Petschaffte darunter
gedrucket; So geschehen berlin den 4:ten 7br: 1706. Vier damahlige Königl: Cammer Musici. »
136 GStA PK, I HA Rep. 47 Nr. 20a, Document 1, fol. 5-6 : « Wir Endes unterschriebene attestiren und bezeugen
hierdurch auff unser Gewißen, wie daß vor einiger Zeit und zwar in diesem ietztlauffenden 1706.ten Jahre,
In Ihro Königl. Hoheit, des durchlauchtigsten Ehren-Printzens, bestalten Hoff:Conditors Hn: Goldschmids
Logiamente, der Franzose Voulmier sich in Gegenwarth Sey: Römischen=Kaÿserl: Maytt: Compositoris, Hn:
Fux, Hn: Friedels, und unserer zu Ende unterschriebenen, öffentl. und ungescheuet, mit diesem Höchststraff-
bahren Gottes=lästerl. Worten heraus gelaßen, sagend: (S[alva] V[enia]) er schiße was in alle Religionen, in
einem einzigen Gläßlein Wein, seÿ mehr Krafft, als in der Heÿligen Tauffe und andern Sacramenten, und
dieses sagte er, als Hr: Goldschmidt mit Hr: Fux redete, wie daß es erfreul. und gut seÿn würde, wenn die
Christenheit vereiniget wäre, in allen Puncten, in dem Sie doch in denen Hauptpuncten einig seÿe und wir alle
an einen Gott gläubten, eine Tauffe und einen Seelig=Macher Christum hätten; der Gottes=läster sagte auch:
die Reformirte, Luthersche und Catholische Kirchen, waren lauter Huhren=Haüser, mit der nachmahligen
Wiederhohlung: foutre, er schiße was in alle Religionen; Ja er hat auch zum öfftern gesagt: er wiße von keinem
andern Gott, als von seiner Viole, dieselbe seÿ sein Gott […]. »
137 Voir par exemple le rapport rédigé en 1711 par Gottlieb August Petzold, GStA PK, Rep. 47 Nr. 20a, Document
1, fol. 6-7 : « ermeldeter Gottes=läster Patron Grabow [Grabe] aber, welchem alles Sonnen=Klahr bekannt, hat
sich doch davon nicht gekehret, sondern des in alle Ewigkeit (Krafft Göttl. Rechts) verfluchten Gottes=läster
partie, wie ex informatione zuersehen, auff beständigste gehalten, und andere Ehrl. Leute dadurch höchst-
straffbare und unverantworttliche weÿße totaliter leÿder! ruiniret. »
138 GStA PK, I HA Rep. 47 Nr. 20a, Document 6 : « Salvus Conductus für Voulmier », 28 mai 1707.

– 38 –
L’Europe galante comme marché du travail

Saxe Auguste le Fort écrivait à Friedrich I de Prusse pour demander l’abandon des poursuites
contre Volumier, au motif que celui-ci venait d’être engagé à Dresde.140 Cet engagement dans
la Hofkapelle de Dresde, gravé dans le marbre en juin 1709, s’inscrivait dans une politique de
recrutement de musiciens pour renforcer la troupe de comédiens français. Plusieurs personnes
furent engagées à cette occasion : le musicien Jean-Baptiste Ducé et les deux maîtres à danser
Jean-Baptiste Volumier et Charles Debargues.141
Dès son arrivée, Volumier avait donc été intégré à la comédie et la Hofkapelle de Dresde.
Même s’il est qualifié de Tanzmeister dans son décret d’installation, et que sa nomination comme
Konzertmeister ne date officiellement que de 1720,142 une liste de personnel de l’orchestre datée
du 13 août 1709 le désigne déjà comme « Concertmeister Volumnier ».143 Volumier demeura à
Dresde jusqu’à sa mort le 7 octobre 1728.144 Sa biographie rocambolesque, qui fait se succéder une
naissance en Hollande, une enfance parisienne, une première phase d’activité à la cour de Berlin
où il fut en contact pendant une quinzaine d’années avec les musiciens de la Hofkapelle, mais
ausi Friedrich I, Sophie-Charlotte et les élites aristocratiques de la cour, et une dernière partie
à Dresde, où il exerça pendant vingt ans un rôle décisif au sein de l’orchestre, est un excellent
exemple des répercussions individuelles de l’expansion du marché du travail européen.

L’Europe des troupes


Mais revenons un peu en arrière, quelques décennies avant ce grand élargissement : les musi-
ciens français qui ont mené des carrières internationales extraordinairement diversifiées, dans
lesquelles les cours allemandes jouent à la fois le rôle de matrice et de tremplin, offrant d’excel-
lents débouchés professionnels sur place mais aussi une capacité de projection dans l’espace euro-
péen, sont le produit d’une lente évolution. Au début de notre période, vers 1660, la mobilité est
loin de constituer un aspect essentiel des carrières musiciennes. Au contraire, elle demeure très
largement l’apanage des troupes de comédiens itinérantes, qui se produisent non seulement dans
les cours mais également dans les villes sans se fixer durablement à un endroit. Cette mobilité
théâtrale constitue alors l’un des principaux vecteurs d’une migration musicale plus obscure,
bien loin des réseaux dynastiques et diplomatiques. Pour appréhender ce phénomène, et éprouver
les limites du modèle de la troupe lorsqu’il est transposé au domaine de l’opéra, il est essentiel
d’examiner la circulation des comédiens français qui sillonnent l’Empire à la même époque. Ils
dessinent la carte d’une autre Europe, plus urbaine, moins liée au monde des cours mais très cen-
trée sur la Hollande, plaque tournante d’où partent de nombreuses troupes francophones vers
l’Angleterre, la Scandinavie et le Saint Empire.

Des comédiens entre la Hollande et l’Empire


La circulation des troupes et la diffusion européenne du théâtre français est un phénomène bien
connu, dont l’étude peut s’appuyer sur un important corpus scientifique de grande qualité consti-
tué depuis le début du xxe siècle.145 Parmi les travaux les plus récents, la monographie de Rahul

139 GStA PK, I HA Rep. 47 Nr. 20a, Document 4. Lettre de Christian Duden à Johann Caspar Duden, Dresde,
3 mars 1709 : « Monsieur Volumier befindet sich allhier, dirigiret das orgestre beÿ denen Comoedien und Ope-
ren, hat auch 1000 Thlr. Salarium bekommen, Er hat heute wollen zu mir kommen, ist aber außengeblieben. »
140 GStA PK, I HA Rep. 47 Nr. 20a, Document 19. Lettre d’Auguste le Fort à Friedrich I de Prusse, Dresde, 15 mai
1709. Volumier est désigné comme violiste : « wir [haben] einen gewißen Violisten Nahmens Voulmyer beÿ
Unserer Hoff-Music auf und angenommen ».
141 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 92.
142 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/1, fol. 19-20.
143 HStA Dresden, Loc. 383/4, fol. 108-110.
144 HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 7, non folié.
145 Fransen, Les Comédiens français en Hollande. Georges Mongrédien, La Vie quotidienne des comédiens au temps de
Molière, Paris 1970, p. 211-231, où la distinction entre « troupes libres » et « troupes protégées » demanderait

– 39 –
Chapitre 1

Markovits sur les politiques du théâtre français au xviiie siècle constitue une mise au point et une
source d’inspiration essentielle.146

Construire le théâtre français


Dès la fin de la guerre de Trente Ans, d’importantes campagnes de construction et de rénovation
architecturale furent financées par les cours allemandes. Les anciens châteaux, couvents ou églises
médiévales furent ainsi remis au goût du jour et adaptés aux normes du confort moderne à travers
un phénomène parfois désigné sous le terme de Barockisierung.147 La construction de nouvelles rési-
dences situées en marge des grandes villes, équipées de salles de spectacle modernes et entourées
de vastes jardins, participèrent aussi à l’émergence de nouvelles pratiques culturelles, marquant
une étape décisive dans l’adaptation de répertoires scéniques et de pratiques théâtrales venues de
France ou d’Italie. Les cours de Basse-Saxe se trouvaient aux avant-postes d’un tel mouvement : à
Celle, la modernisation du château lancée par Georg Wilhelm dès son installation en 1665 com-
prenait la construction d’un petit théâtre baroque situé sous les combles de l’aile Nord. Cette
salle de théâtre conçue par l’architecte italien Giuseppe Arighini et achevée en 1675 est encore
visible aujourd’hui, dans un état modifié.148 Les cours de Wolfenbüttel et Hanovre n’étaient pas
en reste : Johann Friedrich fit ériger un petit théâtre au premier étage du Leineschloß de Hanovre
en 1677, mais sa jauge de 408 places fut bientôt jugée insuffisante pour les besoins de la cour. Les
conseillers de son successeur Ernst August proposèrent à celui-ci de faire construire une nouvelle
salle de 1300 places, dans le double objectif de pouvoir rivaliser avec le nouvel opéra de la cour de
Wolfenbüttel et de diminuer les coûts des déplacements à Venise, où les ducs de Braunschweig-
Lüneburg se rendaient régulièrement pour le carnaval. Cette nouvelle salle impressionnante fut
inaugurée un an plus tard, en 1689, avec la création de l’opéra dynastique Henrico Leone d’Agos-
tino Steffani (Illustration 1.3).149 Parallèlement, le « pavillon de plaisir » de Herrenhausen et son
immense jardin à la française, situés à quelques kilomètres de la ville de Hanovre et dont on peut
voir une gravure sur la couverture de ce livre, étaient dotés d’une scène de théâtre construite
entre 1689 et 1692.150 La construction de ces deux scènes distinctes reflétait l’ambition des ducs de
Braunschweig-Lüneburg d’acclimater sur place des cultures théâtrales étrangères.
L’érection de nouveaux théâtres de cour allait en effet de pair avec l’engagement de troupes
d’acteurs susceptibles de s’y produire. Ce n’est donc pas un hasard si la première troupe perma-
nente de comédiens français en activité hors de France fut engagée précisément à Celle. Elle
était financée conjointement par les trois frères qui régnaient sur la région : Georg Wilhelm von
Braunschweig-Lüneburg à Celle, Johann Friedrich à Hanovre et Ernst August à Osnabrück.
C’est évidemment sous la plume de Sophie de Hanovre, femme d’Ernst August toujours très
sensible aux vibrations de la vie culturelle de son temps, que l’on trouve la première mention de
cette nouvelle troupe de comédiens français, dans une lettre du mois d’août 1667 :
Le Duc G[eorges] G[uillaume] a esté 3 jours icy, il a presentement une bande de comediens François avec
luy à Celle, toute la maison de Brunswic ensamble les veulent entretenir.151

sans doute à être nuancée pour le contexte germanique. Roche, Humeurs vagabondes, chapitre 13 « Le théâtre
et l’aventure », p. 859-922.
146 Markovits, Civiliser l’Europe. Voir aussi le récent collectif : Moving scenes. The Circulation of Music and Theatre in
Europe, 1700-1815, dir. Pierre-Yves Beaurepaire, Philippe Bourdin et Charlotta Wolff, Oxford 2018.
147 Pour une approche à partir de l’architecture religieuse, cf. Bridget Heal, A Magnificent Faith. Art and Identity
in Lutheran Germany, Oxford 2017.
148 Gerhard Vorkamp, « Das französische Hoftheater in Hannover (1668-1758) », Niedersächsisches Jahrbuch für
Landesgeschichte, 29, 1957, p. 121-185, ici p. 131. Hedda Saemann, Dachwerke über den welfischen Residenzbauten
der Barockzeit im Kontext des höfischen Bauwesens. Untersuchungen in den ehemaligen Residenzstädten Hannover,
Celle, Osnabrück, Wolfenbüttel und Braunschweig, Petersberg 2014, p. 416-418.
149 Saemann, Dachwerke über den welfischen Rezidenzbauten, p. 288-290.
150 Sur Herrenhausen, cf. Horst Bredekamp, Leibniz und die Revolution der Gartenkunst. Herrenhausen, Versailles
und die Philosophie der Blätter, Berlin 2012.

– 40 –
L’Europe galante comme marché du travail

Illust ration 1.3. Johann Friedrich Jungen, Durchschnit des Hanover ischen Schlos=Oper n=Hauses der Quer nach, 1746, Hist orisches
Museum Hannover.

La cour de Celle était donc porteuse du projet, et c’est à l’occasion du carnaval 1668 que l’on voit
apparaître dans les registres de comptabilité la première trace du montage financier nécessité
par cette opération – le coût annuel de 5000 Thaler étant supporté à égalité par les trois cours.152
Dès 1671 cependant, Ernst August se retire de l’affaire, sans doute parce que ne possédant pas
de théâtre à Osnabrück, il n’avait pas l’usage de cette troupe qui se produisait exclusivement sur
les scènes de Hanovre et de Celle. À partir de cette date, Georg Wilhelm et Johann Friedrich
assurent chacun la moitié de l’entretien annuel de la troupe. La douzaine de comédiens qui com-
posaient cette troupe n’est pas nommée de façon détaillée dans les livres de comptes avant 1698.

151 Lettre de Sophie de Hanovre à Karl Ludwig von der Pfalz, Iburg, 17 août 1667. Eduard Bodemann, Briefwechsel
der Herzogin Sophie von Hannover mit ihrem Bruder, dem Kurfürsten Karl Ludwig von der Pfalz, Leipzig 1885, p. 123.
152 Vorkamp, « Das französische Hoftheater », p. 139. L’entretien de la troupe revenait à 1666 Thaler et 24 Gro-
schen par partie. Le registre de Celle pour l’année 1668-1669 fait apparaître la mention suivante : « Dan so
derselbe den Frantzösischen Comoedianten Bezahlt gehabt zu Sermi Celsmi 1/3 Weil Sereniss. Celsiss. nebst
Ihr Fürstl. Dhlt. Dhlt. Herrn Herzog Johann Friedrich und Herrn Hertzog Ernst August denselben alle drey
Zusammen Zugleichen Theilen des Jahrs 5000 Thlr. zu geben Versprochen an Zurechnen von Fastnacht 1668
und davon das erste Jahr Verfloßen ist Fastnacht 1669…1666 [Thlr] 24 [Gr]. »

– 41 –
Chapitre 1

Le premier état complet est donné en 1674 par Samuel Chappuzeau dans son Théâtre françois, à
la suite d’une description fort louangeuse :
Les Ducs de Brunswic & Lunebourg de la branche de Cell entretiennent aussi une Troupe, que le grand
nombre & le merite des personnes qui la composent, rendent tres acomplie, & en estat de pouvoir parêtre
avec gloire en quelque lieu que ce fust. Elle execute parfaitement bien toutes les pieces les plus difficiles,
soit dans le Serieux, soit dans le Comique, & elle a aussi à faire à des esprits éclairez & délicats, dont les
Maisons de ces Princes sont remplies.153
Cette troupe de onze personnes reste plus ou moins identique jusqu’à la mort du duc de Hanovre
Johann Friedrich en 1679. L’arrivée d’Ernst August à Hanovre en 1680 mit un terme au contrat de
partage des comédiens qui liait Georg Wilhelm et son frère Johann Friedrich. Ernst August enga-
gea dès 1680 une nouvelle troupe de comédiens français au seul service de la cour de Hanovre,
tandis que Georg Wilhelm reprenait l’ancienne troupe pour son propre compte. Cet arrangement
dura toutefois peu de temps, puisque sept comédiens de la troupe de Celle furent renvoyés dès
1683, tandis que les autres furent agrégés à la nouvelle troupe de Hanovre. Celle-ci est de nouveau
partagée entre Celle et Hanovre, avant que Georg Wilhelm ne se retire définitivement en 1685.154
À partir de cette date, seule la cour de Hanovre entretient les comédiens.
La nouvelle troupe engagée en 1680 par Ernst August, en même temps qu’une bande de vio-
lonistes français, est dirigée par Auguste Pierre Pâtissier de Châteauneuf et compte dix acteurs.155
Ces comédiens se produisent sur les scènes de Hanovre et Herrenhausen, mais voyagent aussi
fréquemment aux Pays-Bas : dès 1680, les « Comédiens de Son Altesse le Duc d’Hanovre » louent
la salle du Gracht à Bruxelles.156 En 1682, ils obtiennent la permission de jouer dans la salle du
Théâtre National d’Amsterdam.157 Les acteurs se déplacent ensuite sous le titre de « Comédiens
du duc de Parme » à Ath, Lille et Valenciennes, avant de rentrer au début du mois de mars à
Hanovre, probablement pour le carnaval. On les retrouve aussi à l’été 1695 dans la résidence du
prince-évêque de Cologne Joseph Clemens.158
Le succès du modèle de la troupe de Hanovre ne passa donc pas inaperçu parmi les princes
de l’Empire et fonctionna dès les années 1690 comme une sorte d’archétype, servant de modèle
à plusieurs autres cours allemandes. La première troupe de comédiens français que l’on peut
repérer en Saxe n’est autre que celle du duc de Hanovre, qui se produisit à Dresde pour le carna-
val 1696, après avoir obtenu un congé de son employeur principal.159 La troupe, qui se produisit
pour la première fois le 27 janvier sur l’opéra avant de donner ses représentations sur une scène
éphémère spécialement construite dans la Riesensaal, joua quatorze fois en tout. Le théâtre était
bien entendu accompagné de musique : un « Opera Ballet » fut donné le 16 février 1696 sous
le titre de Musenfest pour célébrer le retour d’Auguste le Fort de la campagne hongroise.160 Le

153 Chappuzeau, Le Théâtre françois, p. 221-224. Chappuzeau donne la liste des acteurs (« Les Sieurs Benard.
de Boncourt. de Bruneval. le Coq. de Lavoys. de Nanteuil. ») et des actrices (« Les Demoiselles Benard. de
Boncourt. le Coq. de Lavoys. de la Meterie »).
154 Vorkamp, « Das französische Hofheater », p. 145-146.
155 Carl Ernst von Malortie, Beiträge zur Geschichte des Braunschweig-Lüneburgischen Hauses und Hofes, Hanovre
1864, p. 118-121.
156 Les Relations véritables se font l’écho de cet arrangement : « S. A. le Prince de Parme fit l’honneur, mardi der-
nier, à la troupe de comédiens du Duc d’Hannovre, d’aller avec toute la Cour voir, à leur théâtre, la représen-
tation de la pièce à machines intitulée la Toyson d’Or, qui réussit fort bien à la satisfaction de ce prince. » Cité
par Vorkamp, « Das französische Theater », p. 148.
157 Fransen, Les Comédiens français en Hollande, p. 164-165.
158 Scharrer, Zur Rezeption, p. 164.
159 Fürstenau, Zur Geschichte, vol. 2, p. 9-11. Cette affirmation s’appuie sur une correspondance perdue entre Ernst
August et Auguste le Fort. Fürstenau indique que cette troupe resta deux mois (du 1er janv. au 2 mars) et fut
payée 673 Thaler pour son entretien, 5000 Thaler pour ses honoraires, à quoi venaient s’ajouter 600 Thaler
pour le voyage aller et 310 Thaler pour le voyage retour.
160 Fürstenau, Zur Geschichte, vol. 2, p. 11. La désignation d’opéra-ballet se trouve dans le journal de la cour, HStA
Dresden, 10006 OHMA, G Nr. 13, fol. 95 par exemple.

– 42 –
L’Europe galante comme marché du travail

journal de la cour permet de reconstruire la planification de la fête et les nombreuses répétitions


nécessitées par ce ballet, donné dans l’opéra de la cour et auquel participaient les membres de
l’aristocratie.161 Il comprend un exemplaire du livret et montre plus généralement que les comé-
dies françaises furent particulièrement à l’honneur au cours du carnaval.162 Avant de rejoindre
Dresde, les comédiens de Hanovre avaient fait halte à Leipzig : peut-être en ont-ils profité pour
jouer dans la toute nouvelle salle d’opéra inaugurée en 1693 par Nicolaus Adam Strungk sur le
terrain Brühl.163 Le contrat d’engagement de la troupe de Villedieu en 1709 prévoyait aussi que
les comédiens puissent se produire à Leipzig pendant les deux foires annuelles.164

De la Hollande à la Saxe : les troupes du Roi de Pologne


Sans doute la troupe de Hanovre fut-elle un modèle convaincant, puisque trois ans après l’avoir
hébergée, Auguste le Fort se décidait à son tour à engager une troupe permanente de comédiens
pour la cour de Dresde. Il la fit recruter à La Haye par l’intermédiaire de son résident auprès
du roi de Grande-Bretagne et des États généraux des Provinces-Unies, Abraham Wolfgang
von Gersdorf. Cette troupe, appelée « Troupe de Comediens françois de Sa Majesté le Roÿ de
Pologne » dans l’unique acte conservé aux archives de Dresde, était constituée en grande partie
d’anciens acteurs de la troupe du prince d’Orange, également connue sous le nom de troupe de
Romainville.165 Parmi les signataires, on retrouve en effet Charles de La Haye dit Romainville,
Jean Barrié dit Fonpré avec sa femme et son fils, ainsi que Jean de Surlis qui faisaient partie depuis
au moins 1683 des comédiens français de Guillaume III, Stathouder et prince d’Orange, puis roi
de Grande-Bretagne à partir de 1689.166 Jean de Fonpré était également en contact avec les comé-
diens de Hanovre, puisqu’il se trouve en leur compagnie à Amsterdam en 1683.167
On perçoit bien à travers ces quelques exemples l’importance des Provinces-Unies comme
espace où se nouent les différentes troupes de comédiens français en partance vers les territoires
germaniques. Ainsi les comédiens recrutés à La Haye en 1699 travaillaient-ils ensemble depuis de
longues années, avaient une expérience commune de l’étranger et possédaient des contacts avec les
musiciens et les comédiens de Hanovre. Ils restèrent au service d’Auguste le Fort, dans ses deux rési-
dences à Dresde et à Varsovie, jusqu’au déclenchement de la Grande guerre du Nord (1700-1721) qui
le força à se rendre sur les théâtres d’opération militaire et à se séparer de sa troupe.168 La nécessité
de financer des actions militaires prit bientôt le pas sur le mécenat artistique : à partir de 1705
s’accumulent les lettres de musiciens priant qu’on leur verse leurs salaires impayés.169 L’ensemble des

161 HStA Dresden, 10006 OHMA, G Nr. 13, fol. 75-94. Le jeudi 13 février, une première répétition a lieu à l’opéra
dans l’après-midi, suivie par une seconde répétition le lendemain. Le samedi 15 février a lieu la répétition
générale en costumes suivie d’une première représentation le lundi 16, et d’une seconde représentation le len-
demain, apparemment plus modeste et dans les appartements.
162 HStA Dresden, 10006 OHMA, G Nr. 13, fol. 1-74.
163 HStA Dresden 10006 OHMA, G Nr. 13 : « Montag den 27. [Jan: 1696] Abends haben die französischen Comoe-
dianten, so von Leipzig anhero kommen, in Opern Hauß zum ersten mahl agiret, weile das Theatrum aufn
Riesensaal noch nicht fertig. » Sur l’opéra de Leipzig, cf. Michael Maul, Barockoper in Leipzig, Freiburg, 2009.
164 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 72 : « Le Roy permets [sic] de representer aux Foires
de Leipzig a leur profit, en cas que Sa Majesté n’en eût pas même besoin. Mais qu’alors la troupe aura elle même
soin du theatre, des logemens et des chandelles à ses depens, et qu’elle soit neantmoins obligée de donner toû-
jours gratis Cinquante bilets pour la Cour, si au contraire ils vont à ces foires par ordre de la Cour, ils auront
quartiers et chandelles. »
165 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/2, fol. 13 : reçu d’une somme de 3000 écus de Hollande
signé à La Haye le 9 sept. 1699 par « Romainville, De Ponteuil, Delapesnieres, De fonprée, De fonpré le fils,
Defonpré le père, Desurlis fils. »
166 Fransen, Les Comédiens français en Hollande, p. 152.
167 Fransen, Les Comédiens français en Hollande, p. 164.
168 Fransen, Les Comédiens français en Hollande, p. 201.
169 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 516/4 (« Supplikation um Gehalt von Hofmusikanten ») et
10036 Finanzarchiv, Loc. 32623, Rep. LII Gen. Nr. 221.

– 43 –
Chapitre 1

musiciens fut finalement renvoyé à Pâques 1707. Même si le Kapellmeister Schmidt et presque tous
les instrumentistes furent réengagés aussitôt, la chapelle se trouvait sans chanteurs.170
C’est à partir de 1708 que le rétablissement des finances permit d’engager à nouveau des
artistes, musiciens et comédiens. Le 14 novembre 1708, juste après le siège de Lille et la mise en
déroute des armées françaises par une coalition impériale, Auguste le Fort signe à l’Abbaye de
Loos (« au Camp auprès de Lille ») une série de documents pour l’engagement d’une nouvelle
troupe de comédiens français placée sous la direction de Michel de Villedieu. L’arrivée de cette
troupe est documentée par divers contrats, actes notariés et ordonnances conservés dans les ar-
chives.171 Le premier document, intitulé « Conventions d’une troupe de comediens françois pour
avoir l’honneur d’estre au service de sa Majesté », présente le « Détail de la Troupe qui s’offre à
Sa Majesté » où apparaît de manière très frappante la triple compétence de plusieurs membres,
qui jouent, chantent et dansent.172 Nous retrouvons ici deux comédiens déjà rencontrés en 1699 :
Charles de La Haye dit Romainville et Jean de Surlis. Mais cette troupe offre surtout un cas
d’étude passionnant sur l’interaction entre mobilités théâtrales et musicales.

Les musiciens dans les troupes


Les troupes françaises comprenaient souvent un ou plusieurs musiciens parmi leurs membres,
dans la mesure où le théâtre français inclut encore, au xviie siècle, presque toujours de la mu-
sique. Sept ans après son départ de Hanovre, le bassoniste Charles Babel appartient toujours à
la troupe des comédiens du Prince d’Orange à La Haye.173 Avant d’être embauchée à Lille pour
la cour de Dresde en 1708, la troupe de comédiens dirigée par Villedieu s’était formée dans les
Pays-Bas. Le 7 février 1707, treize comédiens s’associaient à Mons devant le notaire Pierre-André
Henrichant afin de jouer la comédie dans la ville pour une durée d’un an.174 Les trois maîtres
d’œuvre de cette entreprise étaient à nouveau Jean de Surlis, Michel de Villedieu et Romainville.
Plusieurs passages du contrat évoquent la musique et la danse. Il est ainsi stipulé que « Le Sr Dery
s’engage aussy de chanter dans touttes les pieces où il en sera requist par la trouppe175 » et que
« les demoiselles de Romainville, la demoiselle Louisette Prevost, le Sr Prevost le fils et autres
quy sauront danser danseront sans aucune retribution par tout où le Sr Riboy le jugera a propos
comme maistre des ballets.176 » Un autre passage un peu plus développé et concerne les services
d’un maître de musique, un certain Valois :
De plus on est convenu que nul ne pourra augmenter la trouppe de part ny de gagiste sans le consente-
ment general de tous les camarades a la reserve du Sr de Valois quy pourra y estre incorporé en qualité
de maistre de musique a sa part egalle auxdits associez en se fournissant par luy toutes les musiques
necessaires aux pieces que la trouppe jugera a propos de representer, mesme les fera escrire a ses deppens
et se fournira d’un larbin [?] et d’un copiste sy besoin est.177

170 Fürstenau, Zur Geschichte, vol. 2, p. 33.


171 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 64-70 (« Conventions d’une troupe de comediens
françois pour avoir l’honneur d’estre au service de sa Majesté »), fol. 71-72 (« Conditions auxquelles Sa majesté
le Roy a resolue [sic] de prendre à son service une troupe de Comediens François »), fol. 82-84 (lettre d’Auguste
le Fort à August Ferdinand von Pflugk et copie d’un passeport pour les comédiens, Lille 14 nov. 1708, reçu
signé par Villedieu, Lille 17 nov. 1708, ordre de paiement, Dresde 26 fév. 1709).
172 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 66 : « Hommes : Belle Tour – chante. Desurlis. devil-
ledieu. Romainville – danse. Derval – danse. Chalons Comique. derozanges. La Martinierre – chante. Femmes :
La Devilledieu. Danse. La desurlis. La Romainville. ses deux filles – dansent. la de Rozanges – chante. »
173 Fransen, Les Comédiens français en Hollande, p. 177.
174 Mons, Archives de l’État, E 903, Minutes du notaire Philippe André Henrichant, fol. 183-185. Ce contrat asso-
cie de Villedieu et sa femme, de Surlis et sa femme, Prevost avec sa femme Louisette et son fils, Romainville
mère et fille, une demoiselle Babet, ainsi que les sieurs Dery, Lefebvre et Riboy. À chacune de ces personnes
est attribué un type de rôles, mais le contrat n’est signé que par « Romainville pour moi et mes deux filles »,
Prévost fils et Dery.
175 Mons, Archives de l’État, E 903, fol. 184-185.
176 Mons, Archives de l’État, E 903, fol. 185.
177 Mons, Archives de l’État, E 903, fol. 184.

– 44 –
L’Europe galante comme marché du travail

Les comédiens restèrent moins longtemps que prévu à Mons, puisqu’ils furent engagés
par Auguste le Fort avant que le contrat d’association n’arrive à son terme. Les « Conditions
auxquelles Sa Majesté le Roy a resolue [sic] de prendre à son service une troupe de Comediens
François » stipulent également, à propos des six actrices : « la plupart sçauront chanter ou danser
pour les pieces d’agrémens. » Elles signalent également que la troupe comprend quatre violons,
un décorateur et un souffleur.178 Il est donc à parier que certains musiciens se trouvaient déjà dans
la troupe de Mons avant d’être engagés à Dresde.
Le mystérieux « maître de musique » nommé dans le contrat de Mons en 1707 est sans doute
Stéphane Valoy, musicien et copiste à la cour de Hanovre entre 1680 et 1698.179 Romainville et
Surlis ayant fait partie de la troupe de comédiens de Hanovre, il les connaissait déjà depuis long-
temps. Stéphane Valoy apparaît fréquemment dans les registres paroissiaux de Hanovre, en qua-
lité de témoin pour des musiciens ou des comédiens. Originaire de Paris, il prit la direction de la
musique de la cour en 1691, juste après le départ de Jean-Baptiste Farinel.180 Il ne suivit apparem-
ment pas la troupe de Villedieu à Dresde, mais il fut en contact avec d’autres troupes de comédiens,
puisqu’il occupa les fonctions de Kapellmeister au sein d’une troupe française engagées à la cour de
Darmstadt entre 1712 et 1715, date de sa mort.181 Là, il put certainement rencontrer le Kapellmeister
Christoph Graupner ainsi que les autres musiciens en activité dans la chapelle ducale.182
Stéphane Valoy n’a pas seulement fourni, copié ou joué de la musique pour les troupes de
théâtre. Il fut également un compositeur assez prolifique pour la cour de Hanovre. À sa mort, il
légua à la bibliothèque de Darmstadt une collection de manuscrits musicaux rédigés à la fin des
années 1680 à Hanovre : douze suites copiées par Guillaume Barré à Hanovre en 1689, douze
Grands concerts en partition copiés à Hanovre en 1690, douze suites copiées par Charles Babel à
Hanovre en 1689, et huit Concerts à chanter mis en partition à Hanovre en 1690. Un livret de 1685
mentionne encore sa participation à l’exécution d’un prologue donné en 1685 pour la naissance de
Friedrich August de Brandebourg : « Monsieur du Cormier a fait les machines, Monsieur Valois
toute la Musique & Monsieur Le Comte, Maître à danser de la cour, les Entrées de ballet.183 »
Deux sources manuscrites viennent en outre révéler que Valoy composait de la musique d’église
pour la chapelle luthérienne de Hanovre. Celle-ci fut bientôt diffusée bien au-delà des cercles de
la cour : une Messe brève conservée à Berlin et un Magnificat conservé à Londres montrent que
la production de Valoy continuait d’être copiée et jouée après sa mort.184
Ce dernier n’était pas le seul de sa famille à avoir émigré vers le Nord. Un certain François
de Valoy apparaît dans les registres paroissiaux de Hanovre, dans un milieu de musiciens et co-
médiens très proche de celui de Stéphane : il se marie avec Antoinette Bénédicte Pâtissier, fille
du chef des comédiens Pierre Pâtissier de Châteauneuf, et on trouve plusieurs musiciens fran-

178 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 72.
179 La dernière mention de Valoy dans la comptabilité de Hanovre fait mention de son départ sans en préciser la
raison. NLAH, Hann. 76c A Nr. 117, p. 320 : « Valoix von Ostern 1697 biß Ostern 1698 womit er abgehet. »
180 BA Hild, KB Nr. 778. On trouve comme témoins : « Domin[us] N. de Valois Music[us] » lors du mariage de
Louis Le Conte et Anne d’Achet en 1684 ; « Stéphan[us] Valoy Parisin[us] » lors du mariage de Pierre Vezin et
Charlotte de Châteauneuf en 1689 ; « M. Stephan[us] Valois praefect[us] Musicorum aulic[us] » au mariage de
Jean Maillard et Anne Éléonore La Fleur en 1691 ; « Valoy » lors du mariage de Guillaume Barré et de Henriette
Charlotte Venturini en 1693 ; « Valois » lors du mariage de Malo de Châteauneuf et Marie Jeanne Agnes Landini
en 1695.
181 Elisabeth Noack, Musikgeschichte Darmstadts vom Mittelalter bis zur Goetheszeit, Mayence 1967, p. 187. Ursula
Kramer, « The Court of Hesse-Darmstadt », in : Music at German courts, 1715-1760. Changing Artistic Priorities,
dir. Samantha Owens, Barbara M. Reul et Janice B. Stockigt, Woodbridge 2011, p. 342.
182 Entre 1710 et 1718, on repère parmi les membres de la Hofkapelle un certain Jean-Baptiste Tayault comme vio-
loniste et maître à danser : Joanna Cobb Biermann, « Die Darmstädter Hofkapelle unter Christoph Graupner
1709-1760 », in : Christoph Graupner. Hofkapellmeister in Darmstadt 1709-1760, dir. Oswald Bill, Mayence 1987,
p. 27-72, ici p. 62.
183 Prologue sur l’ heureuse naissance du jeune prince Frédéric Auguste, Hanovre 1685.
184 Voir Chapitre 4, p. 226-231.

– 45 –
Chapitre 1

çais parmi ses témoins.185 Quelques années plus tard, en 1700-1701, François apparaît à La Haye
dans la troupe de comédiens de Guillaume III d’Orange-Nassau.186 On trouve également une
Bérénice Valoy dans les registres paroissiaux catholiques de Hanovre, mais son degré de parenté
avec Stéphane demeure inconnu.187 La migration familiale n’était pas un phénomène rare, et bien
souvent les musiciens se déplaçaient par familles entières avec les troupes de théâtre.
La troupe de Dresde comprenait ainsi une autre famille de musiciens, que Michel de
Villedieu avait probablement engagée lors de son séjour à Mons. Plusieurs indices laissent penser
que le bassiste Robert du Hautlondel, dit La France le père, qui exerça dans la Hofkapelle à partir
de 1707, travaillait pour cette troupe avec laquelle il arriva à Dresde. En 1718, le musicien rédige
sa notice autobiographique de cette façon :
Robert du Haulondel surnommé la France natif de Caen. Elevé a paris agé de quarante-trois ans passé
engagé à lille en Flandre par Sa Majesté Nottre Roy en mil sept cents sept 1707.188

Né vers 1675 à Caen, élevé à Paris, le musicien est passé par Lille avant de rejoindre la Saxe : son en-
gagement à Lille coïncide donc avec celui de la troupe de Villedieu en 1708. Néanmoins, sans doute
Robert du Hautondel était-il arrivé à Dresde quelques mois avant le reste de la troupe, puisqu’il
affirme avoir été engagé en 1707. Jusqu’à la mort de Villedieu en 1718, Robert du Hautlondel
est payé sur l’enveloppe de la troupe, une somme globale allouée chaque année par la cour à la
comédie française.189 Après la mort de Michel de Villedieu, une ordonnance datée du 6 mai 1718
rappelle que « le violon La France le Père touchait 200 Thaler, qui lui étaient jusqu’ici accordés sur
les 10.000 Thaler que touchait le directeur Villedieu contre quittance.190 » Robert du Hautlondel
obtient désormais son salaire directement de la caisse générale, comme tous les autres musiciens
de la Hofkapelle.
Robert du Hautlondel n’était pas arrivé seul en Saxe. Son fils Jean Baptiste Joseph, dit La
France le fils, est également membre de la Hofkapelle dans le pupitre des basses de violon. En 1718,
ce dernier rédige sa notice biographique de la manière suivante :
Jean Baptiste Joseph Du haulondel, autrement dit La France le fils, est natif de Bruxelle en brabant
entré au service Sa Mt. le Roy de Pologne et Electeur de Saxe en 1709. Né en 1688 agé de 29 ans passé.191

Cette notice est intéressante à plus d’un titre : on peut voir que la famille du Hautlondel était
à Bruxelles dès 1688 pour la naissance de Jean Baptiste Joseph, soit environ vingt ans avant que
Robert ne soit engagé. Dès sa quinzième année environ, Robert était donc aux Pays-Bas où il
aurait eu son premier enfant. La notice fait également apparaître le jeune âge de Jean Baptiste
Joseph lors de son engagement dans la Hofkapelle, seulement un an après l’arrivée de la troupe, à
l’âge de dix-neuf ans. À la différence de son père, il ne semble jamais avoir dépendu directement
de la troupe de Villedieu, puisque son salaire est toujours versé par la cour. Si son acte d’engage-
ment n’est pas conservé, on peut observer qu’il apparaît dès août 1709 comme « violoncell » sur

185 BA Hild, KB Nr. 778, 24 avr. 1693, p. 109 : « ego Bonaventura Nardini conjunxi matrimonio Franciscum de
Valoy et Antoniam Benedictam Patissier Gallos, praesentibus testibus Dionysio Le Tourneur, Bertrano Car-
dinal, Petro Vezin, Gallio, alliisque. » Denis Le Tourneur et Pierre Vezin sont deux musiciens au service des
cours de Celle et Hanovre.
186 Fransen, Les Comédiens français en Hollande, p. 178-179.
187 BAHild, KB Nr. 777, Hannover St. Clemens, Taufbuch 1671-1699, 6 oct. 1698, p. 213.
188 HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 5, fol. 91.
189 Voir par exemple HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 4, fol. 261 : « La France le Pere. Bassiste. Wird von
dem Quanto der Commoedie bezahlt. »
190 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 201 : « der Violon La France le Pere, hat gehabt 200
Thlr, so ihm von den 10000 Thlr, welche der verstorbene Directeur Villedieu gegen seine Quittung erhaben
bißher vergnüget werden, erhält nunmehr vom 1. April Ao 1718 an solche 200 Thlr jährl. immediate aus der
General Accis-Casse gegen seine eigene Quittung, quartaliter anticipando. »
191 HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 5, fol. 92.

– 46 –
L’Europe galante comme marché du travail

une liste des membres de la Hofkapelle.192 Payé comme son père 200 Thaler par an, il touche en
août 1738 une augmentation de 50 Thaler, accordée à plusieurs musiciens chargés de famille.193
Toute sa vie, Jean Baptiste Joseph du Hautlondel conserva des liens étroits avec les comé-
diens français de Hanovre. Il ne se marie pas à Dresde, mais à Hanovre, avec une certaine Jeanne
Sophie en 1722. Ses témoins sont Pierre de Châteauneuf, chef de la troupe de comédiens de
Hanovre, et Louis Le Sage.194 Notons aussi qu’un comédien nommé Dulondel, actif entre 1714
et 1721 à la foire Saint-Laurent de Paris avant de quitter la capitale sans laisser de traces, est évo-
qué par les frères Parfaict.195 D’autre part, la femme de Jean Baptiste Joseph est nommée Jeanne
Chateauneuf dans le lexique des comédiens de Max Fuchs. Il indique qu’elle joua à La Haye
dans la troupe de Nicolas Huaut entre 1738 et 1740, dont faisaient également partie Jean Nicolas
Prévost et Louise Dimanche.196
Le reste de la famille du Hautlondel apparaît – de manière plus atypique, mais beaucoup
plus romanesque – dans les actes d’un procès instruit en 1719 contre une autre fille de Robert
du Hautlondel, Anne Henriette. Celle-ci avait épousé un membre de la troupe d’opéra italienne
engagée en 1717 par le prince Friedrich August : Antonio Maria Peruzzi. Ce dernier n’était pas
chanteur, mais servait de souffleur et de librettiste.197 Les deux jeunes gens se marièrent le 30
mai 1718 à la chapelle royale de Dresde, avec comme témoins Angelo Costantini et Mauro, un
architecte et machiniste italien.198 Quelques mois plus tard, Antonio Peruzzi fut emprisonné
pour dettes impayées. Il tenta de s’échapper en endormant ses gardes à l’aide d’un narcotique
fourni par sa jeune épouse. Malheureusement, l’opium fourni par Anne Henriette devait être
plus puissant que prévu, puisque l’un des deux gardes mourut aussitôt après avoir été drogué.
Les jeunes mariés se trouvaient donc embarqués dans une affaire d’homicide, et furent traduits
devant la justice avec d’être finalement expulsés de Saxe.
Les actes d’instruction du procès se répartissent en quatre gros volumes qui contiennent,
outre une quantité de documents, les minutes des interrogatoires.199 Les procès-verbaux sont
rédigés en allemand, ce qui laisse penser qu’Anne Henriette Peruzzi pouvait s’exprimer dans cette
langue. Les premières questions qui lui furent posées, le lundi 2 octobre 1719, donnent un aperçu
absolument fascinant sur son enfance et son environnement :
Art. 1. Comment se nomme l’accusée ? – Elle se nomme Anna Henriette, ou encore, comme on a l’habi-
tude de l’appeler, Ariette Peruzzi.

192 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 110. Dans les Hofbücher, Jean Baptiste Joseph est
toujours désigné comme « Violoncellist », une fois comme « Violon ».
193 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 907/4, fol. 143 et 147.
194 BAHild, KB Nr. 781, Hannover St. Clemens, Traubuch 1711-1843, p. 33 : « 1722 11 octobris Ego infra scriptus
testo matrimonio junxisse joannem baptistam josephum du Haulondel Regio majestatis polonica Musicum
Camerae et D. Joanam Sophiam Drufin Hannoveram cujus rei testes fuerunt D. Petrus de Chateauneuf et D.
Ludovicus Le Sage. Joannes de Marteau Missionarius Apostolicus. » Louis Le Sage épouse Jeanne du Hautlon-
del – la sœur de Jean Baptiste Joseph – en 1710 à la chapelle royale de Dresde, avec pour témoins Simon Le Gros
et Franz Tauber. DA Bautzen, Traubuch der Hofkirche, 1708-1759, fol. 2, 4 juil. 1710 : « Copulans Mathias
Heimbach. Copulati Ludovicus Le Sage et Virgo Joanna Dni. Ruberti du Londel legiti. Filia. Testes Simon de
Gross Francisc: Tauber. »
195 François et Claude Parfaict, Mémoires pour servir à l’ histoire des spectacles de la Foire, Paris 1743, p. 138-139.
196 Max Fuchs, Lexique des troupes de comédiens au xviiie siècle, Genève 1944, p. 79.
197 Antonio Peruzzi est qualifié de « premier souffleur » dans une liste datée d’août 1718 : HStA Dresden, 10026
Geheimes Kabinett, Loc. 907/3, fol. 60. En mars 1718, il compose un ballet avec Alessandro Mauro, architecte
et machiniste de l’opéra italien : HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 907/3, fol. 50. Dans les actes
du procès, il est décrit comme Opernschreiber.
198 DA Bautzen, Traubuch der Hofkirche 1708-1759, fol. 4, 30 mai 1718 : « Copulati: Anto. Peruzzi Venetus, Virgo
Henrica du haulondel. Testes: Angelus Constantin et D. Mauro. »
199 HStA Dresden, 10024 Geheimes Rat, Loc. 9117/28, Loc. 11400/8-10. Seuls les volumes 1 et 3 des minutes sont
conservés. Le deuxième volume, où figurait l’interrogatoire de Robert du Hautlondel, est perdu.

– 47 –
Chapitre 1

Art. 2. Quel est son âge et son état ? – Elle a eu vingt-deux ans à la Saint-Jean dernière, et elle est la fille
du musicien La France de la chapelle royale.
Art. 3. Où est-elle née et a-t-elle été élevée ? – Elle est née à Mons, en Flandres, et n’a été élevée nulle
part durablement, ses parents ayant toujours voyagé à cause de leur profession, mais elle est arrivée ici,
à Dresde, dans sa onzième année.
Art. 4. Qui furent ou qui sont ses parents, et comment s’appellent-ils ? – Son père, La France, est musi-
cien à la chapelle royale ici, mais sa mère, Marie Gabrielle, est morte depuis 6 ans déjà.
Art. 5. De quelle religion est l’accusée ? – Elle est née et a été élevée dans la foi catholique romaine.200

Ces réponses forment une mine de renseignements sur la famille du Hautlondel, mais permettent
de manière plus fondamentale d’accéder à la manière dont Anne Henriette articulait elle-même
sa biographie. Née à Mons vers 1697, elle place apparemment sa jeunesse sous le signe de la mobi-
lité à cause du métier de ses parents (elle n’a « été élevée nulle part durablement, ses parents ayant
toujours voyagé à cause de leur profession »). Alors qu’on aurait pu penser que Robert La France
était resté à Mons entre la naissance de sa fille en 1697 et le contrat d’association de la troupe de
Villedieu en 1707, où il n’apparaît pas mais auquel il a déjà pu être associé, la réponse à la troisième
question nous permet de voir que cela ne fut pas le cas. Enfin, Anne Henriette dit avoir été élevée
dans la religion catholique : pas d’arrière-plan confessionnel, donc, dans la décision de quitter la
France. Dans les questions suivantes, les juges essayent d’évaluer l’attachement d’Anne Henriette
à son mari et les raisons pour lesquelles elle l’avait épousé contre l’avis de son père.201 On voit que
Robert s’était dans un premier temps opposé à l’union de sa fille avec le musicien italien, avant
de se laisser convaincre par son entourage.
Ces deux cas d’étude illustrent de manière exemplaire le rôle crucial joué par les troupes de
théâtre dans la circulation des musiciens. Les troupes de Romainville et de Villedieu représentent
de ce point de vue un nœud particulièrement important, à l’intersection de nombreux réseaux
français, hollandais, anglais et allemands, sur lesquels se sont greffées, à différentes échelles,
les circulations de musiciens et de sources musicales. Paradoxalement, ces réseaux demeurent
aujourd’hui encore un point aveugle pour les historiens, tant à cause de la rareté des traces lais-
sées par les troupes itinérantes dans les archives que parce qu’elles ne peuvent être étudiées qu’en
croisant des archives éparpillées dans toute l’Europe. Le modèle de la troupe, qui semble s’impo-
ser comme une donnée fondamentale de l’histoire des migrations, n’était cependant ni le seul

200 HStA Dresden, 10024 Geheimer Rat, Loc. 11400/8, fol. 261-262 : « Art. 1. Wie Inquisitin mit Nahmen heiße ?
Sie Heiße Anna Henriette oder, wie sie es kurtz auszusprechen pflegeten, Ariette Peruzzi. Art. 2. Wie alt und
wes Standes sie seÿ ? Sie seÿ an Johannis letzhin 22. Jahr alt gewesen und des Königl. Capell-Musici la France
Tochter. Art. 3. Wo sie gebohren und erzogen worden ? Sie seÿ in Flandern in Mons gebohren, und an keinem
beständigen Orth erzogen worden, weil ihre Eltern hie und wieder ihrer Profession nach gereÿset, im 11ter
Jahre ihres Alters aber mit anhero, nacher Dreßden gekommen. Art. 4. Wer ihr Eltern gewesen, oder noch
seÿnd, und wie sie heißen? Ihr Vater, la France, seÿ Königl. Capell-Musicus alhier, ihre Mutter, Maria Gabriel
aber seÿ von 6. Jahren bereits verstorben. Art. 5. Welcher religion inquisitin zugethan seÿ ? Sie seÿ Römisch-
katolisch gebohren und erzogen. »
201 HStA Dresden, 10024 Geheimer Rat, Loc. 11400/08, fol. 262-265 : « Art: 9. Ob nicht Inquisitin mit demsel-
ben wieder Ihres Vaters Willen und ohne deßen zufriedenheit sich ehelich verbunden ? Ihr Vater habe freÿl.
anfängl: nicht darin willigen wollen; Sie, inquisitin, seÿ aber mit ihrem Manne zu ihrem Beichtvater und
zu anderen guten Freuden deshalber gegangen, welche denselben endl: persuadiret, daß er seinen Consens
darzu gegeben, wie denn selbiger auch sie noch selbst in die Kirche geführet hätte. Art: 10. Warum sie dieses
also gethan ? Weil sie einander geliebet, und versprochen gehabt, daß sie einander nicht laßen wolten. Art:
11. Ob sie nicht nach der mit ermelten Peruzzi erlangten bekannschafft, noch für ihre erfolgte Eheberedung
sich verschiedene mahle in deßen Geselschafft und Conversation befunden ? Ja, es seÿ Peruzzi [mot coupé] 6.
Monathe beÿ ihrem Vater aus= und eingegangen ehe sie nach gewust, daß er sie heÿrathen wollte; oder ob er
sich in solchem Ende beÿ ihr oder ihrer Schwester engagiren würde, wie sie sich dem auch binnen solcher Zeit
in ihres Bruders, des jüngeren la France, Logis in Gesellschafft mit ihm befunden, da mit selbigem Peruzzi
vom Anfange her bekandt gewesen. [...] Art: 25. Ob nicht auch selbiger inquisitin währenden ihres Ehes-
tandes hart und übel tractiret ? Sie könne von besonderem üblen Tractement nichts sagen, und weder über
böse Worte, noch Schläge deshalber klagen, als daß derselbe nur bisweilen aufgefahren. »

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L’Europe galante comme marché du travail

modèle existant, ni nécessairement le plus adapté à la circulation des musiciens, de leurs parti-
tions et de leurs instruments. Les limites d’un tel modèle, et dans une certaine mesure son échec,
sont mises en lumière dès 1699 par la troupe d’opéra français de Pologne, seule troupe française
exclusivement musicale ayant jamais franchi les frontières de l’Empire.

La troupe de l’opéra de Pologne : les limites d’un modèle


La dernière scène du Départ des Comédiens, comédie de Jean-François Regnard donnée à l’Hôtel
de Bourgogne en 1694, dépeint le désœuvrement des acteurs italiens après le départ du public
parisien au début de l’été. On y voit Mézétin partant à la campagne avec Pasquariel « jouer l’opéra
en vendanges.202 » Cette réplique était prémonitoire : cinq ans plus tard, en 1699, le prince élec-
teur de Saxe et roi de Pologne Auguste le Fort l’envoyait à Paris pour y recruter une troupe
d’opéra français complète et prête à l’emploi, en mesure de produire dès son arrivée à Varsovie
des opéras et divertissements français. Cette entreprise, concomitante avec l’engagement de la
troupe de comédiens français de La Haye, n’était pas une mince affaire, puisqu’il fallait engager
non seulement des chanteurs et des musiciens, mais aussi des danseurs, des costumiers, des déco-
rateurs, des machinistes, un perruquier et un cuisinier.
La tentative de transposer au monde de l’opéra le modèle économique très particulier de la
troupe théâtrale se solda par un échec qui peut être interprété comme la conséquence d’une erreur
d’analyse initiale. En effet, la présence habituelle de musiciens parmi les troupes de comédiens ne
signifiait pas qu’une troupe d’opéra soit un modèle viable. Les troupes théâtrales étaient adossées à
des structures bien particulières, très anciennes et propres au monde du théâtre : la foire de Pâques
où les employeurs venaient démarcher les troupes de comédiens, les solidarités familiales et une
longue expérience collective de la mobilité étaient autant de piliers indispensables qui n’avaient
pas leur équivalent parmi les musiciens. La pratique de l’opéra s’accommodait en outre assez mal
du fonctionnement de troupe pour des raisons de taille. En général, les troupes de théâtre enga-
gées par les cours allemandes reposaient sur la polyvalence des acteurs qui pouvaient occuper
plusieurs types de rôles, et comprenaient une vingtaine de personnes tout au plus : la troupe de
Villedieu comprenait ainsi treize acteurs, auxquels s’ajoutaient quatre « joueurs de violons », un
décorateur également chargé de la confection des habits et un souffleur.203 Les exigences propres
à l’opéra faisaient littéralement exploser les effectifs : avec les chanteurs, l’orchestre, les danseurs,
un copiste de musique, un machiniste, un tailleur, une coiffeuse et un perruquier, le plan initial
présenté à la cour par Mézétin prévoyait 46 membres.204 Finalement, ce sont 93 personnes qui se
mirent en route pour Varsovie, parcourant plus de 1500 kilomètres en près de trois mois avec leurs
effets personnels, leurs costumes, leurs instruments et leurs partitions, sans compter les décors
pour le théâtre. Plus encore que les individus et les familles de musiciens embarqués dans une telle
entreprise, les impresarios jouaient gros.

La mission impossible de Constantin


Le maître d’œuvre de cette entreprise était Angelo Costantini (1653-1729), un ancien acteur du
Théâtre Italien, plus connu à Paris sous le nom de Constantin ou encore de Mézétin, le rôle
« moitier aventurier, moitié valet » qu’il avait inventé pour la scène de l’Hôtel de Bourgogne.205
Il était le fils de Costantino Costantini, dit Gradelin, qui semble avoir été spécialement chargé de

202 Jean-François Regnard, « Le Départ des comédiens », in : Le Théâtre italien de Gherardi, ou le recueil général
de toutes les Comédies & Scènes françoises jouées par les Comédiens italiens du roi, vol. 5, Amsterdam 1721, p. 258 :
« Arlequin à Pasquariel : Et vous, Monsieur qu’allez-vous faire ? – Parsquariel : Je m’en vais avec ma sœur jouer
l’Opera en vendanges. – Arlequin : Comment donc ? – Mézétin : Ouy, Monsieur. Voyant qu’il n’y a plus rien à
faire à la Comédie, nous nous en allons jouer un Opera à la Campagne. »
203 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 64-70 et 71-72.
204 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 57-58 (« Mémoire pour l’opéra »).
205 François Parfaict, Histoire de l’ancien théâtre italien, Paris 1767, p. 83-93. Voir aussi Antoine d’Originy, Annales
du théâtre italien depuis son origine jusqu’ à ce jour, Paris 1788, p. 20-21.

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Chapitre 1

la musique pour les représentations du Théâtre Italien dans les années 1680.206 Plusieurs œuvres
de Watteau dépeignent Mézétin chantant avec sa guitare (Illustration 1.4). Voici la notice bio-
graphique que lui consacre Maupoint :
Mezetin Comédien de l’ancien Théâtre Italien se nommoit Angelo Constantini de la Ville de Verone,
il étoit frere d’Octave tous deux enfans de Gradelin ; Mezetin fut reçû dans l’ancienne Troupe des
Comédiens Italiens en l’année 1680. Il y joüa d’abord sous le masque d’Arlequin du tems même de
l’ancien Dominique : depuis il inventa le personnage de Mezetin qu’il a toûjours joüé à visage découvert
jusqu’au mois de May 1697 que le Théâtre Italien fut fermé, après quoi ces Comédiens s’étant dispersés,
Mezetin alla à Brunsvick, où ayant trouvé une Troupe Italienne, il y joüa le même rolle de Mezetin. Le
Roy de Pologne qui avoit entendu parler de ses talens l’en retira en 1699 pour l’attacher à son service &
lui accorda le titre de Noble avec les charges de son Camerier Intime, Trésorier de ses menus plaisirs &
Garde des bijoux de sa Chambre, lesquelles Mezetin exerça pendant près de trente ans : tout Paris qui le
croyoit mort, fut surpris de le voir reparoître sur le nouveau Théâtre Italien le 5. Fevrier 1729. Le sieur
Lelio fils composa un Prologue pour le produire au Public qui courut en foule le voir pendant le peu de
tems qu’il joüa sur ce Théâtre.207

Maupoint fait remonter le départ de Constantin vers les territoires de Braunschweig à la fermeture
du Théâtre Italien en 1697. La comptabilité de la cour de Celle montre cependant qu’il était actif
à Celle dès le mois de juillet 1690, avec sa femme et une troupe de comédiens italiens.208 Entre
1690 et 1697, Constantin était donc actif à la fois à Celle et à Paris avec deux troupes différentes,
puisque lui seul appartenait aux deux troupes à la fois. La troupe italienne de Celle, forte de dix
à treize personnes, demeura au service de la cour jusqu’en 1699.209 En 1699, les comédiens du duc
de Celle ayant joué pour le carnaval à Varsovie, Constantin se fit remarquer par Auguste le Fort
qui l’employa à son service. Le passage au service de la cour de Dresde s’accompagna en outre pour
Constantin d’une ascension sociale remarquable, puisqu’il se vit conférer le titre de Camérier privé
d’Auguste le Fort et annoblir, touchant une confortable pension annuelle de 700 Thaler.210
Immédiatement après son recrutement, Constantin fut dépêché à Paris afin d’y engager
une troupe d’opéra, ce qui peut expliquer la rapidité de son engagement : si l’on en croit une
lettre conservée aux archives de Dresde, la décision paraît avoir été prise assez soudainement et
sans le consentement préalable du duc de Celle.211 La suite de la carrière de Constantin à Dresde
ne ressemble guère au long fleuve tranquille suggéré par Maupoint : tombé en disgrâce à cause
d’une histoire d’amour ou d’une fausse facture, Constantin fut emprisonné en février 1702 dans
la forteresse de Königstein, d’où il fut libéré en 1708 à la suite d’une maladie. Il semble alors avoir

206 Émile Campardon, Les Comédiens du roi de la troupe italienne pendant les deux derniers siècles, Paris 1880, p. 136-138.
207 Maupoint, Bibliothèque des théâtres, Paris 1733, p. 208.
208 NLAH, Hann. 76c A Nr. 216, p. 430 : « Vermöge Ser.mi durchl. gnäd. befehls de dato den 1. July 1690 sind
denen in Ser.mi Durchl: diensten angenommenen Zehn Italiänischen Comoedianten an Vermochten Tracta-
ment Geldern und zwar quartaliter anticipando gezahlet: Diana della Tereza Costantini, Angelo Costantini,
Giovanni Gaggi, Francesco Mattarazzi, Anthonio Torri, Anthonio Stivorio, Anthonio Benozzi für sich und
dessen Frau, Alberto Vannozzi, Gio Battista Trezzi. »
209 La troupe est mentionnée pour la dernière fois à Celle dans le registre de 1698-1699. NLAH, Hann. 76c A
Nr. 223, p. 451 : « Besoldung denen Italiänischen Comoedianten vom 12. Augusti 1698 bis 13 Augusti 1699:
Sigra Tereza Costantini dta Diana, Antonio Stivorio detto Oratorio, dem selben beÿ seinem Abtritt vom 1 9br:
biß 1 9br 1699 und über dem zu Reisen Geldt, besage Sermi Durchl. Gnad. Ordre den 14t Octobr: 1698 und
Quitung, Francesco Mattarazzi detto Dottore, Giovanni Gaggi detto Pantaloni, Gennaro Sacchi detto Coc-
ciello, Guido Richinara detto Celio für sich undt seiner Frauen, De costantini detto Mezetin ordinaire, Noch
demselben Extraordinaire, Gio Battista detto Arlechino, Gio Battista Costantini detto Octave, Sebastiano di
Scio, Jean Roviere. »
210 Fürstenau, Zur Geschichte, vol. 2, p. 22-24. Le Reskript du 8 mars 1699 n’est plus conservé.
211 Lettre d’Angelo Costantini à Wolf Dietrich von Beichlingen, Paris, 31 août 1699. HStA Dresden, 10026
Geheimes Kabinett, Loc. 383/2, fol. 9 : « il ne me reste que dire un petit mot touchant Son Altesse Sere.me
Duc de Cell, Lorsque je suis parti de Warsovie pour venir a Paris executer Les Comendements du Roy je passé
par Cell, Son Altesse Sereniss.me ny estoit pas, j’escrivis au Grand Marechal Mons. Bulo que n’estant point
engagé a rester un tems fixe dans Cell, que je Le supplié tres humb. meⁿt de m’octroyer mon congé auprès de
Son Altesse Sere[nissi]me ».

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L’Europe galante comme marché du travail

Illustration 1.4. Jean-Antoine Watteau : Mezzetin, huile sur toile, 55,2x43,2 cm. New York, Metropolitan Museum of Art.

joui d’un regain de faveur, puisqu’il assure à partir de cette date plusieurs missions pour la cour
de Dresde, notamment en Italie où il recrute en 1715 la troupe italienne de Tommaso Ristori.212
Il se vit toutefois retirer sa pension en 1724, si bien qu’il dut à nouveau monter sur les planches à
Paris et Londres. Ayant quitté Paris criblé de dettes, il meurt à la fin de l’année 1729 à Vérone.213

212 HStA Dresden, Loc. 383/1, fol. 28, Mémoire de Thomaso Ristori [après 1733].
213 Katy Schlegel, « Costantini (Mezzettino, Mézétin), Angelo », in : Sächsische Biografie online.

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Chapitre 1

En 1699, Constantin se trouvait donc à Paris avec pour mission de mettre sur pied un opéra
français pour le compte de la cour de Dresde et la couronne de Pologne. Parallèlement au recrute-
ment de la musique et de la danse pour l’opéra, Constantin était également chargé de se procurer
divers objets de valeur pour la cour : la gravure d’un portrait d’Auguste le Fort, une médaille, un
exemplaire des Aventures de Télémaque qui venait tout juste de paraître clandestinement, des robes
pour une comtesse. Entre août et octobre 1699, il entretint une correspondance régulière avec
Auguste le Fort et le maréchal de la cour Wolf Dietrich von Beichlingen (« Oberhofmarschall »).
Cet ensemble de treize lettres où Constantin relate ses progrès et ses difficultés, réclame des lettres
de change afin de pouvoir payer des avances aux musiciens et échaffaude des listes provisoires de
personnel, permet de mesurer les risques et les difficultés liés à une telle entreprise, et de suivre pas
à pas la mise sur pied d’un tel ensemble.214 Les délais de la correspondance, les négociations paral-
lèles engagées par les deux parties avec d’autres interlocuteurs, les reculades et revirements de part
et d’autre sont des difficultés classiques pour les recruteurs, pour qui la réussite des négociations
représente souvent un enjeu crucial. Un mémoire envoyé en août 1699 illustre bien ces difficultés :
Vostre Majesté aura reçeu un memoire dont je prend la liberté de luy faire voire ou j’en suis pour l’Opera
de Vostre Majesté. Les abits sont achetés machines, decorat[io]ns et autre aussy, et même je croy qu’a
l’heure qu’il est le tout est parti de Donquerque pour Danzich, j’ay avancé de l’argent aux musiciens[,]
j’ay empeché la fortune de plusieurs qui estoyent apelé au service du Roy de Suede, et presentement que
je suis engagé de douze mile livres je reçois un ordre de Son Exel. Beichlingen de ne rien faire, et cepen-
dant il ne me manque plus rien de l’Opera ayant le nombre parfait de bons Musiciens et Musicienes,
dançeurs et dançeuses, et entr’autres de tres jolyes femmes, je suspenderay Sire de congedier ces gens la
jusques aux nouveaux ordres de Vostre Majesté, pour l’amour de Dieu Vostre Majesté aye La bonté de
faire reflection a la parole que j’ay doné a ces gens, ayant engagé celle de Vostre Majesté et par son ordre
a la depense desja faite, a la renomée […] Sire sy je done conges a tout un Opera cela faira un grand bruit
a la Ville et a La Cour, quoy qu’il en soit je m’aprete a prendre La fuite de ce pais de crainte di estre lapidé
par la Musique et par la Dance.215

On voit ici que Constantin a débauché plusieurs acteurs de la troupe de Rosidor, qui menait au
même moment des négociations parallèles avec Daniel Cronström. De son point de vue, la fiabi-
lité des ordres reçus semble être un problème majeur, la cour hésitant souvent à avancer ou pro-
mettre de l’argent. La question du crédit personnel est aussi un enjeu important : pour engager ses
musiciens, Constantin doit conserver sa réputation auprès de ses réseaux parisiens et la confiance
de ses interlocuteurs.216 En effet, les artistes qui acceptaient le marché prenaient aussi des risques
importants, d’où la nécessité de leur offrir des garanties. Constantin rappelle à plusieurs reprises
que « bien de[s] musiciens et dançeurs hommes et femmes ont quité leur etablissem[en]t de paris,
vendu leur[s] meubles, don[n]é conges à leurs maisons.217 » Le caractère herculéen de sa tâche, et
dans une certaine mesure son impossibilité, sont bien illustrés par la liste du personnel de l’opéra
et la comptabilité du voyage (Tableau 1.2).

Les impresarios : Louis Deseschaliers et Catherine Dudard


Pour constituer la troupe de l’opéra de Pologne, Constantin pouvait cependant se reposer sur des
collaborateurs expérimentés, les anciens directeurs de l’opéra de Lille. Originaires de Rouen, où
ils travaillaient tous deux à l’opéra, Louis Deseschaliers et sa femme Catherine Dudard avaient

214 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/2, fol. 1-30.
215 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/2, fol. 3-6.
216 Lettre d’Angelo Costantini à Wolf Dietrich von Beichlingen, Paris, 11 sept. 1699. HStA Dresden, 10026
Geheimes Kabinett, Loc. 383/2, fol. 14-15 : « j’ai continué a former cet’Opera, et j’ay reussy apres cela Vostre
Eccelance m’escris de n’en rien faire, coment me puis-je degager Monseigneur puisqu’ j’ay trouvé du credit
pour me faire prester de l’argent avec lequel j’ay acheté pour six mil escus d’habits, j’ay avance de l’argent aux
Musiciens qui se monte environ huit mil livres […] sy cette affaire manque je pranderay la fuite de Paris tout
come sy j’estoit un voleur du Grand chemin. La Cour en rira, les Parisiens railleront, ceux que j’ay engagées me
meaudiront, et je seray en état de ne plus revoir Paris ».
217 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/2, fol. 14.

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L’Europe galante comme marché du travail

Damoiselles Danseuses
2. Baudoin et Sa Mère 1. Noisy
1. Barbier & Son fils 1. Blin
1. Charpentier 1. Grand mariée
3. Camois Pere Mere & Soeur 2. Rognon
1. Cheurot & fils 1. La Valle
1. Chanlay 1. Barbié Cadette
1. St. Romain 1. Dubeau
1. Corail 2. Prudent et Pere
1. Paillet Danseurs
1. Grand fille 1. Lavalle
2. Riche ainée, Mere & frere 2. Protin… Mort femme
1. Riche Cadette 1. Desmarais
2. Vernart et Mere 1. Serancourt
2. Volié congedié à Ulme 1. Blin
Messieurs 1. Dubuisson
1. Coraill 1. Couturier
1. Fouvenelle & frere 1. Prache
2. Guiard et femme [Non classés]
2. Daniel femme et fille 3. Directeur Deschalliers Frere, Nourrice & fille
1. Bodot 1. Tailleur Causan pour hommes
1. Choiseau 1. Tailleur Dejardin pour femmes
1. Colasse 1. Violon Ode
1. Camot ainé 2. Violon Legros & femme
2. Camot cadet 1. Joueur de Viole Langlé
2. Duclou 1. Perrusquier Belanger
1. Coqueret 2. Machiniste Blain le pere & femme
1. Grueau Pere 1. Sous machiniste Pay Valet a Deschalliers
1. Grueau fils 1. Deschalliers pour avoir soin des habits
2. Le Feure et sa femme 1. Menard Coifeuse
1. Paillet 1. Dejardin Couturier sans gages
1. Renault Le Jeune Cuisinier
1. Racine Bequet Garenier
1. Verny Jean son Domestique
1. Volié et femme congédiés à Ulme 1. Legrand Comedien
2. Mercier et femme 1. Lagrand sa mère

En tout 93 personnes

Tableau 1.2. Composition de la troupe de Deseschaliers. HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/3, fol. 1 : « Nom des
personnes de l’opéra ».

pris la tête de l’entreprise lilloise en 1695 avec l'appui du maréchal de Boufflers.218 Ayant dû quit-
ter la ville en discrédit, ils séjournèrent à Mons et à Tournai avant de rentrer à Paris, où ils firent
affaire avec Constantin. Après l’échec de l’opéra de Pologne, le couple se lança aussitôt dans un
autre projet : la création d’un opéra à La Haye. Ils s’associèrent alors à Jean-Jacques Quesnot de
la Chesnée, marchand huguenot originaire de Genève résidant au Danemark : emprisonné en
France en 1687 à la suite de la Révocation de l’Édit de Nantes – il était allé chercher les biens de
sa femme décédée à Grenoble et fut accusé de chercher à faire sortir des protestants du royaume
– il émigra à Berlin, puis en Suède avant d’aller s’installer durablement au Danemark.219 Après

218 Fransen, Les Comédiens français, p. 196-197. Léon Lefebvre, Histoire du théâtre de Lille de ses origines à nos jours,
Lille 1907, p. 154-155.
219 Ahrendt, A Second Refuge, p. 66-67.

– 53 –
Chapitre 1

avoir mis fin à sa collaboration avec les Deseschaliers, qui dura de 1701 à 1705, Quesnot ne fut
pas tendre avec ses anciens associés : il fit le récit de son expérience dans un brûlot satyrique, une
« Histoire instructive et galante » destinée à publier les méfaits commis par Louis Deseschaliers
– qui était rebaptisé Louis le Timbalier – et sa diabolique épouse.220 Quesnot retrace en détail la
biographie des deux directeurs d’opéra, tout en relatant l’histoire de l’opéra de La Haye, qui prit
place dans la biographie des Deseschaliers juste après l’épisode de Pologne.
Le recrutement des acteurs pour l’opéra de Pologne est documenté par un « Mémoire pour
l’Opera » probablement rédigé par Constantin, qui propose une première ébauche de troupe.221
Les noms des acteurs sont répartis en quatre catégories (« Damoiselles qui chantent », « Filles
pour la dance », « Hommes qui chantent » et « Danseurs ») et semblent avoir été recrutés pour des
motifs bien variés : on y trouve un mélange de critères physiques (« belle fille, belle et jeune, joly
garçon, brune picante, bien fait, passable, grosse dondon »), théâtraux (« jolie et buffone, brune
picante, tres alerte ») et musicaux (« bone musiciene, bon pour les cœurs [chœurs], bon à chanter,
esquis musicien, tres bon musicien »). Le document se conclut par une rodomontade : « il manque
encore deux ou trois personnes pour le chant et l’opera est aussi grand et aussi parfait que celui
de paris, qui coute a francini 31 mil escus par an, cependant Mezettin a trouvé moyens pour le
composer a 17 ou 18 mil escus par an. »
La comptabilité permet de reconstruire l’itinéraire emprunté par la troupe entre Paris et
Varsovie.222 Passant par la voie continentale au cours d’un voyage de trois mois, la troupe de-
meura douze jours à Strasbourg, huit jours à Ulm, douze jours à Vienne et huit jours à Cracovie.
Elle arriva à Varsovie avec une composition un peu modifiée, certains membres lui ayant faussé
compagnie en cours de route, d’autres ayant été congédiés, d’autres enfin ayant été nouvellement
recrutés.223 La comptabilité nous apprend aussi que les décors et costumes sont ceux de l’opéra de
Lille.224 La troupe semble avoir répété à Paris avant son départ.225 Outre les nombreuses dépenses
engagées pour divers tissus, gallons, franges, dentelles, perruques et autres fausses pierreries, on
relève la présence de quelques livres de musique dont le titre n’est pas précisé.226
Le séjour de l’opéra à la cour de Pologne fut mouvementé. Certains membres de l’opéra
(dont Catherine Dudard, qui selon Jean-Jacques Quesnot se retournait fréquemment contre ses
associés) signèrent une pétition contre la comptabilité établie par Constantin, accusé d’avoir
gonflé les factures aux dépens du roi, de n’avoir pas honoré tous les paiements contractés au
nom de la cour, et de s’être octroyé une marge conséquente sur la plupart des dépenses engagées
pour l’opéra. Le document présente une comptabilité concurrente, censée rectifier la première.
En marge de la pétition figurent des annotations manuscrites de Constantin, qui proteste qu’il
possède les reçus correspondant aux dépenses indiquées. Cette contestation oblige Constantin
à préciser la provenance et la date d’arrivée de certains des membres. Plusieurs d’entre eux n’ont

220 Jean-Jacques Quesnot de La Chesnée, L’Opéra de La Haye. Histoire instructive et galante, Cologne 1706.
221 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 57.
222 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/3 : « Estat de touttes les depenses faittes par ordre de sa
Majesté le Roy de Pologne et l’Electeur de Saxe tant a Paris qu’ailleurs par le sieur Constantini son Camerier. »
Voir Illustration 3.2, p. 149.
223 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/3, fol. 4 : « Pour ce que le S. de Constantini a donné a Paris,
a l’Isle, a Ulme, a Vienne aux musiciens et danseurs qui luy ont fait banqueroute et autres qu’il a congediez —
3703 [livres]. A deux musiciens qu’il a fait venir de Bordeaux, dont l’un est Camot & l’autre qui a pris la fuite
— 30 [livres]. »
224 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/3, fol. 2 : « Pour dix sept grands ballots d’habits et bardes
de l’Opera, pour les envoyer de l’Isle a Dunkerque & de la a Paris, toujours par terre, il y a le receu — 800
[livres]. »
225 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/3, fol. 2 : « Pour despenses faites a Paris pour des repeti-
tions, Chandelles, louage d’instruments, bancs, tables, chambres, simphonistes & carosses pendant huit mois
il y a les receus — 896 [livres]. »
226 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/3, fol. 3 : « Pour quelques opera acheptez par l’ordre du S.
Deschalliers et livres en partitions il y a les receus — 510 [livres]. »

– 54 –
L’Europe galante comme marché du travail

été engagés qu’à Strasbourg, d’où ils sont venus de Flandres.227 Il précise aussi le nom des acteurs
qui ont été actifs à l’opéra de Lille.228

De Dresde à La Haye : un changement de modèle


Les ennuis ne faisaient pourtant que commencer, puisque le frère de Catherine Dudard fut
bientôt tué dans un duel avec le maître à danser de la cour, le Français Potier, ce qui valut aux
Deseschaliers d’être exclus des États d’Auguste le Fort.229 Le maître de danse Potier avait été
engagé à Paris en 1699 par l’intermédiaire du résident saxon en France, le lieutenant Karl Gustav
von Jordan.230 Contrairement aux Deseschaliers, Potier fut maintenu à son poste après le duel,
par un ordre du 17 décembre 1704 qui le confirmait comme maître de danse auprès des jeunes
princes.231 Le départ des directeurs ne signifiait pas le renvoi de la troupe dans son ensemble,
puisqu’Alina Żórawska-Witkowska indique que la troupe de Deseschaliers reste à Varsovie
jusqu’en 1703 ou 1704.232 Jan Fransen mentionne plusieurs missives diplomatiques laissant en-
tendre que les musiciens français ont pu donner au moins quelques représentations à Varsovie.233
Moritz Fürstenau indique quant à lui que le début de la guerre du Nord en 1700 fit que le sou-
verain resta principalement en Pologne pendant les années suivantes, et que la troupe n’alla de
ce fait jamais à Dresde avant 1705. Les irrégularités dans le paiement des salaires décidèrent les
membres de l’opéra à demander leur renvoi en 1701. Ils ne l’obtinrent pas, mais reçurent le 29 no-
vembre 1703 la permission d’aller se produire dans d’autres villes ou d’autres cours, en particulier
à Leipzig où ils pouvaient jouer pendant les foires. La troupe avait l’interdiction d’échanger ses
membres ou de se dissoudre sans la permission du roi sous peine de ne pas recevoir de traitement.
Ce n’est qu’en 1705 que les membres de la troupe furent définitivement renvoyés.234
Au-delà des aventures rocambolesques qui provoquèrent le renvoi de l’opéra de Pologne, par-
delà l’accusation de rouerie formulée par Quesnot à l’encontre des Deseschaliers, il convient de
s’interroger sur les raisons profondes qui provoquèrent l’échec de l’expérience. Nous avons vu que

227 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/3, fol. 11 : Corail et sa femme, les deux Legrand, Mercier
et sa femme, Laval et sa femme. Constantin précise qu’ils « ont fait leur sejour en Flandres et se sont rendus
ponctuellement la veille du jour de mon arrivée à Strasbourg les ayant rencontrés en chemin et leur ayant
donné cent livres pour achever leur voyage. »
228 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/3, fol. 16 : « Ce qui prouve la fausseté de cet article est que
de tous les faux témoins qui ont signe cet article il ny avoit que la Dechalliers, Lefevre Touvenel qui fussent a
Lille et tous les autres estoient dispersés dans tout le Royaume. »
229 Quesnot de La Chesnée, L’Opéra de La Haye, p. 238-240 : « Durant cet intervale le fameux Mezetin arriva à
Paris pour assembler des sujets pour l’Opera de Pologne ; il fit connoissance avec Deseschaliers, & après avoir
contracté ensemble, ils jouerent a qui voleroit mieux l’Auguste Monarque, qui leur faisoit fournir l’argent pour
conduire les sujets à Varsovie. Le mari ni la femme ne firent pas grand sejour à la Cour de ce grand Prince sans
faire de leurs tours accoutumez : Deseschaliers faisoit tous les jours de nouvelles friponneries, & sa femme
mettoit tout en desordre, animoit les uns contre les autres, jusqu’au point de faire battre son propre Frere
contre le Sr. Potier, qui est un jeune homme fort sage, & d’un très-parfait merite. Il en couta la vie à ce Frere
malheureux, pour avoir trop écouté cette détestable Sœur. Le Sr. Potier en agit le mieux du monde ; car après
avoir desarmé son ennemi, il lui offrit de laisser toute rancune à part & de vivre avec lui, comme avec un parfait
ami ; mais cet homme qui cherchoit sa mort, poussé & animé par sa Sœur ou pour mieux dire par une furie
affreuse ; ne fut pas content de toutes ces honnêtetez, & voulut se battre encore une fois : il lui donna l’heure
pour cela ; le Sr. Potier se trouva au rendez-vous, ils mirent l’épée à la main, la bonne cause triompha, & le Sr.
Potier fit mordre la poussiere à un ennemi obstiné à chercher la mort. L’action étoit bonne & le Roi trop juste
pour perdre le Sr. Potier, qui eut sa grace, toute l’indignation de ce Monarque tomba sur les causes criminelles
de la mort de cet homme : Deseschaliers & Catherine Dudar pour ce crime joint à bien d’autres, furent bannis
de Pologne & eurent ordre de sortir incessamment des Etats de sa Majesté. »
230 HStA Dresden, 10026, Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 7.
231 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 60.
232 Alina Żórawska-Witkowska, « The Saxon Court of the Kingdom of Poland », in : Music at German Courts 1715-
1760. Changing Artistic Priorities, dir. Samantha Owens, Barbara M. Reul et Janice B. Stockigt, Woodbridge
2011, p. 51-77, ici p. 53.
233 Fransen, Les Comédiens français en Hollande, p. 200-201.
234 Fürstenau, Zur Geschichte, vol. 2, p. 30-31.

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Chapitre 1

le modèle de la troupe était au fondement même du projet. Le maître d’œuvre Constantin avait
d’ailleurs une longue expérience de la vie de troupe à la suite de nombreuses années de pratique
comme comédien italien dans la troupe de l’hôtel de Bourgogne et comme directeur dans la troupe
de Celle. D’autre part, l’engagement au même moment d’une troupe de comédiens à La Haye a sans
doute conduit l’administration à traiter les deux projets comme deux volets d’une même entreprise.
Or, la mise sur pied d’une troupe d’opéra calquée sur le modèle d’une troupe de comédiens rele-
vait de la gageure : l’opéra français représente en effet une forme spectaculaire particulièrement
dispendieuse en moyens et en personnel. La spécialisation poussée des chanteurs, non seulement
par type de rôles mais aussi par tessitures vocales, la présence d’instrumentistes et de danseurs, et
l’esthétique du merveilleux qui sont au cœur de l’opéra français le rendent très mal adapté à une
structure de troupe – contrairement aux comédiens français ou aux ensembles d’opéra italien qui
peuvent adopter sans difficulté ce fonctionnement étant donné leur structure beaucoup plus légère.
Deseschaliers ne s’y trompa pas lorsqu’il développa, dès son arrivée à La Haye, un dispositif
commercial beaucoup plus léger : tout en faisant un usage intensif des ressources locales à travers
la location d’une salle et son association avec Quesnot et Schott, il réduisit sa contribution au
personnel à l’engagement de quelques bons chanteurs français.235 Le contrat qu’il signe le 31 mai
1701 à La Haye avec Jean-Jacques Quesnot de la Chesnée et Gerhard Schott est très révélateur de
ce point de vue.236 Deseschaliers avait repris quelques chanteurs de l’opéra de Pologne : Marie-
Thérèse Charpentier et la chanteuse Diard, sans doute apparentée au musicien Pierre Diard qui
était également arrivé avec l’opéra de Pologne.237 De nouveaux musiciens sont aussi recrutés,
mais on privilégie désormais la qualité par rapport à la quantité : le 2 août 1701, Marie Rochois,
nièce de la célèbre soprano de l’Académie royale de musique, est engagée à La Haye.238 Même
si le négociant hambourgeois Gerhard Schott – qui était aussi l’un des fondateurs de l’opéra de
Hambourg et, à partir de 1685, son seul directeur – se retira rapidement de l’affaire, l’opéra de
La Haye perdura jusqu’en 1713, date à laquelle les Deseschaliers se rendirent à Utrecht pour y
fonder une nouvelle entreprise.239 Le modèle de la troupe d’opéra itinérante ne se poursuivit donc
pas au-delà de la courte expérience polonaise, et se sédentarisa bientôt en milieu urbain sous une
forme transformée. Pour continuer à accueillir des musiciens français sans faire appel au modèle
de la troupe, les cours d’Empire devaient donc inventer des modèles alternatifs de recrutement et
de financement, en développant de nouvelles pratiques d’administration de la musique française.

Du mécène au public : l’invention de la célébrité musicale


L’Europe musicale qui émerge dans la seconde moitié du xviie siècle resta longtemps une Europe
des cours. L’espace parcouru par les musiciens est en effet polarisé par les résidences ducales ou
princières du Nord de l’Europe, beaucoup plus que par les principales métropoles européennes ou
les grands centres d’activité économique. En finançant le recrutement, le voyage et l’installation
permanente d’ensembles français, les cours semblent avoir bénéficié d’une sorte de monopole sur

235 Ahrendt, A Second Refuge, p. 126-135.


236 Fransen, Les Comédiens français en Hollande, p. 202. Le contrat prévoit que Schott et Quesnot fourniront les
décors et les costumes du théâtre de Kiel pour l’exécution d’Armide, ainsi que les habits pour les trois opéras
suivants : Thésée, L’Europe galante et un autre opéra de Lully.
237 Fransen, Les Comédiens français en Hollande, p. 201. Quesnot, L’Opéra de La Haye, p. 85-86 (« Madamoiselle
[sic] Diar personne d’un grand merite, & l’ornement de notre Théatre, n’est venuë à la Haye que par cet odieux
stratagême ») et p. 116 (« Comme j’ai donné quelques louanges à Mademoiselle Guyart qui se distingue beau-
coup, l’on prend pié là-dessus pour supposer que je suis son Amant »). Pierre Diard est souvent appelé Guiard
dans les archives de Dresde.
238 Jérôme de La Gorce, « Contribution des Opéras de Paris et de Hambourg à l’interprétation des ouvrages
lyriques donnés à La Haye au début du xviiie siècle », in : Aufklärungen. Studien zur deutsch-französischen Musik-
geschichte im 18. Jahrhundert. Einflüsse und Wirkungen, dir. Wolfgang Birtel et Christoph Hellmut Mahling,
Heidelberg 1986, p. 90-103, ici p. 92-95.
239 Fransen, Les Comédiens français en Hollande, p. 193-250. Ahrendt, A Second Refuge, p. 113-181.

– 56 –
L’Europe galante comme marché du travail

la musique française jusque dans les années 1700. Si l’on admet que la circulation de la musique
française est d’abord liée au théâtre, ce constat n’est pas surprenant, puisque c’est surtout dans les
cours que se trouvait un public francophone. Ce modèle évolue cependant de façon spectaculaire
dès les premières années du xviiie siècle : les musiciens se produisent de plus en plus souvent en
dehors du monde de la cour, dans le cadre d’institutions publiques et devant un public urbain. Les
cours ne représentent plus pour eux l’unique vivier d’opportunités professionnelles. En Europe
du Nord, cette évolution est encouragée par la migration des huguenots qui forment un nouveau
public francophone parmi les élites urbaines en Hollande ou dans l’Empire.240 Mais plus large-
ment, c’est aussi l’apparition d’un nouvel espace public musical tout au long du xviiie siècle qui
favorisait cette évolution.

L’Europe des métropoles et la célébrité


L’apparition au xviiie siècle d’une nouvelle « économie de la célébrité » liée à l’urbanisation de
l’Europe, aux mutations de la sphère publique, à la commercialisation des divertissements et au
développement d’une société du spectacle a été bien mise en évidence par les travaux d’Antoine
Lilti. Cette forme moderne de notoriété, née dans les milieux du théâtre avant de gagner d’autres
secteurs de la vie sociale et symbolisée par l’apparition de vedettes, se distingue par bien des
aspects de la « réputation » ou de la « gloire ». Dans notre perspective, il faut surtout retenir le
rôle central joué par les musiciens dans cette nouvelle économie du divertissement, analysée par
Lilti à partir de la figure des castrats ou de Liszt.241 Mais aux racines de cette évolution profonde
se trouve aussi un autre phénomène : le passage d’un modèle de mécénat aristocratique ou curial
à un modèle de financement public.

Urbaniser l’opéra français


La production d’Acis et Galatée sur la scène de l’opéra de Hambourg en 1689 représente une étape
décisive dans ce processus. Cette entreprise était téméraire sur bien des plans. Première exécution
d'une œuvre lyrique étrangère sur une scène publique allemande, elle arrachait à son environne-
ment naturel un sous-produit de l’opéra français en le transplantant dans un contexte urbain pour
lequel il n’avait pas été conçu, tout en conservant le texte en version originale devant un public
majoritairement germanophone. Première « pastorale héroïque » composée par Lully pour le châ-
teau d’Anet où elle fut créée le 6 septembre 1686, Acis et Galatée avait d’ailleurs déjà été produite
l’année suivante à la cour de Darmstadt pour le mariage d’Ernst Ludwig von Hessen-Darmstadt
avec Dorothea Charlotte, la sœur de Johann Friedrich von Brandenburg-Ansbach. Cette première
adaptation pour un évènement dynastique montre qu’il ne faut pas voir dans la pastorale un genre
par nature « moins ambitieux et moins sophistiqué » que la tragédie en musique et qui serait de ce
fait mieux adapté à un contexte d’exécution « bourgeois » par opposition au public aristocratique
de la cour, ni supposer que le public hambourgeois était particulièrement sensible aux éléments
ruraux et burlesques, par opposition au grand goût de la cour.242 Au contraire, cette œuvre est le

240 Sur Amsterdam et Rotterdam, cf. Ahrendt, A Second Refuge, p. 182-220.


241 Antoine Lilti, The Invention of Celebrity, Cambridge 2017, p. 24-49 et 233-241.
242 Cf. Hellmuth Christian Wolff, Die Barockoper in Hamburg (1678-1738), Wolfenbüttel 1957, vol. 1, p. 109 : Acis et
Galatée serait « von einer feinen Komik, eine regelrechte musikalische Komödie. Der polternde Polyphem, die
ländlichen Feste, die burlesken Märschen mit Piccolo-Flöte u.a. dürften den Hamburgern besonders zugesagt
haben. » Voir aussi Herbert Schneider, « Opern Lullys in deutschprachigen Bearbeitungen », p. 72 : « Das
weniger strenge und anspruchsvolle Genre der Pastorale eignete sich für Aufführungen in einem bürgerlichen
Rahmen besser als die Tragédie en musique, deren Darstellung des Menschen zu sehr an der Wirklichkeit des
bürgerlichen Lebens vorbeiging. » Rebekah Ahrendt a déjà contesté cette vision, proposant plutôt de voir dans
la production hambourgeoise de 1689 un geste en direction de la communauté huguenotte, enjeu crucial dans
les négociations d’Altona et qui venait de bénéficier de l’ordonnance du 12 mars 1689 « portant que les sujets
de Sa Majesté qui sont sortis du Royaume à l’occasion de la révocation de l’Édit de Nantes, lesquels iront servir
dans les troupes du Roy de Danemark, ou se retireront à Hambourg, jouiront de la moitié des revenus des biens
qu’ils ont dans les Estats de Sa Majesté. » Ahrendt, A Second Refuge, p. 76-86.

– 57 –
Chapitre 1

premier épisode d’un lent processus qu’on pourrait appeler d’urbanisation de l’opéra français, sans
solution de continuité avec le monde de la cour, mais qui se greffe au contraire sur un personnel et
des pratiques musicales développées dans le cadre du mécénat aristocratique.
Plusieurs indices suggèrent d’ailleurs un continuité très forte entre les deux productions
de Darmstadt (1687) et Hambourg (1689). Même si le livret de Darsmtadt n’est plus conservé et
qu’aucune liste de personnel ne figure dans celui de Hambourg, plusieurs musiciens semblent
avoir participé aux deux productions : outre la possible présence de Georg Österreich et des sœurs
Kellner à Hambourg,243 le chanteur Dumont apparaît dans le personnel de l’opéra de Hambourg
en 1694. Le nom de ce chanteur émerge dans un procès qui opposa les deux directeurs musicaux
de l’opéra, Johann Sigismund Cousser et Jakob Kremberg, dans lequel ce dernier accuse Cousser
de pratiquer une concurrence déloyale en débauchant les meilleurs chanteurs de l’opéra pour
ses représentations dans la salle du Remter.244 Dumont était en même temps au service d’Ernst
Ludwig à Darmstadt, puisque celui-ci se plaint dans lettre à Auguste le Fort que le comédien
ait été engagé à Dresde sans son consentement, ce qui trouble le bon fonctionnement de sa
troupe de comédiens.245 Il a donc probablement participé successivement à trois représentations
de l’œuvre, en 1686 à Darmstadt, puis à Hambourg en 1689 et 1695. Parmi le personnel musi-
cal de la Hofkapelle de Darmstadt en 1687, on note également la présence, sous la direction du
Kapellmeister Wofgang Carl Briegel, de deux violonistes français, Claude Caillart et Baptiste de
Grot, ainsi que d’un hautboïste Farinet et d’un bassoniste Maillard.246
En dépit de ces liens avec la production de Darmstadt, deux éléments suggèrent que les
producteurs hambourgeois avaient parfaitement conscience des défis spécifiques posés par l’exé-
cution de cette œuvre en contexte urbain. La réécriture du prologue, pratique d’adaptation extrê-
mement courante, fait le choix audacieux de camper celui-ci dans un lieu familier (« Le Théâtre
Represente les Environs de la ville d’Hambourg »).247 La référence au contexte hambourgeois est
également présente dès les premiers mots du Prologue, où Diane fait allusion à la paix d’Altona
qui venait d’être signée, le 20 juin 1689, par le roi du Danemark Christian V, qui avait participé
au financement de l’opéra de Hambourg lors de sa fondation en 1677. Plus loin, le long monologue
d’Apollon qui fourmille d’allusions à la monarchie française dans la version originale est tout
bonnement coupé et réduit à l’apostrophe finale (Tableau 1.3). Mais au-delà de ces reformulations
subtiles, l’adaptation à un nouveau contexte urbain et républicain exigeait des mesures encore
plus radicales : trois ans plus tard, lorsque l’œuvre fut reprise, la direction de l’opéra ressentit le
besoin de faire traduire l’intégralité du livret.
C’est un avocat et ami proche de Gerhard Schott, l’un des fondateurs de l’opéra de Hambourg
et son directeur à partir de 1685, qui assura la traduction : Christian Heinrich Postel.248 Lui-
même auteur de plusieurs livrets pour l’opéra de Hambourg, Postel avait déjà traduit quelques
années auparavant le livret d’un autre opéra de Lully représenté à Hambourg sous le titre Die
unglückliche Liebe des Achilles Und der Polixena.249 Il avait fait précéder cette traduction d’une
courte préface sur les enjeux d’une « Verdeutschung » de l’opéra français. Postel reconnaît d’abord
que « les vers et les tournures » de cette « œuvre singulière » pourront sembler « étrangères »

243 Ahrendt, A Second Refuge, p. 76.


244 Walter Schulze, Die Quellen der Hamburger Oper (1678-1738): eine bibliographisch-statistische Studie zur Ges-
chichte der ersten stehenden deutschen Oper, Hamburg 1938, p. 149. Sur le conflit qui opposa Kremberg et Cousser,
cf. Werner Braun, Vom Remter zum Gänsemarkt. Aus der Frühgeschichte der alten Gansemarkt-Oper (1677-1697),
Saarbrücken 1987, p. 128-129.
245 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 133-134. Lettre de Ernst Ludwig von Hessen-Darm-
stadt à Auguste le Fort, Darmstadt, 8 sept. 1714. Dumont et sa femme sont à Dresde à partir de 1714.
246 Hermann Kaiser, Barocktheater in Darmstadt. Geschichte des Theaters einer deutschen Residenz im 17. und 18. Jahr-
hundert, Darmstadt 1951, p. 81.
247 Acis et Galatée, Hambourg 1689.
248 Solveig Olsen, Christian Heinrich Postels Beitrag zur deutschen Literatur. Versuch einer Darstellung, Amsterdam
1973, p. 11-12.
249 Achille et Polixene, Hambourg 1692.

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L’Europe galante comme marché du travail

Campistron, Anet 1686 Anonyme, Hambourg 1689


Le Theatre represente le Château d’Anet. Le Theatre Represente les Environs de la ville
d’Hambourg
Diane. Diane.
Qu’avec plaisir je reviens en ces lieux Qu’avec plaisir je reviens en ces lieux
Que jadis mon sejour rendit si glorieux, Pour avoir un sejour charmant & glorieux,
Ou regnoient la splendeur & la magnificence ! Ou la tranquille paix regne en magnificence !
Le Fils du plus puissant, du plus juste des Rois Le plus aimable don des Cieux & de leur Roy
Leur redonne aujoud’hui par sa seule présence Qui leur donne aujourd’huy par sa seule presence
Encore plus d’éclat qu’ils n’eurent autrefois Encore plus d’eclat qu’ils n’eurent autre fois.
[…] Apollon. […] Apollon.
Apollon en ce jour aprouve vôtre zele Vous, habitans de ce sejour aimable,
Pour un Prince charmant, Redoublez vôtre empressement,
Et vient joindre aux plaisirs d’une fête si belle Gardez-vous de perdre un moment
D’un Spectacle nouveau le doux amusement. D’un temps si favorable.
Au plus grand des Heros j’ai toûjours soin de plaire, […]
Vous, habitans de ce sejour aimable,
Redoublez vôtre empressement,
Gardez-vous de perdre un moment
D’un temps si favorable.

Tableau 1.3. Comparaison du prologue de Acis et Galatée dans la version originale et la version hambourgeoise.

au public de Hambourg, confirmant ainsi que même pour des élites urbaines, cultivées et cos-
mopolites, la compréhension culturelle et peut-être linguistique d’une œuvre française demeu-
rait une gageure. En effet, si l’œuvre avait été composée « d’après les coutumes d’ici », l’auteur
aurait fait usage de vers réguliers pour les récitatifs, les aurait régulièrement entrecoupés de
« vraies arias » et n’aurait pas employé les expressions un peu fortes que l’on peut y découvrir.250
Postel justifie aussi l’étrangeté de sa traduction en insistant sur le fait qu’elle n’est pas une simple
« Verdeutschung », mais qu’elle suit la musique originale de la pièce sur laquelle elle peut être
chantée, et que sa traduction doit donc respecter la structure métrique du texte français.251 La
présentation du texte en version bilingue sur deux pages suggère pourtant que l’opéra avait été
traduit en allemand à l’intention du public mais chanté en français sur scène, comme le confirme
Mattheson.252 En revanche, trois ans plus tard, lorsque Acis et Galatée fut rejouée à Hambourg
dans une nouvelle production en 1695, toute référence au texte original français avait disparu
du livret, et la préface suggère que l’œuvre fut donnée entièrement en allemand pour mieux
répondre aux attentes du public.253
Cette succession de trois productions marque donc une adaptation progressive de l’opéra
français aux attentes d’un public urbain et un éloignement progressif du modèle de la cour, dans
lequel les œuvres françaises étaient toujours exécutées en langue originale – c’était même la
caractéristique première des divertissements français. Mais cette urbanisation n’était pas une
rupture complète, puisque l’opéra continuait de s’appuyer sur le personnel français des cours avoi-

250 Achille et Polixene, Hambourg 1692, préface non paginée : « Geneigter Leser. Es wird dir gegenwärtig auff un-
serm Opern=Theatro ein sonderbahres Stück vorgestellet, dessen Verse und Redens-Ahrten manchem frembd
werden vorkommen, der, ohn diesen Vorbericht zu lesen, dieselbe ansiehet. Dann wann man es nach hiesigem
Gebrauch hätte wollen einrichten, müsten beyderley auf ganz andere Manier herauskommen, nemlich die
Verse recht regulier mit ordentlichen Arien dazwischen, und die Redens-Arten nicht so hart, wie sie bisweilen
seyn ; hätte man aber nichts anders als eine Verdeutschung intendiret. »
251 Deux exemples d'adaptation de la traduction de Postel à la musique de Lully et Collasse sont donnés par Ah-
rendt, A Second Refuge, p. 96 et 100.
252 Mattheson, Der Musicalische Patriot, Hambourg 1728, p. 181.
253 Acis et Galatée, Hambourg 1695, préface non paginée : « Geneigter Leser. Weil dieses Schau=Spiel vor einiger
Zeit, ob schon in frembder Sprache, jedoch aber mit grosser Satisfaction der Herrn Zuschauer auffgeführet
worden : Als zweiffelt man umb so viel desto weniger, das es anitzo, nach dem es in unsere Teutsche Sprache
übersetzt, unangenehm fallen würde ».

– 59 –
Chapitre 1

sinantes. Un simple regard sur la liste des acteurs et des danseurs donnée par Marx et Schröder
suffit pour le constater.254 Parmi les Ballettmeister français actifs en 1694, on note (outre Du Bois,
Du Bros et Thiboust) la présence de Jean-Jacques Favier, maître à danser à Celle. On remarque
également la présence en 1709 d’un certain La Vigne : il s’agit probablement de Philippe La Vigne,
Kapellmeister de la cour de Celle, puisque son fils, également maître à danser, meurt en 1707.
Dès les années 1690, la musique et des musiciens français sortaient donc de leur lieu d’acclimata-
tion premier dans l’Empire, les cours, pour aller conquérir de nouveaux espaces et de nouveaux
publics sur la scène de Hambourg.

Laboratoires de célébrité
Le rôle de l’Italie comme laboratoire de la célébrité musicale dans les premières décennies du
xviiie siècle a été très bien montré par Mélanie Traversier, qui a relevé à travers l’exemple de
Naples le caractère central que revêtait pour de nombreux musiciens le passage en Italie dans
la construction d’une réputation musicale.255 Si des compositeurs allemands comme Händel,
Quantz ou Hasse mirent à profit cette stratégie pour acquérir une célébrité internationale, il en
allait de même pour des musiciens aujourd’hui moins connus. En 1738, un témoignage anonyme
relatant une représentation à l’opéra de Milan mentionne « le premier Hautbois de l’Europe »
François Desnoyers, qui aurait « brillé dans toute l’Italie » et imposé la pratique de l’air avec
accompagnement obligé de hautbois :
On n’avoit point de Hautbois dans les Concerts ; Le Prince [Charles-Henri de Lorraine-Vaudémont] a
été le premier qui les y a introduits, & ils y ont si fort plû que toute l’Italie l’a imité effectivement, il avoit
à son service le premier Hautbois de l’Europe, nommé des Noyers, François, élevé en Allemagne dans
la Musique de l’Electeur de Hannover. Son habileté est cause qu’on a composé des airs expres pour être
récitez dans l’Opera avec le seul Hautbois & une seule voix de femme qui charmoit. La voix & le son de
cet Instrument étoient si bien mêlez ensemble qu’on auroit crû que ce n’étoit qu’une seule voix. Ce des
Noyers a brillé dans toute l’Italie ; & on a voulu avoir des Hautbois dans tous les Operas & même dans
les Musiques d’Eglise.256

François Desnoyers, alors au service du gouverneur de Milan, avait d’abord servi à la cour de
Hanovre : d’après Denis Nolhac, l’auteur de ce texte, Desnoyers y aurait aussi été formé, sans doute
sous l’égide des trois hautbois engagés en 1688. Il est en tout cas présent pami les « Frantzösische
Musicanten » de la cour en 1698.257 Desnoyers semble ensuite avoir fait carrière dans toute l’Italie,
passant d’un modèle de mécénat lié au monde de la cour à un modèle de notoriété typique des mé-
tropoles musicales italiennes et beaucoup plus proche du vedettariat. D’autres musiciens suivirent
une trajectoire similaire. Nicolas Delvaux, un flûtiste qui appartenait à la troupe de hautboïstes
engagée en 1696 à Dresde, se trouve à Rome entre 1710 et sa mort autour de 1745 : flûtiste membre
de la congrégation Saint-Cécile en 1710, il apparaît ensuite comme violoniste lors de l’exécution
d’une cantate au palais apostolique en 1733, puis comme contrebassiste au Theatro Alibert à Rome
en 1739, avant d’être mentionné dans les listes de morts pour les messes de suffrage.258 C’est sans

254 Hans Joachim Marx et Dorothea Schröder, Die Hamburger Gänsemarkt-Oper. Katalog der Textbücher, Laaber
1995, p. 439-457.
255 Mélanie Traversier, « Costruire la fama musicale. La diplomazia napoletana al servizio della musica durante
il regno di Carlo di Borbone », in : Europäische Musiker in Venedig, Rom und Neapel (1650-1750). Les musiciens
européens à Venise, Rome et Naples (1650-1750), dir. Anne-Madeleine Goulet et Gesa zur Nieden, Kassel 2015,
p. 171-189.
256 Denis Nolhac, Voiage historique et politique de Suisse, d’Italie et d’Allemagne, Francfort 1736, p. 166-167. Cet
imprimé est publié de façon anonyme, mais l’auteur est identifié par Jean Daniel Candaux, « Un anonyme
identifié. Les souvenirs de voyage de Denis Nolhac, réfugié, marchand et manufacturier huguenot », Revue
française d’ histoire du livre, 53/45, 1984, p. 691-711.
257 NLAH, Hann. 76c A Nr. 118, p. 314 : « Francois Denoyes von Ostern biß den 21. July 1698 von 10 Wochen à
jährlich 115 Thlr. womit derselben abgehet 35 Thlr. 15 gr. »
258 Base « Musici europeisti a Venezia, Roma e Napoli (1650-1750) » (http://www.musici.eu) : fiche en ligne.

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L’Europe galante comme marché du travail

doute en Italie que le comte Rudolf Franz Erwein von Schönborn-Wiesentheid put se procurer
un de ses manuscrits, puisqu’une sonate pour violoncelle de « Nicolo Delaux » se trouve dans sa
collection musicale.259
La biographie de Händel montre bien le caractère stratégique d’un passage par l’Italie dans
la construction d’une célébrité légendaire, puisque c'est depuis Rome, Florence et Venise qu'il se
fit recommander à Hanovre par Ferdinand de Médicis. Il se dirigea ensuite à Londres où il devint
l’un des premiers exemples de compositeur vedette. La trajectoire de la chanteuse Madeleine de
Salvay, qui appartenait à la troupe de Tommaso Ristori avec qui elle se rendit à Dresde avant de
rejoindre Londres, est très similaire. L’Italie était donc une destination attractive, mais le pas-
sage par Londres fut aussi un tremplin vers la célébrité pour de nombreux musiciens et danseurs
français grâce à l’union personnelle entre Hanovre et l’Angleterre à partir de 1714. Le danseur
Georges Desnoyers et le musicien Johann Ernst Galliard passent sans difficulté du service de
membres de la famille royale basés à Londres à celui de ceux qui sont restés à Hanovre, ou inver-
sement. Pour les deux hommes, le passage à Londres marque aussi la prise de contact avec un
marché de la musique florissant (voir ci-dessous).
La trajectoire de William Babel, fils du hautboïste et bassoniste français de Celle Charles
Babel, est très similaire : il fit également une carrière musicale en Angleterre comme violoniste,
claveciniste et copiste de musique. À partir de 1711, son nom apparaît dans les annonces publiques
de concert de Londres, habituellement en combinaison avec ceux de William Corbett, James
Paisible et M. Dubourg. Il publia plusieurs anthologies de musique, dont certaines au titre évo-
cateur qui devaient les rendre attractives sur le marché particulièrement concurrentiel de l’édi-
tion musicale londonnienne. En particulier, The Modern Musick-Master or The Universal Musician
en 1731, qui contient des instructions sur le jeu de tous les instruments « With a Brief History
of Musick », semble avoir été une entreprise prometteuse, puisqu’elle se poursuivit dans une
série d’additions, comme The Harpsichord Illustrated and Improv’d en 1734, ou encore The Musical
Pocket-Book Containing an Extraordinary Collection of the Newest & Best Lessons of English & Italian
Aires, en 1735.260 Parallèlement à cette activité éditoriale frénétique, William copiait aussi de la
musique : une source conservée à la British Library documente son activité de copiste à Celle.
Il s’agit d’une compilation d’une centaine de pièces françaises pour le clavecin faite en 1702 qui
pourrait avoir été transmise par son père, Charles Babel, lui aussi un copiste prolifique.261

La Hollande « au centre des affaires »


« En Hollande il a de quoy rendre plus de service puisqu’on y est au centre des affaires.262 » Cette
remarque, formulée au détour d’une lettre par un ambassadeur saxon désireux d’obtenir sa muta-
tion en 1709, peut être reprise littéralement pour le théâtre et la musique. En dépit du rôle joué
par Londres ou les villes italiennes, la Hollande demeure une véritable plaque tournante pour
les artistes français, le carrefour des Provinces-Unies occupant une position centrale non seule-
ment dans l’espace physique, comme lieu de passage vers les régions septentrionales de l’Empire,
l’Angleterre ou la Scandinavie, mais aussi dans la géographie mentale des comédiens, des danseurs
et des musiciens français. Dès 1652, la longue étape hollandaise d’Anne de La Barre sur la route de
Stockholm met en évidence la centralité de cet espace, porte d’entrée vers l’Europe du Nord. Plus
tard dans le siècle, le passage des troupes de comédiens par La Haye, Bruxelles, Mons ou Tournai
montre le caractère incontournable de la route de Hollande, ainsi que l’inscription de cet axe dans

259 Fritz Zobeley, Die Musikalien der Grafen von Schönborn-Wiesentheid, vol. 2, Tutzing 1982, n° 555.
260 Gerald Gifford, « Babel, William » in : MGG online.
261 Bruce Gustafson, « The legacy in instrumental music of Charles Babel, prolific transcriber of Lully’s music »,
in : Quellenstudien zu Jean-Baptiste Lully. L’œuvre de Lully: étude des sources. Hommage à Lionel Sawkins, dir. Jé-
rôme de La Gorce et Herbert Schneider, Laaber 1990, p. 495-516.
262 Lettre de Burchard von Suhm à Jakob Heinrich von Flemming, Venise, 16 fév. 1709. HStA Dresden, 10026
Geheimes Kabinett, Loc. 708/2, fol. 15-16.

– 61 –
Chapitre 1

la durée : même si les artistes recrutés en Hollande n’avaient sans doute pas prévu de se rendre plus
à l’Est, ils devaient avoir conscience de la position centrale des Provinces-Unies dans le marché de
l’emploi du spectacle vivant, comme un réservoir d’employeurs potentiels et d’opportunités aussi
bien locales (dans les villes ou les cours hollandaises francophones) que plus lointaines.
La prolongation de ce rôle jusque dans les premières décennies du xviiie siècle est bien mise
en évidence par quelques listes de passeports. Celles-ci ne forment qu’une série très lacunaire,
étant donné que les passeports sont surtout délivrés en temps de guerre et que leur usage se sys-
tématise seulement au cours des dernières guerres de Louis XIV. Le mémoire de 1712, document
récapitulatif exceptionnellement complet de tous les passeports délivrés par Torcy au cours de
l’année, est l’un des premiers exemples du genre et marque une étape décisive dans la systémati-
sation du passeport comme outil administratif et l’établissement de telles listes.263 Si Lucien Bély
avait déjà noté que les passeports distribués aux artistes représentaient moins d’un pour cent de
l’ensemble, les dépouillements beaucoup plus précis entrepris par Mélanie Traversier permettent
d’entrevoir le passage par la Hollande de certains individus et de formuler quelques hypothèses
sur leur mobilité.264
Mélanie Traversier note que plusieurs danseurs, comédiens et musiciens apparaissent
dans la liste de 1712. On aperçoit d’abord des acteurs travaillant pour les deux opéras fondés
par Deseschaliers à La Haye et Utrecht : un passeport d’un mois est délivré pour « S[ieur] Prin
acteur de l’opéra de La Haye, la nommée Lisse, les nommez Robinson, Vidor, Reverand Rinelon,
et Remez, danseurs de corde avec leurs enfants, le tous au nombre de 11 personnes retournant en
Hollande, v[aut] p[our] 1 m[ois] ».265 Deux mois plus tard, on trouve la délivrance d’un passeport
« aux nommez Pierre des Echalliers et Louis Galloin acteurs de l’opera d’Utrecht revenant a Paris
v[aut] p[our] 6 m[ois] ».266 Ce passeport est remis à « Du Pont Musicien du Roy », sans doute le
haute-contre Guillaume Dupont.267 Le compositeur Jean-Baptiste Loeillet, dit de Gand, se voit
aussi délibrer un passeport valable trois mois, « allant a Gand pour ses affaires pour revenir
ensuite a Paris ».268 Mais on aperçoit aussi des individus évoluant dans l’entourage de la troupe
de Jean de Fonpré, apparemment alors en activité en Hollande : un passeport d’un mois est donné
à un certain « De Valois comédien francais allant a Tournay269 », « aux D. Fonpré et Dannillier
comediennes et retournant a Tournay avec un domestique et leurs hardes270 ». Ces deux derniers
repassent trois mois plus tard, puisque deux passeports sont à nouveau délivrés en septembre pour
aller rejoindre leur troupe à Gand.271 C’est donc un spectaculaire brassage culturel, linguistique
et artistique que reflète la circulation des artistes en Hollande : qu’ils aient été ou non au service
d’une cour, ils se trouvent désormais sur un marché beaucoup plus large.

263 AAE, MD France 309, fol. 149-252. Ce mémoire de 1712, qui comprend le nom, le prénom et la destination
de plus de 2000 voyageurs, est l’un des premiers exemples de liste complète de passeports. Cf. Bély, Espions et
ambassadeurs, p. 610-653.
264 Je remercie Mélanie Traversier de m’avoir généreusement communiqué les résultats de son enquête, qui ne se
limite pas à la liste de 1712. Voir en particulier Mélanie Traversier, « Like a Rolling Musician », Diasporas. Circu-
lations, migrations, histoire, 26, « Musiques nomades : objets, réseaux, itinéraires », dir. Mélanie Traversier, 2015,
p. 9-15.
265 AAE, MD France 309, fol. 168, 21 mars 1712.
266 AAE, MD France, fol. 186, 11 mai 1712.
267 Marcelle Benoît, Musiques de Cour. Chapelle, Chambre, Écurie 1661-1733, Paris 1971, p. 289. Benoît, Versailles et
les musiciens du Roi, p. 133.
268 AAE, MD France, fol. 250, 11 déc. 1712.
269 AAE, MD France, fol. 209, 24 juil. 1712.
270 AAE, MD France, fol. 219, 24 août 1712.
271 AAE, MD France, fol. 232, 28 sept. 1712 : « la Dlle De Fontpré comedienne francoise allant rejoindre sa trouppe
a Gand v[aut] p[our] 1 m[ois] » et « M. Dannilliers comedien avec sa femme, allant rejoindre leur trouppe a
Gand, v[aut] p[our] 1 m[ois] ». Le passeport pour Dannilliers est renouvelé le 16 novembre, fol. 244.

– 62 –
L’Europe galante comme marché du travail

De Dresde à l’Europe des Lumières


Les musiciens français actifs dans les cours allemandes illustrent particulièrement bien ce chan-
gement de paradigme décisif. En effet, attachés à un système de mécénat et à un public de cour
de façon plus exclusive que les opéristes italiens ou les comédiens français qui se produisent régu-
lièrement dans les villes depuis le début du xviie siècle, ils sont également moins touchés par
les formes extrêmes de célébrité. Membres d’une classe moyenne de musiciens, ils font carrière
à l’étranger sans être des vedettes. Leur exposition à des formes atténuées de célébrité permet
donc paradoxalement de mettre en évidence le caractère universel de ce phénomène, qui touche
même des instrumentistes éloignés de leur milieu d’origine et dont l’activité musicale est tradi-
tionnellement moins valorisée que celle des grands chanteurs. De ce fait, leurs carrières forment
un observatoire privilégié pour suivre cette transition du monde clos de la cour vers l’univers
infini de la célébrité.

De la cour aux métropoles


Dans le cadre du mécénat, la sélection et le recrutement des musiciens s’opèrent souvent au cas
par cas, au hasard de rencontres personnelles, au sein de réseaux dynastiques, diplomatiques
ou administratifs, ou encore collectivement, dans le cadre d’un marché passé « en gros » avec
une troupe de comédiens incluant des musiciens. À partir des années 1710, la pluralisation des
carrières musicales solidaire de l’émergence d’un espace public européen fait que les artistes ne
doivent plus nécessairement rentrer en contact avec leurs employeurs potentiels pour trouver
un emploi, mais peuvent se produire dans des institutions urbaines et parfois compter sur une
notoriété allant au-delà de leurs propres réseaux socio-professionnels.
La carrière de Buffardin illustre bien un tel changement de paradigme. Dans la première
partie de sa carrière, sa mobilité suit des réseaux individuels, dynastiques ou diplomatiques. Au
contraire, à partir de 1726, ses apparitions publiques ou semi-publiques reposent avant tout sur sa
notoriété, qu’elles nourrissent en retour. Bien qu’employé à Dresde, Buffardin était fréquemment
en déplacement. L’évocation par Carl Philipp Emanuel Bach d’une conversation entre son père
et Buffardin indique que ce dernier devait se rendre régulièrement à Leipzig. Mais il se rendait
surtout très régulièrement à Berlin jusqu’à son retour en France, pour donner des cours de flûte
à Friedrich Wilhelm qu’il avait rencontré à Dresde en 1728.272 En outre, pendant son séjour de
trente-cinq ans à Dresde, Buffardin continuait à entretenir des contacts réguliers avec la France,
puisqu’il se produisit deux fois comme soliste au Concert spirituel, en 1726 et 1737.273 En 1748, il
demande l’autorisation de prendre sa retraite pour s’installer en France, sous un climat plus doux
à sa « santé délabrée », avec une pension de 700 Thaler par an. Il recommande pour sa succession
deux de ses élèves : le « jeune Goezel » ou bien « le fils de Florio Grassi ageé de 10 ans ».274 Le
musicien prit finalement sa retraite vers 1750, date à laquelle il retourna dans la capitale française.
Le duc de Luynes l’entendit peu après dans un concert donné chez la Dauphine, en compagnie de
Hasse et de sa femme.275 Buffardin cultivait aussi un intérêt poussé pour la facture instrumentale

272 Kollpacher-Haas, « Pierre-Gabriel Buffardin », p. 301. Voir aussi la lettre de Frédéric le Grand à Friderique
Wilhelmine zu Brandenburg-Culmbach-Bayreuth, Remusberg, 15 mars 1737 : « j’atans tout les jours Grauen
qui amenera bufardein avec lui. » Cité par Pegah, « Begegnungen in Konstantinopel und Leipzig », p. 292.
273 Constant Pierre, Histoire du concert spirituel 1725-1790, Paris 1975, programmes 17 et 227.
274 Lettre de Pierre-Gabriel Buffardin à August III, Dresde, 9 mars 1748. HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabi-
nett, Loc. 907/5, fol. 178.
275 Duc de Luynes, Mémoires du duc de Luynes sur la cour de Louis XV (1735-1758), vol. 10, éd. Louis Dussieux et
Eudore Soulié, Paris 1862, p. 298, 24 juil. 1750 : « J’ai parlé ci-devant de la Faustine, femme du Sr Hasse ; ils sont
l’un et l’autre attachés au roi de Pologne électeur de Saxe en qualité de musiciens. Je n’avois pas encore entendu
chanter la Faustine, je l’entendis hier ; il me paroît qu’elle a eu une belle voix, mais qui se sent actuellement de
son âge. Son mari accompagne très-bien du clavecin, mais à la manière italienne. C’est chez Mme la Dauphine
que j’ai entendu l’un et l’autre. J’entendis en même temps le nommé Buffardin, qui joue parfaitement bien de la
flûte allemande ; il est de Provence et étoit aussi de la musique du roi de Pologne depuis trente-huit ans. Il vient
d’obtenir la permission de se retirer, et ce prince lui fait une pension de 1,000 écus. »

– 63 –
Chapitre 1

et la composition, qui participèrent grandement à sa célébrité : une flûte signée « Buffardin Fils »
a été retrouvée, et le Mercure de France publie en 1764 une de ses lettres contre l’usage des quarts
de ton à la flûte traversière, qui constituait sans doute une riposte aux propositions publiées en
1760 par Charles de Lusse dans son Art de la flûte.276
Le passage à un milieu plus ouvert et largement urbain avait pour corollaire l’adoption d’un
nouveau style musical. Quelques sources musicales documentent l’activité compositionnelle du
musicien. Deux concertos pour flûte, copiés par Quantz et aujourd’hui conservés à Schwerin,
témoignent à la fois d’un métier très sûr et de l’influence profonde exercés par les modèles ita-
liens, en premier lieu Vivaldi dont les concertos furent copiés et exécutés très régulièrement à la
cour de Dresde.277 Le concerto en mi mineur, en trois mouvements (Allegro, Andante, Vivace)
se distingue surtout par la ritournelle très marquante et virtuose du premier mouvement. Un
recueil de sonates en trio, également manuscrit et possiblement autographe, montre également
un fort tropisme italien.278 Signe supplémentaire de sa célébrité internationale, dépassant large-
ment le monde de la cour et les frontières de la Saxe, Buffardin fut le dédicataire de deux recueils
de sonates en trio publiés par Antoine Mahaut, ancien musicien de l’électeur de Bavière établi à
Amsterdam, avec lequel il ne semble pas avoir été en contact direct.279
Buffardin mourut en 1768 dans un relatif dénuement, comme l’indique son inventaire après
décès.280 Ainsi se terminait une carrière située au croisement des réseaux diplomatiques et du
monde de la cour, mais déjà en contact avec un nouveau marché de la musique en pleine expansion,
solidaire de plusieurs phénomènes : la croissance urbaine sans précédent des métropoles euro-
péennes (Berlin, Paris), le développement d’une presse généraliste (le Mercure) et de l’imprimerie
musicale (Mahaut), ainsi que l’apparition d’institutions de concert public (le Concert spirituel).
C’est la conjonction de ces différents phénomènes qui rend possible l’émergence d’une célébrité
musicale, bien différente de la notoriété traditionnelle du musicien de cour : alors que celle-ci
se limitait en général à ses réseaux personnels et à ceux de ses patrons, on voit que Buffardin est
connu et mentionné dans l’espace public, y compris par des gens qu’il ne connaissait pas person-
nellement (le duc de Luynes). Une manifestation très sensible de cette célébrité est la confection
d’images et de portraits : on connaît deux portraits de lui qui permettent de se faire une idée de
son apparence physique. Le plus connu fut dessiné à la pierre noire par Johann Sebastian Bach le
jeune, fils de Carl Philipp Emanuel Bach qui était dessinateur et peintre et laissa plusieurs repré-
sentations de musiciens (Illustration 1.5).281
Cette trajectoire fut aussi celle d’Antonio Peruzzi et de sa femme Anne Henriette née du
Hautlondel. Quelques années après leur expulsion des États d’Auguste le Fort en 1719, ils se
trouvent à Prague en compagnie d’une nouvelle troupe d’opéra italien, placée sous le patronage du
comte Franz Anton von Sporck. C’est là que la nouvelle gouvernante des Pays-Bas, Marie-Élisabeth
d’Autriche, entendit la troupe pour la première fois. Elle les fit ensuite venir à Bruxelles : le 9 janvier
1727, Antonio Maria Peruzzi signe un contrat de location du théâtre de la Monnaie prenant effet le

276 Mercure de France, sept. 1764, p. 186 sq. Voir Edward R. Reilly et John Solum, « De Lusse, Buffardin, and
an Eighteenth-Century Quarter-Tone Piece », Historical Performance. The Journal of Early Music America, 5/1,
1992, p. 19-23.
277 D-SWl, Mus. 1253 : « Concerto | à 5. | Flauto traverso | Violino I, Violino II | Viola | col Baso continuo del
Sign. Bifardin. » Sur les sources de Vivaldi à Dresde, voir Manfred Fechner, « Bemerkungen zu einigen Dres-
den Vivaldi-Manuskripten : Frage der Vivaldi-Pflege unter Pisendel, zur Datierung und Schreiberproblema-
tik », in : Nuovi studi vivaldiani, dir. Antonio Fanna et Giovanni Morelli, Florence 1988, p. 775-784.
278 F-Pn, Rés. F. 443.
279 Antoine Mahaut, VI Sonate da camera a tre, Amsterdam 1751. Antoine Mahaut, VI Sonate Da Camera a tre,
Augsburg sans date. Cf. Die Triosonate. Catalogue Raisonné der gedruckten Quellen, éd. Ludwig Finscher, Lau-
renz Lütteken, Inga Mai Groote, vol. 2, Munich 2016, p. 670-672.
280 AN, Minutier central, LXXVIII-758, 28 janv. 1768.
281 Annette Richards, Carl Philipp Emanuel Bach Portrait Collection I : Catalogue, Los Altos 2012 (= The Complete
Works VIII/4.1), p. 54. Kristina Funk-Kunath, « Spurensuche – Ein unbekanntes Porträt von Pierre Gabriel
Buffardin », Bach-Jahrbuch, 104, 2018, p. 225-234.

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L’Europe galante comme marché du travail

Illustration 1.5. Johann Sebastian Bach le jeune : Pierre-Gabriel Buffardin, dessin à la pierre noire, 43x30.5 cm. D-B Mus. P. Buffardin III, 1.

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Chapitre 1

lundi de Pâques de la même année et courant jusqu’au Carnaval suivant.282 Marie Cornaz indique
en outre que les ducs d’Arenberg payaient à une certaine « Dlle Peronzi » l’abonnement d’une loge
à Bruxelles en 1727.283 Il s’agit donc de la fille de Robert du Hautlondel, Anna Henriette Peruzzi.
Notons qu’en 1724, le duc Léopold-Philippe d’Arenberg avait déjà payé à deux reprises « le loyer
de la loge » et « labonnement de la Comedie » dans la ville de Mons à un certain « S. Dulondel
Comedien ».284 Il paraît donc que la famille du Hautlondel a conservé des liens avec la ville de Mons
et plus généralement l’espace des Pays-Bas. Mais à Bruxelles, Antonio Maria Peruzzi fit faillite et se
vit contraint comme à Dresde de quitter la ville pour cause de dettes impayées.

L’apparition d’une figure publique


François Le Riche fut sans conteste l’un des musiciens les plus célèbres de la cour de Dresde,
même si les archives sont assez avares de renseignements sur sa biographie. Contrairement à des
musiciens comme François Desnoyers ou Peruzzi, il ne quitta jamais le système du mécénat aris-
tocratique et resta au service de la cour de Dresde jusqu’à la fin de sa vie. D’après la notice auto-
biographique qu’il rédige en 1718, il serait né à Tournai aux environs de 1663.285 Embauché en
Angleterre en 1685 comme « bass » parmi les musiciens de Jacques II jusqu’à la fuite du monarque
en 1688, il ne fut pas reconduit dans ses fonctions par Guillaume II, mais continua de vivre à
Londres comme musicien indépendant jusqu’en 1697.286 Il n’arriva donc pas à Dresde pour des
raisons confessionnelles, comme on le supposait jusqu’à présent.287 En fait, la liste des personnes
de l’opéra de Pologne dirigée par Deseschaliers fait apparaître parmi les « Damoiselles » : « Riche
aînée, Mere & frere » ainsi que « Riche cadette » (voir Tableau 1.6). Le « frère » est certaine-
ment François Le Riche, qui n’avait apparemment pas encore de fonction définie dans la troupe,
puisqu’il n’est pas compté dans la colonne de gauche et figure dans une section réservée aux
femmes. À l’appui de cette hypothèse vient la datation extrêmement précise du musicien dans sa
notice de 1718, où il affirme être entré au service le 11 décembre 1699, soit en même temps que le
reste de la troupe d’opéra. Ceci est très logique : en janvier 1696, le maréchal de Boufflers autorisa
l’opéra de Lille à permuter avec celui de Tournai, où une garnison payait un abonnement régulier
à l’opéra qui devait lui permettre d’accumuler des recettes dont le tiers servirait à rembourser
les dettes accumulées à Lille.288 C’est donc à Tournai que les Deseschaliers purent nouer contact
avec la famille de François Le Riche. Celui-ci ne serait donc pas passé directement d’Angleterre
en Saxe, mais serait retourné dans son pays natal après son départ d’Angleterre.
Une fois arrivé à Varsovie avec la troupe de Deseschaliers, François Le Riche resta sur place
quelques mois avant de retourner à Londres pour un concert d’adieu le 25 septembre 1700.289 La
même année, il participe aux festivités pour le mariage de la princesse de Brandebourg, Luise
Dorothea, avec le prince Friedrich von Hessen-Kassel à Berlin.290 Les autobiographies publiées
par Telemann et Quantz mentionnent sa présence. Il semble être assez régulièrement à Berlin au

282 Marie Cornaz, Les Ducs d’Arenberg et la musique au xviiie siècle. Histoire d’une collection musicale, Turnhout 2010,
p. 61. Je remercie Marie Cornaz d’avoir attiré mon attention sur ce recoupement.
283 Cornaz, Les Ducs d’Arenberg, p. 63.
284 Cornaz, Les Ducs d’Arenberg, p. 59.
285 HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 5, fol. 90 : « François le Riche Musicien de la chambre, entré au Service
lan 1699 le 11 decembre, agé de 55 ans et né a Tournay. » L’année de sa naissance est confirmée dans une liste de
personnel : HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 8, non folié.
286 Andrew Ashbee et al., A Biographical Dictionary of English Court Musicians 1485-1714, Aldershot 1998, vol. 2,
p. 699-701.
287 Bruce Haynes, The Eloquent Oboe. A History of the Hautboy 1640-1760, Oxford 2001, p. 149.
288 Lefebvre, Histoire du théâtre de Lille, p. 155.
289 Ashbee, A Biographical Dictionary, p. 700 : « On 25 Sep. 1700 an interval entertainment at the Lincoln’s Inn
Fields Theatre was advertised: ‘by the famous Mons. Li Rich, lately arrived from the Court of Poland: being
the only and last time of performing the said entertainment, or any other, by reason of his sudden return to
the said kingdom’. »
290 Sachs, Musik und Oper am kurbrandenburgischen Hof, p. 99.

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L’Europe galante comme marché du travail

début des années 1700, car Telemann, qui se rappelle avoir visité la ville au même moment, évoque
le hautboïste dans sa seconde autobiographie publiée en 1740 :
Depuis Leipzig, j’ai vu Berlin deux fois ; je suis allé entendre l’opéra Polyphemo, de Giovanni Bononcini,
et un autre (toutefois en cachette de mes amis, car l’entrée n’était permise qu’à un petit nombre de
gens) où chantaient surtout des personnes bien nées, entre autres une margrave qui s’est ensuite ma-
riée à Kassel, accompagnée par la reine Sophie Charlotte elle-même au clavier, et l’orchestre était en
grande partie composé de maîtres de chapelle ou de maîtres des concerts, comme par exemple : Padre
Attilio Ariosti ; les frères Antonio et Giovanni Bononcini ; l’Oberkapellmeister Rieck ; Rugiero Fedelo ;
Volumier ; Conti ; La Riche ; Forstmeier, etc.291

François Le Riche figure d’ailleurs en première position dans la dédicace de la Kleine Cammermusic
de Telemann publiée à Francfort en 1716, ce qui laisse supposer que Le Riche s’y trouvait pour
l’exécution de plusieurs cantates festives en l’honneur de la naissance d’un fils de l’Empereur.292
Ce n’est donc pas une coïncidence si l’année suivante, en 1717, fut fondé au sein de la Hofkapelle
de Dresde un nouvel ensemble qui portait pour nom la Kleine Cammer-Musique et comprenait
entre autres instrumentistes Le Riche.293 À partir des années 1720, celui-ci remplit à Londres
des fonctions situées à l’intersection de la diplomatie et du commerce de luxe, pour lesquelles il
perçoit un salaire sans commune mesure avec celui des autres musiciens. Sa carrière est donc un
très bel exemple de l’apparition progressive, pour un musicien relativement obscur qui avait tou-
jours évolué dans un milieu de cour, d’une célébrité qui dépasse largement son milieu d’origine
et son entourage direct et se trouve médiatisée par un dispositif complexe, incluant la presse, les
dédicaces, et les récits autobiographiques de tierces personnes.

Johann Ernst Galliard et l’Angleterre


Le dernier cas d’étude que nous abordons, Johann Ernst Galliard (ca. 1680-1747) se distingue
des deux précédents par le fait qu’il n’est pas né en France, mais à Celle comme en témoigne son
prénom germanisé. Né de parents français (son père était perruquier à la cour), Galliard est donc
un immigré de seconde génération. Ce n’est pas un cas isolé : William Babel est le fils de Charles
Babel, né à Évreux et bassoniste à la cour de Celle. La carrière de William n’est d’ailleurs pas sans
similarité avec celle de Galliard, puisqu'il passa la majeure partie de son existence en Hollande
et en Angleterre. François Godefroy Beauregard, haute-contre employé par la cour de Dresde à
partir de 1715, était né à Berlin de parents français : son père François Adam Beauregard était
hautboïste à la Hofkapelle de Berlin. Enfin, Ernst August Jayme (ou Jemme) était le fils du maître à
danser Élie Jemme, actif à Osnabrück dans les années 1660, et devint maître à danser à la cour de
Wolfenbüttel où il rédigea un recueil de contredanses en 1717.294 Ces musiciens de deuxième géné-
ration effectuent souvent une carrière beaucoup plus internationale que celle de leurs parents, et
leurs activités musicales se déployent généralement dans un environnement urbain cosmopolite,
plus du tout dans les milieux de cour. De ce point de vue, l’union personnelle avec l’Angleterre
en 1714 a joué en faveur des musiciens de la cour de Hanovre, puisque nombre d’entre eux sont

291 La seconde autobiographie de Georg Philipp Telemann est publiée par Johann Mattheson, Grundlage einer
Ehren-Pforte, Hambourg 1740, p. 359 : « Von Leipzig aus habe Berlin zweimahl gesehen; die Oper Polyphemo,
von Giov. Bononcini, und eine andre (jedoch von meinen Freunden versteckt, weil nur wenigen der Eingang
erlaubet war) angehöret, worin meistens hohe Personen, unter andern eine, hernach nach Cassel verheira-
tete Marckgräfinn, sangen, die Königin Sophia Charlotte aber selbst auf dem Clavier accompagnirten, und
das Orchester grossen Theils mit Capell= und Concert=Meistern besetzet war, als nehmlich: Padre Attilio
Ariosti; die Gebrüder Antonio und Giovanni Bononcini; der Oberkapellmeister Rieck; Rugiero Fedelo; Volü-
mier; Conti; La Riche; Forstmeier etc. »
292 Haynes, The Eloquent Oboe, p. 332-334.
293 Ashbee, A Biographical Dictionary, p. 700. Pour la création en 1717 d’une chapelle polonaise, qui a pour fonc-
tion d’accompagner le prince en Pologne et s’appelle également Kleine Cammermusik pour la distinguer de
l’ancienne Grosse Cammermusik, cf. Fürstenau, Zur Geschichte, vol. 2, p. 120.
294 D-W, Cod. Guelf. 244.

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Chapitre 1

partis à Londres où ils ont été mis au contact d’un marché musical particulièrement actif. Sur le
plan musical, ils poursuivent l’évolution entamée par Buffardin : ils cultivent généralement un
répertoire et un style très proches de la lingua franca musicale européenne qu’était alors en train
de devenir le style galant.
Ces différentes caractéristiques sont très bien illustrées par la biographie de Johann Ernst
Galliard. Elle est documentée par deux textes contemporains : l’article que Johann Gottfried
Walther lui consacre dans son Musicalisches Lexicon en 1732, et les remarques très fouillées que
lui consacre quarante-cinq ans plus tard John Hawkins dans son histoire générale de la musique.
D’après le lexique de Walther, Galliard aurait reçu sa formation musicale à Celle auprès de Pierre
Maréchal, hautboïste à la cour entre 1683 et 1696 :
Gaillard, le fils d’un perruquier français, né à Celle où il fut l’élève de Monsieur Marschall [Maréchal],
alla en Angleterre comme musicien de chambre du prince Georges de Danemark, sur le hautbois, en
qualité de quoi il resta au service de la reine Anne. De son œuvre ont été gravées il y a peu de temps 6
Sonates à 1 flûte et basse chez Roger.295
Ce point est confirmé par Hawkins.296 On peut penser que l’étude de la musique représentait une
ascension sociale pour le fils d’un perruquier. Les registres paroissiaux précisent que Johann Ernst
Galliard avait des origines bourguignonnes et qu’il épousa Gabrielle Pavie, originaire d’Artois,
en 1696.297 Deux ans plus tard, Galliard est embauché à la cour de Celle avec un salaire identique
à celui des autres musiciens.298 Il y reste jusqu’en 1705, au moment où la mort du duc de Celle
Georg Wilhelm von Braunschweig-Lüneburg entraîne la dissolution de la Hofkapelle et le départ
de la plupart des musiciens français. Galliard entre alors au service de Georges de Danemark
(1653-1708) et de la reine Anne (1665-1714).
Les réseaux dynastiques ont sûrement joué un rôle dans son départ pour l’Angleterre, car
Georges de Danemark, prince consort de la reine Anne, était le neveu du duc de Celle par l’inter-
médiaire de sa mère, Sophie Amalie von Braunschweig-Calenberg. Galliard reçut en 1710 la
nationalité britannique ainsi qu’un emploi fictif d’organiste à la Somerset House à Londres, inoc-
cupée depuis le départ de la veuve de Charles II en 1685, et qui servait depuis comme résidence
pour des artistes et musiciens au service de la couronne d’Angleterre.299
Galliard n’était pas seulement un hautboïste reconnu : d’après John Hawkins, il avait aussi
étudié la composition auprès de Jean-Baptiste Farinel et d’Agostino Steffani à la cour Hanovre.
Cette affirmation se fonde sur le catalogue imprimé de la « petite mais très-curieuse » collection de
musique de Galliard, vendue aux enchères quelques mois après la mort du musicien : dans ce cata-
logue, le lot 65 rassemble comme les « premières leçons de composition de Monsieur Galliard sous
la direction du Sig. Farinelli et de l’abbé Steffani, à l’âge de quinze ou seize ans, en 1702 ». Hawkins
affirme en outre qu’un recueil manuscrit contenant de nombreuses compositions de Galliard
transmet une sonate pour hautbois et deux bassons accompagnée d’une note autographe : « Jaÿ
fait cet Air a Hannover, que Jaÿ Joué a la Serenade de Monsieur Farinelli ce 22me Juin, 1704.300 »

295 Johann Gottfried Walther, Musicalisches Lexicon, Leipzig 1732, p. 270 : « Gaillard, eines Frantzösischen Per-
ruquirers Sohn, aus Zelle gebürtig, und Scholar des Hrn. Marschalls daselbst, war in England beym Printz
Georg von Dännemarck Cammer Musicus auf der Hautbois, in welcher qualité er auch bey der Königin Anna
verblieben. Von seiner Arbeit sind vor weniger Zeit 6 Sonates à 1. Flûte & Basse bey Roger gravirt worden. »
296 Sir John Hawkins, A General History of the Science and Practice of Music, Londres 1776, vol. 5, p. 187 : « John
Ernst Galliard was the son of a perruquier, and a native of Zell; he was born in or about the year 1687, and
received his instructions in the practice of musical composition from Farinelli, the director of the concerts at
Hanover, and of Steffani, who was resident there in another capacity. »
297 BAHild, KB Nr. 778, Traubuch 1667-1711, p. 132, 3 mai 1696 : « Ego idem conjunxi Matrimonio Joannem
Galliard Burgundionem et Gabrielem Pavie Atrebatensem praesentibus Christiano Muly Candensi et Mi-
chaële Roger Andegavensi. » Cet acte de mariage suggère que Galliard pourrait être né en Bourgogne, car les
registres mentionnent généralement le lieu de naissance des individus.
298 NLAH, Hann. 76c A Nr. 223, p. 563.
299 Roger Fiske et Richard G. King, « Galliard, John Ernst », in : Grove online. Ines Burde, « Galliard, John
Ernst », in : MGG online.

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L’Europe galante comme marché du travail

Le musicien français semble avoir rapidement maîtrisé la langue anglaise et devint bientôt
une figure importante de la vie musicale londonienne. Il travailla comme hautboïste pour le
Queen’s Theatre – où Händel composa pour lui des parties obligées particulièrement remar-
quables dans Teseo (1713) – ainsi qu’au Lincoln’s Inn Fields (1717-1730) et à Covent Garden (1732-
1761) où il composa des opéras anglais et des pantomimes. Son œuvre prolifique, qui touche tous
les genres de la musique instrumentale et de l’opéra en passant par la cantate, est conservée dans
plusieurs sources musicales.
Tout en écrivant beaucoup pour le théâtre et les divertissements de la famille royale,
Galliard semble avoir eu une inclination particulière pour la théorie de la musique et le contre-
point savant. Il figure également parmi les membres fondateurs de l’Academy of Ancient Music
en 1726 ainsi que de la Royal Society of Musicians en 1738. Son excellente maîtrise du français, de
l’italien et de l’anglais est notée par Hawkins, qui repère cependant des impropriétés de langage
lui permettant d’attribuer plusieurs ouvrages à Galliard.301 Ainsi est-ce certainement Galliard
qui traduisit en anglais le traité sur le chant de Pier Francesco Tosi (ca. 1653-1732) paru à Bologne
en 1723, le Parallèle des Italiens et des Français en ce qui regarde la musique et les opéras de François
Raguenet, auquel il ajouta un essai sur l’opéra en Angleterre.302 Hawkins mentionne une collec-
tion d’énigmes canoniques de Byrd, copiées et résolues par Galliard dans un manuscrit provenant
de la bibliothèque de Pepusch, et alors en sa possession.303 Même s’il porte un jugement pour
le moins réservé sur les compositions de Galliard, Charles Burney souligne pour sa part que
l’Hymne d’Adam et Eve, composé sur un texte de Milton et publié en 1728, est « extrêmement bien
écrit dans le style grave et savant de son maître Steffani.304 » Observons enfin pour compléter ces

300 Sir John Hawkins, A General History, vol. 5, p. 187 : « See the printed catalogue of his music, in which, lot 65 of
the manuscripts, is thus described : ‘Mr. Galliard’s first lessons for composition under the tuition of Sig. Farinelli
and Abbate Steffani, at the age of 15 or 16, in 1702’ ; and in a manuscript collection of many of his compositions
is a Sonata for a hautboy and two bassoons, with this note in his own hand-writing, ‘Jaÿ fait cet Air a Hannover,
que Jaÿ Joué a la Serenade de Monsieur Farinelli ce 22me Juin, 1704’. » Le catalogue imprimé auquel il est fait
référence ici est sans doute le catalogue de vente aux enchères de la bibliothèque musicale de Galliard chez Pres-
tage en 1749, cf. p. 190: « Mr. Galliard died in the beginning of the year 1749, leaving behind him a small but very
curious collection of music, containing, among other things, a great number of scores of valuable compositions
in his own hand-writing, which has been inspected for the purpose of compiling this article [...]. This collection,
together with his instruments, was sold by auction at Mr. Prestage’s, a few months after his decease. »
301 Hawkins, A General History, vol. 5, p. 189: « Mr. Galliard led a retired and studious life, and had little intercourse
with the musical world. » Sur la même page, en note: « Mr. Galliard, though a foreigner, had attained to such a
degree of proficiency in the English language, as to be able to write it correctly ; but he was not enough acquain-
ted with the niceties of it to know that we have no term that answers to the appellative Canto figurato, and
consequently that that of the florid song could convey to an Englishman scarce any other idea than of the song
of a bird, the nightingale for instance, and it happened accordingly that upon the publication of his translation
men wondered what was meant by the term. Mr. Galliard has illustrated his author by notes of his own, which
are curious and entertaining; and it is upon the use of certain phrases and peculiar modes of expression, common
to the translation of the Abbé Raguenet’s Parallel, published in 1709, with the title of ‘A comparison between the
French and Italian Musick and Operas, with Remarks’, and this of Tosi’s book, that we found a conjecture that
Mr. Galliard was the translator of both, and also the author of ‘A Critical Discourse upon Operas in England,
and a means proposed for their improvement’, printed at the end of the translation of the Parallel. »
302 Pietro Francesco Tosi, Observations on the Florid Song. Or, sentiments on the Ancient and Modern Singers, trad.
Johann Ernst Galliard, Londres 1743. Johann Ernst Galliard, A Comparison Between the French and Italian
Musick and Opera’s. Translated from the French. To which is added A Critical Discourse upon Opera’s in England, and
a Means proposed for their Improvement, Londres 1709. Sur cet ouvrage, cf. Stoddard Lincoln, « J. E. Galliard
and ‘A Critical Discourse’ », The Musical Quarterly, 53/3, 1967, p. 347-364.
303 Hawkins, A General History, vol. 2, p. 371 et 383.
304 Charles Burney, A General History of Music, from the Earliest Ages to the Present Period, Londres 1789, vol. 4, p. 639 :
« In 1728, he published, by subscription, his Music to the Hymn of Adam and Eve from Milton. This is extremely
well set in the grave and learned style of his master Steffani. The recitative is still in the more ancient style of
Italy, in which there are formal closes, terminated with a shake, instead of the more colloquial cadence of modern
recitation. » Burney ajoute toutefois plus loin, p. 640 : « This worthy musician, who died in 1749, was certainly an
excellent contrapuntist; but with respect to his compositions in general, I must say, that I never saw more correct-
ness or less originality in any author that I have examined, of the present century, Dr. Pepusch always excepted. »

– 69 –
Chapitre 1

remarques que Galliard discute de façon très savante un motet de Steffani donné à l’Academy of
Ancient Music dans une lettre de juillet 1727 adressée depuis Londres à Giuseppe Riva, ambassa-
deur de Modène à Londres entre 1715 et 1729.305 Comme dans le cas de Buffardin, Galliard est
donc l’objet d’une célébrité émergente. Au-delà du milieu de la cour dans lequel il commença sa
carrière, il devient rapidement une figure importante de la vie musicale londonienne, s’engageant
et se produisant dans des institutions publiques, publiant des ouvrages théorique et devenant lui-
même l’objet d’un discours public.

305 Colin Timms, « Music and Musicians in the Letters of Giuseppe Riva to Agostino Steffani (1720-1727) », Music
and Letters, 79/1, 1998, p. 43-45.

– 70 –
Chapitre 2. Administrer la musique française

En 1739, le roi Friedrich II de Prusse donna une explication restée célèbre sur la faiblesse structu-
relle des principautés d’Empire, et sur le peu de ressources qu’elles étaient en mesure de consacrer
aux dépenses militaires :
En voici les raisons : la plupart des petits princes, et nommément ceux d’Allemagne, se ruinent par la
dépense, excessive à proportion de leurs revenus, que leur fait faire l’ivresse de leur vaine grandeur ; ils
s’abîment pour soutenir l’honneur de leur maison, et ils prennent par vanité le chemin de la misère et
de l’hôpital ; il n’y a pas jusqu’au cadet du cadet d’une ligne apanagée qui ne s’imagine d’être quelque
chose de semblable à Louis XIV : il bâtit son Versailles, il baise sa Maintenon, il entretient ses armées.1

Ce portrait à charge – manifestement écrit sous l’influence de Voltaire qui venait pour sa part
de publier les deux premiers chapitres de son Siècle de Louis XIV dans lesquels il exposait sous la
forme d’un ballon d’essai son manifeste historiographique – fournit l’expression peut-être la plus
condensée de ce que certains historiens ont baptisé « l’Europe française » : une foule de princi-
pautés liliputiennes, au premier rang desquelles les États impériaux, voulant imiter dans leurs
territoires le style de gouvernement hautement centralisé et personnalisé élaboré dans la France
du xviie siècle et exemplifié par Louis XIV, s’appropriant dans le même mouvement la culture
française pour étancher leur soif démesurée de grandeur symbolique. Au-delà de sa portée polé-
mique initiale, ou précisément à cause d’elle, cette vision souffre de deux déficits majeurs : une
conception grossière et anachronique de l’absolutisme conduisant à une focalisation excessive sur
la personnalité de Louis XIV, et une perception simpliste des mécanismes d’échanges culturels,
ramenés à un simple rayonnement en cascade dont la France serait le centre et le sommet. Dès
les années 1990, Volker Bauer formulait le souhait de dépasser « le préjugé commun selon lequel
les princes allemands auraient imité la cour et le style de vie de Louis XIV, méritant ainsi d’être
considérés comme autant d’éditions miniatures, plus ou moins ridicules, du Roi Soleil.2 »
Le mythe historiographique de « l’Europe française », échaffaudé à la fin des années 1730
par un Voltaire volontiers fasciné par le Grand Siècle, est fondé sur l’idée d’une hégémonie cultu-
relle française à laquelle l’Europe aurait servi de simple caisse de résonance.3 Il a été largement

1 Friedrich II, Réfutation du prince de Machiavel, in : Œuvres de Frédéric le Grand, éd. Johann Preuss, vol. 8, Berlin
1848, p. 234.
2 Volker Bauer, Die höfische Gesellschaft in Deutschland von der Mitte des 17. bis zum Ausgang des 18. Jahrhunderts.
Versuch einer Typologie, Tübingen 1993, p. 39 : « Es erscheint damit angezeigt, die weitverbreitete Vorstellung
zu überprüfen, die deutschen Fürsten hätten Hof und Lebensstil Ludwigs XIV. imitiert und seien damit als
mehr oder minder lächerliche Miniaturausgaben des Sonnenkönigs einzuschätzen. »
3 Voltaire, Siècle de Louis XIV, vol. 3, éd. Diego Venturino, in : Les Œuvres complètes de Voltaire, vol. 13a, Oxford
2015, p. 3-4 : « il est vrai de dire, qu’à commencer depuis les dernières années du cardinal de Richelieu, jusqu’à
celles qui ont suivi la mort de Louis XIV, il s’est fait dans nos arts, dans nos esprits, dans nos mœurs, comme
dans notre gouvernement, une révolution générale qui doit servir de marque éternelle à la véritable gloire de
notre patrie. Cette heureuse influence ne s’est pas même arrêtée en France ; elle s’est étendue en Angleterre ;
elle a excité l’émulation dont avait alors besoin cette nation spirituelle et hardie ; elle a porté le goût en Alle-

– 71 –
Chapitre 2

remis en question au cours des vingt dernières années par une abondante production historiogra-
phique, qui critiquait en particulier sa résurgence sous la plume de Marc Fumaroli.4 Pierre-Yves
Beaurepaire affirme ainsi que la « problématique dépassée des “influences françaises”, réguliè-
rement entretenue par les nostalgiques européens du goût et des mœurs – qui dénoncent d’une
même voix le déclin intellectuel et moral de la France contemporaine – dont Paris aurait été la
capitale incontestée, cache mal la pluralité des circulations et des échanges.5 » Rahul Markovits,
dans ses travaux sur la circulation du théâtre français dans l’Europe du xviiie siècle, fait appa-
raître la notion même d’Europe française comme un « objet historiographique piégé.6 »
Parallèlement au modèle de l’Europe française, focalisé sur la pratique de la langue et de la
littérature française dans l’Europe des Lumières, le paradigme de l’absolutisme exerce toujours une
grande influence sur notre vision de la circulation de la musique et des musiciens français dans les
territoires germaniques. Souvent décrit comme la manifestation d’un Zeitgeist absolutiste et d’un
désir irrépressible d’imiter la cour de France, le patronage de musique française est parfois com-
pris – à l’instar de la construction de palais et de jardins empruntant leur grammaire stylistique
à des réalisations françaises – comme une volonté de s’inscrire dans l’Europe absolutiste, variante
politique de l’Europe française. L’histoire politique a cependant soumis le concept même d’abso-
lutisme à un profond examen critique, à travers la mise en lumière du rôle joué par les institutions
d’Ancien Régime dans la préservation d’un équilibre des pouvoirs, dans la limitation des préro-
gatives royales, ainsi que la négociation permanente entre le pouvoir royal central et des pouvoirs
concurrents ou locaux.7 Les aspects les plus caricaturaux de la notion d’absolutisme ont ainsi été
fortement nuancés, et l’usage de cette notion comme étiquette commode désignant la pensée et la
pratique politique d’une époque a finalement été « déconstruit de manière non-reconstructible ».8
Dans le champ de l’histoire des cours, Jeroen Duindam a très bien montré, à partir d’une discussion
fouillée de l’héritage historiographique de Norbert Elias, les dangers du paradigme absolutiste
pour les disciplines voisines de l’histoire culturelle : une focalisation excessive sur l’étude de rituels,
de cérémonies et de manifestations d’un pouvoir plus souvent postulé de manière abstraite que clai-
rement défini ou envisagé dans ses rouages concrets et ses routines quotidiennes.9 La musicologie

magne, les sciences en Russie ; elle a même ranimé l’Italie qui languissait, et l’Europe a dû sa politesse et l’esprit
de société à la cour de Louis XIV. » Sur les enjeux politiques et les ambiguïtés de l’écriture de l’histoire chez
Voltaire, cf. Olivier Ferret, « D’une politique de Voltaire à une pensée du politique », in : Les Lumières radicales
et le politique. Études critiques sur les travaux de Jonathan Israel, dir. Marta Garcià-Alonso, Paris 2017, p. 195-228.
4 Marc Fumaroli, Quand l’Europe parlait français, Paris 2001.
5 Pierre-Yves Beaurepaire, Le Mythe de l’Europe française au xviiie siècle. Diplomatie, culture et sociabilités au temps
des Lumières, Paris 2007, p. 7.
6 Markovits, Civiliser l’Europe, p. 18.
7 Voir notamment Fanny Cosandey et Robert Descimon, L’absolutisme en France. Histoire et historiographie, Paris
2002 ; Lothar Schilling, « Vom Nutzen und Nachteil eines Mythos », in : Absolutismus, ein unersetzliches Fors-
chungskonzept ? Eine deutsch-französische Bilanz, dir. Lothar Schilling, Munich 2008, p. 13-31. Sur la genèse de
l’absolutisme, voir Arlette Jouanna, Le Pouvoir absolu : naissance de l’imaginaire politique de la royauté, Paris 2013.
8 Wolfgang Reinhard, Geschichte der Staatsgewalt. Eine vergleichende Verfassungsgeschichte Europas von den Anfän-
gen bis zur Gegenwart, Munich 1999, p. 42.
9 Jeroen Duindam, Vienna and Versailles. The courts of Europe’s dynastic rivals 1550-1780, Cambridge 2003, p. 9-10 :
« Elias’ perplexing melange of grand theory, lucidly formulated analysis, and rather limited research gave rise
to a tradition of aulic history with a strong partiality for conceptual ornament and eclectic discourse. The
‘role’ of the court in ‘absolutism’ and the ‘meaning’ of ceremony were deemed more worthy of scholarly atten-
tion than the concrete forms of ceremony or the daily routines of the court. Anthropological perspectives, of
great relevance for the reassessment of courts in the European past, added emphasis to the notion of ‘ritual’
and, in an unfortunate conjunction with the post-modern stress on ‘deconstruction’ and rhetoric, strengthe-
ned the inclination to wrestle with concepts rather than with concrete data. Moreover, aulic history emerged
as a specialised domain with a strong cultural bias, demonstrated by the presence of authors from related dis-
ciplines such as the history of art, music, theatre, architecture, and language. While the impetus from these
disciplines was and remains indispensable, the dominant cultural bias complicated the communication with
the field of political history. »

– 72 –
Administrer la musique française

a aussi beaucoup à gagner à abandonner l’idée d’une « propagande royale » – la musique étant peu
ou prou ramenée à la poursuite de la guerre par d’autres moyens – qui repose en dernière instance
sur l’hypothèse d’une « manipulation de la culture10 » par le pouvoir.
Pour échapper à ce double écueil de « l’Europe française » et de « l’âge de l’absolutisme »,
sans pour autant renoncer à rendre compte des significations politiques et culturelles attachées au
patronage de musique française, nous optons dans ce chapitre pour une stratégie en deux temps.
Il s’agira d’abord d’interroger les identités aristocratiques des mécènes allemands de musique
française au prisme de leurs options politiques, intellectuelles et culturelles, en faisant appa-
raître l’association étroite entre le patronage de musique française et la négociation de nouvelles
identités aristocratiques parmi la noblesse d’Empire vers 1660. Ce faisant, nous nous concen-
trons sur la dimension culturelle et anthropologique du phénomène en nous inspirant librement
(sans méconnaître les débats auxquels ils ont donné lieu) des travaux de Jonathan Israel sur les
Lumières radicales et des travaux d’Alain Viala sur la galanterie.11 Les principaux patrons de mu-
sique française se distinguent en effet par quelques options singulières : un éloignement vis-à-vis
de l’orthodoxie luthérienne confinant parfois à l’athéisme, un habitus aristocratique rationaliste
et galant, et une attitude libérale sur le plan des mœurs. L’embauche de musiciens français et plus
généralement le goût pour le théâtre et la musique française apparaissent dans cette perspective
comme une manière de marquer sa proximité avec une culture française nullement réduite aux
fastes de Versailles, mais bien davantage vécue à l’aune de la galanterie, du cartésianisme, du
bon goût et de la liberté des mœurs. Dès le milieu des années 1720 cependant, ces valeurs sont
profondément remises en question, et l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération de mécènes
provoque un fort déclin du patronage de musique française qui confirme rétrospectivement son
association avec les valeurs de la galanterie.
Nous examinerons ensuite, à partir du labeur quotidien de l’administration, les logiques
institutionnelles et comptables qui ont encadré l’installation de musiciens français dans les
Hofkapellen allemandes. Prenant ici pour source d’inspiration les travaux de Pauline Lemaigre-
Gaffier sur l’administration des Menus Plaisirs12, une déambulation à travers le corpus docu-
mentaire produit par les administrations curiales permettra de montrer que la musique française
émerge d’abord comme réalité administrative avant de devenir une catégorie stylistique : la gou-
vernance et l’administration des « musiciens français » précède et accompagne la formulation
d’une théorie de la musique française tout en contribuant de manière décisive à l’élaboration
d’une dichotomie entre musique italienne et musique française ainsi qu’à l’apparition des goûts
réunis. Des phénomènes en apparence très triviaux mais décisifs seront au centre de l’attention :
le prix de la musique française, les négociations entre les souverains et leur administration, les
procédures de recrutement des musiciens français, les cadres institutionnels dans lesquels ils évo-
luent et les procédures d’administration de la musique française. C’est donc un véritable art de
gouverner la musique qui apparaîtra peu à peu au fil de ces pages.

Mécénat musical et identités aristocratiques


Après avoir parcouru l’Europe musicale dans toute son extension entre 1650 et 1750 en déroulant
le fil de réseaux dynastiques, diplomatiques et artistiques, nous allons à présent nous arrêter sur

10 Pauline Lemaigre-Gaffier, Administrer les Menus Plaisirs du Roi. La Cour, l’État et les spectacles dans la France des
Lumières, Ceyzérieu 2016, p. 11.
11 Jonathan I. Israel, Radical Enlightenment. Philosophy and the Making of Modernity 1650-1750, Oxford 2001. Jona-
than I. Israel, Les Lumières radicales. La philosophie, Spinoza et la naissance de la modernité, 1650-1750, Paris 2010.
Pour une lecture critique des thèses d’Israel, voir Antoine Lilti, « Comment écrit-on l’histoire intellectuelle
des Lumières ? », Annales. Histoire, sciences sociales, 64, 2009, p. 171-206. Pour une perspective centrée sur l’Al-
lemagne, voir The Radical Enlightenment in Germany. A Cultural Perspective, dir. Carl Niekerk, Leiden 2018.
Viala, La France galante.
12 Lemaigre-Gaffier, Administrer les Menus Plaisirs du Roi.

– 73 –
Chapitre 2

Illustration 2.1. Carte politique simplifiée de l'Allemagne du Nord vers 1660.

les deux principales régions qui accueillirent des ensembles musicaux français permanents entre
1660 et 1730 : la Basse-Saxe et la Saxe. L’ancien cercle de Basse-Saxe, réunion informelle de plu-
sieurs duchés et principautés d’Empire, englobait alors tout le Nord de l’Allemagne actuelle. Au
sein de ce vaste ensemble administratif et géographique se trouvait le duché de Braunschweig-
Lüneburg dont les frontières internes fluctuèrent beaucoup au gré des conflits armés et des règle-
ments de succession tout au long du xviie siècle.13 En effet, la dynastie des Guelfes ne suivait pas
le principe de primogéniture mais répartissait les possessions territoriales entre ses différents
héritiers mâles. À partir de 1665, le duché de Braunschweig-Lüneburg était donc divisé en trois
sous-principautés, chacune habituellement désignée par le nom de sa résidence : la principau-
té de Braunschweig-Calenberg (qui avait son siège à Hanovre) était communément appelée le
duché de Hanovre, celle de Braunschweig-Lüneburg le duché de Celle, celle de Braunschweig-
Wolfenbüttel le duché de Wolfenbüttel. Dans notre perspective, les frontières de l’actuel Land de
Basse-Saxe délimitent un territoire commode de taille intermédiaire, qui englobe non seulement
les trois principautés tout juste évoquées mais également le duché d’Osnabrück (Illustration 2.1).
Aucun des ducs de Braunschweig n’avait la dignité électorale, contrairement au prince-électeur
de Saxe qui participait à l’élection de l’Empereur et possèdait depuis 1356 l’une des dignités impé-
riales les plus élevées, puisqu’il était Erzmarschall de l’Empire. Territoire politique unifié depuis
la fin du xive siècle dont la ville de Dresde formait l’unique résidence et capitale, la Saxe n’était
pas seulement un poids lourd politique, mais elle était aussi dotée d’atouts économiques impor-
tants, dont les principaux moteurs étaient les mines d’argent situées dans le massif des Erzgebirge
près de Freiberg, et la vitalité commerciale de Leipzig. Très différentes par leur histoire, leurs
frontières et leur poids politique, ces deux régions accueillirent cependant des musiciens français
en nombre important. Elles partageaient également un destin politique commun, puisqu’elles
faisaient partie des principaux territoires de l’Empire à la fin du xviie siècle.

Les États impériaux entre le Roi et l’Empereur


Les États impériaux jouissent historiquement d’un haut degré d’autonomie politique et insti-
tutionnelle par rapport à l’Empereur, qu’ils élisent formellement mais auxquels ils sont soumis

13 Wilhelm Havemann, Geschichte der Lande Braunschweig und Lüneburg, vol. 3, Göttingen 1857, p. 200-283.

– 74 –
Administrer la musique française

constitutionnellement.14 C’est cette ambiguïté fondamentale qui était traditionnellement exploi-


tée par la politique impériale de la France depuis la paix de Westphalie : en contractant des traités
bilatéraux avec les États impériaux (Reichsstände), la France se posait comme garante de leur indé-
pendance face aux tentations hégémoniques de Vienne, tout en se donnant les moyens d’influen-
cer par ce biais les équilibres politiques internes de l’Empire. En réalité, cette politique tendait
à surestimer l’antagonisme entre Reich et Reichsstände, autrement dit à sous-estimer la loyauté
des États impériaux vis-à-vis de l’Empereur, et produisit de ce fait des résultats très limités.15
Cependant, quelques princes menèrent une politique résolument pro-française et basculèrent de
façon très nette dans l’orbite de la France.
Le prototype du prince allemand francophile est représenté par le duc Christian Louis I de
Mecklengurg-Schwerin (1623-1692). Après avoir hérité de la principauté de Schwerin en 1658,
il se convertit au catholicisme en 1663, reçut Louis XIV comme parrain, et épousa en secondes
noces la Française Élisabeth Angélique de Montmorency. Il mit en place une politique militaire
et diplomatique entièrement favorable à la France qui affaiblit considérablement sa position dans
l’Empire.16 Il passait en outre le plus clair de son temps en France, en Italie ou en Angleterre, ne
séjournant que six ans dans sa résidence sur trente-quatre années de règne.17 Dans ce contexte,
l’engagement de deux bandes de violons français à Schwerin peut être lu comme le résultat d’une
grande proximité politique et culturelle avec la France.18 Mais cette explication ne saurait valoir
pour son cousin Gustav Adolph de Mecklenburg-Güstrow (1633-1695), qui régnait sur le terri-
toire voisin et engagea également de nombreux musiciens français au sein de la Hofkapelle de
Güstrow. Celui-ci se distinguait en effet par sa diplomatie plutôt hostile à la France, motivée par
un luthéranisme strict et un engagement résolu aux côtés des grandes puissance protestantes,
notamment la Suède et le Danemark.19 Gustav Adolph cultivait en revanche des intérêts intellec-
tuels très éclectiques : il avait étudié la théologie et la philosophie à Leiden et Strasbourg et était
membre de la Fruchtbringende Gesellschaft, une société de lettres au sein de laquelle il déploya une
activité d’écrivain. Il incarne un type de souverain éclairé et réformateur, qui introduisit dans
son territoire un système scolaire de pointe et une administration renforcée, mais combattit aussi
avec vigueur la sorcellerie et des pratiques religieuses jugées superstitieuses.20
Ces deux exemples montrent très bien la complexité des enjeux soulevés par le mécénat de
musique française. Si l’adoption par les princes allemands d’éléments français dans le cérémonial,
l’architecture ou la musique peut venir souligner leur ambition d’émancipation symbolique par
rapport à l’Empereur, voire leur proximité diplomatique avec la France, elle peut tout aussi bien
être le résultat d’une culture strictement personnelle. Le modèle musical français a de ce fait – et de
façon paradoxale – été d’abord cultivé par des cours luthériennes de taille intermédiaire, surtout
marquées par la culture de la littérature et des sciences, souhaitant mettre à distance le modèle ca-
tholique de Vienne : c’est ce que Volker Bauer nomme le type de la cour des muses (« Musenhof »).21

14 Pour un aperçu général sur la constitution du Saint Empire, voir Barbara Stollberg-Rilinger, Das Heilige rö-
mische Reich deutscher Nation vom Ende des Mittelalters bis 1806, Munich 2009.
15 Sur la politique allemande de la France sous Louis XIV, voir Guido Braun, Von der politischen zur kulturellen
Hegemonie Frankreichs 1648-1789, Darmstadt 2008, p. 33-35.
16 Sebastian Joost, Zwischen Hoffnung und Ohnmacht. Auswärtige Politik als Mittel zur Durchsetzung landesherrli-
cher Macht in Mecklenburg (1648-1695), Berlin 2009, p. 106-125.
17 Joost, Zwischen Hoffnung und Ohnmacht, p. 57-75.
18 Meyer, Geschichte der Mecklenburg-Schweriner Hofkapelle, p. 30-31.
19 Joost, Zwischen Hoffnung und Ohnmacht, p. 127-140.
20 Steffen Stuth, Höfe und Residenzen. Untersuchungen zu den Höfen der Herzöge von Mecklenburg im 16. und 17. Jah-
rhundert, Brême 2001, p. 230-267. Katrin Moeller, Dass Willkür über Recht ginge. Hexenverfolgung in Mecklenburg
im 16. und 17. Jahrhundert, Bielefeld 2007, p. 134-159.
21 Bauer, Die höfische Gesellschaft in Deutschland, p. 76-77 : « Die auffällige Tatsache, daß auch dieser Typ [Mu-
senhof] fast ausschließlich in lutherischen Territorien zu finden ist, mag – folgt man Trevor-Roper – darauf
zurückzuführen sein, daß die katholischen Höfe des Barockzeitalters eher zur Förderung der ‘sinnlicheren’ bil-
denden Künste tendierten, während die protestantischen eher wissenschaftlich-literarische Ziele verfolgten. »

– 75 –
Chapitre 2

Cette volonté d’émancipation par rapport à Vienne produisit d’ailleurs des résultats spectaculaires
sur le plan politique : deux centres de musique française dans l’Empire, la cour de Dresde et la
cour de Hanovre, formèrent à vingt ans d’intervalle des unions personnelles avec la Pologne et
l’Angleterre, acquérant de fait une place parmi les premières puissances européennes et un poids
politique qui allait bien au-delà de celui normalement échu aux États impériaux. Auguste le Fort et
Sophie de Hanovre, les deux mécènes les plus marquants et les plus engagés de musique française,
devenaient ainsi des personnalités politiques de premier plan, le premier accédant au trône de
Pologne et la seconde négociant l’accession de son fils au trône d’Angleterre.22

Musique et équilibres géopolitiques en Basse-Saxe


La concentration de mécènes de musique française fut particulièrement importante dans le duché
de Braunschweig-Lüneburg : par un effet de génération remarquable, trois des cinq enfants du
duc Georg von Braunschweig-Lüneburg (1582-1641) financèrent des ensembles de théâtre ou de
musique française (Tableau 2.1). Mais ils entretenaient entre eux et avec la France des relations
fluctuantes et complexes. Pour pouvoir rompre ses fiançailles avec Sophie von der Pfalz sans pro-
voquer d’éclat diplomatique, Georg Wilhelm avait renoncé en 1656 à son héritage au profit de son
petit frère Ernst August, qui avait accepté en échange d’épouser cette dernière : Georg Wilhelm
ne devait ni se marier ni avoir d’enfant, et ses territoires devaient revenir à Ernst August ou aux
héritiers de ce dernier. Exclu de cet arrangement, Johann Friedrich voyait ses propres espérances
se réduire comme peau de chagrin. Pour faire bonne mesure, il obtint le duché de Hanovre lorsque
Georg Wilhelm succéda à son frère Christian Ludwig comme duc de Celle en 1665. Mais ce fragile
équilibre fut rompu lorsque Georg Wilhelm, en dépit de ses engagements, prit chez lui à Celle sa
maîtresse Éléonore Desmiers d’Olbreuse, qu’il n’épousa qu’en août 1676 après que l’Empereur eut
conféré à celle-ci le titre de comtesse d’Harbourg. Ce n’est que trois ans plus tard, à la mort sans
héritier de Johann Friedrich en 1679, qu’Ernst August, jusqu’alors simple évêque d’Osnabrück, prit
possession du duché de Hanovre qui connut une ascension spectaculaire. Son fils épousa en 1682
la fille unique de Georg Wilhelm, assurant ainsi la réunion future des deux duchés de Celle et de
Hanovre. En 1692, Ernst August obtint la dignité électorale, et le duché de Hanovre devint une
principauté d’Empire de plein droit (« Kurfürstentum ») au même titre que la Saxe. En 1714, le fils
d’Ernst August devint roi d’Angleterre sous le nom de George Ier et incarna l’union entre le duché
de Hanovre et la couronne d’Angleterre qui devait durer jusqu’à la reine Victoria.
Les différents territoires de Basse-Saxe entretenaient des relations contrastées avec la
France. Johann Friedrich, duc de Hanovre de 1666 à 1679, mena une politique extérieure délibéré-
ment pro-française qui le mit parfois en difficulté vis-à-vis de l’Empereur. Il avait épousé en 1668
Benedicta Henriette von der Pfalz (1652-1730), fille du prince Eduard von der Pfalz et d’Anne
de Gonzague. Benedicta Henriette avait donc été élevée à Paris, où elle se retira quelques mois
après la mort de Johann Friedrich. Ce mariage contribua à renforcer considérablement les liens
politiques de Hanovre avec la couronne de France, ainsi que l’affirmation de son indépendance
vis-à-vis de l’Empereur.23 L’armée de quinze mille hommes mise sur pied par Johann Friedrich
était financée en grande partie par des subsides militaires versés par la France, en vertu d’un
accord passé entre Johann Friedrich et Louis XIV le 10 décembre 1672, au début de la guerre de
Hollande. L’armée de Hanovre devait tenir ses hommes à la disposition du Roi Très Chrétien et
bien sûr ne pas prendre part à des actions militaires hostiles à la France. Le chef d’État-major
Heinrich von Podewils avait fait un séjour en France et introduisit plusieurs pratiques françaises
dans la gestion de l’armée de Hanovre.24 Jusqu’à sa mort en 1679, la politique étrangère de Johann
Friedrich resta donc toujours très proche des intérêts de la France.

22 Pour une pespective comparative sur ces deux unions, cf. Die Personalunionen von Sachsen-Polen 1697-1763 und
Hannover-England 1714-1837. Ein Vergleich, dir. Rex Rexheuser, Wiesbaden 2005.
23 Georg Schnath, Geschichte Hannovers im Zeitalter der neunten Kur und der englischen Sukzession, vol. 1, Leipzig
1938, p. 22.
24 Schnath, Geschichte Hannovers, vol. 1, p. 43.

– 76 –
Administrer la musique française

Tableau 2.1 : Descendants de Georg von Calenberg. En rouge figurent les mécènes de musique française.

Georg von Calenberg (1582-1641)


Herzog von Braunschweig und Lüneburg

Christian Ludwig (1622-1665)


1641-1648 à Hanovre
Georg Wilhelm (1624-1705) Éléonore Desmiers
dès 1648 à Celle
1648-1665 Duc de Hanovre d’Olbreuse (1639-1722)
Benedicta Henriette von Johann Friedrich (1625-1679) dès 1665 Duc de Celle
der Pfalz (1652-1730) dès 1665 Duc de Hanovre
Sophia Amalia (1628-1685) Frederik III de
Sophie von der Pfalz Ernst August (1629-1698) dès 1643 Reine de Danemark Danemark (1609-1670)
(1630-1714) dès 1662 Évêque Osnabrück
dès 1679 Duc de Hanovre

Contrairement à Hanovre, le duché de Celle et l’évêché d’Osnabrück entretinrent avec la


France une relation assez contrastée, non dénuée de contradictions, reposant sur une grande proxi-
mité culturelle mais une certaine ambivalence géopolitique.25 La présence de nombreux Français
huguenots occupant de hautes fonctions administatives et militaires faisait du duché de Celle une
cible diplomatique de premier choix pour la France.26 Réciproquement, une bonne intelligence
avec la France pouvait être pour Georg Wilhelm un moyen de monnayer ses services militaires à
l’Empereur, et un puissant levier pour maximiser leurs rendements sur le plan politique en faisant
jouer la concurrence. Cependant, le tournant expansionniste pris en 1667 par la politique étrangère
de Louis XIV avec la guerre de Dévolution ébranla de façon durable la confiance des Reichsstände
dans la protection de la France. C’est pour cette raison que la Ligue du Rhin, qui rassemblait entre
autres alliés traditionnels de la France les ducs de Brauschweig, fut dissoute en 1668. Ce qu’on
appelle parfois la « seconde guerre de Trente Ans » – et qui est en fait la succession de trois guerres :
la guerre de Dévolution (1667-1668), la guerre de Hollande (1672-1678) et la guerre de la Ligue
d’Augsburg (1688-1697) – continua de marquer un déclin progressif de l’influence politique fran-
çaise dans les affaires de l’Empire : les deux ravages du Palatinat sont un excellent exemple du
scandale européen causé par la politique d’expansion territoriale de Louis XIV.27
Dès 1665, au début de la guerre de Dévolution, Georg Wilhelm et Ernst August mirent leurs
armées au service de la Hollande contre la France.28 Entre 1667 et 1668, Louis XIV dut donc accré-
diter plusieurs envoyés pour négocier avec eux le traité d’Aix-la-Chapelle : Raymond Balthazar
Phélypeaux puis Jean Hérault de Gourville furent envoyés à Celle, Louis de Verjus à Osnabrück.29
Cet engagement militaire contre la France fut réactivé pendant la guerre de Hollande, où les deux

25 Mercure galant, mars 1679, p. 160-161 : « Vous sçavez sans doute que Mr le Duc d’Hanover [Johann Friedrich]
est un Prince de la Maison de Brunswich & Lunebourg, & qu’il a toûjours esté dans les intérests de Sa Majesté
pendant nos dernieres guerres, malgré les engagemens contraires des autres Princes de Sa Maison, c’est-à-dire
de Mr le Duc de Zell [Georg Wilhelm] son Frere aisné, & de Mr l’Evesque d’Osnabruch [Ernst August] son
cadet, qui ont fait depuis peu leur accommodement avec le Roy. Ce sont des Princes d’un fort grand mérite, &
qui soûtiennent la dignité de leur rang avec tout l’éclat que demande leur naissance. »
26 Andreas Flick, « ‘Der Celler Hof, so sagt man, ist ganz französisch.’ Hugenotten am Hof und beim Militär He-
rzog Georg Wilhelms von Braunschweig-Lüneburg », Celler Chronik, 12, 2005, p. 65-98. « ‘Der Celler Hof ist
ganz verfranzt.’ Hugenotten und französische Katholiken am Hof und beim Militär Herzog Georg Wilhelms
von Braunschweig-Lüneburg », Hugenotten, 72/3, 2008, p. 87-120.
27 Émilie Dosquet, « ‘Tout est permis dans la Guerre, mais tout ce qui est permis ne se doit pas faire’ : la ‘désola-
tion du Palatinat’ à l’épreuve du droit de la guerre », in : Les dernières guerres de Louis XIV, 1688-1715, dir. Hervé
Drévillon, Bertrand Fonck et Jean-Philippe Cénat, Rennes 2017, p. 229-252.
28 Charles-Prosper-Mérimée Horric de Beaucaire, Une mésalliance dans la maison de Brunswick (1665-1725). Éléo-
nore Desmier d’Olbreuse duchesse de Zell, Paris 1884, p. 59-76.
29 Charles Frostin, Les Pontchartrain, ministres de Louis XIV. Alliances et réseaux d' influence sous l'Ancien Régime,
Rennes 2006, p. 15-67. Beaucaire, Une mésalliance, p. 59-60. Les négociations de Verjus donnèrent lieu à la

– 77 –
Chapitre 2

frères furent des acteurs militaires de premier plan aux côtés de l’Empereur. En 1675, ils rempor-
tèrent une victoire à Consarbrück contre le maréchal de Créquy, et le duc de Celle mit son armée
au service du prince de Brandebourg contre la Suède, alliée de la France. Ceci posait la question de
la loyauté des officiers huguenots, nombreux parmi les cadres supérieurs de l’armée de Celle. La
prise de Stralsund par le Brandebourg fut accomplie avec le soutien de 8000 hommes des contin-
gents de Celle, sous le commandement du général Chauvet, d’origine française.30 Entre 1668 et
1679, les ducs de Braunschweig furent des interlocteurs incontournables dans les négociations et
les affrontements armés qui précédèrent la paix de Nimègues.31
En 1679, au moment des négociations de la paix de Nimègues, les duchés de Celle et de
Hanovre signèrent une paix séparée avec la France et la Suède, inaugurant un réchauffement
diplomatique. C’est à la suite d’un conflit avec l’Empereur, qui lui reprochait la prise de Brême,
que Georg Wilhelm conclut ce traité de paix séparé. Le maréchal d’Estrades, ambassadeur au
congrès de Nimègues et parent d’Éléonore d’Olbreuse, fut dépêché à Celle pour y négocier un
traité favorable aux intérêts de la France. Ernst August se joignit à ce traité et toucha aussi de
substantiels subsides du roi de France. Ce traité ouvrit une période de relations diplomatiques
intenses avec la France : le maréchal von der Thanne, un des plus hauts dignitaires de la cour de
Celle, vint demander à Louis XIV que les représentants en France de la maison de Braunschweig
obtiennent le rang d’ambassadeurs.32 Réciproquement, des envoyés français furent présents à la
cour de Celle de façon continue : le marquis d’Arcy de 1680 à 1685, puis de Bourgeauville entre
1685 et 1689. Jean Hérault de Gourville se rendit lui-même à Celle en 1681 pour conserver à la
France le soutien des deux ducs de Braunschweig.33
La Révocation de l’Édit de Nantes en 1685 vint porter un premier coup à cet équilibre géo-
politique. Comme toutes les autres puissances protestantes, les ducs de Braunschweig voyaient
d’un mauvais œil la politique confessionnelle du roi français. Le duc de Celle, qui avait épousé
une huguenotte, fut d’ailleurs le premier dignitaire de l’Empire à publier un édit en faveur des
huguenots, signé à Celle le 9 août 1684, soit plus d’un an avant la Révocation et la publication du
fameux Édit de Postdam.34 La crise s’intensifia lorsque la France refusa à l’ambassadeur de Celle,
le huguenot Jacques Rozemont de Boucœur, l’autorisation de sortir de France avec sa famille après
avoir vendu tous ses biens. L’intervention personnelle de Georg Wilhelm ne put empêcher l’embas-
tillement de Boucœur en 1686.35 Cette détorioration des relations avec la France fut complétée
par le déclenchement de la guerre de la Ligue d’Augsburg (1688-1697). À partir des années 1690, la
loyauté militaire des ducs de Celle et Hanovre vis-à-vis de l’Empereur fut sans faille, et les deux du-
chés s’éloignèrent progressivement mais sûrement du giron de la France. Il fallut attendre la paix
de Ryswick en octobre 1697 pour que Louis XIV renoue des relations diplomatiques stables avec
Celle, par l’intermédiaire du ministre Du Héron, puis du marquis de Bonnac à partir de 1700.36
Du point de vue de l’histoire de la musique, le rappel de ces développements politiques pro-
duit donc un paradoxe apparent. Les trois cours de Celle, Hanovre et Osnabrück avaient négocié
dès 1667 l’entretien commun d’une troupe de comédiens français. En revanche, même s’il était
impliqué dans le financement de cette troupe et qu’il avait aussi épousé une demi-française, le
duc de Hanovre Johann Friedrich avait uniquement des musiciens italiens dans sa Hofkapelle :
celui des trois frères qui était le plus favorable aux intérêts de la France et le plus proche de

publication d’un pamphlet intitulé La Sauce au Verjus, dans la meilleure tradition pamphlétaire anti-louis-qua-
torzienne, publié en 1674 à Strasbourg et à Amsterdam en traduction néérlandaise.
30 Georg Linnemann, Celler Musikgeschichte bis zum Beginn des 19. Jahrhunderts, Celle 1935, p. 58.
31 Beaucaire, Une mésalliance, p. 60.
32 Beaucaire, Une mésalliance, p. 74.
33 Beaucaire, Une mésalliance, p. 114.
34 Thomas Klingebiel, Die Hugenotten in den welfischen Landen. Eine Privilegiensammlung, Bad Karlshafen 1994,
p. 7-14 et 44-52.
35 Beaucaire, Une mésalliance, p. 97.
36 AAE, Correspondance diplomatique, Série Brunswick et Hanovre.

– 78 –
Administrer la musique française

Louis XIV sur le plan diplomatique fut donc précisément celui qui n’entretint pas de musiciens
français.37 À l’inverse, les deux ducs qui menèrent une politique ambiguë vis-à-vis de l’Empereur
mais globalement hostile aux intérêts de la France furent les principaux mécènes de musique
française dans la région (Tableaux 2.2 et 2.3). On voit donc qu’il ne faut pas surestimer le poids
des relations diplomatiques et militaires dans les transferts musicaux franco-allemands : lorsque
Georg Wilhelm accueille ses premiers musiciens français en 1666, il a déjà mis ses armées au ser-
vice de la Hollande, et il ne peut donc être question d’un alignement sur les intérêts de la France.
Par la suite, les multiples revirements de ses relations diplomatiques avec la France ne semblent
pas affecter le moins du monde le statut des musiciens français, qui demeurent à Celle pendant
toute la période. Il faudra donc plutôt s’interroger sur les motivations individuelles, les réseaux
personnels et le contexte culturel qui ont favorisé l’embauche des musiciens français à Celle, à
Osnabrück et à Hanovre.
Tableau 2.2. Musiciens français à la cour de Celle, 1666-1706.

Nom Dates de séjour Nom Dates de séjour


François Adam Beauregard 1681 Nicolas Griffon 1680-1683
Guillaume Caillat 1673-1673 Guillaume Josse 1666-1690
Philippe de Courbesastre 1681-1706 N. La Garenne 1681-1706
Henri des Hays 1692-1706 Thomas de la Selle 1666-1706
René des Vignes 1666-1677 Philippe La Vigne 1666-1706
Pierre du Vivier 1689-1706 Denis Le Tourneur 1670-1697
Jean Jacques Favier 1666-1677 Pierre Maréchal 1683-1696
Étienne Forlot 1681-1695 Jean Mignier 1684-1706
Johann Ernst Galliard 1698-1706 Guillaume Pécour 1666-1708
Louis Gaudon 1677-1706 Pierre Potot 1681 –
Charles Gaudon avt 1699 – François Robeau 1666-1692
Bernard Graep 1696-1706 Claude Saint-Amour 1676-1716
Jean François Graep 1705-1706

Tableau 2.3. Musiciens français à la cour de Hanovre, 1680-1714.

Nom Dates de séjour Nom Dates de séjour


Charles Babel 1688-1690 Élie Jemme 1680-1694
N. Bande 1689 Nicolas Jourdain 1713-1715
Guillaume Barré 1688-1717 N. La Croix 1680-1688
N. Bertrand 1680-1707 Louis Le Conte avt 1674 – 1693
Anne Sophie Bonne 1668-1677 Jacques de Loges 1698 –
N. Bouli – 1690 Jean Maillard 1698-1702
François Desnoyers 1696-1698 Jean Mignier 1698-1701
Jean Baptiste Farinel 1680-1713 Stéphane Valoy 1680-1698
N. Goury – 1687 François Venturini 1698-1726
Gilles Heroux 1688-1690 Pierre Vezin 1680-1727

37 Seule la chanteuse Anne-Sophie Bonne apparaît comme « frantzösische Sängerin » entre 1668 et 1677.

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Chapitre 2

Tableau 2.4. Musiciens français à la cour de Dresde 1694-1733.

Nom Dates de séjour Nom Dates de séjour


Louis André 1720 – ap. 1731 Jean Baptiste Henrion 1696 –
François Adam Beauregard 1715-1733 Robert du Hautlondel 1707-1740
Pierre Belletour 1712 Jean Baptiste Joseph du Hautlondel 1709-1745
François Biotteau – 1731 Pauline Le Borgne 1697 –
N. Brunet – 1733 N. Le Conte le père 1709 –
Pierre-Gabriel Buffardin 1715-1749 N. Le Conte le fils 1709 –
Jean Cadet 1711 – Simon Le Gros 1700-1749
N. Clavel 1720-1733 François Le Riche 1699 – ap. 1733
Nicolas Delvaux 1696 – Antoine Mutant 1679-1695
Pierre Diard 1699-1727 Jean Prache du Tilloy 1699-1733
Louise Dimanche 1726-1732 Marguerite Prache du Tilloy – 1733
David Drot 1718 – ap. 1727 Christian Roche – 1709
Jean Baptiste Ducé 1709-1714 Madeleine de Salvay 1719-1720
N. du Masis 1728 – Jean Baptiste Volumier 1709-1728
Charles Henrion 1696 –

Politiques françaises d’Auguste le Fort


À partir de l’arrivée d’Auguste le Fort sur le trône de prince électeur de Saxe en 1694 et jusqu’à sa
mort en 1733, Dresde compte parmi les principaux centres de musique française dans l’Empire.
Cet intérêt pour les productions musicales françaises prend plusieurs formes : l’achat de partitions
imprimées transmettant les grandes œuvres du répertoire français contemporain, la réalisation de
copies et d’arrangements d’œuvres françaises pour répondre aux besoins musicaux de la cour, et
enfin l’engagement de nombreux musiciens français au sein des institutions musicales. De façon
cumulée sur l’ensemble du règne, et indépendamment de la durée de leur séjour, ce sont près de
soixante-quinze Français qui furent embauchés dans des fonctions musicales, dont une trentaine
durablement (Tableau 2.4). Cette politique de mécénat musical est à replacer dans un contexte plus
général où la France constitue une référence culturelle de premier plan dans la Saxe augustéenne
– phénomène mis en évidence par Michel Espagne sous le terme de « creuset interculturel » de la
Saxe.38 Des artistes et artisans français réputés étaient entretenus par la cour, comme le peintre
Louis de Silvestre ou les architectes Zacharias Longuelune et Raymond Leplat. Les collections de
la Grüne Gewölbe de Dresde sont riches d’objets précieux directement importés de France, et de
nombreuses effigies d’Auguste le Fort sont modelées sur le modèle louis-quatorzien. L’érection
d’une galerie de peinture jointe à une Académie des Beaux-Arts est inspirée du modèle français,
et de nombreuses gravures du Kupferstichkabinett ont été commandées auprès d’artistes parisiens.39
Cette orientation artistique était le corollaire d’une politique européenne ambitieuse, mani-
festée par l’élection d’Auguste le Fort sur le trône polonais en 1697 : par son union à la Pologne, la
Saxe devenait une puissance européenne de plein exercice, puisque le roi de Pologne était complè-
tement indépendant de l’Empereur sur le plan constitutionnel. Cette tentative de sortir du giron
impérial fut d’ailleurs suivie d’autres initiatives du même ordre dans les années suivantes : l’élec-

38 Michel Espagne, Le Creuset allemand. Histoire interculturelle de la Saxe, xviiie-xixe siècles, Paris 2000. Voir aussi
Hans-Peter Lühr, Frankreich und Sachsen. Spurensuche in Dresden, Dresde 2010. Michael Märker, « Franzö-
sische Musiker am Hofe Augusts des Starken », in : Von der Elbe bis an die Seine. Kulturtransfer zwischen Sachsen
und Frankreich im 18. und 19. Jahrhundert, dir. Michel Espagne et Matthias Middell, Leipzig 1993, p. 67-74.
39 Voir par exemple Virginie Spenlé, Die Dresdner Gemäldegalerie und Frankreich. Der « bon goût » im Sachsen des
18. Jahrhunderts, Beucha 2008.

rr
– 80 –
Administrer la musique française

teur Friedrich de Brandebourg se proclama roi de Prusse en 1701, et l’électeur de Hanovre devint
roi d’Angleterre à partir de 1714. Pour pouvoir être élu sur le trône de Pologne, Auguste le Fort
s’était converti au catholicisme rapidement après la mort du roi de Pologne Jean III Sobieski en juin
1696. Sa conversion, condition nécessaire mais non suffisante pour pouvoir être élu sur le trône de
Pologne, eut lieu à Baden en juin 1697.40 De nombreux candidats soutenus par diverses fractions
de la noblesse polonaise ou puissances étrangères s’étaient déclarés : Jakob Sobiesky, Maximilian
Emanuel de Bavière, Karl Philipp von Pfalz-Neuburg, ainsi que François Louis de Conti soutenu
par la France. Face à ce dernier candidat, le prince-électeur de Saxe ne put remporter une victoire
suffisamment claire pour décider l’issue de l’élection. Mais ses troupes étaient prêtes à intervenir
et il se trouvait donc en position de force. Il remporta la partie et fut couronné roi de Pologne le 15
septembre 1697 à Cracovie, devenant ainsi Auguste II.41 Auguste le Fort conserva ce titre jusqu’à
sa mort en 1733, excepté entre 1706 et 1709 lors d’une courte destitution causée par les rebondisse-
ments de la Grande guerre du Nord en Europe centrale, où il joua un rôle de premier plan contre
la France au sein de l’alliance anti-suédoise.
On voit ici que l’intérêt pour les productions culturelles françaises n’est en aucun cas l’expres-
sion d’un rapport de force politique, d’une proximité diplomatique, ou la poursuite de la guerre par
d’autres moyens. Le patronage de musique française ne saurait davantage être vu comme la simple
manifestation du « goût du prince ». Il convient en effet de souligner la dimension collective de ce
phénomène : nombre de ministres les plus importants d’Auguste le Fort étaient aussi de grands
mécènes de musique et jouèrent un rôle décisif dans l’accueil des musiciens français à la cour de
Dresde. Loin de ressembler à ces « Grands Seigneurs en diminutif » ridiculisés par Mattheson,
ces grands commis de l’État étaient aussi des patrons d’envergure.42 Le comte Christoph August
von Wackerbarth (1662-1734), diplomate de haut vol et directeur du cabinet privé du roi, entrete-
nait son propre ensemble musical dans lequel semble avoir figuré l’organiste français François de
Tilly.43 Le « directeur des plaisirs », le comte Christoph Heinrich von Watzdorf (1670-1729) était
aussi un amateur de musique française, comme en témoigne un inventaire de 1736 : la bibliothèque
familiale comprenait plusieurs partitions de musique française.44 Watzdorf était lui-même soumis
à l’autorité du Kabinettsdirektor, fonction successivement exercée par deux personnalités proches :
le comte Jakob Heinrich von Flemming, un militaire influent qui exerça cette fonction entre 1712
et 1728, puis son client Ernst Christoph von Manteuffel.45 Le comte von Flemming était un ama-
teur de musique distingué, qui avait son propre ensemble musical et jouait de la basse de viole.
Enfin, le comte Heinrich von Brühl, ministre de Saxe, possédait sa propre chapelle musicale, placée
sous la direction de Gottlob Harrer et au sein de laquelle se trouvait un flûtiste français, François
Delerablée, entre 1746 et 1763.46 De nombreux imprimés de Lully figuraient dans sa bibliothèque

40 Johannes Ziekursch, « August der Starke und die katholische Kirche in den Jahren 1697-1720 », Zeitschrift für
Kirchengeschichte, 24, 1903, p. 86-135.
41 Paul Haake, « Die Wahl Augusts des Starken zum König von Polen », Historische Vierteljahrschrift, 9/1, 1906,
p. 31-84.
42 Johann Mattheson, Critica Musica, vol. 2, Hambourg 1725, p. 169-170 : « fast jeder Grand Seigneur en diminutif,
und jeder Dorff-Herrscher gleich ein Paar Violons, Hautbois, Cors de chasse &c. zur Aufwartung um sich ha-
ben will, doch so, daß sie zugleich eine voll-jährige Lieverey tragen, Schuputzen, Perüken pudern, hinter der
Kutsche stehen, und Laquaien Besoldung so wohl, als Bewirthung, geniessen; aber dabey beßere Musicanten
agiren sollen, als alle Kunst-Pfeiffer. »
43 Szymon Paczkowski, « Christoph August von Wackerbarth (1662-1734) and His “Cammer-Musique” », in :
Music Migration in the Early Modern Age. Centres and Peripheries. People, Works, Styles, Paths of Dissemination and
Influence, dir. Jolanta Guzy-Pasiak et Aneta Markuszewska, Varsovie 2016, p. 109-126.
44 Sur le mécénat du fils de Christoph Heinrich von Watzdorf, Christian Heinrich (1698-1747), cf. Nicola Schnei-
der, « Christian Heinrich von Watzdorf als Musikmäzen. Neue Erkenntnisse über Albinoni und eine säch-
sische Notenbibliothek des 18. Jahrhunderts », Die Musikforschung, 63/1, 2010, p. 20-34.
45 Fürstenau, Zur Geschichte, vol. 2, p. 43-45.
46 Ulrike Kollmar, Gottlob Harrer (1703-1755), Kapellmeister des Grafen Heinrich von Brühl am sächsisch-polnischen
Hof und Thomaskantor in Leipzig, Olms 2006, p. 352-353.

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Chapitre 2

personnelle.47 Mais surtout, le comte semble avoir organisé des divertissements français dans sa
résidence : une partition manuscrite vraisemblablement composée pour une occasion de ce genre,
« Les Festes d’Apollon. Ballet pastoral », provient de sa bibliothèque personnelle.48 Il s’agit d’un
opéra-ballet français en deux actes pour orchestre et chanteurs, dont la copie s’étend de près de 300
pages, et dont le compositeur ainsi que le librettiste demeurent inconnus.

Des divertissements entre politique et galanterie


Les « Festes d’Apollon » ne sont qu’un exemple parmi d’autres du rôle joué par la musique fran-
çaise dans l’organisation de fêtes de cour. Dans une lettre écrite aussitôt après le renvoi des musi-
ciens français en 1733, le compositeur de musique française de la cour de Dresde Louis André
défend son bilan en implorant le nouveau souverain de « bien se rappeler le peu de Talens [qu’il
a] pour la composition de la musique », mais il tente surtout de négocier le maintien de musi-
ciens français au sein de la Hofkapelle de Dresde, « la musique françoise étant plus convenable
qu’aucun[e] autre pour les Ballets.49 » Fruit d’une collaboration étroite entre musiciens, danseurs
et comédiens, l’organisation de ballets et de divertissements ponctue donc non seulement les
grands évènements de la vie de cour mais représente aussi un moment privilégié dans l’activité
du personnel français. À Dresde, la pastorale Mirtil, représentée en 1721 « par les Pensionnaires
dans les Plaisirs du Roy », était le fruit d’une collaboration entre le comédien Poisson, le maître
des ballets Debargues et le compositeur Louis André.50 Le Triomphe de l’Amour, donné pour le
carnaval 1725, était sous-titré « Divertissement en musique orné de Ballets » et réunissait Louis
André (« Maître de musique de la chapelle du Roy »), le sieur Poisson (« Poëte & Comédien du
Roy »), et le sieur Favier (« Maître de Ballets du Roy »).51
L’adoption par les cours allemandes d’une grammaire française du divertissement et de la
fête galante pour servir leurs propres fins constitue incontestablement un point névralgique dans
l’articulation entre mécénat de musique française, enjeux politiques et identités aristocratiques.
Pendant une cinquantaine d’années, entre 1675 et 1725, toutes les cours qui employaient des
musiciens français donnèrent des divertissements français de grande ampleur. Mêlant musique,
théâtre, danse et machines au sein de formes spectaculaires composites, ces divertissements s’ins-
crivaient dans le contexte de fêtes de cour qui pouvaient durer plusieurs jours et comportaient
de nombreux autres évènements (Tableau 2.5). Le compte-rendu du Mercure galant sur les festi-
vités données à Hanovre en 1684 pour le mariage de Sophie Charlotte avec le prince électeur de
Brandebourg illustre bien cet emboîtement en gigogne :
Le lendemain la plus grande partie de la journée s’estant passée en divertissemens, on prit celuy de la
Comedie. L’Inconnu fut representé, avec un Balet entre les Actes, composé de vingt Entrées. Les Recits
qui estoient à la loüange des Mariez, en furent chantez par les Musiciens de Mr le Duc de Hanover.52

Immédiatement identifiables par leurs livrets en français, ces divertissements empruntaient leur
modèle au ballet de cour, à la fête galante, à la pastorale ou à la comédie-ballet. Parfois joués en
plein-air, comme dans le cas des ballets champêtres donnés à Hanovre en 1681 (« Balet Champestre
Dansé sous une grande feuillée au grand jardin du Leiné »), ils étaient cependant le plus souvent

47 Voir Chapitre 4, p. 194-197.


48 D-Dl, Mus.2-F-503 : « I.M. Cte de Brühl »
49 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/1, fol. 243. Lettre de Louis André à August III [ca. 1733].
50 Mirtil, Dresde 1721, avant-propos non paginé : « Les Vers & la Musique de cette petite Pastorale ont été com-
posez en moins d’une Semaine : ainsi on peut dire, que c’est un Impromptu de Poësie & de Musique. La promp-
titude, sur tout, du Maitre de Musique, n’est pas ordinaire ; car quoi qu’il y ait dans ce Divertissement, plus de
travail que dans deux Actes d’un Opera françois, il n’a employe que quatre jours à le mettre en Musique. »
51 Le Triomphe de l’Amour, Dresde 1725, avertissement non paginé : « Ceci n’est point un ouvrage Dramatique, qui
renferme un sujet intrigué, suivi, & denoüé ; Ce n’est à proprement parler que ce qu’on nomme un Ballet : On
y trouvera cependant tous les spectacles, & tous les agrémens de nos grands Opera François. »
52 Mercure galant, décembre 1684, p. 163.

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Administrer la musique française

Tableau 2.5. Liste des divertissements français donnés à Celle, Hanovre et Dresde.

Année Lieu Titre normalisé


1674 Celle Ballet des amours de Mars et de Vénus ou le Vulcan jaloux
1681 Hanovre La Chasse de Diane, Ballet champêtre dansé sous une grande feuillée
1681 Hanovre Le Charme de l’Amour, Mascarade mise en ballet
1682 Celle La Discorde foudroyée, représentée dans un Ballet entremêlé de récits, voix et symphonies
1682 Hanovre Prologue en réjouissance du mariage de leurs Altesses Sérénissimes
1684 Hanovre Prologue mêlé de récits, de machines, de musique et de ballets
1685 Celle Prologue et Argument de la Comédie du Cavalier duppé, entremêlée de chants et de danses
1685 Hanovre Prologue sur l’heureuse naissance du jeune prince
1685 Hanovre Le Triomphe de la Paix, Ballet
1688 Celle Le Triomphe germanique, Ballet
1689 Celle Europe, Pastorale héroïque ornée de musique, de danses, de machines et de changements de
théâtre
1709 Dresde Le Théâtre des plaisirs
1719 Dresde Les Quatre saisons, Divertissement de musique et de danse
1721 Dresde Mirtil, Pastorale en musique ornée de Ballets
1725 Dresde Le Triomphe de l’Amour, divertissement en musique orné de ballets

représentés à l’intérieur, sur les théâtres des différentes cours, en particulier pendant les mois d’hi-
ver lors du carnaval. La principale trace de ces fêtes se trouve dans les livrets imprimés.53 Ceux-ci
constituent un objet fascinant, mais leur caractère littéral doit être relativisé dans la mesure où ils
visent explicitement à produire une mémoire idéalisée et parfois rétrospective de la fête.54 Leur
production matérielle faisait d’ailleurs l’objet d’une attention toute particulière : à Celle, la confec-
tion des livrets « pour les ballets » était confiée à l’imprimeur de la cour Andreas Holwein, tandis
que leur tirage pouvait atteindre 300 exemplaires à Hanovre.55
Le substrat politique de ces œuvres est souvent transparent. Le Ballet des amours de Mars et
de Venus ou le Vulcan jaloux, premier ballet français donné à Celle le 9 février 1674, est à mettre en
relation avec l’anoblissement d’Éléonore Desmier d’Olbreuse par l’Empereur, en remerciement
du soutien militaire de Georg Wilhelm. L’attribution du titre de comtesse à la compagne du duc
ouvrait la voie à une officialisation de son union avec Georg Wilhelm – le Vulcan jaloux person-
nifiant alors Ernst August, hostile à toute reconnaissance de la relation matrimoniale entre les
souverains de Celle, représentés par Mars et Vénus, puisque celle-ci menaçait de contrecarrer ses
projets d’hériter du duché de Celle après la mort de son frère. La patente impériale conférant à
Éléonore Desmier d’Olbreuse le titre de « Comtesse de Harburg-Wilhelmsburg » est datée du
22 juillet 1674, soit quelques mois après la représentation de ce ballet.56 Le personnage de Mars,
« arbitre souverain des guerrieres allarmes lassé des perilleux combats », dépeint assez bien les
activités de Georg Wilhelm en ce début de guerre de Hollande. De même, la peinture d’un Vulcan
« piqué de jalousie pour leurs impudiques amours », qui « veut en interrompre le cours » et

53 Pour une enquête sur Stuttgart et Wolfenbüttel, voir Samantha Owens, « “Eine Liebliche/ Von Vielen Violen
Bestehende Music”. Ballet Instrumentation at German Protestant Courts, 1650-1700. A Study of Libretti in
Wolfenbüttel and Stuttgart Libraries », Royal Musical Association Research Chronicle, 41, 2008, p. 25-67.
54 Sur les enjeux des descriptions imprimées de fêtes de cour, cf. Thomas Rahn, Festbeschreibung. Funktion und
Topik einer Textsorte am Beispiel der Beschreibung höfischer Hochzeiten (1568-1794), Tübingen 2006.
55 Voir par exemple pour le livret de La Discorde foudroyée donné à Celle le 23 nov. 1682 : NLAH, Hann. 76c A Nr.
208, p. 418 : « Die Ballets zu drucken, dem Buchdrucker Holwein 12 Thlr. » Pour le livret du Charme de l’amour
donné à Hanovre en 1681, NLAH, Hann. 76c A Nr. 100, p. 251 : « Dem Buchdrucker Schwendiman vor drüc-
kung 300 Exemplarien der frantzösischen Balletten : 19 Thlr. 18 gr. Vor dieselben Einzubinden 26 Thlr. 16 gr. »
56 Beaucaire, Une mésalliance, p. 60.

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Chapitre 2

« fabrique avec art un filet merveilleux pour garoter nos amoureux », semble tout à fait refléter
les manœuvres d’Ernst August et Sophie de Hanovre pour empêcher la légitimation de cette
union. Le ballet fait d’ailleurs ouvertement allusion au concubinage de Georg Wilhelm en notant
que « jusques icy secretement Mars & Venus ont pris leur divertissement ; mais leur faute estant
manifeste ils se joindront publiquement mesme devant la cour celeste. »
C’est avec la même absence d’ambiguïté que le ballet La Discorde foudroyée – représenté à
Celle le 23 novembre 1682 pour le mariage de Georg Ludwig avec Sophia Dorothea – reflète le
développement des relations politiques entre les deux familles ducales de Celle et de Hanovre.
La portée symbolique est évidente dès le titre du ballet, puisqu’il s’agit de mettre en scène la fin
de la discorde et l’harmonie retrouvée. Composé d’un prologue et de 16 entrées, ce ballet est
beaucoup plus ample que le précédent. Là où le Balet des amours nommait douze acteurs, celui-ci
permet d’en dénombrer trente-trois. Il associe des musiciens de la cour de Celle (Courbesastre,
Gaudon, Josse, La Vigne et Pécour) avec des comédiens de la cour de Hanovre parfois également
accompagnés de membres de leurs familles (Boncourt, Floridor, Lavoy, La Rivière et Soulas).
On peut noter que la représentation sollicite également du personnel français qui n’est pas atta-
ché au théâtre ou à la musique : Daniel Caulier et sa femme sont respectivement listés comme
Cammerdiener et Cammerdienerin (serviteurs de la chambre) dans la liste de personnel de 1681.57
La représentation repose donc sur une collaboration entre le personnel français des deux cours
qui dépasse largement le cercle des musiciens. Le Triomphe germanique, troisième ballet représenté
à Celle en janvier 1688, comporte également un substrat politique donné par le sous-titre : « Sur
le glorieux succès des armes de l’Empire contre les Turcs et à la memoire du jour heureux de la
naissance de S.A.S. Monsgr le Duc ».
À la cour de Hanovre, les divertissements français donnés entre 1681 et 1685 adoptaient
des formes plus variées : parmi les six livrets conservés figurent trois prologues, deux ballets et
une « mascarade mise en balet ». Le texte des divertissements était toujours écrit par Pierre de
Châteauneuf, chef de la troupe de comédiens, avec la collaboration d’autres artistes : en 1684,
« Monsieur des Brosses a fait toutes les Entrées de Ballet de ce spectacle. Monsieur Farinelly en
a composé la Musique ». L’année suivante, « Monsieur du Cormier a fait les machines, Monsieur
Valois toute la Musique & Monsieur Le Comte, Maître à danser de la cour, les Entrées de ballet ».
Les prologues étaient donnés pour des évènements dynastiques toujours indiqués dans le titre :
en 1682, pour le mariage de Georg Ludwig de Hanovre et de Sophie Dorothea de Celle ; en 1684,
pour le mariage de Sophie Charlotte de Hanovre avec le prince électeur de Brandebourg ; en
1685, pour la naissance du prince Friedrich August, fils du couple marié en 1682. En 1682, le pro-
logue précèdait la « piece des amours de Diane & d’Endimion », dans laquelle on peut sans doute
reconnaître la tragédie en machine de Gabriel Gilbert.58 En 1685, le prologue précède la pièce de
Corneille La Toison d’Or. Ces prologues commencent toujours par une ouverture, et sont chantés
de bout en bout, avant d’être conclus par « une ou deux ouvertures59 » et d’être enchaînés à la pièce
de théâtre. Celle-ci peut à son tour comporter des entractes assez développés, comme le montre la
liste des divertissements dansés entre les actes des Amours de Diane et d’Endimion. Notons l’usage
régulier des travestissements vestimentaires et vocaux à effet comique : dans la huitième entrée
du Ballet des Amours, on voit « Mars & Vénus sur un lit ensemble. Représenté Par les Sieurs Favier
& Pecour ». En 1682, Courbesastre et Frelot (Forlot) jouent deux paysannes ; en 1688, Caulier et
Rochebrune joue deux « vieilles ridicules avec des flûtes » ; en 1689, Pompierin et Tilly jouent
« deux vieilles ridicules ». Quelques indications musicales apparaissent en outre dans les didasca-

57 NLAH, Celle Br. 4 Nr. 74, p. 77 et 233.


58 Gabriel Gilbert, Les Amours de Diane et d'Endimion, Paris 1657.
59 Prologue en réjouissance du mariage de leurs altesses sérénissimes, Hanovre 1682, p. 19 : « Toutes ces Divinités
estant disparües & retournées au Ciel, on joüe une ou 2. ouverture [sic], aprés quoi l’on commence la piece
des amours de Diane et d’Endimion, que l’on a ornée, par ordre exprès de Son Altesse Serenissime, de tous les
agrééments qui peuvent estre capables d’attacher la curiosité des personnes les plus difficiles. »

– 84 –
Administrer la musique française

lies de différents livrets. Après la cinquième entrée du Ballet des amours de Mars et de Venus, on note
l’indication : « Les violons jouent une Ritournelle au lieu d’un Recit que l’on devroit chanter ».
Après la dixième entrée, « On fait un concert de plusieurs sortes d’instrument [sic] ».
L’organisation de ces fêtes reflète incontestablement l’adoption d’un idéal culturel galant
associé aux divertissements modernes : en France, la fête galante était devenue la nouvelle norme
du divertissement de cour, depuis le Ballet de la galanterie (1656) et les Plaisirs de l’île enchantée
(1664).60 Mais en traversant le Rhin, ces formes spectaculaires d’origine française étaient parfois
soumises à une profonde réinterprétation, voire à une forme de subversion. Le cas le plus specta-
culaire est fourni par la « pastorale héroïque » donnée à Celle en 1689, l’Europe de Chappuzeau,
que nous avons déjà évoquée (voir Chapitre 1) et qui constitue sous la plume du dramaturge
huguenot un détournement du modèle lullyste et une critique radicale de la politique européenne
louis-quatorzienne. Alors que la galanterie et son art du divertissement de cour sont souvent
interprétés comme un élément stratégique décisif dans l’exercice d’une puissance douce par la
France, voire comme la traduction d’un rêve français de translatio imperii, l’arme pouvait très bien
se retourner contre ses promoteurs.61 Dans les années qui suivirent immédiatement l’arrivée au
pouvoir d’Ernst August à Hanovre en 1680, le Mercure Galant se fit à plusieurs reprises l’écho des
somptueuses fêtes de cours données dans la résidence ducale. Ces descriptions opulentes, rédigées
pour un lectorat avide de récits féériques, assumaient explicitement une fonction mémorielle et
enchomiastique.62 Le compte-rendu du ballet Le Charme de l’Amour s’étale ainsi sur soixante-dix
pages, mentionnant des instruments, ou le « Sieur Jemmes, Maistre du Balet ». Le compte-rendu
de la fête se conclut en notant que celle-ci « n’eut pas moins de quoy satisfaire par la beauté de
la Symphonie & de la Musique.63 » De tels divertissements formaient la pierre de touche d’une
identité galante : c’est à propos des ballets et autres formes spectaculaires que le périodique louait
le nouveau souffle d’inspiration « galant » de la cour de Hanovre, dans lequel il voyait une imi-
tation de la cour de France.64 Ce qualificatif n’était pas décerné au hasard : l’année précédente,
le Mercure s’était abstenu de l’employer dans la nécrologie de l’ancien duc de Hanovre Johann
Friedrich, et – tout en soulignant le rayonnement du théâtre français par le biais de la troupe
de comédiens – préférait alors parler d’une cour « aussi modérée que grande, civile, & magni-
fique.65 » Les nouveaux souverains de Hanovre, le duc Ernst August von Braunschweig-Lüneburg
et sa femme Sophie von der Pfalz, ont donc apporté avec leurs musiciens français ce « je ne sais
quoi » typique de la galanterie, faisant souffler sur la cour de Hanovre un air décontracté, libre
et vif qui se manifestait de façon privilégiée lors des ballets et des fêtes de cour.

60 Viala, La France galante, p. 84-110. Voir aussi Anne-Madeleine Goulet, « Les variations de la fête », in : Regards
sur la musique au temps de Louis XIV, dir. Jean Duron, Wavre 2007, p. 91-112.
61 Sur galanterie et hégémonie française, cf. Viala, La France galante, p. 384-391.
62 Marie-Thérèse Mourey, « Le Mercure galant et l’espace germanique », in : Le Mercure galant, témoin et acteur de
la vie musicale, dir. Anne Piéjus, p. 13-21, ici p. 16 : « Ces commentaires peuvent être interprétés comme une
manière de conforter, auprès des lecteurs distingués du Mercure galant, le sentiment éminent de supériorité de
la France en matière de plaisirs, amusements et spectacles. »
63 Mercure Galant, avril 1681, p. 133-202.
64 Mercure Galant, avril 1681, p. 133-134 : « Pendant que Monseigneur le Dauphin faisoit préparer le magnifique
Ballet du Triomphe de l’Amour, qui a servy de divertissement à Leurs Majestez tout le Carnaval, la Cour de Ha-
nover qui imite si galamment toutes les manieres de celle de France, se disposoit a faire paroistre une Mascarade
mise en Balet, presque sous le mesme titre. » Mercure Galant, mars 1683, p. 35-36 : « il est difficile de pousser plus
loin la magnificence & la galanterie, si l’on excepte ce qui se fait à la Cour de France […]. On peut dire que […] la
Cour de Hanover suivoit de bien près ce qu’on voit icy de surprenant pour les Ballets, & pour les Feux d’artifice. »
65 Mercure Galant, janv. 1680, p. 195-196 : « [Johann Friedrich] a toûjours entretenu une Troupe de Comédiens
François avec Mr le Duc de Zell son aîné ; & sur ses dernieres années, il a fait faire des Opéra en Italien, qu’on
a trouvez admirables, sur tout pour les Voix & les Décoration. […] Sa cour estoit aussi moderée que grande, ci-
vile, & magnifique. Il avoit etably toutes les manieres Françoises qu’on suivoit en tout, jusque dans les Familles
mesme de la Ville. Il avoit dans sa Cour & dans ses Troupes beaucoup d’Officiers François […]. »

– 85 –
Chapitre 2

Identités galantes et patronage de musique française


La mise en évidence d’une galanterie allemande n’était pas seulement la projection d’un Mercure
galant avide de flatter son lectorat français, mais elle était devenue dans l’espace germanique une
catégorie centrale, tant sur le plan littéraire que sur le plan éthique.66 Le cours tenu en 1687 à
l’Université de Leipzig par Christian Thomasius sur « l’imitation des Français » accordait ainsi
une grande place à l’examen des propositions contenues dans les Conversations de Madeleine de
Scudéry, notamment « De l’air galant » et « De la politesse ».67 Même si Thomasius n’aborde pas
la musique, il ne fait pas de doute que le patronage de musique française doit être replacé dans
ce contexte bien particulier pour pouvoir être compris : celui de l’apparition, entre 1660 et 1700,
d’une nouvelle manière de nouer identité individuelle, identité de genre et identité aristocra-
tique, science, religion et érudition et qui se manifestait en premier lieu parmi la haute noblesse
d’Empire, où l’on voit émerger dès 1660 un nouveau type d’identité collective façonnée par la
galanterie. D’abord incarnée par des aristocrates nés vers 1630 et qui arrivent au pouvoir une
dizaine d’années après la paix de Westphalie, elle se manifeste en général par la combinaison d’au
moins deux des cinq caractéristiques suivantes : une culture confessionnelle marquée par le cal-
vinisme ou l’indifférence religieuse, un intérêt pour les thèses rationalistes du cartésianisme ou
la philosophie, un style de gouvernement éclairé, une morale sexuelle libérale, et une sensibilité
marquée par la galanterie littéraire.

Sophie de Hanovre entre galanterie et Lumières radicales


La correspondance de Sophie de Hanovre fournit un excellent observatoire pour comprendre la
manière dont est négociée et articulée cette identité galante. Plusieurs fois par semaine, Sophie
échangeait des lettres avec deux personnes dont elle était très proche : son frère Karl Ludwig,
prince électeur du Palatinat qui vivait dans son château à Heidelberg, et la fille de celui-ci, Elisabeth
Charlotte dite Liselotte von der Pfalz, devenue duchesse d’Orléans et souvent désignée en France
sous le nom de Madame Palatine. Si ces lettres constituent une mine d’informations permettant de
reconstruire des réseaux de musiciens se déployant entre Paris et Osnabrück, elles sont également
le lieu privilégié où se forme et se donne à lire une nouvelle identité formée par les valeurs de la ga-
lanterie. Sophie maîtrise à la perfection les codes du langage galant : à travers un art épistolaire très
subtil et conduit exclusivement en français, elle rejoint le modèle de la lettre galante, transcrivant
de manière résolument personnelle et intime une sorte conversation idéale qui s’épanouit dans
l’emploi d’un style moyen défendu par Mademoiselle de Scudéry.68 Ses correspondants étaient
d’ailleurs tout à fait conscients de la haute valeur littéraire des lettres qu’ils recevaient, comme le
montre la remarque formulée par Madame Palatine en 1699 à sa tante : « J’assure Votre Dilection
que, si ses écrits pouvaient être imprimés, ils se vendraient comme des petits pains, car rien n’est
plus aimable ni écrit avec plus d’esprit.69 » Ce style exceptionnel est aussi celui des Mémoires que
la duchesse écrivit en 1680. Lorsqu’il recopie le manuscrit de Sophie, Leibniz relève en tête de sa
copie le caractère « sublime » du texte, terme qui désigne pour lui cette qualité propre à un style
qui cultive une certaine nonchalance, mais touche sans en avoir l’air des sujets profonds :
Le style paraît simple, mais il a une force merveilleuse et je le trouve fort du caractère que Longin appelle
sublime, malgré cette négligence apparente. Lors même qu’il semble qu’on ne dit que des choses ordi-
naires, elles se trouvent relevées par un certain tour admirable qui donne occasion à faire des réflexions
solides sur les choses humaines.70

66 Jörn Steigerwald, Galanterie. Die Fabrikation einer natürlichen Ethik der höfischen Gesellschaft (1650-1710), Hei-
delberg 2011.
67 Christian Thomasius, « Diskurs von der Nachahmung der Franzosen » [1687], in : Kleine Teutsche Schriften,
Hildesheim 1994, p. 3-69.
68 Viala, La France galante, p. 49-55.
69 Lettre de Madame Palatine à Sophie de Hanovre, 25 juin 1699. Sophie de Hanovre, Mémoires et lettres de voyage,
éd. Dirk van der Crusse, Paris 1990, p. 7.

– 86 –
Administrer la musique française

Le terme « sublime » n’était pas choisi au hasard par le philosophe, mais il résultait d’une
double lecture : celle de la traduction par Boileau du traité sur le sublime du pseudo-Longin, et
celle de La manière de bien penser dans les ouvrages d’esprit où Bouhours tentait de faire une syn-
thèse entre le « je ne sais quoi » du sublime et celui de la galanterie à travers la notion de « noble
simplicité ».71
Élevée en Hollande dans un environnement calviniste et une atmosphère intellectuelle libé-
rale très marquée par le cartésianisme – sa sœur Elisabeth était une correspondante régulière
et une amie de Descartes –, Sophie développa très tôt un intérêt marqué pour la philosophie et
manifestait une émancipation religieuse, morale et intellectuelle exceptionnelle pour une femme
de son temps. Son mariage avec Ernst August en 1658 renforça son aversion envers un clergé
luthérien jugé obscurantiste et rétrograde. Plusieurs de ses lettres, écrites à l’église pendant des
cérémonies interminables, laissent transpirer un mépris corrosif pour les pasteurs ridicules et
leurs dogmes incompréhensibles – par exemple lorsque Sophie se vante de lire de la littérature
profane pendant l’office.72 Elle va même jusqu’à développer en filigrane une critique de la mu-
sique d’église, décrite comme un moyen d’abrutissement collectif :
À l’esglise le 6. Fevrier 1659. Je devrois avoir l’esprit plus illuminé icy qu’à l’ordinaire, si le spirituel n’y
consistoit à qui criera le plus fort, pour ce qu’on chante trois foys plus que l’on praiche et le bruit de cela
estourdit plus les sens que l’autre ne touche les oreilles, car nous avons cette benediction icy comme à
Heydelberg, qu’on entant rien du tout au lieu, où nous sommes assis, si bien qu’il faut que les bonnes
meditations proviennent de nous mesmes […].73
C’est à partir de cette critique radicale qu’on peut lire le contraste programmatique établit entre
la musique vocale des deux chanteurs de Sophie, la Française Nanon et l’Italien Antonio, et le
vacarme qu’elle avait entendu plus tôt à l’église, le pasteur ayant fait venir timbales et trompettes
pour ponctuer ses vœux de bonne année à la famille ducale :
Il n’y a que la belle voix de M[ademoise]lle Nanon et de Sig[no]r Antonio qui me remestent comme la
harpe de Davit faisoit à Saul, et nostre abbé a fait venir des trompettes et tinballes dans l’esglise le jour
du nouvel an et les a fait sonner entre chaque souhait qu’il fit vor die fürstliche personnen.74
L’insertion d’une citation en allemand dans une lettre en français, outre sa pointe ironique, sou-
ligne que les aspects linguistiques de la musique française ou italienne étaient une composante
essentielle de leur valorisation dans l’entourage de Sophie. On remarque ainsi que l’apprentissage
de la langue française aux enfants passe aussi bien par la conversation que par le chant, puisque
la chanteuse française Nanon « chante et montre » aux enfants de Sophie, tout en soulageant la
solitude de sa patronne dont le mari était parti pour le carnaval de Venise :
Je me promaine le soir au clair de la lune aupres des orangers d’Heydelberg qui ont l’odeur fort agréable,
où Nanon la borniesse chante et montre à mes enfants. J[ean] F[rederic] me l’a prettée pendant ma soli-
tude, car on me plaint et je ne me plains pas […].75
Mais Sophie ne se contente pas de moquer le clergé en affichant sa supériorité intellectuelle et
musicale : elle développe un intérêt pour des courants philosophiques dont la radicalité allait bien
au-delà du carténianisme qui avait marqué sa jeunesse. En 1676, elle entama une amitié durable
avec Leibniz, qui venait d’être nommé bibliothécaire de la cour de Hanovre après avoir séjourné
quatre ans à Paris, où il avait pu avoir accès à des manuscrits clandestins et approfondir son inté-
rêt pour Spinoza.76 En mars 1679, Sophie confiait à son frère qu’elle était en train de lire l’édition

70 Gottfried Wilhelm Leibniz, « Réflexions sur les Mémoires de M[adame] l[a] d[uchesse] ». Sophie de Hanovre,
Mémoires et lettres de voyage, p. 19.
71 Voir en particulier Sophie Hache, La langue du ciel. Le sublime en France au xviie siècle, Paris 2000, p. 89-95.
72 Bodemann, Briefwechsel, p. 26, 34.
73 Lettre de Sophie à Karl Ludwig, Hanovre, 6 fév. 1659. Bodemann, Briefwechsel, p. 9
74 Lettre de Sophie à Karl Ludwig, Iburg, 3 janv. 1670. Bodemann, Briefwechsel, p. 147.
75 Lettre de Sophie à Karl Ludwig, Osnabrück, 1 août 1675. Bodemann, Briefwechsel, p. 242.
76 Sur Leibniz et les Lumières radicales, voir la synthèse de Israel, Radical Enlightenment, p. 502-514.

– 87 –
Chapitre 2

française du Tractatus Theologico-Politicus de Spinoza, tout juste parue de façon clandestine, et


qu’elle le trouvait « bien rare et tout à fait selon la raison » : si Spinoza était vraiment mort comme
on le racontait, c’était certainement qu’il avait été empoisonné par des prêtres sans scrupules,
ennemis de la raison.77 Elle se plaignait également que le livre de Spinoza fût interdit et vantait
les progrès de son fils en mathématiques et en lecture, en mentionnant au passage qu’il savait
Descartes et Spinoza presque par cœur, bien qu’il fût encore incapable de bien le dissimuler.78 Le
programme d’éducation de ses enfants comprenait donc apparemment, outre l’apprentissage du
français, la lecture de deux philosophes radicaux. Cette soif pour la philosophie s’accompagne
également, sous la plume de Sophie, d’une attitude décontractée face aux questions physiques, de
sexualité ou de mœurs. Il lui arrive ainsi fréquemment d’évoquer ouvertement son corps vieil-
lissant, l’homosexualité masculine dans son entourage, ou les déviances de ses contemporains.79
En revanche, on ne peut guère parler d’une fascination pour la cour française, comparée par
Sophie à une « Arche de Noé80 ». Même Louis XIV est dépeint comme un homme sans esprit et im-
bus de lui-même, tenant des props indifférents, posant de sottes questions et exagérant son pouvoir :
Effectivement S.M. n’oublia rien pour me le faire connaître et me dit tout ce qu’on peut dire d’agréable
pour plaire, jusqu’à me faire souvenir de la bataille que Messieurs les ducs [de Braunschweig] avaient
gagnée contre lui, et dit qu’il s’était bien aperçu qu’il les avait eus pour ennemis. Je répliquai, comme ils
n’avaient pas été assez heureux d’avoir ses bonnes grâces, qu’ils avaient tâché de s’acquérir au moins son
estime. Le Roi répondit qu’il y avait eu des temps où il n’avait osé demander leur amitié. Je répliquai que
j’étais bien aise que ce temps était passé, et [que] je lui avais vu jurer la paix. Il dit qu’il y avait toujours
cette clause ; qu’elle durerait tant que cela serait pour le bien de son Etat. Je dis que j’espérais que ce serait
pour longtemps. Il répondit en haussant la tête : « Je crois que les princes d’Allemagne ne me feront
plus la guerre. » Ensuite, il parla de toutes ses troupes, de la quantité qu’il avait cassée, et de la grande
puissance qui lui restait encore. Monsieur aida beaucoup à exagérer tout cela. Il voulut aussi louer ma
fille qu’il disait trouver belle, et qu’il avait ouï dire qu’elle avait beaucoup d’esprit. Il me demanda s’il
fallait l’appeler Madame ou Mademoiselle ; qu’il croyait que Madame était la mode en Allemagne. Après
quelques discours indifférents il s’en alla.81

Cet ensemble de valeurs s’étendait aussi à la compréhension de la musique, et la préférence de


Sophie pour la musique française s’éclaire alors d’un jour nouveau. Lorsque Karl Ludwig lui de-
mande de s’informer sur le coût des musiciens italiens engagés dans la chapelle de son beau-frère
catholique Johann Friedrich, Sophie se moque de la piété de son frère, associant ironiquement la
musique italienne avec une religiosité excessive et une obsession prématurée pour la mort :
J’admire vostre pitié de songer si tost à la mort et de vouloir vous y preparer par des mottets Italiens
pourtant le plus tost que cela se pourra, c’est pourquoi je ne me suis pas trop pressée pour sçavoir parti-
culierement, combien chaque musicien coute ; on les paie selon qu’ils sont bons ; on dit, que ceux du Duc

77 Lettre de Sophie à Karl Ludwig, Osnabrück, 9 mars 1679. Bodemann, Briefwechsel, p. 353 : « Le pouvoir fait tout
dans le monde, et Spinoza dit dans son livre, que toutes les republiques, qui se maintienent, sont selon la volonté
de Dieu. Son livre est effectivement bien rare et tout à fait selon la raison ; si l’autheur est mort, comme on le dit, je
pense, que les amateurs de la foy sans raison l’ont enpoisoné, car la pluspart du genre humain vit du mensonge. »
78 Lettre de Sophie à Karl Ludwig, Osnabrück, 19 mars 1679. Bodemann, Briefwechsel, p. 353 : « On dit, que son
livre est defendu : la verité se trouve tousjour persécutée… » Osnabrück, 6 juil. 1679. Bodemann, Briefwechsel,
p. 367-368 : « Auguste [Friedrich August] n’est pas de mesme ; vous ne croiries pas, que celuy cy aime la lecture
et les mathematiques ; il sçait Descartes et Spinoza casi par cœur, mais tout cela n’est pas bien deguisé encore. »
79 Voir par exemple Bodemann, Briefwechsel, p. 83, 402. La même chose peut se dire de Madame Palatine, par
exemple : Brunet, Correspondance complète, vol. 2, p. 15, 21. En revanche, Saint-Simon passe sur ce genre de
sujet comme « chat sur braise » : Damien Crelier, « Saint Simon et le “goût italien” : l’homosexualité dans les
Mémoires », Cahiers Saint-Simon, 42, 2014, p. 47-60.
80 Sophie de Hanovre, Mémoires et lettres de voyage, p. 144 : « J’avais eu quelque appréhension de me montrer à une
cour française ; mais comme je vis la maréchale du Plessis, Mme de Fiennes, Mme Gordon et la gouvernante
des filles de Madame, qui étaient les seules qui se montrèrent ce jour-là, je pris courage et j’y vis bien qu’il y
avait de toutes sortes d’espèces aussi bien dans cette cour comme dans l’Arche de Noé. » Le bestiaire de la cour
est aussi un trope récurrent sous la plume de Madame Palatine et Saint-Simon.
81 Sophie de Hanovre, Mémoires et lettres de voyage, p. 150.

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Administrer la musique française

J[ohann] F[riedrich] luy coutent m/9 escus par an ; il y a 2 basses, 2 tenors, 2 contrealtos, 2 soupranos et
6 qui jouent de la tuorbe, de violons, d’instrumants et de viol de jambe [gambe], et outre cela un maitre
de chapelle. Ils concertent tout à fait bien ensemble.82

Plutôt que des musiciens italiens qui font trop songer à la mort avec leurs motets, Sophie voit dans
les comédiens français le remède le plus efficace contre la mélancolie, et elle tance son frère d’avoir
décommandé les siens.83 Une dizaine d’années plus tard, alors que son frère envisage à nouveau
d’engager des castrats italiens pour sa propre chapelle à Heidelberg, Sophie continue dans la
même veine ironique en associant le patronage de musique italienne avec l’orthodoxie religieuse
en imaginant une sorte d’invraisembable alliance entre les obscurantistes et religieux de tous
bords en faveur de la musique italienne – le pape, le prince électeur calviniste de Heidelberg et
les princes électeurs luthériens de Dresde. Même le pape ne verrait sûrement pas d’un mauvais
œil qu’un électeur calviniste engage des musiciens italiens, puisque qu’il y en avait déjà toute une
chapelle à Dresde, bastion de l’orthodoxie luthérienne :
Le Duc d’Hanover paie ses musiciens qui chantent tres cher ; il leur donne à chaqu’un 50 escus par mois,
mais Montalban m’a dit qu’on en peut bien avoir à meilleur marché, mais peutestre ne seroient pas si
bon. Vous en avez eu vous mesmes qui n’ont couté que la moitié. Le St. Père de Rome ne trouvera rien à
redire de les voir en vostre chapelle, car il y a tout une musique à Dresden.84
Ici, le contraste implicite entre musique italienne et musique française est bien sûr d’abord éco-
nomique – la musique italienne coûte cher –, mais aussi idéologique. La musique italienne est
financée par des puissances favorables à la religion, quelle que soit leur confession. Le pape à
Rome, le prince électeur luthérien de Dresde, voire même un électeur calviniste à Heidelberg,
s’ils financent à grands frais des chapelles italiennes somptueuses, sont du côté de l’orthodoxie
religieuse dénigrée et combattue par Sophie.
Les obsèques de Johann Friedrich, célébrées en grande pompe par le clergé catholique et
les musiciens italiens de sa chapelle plus de cinq mois après sa mort (car il fallait préparer le
catafalque) confirmèrent sûrement Sophie dans son aversion pour la musique italienne.85 Elle
déconseilla à son frère d’engager ces derniers pour sa propre chapelle, tout en faisant allusion à la
nécessité de mettre bon ordre dans les finances de Johann Friedrich.86 C’est donc pour un double
motif économique et religieux que dès leur installation à Hanovre, Ernst August et Sophie rem-
placèrent les douze Italiens de l’ancienne chapelle par douze Français. Le changement de visage
de la Hofkapelle est spectaculaire : à Pâques 1680, tous les musiciens italiens furent renvoyés, en
même temps que le clergé catholique qui desservait jusqu’alors la chapelle du château. Parmi les
nouveaux musiciens, certains étaient déjà en service à Osnabrück comme Jemme, mais arrivent
également Farinel et six autres musiciens français (« Frantzösische Musicanten ») qui ne sont pas
nommés individuellement.87 Parmi les dix-neufs musiciens de Johann Friedrich, seul le Cammer
Musicus Clamor Heinrich Abel reste en place.

82 Lettre de Sophie à Karl Ludwig, Iburg, 1er avr. 1669. Bodemann, Briefwechsel, p. 137.
83 Lettre de Sophie à Karl Ludwig, Osnabrück, 1er fév. 1680. Bodemann, Briefwechsel, p. 405 : « Je suis fachee,
que vous avez contremendé les comediens François, car on en a plus besoin dans un temps d’affliction qu’autre-
ment. G[eorge] G[uillaume] a tousjour fait jouer les siens, en disant, qu’il ne vouloit pas perdre du temps pour
se divertir du peu qui luy restoit peutestre encore à vivre. »
84 Lettre de Sophie à Karl Ludwig, Osnabrück, 23 févr. 1679. Bodemann, Briefwechsel, p. 348.
85 Lettre de Sophie à Karl Ludwig, Hanovre, 2 mai 1680. Bodemann, Briefwechsel, p. 415-416 : « Le ceremonie de
l’enterrement se fit mardi passé en procession, le lendemain on l’enterra apres que les catholiques eurent fait
toutes leur ceremonies à l’entour de la chapelle ardante. […] Tout s’est fini à boire et à manger. Aujourduy nous
mangerons avec les 5 mitres qui ont fait la comedie aupres de la chapelle ardante. »
86 Lettre de Sophie à Karl Ludwig, Osnabrück, 25 janv. 1680. Bodemann, Briefwechsel, p. 403 : « À propos des
musiciens que Montalban vous creut recommander : les bons sont tres chers ; la musique a fort couté à J[ean]
F[réderic] et je crois, que E[rneste] A[uguste] voudra premierement mettre ses affaires en ordre avant que de
faire des depenses extraordinaires ».
87 NLAH, Hann. 67c A Nr. 100, p. 198. Les musiciens français sont simplement désignés par « denen 6 übrigen
frantzösischen Musicanten. »

– 89 –
Chapitre 2

Alors que sous Johann Friedrich, le salaire des musiciens était enregistré avec celui du clergé
catholique dans une rubrique appelée « Bey der Hoff Capelle », le salaire des musiciens est au
contraire reporté dès 1680 dans une section indépendante, appelée « Denen Musicanten » et dans
laquelle ne figure pas le personnel ecclésiastique. Tout se passe donc comme si le changement de
paradigme national allait de pair avec une laïcisation des fonctions de la Hofkapelle : les Français
sont les musiciens de patrons qui se définissent avant tout par leur galanterie, et non par leur
religion. Grand et galant prince, Ernst August se refusa pourtant à promulguer une interdiction
pure et simple du culte catholique à Hanovre malgré les pressions en ce sens exercées par les
Reichsstände et les autorités luthériennes en octobre 1680 puis en 1685.88 Il laissa aussi sa belle-
sœur catholique, Benedicta Henriette von der Pfalz, utiliser la chapelle du château jusqu’à son
départ pour la France en février 1680. Enfin, le clergé catholique et les musiciens italiens conti-
nuèrent à percevoir leur solde jusqu’à Pâques 1680, avant d’être invités à quitter la ville. Cette
tolérance à l’égard des catholiques est traditionnellement expliquée par la proximité politique
d’Ernst August avec la France à la suite du traité de paix de 1679, dans lequel les Français lui
assuraient d’énormes subsides pour l’entretien de son armée.89 Elle pourrait aussi être interpré-
tée comme le geste d’un souverain assez indifférent en matière de religion qui était aussi le mari
d’une femme philosophe.

Entre Osnabrück et le Palais Royal : connections féminines


Ernst August et Sophie n’en étaient pas à leur coup d’essai en matière de musique française. Dès
son arrivée dans la résidence épiscopale en 1662, le nouvel évêque d’Osnabrück avait fait souffler
sur la vieille forteresse d’Iburg un nouvel esprit musical. Celui-ci se manifesta notamment par
l’engagement de musiciens français, d’abord dans l’ancienne résidence épiscopale d’Iburg située
à une quinzaine de kilomètres de la ville d’Osnabrück, puis à partir de 1673 dans le petit château
baroque qu’Ernst August avait fait construire à la lisière de la ville.90 On peut repérer la présence
de deux bandes de violons français, d’un maître à danser Élie Jemme, ainsi que de quelques figures
individuelles moins connues, parfois venues avec leur famille. Trois ans avant l’engagement de
la première bande permanente de violons français à Celle, la cour d’Osnabrück faisait donc déjà
venir, sur une base saisonnière, des musiciens français pour assurer ses propres besoins musicaux.
La première mention de musiciens français à Iburg se trouve en 1663, dans une lettre de Sophie
von der Pfalz à son frère Karl Ludwig :
Cependant pour m’esgaier un peu, nostre maitre de dance est revenu de Paris avec une tres bonne bande
de violons, un, qui joue de la tuorbe et du lut, et un autre, qui chante la bas[s]e, pour accompagner Nanon
et Sigr Antonio ; enfin il y a musique par toute la maison juqu’aux garsons de mes enfans qui joue[nt] du
Hackelbret et de la poche. Cela est bon en Allemagne, où l’on ne parle gaire d’entendre toujours du bruit.91

Notons au passage l’association renouvelée entre la musique française et les affects joyeux, ce qui
est bon « en Allemagne où l’on ne parle guère ». Si la composition de cette bande de violons reste
inconnue, plusieurs noms peuvent être repérés dans un ensemble de quittances signées par des
habitants de la ville d’Osnabrück ayant logé du personnel de la cour.92 Mais c’est surtout le couple
formé par le maître à danser Élie Jemme et sa femme Marguerite Robeau qui permet d’entrevoir les
liens étroits entre la cour d’Osnabrück et le Palais Royal où la nièce de Sophie, Madame Palatine,

88 Franz Wilhelm Woker, Geschichte der katholischen Kirche und Gemeinde in Hannover und Celle. Ein weiterer Bei-
trag zur Kirchengeschichte Norddeutschlands nach der Reformation, Münster 1889, p. 42-43.
89 Woker, Geschichte der katholischen Kirche, p. 40.
90 Franz Bösken, Musikgeschichte der Stadt Osnabrück. Die geistliche und weltliche Musik bis zum Beginne des 19.
Jahrhunderts, Ratisbonne 1937. Martin Siemens, « Musik, Tanz und Theater am Hof des Osnabrücker Fürst-
bischofs Ernst August I. Eine Skizze », in : Das Osnabrücker Schloss : Stadtresidenz, Villa, Verwaltungssitz,
dir. Franz Joachim Verspohl, Bramsche 1991, p. 183-192.
91 Lettre de Sophie à Karl Ludwig, Iburg, 11 juil. 1663. Bodemann, Briefwechsel, p. 58.
92 Voir Chapitre 3, p. 148-150.

– 90 –
Administrer la musique française

résidait depuis son mariage avec Philippe II d’Orléans en 1671. Marguerite Robeau apparaît pour
la première fois en 1666 dans la correspondance de Sophie, comme femme d’Élie Jemme :
Il se passe si peu de choses icy qui meritent de vous estre mendées, que je ne scay pour le present rem-
plir ma gazette que d’une dame considerable, qui vient d’arriver icy de Paris, espouse de Jeme, maitre
de dans. Elle excelle en compliments et en bonmots et pourra servir d’une Hermide pour seduire les
trouppes de Munster ou bien gagner de l’argent pour les paier, car on n’entend que des plaintes de ses
gens, qu’on ne les paie pas ; aussi n’ont ils point presté de serment de fidelité.93

Même si Marguerite Robeau n’est pas nommée explicitement ici, ses talents rhétoriques en
« bons mots » et « compliments » sont soulignés par Sophie à travers une allusion à la Jérusalem
délivrée du Tasse : elle est comparée à une Armide capable de soumettre les armées ennemies.
Marguerite est la fille d’Hilaire Robeau, maître joueur d’instruments à Paris et hauboïste du roi :
elle fut baptisée à Saint-Séverin en 1639.94 Elle est donc également la sœur de François Robeau,
un musicien en activité à la cour de Celle. Le couple Jemme fait baptister un premier enfant
à Osnabrück en 166795, puis un deuxième à Iburg en 1670, choisissant alors comme marraine
Éléonore Desmier d’Olbreuse, la compagne française et huguenotte du duc de Celle comme
marraine.96 Plusieurs années plus tard, le 5 août 1673, c’est la duchesse d’Orléans qui annonce
que Jemme est en chemin pour Osnabrück avec des nouvelles personnelles toutes fraîches et son
« contrefait », c’est-à-dire son portrait :
D’ailleurs, mon maistre vous apporte mon visage d’ours, de chat et de singe ; tout le monde dit ici que
mon petit me ressemble, vous pouvez donc imaginer qu’il n’est pas exactement un très beau bébé. […]
Je ne vous écrirai rien d’autre puisque mon maistre vous rapportera cela mieux oralement, et il vous
racontera comme je suis contente d’apprendre à monter à cheval, car cela se prête parfaitement à la tête
en passoire à vent de Liselotte.97

La réponse de Sophie enregistre l’arrivée de Jemme à Osnabrück, et souligne son éloquence.98 À la


lecture de cet échange épistolaire, on peut donc se demander qui était l’employeur de Jemme : il
est appelé « mon maître » par la duchesse d’Orléans, sans doute à cause de sa fonction de maître de
danse, mais travaillait apparemment également pour Osnabrück. Était-il au service de la maison
d’Orléans au Palais Royal à Paris, ou bien appartenait-il à la domesticité d’Ernst August et Sophie
à Osnabrück ? Il est tout à fait possible que Jemme ait enseigné la danse à la jeune Liselotte von der
Pfalz lors du long séjour qu’elle fit chez Sophie entre 1659 et 1663, avant son départ pour la France et
son mariage avec Philippe d’Orléans. À partir de l’installation d’Ernst August et Sophie à Hanovre
en 1680, Jemme apparaît toujours dans la comptabilité de la cour comme maître à danser.99

93 Lettre de Sophie à Karl Ludwig, Osnabrück, 7 fév. 1666. Bodemann, Briefwechsel, p. 99.
94 F-Pn, Fichier Laborde, NAF 12180, fiche 58352 : « Le jeudi quatorzieme jour d’avril 1639 fut baptisée Margue-
rite fille de Hilaire Robeau maître joueur d’instruments, et de Marie Maillaume, sa femme. »
95 BA Osnabrück, St. Johann, Taufen 1657-1694, 14 juin 1667, p. 52 : « Sophia parentes Elias Scheme Choragus
Ser[enissi]mi Margareta Rabbow uxor Patrini Sophia Uxor Ser[enissi]mi Principis et Fransk Petrus Fischer. »
96 Wilhelm Beuleke, Die Hugenotten in Niedersachsen, Hildesheim 1960, p. 147.
97 Lettre Madame Palatine à Sophie de Hanovre, Saint-Cloud, 5 août 1673. Eduard Bodemann, Aus den Briefen an
die Kurfürstin Sophie von Hannover, Hannover 1891, p. 2-3 : « Unterdeßen bringt mon maistre E[uer] L[iebden]
mein berenkatzenaffengesischt mitt ; alle leütte hir sagen, daß mein kleiner bub mir gleicht, also können [Sie]
woll dencken, daß es eben nicht so ein gar schön bürschen ist. […] Neues werde ich [Ihnen] nichts schreiben,
weillen mon maistre [Ihnen] alles beßer mündtlich vorbringen wirdt undt [Ihnen] erzehlen, wie fro ich bin, nun
reitten zu lernen, denn es sich trefflich woll zu liselotts rauschenbeüttelichen kopff schickt […]. »
98 Lettre de Sophie à Karl Ludwig, Diepholz, 19 sept. 1673. Bodemann, Briefwechsel, p. 167 : « Cependant un
home de consequance arrive icy hier avec un flus d’esloquence, c’est le Sr. Geme [Jemme], qui m’entretient de
Madame et m’a aporté son pourtrait avec celuy de Monsieur, dont j’ay eu bien de la joye, car je trouve, qu’il
resemble, quoiqu’il n’y a pas cest air de jeunesse qu’elle avoit à Strasburg. »
99 NLAH, Hann. 76c A Nr. 100, p. 198.

– 91 –
Chapitre 2

Quelques indices suggèrent que la famille Jemme demeurait à la fois à Osnabrück et au


Palais Royal. En effet, entre 1682 et 1702, Marguerite Robeau apparaît dans les États de la France
en qualité de « Femme de Chambre de Madame » au Palais Royal.100 Un extrait des registres du
Châtelet montre que la fille d’Élie Jemme et Marguerite Robeau, Élizabeth Jemme, fut placée
sous la tutelle de Gabriel Gault, imprimeur à Paris, pour qu’il accepte en son nom une donation
faite par Thomier, ordinaire de la musique du roi. Dans cet acte daté du 1er novembre 1685,
Jemme est désigné comme « chef de la musique de Messieurs les princes de Brunswick ».101 Les co-
signataires qui se portent garants de la tutelle sont « tous amis de la mineure cy apres nommée »,
mais aussi tous issus de la domesticité du Palais Royal. La famille Jemme semble donc travailler
en même temps dans les deux résidences, à Paris et à Osnabrück.
Lorsqu’il quitta Osnabrück en 1680 pour être installé comme duc de Hanovre, l’une des
premières actions d’Ernst August fut de faire venir une nouvelle bande de violons français :
E[rnst] A[ugust] se va recreer un peu par des violons qu’il a fait venir [de Paris], que son fils luy a choisi,
qui ne coutent pas tant que la musique Italienne.102

Ces « violons » furent donc embauchés par l’intermédiaire de Georg Ludwig, le fils aîné de Sophie
qui se trouvait à Paris, où il voyait très souvent sa tante Madame Palatine.103 Or Jean-Baptiste
Farinel, chef de cette bande de violons, était probablement au service de la maison d’Orléans
avant son arrivée à Hanovre. Son frère Michel Farinel rapporte en effet dans la préface de ses
Concerts choisis :
L’an 1667. je fus presenté a Madame Henriette Duchesse d’Orleans par Monsr. Le Comte de Maugiron
Gendre de Mons[ieu]r le Mareschal Duc du Plessisprâlin. S[on] A[ltesse] R[oyale] me recommanda a
Mons[ieu]r le Chevalier de Bouillon qui me fit faire sur mer la Campagne de l’An 1668. Nous fûmes a
Lisbonne, ou je fis entendre mes premiers Conçerts a la Reine de Portugal. Quelque temps apres nôtre
retour Madame mourut. Mons. le Chevallier fut tué par Monsr le Marquis de Laroche Courbon, & je
vins a Grenoble, où les illustres Dames du Royal Monastere de Montfleury me donnerent la direction
de leur Conçert.104

César de Choiseul, comte du Plessis-Praslin, avait séjourné chez le comte de Maugiron, à Vienne
dans le Dauphiné, sur la route d’Italie en 1664.105 C’est probablement là que ce proche de la
maison d’Orléans – qui avait été entre autres ancien gouverneur de Monsieur, qui accompagna
Henriette d’Angleterre en Grande-Bretagne en 1670 et fut le procurateur du duc d’Orléans pour
épouser la princesse Palatine à Metz – rencontra les frères Farinel, originaires de Grenoble situé
à une centaine de kilomètres. On peut donc se demander si Jean-Baptiste Farinel n’a pas aussi
transité par le Palais Royal, et plus largement si les six violons français qui arrivèrent à Hanovre
en août 1680 n’étaient pas les violonistes de l’ancienne troupe de comédiens du Palais Royal, diri-

100 Voir L’État de la France, Paris 1682, p. 550 ; 1683, p. 575 ; 1692, p. 764 ; 1702, p. 101. Marguerite Robeau y est
désignée de façon univoque comme « La Demoiselle Marguerite Robeau, femme de M. Gemme. »
101 AN, Registres de tutelles, Y 4004 C, 1er nov. 1685 : « [il est disposé] que ledit Sieur Gabriel Gault soit eleu
tuteur a dam[oise]lle Elizabeth Jemme fille mineure du Sieur Elye Jemme chef de la musique de Messieurs les
princes de Brunswick et de Damoiselle Marguerite Robeau son epouze a l’effet d’accepter pour elle et signer
la donnation entre vifs qui sera faite a lad[ite] dam[oise]lle mineure par Thomier ord[inai]re de la musique du
Roy. » Thomier n’a pas pu être identifié.
102 Lettre de Sophie à Karl Ludwig, Hanovre, 5 août 1680. Bodemann, Briefwechsel, p. 432.
103 HStA Hannover, Cal. Br. 22 Nr. 955. Voir aussi Antje Stannek, Telemachs Brüder. Die höfische Bildungsreise des
17. Jahrhunderts, Francfort 2001, p. 131-136.
104 F-Pn, Rés. Vma Ms. 1219 : Michel Farinel, Les Concerts choisis de M. Farinelly de Cambert, Conseiller du Roy,
recueillis par l’auteur, 1707, non paginé. Nous remercions Thierry Favier d’avoir attiré notre attention sur cette
source et d’avoir mis à notre disposition sa transcription. Catherine Massip, « Itinéraires d’un musicien euro-
péen : l’autobiographie de Michel Farinel (1649-1726) », in : Musik – Raum – Akkord – Bild. Festschrift zum 65.
Geburtstag von Dorothea Baumann, dir. Antonio Baldassarre et al., Berne 2012, p. 131-148.
105 François-Alexandre Aubert de la Chesnaye Des Bois, Dictionnaire de la noblesse : contenant les généalogies, l’ his-
toire et la chronologie des familles nobles de France, vol. 3, Paris [1770-1778], p. 684.

– 92 –
Administrer la musique française

gée par Molière et officieusement protégée par le duc d’Orléans. C’est précisément en août 1680
que cette troupe fut réunie à la troupe royale de l’Hôtel de Bourgogne pour former la Comédie
française, engendrant probablement du même coup une restructuration de leur personnel musi-
cal.106 De plus, le directeur de la troupe de comédiens français engagée par Ernst August en 1681,
Auguste Pierre Pâtissier de Châteauneuf, avait été membre de cette troupe jusqu’en 1672.
Un témoignage montre que Jean-Baptiste était arrivé dans l’Empire au plus tard le 8 mai
1680. L’auteur, qui se trouve à la ville thermale de Wiesbaden en compagnie de Jean Hérault de
Gourville, décrit ainsi une musique entendue :
On se promena pendant que les Trompettes & les Timballes redoublerent leurs fanfares, qui continué-
rent jusques à ce qu’on eut servi le repas. Il y eut une agréable Symphonie. Farinel la conduisoit. Depuis
quelques mois il s’étoit donné au Duc, après avoir quitté le Service du Roy de France, ne pouvant durer
longtemps dans un lieu. On fit grand’chère, & la coutume d’Allemagne étant de tenir longue table, on
ne s’en leva que sur les quatre heures.107

L’affirmation selon laquelle Farinel était au service de Louis XIV pourrait renvoyer à une activité
dans une troupe de théâtre royale, puisqu’il n’apparaît nulle part dans le personnel musical de la
cour. L’auteur de ce témoignage estime que Farinel est arrivé « depuis quelques mois », soit dès le
début de l’année 1680. Il pourrait donc avoir anticipé de six mois la réunion des deux troupes et
être allé chercher un emploi ailleurs. Quoiqu’il en soit, on voit que l’engagement d’une bande de
musiciens français en 1680, précédant de quelques mois celui d’une troupe de comédiens français,
se fait dans des milieux proches du Palais Royal. Le patronage de théâtre et de musique française
est donc lié aux réseaux personnels et familiaux de Sophie, mais également à l’identité résolument
galante du nouveau couple régnant de Hanovre.

Tolérance confessionnelle et indifférence religieuse


Si Sophie de Hanovre forme un cas exceptionnel, elle n’est pas la seule personne de son entourage
à cultiver une identité aristocratique résolument galante et rationaliste. Son mari Ernst August,
avec qui elle cultivait une complicité remarquable accompagnée d’une relative indifférence en
matière de fidélité conjugale, était aussi un prince « galant » non seulement dans le sens courant
du terme puisqu’il accumulait les conquêtes, mais aussi en matière de lectures et de religion.
Quant au duc de Celle Georg Wilhelm, il avait marqué son mépris des conventions sociales,
des obligations du rang et des frontières confessionnelles en se mettant en concubinage avec la
huguenotte Éléonore Desmiers d’Olbreuse, qu’il ne put pas épouser avant 1676, après avoir donné
naissance à un enfant hors mariage. Lorsqu’il monte sur le trône de Saxe une vingtaine d’années
plus tard en 1694, Auguste le Fort est aussi le représentant de cette nouvelle classe d’aristocrates
marquée par un intérêt pour les productions culturelles françaises, des mœurs plutôt libérales
(ou « galantes ») et une aversion pour l’orthodoxie religieuse. À Dresde comme à Osnabrück,
Celle ou Hanovre, cette attitude se reflétait entre autres dans le patronage de musique française.
La conversion au catholicisme du jeune prince électeur, entérinée le 2 juin 1697 à Baden,
était la première rupture opérée avec ses prédécesseurs, et sans doute la plus profonde. Bastion de
l’orthodoxie luthérienne et tête du Corpus Evangelicorum, la Saxe se concevait comme le berceau
de la Réforme, Friedrich III dit Le Sage ayant été l’un des premiers soutiens de Martin Luther.
De ce fait, les princes-électeurs de Saxe étaient toujours vus comme les garants des droits des
princes protestants dans l’Empire, et les défenseurs de leurs intérêts. Signe du caractère sensible
de ce sujet, la conversion d’Auguste le Fort ne fut d’abord pas rendue publique alors qu’elle était
un prérequis pour pouvoir être élu sur le trône de Pologne.108 Une fois parvenu à ses fins, le roi

106 Mongrédien, La vie quotidienne des comédiens, p. 121.


107 Anonyme, Voyages faits en divers temps en Espagne, en Portugal, en Allemagne, en France, et ailleurs, Amsterdam
1699, p. 245.
108 Augustin Theiner, Geschichte der Zurückkehr der regierenden Häuser von Braunschweig und Sachsen in den Schoss
der Katholischen Kirche im achtzehnten Jahrhundert, und der Wiederherstellung der Katholischen Religion in diesen
Staaten, Einsiedeln 1843, vol. 1, p. 103-149.

– 93 –
Chapitre 2

fraîchement converti se garda pourtant bien – en dépit des promesses faites à Rome – de toucher
à l’équilibre confessionnel de la Saxe et d’y introduire le catholicisme. Au contraire, il renforça
à plusieurs reprises le statu quo en matière religieuse : l’édit de Lobskowa, signé le 6 août 1697 et
régulièrement confirmé jusqu’en 1712, accordait aux seuls luthériens le droit d’exercer leur reli-
gion en Saxe.109 Pour assister à la messe, les fidèles catholiques pouvaient se rendre en Bohême ou
en Haute-Lusace, ou bien à l’ambassade impériale où une messe était célébrée porte close selon
une dérogation déjà ancienne.110 Cet habile panel de mesures permit à Auguste le Fort de résister
pendant quelques années aux pressions du Saint-Siège, désireux de voir établir des lieux de culte
catholiques en Saxe. Il ne se montra pas non plus disposé, comme l’espérait la Curie romaine, à
démissionner du Corpus Evangelicorum dont il était membre statutaire et doyen de droit, mais se
contenta de déléguer les affaires courantes au duc Friedrich II von Sachsen-Weissenfels.111
Les premiers épisodes de la Grande guerre du Nord (1700-1721) firent voler en éclat cet
équilibre précaire : défait par Karl XII de Suède à la bataille de Kliszów (19 juillet 1702), Auguste
le Fort dut renoncer au trône de Pologne en faveur de Stanisław Leszcyński et signer le traité d’Al-
transtädt (24 septembre 1706). Entre autres clauses humiliantes comme l’obligation de renoncer à
toutes les alliances antérieures ou d’accorder le quartier aux troupes suédoises de passage, l’article
19 interdisait à Auguste le Fort et à ses descendants de modifier le statu quo religieux garanti par
les traités de Westphalie – et donc, de construire ou d’accorder aux catholiques des églises, des
écoles, des académies ou des abbayes.112 Pour pouvoir envisager de reprendre un jour possession
de la Pologne, Auguste le Fort devait empêcher la reconnaissance par le Saint-Siège du nou-
veau roi imposé par les Suédois, et devait donc donner des gages renouvelés à l’Église catholique,
d’autant qu’une série de rumeurs prétendait qu’il s’était de nouveau converti au luthéranisme.
En mars 1708, Auguste le Fort écrivit au pape, par l’intermédiaire de son ambassadeur à Rome
le baron von Schenck, qu’il envisageait toujours de récupérer la couronne polonaise et qu’il allait
faire consacrer une chapelle catholique dans la ville de Dresde, comme preuve qu’il était demeuré
fidèle à la foi catholique.113 C’est dans cette perspective qu’il fit aménager, au mépris du traité
d’Altranstädt, l’ancien opéra de la cour, érigé par Johann Georg II entre 1664 et 1667, en chapelle
catholique et lui conféra le titre de Capella Regia.114
Consacrée le 7 avril 1708 par le jésuite Karl Moritz Vota, la première chapelle catholique de
Dresde répond donc à la volonté d’Auguste le Fort d’affirmer son statut de souverain catholique
(Illustration 2.2). Les Règlements du roi pour l’Eglise et Chapelle royale, ouverte aux catholiques, rédigés
en français par Vota en 1708 et signés de la main d’Auguste le Fort, s’inscrivent parfaitement dans
ce contexte politique : l’insistance mise sur les termes de « roi » et de « chapelle royale » tout au
long du document fait apparaître celui-ci comme un véritable manifeste politico-religieux visant à
doter la cour de Dresde d’un organe liturgique digne d’un souverain indépendant. Les principales
dispositions concernent la liturgie, l’entretien du personnel et l’attitude à adopter par rapport aux
protestants, mais la référence très frappante à la « splendeur accoutumée des Roix et Souverains
Catholiques » dans l’article sur la musique trahit aussi la présence de modèle musicaux étrangers :
§ 8. Les Predications se feront touts les Dimanches et Festes commandées et ces jours la on chantera une
Messe solemnelle avec la Musique à voix et Instruments du Roi et avec la splendeur accoutumée des Roix
et Souverains Catholiques et meme dans les Messes privées des jours ouvriers toutes les fois que le Roi
s’y trouvera les Musiciens de la Chapelle doivent s’y trouver. § 9. Les Dimanches et Festes commandées
il y aura Vespres chantées en Musique, quand meme le Roi ne pourroit pas s’y trouver, Apres les Vespres
un Chapelain fera le Catechisme aux enfants.115

109 Ziekursch « August der Starke und die katholische Kirche », p. 105.
110 Frandsen, Crossing confessional boundaries, p. 76-100.
111 Ziekursch, « August der Starke und die katholische Kirche », p. 108-109.
112 Wolfgang Horn, Die Dresdner Hofkirchenmusik 1720-1745. Studien zu ihren Voraussetzungen und ihrem Reper-
toire, Kassel 1987, p. 19.
113 Ziekursch, « August der Starke und die katholische Kirche », p. 122-127.
114 Friedrich August Forwerk, Geschichte und Beschreibung der königlichen katholischen Hof- und Pfarrkirche zu
Dresden, Dresde 1851, p. 11.

– 94 –
Administrer la musique française

La littérature secondaire évoque la plupart du temps la prégnance du modèle viennois116, mais


d’autres éléments rendent plus probable la référence au modèle versaillais, moyen classique pour les
princes allemands de prendre leur autonomie symbolique par rapport à l’Empereur.117 De ce point
de vue, l’iconographie de la nouvelle chapelle est particulièrement intéressante. Dans un recueil
de gravures sur les festivités qui accompagnèrent le mariage du prince Friedrich August II avec
la princesse d’Autriche, Maria Josepha von Oesterreich en 1719, deux gravures montrent la cha-
pelle : une première gravure de Raymond Leplat (1664-1742), architecte et décorateur huguenot
actif à Dresde comme Ordonnateur du cabinet et inspecteur général des collections royales, montre
l’intérieur de la chapelle. La seconde est réalisée par Antoine Aveline (1691-1743), graveur parisien
ayant notamment produit deux représentations de l’intérieur de la chapelle royale de Versailles.118
La participation du personnel musical français dans la production de musique d’église catho-
lique est documentée par le journal de la communauté de jésuites qui desservaient la chapelle.119
Cette source, qui retrace jour après jour la vie quotidienne de la chapelle et de la communauté de
prêtres, mentionne à plusieurs reprises la participation des musiciens français à la production de
musique liturgique : le 22 novembre 1711, les « musiciens français du Roi » (« Galli Musici Regii »)
exécutent à l’occasion de la Sainte-Cécile une messe de Zelenka.120 Le 30 novembre 1712, le jour-
nal mentionne à nouveau la participation des Galli Regii Musici à l’office de la Saint-André.121 Le
journal mentionne également le 4 novembre 1712 une invitation de deux comédiens français chez
les jésuites, et le 22 avril 1715, deux prêtres vont déjeuner chez François Le Riche.122 À partir de
1720, le journal ne précise plus si les musiciens du roi qui participent aux offices sont français ou
italiens, sauf dans de rares cas où la présence d’Italiens est spécifiée. Le 14 juin 1722, un certain
Français – Reich émet l’hypothèse qu’il s’agit de Louis André – compose et dirige une messe avec
les musiciens de la Hofkapelle.123 Les musiciens français ont donc certainement eu, au moins entre
1708 et 1720, un rôle privilégié dans l’élaboration de la musique à la chapelle royale de Dresde.
Avant cette date, la messe n’était célébrée qu’à titre privé au château de Moritzburg, à quelques
kilomètres de Dresde, et les musiciens n’étaient requis que de façon très exceptionnelle.124 Gerhard
Poppe, constatant les différences importantes qui distinguent les compositions pour la chapelle
royale de Ristori, Heinichen et Zelenka, émet l’hypothèse tout à fait convaincante que les trois
compositeurs écrivaient pour des ensembles musicaux différents : Heinichen semble écrire pour

115 Theiner, Geschichte der Zurückkehr, vol.2, p. 75-78.


116 Janice B. Stockigt, Jan Dismas Zelenka. A Bohemian Musician at the Court of Dresden, Oxford 2000, p. 70.
117 Pour plus de détails, voir Louis Delpech, « Les Motets pour la chapelle du roy à la cour de Saxe. Contours et
enjeux d’un transfert musical (1697-1721) », in : La Circulation de la musique et des musiciens d’église, France xvie -
xviiie siècles, dir. Xavier Bisaro, Gisèle Clément, Fañch Thoraval, Paris 2017, p. 147-166.
118 Alexandre Maral, La Chapelle royale de Versailles sous Louis : cérémonial, liturgie et musique, Sprimont 2002,
Fig. 24 et 25.
119 Wolfgang Reich, « Das Diarium Missionis Societatis Jesu Dresdae als Quelle für die kirchenmusikalische
Praxis », in : Zelenka-Studien II, p. 29-41, transcription des extraits qui concernent la musique p. 315-379. Le
journal ne couvre pas les années 1708-1710.
120 Reich, « Das Diarium », p. 323 : « Musicam pro Sacro cantato fecerunt Galii Regii Musici in honorem Sanc-
tae Caeciliae Virginis et Martyrae quod recenter composuit Dominus Zelenka, pariter Musicus Regius. » La
Missa Sanctae Caeciliae de Zelenka (Z1a) est encore conservée sous forme manuscrite : D-Dl, Mus. 2358-D-8.
121 Reich, « Das Diarium », p. 325 : « Festum S. Andreae Apostoli. […] Sub Sacro cantato musicam solennem
fecerunt Galli Musici Regii et diu ante probaverunt. Interfuit invitatus ab illis Seren. Princeps Gubernator. »
122 Reich, « Das Diarium », p. 325 : « In prandio adfuerunt duo Domini Galli comoedi, D. Carolus [Caprano]
Italus. » Reich, « Das Diarium », p. 327 : « Pater Colendall et P. Hartman pransi sunt apud Le Riche, domi
nostrae duo Itali. »
123 Reich, « Das Diarium », p. 336 : « Hora 11. Sacrum cantatum, composuit aliquis Gallus [André ?] hoc Sacrum
et cum Regiis Musicis illud produxit. »
124 Gerhard Poppe, « Kontinuität der Institution oder Kontinuität des Repertoires ? Einige Bemerkungen zur
Kirchenmusik am Dresdner Hof zwischen 1697 und 1717 », in : Micellaneorum de musica concentus. Karl Heller
zum 65. Geburtstag am 10. Dezember 2000, dir. Alexander Walpurga, Joachim Stange-Elbe et Andreas Waczkat,
Rostock 2000, p. 49-81, ici p. 63.

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Chapitre 2

Illustration 2.2. Raymond Leplat : Vue interieure de la Chapelle Roïale au Chateau de Dresde ou l’on a chanté le Te Deum, en actions de graces de l’Arrivée de Leurs Altesses Roïales, gravure suir cuivre, après
1719, 65,5x92 cm. Dresde, Staatliche Kunstsammlungen, Kupferstich-Kabinett, C 6691.
Administrer la musique française

un orchestre complet qui regroupe l’ensemble des forces instrumentales de la Hofkapelle ainsi que
des chanteurs italiens, Ristori compose pour un petit ensemble italien, et Zelenka semble plutôt
écrire pour des instrumentistes et chanteurs formés au style français, comme l’indiquent l’absence
de cors, la présence de flûtes et de chalumeaux, une écriture particulièrement virtuose pour les
hautbois ainsi que la présence occasionnelle d’un orchestre à cordes à cinq parties avec deux parties
d’alto.125 On note également une écriture soliste très développée pour voix de basse qui n’apparaît
jamais dans les œuvres de Heinichen et Ristori, et une écriture pour soprano qui se meut dans un
ambitus restreint tout en se voyant confier très peu d’interventions solistes.126
L’utilisation par Auguste le Fort d’un modèle musical français est parfaitement logique.
Pendant tout le xviie siècle, la cour Dresde avait utilisé la musique italienne comme pendant
sonore à la baroquisation visuelle et architecturale qui présida à la même période aux destinées
de l’art luthérien en Saxe.127 Le Kapellmeister Heinrich Schütz (1585-1672) constitue l’un des
exemples les plus célèbres de cette orientation stylistique résolument tournée vers Rome et vers
Venise où il avait séjourné à plusieurs reprises. L’arrivée au pouvoir de Johann Georg II en 1656
confirma cette orientation : parallèlement à la restauration de la chapelle ducale en 1661-1662, de
nombreux castrats italiens furent engagés dans la Hofkapelle de Dresde.128 Cette politique musi-
cale orientée vers la splendeur et la magnificence était le reflet du poids politique et du prestige de
la Saxe à la fin du xviie siècle, mais aussi de sa tradition luthérienne. Lorsqu’il arriva au pouvoir,
l’une des premières décisions prises par Auguste le Fort fut de renvoyer les musiciens italiens qui
avaient été engagés en 1685 par Johann Georg III et reconduits par Johann Georg IV.129 Seuls les
musiciens allemands et le maître de danse Charles Dusmeniel se voyaient prolongés dans leurs
fonctions. Il réactivait donc une stratégie déjà éprouvée à Hanovre, qui coïncide avec un position-
nement confessionnel singulier, une rupture avec l’orthodoxie luthérienne de ses précédesseurs,
mais également avec une laïcisation des fonctions musicales de la Hofkapelle.

La construction administrative d’une catégorie stylistique


En 1663, le violoniste et compositeur Nikolaus Adam Strungk fut chargé par la cour de Celle
d’esquisser le projet d’une chapelle idéale, dans le but de réorganiser le personnel musical de la cour
après le départ de plusieurs musiciens importants. Le document manuscrit dans lequel il consigne
sa proposition sous le titre « Ce qu’il faut pour établir une chapelle », insiste à plusieurs reprises sur
l’importance d’avoir des musiciens capables d’exécuter de la « französische Music » (Tableau 2.6).130
Le statut d’une telle catégorie est difficile à cerner : il peut s’agir d’une appellation d’origine recou-
vrant l’exécution d’un répertoire véritablement français, d’une catégorie stylistique renvoyant à
un certain type de pratique musicale ou de composition, voire d’un certain contexte d’exécution
comme le théâtre ou la danse. Dans l’ensemble unifié de treize musiciens qu’il propose, Strungk
recherche fréquemment une double compétence dans la musique dite normale (« rechte Musik »)
et la musique française : les trois chanteurs adultes doivent pouvoir aussi jouer du violon dans
la musique française (« welche zugleich in französischer Music eine Violin gebrauchen könnten »), les
deux violonistes (ou violistes) doivent être versés aussi bien dans la musique française que dans la

125 Gerhard Poppe, « Dresdner Hofkirchenmusik von 1717 bis 1725 : Über das Verhältnis von Repertoirebetrieb,
Besetzung und musikalischer Faktur in einer Situation des Neuaufbaus », in : Mitteldeutschland im musika-
lischen Glanz seiner Residenzen. Sachsen, Böhmen und Schlesien als Musiklandschaften im 16. und 17. Jahrhundert,
dir. Peter Wollny, Beeskow 2005, 301-342, ici p. 330-331.
126 Poppe, « Dresdner Hofkirchenmusik », p. 333-336.
127 Sur les aspects visuels de la chapelle, voir Heal, A Magnificent Faith, p. 207-217.
128 Voir entre autres Mary E. Frandsen, « Allies in the Cause of Italian Music : Schütz, Prince Johann Georg II
and Musical Politics in Dresden », Journal of the Royal Musical Association, 125/1, 2000, p. 1-40.
129 Fürstenau, Zur Geschichte, vol. 2, p. 8.
130 NLAH, Celle Br. 34 Nr. 47, fol. 67 : « Was zu einer bestellenden Capellen von nothen 1663 ». Transcription
donnée en Tableau 2.6. Fritz Berend, Nicolaus Adam Strungk (1640-1700). Sein Leben und seine Werke mit Beiträge
zur Geschichte der Musik und des Theaters in Celle, Hannover, Leipzig, Hanovre 1913, p. 29.

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Chapitre 2

Tableau 2.6. Deux projets de chapelle par Nicolaus Adam Strungk.


1. Nikolaus Adam Strungk : Projet de chapelle pour Celle, 1663. NLAH, Celle 44 Nr. 47, fol. 67
Was zu einer bestellenden Capellen von nohten. 1663.
Auff Ew. Hochlbl. Magnif. Hochgönstiges Begehren habe unter dienstgehorsamer Schuldigkeit nach entwerffen
wollen, was zu einer zum Theil bestellten rechten Capell gehörig, und welche personen zu derselben dienlich seyn
würden.
als.

1 Ein Director Musices


2 Ein Altist ß
3 Ein Tenorist welche zugleich in französisch. Music eine Viol. gebrauchen könnten
Í
4 Ein Bassist
5 Zwo sowohl in rechter alß in französischer Musik bestelte Violisten, so bereits hier seyn.
6 Ein Viola da Gambist, welcher auch schon hie ist.
7 Ein Organist, der ebenmäßig alhie ist.
8 Ein Trombonist od. Fagottist so zugleich eine Stimme singet und in französischer und rechter Music
ein Violin gebraucht.
9 Ein Cornetist der in frantzösischer Musik ein Violin gebraucht.
10 Zwo Capellknaben.
11 Ein Calcante.
Summa 13 personen.

2. Nikolaus Adam Strungk : Projet de chapelle pour Dresde, 1694. HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 4,
fol. 209-210
Verzeichnüß derer Persohnen und Besoldung der Churfürstl. Deütschen Capell Music 1694
Zu Einrichtung einer wolbestalten Capell werden folgende Persohnen nothwendig erfordert.
Ein CapellMeister
der Vice CapellMeister od ein ConcertMeister
Zweÿ Chöre Vocal Stimmen
alß
Ein Bassist ein Tenorist ein Altista auch Discant ist zum Ersten Chor
Ein Bassist, Ein Tenorist, ein Altist und Discant ist zum anderen Chor
2 Chöre Instrumentisten
zum ersten Chor
2 Violinisten, 2 mit Tenor und Alt Geigen nebst dem Fagottisten
wiederum
2 Cornettisten und 3 Trombonisten
ferner
zween organisten alß 1. beÿ der Concertierenden Parteÿ und 1 beÿ den großen orgell
Ein Violonist
Ein Notist od Copiist
Zween Musicalische Trompeter
Ein Musicalischen Pauker
Item benötigte tüchtige Capellknaben 6 an der Zahl
Ein Hofcantor
Ein Orgel od Instrumentemacher
zween Calcanten
Welches hiermit begehrter maßen pflichtmaßig und geshorsamlich hinterschrieben und an beÿ erinerrn sollen,
daß beÿ ietziger Verenderung auff ein und anderer Adiuctum zugedencken, hochstnötig.
Nicolaus Adam Strungk
ChurSächs: Capellmeister
Dresden am 10 Augusti ao 1694:

– 98 –
Administrer la musique française

vraie musique (« Zwo sowohl in rechter alß in französischer Musik bestelte Violisten »), le tromboniste
ou bassoniste doit pouvoir en même temps chanter et jouer du violon aussi bien dans la musique
française que dans la vraie musique, et le cornettiste doit enfin pouvoir jouer du violon dans la
musique française. L’opposition mystérieuse formulée entre ces deux catégories montre d’abord
qu’il s’agissait de dénominations suffisamment explicites à Celle au début des années 1660 pour
pouvoir être employées sans explication et comme allant de soi dans un document de nature admi-
nistrative – mais cette dichotomie ne se retrouve nulle part ailleurs. Notons que les chanteurs
prévus dans la chapelle doivent se convertir en violonistes pour la musique française, tout comme
les instrumentistes à vent : cette musique ne semble donc pas requérir de voix ni de vents, mais
seulement des cordes. Si l’on peut formuler l’hypothèse que la musique dite « française » renvoie
ici à la musique dansée, puisque Christian Ludwig n’avait pas de théâtre ni de comédiens, ce docu-
ment montre bien l’entrecroisement, dans les documents produits par l’administration curiale, de
deux logiques distinctes : une logique administrative, de contrôle et d’archivage des dépenses, de
gestion du personnel, et une logique musicale, centrée sur la question du répertoire, du contexte
d’exécution et des compétences des musiciens.
Le violoniste Nikolaus Adam Strungk avait été nommé musicien de la cour de Celle
en juin 1660. Le projet de chapelle qu’il esquissa en 1663 resta lettre morte, puisque Christian
Ludwig mourut dès 1665. Strungk entra alors au service de Johann Friedrich à Hanovre, qui lui
offrit en 1673 un canonicat au chapitre Beatae Mariae Virginis à Einbeck. Il fut nommé en jan-
vier 1688 Vizekapellmeister de la cour de Dresde, avant d’accéder au poste de Kapellmeister à la
mort de Christoph Bernhard en 1692. Lors de l’accession au pouvoir d’Auguste le Fort en 1694,
il se trouvait donc dans une position similaire à celle qu’il avait connue à Celle, se trouvant à la
tête d’une chapelle en sursis, qui devait se réinventer à la suite d’un changement politique.131 Dès
l’arrivée d’Auguste le Fort, Strungk dut rédiger le 10 août 1694 un second projet de chapelle, qui
faisait le point sur les « personnes absolument nécessaires pour l’établissement d’une chapelle
bien fournie ».132 Le nouveau projet esquissé par Strungk adopte la division vénitienne en deux
chœurs, introduite à la Hofkapelle de Dresde depuis le début du xviie siècle par Heinrich Schütz.
S’adaptant au contexte local et aux moyens financiers bien plus importants de la cour de Dresde,
Strungk décrit ici un ensemble composé de trente-sept musiciens : un Kapellmeister, un vice-Ka-
pellmeister ou Concertmeister, deux chœurs de quatre chanteurs chacun, deux chœurs de cinq ins-
trumentistes chacun, deux organistes, un violoniste, un copiste, deux trompettes, une timballe,
six Kapellknaben, un Cantor, un facteur d’instruments et deux Calcanten. Mais Strungk ne fait ici
aucune mention de musique française – absence paradoxale, puisque plusieurs musiciens français
allaient être engagés par Auguste le Fort. Il semblerait que Strungk, habitué à la présence de musi-
ciens italiens à Dresde, n’a pas su anticiper le tournant français pris à partir de 1694, ce qui n’a sans
doute pas été sans conséquence sur sa marginalisation au sein de la Hofkapelle de Dresde et sur les
réductions importantes de personnel qui lui furent imposées entre mars et mai 1695.133 La compa-
raison de ces deux listes de personnel rédigées par la même personne à trente ans d’intervalle dans
des contextes très différents, montre bien le statut problématique de la musique française et invite
à interroger la production d’actes administratifs qui la sollicitent comme catégorie constituée,
mais au statut incertain. Entre dénomination stylistique, appellation d’origine et rubrique admi-
nistrative, l’expression même de musique française est le plus souvent polysémique, non explicitée,
et peut recouvrir des réalités très différentes. Faire l’archéologie de cette dénomination conduit
donc nécessairement à s’interroger sur les ressorts comptables et administratifs qui président à
son utilisation dans la production bureaucratique d’État, avant qu’elle n’émerge comme catégorie
stylistique de premier plan dans l’espace germanophone autour de 1700.

131 Michael Maul, Art. « Strungk, Nikolaus Adam » in : MGG online.


132 HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 4, fol. 209-210.
133 Voir en particulier la liste de 1695 intitulée Dispositio der reducirten Capell in Dresden ao 1695 : HStA Dresden,
10006 OHMA, K III Nr. 8, fol. 156.

– 99 –
Chapitre 2

Pensée sauvage et bricolage administratif


L’identification des musiciens français (« Frantzösische Musicanten ») en tant que groupe spécifique
au sein du personnel musical de la cour repose sur une double ségrégation opérée de manière plus
ou moins consciente et explicite par les différentes administrations : séparation d’avec les musiciens
allemands et italiens d’une part, séparation d’avec les comédiens et danseurs français d’autre part.
Aucune de ces distinctions ne va de soi, aucune n’est purement logique, et aucune ne génère de
typologie parfaitement étanche : ces catégories, qui semblent toujours improvisées, précaires et
poreuses, ne font jamais l’objet d’une définition ni même d’une tentative d’explication. Leur usage
est en outre très variable : ici, les « Frantzösische Musicanten » sont un groupe d’instrumentistes
français au sein de l’orchestre de la Hofkapelle ; là, ce sont des chanteurs français par opposition
aux opéristes italiens ; autre part, cette catégorie regroupe tous les musiciens non allemands. En
fait, cette partition du personnel musical ne repose pas sur une pensée systématique, ne renvoie
à aucune essence et ne postule aucune identité – elle est bien plutôt le résultat de ce que Lévi-
Strauss aurait appelé un « bricolage » conceptuel typique de la « pensée sauvage », c’est-à-dire
l’inventorisation, avec les moyens du bord, d’un ensemble fini d’objets hétéroclites – ici, les musi-
ciens.134 Autrement dit, la rubrique « Frantzösische Musicanten » est un produit de la pensée sauvage
des administrations, le résultat de son axiome fondamental (« Tout classement est préférable au
chaos135 ») ainsi que l’effet de pratiques contingentes et locales, qui ne sont pas gouvernées par
un projet de connaissance ou de description du réel, mais dont la sédimentation finit néanmoins
par produire des dénominations relativement stables pour l’organisation, la gestion, mais aussi la
compréhension de la musique dans le monde de la cour. Dans cette perspective, le style français ne
préexiste pas à la migration des musiciens, mais il est au contraire partiellement son résultat, par le
biais de son inventorisation au sein de rubriques créées par les pratiques administratives curiales.

Désignation, origine, identité


La dénomination « Frantzösische Musicanten » n’est pourtant pas complètement arbitraire : elle
coïncide la plupart du temps avec une origine sinon française, du moins francophone. Cependant,
elle conserve toujours un caractère fluide et partiel, puisqu’elle intègre souvent des musiciens ori-
ginaires de territoires frontaliers ou extérieurs au royaume de France. Il serait d’ailleurs étonnant
qu’il en aille autrement à une époque où les identités nationales sont fluctuantes et où l’étranger
se décline selon toute une palette de nuances allant du plus proche (la ville ou la région voisine) au
plus lointain (le pays ou le continent). Plusieurs musiciens français engagés à la cour de Güstrow
sont ainsi originaires des Pays-Bas espagnols, région francophone sous la tutelle des Habsbourg :
Servais Le Roy (alias Servaas von der König) est ainsi natif du Brabant, tandis que Daniel Danielis
est natif de Visé, près de Liège. Dans la comptabilité de Hanovre, une distinction entre musiciens
français (« Französische Musicanten ») et allemands (« Teutsche Musicanten ») apparaît à partir
de 1698, mais cette ligne de partage ne recoupe pas nécessairement l’origine géographique des
individus : Clemente Monari, violoniste italien né à Bologne vers 1660 et qui commença sa car-
rière dans la chapelle du duc de Modène, figure ainsi parmi les « Frantzösische Musicanten ».136 À
l’inverse, Charles Ennuyé est listé parmi les musiciens allemands alors qu’il est probablement le
fils d’Antoine Ennuyé, employé comme « cuisinier français » à la cour de Hanovre, et de Jeanne
Ravielle.137 Ce couple est dit « luxembourgeois » dans les registres paroissiaux catholiques138,
avant qu’Antoine Ennuyé ne soit décrit comme « premier cuisinier d’Ernst August » et « citoyen

134 Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris 1962, p. 26-33.


135 Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, p. 24.
136 Eldivio Surian, « Monari, Clemente » in : Grove Music online.
137 Voir par exemple NLAH, Hann. 76c A Nr. 100, p. 206 : « Dem frantzösischen Mundkoch Mr. Anthon Ennuÿ
besoldung 312 Thlr. »
138 BAHild, KB Nr. 777, Hannover St. Clemens, Taufbuch 1671-1699, p. 102 (« ex parentibus Antonio Ennÿ et
Johanna Raviello Luxenburgensi, legitimis coniugibus. ») et 117 (« ex dno Antonio Enuy et Joanna Baniello
Luxemburgensi, legitimis conjugibus »).

– 100 –
Administrer la musique française

d’Anvers » dans son acte de décès.139 Georges-Louis Ennuyé, le frère de Charles, sera aussi inté-
gré parmi les « Teutsche Musikanten » en 1701 pour remplacer Friedrich Lotti, qui appartenait
aussi à cette catégorie en dépit de ses origines italiennes.140 Enfin, toujours à Hanovre, François
Venturini représente un autre cas intéressant : son patronyme sonne italien, il rédige la dédicace
de ses Concerti di camera (1714) en italien, mais les registres paroissiaux le désignent constam-
ment comme « Gallus », même s’ils divergent sur son origine exacte, mentionnant Bruxelles ou
Valenciennes.141 Entre 1698 et 1714, Venturini est d’ailleurs systématiquement classé parmi les
« Frantzösiche Musicanten », et ses réseaux de sociabilité sont largement français : en janvier 1697,
quelques mois avant d’être embauché, il épouse Marie Ennuyé, probablement la sœur de Charles
et Georges-Louis142 ; Henrietta Venturini, probablement sa sœur, épouse en 1699 le musicien
français Guillaume Barré143 ; enfin, il est en 1713 le parrain de l’enfant de Jean-François Graep,
musicien français de la cour de Celle.144
Les Hofkapellen font ainsi souvent coexister des individus d’origines multiples, et on peut
repérer une pluralisation parfois très marquée de la provenance du personnel. Si la Hofkapelle
de Celle est exclusivement composée de musiciens français pendant les trente premières années
du règne de Georg Wilhelm, elle intègre à partir de 1696 un musicien italien, Pietro Agostino
Bonadei, qui ne jouit cependant d’aucun statut spécifique puisqu’il touche le même salaire et rem-
plit les mêmes fonctions que les autres musiciens.145 Ce mouvement se poursuit l’année suivante,
avec l’embauche de Hans Jurgen Vogt et Ernst Heinrich Grimm.146 Notons que, contrairement à
l’administration de Hanovre, la comptabilité de la cour de Celle n’explicite jamais la nationalité
de ses musiciens, sauf au tout début de l’existence de la nouvelle Hofkapelle. Les derniers musiciens
engagés avant la mort de Georg Wilhelm sont de nouveau français : Bernard et Jean-François
Graep, originaires de Bourgogne.147 Jean-François Graep, engagé en 1705, sera le dernier musicien
à entrer en service, quelques mois seulement avant la mort de Georg Wilhelm, le rattachement
de facto de la principauté de Lüneburg à celle de Hanovre et la dissolution de la Hofkapelle de Celle.
Beaucoup plus tard, en 1719, la chanteuse française Madeleine de Salvay se trouve parmi
les musiciens italiens de la troupe de Ristori en dépit de ses origines françaises. Embauchée à
Dresde comme chanteuse (« Sängerin »), elle touche un salaire annuel remarquablement élevé
de 2000 Thaler, aligné sur le paiement des musiciens italiens et non sur celui des français.148 Un
billet en français de Madeleine de Salvay, qui demande un supplément pour son « quartier » est
joint à cet acte.149 Lorsque la chanteuse et son mari, François de Salvay, font baptiser une enfant

139 BAHild, KB Nr. 782, Hannover St. Clemens, Beerdigungen 1711-1833, p. 28 : « 30. 7bris [1720] Dominus An-
tonius Enuis Civis Antverpiensis et Celsissimi Ducis Ernesti et S. R. I. Electorais Brunsvico-luneburgensis
Coquus primarius 95. aetatis suae annis. Pie in dno obicit et sepultus est ad portam S. Aegidii in Coemeterio
Catholicorum. Ita testo Joannes de Marteau. »
140 NLAH, Hann. 76c A Nr. 121, p. 305 : « George Louis Ennÿe so an deßen Stelle [= Friedrich Lotti] wiederkom-
men von Mich. 1701 biß Ostern 1702 halbjährig, 50 Thlr. »
141 L’acte de mariage de Venturini précise « Franciscum Venturini gallum ». L’acte de baptême de son second
enfant le nomme « D. Francisco Venturini Pruxellensi Musico ». En revanche, lorsqu’il représente le comte
de Platen lors du baptême de l’enfant de Jean François Graep, musicien de Celle en 1713, on lit : « Francisco
Venturini ex Valentien ».
142 Maria Ennuyé, née à Hanovre, est sans doute la fille du cuisinier Antoine Ennuyé, qui apparaît comme témoin
lors de son mariage, et la sœur des musiciens Charles et Georges-Louis Ennuyé : BAHild, KB Nr. 778, Hanno-
ver St. Clemens, Traubuch 1667-1711, p. 138.
143 BA Hildesheim, KB Nr. 778, Hannover St. Clemens, Traubuch, 1667-1711, p. 111.
144 BA Hildesheim, KB Nr. 780, Hannover St. Clemens, Taufbuch 1711-1717, p. 20.
145 NLAH, Hann. 76c A Nr. 222, p. 514.
146 NLAH, Hann. 76c A Nr. 223, p. 563.
147 L‘origine de Jean-François Graep apparaît dans un registre paroissial de Hanovre : « Joanne Francisco Grap
ex Valerien in Gallia. » BAHild, KB Nr. 780, Hannover St. Clemens, Taufbuch 1711-1777, 13 avr. 1713, p. 20.
Il pourrait s’agir du Mont-Valérien, ou plus probablement de la commune bouguignone Saint-Valérien.
148 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 907/3, fol. 177.
149 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 907/3, fol. 178 : « Le premier d’octobre 1719 iaÿ eu l’honneur
d’avoÿr esté arrettée au service actuel de Sa Maiesté Polonoise e mes gages sont este fixée à deux mille ecus par

– 101 –
Chapitre 2

à la chapelle catholique du château le 24 décembre 1719, le parrain est Giovanni Alberto Ristori,
musicien italien.150 Elle est renvoyée en février 1720, en même temps que tous les autres musiciens
et chanteurs de l’opéra italien, dont la plupart vont alors rejoindre Händel à Londres.151 Quelques
années plus tôt, la liste du personnel de l’opéra de 1689 conservée à Hanovre liste parmi les « six
musiciens italiens » des patronmyes allemands et le fils du Français Élie Jemme, Georg Ludwig.152
On perçoit bien, au milieu de ce melting-pot, que la catégorie « Frantzösische Musicanten »
créée par l’administration n’a pas à voir en premier lieu avec l’origine des musiciens, mais relève
d’une commodité administrative désignant un groupe avec des fonctions bien définies. À la cour
de Stuttgart, tous les violonistes sont priés en 1684 de rejoindre la « Bande françoise », alors même
que seuls trois Français sont présents à la cour à cette époque :
4. Et de plus que pas un des violons ne soit exemt de jouer en cas de besoin dans la Bande Françoise [all : dem
frantzösischen Bande von dero Violisten], mais qu’ils s’y trouvent sans contradiction sous peine de cassation ;
S[on] A[ltesse] S[érénissime] cependant pretend que l’on tire de la bande entiere une bande separée, pour
servir à la Danse françoise, et aux exercices ordinaires de Monseigneur le jeune Prince et les Princesses.153

Placée sous la direction de Johann Sigismund Cousser, cette bande « française » de violonistes,
composée en majorité de musiciens allemands, était caractérisée par un ensemble de pratiques
orchestrales à la française et par la nature spécifique de ses obligations, devant probablement
jouer pour le théâtre en grand groupe, et pour la danse en petit groupe.

De la comédie à la Hofkapelle
Plus que de leur origine, les musiciens français semblent donc tirer leur identité d’un ensemble de
fonctions musicales précises. Plusieurs documents administratifs suggèrent une double apparte-
nance, les musiciens dépendant à la fois d’une troupe de comédiens et de la Hofkapelle. À Dresde,
beaucoup d’entre eux furent d’abord engagés pour servir à la comédie française. Notons qu’à la
différence des cours de Basse-Saxe, la production administrative de Dresde n’emploie jamais la ca-
tégorie « Frantzösische Musicanten » et ne précise pas la nationalité de ses musiciens. Dans un ordre
comptable (« Resckript ») envoyé en février 1709, l’engagement de plusieurs musiciens vise expli-
citement à « augmenter la bande de comédiens » et apparaît au milieu d’une foule de dispositions
concernant le théâtre : sont engagés une danseuse, Mademoiselle Le Conte, et deux musiciens,
Pierre Diard et Simon Le Gros.154 Le chanteur Pierre Diard, qui figurait déjà en 1699 parmi les
« Messieurs de l’opéra » recrutés par Constantin, apparaît dans les listes de personnel en qualité de
Bassiste et de Sänger Bassiste.155 Mademoiselle Le Conte, dont le prénom n’est jamais mentionné, est
apparentée à deux musiciens qui apparaissent dans une liste de personnel de la Hofkapelle datant
de 1709 : Le Conte le père (« flute allemande ») et Le Conte le fils (« Basson »).156 Quatre mois plus
tard, en juin 1709, la troupe est de nouveau renforcée avec la nomination de trois personnes supplé-
mentaires : le musicien Jean-Baptiste Ducé et les deux maîtres à danser Jean-Baptiste Volumier et

année e come ie avois demande le quartier franc è que cella nest pas en usage pour les domestiques actuels ie
supplie tres humblement Sa Maieste de vouloÿr a cette consideration aiouter quelque chose au deux mille ecus.
La plus humble plus soumise Servante Madelene De Salvay. »
150 DA Bautzen, Taufbuch der Hofkirche, 1709-1759, fol. 10.
151 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 257 : « Il doit être inséré dans le même ordre que le
Roy veut qu’on paye à la Chanteuse Salvay qui a aussi son congé, une année entiere de ses appointements. »
152 NLAH, Dep. 103 IV Nr. 300, fol. 9.
153 Samantha Owens, The Württemberg Hofkapelle c.1680-1721, PhD Diss., Victoria University of Wellington,
1995, p. 15.
154 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 85-88, 26 fév. 1709 : « Wir haben von einigen Zeit
eine Bande französische Comoedianten in Unsere Dienste genommen […] Und weil Wir besagte Bande an-
noch mit derg. Personen, benamentlich Diar, le Gros und Motte la Comte augmentiret […]. »
155 HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 4, fol. 261, Nr. 5, fol. 89, Nr. 6, fol. 4 et 78, Nr. 7, non folié.
156 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 110.

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Administrer la musique française

Charles Debargues.157 En 1714, le prince réclame le remboursement des salaires pour les musiciens
qu’il avait engagés à Lyon « pour la comédie française ».158 Six ans après, en septembre 1720, le
compositeur Louis André est engagé pour composer la musique française nécessaire à la comé-
die.159 De même, Prache affirme qu’il a été recruté « pour escrire la musique françoise pour les
divertissements de la comedie.160 » Deux volumes d’archives de la cour de Dresde portent d’ailleurs
le titre « Comédiens français et Orchestre ».161 Certains musiciens sont même payés directement
par la troupe de comédiens et non par la cour : Robert du Hautlondel est payé sur l’enveloppe de
la comédie jusqu’à la mort du directeur de la troupe Villedieu, avant que son salaire ne soit assumé
par la cour.162 Mais dès le début, il est membre de plein droit de la Hofkapelle où il figure en qua-
lité de « bassiste » sur toutes les listes de personnel ainsi que dans les Hofbücher depuis son arrivée
jusqu’à sa mort en 1740 : il jouait donc dans le pupitre des cordes graves. Il a d’ailleurs reporté lui-
même son nom sur plusieurs parties séparées de la cour (Illustrations 2.3 et 2.4).

Illustration 2.3. Partie séparée ayant appartenu à Robert du Hautlondel, dit La France le Père. D-Dl, Mus. 1829-F-32.

Illustration 2.4. Partie séparée ayant appartenu à Robert du Hautlondel, dit La France le Père. D-Dl, Mus. 2124-F-6.

157 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 92 : « Wir haben Unsere Bande frantzösischer Co-
moedianten mit einigen Personen, benamentlich mit dem Musico Ducé, dem Tantzmeister Volumier, und
dem Tantzmeister Deparc nebst seiner Frauen vermehret […]. »
158 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 151 : « Specification Waß Ihro Hoheit d. Königl.
Chur Prinz vor die auf Ihro Königl. Mayt. genädigsten Befehl aufgenommene dreÿ Personen in Lyon, zu d.
franc: Comedie der Zeit an Besoldung avansiren lassen. »
159 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/2, fol. 166 : « Ordres à expédier. Varsovie le 8 Septembre
1720. 1. Pour la Pension d’André, que le Roy a engagé pour Compositeur de Musique, Machiniste et autres
besoins de la Comedie. La Pension est de 1200 Ecus, et commence à Pâques de cette année. »
160 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/2, fol. 174.
161 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/1 (Acta, die Engagements einiger zum Theater gehörige
Personen u.s.w. betreffen), Loc. 383/4 (Die Bande Französischer Comödianten und Orchester I) ou Loc. 383/5
(Französische Comoedianten und Orchestra betr. II).
162 Voir Chapitre 1 p. 46.

– 103 –
Chapitre 2

D’abord embauchés pour assurer la musique du théâtre français, voire comme membres de
troupes de comédiens constituées, les musiciens français rejoignent donc rapidement les rangs des
chapelles princières et royales, ce qui leur confère une certaine autonomie par rapport à la comé-
die. La construction administrative de cette autonomie se donne à voir de façon particulièrement
frappante dans la production bureaucratique de la cour de Dresde. Ceci s’explique facilement par
les spécificités de l’institution : lorsqu’ils arrivent dans la Hofkapelle de Dresde, les musiciens
français intègrent une institution séculaire qui a traversé la guerre de Trente Ans, sur laquelle
plane encore l’ombre de Heinrich Schütz, et dont le statut éminent sur le plan administratif,
musical et religieux est garanti par une puissante tradition de patronage musical. Lorsque Samuel
Chappuzeau sort de l’office de la Pentecôte entendu à la chapelle de Dresde en 1669, il relève le
déploiement de splendeur visuelle, liturgique et cérémonielle, et écrit : « La musique de Saxe passe
avec raison pour la meilleure & la plus accomplie d’Allemagne, & coûte bon aussi à l’Électeur.163 »
Cette situation place les musiciens français à la jonction de deux univers : celui du théâtre et celui
de la Hofkapelle. Cette double qualité leur permet d’intégrer les structures administratives de la
cour, par le biais de leur intégration à la Hofkapelle, alors que les comédiens restent souvent des
employés au second degré puisqu’ils dépendent du directeur de la troupe, ne sont pas engagés à
titre personnel et ne signent pas de contrat individuel. Ainsi, l’arrivée de Volumier à la cour de
Dresde ne concerne pas seulement la musique et la danse pour le théâtre français, mais marque le
début d’une évolution profonde de la Hofkapelle, qui assiste alors à une institutionnalisation accrue
du répertoire français, à un transfert de pratiques musicales depuis la France et à l’augmentation
du nombre de musiciens français dans ses rangs. Une liste de personnel de 1709, dressée juste après
l’arrivée de Volumier, illustre cette évolution de manière très nette, puisqu’elle fait apparaître une
nouvelle organisation de l’orchestre. Celui-ci est réparti en plusieurs pupitres à la française : les
cordes sont divisées en pupitres de « Violino », « Haute-contre » et « Taille ». Cette liste est en outre
contenue dans un ensemble d’actes qui concernent le personnel de la comédie française, la chapelle
catholique et l’administration des bâtiments. La formulation utilisée dans ce document mérite
d’être relevée : il est dit que cette liste établie par le baron von Mordaxt dénombre « les comédiens
français, y compris les danseurs et l’orchestre.164 » Seule la liste de l’orchestre est conservée, mais
elle montre bien que celui-ci est avant tout constitué pour jouer dans la comédie française.
Les musiciens jouissent cependant d’un statut très différent de celui des comédiens : contrai-
rement à ces derniers, ils sont placés sous l’autorité directe du maréchal de la cour et se trouvent
donc intégrés à la chaîne de commandement qui va du souverain jusqu’aux serviteurs les plus
modestes. L’acte d’engagement de la Cammer-Sängerin Pauline Le Borgne détaille très bien la
chaîne de commandement à laquelle elle promet obéissance dès son engagement :
[Elle doit] servir avec obéissance comme chanteuse, aussi bien dans les opéras qu’en tout autre moment,
temps ou lieu, et selon la manière qui lui seront gracieusement marqués par Son Altesse Électorale, ou
bien par son grand maréchal [Oberhoffmarschall], ou bien par le grand officier de la cour [Hohen Hoff-
Officier] qui tient le bâton, ou bien encore par l’intendant [Cämmerer]. Elle doit également pourvoir sans
réserve, sous la direction du Capellmeister ou bien en son absence du Vice-Capellmeister, à la table et à
l’opéra, à la satisfaction de ses employeurs sans aucune autre préoccupation, et remplir fidèlement son
devoir de servante, selon toutes ses capacités.165

163 Chappuzeau, Suite de l’Europe vivante, p. 302.


164 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 103 : « dero Cammerharrens Baron von Mordaxt
erhteiltes Attestat nach beÿliegender Abschrifft angeregten Franzöß. Comoedianten inclus. der Tänzer und
Orchestra ». Voir la transcription de cette liste ci-dessous, Tableau 4.6, p. 224.
165 HStA Dresden, 10036 Locate Finanzarchiv, Loc. 32691 Rep. L II Gen. Nr. 696, document 168, fol. 287 :
« Madamoiselle Paulline le Borgne, zum Cammer Sängerin dergestalt in Dienste zunehmen, daß Dieselbe
sowohl beÿ denen Operen, als sonst iederzeit, wann, wo und wie Sr Churfürstl. Durchl. es gnädigst gefällig,
und entweder dieselbe selbe befehlen, oder durch Dero Oberhoffmarschall, oder den Hohen Hoff-Officiren,
sodem Stab führet, oder auch nach gelegenheit durch den Cämmerer anordnen werden, gehorsamste Aufwar-
tung in singen leisten, sowohl auch nach der Direction des Capellmeisters, oder in deßen Abwesenheit des
Vice Capellmeisters, beÿ der Taffel und Operen, sich unweigerlich achten, darneben auf nichts mehr, als der

– 104 –
Administrer la musique française

Il ne faut sans doute pas sous-estimer le poids symbolique que représentait, pour tous les musi-
ciens français engagés dans les Hofkapellen allemandes, la prestation de serment solennelle entre
les mains du Hofmarschall, cérémonie dont aucun équivalent ne semble avoir existé pour les comé-
diens. Souvent engagés en troupe, ces derniers ne signaient pas de contrat individuel et n’étaient
donc par directement attachés à la personne du souverain, avec laquelle les musiciens semblent au
contraire avoir eu un lien de dépendance fort. Tous les actes d’engagement de musiciens français
conservés contiennent en effet un serment de fidélité, de loyauté et d’obéissance à leur nouvel
employeur prit devant Dieu : c’est par exemple le cas du maître à danser Dubreuil à Celle en
1660.166 Dans certains endroits, la prestation de serment solennelle pouvait être remplacée par
une simple poignée de main.167 Le cérémoniel de nomination du nouveau maréchal de la cour
(« Oberhofmarschall ») à Weimar en 1714 prévoyait ainsi que tous les serviteurs se rassemblent
dans la cour du château et renouvellent leur serment de fidélité en allant serrer la main à leur
nouveau supérieur hiérarchique, un par un, par ordre de dignité. Toute nouvelle arrivée parmi le
personnel de la cour donnait lieu à la même cérémonie, et le violoniste français François Biotteau
prêta également serment entre les mains du maréchal lorsqu’il fut engagé avec deux autres musi-
ciens à la cour de Weimar, le 13 avril 1714.168 Lorsque Jean-Baptiste Volumier est officiellement
nommé Konzertmeister à Dresde, le décret précise que tout le monde devra lui adresser la parole, se
comporter avec lui et lui obéir selon son rang, et qu’il jouira de « toutes les prérogatives habituel-
lement attachées à ce titre dans les cours allemandes ».169 Incontestablement, les musiciens fran-
çais s’insèrent donc sans difficulté dans les structures préexistantes des cours allemandes au sein
desquelles ils ont un statut clairement identifiable, à la différence des comédiens qui demeurent
souvent dans une position de quasi extra-territorialité.
Bien sûr, les musiciens restaient liés à leurs collègues du théâtre par de nombreux liens fami-
liaux. Parmi de nombreux exemples, on peut prendre celui de Louis Le Conte, qui épouse en 1691
Marguerite de Soulas, fille de Josias de Soulas dit Floridor, directeur de la troupe des comédiens
de Hanovre, et sœur de Charles de Soulas également dit Floridor et actif comme acteur dans la
troupe des ducs de Hanovre.170 La figure de Pierre Vezin illustre aussi très bien cette superpo-
sition des milieux musiciens et comédiens. Né en 1654 à Saint-Florentin en Champagne d’un
père vigneron171, il se serait enfui de France après avoir accordé sa protection à des huguenots,
ce qui lui aurait valu d’être exclu du royaume. Il aurait alors été mis en contact avec la cour
de Hanovre par le huguenot Estopey.172 En dépit du caractère romancé de sa biographie écrite
par Böger, Pierre Vezin était incontestablement l’une des figures de proue de la Hofkapelle de
Hanovre : sans doute présent dès 1680, il y demeure jusqu’à sa mort en 1727. Une partie de sa
notoriété vient de son mariage en 1689 avec Marie Charlotte Pâtissier de Châteauneuf, fille du
chef de la troupe de comédiens de Hanovre.173 Lorsque leur fille Sophie est baptisée en 1684, une

gnädigsten Herrschafft vergnügung sehen, und also ihre geshorsamste Schuldigkeit, als ein treüer Dienerin
allenthalben, und nach aller möglichkeit, willig erweisen will. »
166 NLAH, Celle Br. 44 Nr. 64, fol. 13-15.
167 Julius Bernhard von Rohr, Einleitung zur Ceremoniel-Wissenschaft der Grossen Herren, Berlin 1729, p. 672.
168 HStA Weimar, Kunst- und Wissenschaft-Hofwesen, A 8995, fol. 56 et 79.
169 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/1, fol. 19-20 : « Als declariren Wir denselben hierdurch,
und Krafft dieses offenen Decrets zu unsern Maître des Concerts, dergestalt und also, daß er in solchem Carac-
ter von jedermann angesehen, tractiret und geschrieben, auch dieser seiner Verrichtungen sich nach wie vor,
gehörig unterziehen, und aller deren dependirenden Praerogation, wie solches durchgehends an den teutschen
höfen gebrauchlich ist. »
170 BAHild, KB Nr. 778, Hannover St. Clemens, Traubuch 1671-1699, 10 janv. 1691, p. 88.
171 AD Yonne, 4 E 349/GG22, Saint-Florentin, registres baptismaux 1651-1656, 9 sept. 1654, fol. 36. Sur Pierre de
Vezin, voir Richard Böger, Die Geschichte der Familie de Châteauneuf-Vezin.
172 Böger, Die Geschichte der Familie de Châteauneuf-Vezin, p. 5-6.
173 BAHild, KB Nr. 778, Hannover St. Clemens, Traubuch 1667-1711, p. 78 : « Anno eodem [1689] ego Bona-
ventura Nardini iunxi matrimonio Augusti Petrum Veziem natum in Civitate Sancti Florenti in Gallia et
Mariam Carolam de Chateauneuf natam Multini in Gallia, praesentibus testibus, domino Calel Magot Le
Choq, Bertrand Cardinal et Stéphano Valoy, Pariginis. »

– 105 –
Chapitre 2

certaine madame Maréchal, probablement la femme du hautboïste français à la cour de Celle


Pierre Maréchal, figure parmi les nombreux parrains et marraines.174 Bérénice Valoy, sûrement
apparentée à Stéphane et François, est la marraine d’une fille du musicien Pierre Vezin.175 Les
liens entre le personnel théâtral et les musiciens ne sont pas seulement nombreux à l’intérieur
même de chaque cour, mais aussi entre les différentes cours de Basse-Saxe et la cour de Dresde.
Plusieurs indices semblent montrer une circulation régulière entre la capitale de la Saxe et l’espace
Nord-Allemand : Pauligne Le Borgne est ainsi témoin d’un baptême à Hanovre pour un enfant
de sa famille, tandis que Jean Baptiste Joseph du Hautlondel se marie à Hanovre.
Cette proximité du théâtre et de la musique explique aussi l’émergence de nouvelles fonc-
tions administratives : en 1712, le baron von Mordaxt est installé dans ses nouvelles fonctions de
« Surintendant de la musique et Directeur général des plaisirs », charge qui regroupe la musique,
la danse et le théâtre. Son acte d’installation rédigé en français fait bien apparaître la réunion de
deux compétences auparavant distinctes :
Ayant donné à Nostre Chambellan et bien aimé le Baron Mordaxt, la sur intendence de la Musique avec
la Direction Generale de Nos plaisirs, Nous luy donnons en même temps le pouvoir absolu d’agir dans
ces deux Charges, comme il le trouvera à propos, de placer les Musiciens, comme bon luy semblera, et
de distribuer les roles, selon la Capacité des Acteurs et Actrices, de faire punir rigoureusement ceux
qui pourront contrevenir à ses ordres, et de congedier touttes les personnes, sans exception, qui ne se
rangeront pas à ses commendements, ou qui manqueront à leurs devoirs, et d’en prendre d’autres à leur
place, sans Nous en faire part. Nous aprouvons generalement tout ce qu’il reglera la dedans, Voulons
et ordonnons qu’il soit obey en tout ce qui regarde Nos plaisirs. À Dresde ce 15 de Juin l’An mille sept
cents et douze. Auguste Roy.176

La réunion de ces deux charges montre que les musiciens français, loin de rester au service exclusif
du théâtre ou de la danse, étaient intégrés dans les cadres de la Hofkapelle. Ils étaient probable-
ment les seuls à passer fluidement entre ces trois ensembles, qui restaient des entités administra-
tives bien distinctes malgré la création du poste de directeur des plaisirs. Ainsi Pierre de Gaultier,
successeur de Mordaxt, se plaint-il du désordre provoqué au sein de la musique par la succession
rapide de plusieurs décès (Jean-Baptiste Volumier, Johann Christoph Schmidt et Johann David
Heinichen) dans une lettre envoyée à Auguste le Fort :
Les Plaisirs étant desœuvrez présentement, je leur feray faire de temps en temps des repetitions, afin
qu’ils soient en état de s’acquitter mieux de leur devoir au retour de Vôtre Majesté. La Comedie et la
Danse ont déjà commencé ; mais jusques icy la Musique ne reconnoissant point de superieur vit dans
une espece d’indépendence, et chaqu’un croit être son Maitre. Je supplie donc Vôtre Majesté de vouloir
bien faire expedier un ordre par lequel Elle m’enjoigne de faire par rapport à la Musique, aussi bien que
par rapport à la Comedie et à la danse, les dispositions que je trouveray convenables ; pour le service de
Vôtre Majesté, et par lequel il soit ordonné aux uns et aux autres de me reconnoitre pour leur Directeur,
et de m’obéir en cette qualité.177

Le fait que les musiciens aient du mal à reconnaître dans le directeur des plaisirs leur chef légi-
time peut être lu comme le résultat d’une construction administrative encore assez récente, réu-
nissant sous l’effet du patronage de musique française trois institutions distinctes, innovation
contre laquelle jouait une longue tradition. Mais ce phénomène n’était pas entièrement nouveau :
l’administration avait déjà été obligée par le passé de négocier divers domaines de compétence
dont la distinction traditionnelle se trouvait remise en cause par l’arrivée de musiciens français.

174 BAHild, KB Nr. 777, Hannover St. Clemens, Taufbuch 1671-1699, 10 août 1684, p. 104.
175 BAHild, KB Nr. 777, Hannover St. Clemens, Taufbuch 1671-1699, p. 213 : « 6 octobris [1698] Ego Jacobus De
Bont baptizavi infantem natam ex Petro Vesin et Maria Chateauneuf conjugibus gallis. Patrinus fuit Dnus
Farinelli. Matrina Berenice Valois. Nomen infantis Antonetta Berenice. »
176 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 179.
177 Lettre de Pierre de Gaultier à Auguste Le Fort, Dresde 15 juin 1729. HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett,
Loc. 3349/14, fol. 6-7.

– 106 –
Administrer la musique française

Gouverner la musique française


En effet, il n’était pas toujours simple pour l’administration de savoir qui avait la haute main sur
les musiciens français nouvellement engagés. Les premiers musiciens français arrivent à la cour de
Dresde dès les années 1670, au sein d’une atmosphère toujours largement dominée par la musique
italienne sous le règne de Johann Georg III. Une bande de « violonistes français ou instrumen-
tistes de table » est mentionnée entre 1675 puis en 1679.178 Dix ans plus tard, entre 1685 et 1687,
un petit groupe comparable est à nouveau présent à la cour, sous le nom de Französische Violons,
dont la liste est donnée dans le Hofbuch :
Französische Violons
Jacques Beudan von Sedan in Champagne
Jean Sardin von Laon in Picardie,
Jacques Guerin und Jean Baptista Guerin von Pariß
Antoine Mutant von Guise in Picardie
jedem zur jährl. Besoldung 200 Rthl. von 3 December 1685. Sie abgedanckt 1687.179

Outre leur salaire, c’est aussi la solidarité de ce groupe de musiciens, embauchés et renvoyés en-
semble, qui indique qu’ils formaient sans doute une bande de violons constituée. Antoine Mutant,
qui apparaît dans le groupe de 1679 et dans celui de 1685, séjourne durablement à Dresde puisqu’il
apparaît de nouveau en 1695 dans une liste des personnes ayant participé à un divertissement
intitulé la Götter Invention.180
Le rôle de cet ensemble dans la vie de la cour pendant les années 1685-1687 peut être éclairé
grâce à un ensemble de documents préparatoires à un « Banquet bacchique et course d’anneau »
(« Bacchi Wirtschaft und Ring=Rennen ») organisé à Dresde le 8 février 1687 à l’occasion d’un ma-
riage aristocratique. Ces documents sont tout à fait fascinants dans la mesure où ils permettent
à l’historien d’entrer dans la machinerie de la préparation d’une fête de cour, de percevoir de
l’intérieur les jeux de négociation entre les différentes instances organisatrices qui s’expriment
dans le règlement des moindres détails, et parfois d’approcher au plus près les prises de décisions
qui concernent la musique et les musiciens. Les Französische Violons se voient ainsi confier de la
musique de table et de danse, toujours en conjonction avec deux autres groupes appelés les « 12
Violons » et les « Hautes Bois » :
À cette table doivent être présents les 12 violons avec hautbois, ainsi que les violons français. […] Pour
la danse doivent être présents les 12 hautbois et les violons français, ainsi que la musique de l’hôte.181

Ces trois groupes de musiciens sont distincts de la Hofkapelle puisqu’ils sont évoqués indépendam-
ment à plusieurs reprises.182 En revanche, la tournure d’une question adressée au Quartiermeister
le général Starck, ainsi que la réponse qui y est faite, indique que ces musiciens sont placés sous
l’autorité du Kapellmeister :
[Question] Si son Excellence, à propos des 12 violons et hautbois, souhaite leur donner l’ordre d’être
présents, ou si elle veut en discuter avec le Capellmeister, et si Elle pense vraiment que les violons français
doivent malgré tout être présents. [Réponse] C’est ce qui a été fait, et les Français seront aussi présents.183

178 Fürstenau, Zur Geschichte, vol. 1, p. 201.


179 HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 4, fol. 32. Le « Verzeichnis derer Persohnen, Sr Churfürst. Durchl. zu
Sachsen beÿ der Götter Invention auffzuwarten » fait apparaître « H. Gevall mit der Violin: frantzös. Music: » et
« H. Mutan frantz. Mus: mit der Violin ».
180 HStA Dresden, 10006 OHMA, G Nr. 12, fol. 407.
181 HStA Dresden, 10006 OHMA, G Nr. 9, fol. 211-212 : « In diesem Tafel warten 12. Violons mit haut bois und
die franzoischen [sic] Violons auf. […] Beÿ dem Tanze sollen die 12. Hute Bois und die franzoischen [sic] Vio-
lons, wie auch des Wirths Musica auffwarten. »
182 HStA Dresden, 10006 OHMA, G Nr. 9, fol. 216 : « Ob die Churfürstl. Capell Musica beÿ der Tafel der natio-
nen aufwarten solle. Nein, sondern 12. Violons mit Hob. und die Bergsänger sollen auch die Französ: violons
aufwarten. »
183 HStA Dresden, 10006 OHMA, G. Nr. 9, fol. 226 : « Ob Sr. Excell. wegen der 12. Violons und Hautes Bois
Verordnung thun und mit dem Capelmeister reden wollten und wirt ja beÿ der meinung bleiben, daß dennoch
die französischen Violons auch aufwarten sollen. Ist geschehen, und warten die französischen auch auf. »

– 107 –
Chapitre 2

Ce que confirme encore la recommandation suivante, placée quelques folios plus loin dans
une sorte d’aide-mémoire du déroulement de la fête, à propos du dîner auquel les invités sont
répartis en deux tables, respectivement déguisées en « Nations » et en « Ouvriers »:
Dans la salle à manger du prince électeur, à la table du Conseil des Nations et des Ouvriers [tables
où les invités sont costumés dans ces thématiques], les hautbois et les violons français seront présents.
C’est pourquoi il faudra rappeler en temps utile au Capellmeister que les musiciens doivent solliciter les
gardes à temps s’ils veulent avoir un costume, ce qu’ils peuvent aussi bien faire auprès de quelqu’un de
leur nationalité.184
Un groupe de musiciens indépendant de la Hofkapelle, mais cependant placé sous l’autorité du
Kapellmeister : voilà ce que semble être la réalité administrative de ces musiciens, qui sont proba-
blement joints au corps principal de la chapelle chaque fois que l’on a besoin d’eux.
L’arrivée au pouvoir d’Auguste le Fort marque un prolongement et une intensification du
recrutement de musiciens français, accompagné d’un renvoi de tous les musiciens italiens qui com-
posaient la chapelle. Trois ans avant l’engagement de la troupe d’opéra de Deseschaliers, l’enga-
gement d’une troupe de hautboïstes à Vienne en 1696 révèle déjà l’agenda musical du nouveau
prince électeur de Saxe. Auguste le Fort avait rencontré cette troupe de hautbois lors d’un séjour
à Vienne entre juin et décembre 1696.185 Les quelques actes conservés aux archives de Dresde tra-
duisent la perplexité du Kammerpräsident August Christoph von Wackerbarth lorsqu’il vit arriver
de Vienne, en plus d’un trompettiste, une troupe de hautboïstes qui devaient être défrayés pour le
voyage, logés et payés. Dans une lettre adressée à Auguste le Fort le 24 décembre 1696, il demande
la confirmation écrite qu’il doit bien engager ces musiciens, dont le nombre dépassait les quotas qui
lui avaient été assignés pour la musique lors de la prise de fonction du nouveau souverain :
J’ai donc jugé nécessaire d’en faire rapport par la présente, et d’y ajouter respectueusement que, comme
Votre Altesse s’en souviendra encore, elle m’avait non seulement donné la mission, à l’installation de son
gouvernement, de limiter autant que possible la chapelle musicale [Capell Music] et de faire régler les
salaires selon un certain quota, mais elle avait également ordonné qu’en plus du premier trompettiste
Sulzen, pas plus de douze trompettistes et deux timbaliers ne soient gardés en poste, et que les autres,
même s’ils étaient des musiciens exercés et de très bon trompettistes, soient remerciés ; sans l’ordre exprès
et écrit de Votre Altesse, je ne peux donc engager aucun serviteur au-delà du quota de salaires fixé.186

Le prince électeur lui fait répondre que les hautbois et le trompettiste doivent bien être engagés en
dépit de ces provisions.187 Une liste détaille la composition de cette curieuse troupe de hautbois :
Tobias Gresle, Hautboist
Tobias Hennig, Fagotist
Johann Wolffgang Gresle, Hautboist
Anton Schweiberger, Hautboist
Jean Baptis Henrion, Flutti
Charles Steinberg, Flutti
Charles Henrion, Flutti

184 HStA Dresden, 10006 OHMA, G Nr. 9, fol. 248 : « Im Churfürstl: Tafelgemach beÿ der Nationen Rath und
Handwercker Tafel warten die Hautbois auf und die franzoischen violons. Deßwegen beÿ zeiten beÿdem Ca-
pellmeister zu erinnern, daß Sie sich vorhero zu rechter Zeit beÿ den Fouriren anmelden sollen, ob Sie gleich
auch viel eher von iemand aus deren Nationen, ihrer beÿm Aufzuge gebrauchen möchten. »
185 Fürstenau, Zur Geschichte, vol. 2, p. 11.
186 HStA Dresden, 10006 OHMA, K III Nr. 8, fol. 371-318r : « So habe ich nöthig erachtet, es hierdurch unterthä-
nigst zuberichten, und darbeÿ gehorsamst anzufügen, Maßen auch E. Churf. Durchl. sich annoch in Churf.
Gnaden erinnern werden, daß beÿ Ankundung dero Churf. Hochstlöbl. Regierung, dieselbe durch mir davon
untergesagte Comission nicht allein die Capell Music möglichst reinziehen und der Besoldung auch ein gewißes
quantum reguliren laßen ; sonder auch gnädigst befohlen, daß, neben dem Oberhoff Trompeter Sulzen, mehr
nicht, als noch zwölff Trompeter und zweyen Herr Paucker an Diensten behalten werden sollten, die übrigen
aber, ungeachtet es geübte Musici und sehr gute Trompeter gewesen, abgedancket werden müßen; daß also ohne
E. Churf. Durchl. ausdrücklichen und schrifftlichen Befehl über solche anzahl und eingeschrencktes quantum
der ausgesetzen Besoldung von mir kein Diener mehr in Dienst und Pflicht genommen werden kann. »
187 Lettre d’Auguste le Fort à August Christoph von Wackerbarth, Leipzig, 14 janv. 1697. HStA Dresden, 10006
OHMA, K III Nr. 8, fol. 319.

– 108 –
Administrer la musique française

Michael Ange Valzania, fagotist und fluttiste


Nicolaus Delvaux, hautboist
Ferdinand Gresle, Fagotiste
Loran, Flutti
Philibert, Flutti welche beÿde noch unter Weges188

Les deux derniers instrumentistes, dont il est dit qu’ils sont encore en chemin, ne figurent pas
dans la liste définitive de la troupe de hautbois établie dans l’acte d’engagement. Ils ont donc
dû finalement renoncer à venir à Dresde. Les dix autres musiciens sont engagés sur ordre du
Kammerpräsident aussitôt après la réception de la lettre du prince, soit le 19 janvier 1697. L’acte
d’engagement est rédigé de façon très intéressante, car il détaille les fonctions et obligations
des hautboïstes, ainsi que la manière dont ils s’inscrivent dans la hiérarchie musicale : les haut-
boïstes sont placés sour l’autorité du Oberhofmarschall, ou de « celui qui tient le bâton » en
l'absence de ce dernier. Ils doivent, chaque fois qu’ils en reçoivent l’ordre, jouer « sous la direc-
tion du Capell=Meister ou, en son absence, du Vice Capell=Meister » dans l’orchestre de la cour
[Hof=Capelle] ou à la table, à l’occasion d’opéras, ballets, comédies ou autres. Ils ne sont pas auto-
risés à passer la nuit hors de la ville sans en avoir demandé l’autorisation au Oberhofmarschall
et sans en avoir averti au préalable le Capellmeister. Ils doivent aussi, si on leur demande et sans
toucher d’argent supplémentaire, enseigner « fidèlement, avec douceur et selon leur meilleur
savoir » la pratique de leurs instruments aux enfants de chœur (Kapellknaben).189

Le prix de la musique
Après la guerre de Trente Ans, dans un contexte de rationalisation et de réduction des dépenses
curiales, de critique des dépenses somptuaires et de revenus encore fréquemment obérés par le
budget militaire, la question financière s’impose comme un paramètre crucial dans l’organisation
de la musique au sein des cours allemandes.190 La cherté des Italiens forme alors un argument de
poids en faveur de l’engagement de musiciens français, et c’est à bon droit que Sophie de Hanovre,
juste après la mort de son beau-frère Johann Friedrich dont elle avait souligné à plusieurs reprises
les dépenses exorbitantes pour l’entretien de musiciens italiens, vante le coût modique de ses
violons parisiens :
E[rnst] A[ugust] se va recreer un peu par des violons qu’il a fait venir [de Paris], que son fils luy a choisi,
qui ne coutent pas tant que la musique Italienne.191

En effet, si les trois ducs de Braunschweig s’étaient distingués dès les années 1660 par leur passion
commune pour l’opéra vénitien ainsi que par la fréquence de leurs déplacements dans la cité des
Doges pour le carnaval192, seul Johann Friedrich fit venir des musiciens italiens dans sa cour de
Hanovre. Parmi les douze musiciens italiens qui composaient la chapelle à sa mort en 1679, neuf

188 HStA Dresden, 10006 OHMA, K III Nr. 8, fol. 316.


189 HStA Dresden, 10006 OHMA, K III Nr. 8, fol. 323 : « Nachdem […] mein gnädigster Herr, durch schrifftli-
chen gnädigsten Befehl de dato Leipzig den 14. January nächsthin, sich gnädigst erkläret, die von Wien an-
hero gekommene Bande Hautbois anzunehmen, und mir befohlen, davon Annehm= und Bestellung halben,
gehörige Verordnung zuthun, daß nehmlich selbige schuldig seÿn sollen, nächst dem Befehl des Oberhoff-
marschalls, oder deßen, so den Stab führet, unter des Capellmeisters, oder in deßen Abwesenheit, des Vice-
Capellmeisters Direction zustehen, und in der Hoff=Capelle und für den Taffel, in dergleichen beÿ Operen,
Balletten, Comödien und andern Occasionen, mit denen Instrumenten, deren sie kundig, aufzuwarten, ohne
vor Oberhoffmarschall erlangtes Erlaubnüs und Vorwissen des Capell=Meister, keine Nacht aus der Chur-
fürstl. Residenz zu bleiben, über dieses die Capell Knaben so beÿ einen oder andern von bedeüteter Bande auf
dem Hautbois, und andern ihm kundigen Instrumenten, spielen zulernen belieben tragen möchte, auf Anord-
nung des Oberhoffmarschalls, selbige ohne mit geld treülich, glipfflich, und nach seiner besten Wissenschafft
zu informiren, auch sonst allenthalben erforderte Aufwartung zuleisten. »
190 Pour une étude de la croissance du personnel et des dépenses du personnel de la cour et les ajustements néces-
sités à travers l’exemple de Vienne et Paris, voir Duindam, Vienna and Versailles, p. 45-89.
191 Lettre de Sophie à Karl Ludwig, Hanovre, 5 août 1680. Bodemann, Briefwechsel, p. 432.
192 Georg Fischer, Musik in Hannover, Hanovre 1903, p. 3-6.

– 109 –
Chapitre 2

d’entre eux étaient payés 600 Thaler par an, un salaire comparativement très élevé. Avec le salaire
des autres musiciens et les dépenses annexes, le coût total annuel de la chapelle pour l’année
1679-1680 était de 7.302 Thaler.193 L’année suivante, lorsque Ernst August et Sophie s’installent
à Hanovre, ils renvoient l’ensemble des musiciens italiens et divisent ainsi par plus de trois la
dépense liée à la musique. Le coût annuel de la chapelle est ramené à 2.059 Thaler, et parmi les
sept musiciens français qui prennent la relève, seul leur chef Jean-Baptiste Farinel est payé 500
Thaler par an, tandis que les six autres touchent un salaire annuel de 115 Thaler. Ces observations
conduisent à poser la question du financement de la musique française, en particulier par rapport
à la musique italienne.
Les registres de comptabilité constituent, avec les listes de personnel, une source de pre-
mière importance pour reconstruire le personnel des chapelles musicales allemandes, et donc
pour traquer la circulation des musiciens français. Mais ces sources administratives forment aussi
un corpus documentaire cohérent qui peut à la limite être considéré pour lui-même, ou dont les
conditions de production et les logiques propres méritent à tout le moins d’être interrogées.194 Les
cadres de classement auxquels sont intégrés les musiciens dans les registres de comptes et les listes
de personnel sont en effet le reflet de contingences locales, financières et pratiques, mais aussi
l’expression d’un savoir acquis, d’une matrice de gouvernement voire d’une certaine représen-
tation de l’univers – les états de dépense oscillant ainsi perpétuellement « entre la cartographie
administrative et la cosmogonie195 ». Saisir la place de la musique et des musiciens français dans la
toponymie de ces sources administratives, c’est donc aussi du même coup comprendre leur place
et leur fonction dans le microcosme de la cour.

Musique et typologies comptables


En Basse-Saxe, dans les cours de Celle et de Hanovre, le principal ensemble de sources est préci-
sément constitué par les registres de comptabilité.196 Cette série est complète pour notre période,
ce qui en fait un ensemble documentaire remarquablement continu et cohérent, exceptionnel
dans le paysage des cours allemandes. Elle permet de reconstituer année après année la composi-
tion de la chapelle et d’avoir accès, par le biais des différents postes de dépense, à certains détails
très concrets de la vie des musiciens. Les registres conservés aujourd’hui sont cependant loin de
former la totalité des archives produites autrefois : les dépenses privées des souverains enregis-
trées dans la Schatullkasse ne sont pas conservées et faisaient sans doute l’objet d’une comptabilité
moins méticuleuse.197 Seuls les comptes personnels d’Éléonore d’Olbreuse sont conservés pour

193 NLAH, Hann. 76c A Nr. 99, p. 347 : le Kapellmeister Vincenzo de Grandis (50 Thaler par mois), l’organiste
Mattheo Trento (32 Thaler), le Violist Pietro Recaldini (30 Thaler), les Discantist Vincenzo Antonini et Gio-
seppe Constantini, l’altiste Giuliano Giuliani, les ténors Caesare Borginai et Gioseppo Constantini, les basses
Francesco Venago, Nicolai Gratiani et Giramolo Navarren touchent chacun entre 300 et 600 Thaler par an.
194 Lemaigre-Gaffier, Administrer les Menus Plaisirs du Roi, p. 107 : « Témoignage exemplaire du “propre de l’État
bureaucratique”, c’est-à-dire “d’avoir suscité une inflation documentaire sans précédent, une prolifération archi-
vistique que les historiens ont beaucoup sollicitée sans s’interroger toujours sur les conditions intellectuelles et
matérielles de sa production et de sa conservation”, ce corpus donne l’opportunité, comme le suggéraient Pierre
Bourdieu, Olivier Christin et Pierre-Étienne Will, de soumettre cette production à une véritable lecture histo-
rique, afin de monter en quoi elle a contribué à transformer les représentations de l’État et de ses fonctions. »
195 Lemaigre-Gaffier, Administrer les Menus Plaisirs du Roi, p. 116-117.
196 NLAH, Hann. 76c A Nr. 192-230 : Register der Einnahmen und Ausgaben bei der fürstlichen Lüneburgischen
Rentei zu Celle von Trinitatis bis Trinitatis.
197 Ragnhild Hatton, George I, New Haven 2001, p. 94 : « Besides the public exchequer Hanover had a Kammer
(literally, chamber), a treasury into which was paid the income from the ducal domains and from the state’s
share in those Harz mines which belonged to Hanover, as well a foreign subsidies. This Kammerkasse was also
deployed for public expenditure, for the upkeep of the court, the domestic administration, the diplomatic
service and for defraying the expenses levied on the duchy in its relationship to the Empire; but the ruler felt
fairly free to use it as he thought fit. The private ducal income, derived from personal investment in mining
and stocks, was kept in yet another Kasse, the Schatullkasse (from Schatulle, literally bureau-chest), and was

– 110 –
Administrer la musique française

les dix dernières années de son existence, mais ne contiennent pas d’indication intéressante pour
la musique.198
À Celle, les registres contiennent l’exercice comptable annuel à compter du dimanche de la
Trinité, le premier après la Pentecôte. Chaque registre est divisé en deux grandes parties : les ren-
trées d’argent (« Einnahmen ») et les dépenses (« Ausgaben »). Celles-ci sont regroupées par matières
et décrites de façon très détaillée, comme le montre par exemple le registre pour l’année comptable
1680-1681 (Tableau 2.7). Sont d’abord notées les dépenses liées aux infrastructures de la cour et à
l’entretien des domaines : argent pour la famille ducale et ses voyages, logement des visiteurs à la
cour, octroi de dons charitables et de bourses, entretien des tribunaux, dépenses pour les cuisines,
lavoirs, caves et jardins, entretien des bâtiments et des animaux, achat de médicaments, de linge
et de vaisselle. On trouve aussi les sommes d’argent envoyées aux agents diplomatiques en poste
à l’étranger, ainsi qu’aux correspondants et fournisseurs étrangers pour l’envoi de lettres ou de
biens. Dans un second temps commence la longue énumération des dépenses de personnel, qui
apparaissent par ordre de dignité décroissant : les ministres, le clergé, le personnel de la cour puis
les autres serviteurs. Le registre de comptes se fait alors le reflet, à l’échelle microscopique, de la
hiérarchie sociale qui assigne à chaque individu sa place et son rang au sein d’une totalité. Enfin,
en dernière position sont consignées les rémunérations en nature, des dépenses pour les livrées, les
voitures et le petit matériel, et enfin l’argent consacré à la chose militaire. La rubrication n’est donc
pas neutre : les sept musiciens français arrivés à Celle en 1666 sont attachés au personnel de la cour,
au sein duquel ils viennent toujours après les trompettistes, chargés d’une fonction cérémonielle
et mieux payés, et avant la troupe de comédiens payée en groupe. Ils sont toujours listés sous la
catégorie générale de « Musicanten », mais sont regroupés dans une sous-catégorie « Frantzösische
Musicanten » jusqu’en 1671, date à laquelle cette dénomination disparaît définitivement.
Les registres de comptabilité de Hanovre, semblables à ceux de Celle, sont également
très bien conservés mais recèlent quelques spécificités. Avant 1688, les musiciens français ne
sont pas nommés individuellement mais simplement regroupés sous l’étiquette « Frantzösische
Musicanten ». Mis à part Farinel, on voit donc seulement apparaître les « six autres musiciens
français » (« sechs übrigen Frantzösischen Musicanten »). Ce n’est qu’à la faveur d’un renouvellement
de personnel à l’été 1688 que les musiciens français commencent à être dénommés individuel-
lement par leur nom de famille. Après le renvoi de La Croix et l’engagement de trois hautbois
français, il devenait en effet nécessaire de distinguer les musiciens de la première heure – Valoy,
Vezin, Bertrand, Le Conte – dont l’ancienneté et le salaire n’étaient plus les mêmes et dont l’iden-
tité cessait donc d’être évidente.
Durant tout le règne d’Ernst August (1680-1698), les musiciens français restent largement
majoritaires dans la composition de la Hofkapelle. La section qui comprend le salaire des musi-
ciens est intitulée Denen Musicanten. Elle fait apparaître, en plus des musiciens français, quelques
instrumentistes qui viennent de temps en temps s’y ajouter, le plus souvent pour une durée ré-
duite : le musicien de la chambre (« Cammer Musicus ») Clamor Heinrich Abel jusqu’en 1685,199
Nikolaus Adam Strungk, réengagé comme Hoff Cammer Componiste en 1682, après avoir passé
quelques mois au Gänsemarktoper de Hambourg,200 ainsi que le personnel en charge de la musique
liturgique.201 De 1686 à 1695, les Français restent donc seuls maîtres à bord hormis l’organiste et

spent for private purposes. The public Kasse accounts (the Kammerrechnungen) were meticulously kept and
have survived; those for the Kammerkasse and the Schatullkasse have not come down to us, though there are
references to both in Ernst August’s will. »
198 NLAH, Dep. 84 B Nr. 101 : Rechnungswesen der Herzoginwitwe Eleonore d’Olbreuse (1706-1716).
199 Dernière apparition en 1685 : NLAH, Hann. 76c A Nr. 104, p. 255.
200 NLAH, Hann. 76c A Nr. 102, p. 216.
201 La cour de Hanovre paye ainsi un organiste pour la chapelle de la cour, un Calcant pour actionner les soufflets
de l’orgue, un Cantor et un Calcant pour l’église de la ville nouvelle. De 1681 à 1685, Georgio Henrico Bonio
est rémunéré comme Hofcantor avec six enfants pour le chant (« Sechs Singknaben in der Schloßkirche ») : NLAH,
Hann. 76c A Nr. 101, p. 192. À partir de 1688, on voit apparaître un facteur d’orgue qui prend soin de l’orgue
et des autres instruments : NLAH, Hann. 76c A Nr. 108, p. 254.

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Chapitre 2

Tableau 2.7. Registre de comptabilité pour l’année 1680-1681 : rubriques de dépense. NLAH, Hann. 76c A Nr. 206.

Page Intitulé des rubriques Traduction approximative


315 Serenissimi Handtgelder Argent de poche pour les ducs
316 Zu Sonderbahren Behueff Dépenses exceptionnelles
318 Außgeliehenes Capital Emprunts
319 Serenissimi Reise Kosten Argent pour les voyages des ducs
320 Fürstl. Deputat gelder Paiements en nature pour les ducs
323 Frembder Außquitirung Paiements externes
329 Auff Commission und Verschickung Achats et envois
335 Hochzeit undt Kindt=tauffen Verehrung Cadeaux de mariage et de baptême
336 Gnaden Verehrung Gratifications à titre gracieux
339 Armen Beÿsteuer Contribution pour les pauvres
341 Auff Stipendiaten Bourses [d’étude etc.]
345 Auff die Schloßkirche Pour l’église du château
346 Wegen deß großen Calandeß Pour la grande confrérie des Calandes
347 Auff Reichs- und andere Lehen Empängnüß Pour les fiefs impériaux et autres
348 Auff Fürstl: Cantzeleÿ, Cammer, undt Pour la chancellerie, la chambre et les tribunaux de la
Hoffgerichte cour ducale
350 Behueff Fürstl: Küche Pour la cuisine ducale
352 Auff Fürstl: Küche für Victualien, Geschirr, Pour la cuisine ducale, pour les victuailles, vaisselle,
Pracht undt dergleichen apparat etc.
355 Behueff Fürstl: Küche für Provision Pour la cuisine ducale, pour les provisions
356 Behueff der Conditoreÿ Pour la pâtisserie
357 Behueff Backhaußes Pour la boulangerie
358 Behueff Lichte Cammer Pour le département de l’éclairage
359 Behueff Ablager Pour les coffres de voyage
364 Auff den Frantzösischen Garten Pour le jardin français
365 Auff den Italiänischen Garten Pour le jardin italien
366 Auff den Weingarten Pour le vignoble
367 Auff den Caninichen Garten Pour le jardin des lapins
368 Auff den Garten zu Wienhaußen Pour le jardin de Wienhaußen
369 Auff die Garten Inßgemein Pour les jardins en général
370 Auff den Weinkeller Pour la cave à vin
373 Auff den Bierkeller Pour la cave à bière
375 Auff die Silber Cammer Pour la chambre d’argenterie
376 Auff den Marstall undt Hoff Schmiede Pour la forge et le maréchal ferrand de la cour
383 Auff Fürstl: Kornboden Pour les greniers des ducs
385 Auff den Haarburgischen Festungs Bau Pour la forteresse de Harburg
386 Auff Fürstl: Zimmer undt dazu gehörige Pour le logement des ducs et les propriétés afférentes
Eingethumb
387 Auff Leinen= und Bettegewandt Pour les toiles de lin et de literie
388 Auff Weidewerck Pour la chasse
394 Auff die Fischereÿ Pour la pêche
395 Auff die Fasanen Pour les faisans
396 Auff den Perlen Fang Pour la pêche des perles [section vide]
397 Baukosten beÿ Hoffe Frais de construction à la cour

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Administrer la musique française

(Tableau 2.7. Suite.)

Page Intitulé des rubriques Traduction approximative


399 Baukosten Inß Gemein Frais de construction en général
404 Baukosten beÿ den Ämbtern, angerechnet Frais de construction dans les domaines
407 Baukosten zu Wienhaußen Frais de construction à Wienhaußen
408 Zu Verbeßerung der Ämbter Pour l’amélioration des domaines
409 Einlösung Versetzter Ämbter Encaissement des domaines cédés
410 Capital undt Zinsen Ablegung Capital et intérêts
411 Auff Speÿersche und andere Proces, undt Pour les procès à Spire [cour de justice impériale] et
Gerichts Sachen autres affaires judiciaires
413 Kaÿserliche Cammer Gerichts Zieler Pour la chambre de justice impériale
414 Angerechnete Herren-Dienste Services facturés
415 Angerechnetes Holtz Bois facturé
416 Auff Medicamente undt Artzlohn Pour les médicaments et le salaire des médecins
417 Auff Pferde undt andere Schadenstände Pour les chevaux et autres accidents
419 Dienerbesoldung Current Salaire courant des serviteurs
419 1. Beÿ Fürstl. Cantzeleÿ undt Cammer 1. Chancellerie et chambre
428 2. Geistliche undt Kirchendiener beÿ Hoffe 2. Clergé et serviteurs de l’église de la cour
429 3. Geistliche undt Kirchendiener beÿ der 3. Clergé et serviteurs de la paroisse de la ville
Stadtkirche
430 4. Zur Fürstl. Hoffstadt gehörige 4. Personnel de la cour ducale
430 –– [1.] Principui –– [1.] Grands commis
434 –– 2. Ihrer Fürstl Durchl Leibdiener –– 2. Valets de pied ducaux
435 –– 3. Laquayen –– 3. Laquais
436 –– 4. Trompeter –– 4. Trompettes
437 –– 5. Musicanten –– 5. Musiciens
438 –– 6. Comedianten –– 6. Comédiens
439 –– 7. Ultimi –– 7. Autres
442 5. Beÿ Fürstl. Küche 5. Cuisine ducale
446 6. In der Silber Cammer 6. Argenterie
447 7. In der Conditoreÿ 7. Pâtisserie
448 8. In Weinkeller 8. Cave à vin
449 9. In Bierkeller 9. Cave à bière
450 10. Am Back- undt Brauhauße 10. Four et brasserie
451 11. In den Gärten 11. Jardins
452 12. Beÿ der Jägerey 12. Chasse
456 13. Im Reisigen Stalle 13. Écuries militaires
464 14. Im Halthauße 14. Tonnellerie
465 15. Gemeine Diener 15. Serviteurs communs
466 16. Den Müllern 16. Meuniers
467 17. Wegen der Hoffkleidung 17. Pour les livrées
468 Repetitio Summarum Bilan des dépenses
469 Dienerbesoldung Current Der Frau Salaire courant pour les gens de la duchesse et de la
Hertzogin undt Princesse Fürstl. Durchl. princesse
Fürstl. Durchl. Leute
470 Dienerbesoldung Current Auß Gnaden Rémunération courante des serviteurs à titre gracieux

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Chapitre 2

(Tableau 2.7. Suite et fin.)


Page Intitulé des rubriques Traduction approximative
472 Dienerbesoldung Current Beÿ den Ämbtern Rémunération des serviteurs dans les domaines
476 Repetitio Summarum Bilan des dépenses
477 Dienerbesoldung Current hinterstellig Arriéré des rémunérations courantes des serviteurs
478 Dienerbesoldunt Current Laut Special Rémunération courante des serviteurs par ordre spécial
Befehle
479 Repetitio Summarum Bilan des dépenses
480 Hauß= Stuben= undt Stallmiethe Loyers pour les maisons, chambres, écuries
481 Für Deputat Holtz Pour le bois en nature
482 Für Deputat Ochßen Pour le bœuf en nature
483 Für Deputat Schweine Pour le porc en nature
489 Für Deputat Hämel Pour le mouton en nature
490 Für Deputat Bier Pour la bière en nature
491 Fourage undt Hueffschlag Gelder Étrennes pour le fourage et le ferrage
493 Bette Gelder Étrennes pour le lit
494 Lichte Gelder Étrennes pour la cire
495 Repetition Summarum Bilan des dépenses
496 Zur Hoffkleidung undt der Livrée Pour le vêtement de cour et la livrée
500 Post= undt Bottenlohn Salaires pour la poste et les messagers
502 Fuhrlohn undt Fracht Pour le transport et le fret
503 Für vorhandene Materialien Pour des matières négociées
504 In die Kriegs Casse verfloßen zum Ordinari Argent dirigé vers la caisse militaire pour les commissions
Commiss für angerechnetes Korn ordinaires de blé
509 In die Kriegs Casse verfloßen zum Argent des domaines dirigé vers la caisse militaire pour
Extraordinari Commiss angerechnet beÿ den les commissions extraordinaires
Ambtern
510 Behueff Commiss. Pour les commissions
511 Lagio, Cambio undt interesse Pour les agios, le change et les intérêts
512 Zur Contribution Contributions
513 Auff neue Erfindungen an= und vorschläge Pour de nouvelles inventions et propositions
514 Extraordinari Dépenses extraordinaires
516 Summa Summarum aller Außgabe von Summa summarum de toutes les dépenses de la Trinité
Trinitatis 1680 biß Trinitatis 1681 1680 jusqu’à la Trinité 1681

le facteur d’orgue. En 1695 sont embauchés un violiste Gottfried Friedrich Thielke ainsi qu’un
musicien au patronyme italien, Giuseppe Pigniatten, dont la fonction n’est pas précisée.202 Les
musiciens italiens engagés pour la production d’opéras entre 1687 et 1698 n’apparaissent pas dans
la comptabilité, puisqu’ils étaient probablement payés sur la caisse personnelle du souverain.
À Dresde, les registres de comptabilité ne sont pas conservés, ce qui implique de légères dif-
férences dans la nature des informations récoltées. Les sources administratives de la cour concer-
nant la musique sont produites par deux départements : le Geheimes Kabinett, sorte de conseil du
roi où sont regroupés les ordres envoyés par le souverain à l’Accis-Casse, c’est-à-dire l’adminis-
tration comptable de la cour, à propos des musiciens, comédiens et danseurs.203 Outre ces ordres

202 NLAH, Hann. 76c A Nr. 116, p. 294.


203 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/2, 383/3, 383/4, 383/5.

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Administrer la musique française

appelés Reskripten, les cartons contiennent aussi des lettres, suppliques ou correspondances an-
nexes, ainsi que quelques rares actes d’engagement de musiciens. Cet important ensemble docu-
mentaire forme la colonne vertébrale de la production administrative de la cour. Dans les archives
du Oberhofmarschallamt, c’est-à-dire l’administration centrale de la cour, on trouve des listes du
personnel employé par la cour, inscrites dans des volumes appelés Hofbücher et archivés dans la
série K. Cette série, malgré sa discontinuité, permet de suivre l’évolution de la composition de
la Hofkapelle pendant toute notre période ainsi que d’appréhender la manière dont les différents
ensembles musicaux sont définis et structurés les uns par rapport aux autres. L’un des documents
les plus fascinants de cette série est la liste de personnel de 1718 déjà évoquée, sur laquelle les
musiciens ont tous inscrit, dans leur langue maternelle, leur origine géographique, la durée de
leur service à la chapelle et leur âge. Toujours dans les archives du Oberhofmarschallamt, les jour-
naux des divertissements de cour forment une série incomplète mais contiennent des documents
relatifs à l’organisation des fêtes ainsi que parfois un journal succint du carnaval (série G).

Effectifs et salaires
Les registres comptables de Celle permettent de comprendre dans le détail la rémunération des
musiciens. Leur salaire est versé deux fois par an, à Pâques et à la Saint-Michel. La rémunération
se compose d’un solde fixe (« Besoldung ») accompagné de divers compléments versés en argent
ou en nature. Le « Stubenheuer » désigne ainsi l’argent accordé pour le logement.204 Notons que
les musiciens commencent à percevoir un « Stubenheuer » au fil de l’automne 1667, soit quelques
mois après leur arrivée, puisqu’ils étaient auparavant logés chez l’habitant à qui était directement
versé le loyer. La somme est d’abord ajustée au mois près pour chacun, ce qui laisse penser que
certains ont mis plus de temps que d’autres à trouver un logement définitif.205 Le « Holzgeld »
couvre l’argent pour le bois, tout comme le « Krummholz », petit bois de lande. Seul le chef de
la bande Philippe La Vigne reçoit un « Fouragegeld » couvrant les dépenses liées à la possession
d’un cheval.206 Le « Lichtgeld » ou « Deputat Lichte » subvient aux dépenses de bougie, tandis que
le « Deputat Schwein » désigne vraisemblablement une certaine quantité de viande de porc, spé-
cifiée selon sa valeur monétaire comme les autres avantages en nature. Ces diverses rétributions
forment ce qu’on pourrait appeler l’ordinaire des musiciens. En général, elles s’accumulent au fil
du temps, venant ainsi augmenter les salaires selon l’ancienneté. La seule augmentation générale
du solde de tous les musiciens a lieu en 1682-1683. La grande égalité des rémunérations entre les
musiciens est frappante. Elle est caractéristique d’un ensemble où tous les instrumentistes rem-
plissent des fonctions équivalentes et où le salaire a probablement été négocié de façon groupée.
En dehors de Philippe La Vigne, tous les musiciens du rang sont tous payés de la même façon, et
seuls deux hautboistes, Denis Le Tourneur et François Robeau, sont distingués par des augmen-
tations individuelles toujours reportées après leur solde normal.207
Philippe La Vigne est le mieux payé en sa qualité de Capellmeister. Son solde annuel, de 400
Thaler, reste inchangé de 1666 à 1705. S’y ajoutent au fil du temps de multiples avantages dont
il est parfois le seul à bénéficier. Dès 1668, son Stubenheuer est de 36 Thaler, contre 24 pour les
autres musiciens. Toujours en 1668, il reçoit rétrospectivement à compter de 1665 douze Thaler
annuels pour son cheval, ce dont jamais aucun autre musicien ne bénéficie. Cette somme disparaît
ensuite jusqu’en 1674, où elle passe à 14 Thaler par an. En 1682, elle passe à 60 Thaler par an.

204 On trouve parfois aussi « Haußmiethe » ou un autre intitulé approchant comme « Stubenheuer undt Stallmieth
für Serenissimi Cellensi eigene Leute um undt wieder in der Stadt bezahlt », qui laisse penser que l’administration
payait directement le loyer aux propriétaires : NLAH, Hann. 76c A Nr. 208, p. 467. Nr. 193, p. 479.
205 NLAH, Hann. 76c Nr. 193, p. 479.
206 Cette rubrique est parfois intitulée « Für Feld und Stroh auf eine Pferdt » ou « Wegen eines Pferdes für Hardte und
Rauhfutter » : NLAH, Hann. 76c A Nr. 194, p. 483. Nr. 210, p. 458.
207 Denis Le Tourneur reçoit en 1680 une augmentation annuelle de 60 Thaler, en 1683 de 20 Thaler : NLAH,
Hann. 76c A Nr. 206, p. 437. Nr. 208, p. 467. François Robeau reçoit une augmentation de 20 Thaler, puis de 30
Thaler en juin 1683 : NLAH, Hann. 76c A Nr. 209, p. 419.

– 115 –
Chapitre 2

Au salaire régulier perçu par les musiciens s’ajoutent parfois des gratifications exceptionnelles,
motivées par un service ponctuel qui n’est généralement pas explicité. En mai 1674, Philippe La
Vigne reçoit deux chandeliers en argent dont le prix est payé directement au fabricant.208 Il s’agit
probablement d’une rétribution pour une représentation exceptionnelle, puisqu’un musicien de
Hanovre venu en renfort reçoit le même jour une gratification importante.209 Le 14 juillet 1681,
trois hautbois reçoivent une gratification: La Garenne, Beauregard et Potot.210 Le 29 mai 1686,
le Musicant und Tantzmeister Claude Pécour reçoit 200 Thaler de gratification.211
Ces considérations ne prennent en compte que ce qui est payé par la Kammerkasse. Les musi-
ciens paraissent toucher, en plus du salaire versé par la Kammerkasse, d’autres compléments subs-
tantiels prélevés sur d’autres fonds et qui n’apparaissent donc pas dans les Kammerrechnungen.
Une liste de rémunérations du personnel de 1681 fait ainsi apparaître plusieurs rémunérations
en plus des sommes versées par la Kammerkasse et distribuées par l’intendant (« Summa vom
Hr. Cemmerer » : somme reçue de l’intendant).212 Thomas de La Selle reçoit un supplément de
60 Thaler qui n’apparaît pas dans les comptes, peut-être liée à son activité d’enseignement à la
Michaelisschule de Lüneburg. Tous les musiciens reçoivent en outre un Kostgeldt de 2 Thaler par
semaine (soit 104 Thaler par an) et de l’argent pour la cire (4 Thaler 21 Groschen par an). Philippe
La Vigne touche de l’argent pour un cheval (45 Thaler. 22 Groschen et 4 denarii) ainsi que pour
payer un serviteur (52 Thaler). Son salaire total monte donc à 656 Thaler, tandis que celui des
musiciens qui gagnent le moins s’élève à 244 Thaler – soit sensiblement plus que ce que laissent
apparaître les registres de la Kammerkasse.
Compte tenu de ces différentes additions, comment se situent les musiciens dans l’échelle
des rémunérations du personnel de la cour de Celle ? Les pensions les plus élevées sont bien sûr
réservées aux grands aristocrates qui occupent des postes dans la haute administration : à titre
d’exemple, le Hofmarschall undt Oberkammerrath (administrateur de la cour et surintendant des
finances) von der Thanne touche 2.130 Thaler, le Geheimbter Rath und Großvoigt (conseiller privé
et administrateur des domaines) von Cammerstein 2.352 Thaler, et le Ober=Jägermeister (admi-
nistrateur de la chasse) de Boiselier 3.693 Thaler. Le salaire de ces hauts fonctionnaires est sans
commune mesure avec celui des musiciens : entre trois et six fois le salaire du Kapellmeister, et
entre huit et quinze fois le salaire des musiciens du rang. Ce dernier est aussi inférieur à celui
des deux aumôniers (733 et 627 Thaler) et du premier médecin (623 Thaler). Philippe La Vigne
touche un salaire comparable à celui des Hofräthe (les conseillers de la cour payés entre 642 et
682 Thaler). Avec 244 Thaler, le salaire annuel des musiciens est légèrement supérieur à celui des
cuisiniers les mieux payés (Mundtkoch, 231 Thaler), mais légèrement inférieur à celui des trom-
pettistes (Hoff= und Feldttrompeter, 288 Thaler) qui disposent de plus de prérogatives et forment
un corps organisé règlementé de manière beaucoup plus stricte.213

L’économie matérielle de la musique


Les dépenses engagées pour la musique ne se limitaient cependant pas au salaire des musiciens et
pouvaient être présentes dans d’autres rubriques : les dépenses extraordinaires (« Zu Sonderbaren

208 NLAH, Hann. 76c A Nr. 201, p. 331 : « Behueff des Musicantenmeisters la Vigne für 2 Silberne Leuchter an
Nicolaus Konnen 32 Thlr 14 gr 2 d. »
209 NLAH, Hann. 76c A Nr. 201, p. 331: « Eod. Behueff eines Musicanten von Hannover für eine Silbernes Bec-
ken, Kanne und 2 Leuchter an demselben. 86 Thlr, 12 gr. »
210 NLAH, Hann. 76c A Nr. 207, p. 363: « dem Musicanten La Garenne, 40 Thlr. Dem hautbois Beauregard laut
beÿliegenden Befehls d. 14. Jul. 1681, 20 Thlr. Dem hautbois Potot laut beÿliegenden Befehls d. 14 Jul. 1681, 40
Thlr. »
211 NLAH, Hann. 76c A Nr. 211, p. 337.
212 NLAH, Celle Br. 44 Nr. 74: Verzeichnis der Beamten und der Diener des Herzogs Georg Wilhelm und ihrer
Besoldung 1681, p. 89-96.
213 Les trompettistes de l’armée et de la cour (« Feld- et Hoftrompeter ») forment une caste de musiciens dotée de
privilèges impériaux, organisée en guilde et jouissant d’un grand prestige. Cf. Friedrich Friese, Ceremoniel und
Privilegia derer Trompeter und Paucker, sans lieu, ca. 1720.

– 116 –
Administrer la musique française

behueff ») et certaines années une rubrique spéciale consacrée au théâtre et à la musique (« Auff
Comedien und Music »). Bien des objets étaient en effet nécessaires pour faire sonner la musique,
et cette économie matérielle laisse aussi une trace dans les archives. C’est d’abord le cas des par-
titions. Le 17 décembre 1694, Leibniz se plaint au représentant diplomatique des villes hanséa-
tiques à Paris, Christophe Brosseau, du mauvais état dans lequel sont arrivés les ouvrages qu’il
avait commandés, révélant le risque du transport maritime pour les partitions : celles-ci pou-
vaient arriver à une mauvaise adresse, mais aussi être endommagées par l’eau et le sable au cours
de leur périple.214 Le philosophe déplore également le prix des copies manuscrites, beaucoup plus
élevé que celui des imprimés musicaux :
De plus dans le gros paquet, les couvertures des livres paroissoient assez endommagées par l’humidité, et
par le sable, qui s’estant mis entre deux, les avoit froissé un peu. […] Les pieces Manuscrites de Musique
sont aussi endommagées, en sorte qu’il en faudra faire copier de nouveau, ce qui n’est plus lisible. Je
croyois que c’estoient des choses imprimées, si je m’en souviens, et je ne crois pas d’avoir demandé ces
choses en Manuscrit. Cependant pourveu que la chose n’aille pas trop loin, il faudra s’en contenter. [pas-
sage suivant barré : Lorsqu’il faut aller à des sommes considerables, le meilleur est de se faire expliquer
les choses de peur d’equivoque. Car je croy qu’on en peut sçavoir le prix avant l’achat. Pour les livres, c’est
autre chose puisque cela ne sçauroit aller fort loin.] Mais j’espere que le prix sera tolerable, qu’on pourra
faire restablir ce qui est gasté, et qu’on envoyera même quelque petite instruction là dessus pour sçavoir
où s’en peuvent trouver les paroles, car nous autres icy ne sommes pas trop informés de ce qui est connu
chez vous. […] Si le prix des pieces de Musique alloit trop loin ce seroit une chose embarassante. Et on au-
roit pu prevenir cet embarras en donnant quelque avertissement touchant le prix qu’on en demande.215

Christophe Brosseau ne se laisse pourtant pas impressionner par les récriminations du bibliothé-
caire de Hanovre, et se justifie dans une lettre du 27 décembre 1694 :
Je suis toutafait surpris de ce que vous me mandez que ces livres et pieces de Musique ont esté moüillées,
veu que les caisses où elles estoient ont esté emballées avec tout le soin, et toute la précaution possible.
Celles des habits ne l’ayant point esté, elle ne devoient pas l’estre aussy, et il faut qu’on les ait laissé tom-
ber dans l’eau pour s’estre trouvées gastées de la maniére que vous me marquez qu’elles l’ont esté, car la
dépense de ces pieces de Musique non imprimées, et toutes ecrites de la main de Mr. Gridé qui passe pour
le Maistre de Paris qui note le mieux, monte seule à 346 łł 10 s. et ça esté pour luy un travail de 4 mois.
a l’egard des livres. J’en ay payé 404 łł quelques sols audt Sr. de la Lande suivant son mémoire quittancé
qu’on a envoyé il y a trois mois a Monsr. Ballati.216

Christophe Brosseau s’est donc adressé à un copiste, qu’il qualifie comme l’un des meilleurs de Paris,
pour faire réaliser la musique commandée depuis Hanovre – aucune information supplémentaire
sur ce Gridé n’a pu être trouvée. La cour de Celle se faisait aussi envoyer des imprimés musicaux de
manière régulière depuis Paris : elle rémunère entre 1671 et 1686 le musicien Du Matin à hauteur
de 71 Thaler par semestre « pour envoyer continuellement les nouveaux airs imprimés ».217
Il fallait aussi acheter des instruments de musique. À Celle, un achat d’instruments à
Crémone est indiqué le 16 juin 1669, à peine trois ans après l’arrivée des premiers musiciens.218
Cet achat nous renseigne sur la provenance des instruments à cordes utilisés par les musiciens,
qui venaient apparemment de la légendaire cité italienne où étaient produits les Stradivarius.

214 Sur Christophe Brosseau, voir Marie-Louise Pelus-Kaplan, « Christophe Brosseau, résident hanséatique à
Paris, et son action de 1689 à 1717 » in: Les relations entre la France et les villes hanséatiques de Hambourg, Brême
et Lübeck. Moyen Âge – xixe siècle, dir. Isabelle Richefort et Burghart Schmidt, Bruxelles 2006, p. 401-421.
215 Lettre de Gottfried Wilhelm Leibniz à Christophe Brosseau, Hanovre, 17 déc. 1694. Gottfried Wilhelm Leib-
niz, Sämtliche Schriften und Briefe I/10, éd. Gerda Utermöhlen, Günter Scheel et Kurt Müller, Berlin 1979,
p. 644-645.
216 Lettre de Christophe Brosseau à Gottfried Wilhelm Leibniz, Paris, 27 déc. 1694. Leibniz, Sämtliche Schriften
und Briefe I/10, p. 657.
217 Voir par exemple Hann. 76c A Nr. 196, p. 354 : « dem Musicanten zu Pariß N. Du Matin wegen continuirlich
zu überschickenden neüen gedrückten Aires. 17 Thlr 24 gr. »
218 NLAH, Hann. 76c A Nr. 195, p. 353 : « Eodem [= 16 juin 1689] demselben [= Stechinelli] wegen Musicalische
instrumente von Cremona zubringen, 22 Thlr. »

– 117 –
Chapitre 2

Il s’agissait là visiblement d’une pratique courante y compris pour la musique française : Jean-
Baptiste Volumier, maître des concerts à la cour de Dresde, se rend lui aussi à Crémone en juillet
1715 pour superviser la fabrication, dans les ateliers de Stradivarius, de douze violons pour la
Hofkapelle de Dresde.219 Plus tôt dans le xviie siècle, on trouve l’indication que des musiciens
français jouent sur ces instruments : un contrat d’association signé à Paris en 1643, où figure
Henri Le Tourneur, le père de Denis Le Tourneur, requiert des musiciens qu’ils jouent sur des
instruments de Crémone, alors même que la désignation des instruments se fait selon la tradition
française qui divise la famille des cordes en cinq types d’instruments.220 Enfin, d’autres objets
plus inhabituels apparaissent au fil de la comptabilité, montrant en pointillé l’émergence d’une
culture matérielle spécifique attachée au patronage de musique française : des castagnettes sont
achetées à Claude Pécour221, un plat d’argent est offert au comédien Nanteuil222, tandis que le
maître de danse des pages fournit du papier pour le ballet, pour un usage qui reste mystérieux.223

Négocier les goûts réunis


C’est en 1755, dans son autobiographie, que Quantz lâche à propos de l’orchestre de Dresde une ex-
pression destinée à faire fortune : vermischter Geschmack – le goût mêlé, ou encore les goûts réunis :
En mai de l’année 1716, je me rendis à Dresde. […] L’orchestre royal était alors déjà particulièrement flo-
rissant. Grâce à la manière égale de jouer, introduite par le feu maître des concerts Volumier, il se distin-
guait déjà de beaucoup d’autres orchestres : si bien que par la suite, sous la direction de son successeur le
maître des concerts Monsieur Pisendel, grâce à l’introduction d’un goût mêlé, il fut peu à peu élevé à une
telle finesse dans l’exécution que, de tous mes voyages ultérieurs, je n’en ai jamais entendu de meilleur.224

À travers la notion de goûts réunis, cet hommage rétrospectif à la Hofkapelle de Dresde mobilise
une notion centrale dans la théorie musicale du xviiie siècle que Quantz avait déjà développée
dans son traité de 1752 sur la flûte traversière. Mais la notion développée ici n’est pas purement
esthétique. Au contraire, elle possède un soubassement administratif très concret, puisqu’elle
provient en droite ligne d’une réalité institutionnelle très tangible et localisée qui réunit, au sein
la Hofkapelle de Dresde, des musiciens français avec des musiciens italiens. Reconstruire avec
précision cette réalité institutionnelle, les tensions auxquelles elle donna lieu et la manière dont
elle fut gérée par l’administration forme donc une étape décisive pour comprendre les enjeux de
la notion de goûts réunis. En effet, la vision quelque peu irénique présentée par Quantz ne dit
pas la difficulté qu’il y avait, pour l’administration, à faire coexister et souvent collaborer des
musiciens d’origines diverses, qui avaient souvent une compréhension différente de leur métier
et des pratiques musicales bien distinctes.

219 Kai Köpp, « Woulmyer, Jean-Baptiste », in : MGG online. Un inventaire non daté de la cour de Weimar porte
aussi la trace d’un instrument acheté par Volumier à Crémone. HStA Weimar, Hof- und Haushaltwesen, A
9274, fol. 1 : « 5. Ein Cremoneser von Volumine aus dresden Leib Violino ».
220 Jurgens, Documents du minutier central, vol. 2, p. 403-407 : « Plus est accordé que tous les associez auront tous
instrumens de Cremonne. »
221 NLAH, Hann. 76c A Nr. 214, p. 486 : « für Bücher und 4. paar Castagnettes dem Tantzmeister Pecour. »
222 NLAH, Hann. 76c A Nr. 200, p. 894 : « Für ein Silbergeschir an dem Comoedianten Nantueille. »
223 NLAH, Hann. 76c A Nr. 208, p. 356 : « dem Pagen Praeceptor Torneman für Pappier zum Ballet. »
224 L’autobiographie de Johann Joachim Quantz est publiée par Friedrich Wilhelm Marpurg, Historisch-Kritische
Beyträge zur Aufnahme der Musik, 1, 1755, p. 206 : « Im März des 1716 Jahres, begab ich mich nach Dresden.
[…] Das Königliche Orchester war zu der Zeit schon in besonderm Flor. Durch die, von dem damaligen
Concertmeister Volümier eingeführte französische egale Art des Vortrags, unterschied es sich bereits von
vielen andern Orchestern: so wie es nachgehends, unter der Anführung des folgenden Concertmeisters Herrn
Pisendel, durch Einführung eines vermischten Geschmacks, immer nach und nach zu solcher Feinigkeit der
Ausführung gebracht worden; daß ich auf allen meinen künftigen Reisen, kein bessers gehört habe. » L’his-
toriographie française utilise plus fréquemment le terme de « goûts réunis » employée dès 1724 par François
Couperin dans Les Goûts-réünis ou Nouveaux Concerts, Paris 1724.

– 118 –
Administrer la musique française

Pratiques d’hybridation
Les goûts réunis devaient donc d’abord être négociés sur le terrain de la vie quotidienne avant
que de se voir reflétés ou mis en pratique dans un style d’exécution ou encore dans des œuvres
musicales. Si cette négociation s’avéra particulièrement ardue à la cour de Dresde, où la distinc-
tion entre musiciens français et italiens était redoublée par une différence de patrons qui rendait
délicate leur unification au sein d’un même ensemble, elle fut beaucoup plus pacifique à Hanovre,
où tous les musiciens étaient placés sous l’autorité d’un seul protecteur, le duc Ernst August.

Horticulture et musique : des structures bicéphales


Dès le milieu des années 1690, dans la dédicace de son Florilegium primum, son premier recueil de
pièces dans le style français, Georg Muffat avait esquissé le rapprochement suivant :
La Musique a cela de commun avec les fleurs, qu’elle craint l’ombre, & le froid : & qu’elle se fomente,
& croit par la vertu de la lumiere, & de la chaleur. […] Or comme la variété des plantes & des fleurs est
le plus grand charme des Jardins ; & que la perfection des hommes Illustres eclate dans la diversité de
plusieurs vertus unies ensembles pour la gloire, & d’une sagesse, & Vertu de diverses formes, & especes,
Il ne me falloit pas servir d’un simple style seul, ou d’une même methode ; mais selon les occurrences du
plus sçavant mélange que J’aye pû acquerir par la pratique de diverses nations.225

La comparaison entre la musique et l’art des jardins n’était pas seulement une fleur de rhétorique :
au contraire, le « savant mélange » des styles est le pendant direct des greffes et des sélections
florales entreprises par le botaniste. Le dédicataire du volume, l’évêque de Passau Johann Philipp
von Lamberg (1651-1712) qui était aussi le nouvel employeur de Muffat, entamait l’année même
de la parution du Florilegium Primum la rénovation des jardins de sa résidence d’été à Hacklberg,
les faisant doter d’une orangerie, d’une figuerie, d’une serre pour les ananas, et surtout d’une série
de fontaines en cascade dessinées par Thomas Diesel.226 De son côté, Muffat avait déjà publié une
collection de pièces italiennes placée sous les auspices de Corelli en 1681, sous le titre Armonico
Tributo. Il se proposait donc désormais de compléter sa collection par des essences musicales fran-
çaises qu’il voulait acclimater dans son nouveau lieu d’exercice.227
En Basse-Saxe, la distinction entre jardins à la française et jardins à l’italienne était égale-
ment structurante depuis longtemps : dès 1663, le duc de Wolfenbüttel Anton Ulrich avait fait
ériger un jardin italien à Salzdahlum, sous la supervision de Johann Balthasar Lauterbach et de
Hermann Korb. Tous les codes du jardin à l’italienne étaient présents : terrasses étagées, motifs
géométriques, statues de marbre, superficie moyenne, et même corps de logis construit d’après le
modèle des villas italiennes.228 À Hanovre, un projet de jardin à la française vit le jour entre 1687
et 1689 autour du pavillon de plaisir de Herrenhausen : explicitement conçu comme un pendant au
jardin de Salzdahlum, il était doté d’une orangerie et d’un théâtre d’extérieur et fut réalisé avec la
collaboration du jardinier Martin Charbonnier (Illustration de couverture). À Celle, où un jardin à
la française avait été aménagé au sud des murailles de la ville à partir de 1670, la bicéphalie du style
français et du style italien s’étendait aussi à bien d’autres domaines de la vie culturelle. Les listes de
comptes font apparaître deux jardins : un jardin français, conçu par le jardinier Henri Péronnet,
puis placé à partir de 1690 sous la direction de René Dahuron, auteur d’un traité sur la taille et la
culture des arbres publié chez l’imprimeur de la cour de Celle André Holwein, qui imprimait aussi

225 Georg Muffat, Florilegium Primum, éd. Heinrich Rietsch, Vienne 1894 [Augsburg 1695], p. 17.
226 Heike Juliane Zech, Kaskaden in der deutschten Gartenkunst des 18. Jahrhunderts. Vom architektonischen Brunnen
zum naturimitierenden Wasserfall, Vienne 2010, p. 87-88. Sur le jardin de la résidence principale à Passau, dont
la restauration commença l’année suivante en 1696, cf. Edith Schmidmaier, Die fürstbischöflichen Residenzen in
Passau, Francfort 1994, p. 170-188.
227 Muffat, Florilegium Primum, p. 17 : « Par cette heureuse transplantation, Monseign. je me suis vû tout aussitôt
comblé de tout ce que la douceur de l’air & la fertilité du terrein peuvent contribuer de meilleur aux fleurs »
228 Urs Boeck, « Gartenkunst in Niedersachsen vom Mittelalter bis zum Ende des 18. Jahrhunderts », in : Histo-
rische Gärten in Niedersachsen. Katalog der Landesaustellung, Langenhagen 2000, p. 15-29, ici p. 19.

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Chapitre 2

les livrets de divertissements français229 ; et un jardin italien, sur lequel fut bâti en 1925 le célèbre
quartier « Siedlung Italienischer Garten » par l’architecte Otto Haesler. Mais cette distinction
s’appliquait aussi au théâtre, puisque la cour de Celle avait une troupe de comédiens français dirigée
par Boncourt, doublée d’une troupe d’Italiens placée sous la direction de Constantin.

Les musiciens français et l’ascencion de Steffani


Au moment où elle apparaissait dans le domaine de la musique, la dichotomie des styles français
et italien avait donc déjà une histoire dans l’art des jardins et dans le théâtre. À Hanovre, les
musiciens français restèrent majoritaires dans la Hofkapelle pendant tout le règne d’Ernst August,
mais celui-ci n’en conservait pas moins une forte inclination pour l’opéra italien : dès son instal-
lation à Hanovre, seulement quelques semaines après avoir reçu l’hommage de la bourgeoisie de
la ville, il se rendit à Venise pour y passer le carnaval – et continua à passer plusieurs mois dans la
cité des Doges au cours des années suivantes.230 Les musiciens français pouvaient d’ailleurs faire
partie de la suite qui accompagnait la famille ducale à Venise : en 1684, Jean-Baptiste Farinel,
Pierre Vezin et Stéphane Valoy firent partie du voyage.231 Vingt ans plus tôt, lorsqu’Ernst August
n’était encore qu’évêque d’Osnabrück, les « violons François » avait déjà fait partie d’un voyage
à Venise.232 Ces fréquents déplacements dans la péninsule italienne n’allaient cependant pas sans
poser des problèmes de gouvernance causés par les longues absences des souverains, ainsi que des
dépenses considérables. Les dignitaires de la cour de Hanovre offrirent ainsi Ernst August de
construire sur place un nouvel opéra : la salle de théâtre construite par Johann Friedrich entre
1676 et 1678, avec une jauge modeste de 408 places, se prêtait en effet très bien au théâtre parlé
mais beaucoup moins à l’opéra. Un terrain fut donc acheté en décembre 1687, un compositeur
italien recruté en la personne d’Agostino Steffani, et les travaux commencèrent.
L’inauguration de ce nouveau complexe architectural eut lieu en janvier 1689, avec la pro-
duction de l’opéra Henrico Leone, mis en musique par Agostino Steffani sur un livret de Ortensio
Mauro, dont l’action située à Lüneburg rappelait les origines glorieuses de la dynastie des Guelfes,
sur laquelle Leibniz avait déjà planché lors d’un voyage d'études généalogiques à travers tout
l’Empire.233 Agostino Steffani, le compositeur de l’opéra et nouvel homme fort de la cour, avait
déjà travaillé comme compositeur à la cour de Bavière et fut recruté par Leibniz alors qu’il effec-
tuait un séjour de dix mois à Paris (1678-1679). Pendant les dix années suivantes, Steffani continua
à composer des opéras pour la cour de Hanovre, livrant ainsi un corpus considérable tant par son
ampleur que par sa qualité. Tous ces opéras furent repris sur les scènes de l’Empire jusqu’en 1700 –
à l’opéra du Gänsemarkt à Hambourg et à l’opéra de Braunschweig, mais également à Augsburg
et Stuttgart – et l’Orlando Generoso (1691) donna même lieu à plusieurs publications par extraits,
notamment les mouvements instrumentaux publiés en 1705 par Roger à Amsterdam.234
L’identité du personnel musical actif dans la production des opéras de Steffani demeure
difficile à déterminer, puisque les chanteurs italiens que l’on faisait venir pour chaque saison
n’étaient pas payés directement par la cour, mais sur les deniers personnels d’Ernst August qui
réussissait apparemment à couvrir l’intégralité des coûts du nouvel opéra avec les revenus qu’il
percevait comme évêque d’Osnabrück. De ce fait, aucune dépense pour l’opéra n’apparaît dans

229 René Dahuron, Traité de la taille des arbres, et de la manière de les bien élever, Celle 1692.
230 Fischer, Musik in Hannover, p. 8-9.
231 Fischer, Musik in Hannover, p. 9.
232 Lettre de Sophie de Hanovre à Karl Ludwig von der Pfalz, Venise, 29 août 1664. Bodemann, Briefwechsel, p. 76-
77 : « L’apresdiné toute la companie nous y venoit trouver et nous les fimes danser à l’Engloise apres la musique
de nos violons François, qui faisoient un effect admirable dans cette belle salle sur une galerie ballustrée, qui
va tout à l’entour. »
233 Colin Timms, Polymath of the Baroque. Agostino Steffani and His Music, Oxford 2003, p. 49-56. Christian See-
bald, Libretti vom « Mittelalter ». Entdeckungen von Historie in der (nord)deutschen und europäischen Oper um 1700,
Tübingen 2009, p. 73-136.
234 Timms, Polymath of the Baroque, p. 177.

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Administrer la musique française

les Kammerrechnungen, et comme les comptes privés ne sont pas conservés, nous ne disposons
plus des listes de personnel – à l’exception d’un seul bordereau non daté, qui mentionne parmi le
personnel pour l’année 1689 (outre plusieurs chanteurs) six musiciens italiens (« Sechs Italienische
Musicanten ») et deux musiciens français (« Frantzösische Musicante »).235 La collaboration entre
les chanteurs italiens et les musiciens français en poste dans la Hofkapelle de Hanovre, si elle est
très peu documentée dans les archives, peut en revanche être décelée dans les sources musicales
elles-mêmes. Plusieurs indices montrent en effet que Agostino Steffani a très vite adapté ses pra-
tiques d’orchestration et de composition à la nomenclature et au style typiquement français de
l’ensemble orchestral de Hanovre.236
Certaines particularités sont présentes dès le début de son activité à Hanovre : son écriture
remarquable pour le hautbois, ainsi que sa prédilection pour le trio de bois à la française (avec
deux hautbois et un basson), ou encore l’insertion d’indications de jeu et de noms d’instruments
en français. Son premier opéra Henrico Leone débute ainsi avec un air accompagné par un trio
de bois à la française (« Tra le braccia de la morte ») : Steffani exploite donc ce point fort de
l’orchestre dès les premières mesures qu’il compose pour Hanovre. D’autres caractéristiques sont
plus lentes à venir : les deux premiers opéras composés pour Hanovre en 1689 (Henrico Leone et
La lotta d’Hercole con Acheelo) utilisent encore un ensemble de cordes à l’italienne, avec deux par-
ties de violons et une partie d’alto comme il l’avait pratiqué à Munich (sol 1, sol 2, ut 3, fa 4). Mais
dans tous ses opéras ultérieurs, Steffani fait usage de clés françaises avec deux parties d’alto.237
Ces différents éléments – ainsi que peut-être, comme le suppose Graham Sadler, l’ornementation
et l’usage des sourdines pour le violon – montrent que Steffani travaillait avec un ensemble ins-
trumental largement pétri de pratiques musicales d’origine française. En revanche, son écriture
vocale demeure toujours largement italienne, non seulement bien sûr du point de vue linguis-
tique, mais aussi sur le plan du style musical.
Cette collaboration inédite entre musiciens français et italiens est l’un des premiers exemples
de « goûts réunis » en action sur le territoire de l’Empire. Elle est également visible sur le plan
social : en 1688, le chef des violons français du duc de Hanovre, Jean-Baptiste Farinel, épousa la
célèbre soprano vénitienne Vittoria Tarquini.238 Parmi les témoins du mariage figurent entre
autres un ferrarais, un siennois et un vénitien. Vittoria Tarquini, surnommée « La Bombace »,
rentre plus tard au service du duc Ferdinand de Médicis à Venise en 1707. Elle doit une partie de
sa célébrité au fait d’avoir eu une hypothétique liaison avec Händel lorsque celui-ci était à Venise
au service des Médicis.239 Si l’on peut se demander quelle fut la nature exacte des relations matri-
moniales entre Farinel, actif à Hanovre, et une soprano qui passait le plus clair de son temps en
Italie, ce mariage est intéressant du point de vue social : à la différence des autres musiciens fran-
çais du rang, Farinel est en lien avec le monde musical italien le plus prestigieux de son époque.
Ceci peut expliquer la confusion que fait Mattheson sur son origine, lorsqu’il affirme savoir « de
source sûre » que Jean-Baptiste Farinel est l’oncle du castrat italien Carlo Broschi, dit Farinelli.240
Curieusement, Farinel ne fait pas baptiser d’enfants à l’église catholique de Hanovre.

235 NLAH, Dep. 103 IV Nr. 300, fol. 9. Cf. Helen Coffey, « Opera for the House of Brunswick-Lüneburg : Italian
Singers at the Hanover Court », in : Agostino Steffani. Europäischer Komponist, hannoverscher Diplomat und Bischof
der Leibniz-Zeit, dir. Claudia Kaufold, Nicole K. Strohmann et Colin Timms, Göttingen 2017, p. 107-122.
236 Voir en particulier Graham Sadler, « Agostino Steffani and the French Style », in : Agostino Steffani. Europäi-
scher Komponist, hannoverscher Diplomat und Bischof der Leibniz-Zeit, dir. Claudia Kaufold, Nicole K. Stroh-
mann et Colin Timms, Göttingen 2017, p. 67-87.
237 Sadler, « Agostino Steffani and the French Style », p. 73.
238 BAHild, KB Nr. 778, Hannover St. Clemens, Traubuch 1667-1711, 8 janv. 1698, p. 75 : « ego idem conjuxi matri-
monio dominum Joannem Baptistam Farinelli Toringum et Dominam Vittoriam Tarquini Venetam, praesen-
tibus testibus dominis Carolo Victa Farrariensi, Joseph Guidi Senesi, et Francisco Olinieri Veneto, alÿsque. »
239 Ellen Harris, Handel as Orpheus. Voice and Desire in the Chamber Cantatas, Cambridge 2001, p. 180.
240 Johann Mattheson, Der Vollkommene Capellmeister, Hambourg 1740, p. 483.

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Chapitre 2

La culture des goûts réunis à Hanovre trouve une expression particulièrement forte dans les
Concerti da camera publiés chez Roger en 1714 par Venturini. Le titre et la dédicace du volume,
rédigée en italien, placent d’emblée la production musicale de Venturini sous le signe de l’Italie
tout en soulignant l’importance de sa formation à la cour de Hanovre, où il affirme avoir appris son
« métier de l’harmonie ».241 Ceci n’est pas étonnant si l’on considère que Venturini a été formé par
Farinel, comme l’affirme Walther.242 La composition du recueil trahit dans le détail un mélange
très poussé du style français et du style italien. Chaque « Sonate » comprend en effet plusieurs
mouvements dont l’intitulé est habituellement rédigé en français (Allemande, Gavotte, Menuet,
etc.), et se trouve introduite alternativement par une ouverture à la française ou par mouvement
vif concertant, à la manière d’un premier mouvement de concerto italien pour violon. Les Concerti
de Venturini sont donc un formidable témoignage musical d’une identité culturelle indissociable-
ment italienne et française, qui reflète les pratiques musicales et les orientations stylistiques de la
Hofkapelle de Hanovre. Après la mort de sa première femme en janvier 1730, François Venturini
se remarie d’ailleurs avec une certaine Anna Martha Calegari sans doute d’origine italienne.243

La musique française en question


L’année 1717 peut être qualifiée sans trop d’exagération d’annus horribilis pour la musique française
à Dresde : le prince électoral de Saxe Friedrich August II, dont le séjour à Venise s’éternisait
plus que de coutume et de raison, imposa à son père et à toute la cour la présence de musiciens
italiens de premier plan, dont l’arrivée à la fin de l’été faisait concurrence aux musiciens français
et allemands déjà présents dans la Hofkapelle de Dresde, dont elle venait troubler l’organisation
et les membres. Quelques mois plus tard, vers l’automne, Louis Marchand, organiste du roi à
la chapelle royale de Versailles et virtuose international, refusa le poste d’organiste de la cour
de Dresde avant de s’enfuir de la ville de façon humiliante suite aux intrigues de Jean-Baptiste
Volumier, si du moins l’on en croit le récit donné dans la nécrologie de Bach. Ces deux indices
marquent de façon différente, mais bien réelle, une remise en question de la place de la musique
française à Dresde – fragilisation également lisible à travers les archives de la cour.

Musique française, musique italienne : un royal affrontement


Le conflit qui se joue entre Auguste le Fort et le prince Friedrich August au début de l’année
1717 autour de l’engagement de musiciens italiens à la cour de Dresde est le premier épisode
d’un processus passionnant qui place les musiciens et la question des styles nationaux au cœur
d’une lutte de pouvoir. En effet, le prince avait engagé pendant son séjour à Venise plusieurs
musiciens italiens de premier plan pour son service personnel, mais qu’il souhaitait voir engagés
à Dresde, notamment en vue de son mariage pour lequel les négociations étaient déjà entamées.
Parmi eux se trouvaient notamment le compositeur Antonio Lotti avec sa femme Santa Stella,
le violoniste Veracini, ainsi que plusieurs chanteurs : la soprano Margherita Catterina Zani (la
Maruccini), la contre-alto Lucia Gaggi (la Bavarini), les castrats Francesco Bernardi (Senesino)
et Matteo Berselli, ainsi que le ténor Francesco Guicciardi. Le compositeur allemand Johann
David Heinichen, qui avait séjourné en Italie de nombreuses années où il avait connu un grand
succès et s’était illustré dans la composition de genres italiens comme l’opéra et le concerto, faisait
également partie du personnel musical engagé par le prince. On trouvait enfin le poète Luccini
et le contrebassiste Geramolo Personelli.244

241 François Venturini, Concerti di camera, vol. 1, Amsterdam, 1714, dédicace non paginée.
242 Walther, Musicalisches Lexicon, p. 629 : « Venturini (Francesco) ein annoch lebender berühmter Violinist, und
Concert-Meister beym Churfürsten zu Hannover, Georg Ludwig, (der nachhero König in England geworden)
hat ein aus 4 bis 9 Instrumenten gesetztes Concerten-Werck bey Roger zu Amsterdam graviren lassen. Er ist
ein Scholar des Hrn. Farinelli. »
243 BAHild, KB Nr. 782, Hannover St. Clemens, Beerdigungen 1711-1833, 13 janv. 1730, p. 85. BAHild, KB Nr. 781,
Hannover St. Clemens, Traubuch 1711-1843, 7 déc. 1730, p. 50.
244 Fürstenau, Zur Geschichte, vol. 2, p. 105.

– 122 –
Administrer la musique française

La correspondance entre le prince et son père fait clairement apparaître les résistances op-
posée par Auguste le Fort à l’idée de voir débarquer en Saxe des virtuosi italiens placés sous la
protection de son fils, et par là même susceptibles de contester la hiérarchie établie et de semer
la confusion parmi les membres de l’orchestre. Mis devant le fait accompli, Auguste le Fort dut
pourtant céder de bonne grâce et prendre les devants pour limiter les dégâts. Une lettre adressée
à l’accompagnateur du prince témoigne de ses premières tentatives pour devancer, et dans une
certaine mesure contenir, les vélléités de mécénat musical de son fils Friedrich August :
Monsieur le Palatin de Livonie, Il me souvient que le Prince Royal mon Fils avoit souhaitté cy-devant
d’amener des Chanteurs et des Chanteuses Italiens, et qu’il en avoit même deja engagé quelques uns.
Comme le Prince se trouve présentement à Venise, Je luy donne la permission, et même la commission
d’en engager autant qu’il en faut pour former une Chapelle de voix complette, qui puissent servir à
l’Eglise et former un Opera. Pour des Virtuosi d’Instruments, nous n’en avons pas besoin ayant un
Orquestre complet. […] il sera necessaire d’engager un machiniste, et un compositeur ; pour ce qui est
d’un Maître de Chapelle, nous en avons déjà un.245

Les principaux éléments de la négociation étaient donc posés d’emblée : le roi accepte d’engager un
ensemble de chanteurs italiens, mais ils devront être actif à la fois à l’opéra et à l’église. Il décline
donc l’idée initiale du prince d’engager des chanteurs uniquement pour l’opéra et refuse l’idée
d’avoir des instrumentistes ou d’engager un nouveau maître de chapelle, poste occupé depuis 1697
par Johann Christoph Schmidt. Un mémoire adressé le 28 mars 1717 depuis Venise par le prince à
son secrétaire particulier et valet de chambre Peter Hoffmann vient révéler les moyens mobilisés
par le prince pour mener à bien la négociation avec son père : il redouble sa propre communica-
tion écrite par un plaidoyer « de bouche » dont il charge son secrétaire, intervient directement
auprès du Hofmarschall, le plus haut responsable administratif de la cour, pour lui recommander
ses musiciens, et s’inquiète de la réception qui leur sera faite à la cour de Dresde.246 Ce mémoire est
assorti d’un second document intitulé « Réponses du Prince Royal », dans lequel Friedrich August
résume les observations de son père avant d’apporter une réponse détaillée à chacune d’entre elles
(Tableau 2.8).247 On voit ici réapparaître les conditions déjà formulées par Auguste le Fort en 1716,
explicitées et assorties de nouvelles réserves. Le roi refuse à nouveau l’idée d’employer Heinichen :
si Antonio Lotti peut composer les opéras, c’est Schmidt qui continuera à assurer exclusivement
les fonctions de Kapellmeister. Il accepte en revanche d’engager Veracini comme instrumentiste,
mais à la condition seulement qu’il ne dérange pas l’orchestre. Enfin, il réaffirme son opposition
à l’idée d’employer des chanteurs spécialement pour la chapelle. Le ton de ces remarques marque
une certaine réticence vis-à-vis des initiatives musicales du prince à Venise. Ce dernier semble d’ail-
leurs avoir parfaitement cerné leur conflictualité potentielle, puisqu’il apporte à chacune d’elle une
réponse à la fois détaillée, respectueuse et pleine de soumission.
L’un des enjeux décisifs de la négociation était bien entendu le prix des musiciens italiens.
Mais là encore, le prince fait montre de prudence : lorsqu’il envoie Veracini « en Italie pour y en-
gager deux chanteuses et un Contre-Alto pour le Service du Roi » quelques mois plus trad, il fait
écrire une lettre à Watzdorf pour le prier de « remettre quelque argent afin que Veracini puisse
s’en servir pour fournir aux frais de la depense que l’obtien de ces trois personnes exigera », mais
aussi pour lui demander « jusqu’à combien S[a] M[ajesté] pourroit étendre la somme d’argent

245 Lettre d’Auguste le Fort à Józef Kos, Varsovie, 15 fév. 1716. HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc.
907/2, fol. 31-32.
246 Lettre de Friedrich August II à Peter Hofmann, Venise, 28 mars 1717. HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabi-
nett, Loc. 383/2, fol. 48. Voici quelques ordres donnés par le prince à Hoffmann : « 2. Supplier Sa M. de lui per-
mettre d’exposer de bouche [ce] dont je l’ai chargé au sujet de Lotti, Mauro, et autres Musiciens pour l’opera. 3.
De les recommender de ma part à M. le grand Marechal, et à ceux à qui ils auront à faire. 4. Demender de ma
part l’ordre de Sa M. pour choisir les quarties convenables pour eux à leurs [sic] arrivée. »
247 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/2, fol. 49 sq. Le document original est présenté en deux
colonnes : celle de gauche est intitulée « Extrait des Observations de Sa Majesté a faittes sur le memoire du
Prince Royal », celle de droite « Reponse du Prince Royal sur les dittes observations. »

– 123 –
Chapitre 2

Tableau 2.8. Réponse de Friedrich August II. HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/2, fol. 49 sq.
Réponse du Prince Royal sur les observations que Sa Majesté le Roy a faittes, et luy a communiquées sur son
memoire du 30. janvier 1717.
1. Sa Majesté demende combien font les 2100. Pistoles accordés à Lotti avec sa Femme Santina, à la
monnoye d’Allemagne ? Elle trouve ainsi cette somme bien fort, sur tout les fraix du voyage n’y etant pas
compris.
Ad 1. Une Pistole vaut autour d’un Louis d’or, c’est à dire 7. florins et demy d’Allemagne. Il a fallu
accorder cette somme au dit maitre Antonio Lotti pour un an, parce qu’icy à Venise on offroit à luy et à sa
femme qui est la premiere chanteuse d’Italie, 6000. Ducati de Venise pour un seul Carnaval, qui ne dure
au plus que 3 mois. Et sans ce maistre et sa Femme qui sont e[n] [ré]putation on n’auroit jamais attiré les
autres Chanteurs et Chanteuses de premier [plan].
2. Sa Majesté veut etre informée, si le machinistre Alessandro Mauro ne pretendra pas, qu’outre sa pension
qu’il touchera par an, le travail luy soit payé à part ? Au reste il seroit bon que le dit machinistre arriva en
Saxe avant les virtuosi de vois, pour travailler d’avance au Theatre.
Ad 2. Le Prince Royal a accordé au dit machiniste 1000. ducats d’or de pension par an, sans qu’on luy paye
son travail à part. Mais comme il ne peut travailler seul à touttes les machines et decorations, qu’il a besoin
specialement [pour] le commencement des Peintres et Charpantiers qui ont la [pra]tique, Mgr le Prince
ne sçachant pas s’il y en a dans le Paÿs a [cr]u pouvoir luy accorder, de [con]duire avec luy deux Peintres et
deux Charpantiers d’icy qui ont receu aussi leurs contrats selon la specification rep[roduite] sub litera A.
On luy a aussi [promis], de luy fournir d’autres ouvriers, selon la necessité du travail, lorsque ceux cy ne
suffiroient pas. Et pour qu’il ayt le tems de travailler d’avance au Theatre selon les ordres de Sa Majesté,
Mgr le Prince le fait partir avec les autres Peintres et Charpantiers immediatement apres les Fêtes.
3. Sa Majesté ordonne de specifier combien le Poette coutera ?
Ad 3. Le Poette coutera 200. Pistoles par an, le quartier franc, et les fraix du voyage à part. Il ne partira
d’icy que dans le 7bre prochain, et de ce tems là son service commencera. Comme il n’est pas l’homme
de la premiere sphere pour faire des Opera nouveaux, ces sortes de gens etants difficiles à trouver et
trop Chers, il sera bon pour composer des Oratoires, des Serenades, des Poesies pour la Musique de la
Chambre, pour abbreger ou prolonger les Scenes, et pour changer les Airs et les accomoder à la fantaisie
du Compositeur et des musiciens. Pour avoir des Opera nouveaux qui n’ont jamais paru, on en peut faire
faire par des habils Poettes en payant 100. ducats d’or de regal pour la Composition d’un nouveau livre,
et il sera approprié à l’occasion pour laquelle l’opera doit servir, commme pour un grand mariage, pour
la naissance de quelque Prince, ou pour le passage de quelque Prince etranger qu’on veut honorer.
4. Sa Majesté veut, qu’on marque en detail combien chaqu’un des Chanteurs et chanteuses pretendent tant
pour leurs pensions que pour les frais du voyage. Et comme Sa Majesté est dans l’incertitude où Elle
passera le Carnaval prochain, afin que cette depense ne soit pas inutile, Elle souhaitte qu’on les engage
tous pour le moins pour 3. ans.
Ad 4. Le Prince Royal envoit dans le papier separé sub litera A la liste des musiciens, et des gens necessaires
pour le Theatre qui sont deja actuellement engagés, et de ceux auxquels on a fait faire des propositions,
et dont on attend d’un jour à l’autre les reponses. On ne peut pas les arreter pour un tems incertain, par
exemple quand on en auroit besoin, parce qu’ils sont ordinairement engagés d’une année à l’autre pour
tant de Theatres qui sont en Italie. Si on ne les arrete pas tous ensemble, et pour un tems fixé, on ne peut
pas compter sur eux dans le besoin, car ils ne se trouveroient pas pour lors en liberté. La premiere année
etant passée on pourra les arreter plus longtems, en les traittant bien, et lorsqu’ils n’auront pas sujet de se
plaindre. Mais si on leur proposoit à present, de rester 3. ans, Mgr le Prince croit que celà les intimideroit,
specialement ceux qui ne sont jamais sorti d’icy, et qui ont de la peine à quitter leur Paÿs. Pour les fraix du
voyage, comme chaqu’un a son valet, et chaque femme sa servante, on peut compter 80 ducats d’or par
personne avec son valet pour aller, et autant pour revenir.
5. Sa Majesté ne souhaitte pas qu’on achette des Clinquans, des Pierreries, et autres etoffes pour les habits
de Theatre, jusqu’à nouvel ordre. On pourra cependant luy envoyer la spécification de ce qui sera
necessaire.
Ad 5. On n’en a rien achetté, Mgr le Prince envoye à Sa Majesté les echantillons, et la specification des
etoffes, de la quantité nécessaire, et de leur prix, pour habiller 7. acteurs et Actrices, et 60. personnes pour
la suitte appellés Comparse, sub litera B. Il envoye aussi 11. pieces des pierreries enchassées pour les faire
voir à Sa Majesté, et la specification sub litera C combien il en faut de chaque espece, avec leur prix pour
habiller richement les Acteurs. Comme selon cette specification il en faut 8222 pierres, chaque pierre
grande et petitte, l’une avec l’autre pour 10 sols de Venise, ce qui fait 550. Ecus d’Allemagne. S’il y en a
dans la garderobbe de Sa Majesté il est aisé de voir s’il n’y en a pas assés, pour pouvoir suppleer au defaut.

– 124 –
Administrer la musique française

Tableau 2.8. (suite et fin).

6. On ne peut pas si promptement remettre la Somme d’argent requise à Venise. À la foire prochaine de
Leipzig Sa Majesté qui sera alors de retour en Saxe pourra envoyer la moitié de la Somme.
Ad 6. Il n’est pas necessaire de remettre si tôt toutte la somme. Il suffit que le Banquier Jacques Bensperg,
qui a fait sur la parole de Mgr le Prince la caution à tous ceux qui sont engagés, ait presentement pour
sa sureté avis du Sr. Deeling, ou de quelque autre banquier de la Saxe, qu’on luy remettra la moitié de la
somme avant le mois d’Aout prochain, puisque ces gens là ne doivent partir que dans le 7bre, afin qu’il
puisse leur donner une partie des pensions qu’ils voudront laisser icy à leurs familles, et pour les fraix de
leur voyage, et qu’il recevra surement l’autre moitié de la somme necessaire avant la fin de cette année, ou
au comencement de l’autre. Et puisque le dit Banquier a deboursé sur la parole de S[on] A[ltesse] R[oyale]
843 ducats d’or, pour expedier le machiniste Mauro avec les deux Peintres et les Charpantiers qui partent
immediatement après les Fêtes, S[on] A[ltesse] R[oya]le supplie Sa Majesté de luy faire rembourser cet
argent promptement.
8.* Si les dits musiciens ne peuvent etre en Saxe que vers la fin du mois d’Octobre, il pourrait arriver qu’on
ne pourroit point du tout s’en servir.
Ad 8. Mgr le Prince l’a fait sur les ordres qu’il avoit recus de Sa Majesté, qu’Elle souhaittoit les avoir
pour la Foire presente de Pâques, et comme il n’a pas eté possible de les unir pour ce tems là, il a taché
de les engager et faire aller au plus tôt. Il n’a pû differer non plus de donner sa parole au maitre Antonio
Lotti de qui depend tout le reste pour en rendre compte premierement, comme il l’auroit souhaitté, à Sa
Majesté, parce qu’avant la fin du Carnaval ces gens s’engagent pour le Carnaval prochain.
9. A quoy bon le Compositeur Alleman Heinicken, puisqu’il y en a deja un pour l’Opera, et que Schmidt
est suffisant pour le reste.
Ad 9. Comme le Compositeur Lotti n’est engagé qu’au temps que Sa Majesté aura l’Opera quand Elle
voudroit avoir des voix pour la Chapelle, Mgr le Prince croit, qu’un habil compositeur comme Heinichen
qui a eté fort approuvé par les Italiens mêmes, y seroit aussi necessaire d’autant plus, qu’il l’a mis à
l’epreûve en plusieurs occasions icy, où il a tres bien reussi.
10. Sa Majesté approuve l’engagement du fameux violon Veracini, à condition que celà ne derangera rien
dans l’Orquestre.
Ad 10. Il a eté pris à cette condition.
11. Il n’est pas besoin des virtuosi des voix expres pour la Chapelle. Ceux de l’Opera doivent s’engager à y
chanter quand on le jugera à propos, comme ils font ailleurs, au moins les hommes.
Ad 11. Mgr le Prince n’en a point pris, et n’en prendra pas sans ordre exprès de Sa Majesté.
Les remarques à part.
1. Comme les pierreries specifiees dans l’article 5.me ne servent que pour garnir les habits des Acteurs et
Actrices, et qu’on en a besoin de plus fines pour la tête pour 3 Femmes, Mgr le Prince envoye à Sa Majesté
les deßeins de la grandeur requise de ces pierres, avec la specification sub litera D combien il en faudroit
pour celà, en cas qu’on n’en ait pas dans la garderobbe de Sa Majesté ? S’il en falloit faire, on les travaille
beaucoup mieux à Paris, qu’à Venise. Ce qui est pour la tête est ordinairement enchassé en argent. Pour
le prix on ne peut pas le sçavoir icy.
2. La quantité des etoffes marquées dans la specification sub litera B. dont Mgr le Prince envoit plusieurs
echantillons à Sa Majesté, sert pour habiller tous les Personnages pour un Opera, si Sa Majesté souhaitte
avoir des Opera differens, quoy que ces mêmes etoffes pourront etre employées en bonne partie pour
changer les habits, neanmoins il en faudroit avoir d’avantage pour donner plus de nouveauté. En prenant
le double des etoffes marquées on en auroit pour 3. et 4. opera differents.
3. Constantin a fait sçavoir à Mgr le Prince, que Sa Majesté luy a ordonné de chercher un chanteur pour
accompagner sa femme dans les intermedes, et qu’en vertu de cet ordre il a engagé Lucrezio Borsa pour
2000. florins par an. Si Sa Majesté souhaitte l’avoir, il faudra ajouter cette pension à celles des autres
musiciens specifiés sub litera A et pour les Fraix de son voyage.
Tout cela Monseigneur le Prince soumet aux ordres et à la disposition de Sa Majesté.
A Venise, le 20 Marz 1717.

* L’auteur a maintenu la numérotation des observations telles qu’elles figurent dans la source. L'observation 7
n’est pas mentionnée.

– 125 –
Chapitre 2

qu’Elle voudroit y employer.248 » À l’issue de ces négociations serrées, Friedrich August pouvait
avoir à juste titre le sentiment d’avoir gagné sur toute la ligne : en plus de Lotti et des chanteurs
italiens, engagés au prix fort à partir du 1er septembre 1717, il avait également réussi à faire enga-
ger Veracini et surtout Heinichen, dont Auguste le Fort avait pourtant refusé à plusieurs reprises
la présence à Dresde. Ces musiciens arrivèrent sans doute à Dresde au cours de l’été 1717. Mais
les craintes exprimées par Auguste le Fort n’étaient sans doute pas tout à fait infondées, puisque
la coexistence entre musiciens de nationalités différentes, qui plus est placés sous deux protec-
teurs différents, ne manqua pas de provoquer querelles et conflits entre les deux factions. Cette
situation aboutit à une fracture importante dans la Hofkapelle, puisque les musiciens italiens,
sous la protection de Friedrich August, furent placés directement sous l’autorité de Lotti et de
Heinichen, échappant ainsi à la tutelle du Kapellmeister Johann Christoph Schmidt, qui conser-
vait pour sa part la main haute sur les musiciens « historiques » de la Hofkapelle, placés sous la
protection naturelle d’Auguste le Fort.

L’administration face aux conflits


L’organisation de la musique, placée sous la double tutelle du Directeur des plaisirs le baron
Johann Sigismund von Mordaxt et du camérier et chef des affaires domestiques Christoph
Heinrich von Watzdorf, se trouvait donc soumise à rude épreuve. Watzdorf en particulier était
placé dans une situation délicate, car il devait ménager les susceptibilités des deux camps. Dans
sa correspondance avec le prince, il le rassure sur le traitement qui sera réservé à ses musiciens ita-
liens et l’assure qu’ils ne seront pas placés sous l’autorité du Kapellmeister Schmidt.249 Cependant,
il ne devait pas donner l’impression de trahir Auguste le Fort, mais tenter au contraire de rétablir
un minimum de concorde parmi les supérieurs de la Hofkapelle, entre lesquels les querelles de
préséance allaient bon train :
Je vois par les derniers ordres dont Vôtre Altesse Royale m’a fait la grace de m’honnorer que Schmied doit
avoir chicané Heinichen à l’egard d’un concert de sa production : comme c’est la premiere information
que j’en ay eu, et que M. Heinichen se trouve presentement absent depuis une quinzaine de jours étant
allé voir son pere aux environs de Leipzig je n’ay pas pu encore scavoir en quoi consiste son different avec
Schmied, mais j’espère de le voir à Leipzig et j’assure tres humblement V.A.R. que je luy feray rendre toute
justice possible. Quant à Volumier : il a contesté qu’il vivoit en tres bonne harmonie avec Heinichen, et
qu’il faisoit même beaucoup d’estime et de cas de ses ouvrages. Je me suis déjà donné l’honneur d’infor-
mer tres humblement V.A.R. dans celle dont j’ay chargé Mr. Hoffman comme quoi S.M. a aussi donné
ses ordres en faveur des gens d’Opera et Musiciens [que] V.A.R. a fait engager. Et j’ose tres humblement
assurer V.A.R. que quant à moy, je feray tout mon possible, que ces personnes soyent traités ici avec toute
sorte d’egard et de douceur afin qu’ils puissent être contents et se louer de leur bon traitement.250

On voit donc ici que Watzdorf occupe une fonction de médiation entre les différentes factions.
Johann Christoph Schmidt, et dans une moindre mesure Volumier, portent le conflit avec
Heinichen sur le terrain même de la musique, puisque c’est la qualité musicale même des concertos
composés par Heinichen pour la cour de Dresde qui se trouve remise en cause. Ce premier exemple
des sérieux conflits entre les anciens musiciens et les nouveaux venus est aussi le seul documenté
directement par des sources d’archives. On observe que le conflit entre les musiciens recoupe de
façon seulement partielle les lignes de partage nationales puisque Heinichen et Schmidt étaient
tous les deux nés en Saxe. Son enjeu décisif réside en fait dans des positionnements institutionnels,

248 Lettre non signée de la part de Friedrich August II à Christoph Heinrich von Watzdorf, Dresde, 2 janv. 1719.
HStA Dresden 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/2, fol. 126.
249 Lettre de Christoph Heinrich von Watzdorf à Friedrich August, Dresde, 11 sept. 1717. HStA Dresden, 10026
Geheimes Kabinett, Loc. 383/2, fol. 103 : « Outre cela je dois aussi apprendre à VAR que le Roy donnera de tels
ordres que les gens de l’opera n’auront rien à deméler avec Mr. Smit, et qu’il ne luy soit point permis de leur
causer aucun chagrin. »
250 Lettre de Christoph Heinrich von Waltzdorf à Friedrich August II, Dresde, 4 oct. 1717. HStA Dresden,
Loc. 383/2, fol. 104.

– 126 –
Administrer la musique française

puisque l’attribution du titre de Kapellmeister à Heinichen mettait très directement en danger


Schmidt, qui avait bénéficié de ce titre depuis le départ de Nicolaus Adam Strungk en 1697.
Mais l’introduction d’un nouveau contigent de musiciens italiens qui n’était pas soumis à la
juridiction du Kapellmeister ne remettait pas seulement en cause la place de la musique française,
et plus largement celle de l’ensemble des musiciens de la vieille garde. De façon beaucoup plus
fondamentale, elle engageait une recomposition profonde des structures mêmes de la musique
à la cour de Dresde. Cette modification de l’organisation de la musique produisit un certain
affolement administratif bien visible à travers le nombre anormalement élevé de listes de per-
sonnel rédigées entre 1717 et 1720.251 Celles-ci viennent révéler une structure tout à fait inédite
jusqu’alors, puisque le personnel des plaisirs (musique, danse et théâtre) est désormais réparti en
six grandes catégories (Tableau 2.9) : les Französische Sänger und Sängerinnen, un petit ensemble
de quatre chanteurs français ; les Italiänische Operisten und Musici qui regroupent le personnel de
l’opéra ; les Musici, soit tous les musiciens de l’orchestre ; les Französische Comoedianten, comédiens
français ; les Französische Tänzer und Tänzerinnen qui regroupent les danseurs français ; enfin, les
Italiänische Comoedianten, comédiens italiens qui apparaissent dans la récapitulation des sommes
engagées mais dont la liste n’est pas fournie. Les musiciens de l’orchestre sont donc les seuls qui
cohabitent au sein d’une même structure administrative rassemblant plusieurs nationalités diffé-
rentes. On note les disparités de salaire très importantes entre les Italiens et les autres musiciens.
En 1717, le poste de dépense salariale le plus important est encore celui de l’orchestre (16.450
Thaler pour 42 personnes), suivi de l’opéra (12.938 Thaler pour 17 personnes) et des artisans ita-
liens (11.922 Thaler). Viennent ensuite la comédie française (11.250 Thaler pour 26 personnes), la
danse (7.400 Thaler pour 14 personnes) et les chanteurs français (1.900 Thaler pour 4 personnes).
En 1719, l’équilibre se modifie radicalement à la faveur du mariage princier qui provoque une
augmentation drastique des dépenses de personnel : le premier poste est cette fois-ci de très loin
l’opéra italien (42.405 Thaler) tandis que l’orchestre arrive en seconde position (19.600 Thaler) et
que les autres postes demeurent comparables. En 1720, l’équilibre financier se modifie à nouveau
à la faveur de l’orchestre, les opéristes italiens ayant déjà été renvoyés à cette date.
Tableau 2.9. Nouvelle structure de la Hofkapelle 1717-1720. HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/2,
fol. 117-123, 7 août 1718.
Specificatio Derer französischen Sänger und Sängerinnen, wie auch Ihres järhl. Tractaments
[1.] 600 tl. der Bassist Pierre Guiard
[2.] 500 tl. der Sänger David Drot
[3.] 400 tl. der Sänger François Godefroy Beauregard,
[4.] 400 tl. die Sängerin Marguerite Prache,
Summa 1900 rl.
Specificatio Derer französischen Tänzer und Tänzerinnn, nebst Ihren jährl. Tractament
[1.] 2000 der Maitre des Ballets de Barques und seine Frau
[2.] 1000 die Tänzerin Le Conte oder le Gros
[3.] 1000 die Tänzerin Clement
[4.] 400 der Sous-Maitre des Ballets Corrette
[5.] 300 der Tanzmeister Thoma
[6.] 300 der Tantm. Mareschall,
[7.] 300 der Tanzm. Diechof,
[8.] 300 der Tanzm. Cadet,
[9.] 300 die Tänzerin Corrette,

251 Il existe au moins trois listes complètes qui adoptent une structure en six grands ensembles : HStA Dresden,
10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/2, fol. 117-123 (7 août 1718) et 137-142 (25 avr. 1719) ; HStA Dresden, 10077
Kollektion Schmidt Amt Dresden, Vol. 9 Nr. 306, fol. 1-10 (29 sept. 1720). D’autres listes partielles viennent
compléter cet aperçu : HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 181-183 (« Königl[iche]
Pohl[nische] und Churfürst[liche] Sächs[ische] Musik und Orchestra », 1er août 1717) et fol. 203 (« Disposition
pour deux Troupes de Comédiens et de Danseurs, en Pologne et en Saxe », 6 mai 1718) ; HStA Dresden, 10026
Geheimes Kabinett, Loc. 907/3, fol. 60 et 119 (deux listes de musiciens italiens).

– 127 –
Chapitre 2

Tableau 2.9. (suite).


[10.] 300 die Tänzerin Romainville l’ainée,
[11.] 300 die Tänzerin Romainville Cadette,
[12.] 300 die Tänzerin Maschenbauderin,
[13.] 300 die Tänzerin la Roque,
[14.] 300 die Tänzerin la France,
Summa 7400 rl.
Specificatio derer Italienischen Operisten und Ihres jährl. Tractaments
[1.] 9975 Thlr. oder 2100 Louis d’or à 4 [deniers] et 18 [grains] — der CapellMeister Lotti und seine Frau
Santa Stella, als erste Sängerin,
[2.] 3800 Thlr oder 800 Louis d’or a 4 [deniers] et 18 [grains] die Sangerin Zani
[3.] 28500 oder 600 L. d’or –– Bovarini
[4.] 6650 1400 der Sänger Senesino
[5.] 4275 900 –– Berchelli
[6.] 2850 600 –– Berensta
[7.] 2850 60 –– Guicciano [?]
[8.] 3325 70 –– Baschi
[9.] 160 oder 600 Ducat, à 2.16 g die Sängerin Constantin
[10.] 1333 8gl 2/m Thlr. der Sänger Borsani
[11.] 1700 der Cammer Compos. u Violinist Veracini
[12.] 400 der Violinist Gagi
[13.] 950 oder 200 Louis d’or à 4 [deniers] et 18 [grains] der Viol: Personelli
[14.] 960 oder 360 Ducats à 2.16 g der Poet Luchini
[15.] 200 der 1ste Souffleur Antonio Maria Peruzzi
[16.] 120 2ten Souffleur Giovanni Antonio Bon
Sa. 43338 Thlr 8 gl.

Specificatio Derer Königl. Musicorum und Ihres jährlichen Tractament


[1.] 1200 Thlr. der Capellm. Joh. Christoph Schmidt,
[2.] 1200 Thlr. der Capellm. Joh. David Heinichen,
[3.] 1200 Thlr. der Concertmeister Jean Bapt. Woulmÿer.
NB. der Cammer Compositeur Veracini stehet mit auf der Specification derer Italienischen Operisten.
[4.] 1200 Thlr. der Cammer Music. Pantaleon Hebestreit.
[5.] 500 Thlr. der Violoncel Agostino de Rossi
[6.] 500 Thlr. der Violinist Joh. George Pisendel,
[7.] 500 Thlr. der Flute=Alemande Pierre Buffardin
[8.] 500 Thlr. der Violoncell Felice Maria Pienetti [?] ou Felicetti
[9.] 500 Thlr. der Violinist Simon le Gros.
[10.] 450 Thlr. der Organist Christian Pezold
[11.] 480 Thlr. der Hautboist Joh. Christian Richter,
[12.] 400 Thlr. der Violdigambist Gottfried Bentleÿ.
[13.] 400 Thlr. der Violinist Francesco Hunt.
[14.] 400 Thlr. der Bassist Jean Cadet.
[15.] 400 Thlr. der Bassist Johann Dismas Zelencka.
[16.] 400 Thlr. der Theorbist Francesco Arigoni.
[17.] 400 Thlr. der Violinist Joh. Fried. Lotti.
[18.] 400 Thlr. der Violon Angelo Gaggi.
[19.] 350 Thlr. der Violinist Adam Rÿbizski.
[20.] 300 Thlr. der Hautboist Charles Henrion.
[21.] 300 Thlr. der Bacciste Joh. George Lehneis.
[22.] 300 Thlr. der Violon Jean Bapt. Prache.
[23.] 300 Thlr. der Waldhornist Joh. Adelberth Fischer.
[24.] 300 Thlr. der Waldhornist Joh. Adam Franz Sam.
[25.] 300 Thlr. der Organist Joh. Wolfgang Schmidt,
[26.] 280 Thlr. der Hautboist Joh. Martin Blochwitz,
[27.] 300 Thlr. der Basson Joh. Gottfried Böhme.
[28.] 200 Thlr. der Violon la France le Pere.
[29.] 250 Thlr. der Violon la France le Fils,
[30.] 280 Thlr. der Braccist Carl Joseph Rhein,

– 128 –
Administrer la musique française

Tableau 2.9. (suite et fin).


[31.] 240 Thlr. der Braccist Joh. Nartin Gelde,
[32.] 240 Thlr. der Basson Caspar Ernst Quatz,
[33.] 220 hlr. der Braccist Michael Petzschmann.
[34.] 220 Thlr. der Hautboist Martin Seÿfert.
[35.] 200 Thlr. der Braccist David Weigelt.
[36.] 200 Thlr. der Braccist Joh. Christoph Reisel
[37.] 200 Rthl. der Basson George Friedrich Köstner
[38.] 140 Thlr. Georg August Kümmelmann wegen Inspection der Instrument Cammer und reparatur derer
Instrumente.
[39.] 150 Thlr. der Orgelmacher Joh. Heinrich Gräbner die Clavicimbel zustimmen und in [gutem] Wesen
zu erhalten.
[40.] 50 Thlr. Joh. Jacob Lindner wegen derer zur Instrument Cammer jährl. zu leistene haben den
Musikalischen Copialien.
[41.] 100 Thlr. der Instrument Diener Joh. Gottlob Werner
Summa 16460 Thlr.
Specificatio derer Französischen Comoedianten und dazu gehörigen Persohnen, nebst Ihren Järhl.
Tractament.
[1.] 533 Thl. 8 gl. der Acteur du Mont.
[2.] 533 Thlr. 8 gl. die Actrice du Mont, seine Frau.
[3.] 533 Thlr. 8 gl. die Actrice Fulque.
[4.] 500 Thlr. der Acteur Clavell.
[5.] 500 Thlr. die Actrice Clavell, seine Frau.
[6.] 500 Thlr. die Actrice Villedieu, la Veuve.
[7.] 500 Thlr. der Acteur Belletour.
[8.] 500 Thlr. die Actrice Belletour.
[9.] 500 Thlr. der Acteur la Roque
[10.] 500 Thlr. die Actrice la Roque seine Frau
[11.] 500 Thlr. der Acteur d’Erval.
[12.] 500 Thlr. die Actrice d’Erval, seine Frau.
[13.] 500 Thlr. der Acteur Poisson
[14.] 500 Thlr. der Acteur Tourteville
[15.] 500 Thlr. die Actrice Tourteville, seine Tochter
[16.] 500 Thlr. die Actrice Drot.
[17.] 500 Thlr. die Actrice Beauregard.
[18.] 500 Thlr. die Actrice Romainville, la Mere.
[19.] 500 Thlr. der Acteur Hermann.
[20.] 500 Thlr. der Acteur Prevost.
[21.] 500 Thlr. der Acteur Rozanges.
[22.] 166 Thlr. 16. der Souffleur Romainville.
[23.] 166 Thlr. 16. der Decorateur la Chapelle.
[24.] 166 Thlr. 16. der Decorateur Goujont.
[25.] 100 Thlr. der Comoedien Schneider Bensun.
[26.] 50 Thlr. deßen beygehülffe Reistmann.
Summa 11250 Thlr.
16450 Thlr: die Musici.
1900 Thlr. französische Sänger und Sängerinnen,
11250 Thlr. französische Comoedianten,
7400 Thlr. französische Tänzer und Tänzerinnen
3333 Thlr. 8 gl. Italienische Comoedianten
12938 Thlr. Italienische Operisten und Musici.
11922 Thlr 16 Italienischer Bandmeister, Mahler, Zimmerleuthe, Schiffbandleuthe und dollmetzscher
[Summa summarum: 55.193 Thaler]

– 129 –
Chapitre 2

Ruptures et reconfigurations
Les festivités du mariage de Friedrich August avec Marie Josèphe d’Autriche en 1719 demeurent
dans la mémoire collective comme un point culminant de la vie de cour à Dresde pour l’ensemble
du xviiie siècle. De nombreuses gravures commandées par la cour eurent pour fonction d’immor-
taliser les somptueux divertissements donnés par l’électeur de Saxe à cette occasion et de perpé-
tuer leur mémoire.252 La musique occupa bien entendu une large place dans les festivités, non
seulement à travers la musique d’église et la production de plusieurs opéras, mais aussi avec un
divertissement en français composé par le Kapellmeister Johann Christoph Schmidt – une excep-
tion remarquable qui doit sans doute davantage être interprétée comme le résultat de l'interven-
tion personnelle d'Auguste le Fort que comme le reflet des préférences personnelles de son fils.

Un divertissement français
Étant donné que l’opéra italien se taillait la part du lion dans la programmation, l’un des enjeux
pour l’administration était de garantir que tous les salariés aient suffisamment de travail. Dans
une lettre probablement adressée à Christoph Heinrich von Watzdorf depuis Venise le 15 mai
1717, l’accompagnateur du prince Józef Kos écrivait :
Votre Excellence ne trouvera pas non plus le nom de Lucrezio Borsani dans la liste mentionnée [qui
contient le nom des musiciens italiens employés], qui est un chanteur pour les intermedes en musique,
S[on] A[ltesse] R[oya]le ayant eté de l’opinion, que les intermedes chantés prolongeoient trop l’Opera,
et que Sa Majesté ayant des Danceurs et des Danceuses, le vide entre les Actes pouvoir être rempli plus
noblement par les ballets comme en France, et qu’on ne fait pas des intermedes dans les grands Opera
même en Italie.253

Le ministre Wackerbarth, dans une lettre qu’il adresse au librettiste italien Stefano Pallavicini
depuis Dresde, reprend cette indication en insistant sur le fait que « l’Opera en tout je n’en
exempte pas meme les ballets et le Prologue, ne passe gueres les trois heures, et je vous dit pour
votre avertissement, que nous avons un grand nombre de danseurs et de danseuses, auxquels
il faut trouver moyen de donner de la besogne.254 » L’administration prenait donc en charge le
bon fonctionnement de la machine pléthorique que formaient alors les Plaisirs du Roy et leur
centaine d’employés, quitte à bousculer les conventions musicales établies et la logique interne
des genres sollicités : les opéras italiens donnés en 1719 furent donc accompagnés d’intermèdes
dansés, comme c’était l’usage en France.
Un autre évènement devait également donner du travail aux chanteurs et danseurs français,
tout en assurant la représentation de la musique française : le divertissement des Quatre saisons,
dont le comédien Poisson avait écrit le livret en langue française et le maître à danser Debargues
composé les ballets sur une musique de Johann Christoph Schmidt, le maître de chapelle en titre.
Seul le livret de ce divertissement est conservé.255 L’avant-propos souligne l’intervention person-
nelle d’Auguste le Fort dans la planification et la conception de cette « espèce d’Opéra françois »,
qui fut joué et chanté non par des professionnels, mais par des membres de la cour :
Entre tous les Divertissemens, que le Roy a lui même ordonnez & reglez, pour le Mariage de Son Altesse
Royale de Pologne & Electorale de Saxe, Monseigneur le Prince son fils, Sa Majesté a souhaitté, qu’il y eût un
[sic] espece d’Opera françois ; & voulant, qu’il fût varié & magnifique, sans être d’une grande étendüe,

252 Sur le recueil qui rassemble ces gravures, cf. Monika Schlechte, « “Recueils des dessins et gravures représen-
tant les solemnites du mariages”. Das Dresdner Fest von 1719 im Bild », in : Image et Spectacle, dir. Pierre Béhar,
Amsterdam 1993, p. 117-167. Sur l’iconographie des fêtes de cour sous Auguste le Fort, cf. Eine gute Figure
machen. Kostüm und Fest am Dresdner Hof, dir. Claudia Schnitzer et Petra Hölscher, Dresde 2000.
253 Lettre de Józef Kos à Christoph Heinrich von Watzdorf, Venise, 15 mai 1717. HStA Dresden, 10026 Geheimes
Kabinett, Loc. 383/2, fol. 79.
254 Lettre d’August Christoph von Wackerbarth à Stefano Pallavicini, Dresde, 24 janv. 1719. HStA Dresden,
10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/2, fol. 136.
255 Les Quatre Saisons, Divertissement de Musique & de Dance. D-Hau, Vd 1641.

– 130 –
Administrer la musique française

Elle a choisi pour sujet les quatre Saisons. Ce divertissement, qui selon les Regles Dramatiques, n’est a
proprement parler, qu’un Ballet, est singulier à divers égards. Le Roi, après en avoir choisi le sujet, &
formé le Plan, en a désigné lui même tous les personnages ; & le Poëte n’a fait que préter la versification,
en suivant dans le Prologue & dans tout le reste la judicieuse disposition de Sa Majesté. Un Prince, ayant
dicté, pour ainsi dire ce Divertissement, il sembloit, que l’execution n’en devoit être reservée, qu’à des
gens de qualité ; aussi, près de soixante personnes, qui y sont employées dans le chant & dans la dance,
sont toutes d’une noblesse distinguée : On ne parle ici que des Rôles & des Ballets, car pour les Chœurs
& l’Orquestre on s’est servi de tous les Pensionaires dans les Plaisirs du Roy, françois & autres, dont le
nombre monte à plus de cent personnes; on peut juger par là de la magnificence de cette représentation.
Avec ce seul divertissement, la présence musicale française – et avec Schmidt la représentation
de la faction historique de la Hofkapelle – était assurée au milieu d’une programmation musicale
dominée par l’Italie.
Les conflits entre musiciens italiens et les autres musiciens semblent avoir émaillé la vie
musicale de la cour pendant les années 1717 à 1720. Ainsi Johann Adam Hiller rapporte-t-il un
conflit entre Volumier et Senesino, vedette incontestée des chanteurs italiens, sur la question de
l’accompagnement :
Dès 1719, lors des répétitions pour un opéra de Lotti, une dispute éclata sur la manière d’accompagner
un certain air entre le chanteur Senesino et le maître des concerts Volumier. Le premier reprochait au
second de jouer de façon trop dure et trop grossière dans cet air, et il se peut bien qu’il y eût du vrai là-de-
dans. Lors d’une autre répétition, Volumier se retira et Pisendel vint le remplacer à la tête de l’orchestre.
Lorsque l’air en question fut terminé, Senesino tendit la main à Monsieur Pisendel depuis la scène et lui
exprima sa satisfaction pour cette exécution juste et appropriée. Il dit alors bien fort : « voilà un homme
qui s’y connaît pour accompagner ». On voit là que Pisendel savait facilement s’adapter à chaque style de
musique, tandis que Volumier ne s’y connaissait que dans la manière française.256

Mais si Hiller profite de cette anecdote pour louer l’adaptabilité et les qualités d’accompagna-
teur de Pisendel, à rebours de Volumier qui semble ne pas avoir maîtrisé l’art d’accompagner à
l'italienne un air d’opéra, tout le monde n’était apparemment pas du même avis. Le violoniste
italien Veracini aurait également reproché à Pisendel sa manière d’accompagner un concerto
pour violon, disant qu’on ne pouvait rien faire de propre avec des Allemands. Pisendel aurait
alors demandé au roi l’autorisation d’exécuter le même concerto avec des musiciens exclusivement
allemands, en présence de Veracini, pour démontrer que les Allemands pouvaient jouer aussi
bien que les Italiens, non seulement les parties de ripieno, mais également les parties solistes.257
La dispute se porte donc sur le terrain de l’accompagnement dans des genres qui placent le soliste
en première ligne – le concerto et l’opéra – et exigent donc de l’orchestre une certaine retenue et
une grande flexibilité. Il apparaît que les musiciens de l’orchestre, surtout habitués à des genres
collectifs, ne remplissaient pas les attentes de leurs collègues italiens.
Après le mariage princier, le contingent italien ne resta que peu de temps à Dresde : Georg
Friedrich Händel, qui avait assisté au mariage princier en 1719 et était à la recherche de bons
chanteurs pour l’Académie royale de Londres, avait dû les démarcher puisque la Durastanti,
Marguerite de Salvay, Senesino, Berselli et Boschi firent leurs débuts dans la capitale anglaise en

256 Johann Adam Hiller, Lebensbeschreibungen berühmter Musikgelehrten und Tonkünstler, Leipzig 1784, p. 191-192 :
« Schon im Jahre 1719 ereignete sich, bey der Probe einer Oper von Lotti, eine Streitigkeit über die Ausfüh-
rung des Accompagnements einer gewissen Arie, zwischen dem Sänger Senesino und dem Concertmeister
Volümier. Der erstere gab dem letztern Schuld, daß er in dieser Arie zu hart und rauh spielte ; es kann auch
wohl etwas davon wahr gewesen seyn. Bey einer andern Probe blieb Volümier außen, und Pisendel stand an
der Spitze der Instrumentalmusik. Nach Endigung der erwähnten Arie reichte Senesino dem Herrn Pisen-
del, vom Theater herab, die Hand, bezeigte ihm seine Zufriedenheit über den richtigen und zweckmäßigen
Vortrag der Arie, und sagte dabey ganz laut : Dieß ist der Mann, der zu accompagniren versteht. Man siehet
daraus, daß Pisendel sich leicht in den Charakter einer jeden Musikart zu schicken wußte ; da Volümier sich
nur auf die französische verstand. »
257 Cette anecdote est rapportée en 1785 par Carl Friedrich Cramer dans son Magazin der Musik. Cf. Kai Köpp, Jo-
hann Georg Pisendel (1697-1755) und die Anfänge der neuzeitlichen Orchesterleitung, Tutzing 2005, p. 127.

– 131 –
Chapitre 2

octobre 1721, quelques mois seulement après leur départ de la cour de Dresde.258 C’est apparem-
ment une dispute entre Heinichen et les deux étoiles de la compagnie, Senesino et Berselli, qui
forma le prétexte au renvoi de tous les chanteurs italiens en février 1720, les Italiens reprochant à
l’Allemand d’avoir maltraité la prosodie italienne dans un opéra de sa composition.259 Le départ
des musiciens italiens marqua une reprise en main assez musclée de la Hofkapelle par Auguste
le Fort, qui promut plusieurs Français à des postes importants, reprit sa politique d’embauche
d’artistes français et fit jouer de nouveau un répertoire exclusivement français.260 La signature
du décret de nomination de Jean-Baptiste Volumier comme « Maître des concerts » à Varsovie
le 9 octobre 1720 est un premier geste institutionnel fort.261 L’engagement en septembre 1720
de Louis André comme « Compositeur de musique » et de la chanteuse française Clavel est un
autre indice de cette reprise en main, qui se prolonge avec l’engagement de Louise Dimanche, de
la « joueuse de clavecin » Du Masis, et du violoniste François Biotteau.262 Enfin, la nomination
de Pierre de Gaultier comme successeur du baron de Mordaxt au poste de Directeur des plaisirs
montre également la volonté du souverain de promouvoir des Français aux postes-clés de son
administration musicale.263

Le renvoi des Français et le règne d’Auguste III


La mort d’Auguste le Fort, le 1er février 1733, signa cependant la fin de la présence musicale fran-
çaise à Dresde : moins de deux mois après les funérailles royales, Friedrich August, devenu prince
électeur de Saxe et roi de Pologne sous le nom d’August III, fit établir la liste des musiciens qui de-
vaient quitter le service de la cour. De nombreux musiciens français y figuraient : Louis André, Jean
Prache et sa femme, la chanteuse Clavel et ses parents, François Godefroy Beauregard ainsi que de
la plupart des acteurs et danseurs français.264 Seule une poignée d’acteurs restait en place. Même
si certains musiciens français comme Jean Baptiste Joseph du Hautlondel ou François Biotteau
étaient épargnés, le renvoi suscita beaucoup d’inquiétude chez la plupart des musiciens, comme
en témoignent les nombreuses suppliques adressées au nouveau souverain. Plusieurs hauts fonc-
tionnaires qui avaient joué un rôle important dans l’organisation des Plaisirs se trouvaient aussi en
position délicate après l’avènement du nouveau souverain : Christian Heinrich von Watzdorf, fils de
Christoph Heinrich et lui-même mécène de musique, tomba en disgrâce et fut déchargé de toutes
les fonctions qu’il occupait à la cour. Dès 1730, l’engagement de Johann Adolf Hasse et de sa femme
Faustina Bordoni depuis Venise avait fourni, trois ans avant la mort d’Auguste le Fort, le premier
signe d’un véritable pivotement de la politique de patronage musical de la cour de Dresde, qui se
détournait de France pour s’orienter presque exclusivement vers la péninsule italienne.

258 Fürstenau, Zur Geschichte, vol. 2, p. 150.


259 Marpurg, Historisch-Kritische Beyträge, vol. 1, p. 214-215 : « Nach dem Beylager componirte Heinchen noch
eine Oper, welche nach der Zurückkunft des Königs aus Pohlen aufgeführet werden solte. Bey der Probe aber,
die auf dem königlichen Schlosse, in Gegenwart des Musikdirectors Baron von Mortax gehalten wurde, mach-
ten die beyden Sänger, Senesino und Berselli einen ungeschliffenen Virtuosen=Streich. Sie zankten sich mit
dem Capellmeister Heinchen über eine Arie, wo sie ihm, einem Manne von Gelehrtsamkeit, der sieben Jahre
sich in Wälschland aufgehalten hatte, Schuld gaben, daß er wider die Worte einen Fehler begangen hätte. Se-
nesino, welcher seine Absichten schon nach England gerichtet haben mochte, zerriß die Rolle des Berselli, und
warf sie dem Capellmeister vor die Füße. Dieses wurde nach Pohlen an den König berichtet. Inzwischen hatte
zwar der damalige Graf von Wackerbart, der sonst ein großer Gönner der Wälschen war, den Capellmeister
und die Castraten zu des Capellmeisters völliger Genugthuung, in Gegenwart einiger der vornehmsten vom
königlichen Orchester, als Lotti, Schmidt, Pisendel, Weiß, u. s. w. wieder miteinander verglichen. Es kam aber
ein königlicher Befehl zurück, daß alle wälschen Sänger abgedancket seyn solten. Hiermit hatte die Opern
für diesmal ein Ende. »
260 Fürstenau, Zur Geschichte, vol. 2, p. 156.
261 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/1, fol. 19-20.
262 Sur les sources qui documentent l'engagement de ces musiciens, voir le répertoire biographique.
263 Fürstenau, Zur Geschichte, vol. 2, p. 163.
264 HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 10, fol. 127 : « Specification dererjehnigen Persohnen so völlig dimit-
tiret worden ».

– 132 –
Administrer la musique française

Le départ des musiciens français marque, sur le plan de l’histoire culturelle et de l’histoire
de la musique, une rupture qui n’était pas sans conséquence sur le devenir de la vie musicale
allemande. En renvoyant les musiciens engagés par son père, le jeune Friedrich August II – tout
juste devenu August III – mettait fin au dernier ensemble permanent de musiciens français sur
le sol de l’Empire, et par conséquent à une période exceptionnelle d’échanges musicaux entre
la France et l’Allemagne. Retracer l’histoire de ces révolutions de palais n’est pas seulement
relater quelques épisodes hauts en couleur de la cohabitation entre musiciens de nationalités et
de traditions musicales différentes : c’est aussi mettre en lumière toute la distance qui sépare la
culture personnelle d’Auguste le Fort, largement placée sous le signe de la France, et celle de son
fils le prince électoral Friedrich August, aux options politiques et intellectuelles très éloignées de
celles son père et dont la culture musicale avait été marquée par son séjour vénitien. Si Auguste
le Fort avait incarné l’idéal galant, son fils est bien plus proche de l’orthodoxie luthérienne à
laquelle sa mère était toujours demeurée fidèle, et imposa à son arrivée au pouvoir un style de
gouvernement plus sage, plus respectueux des conventions et beaucoup plus proche de l’Empereur
dont il avait épousé la fille, manifestant par exemple un type de dévotion catholique beaucoup
plus ultramontaine, profonde et orthodoxe que ne l’avait été celle de son père.

– 133 –
Chapitre 3. Frantzösische Musicanten :
une biographie collective

À travers une enquête sur les identités aristocratiques et les pratiques administratives, nous avons
exploré la construction de la catégorie des « Frantzösische Musicanten » du point de vue des em-
ployeurs, en insistant sur son aspect contingent, bricolé et précaire, sur sa solidarité avec plusieurs
autres domaines de la vie culturelle, en premier lieu la galanterie et le théâtre, et sur le déclin du pa-
tronage de musique française à partir du milieu des années 1720. À présent, il convient au contraire
de prendre cette catégorie au pied de la lettre – de l’absolutiser en quelque sorte – et d’examiner à
la loupe la vie des musiciens regroupés sous cette appellation, soit un échantillon d’une centaine
d’individus. Cette étape du travail suppose le croisement de sources très diverses, éparpillées dans
de nombreux fonds d’archives, ainsi qu’un va-et-vient incessant entre le détail de trajectoires bio-
graphiques souvent sinueuses et la généralité du groupe. Reconstituer cette mosaïque de sources et
de parcours individuels permet d’apporter un éclairage inédit sur les biographies transnationales
de ces musiciens français, sur leur provenance géographique et sociale, sur la teneur de leurs acti-
vités dans les cours allemandes, mais aussi de prendre la mesure de leur communauté de destin et
de dessiner les contours de leur identité collective. Portrait de groupe ou biographie collective, les
pages qui suivent se situeront toujours entre deux niveaux : l’individu et la communauté.
L’hétérogénéité des sources consultées ne va pas sans poser quelques problèmes de méthode
dans une perspective prosopographique orthodoxe, étant donné leur caractère disparate, sou-
vent lacunaire, et l’irrégularité des renseignements qu’elles donnent.1 Néanmoins, toutes les
sources ne remplissent pas le même rôle et n’interviennent pas au même moment. L’ensemble de
sources le plus complet et le plus homogène, point de départ de l’enquête et colonne vertébrale
de la documentation, est constitué par les archives des cours qui ont employé durablement des
ensembles français : Hanovre, Celle et Dresde. Il s’agit des actes administratifs explorés dans
le chapitre précédent : registres de comptabilité, actes d’embauche ou de renvoi des musiciens,
suppliques adressées par les musiciens, et quelques archives judiciaires qui illustrent les démêlés
de certains d’entre eux avec la justice locale. Ces actes permettent de constituer un échantillon
tendant à l’exhaustivité de 100 musiciens, à travers la collecte de leurs noms, de leurs fonctions
et de leurs salaires. À ce premier ensemble de sources viennent s’ajouter les registres paroissiaux
(« Kirchenbücher ») catholiques, luthériens et réformés des différentes villes sur lesquelles porte
l’enquête. Ils permettent d’établir la confession des musiciens français et de reconstruire, par le
biais des parrainages et des mariages, les réseaux de sociabilité dans lesquels ils viennent s’insé-
rer. Les registres paroissiaux permettent également de sortir de l’espace de la cour et de vérifier,
en creux, que l’écrasante majorité des musiciens français actifs en Saxe et en Basse-Saxe étaient
effectivement recrutés par les cours ducales ou princières : seule une poignée d’entre eux n’ont
pas transité par la cour.

1 Sur les problèmes posés par l’analyse quantitative de bases de données prosopographiques établies à partir
d’un corpus de sources hétérogènes, voir Gidon Cohen, « Missing, Biased, and Unrepresentative. The Quan-
titative Analysis of Multisource Biographical Data », Historical Methods, 35/4, 2002, p. 166-176.

– 135 –
Chapitre 3

Du côté français, nous avons exploité les archives du minutier central de Paris conservées
aux Archives nationales de France, qui éclairent de façon décisive le profil de certains musiciens,
quelques registres d’insinuation ou de tutelle du Châtelet de Paris, ainsi que les actes d’état-civil
des artistes parisiens copiés par le marquis de Laborde, aujourd’hui conservés à la Bibliothèque
nationale de France.2 De façon ponctuelle, quelques registres paroissiaux en dehors de Paris ont
également été mis à contribution, quand nous disposions d’éléments suffisamment précis pour
retrouver les actes de baptême des musiciens. Les sondages réalisés dans les archives de la Maison
du roi et celles du ministère des Affaires étrangères, où sont rassemblés les correspondances di-
plomatiques et mémoires des diplomates français en activité en Basse-Saxe et en Saxe, n’ont pas
donné de résultats.
Inspirée par plusieurs exemples récents d’application de méthodes prosopographiques à
l’histoire de la musique3, notre démarche se rapproche de la prosopographie par le rôle central
qu’elle accorde au nom propre des musiciens.4 Celui-ci est le plus petit dénominateur commun
entre les différents fonds d’archives, mais aussi ce qui en autorise le croisement : cette fragile
silhouette de lettres, proie silencieuse que traque pendant de longues heures l’attention du cher-
cheur et qu’il doit bien souvent reconnaître sous ses déformations successives, est en outre un
indice fort de l’origine française des individus. Le rôle du nom propre est donc doublement cen-
tral dans cette investigation : comme identifiant individuel le plus précis à la racine de toute
démarche prosopographique, mais plus encore comme marqueur d’identité étrangère. Bien sou-
vent, la reconstruction d’une biographie nécessite le croisement entre plusieurs sources qui font
apparaître un nom sous plusieurs formes différentes, souvent germanisé par l’administration et
seulement parfois accompagné d’un prénom : il s’agit alors de le normaliser en prenant cependant
soin de faire apparaître toutes ses variantes et les sources dans lesquelles elles se trouvent pour
garder un bon niveau de traçabilité de l’information.
Mais davantage qu’à une prosopographie de grande envergure au sens classique du terme,
cette enquête s’apparente davantage à la biographie collective ou au portrait de groupe.5 La pers-
pective demeure délibérément micro-historique, qualitative et inductive, centrée sur les individus
plutôt que sur l’analyse quantitative d’un corpus de données. Les spécificités de parcours indivi-
duels sont donc exploitées même si elles ne renvoient pas à des constantes ou des déterminismes de
groupe, et sont considérées pour elles-mêmes sans être nécessairement ramenées à une norme ou
un modèle. 6 Ce chapitre vise donc, dans la lignée des remarques déjà formulées en introduction,

2 Les ouvrages suivants nous ont servi de guides indispensables dans les fonds des Archives nationales : Made-
leine Jurgens, Documents du minutier central. Benoît, Versailles et les musiciens du roi. Catherine Massip, La Vie des
musiciens de Paris au temps de Mazarin (1643-1661). Essai d’étude sociale, Paris 1976. Les inventaires de la Maison
du Roi (série O) et le fonds de la famille d’Orléans (série 1AP), également conservés aux Archives Nationales,
n’ont rien donné dans le cadre de nos recherches. Pour l’exploitation du fichier Laborde, désormais disponible
en ligne sur le site Gallica, nous remercions Laurence Le Bras, conservatrice au Département des manuscrits
de la Bibliothèque nationale.
3 Le projet franco-allemand « Musici » (2010-2012, ANR/DFG) dirigé par Anne-Madeleine Goulet et Gesa
zur Nieden rassemble les musiciens étrangers à Venise, Rome et Naples (1650-1750) dans une base de données
consultable en ligne (http://musici.eu). Le projet « Musefrem » (2009-2013, ANR) dirigé par Bernard Domp-
nier a conduit à la création d’une base de données prosopographique sur les musiciens d’église de France en 1790,
également consultable en ligne (http://philidor.cmbv.fr).
4 Katharine Keats-Rohan, « Biography, Identity and Names : Understanding the Pursuit of the Individual in
Prosopography », in : Prosopography, Approaches and Applications. A Handbook, dir. Katharine Keats-Rohan,
Oxford 2007, p. 139-181.
5 Les premiers grands exemples dans ce domaine portaient sur les élites de la Rome antique : Prosopographia
Imperii Romani (1897-1898) et la Pauly-Wissowa Realencyclopädie (1894-1978). Dans le domaine français, la Pro-
sopographie chrétienne du Bas-Empire est en cours de publication depuis 1982.
6 Cf. Levke Harders et Hannes Schweiger, « Kollektivbiographische Ansätze », in : Handbuch Biographie. Metho-
den, Traditionen, Theorie, dir. Christian Klein, Stuttgart 2009, p. 194-198. Britta Kägler, « Von ‘Geschücklich-
keiten’, Pfauenfedern und einem ‘Phonascus’. Kollektivbiographische Studien zu deutschsprachigen Musi-
kern in den italienischen Musikzentren Venedig und Rom (1650-1750) », in : Europäische Musiker in Venedig,

– 136 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

à restituer la « chair humaine » de transferts musicaux qui sont trop souvent envisagés comme de
simples transferts de papier.7 Il s’agit aussi de découpler dans une certaine mesure l’histoire des
transferts culturels franco-allemands de l’histoire des élites, en mettant au centre de la recherche
un groupe social qui n’est pas habituellement considéré pour lui-même : si les grands aristocrates
allemands et leurs réseaux paneuropéens sont un paramètre essentiel pour comprendre la cir-
culation des musiciens français, il en va de même de réseaux familiaux et sociaux beaucoup plus
modestes et obscurs.

Musiciens migrants
Les Français n’étaient ni les seuls ni les premiers musiciens à quitter leur pays d’origine pour aller
pratiquer leur savoir-faire dans les cours et les métropoles d’Europe du Nord. Depuis le début du
xviie siècle, les Italiens représentaient une force de travail très recherchée, ainsi qu’en témoigne
la remarque formulée en 1726 par le mélomane Joachim Christoph Nemeitz : « L’Italie semble
être le magasin qui fournit l’Europe entière en maîtres de chapelle, castrats, cantatrices et autres
virtuoses.8 » La circulation de ces musiciens était étroitement liée a l’adoption de la musique
d’église italienne (notamment par le biais des genres du concerto sacré et de l’oratorio) au-delà
de la péninsule voire du monde catholique, puis à l’immense succès rencontré par l’opéra seria au
Nord des Alpes. Plusieurs travaux majeurs ont été consacrés à ce phénomène, dans le sillage de
l’ouvrage collectif publié par Reinhard Strohm en 2001 sur la « diaspora » des musiciens italiens
au xviiie siècle.9 Ce phénomène migratoire majeur, bien connu des historiens de la musique mais
toujours demeuré en toile de fond de l’historiographie et des études sur l’opéra, était appréhendé
pour la première fois de manière globale et pour lui-même. Le concept de « diaspora » permettait
en outre d’embrasser d’un seul regard un ensemble de phénomènes dispersés dans l’espace germa-
nique, en Autriche, à Londres, en Hollande, en Russie et en France.
La migration des musiciens italiens présente néanmoins plusieurs différences fondamentales
avec celle des musiciens français. Alors que les premiers sont surtout des compositeurs, des chan-
teurs ou des librettistes hautement spécialisés, les seconds sont presque toujours des instrumen-
tistes polyvalents, en particulier violonistes et hautboïstes. Alors que les Français entretiennent
des relations étroites avec les troupes de théâtre, les Italiens sont issus de structures ecclésiastiques
ou du monde de l’opéra. Les Italiens sont souvent recrutés individuellement, bénéficient de rému-
nérations très élevées et de conditions de travail privilégiées au sein des Hofkapellen, tandis que
les musiciens français sont au contraire recrutés en groupe, travaillent de plain pied avec leurs
collègues allemands et touchent un salaire beaucoup plus modeste que les Italiens. La destination
de ces deux groupes diffère enfin largement : là où les musiciens italiens voyagent vers les princi-
pales cours de l’Empire et les grandes métropoles européennes, par exemple Vienne et Londres,
les musiciens français restent très étroitement dépendants de cours de taille intermédiaire. À
ces différences s’ajoute un décalage chronologique : dès le début du xviie siècle, une première
diaspora italienne se produit vers de nombreuses cours du Nord de l’Europe. Strohm voit dans

Rom und Neapel (1650-1750). Les musiciens européens à Venise, Rome et Naples 1650-1750, dir. Anne-Madeleine
Goulet et Gesa zur Nieden, Kassel 2015, p. 236-268.
7 Bloch, Apologie pour l’ histoire, p. 4.
8 Joachim Christoph Nemeitz, Nachlese besondere Nachrichten von Italien, Leipzig 1726, p. 427 : « Es scheinet
Italien das Magazin zu seyn, welches ganz Europa mit Capellmeistern, Castraten, Sängerinnen und anderen
Virtuosen fourniret. »
9 The Eighteenth-Century Diaspora of Italian Music and Musicians, dir. Reinhard Strohm, Turnhout 2001. Italian
Opera in Central Europe 1614-1780, vol. 1 « Institutions and Ceremonies », dir. Melania Bucciarelli, Norbert
Dubowy et Reinhard Strohm, Berlin 2006 ; vol. 2 « Italianità : Image and Practice », dir. Corinna Herr, Her-
bert Seifert, Andrea Sommer-Mathis et Reinhard Strohm, Berlin 2008 ; vol. 3 « Opera Subjects and European
Relationships », dir. Norbert Dubowy, Corinna Herr et Alina Żórawska-Witkowska, Berlin 2007.

– 137 –
Chapitre 3

cette première vague migratoire en provenance de l’Italie une phrase préparatoire à la circula-
tion à grande échelle qui caractérise le long xviiie siècle liée aux grands centres économiques et à
l’urbanisation de l’Europe.10 Par rapport à ces deux pics migratoires en provenance de l’Italie, la
migration des musiciens français occupe une place intermédiaire et se situe autour de 1700 : plus
qu’avec la diaspora des musiciens italiens, elle partage donc en définitive de nombreux traits com-
muns avec la migration des comédiens français, un phénomène déjà bien étudié et qui fournira de
nombreux points de comparaison au cours de notre enquête (voir aussi Chapitre 1).

Les ressorts de la migration


Étudier les migrations musiciennes dans l’Europe moderne implique de comprendre les raisons
qui la provoquent, une fois acceptée l’idée que les artistes et les humains en général préfèrent
par défaut la stabilité au mouvement, mais aussi de reconstruire les réseaux qui la sous-tendent
et l'accompagnent. Cette démarche suppose aussi de se défaire d’un certain nombre de préju-
gés contemporains sur la migration, souvent appréhendée dans nos sociétés sur le mode drama-
tique de l’exil individuel ou du départ sans retour, alors même que certaines formes modernes
de migration se caractérisent justement par leur extrême flexibilité, la fréquence étonnante des
déplacements et leur caractère collectif.

Réseaux socio-professionnels et facteur familial


Les vingt-trois musiciens français qui travaillèrent à la cour de Celle forment un groupe remar-
quablement homogène sur le plan social, pour la plupart issus de la corporation parisienne des
maîtres joueurs d’instruments où beaucoup semblent avoir reçu leur formation musicale. Ceci
explique le rôle central joué par les réseaux familiaux et socio-professionnels dans la migration
des artistes. Philippe La Vigne, chef de ce petit ensemble et Capellmeister jusqu’à sa mort en 1705,
était de son vrai nom Philippe Martin. Né à Châlons-en-Champagne, il était le fils d’Anthoine
Martin « dict la Vigne » et de sa femme Marie Failly, et fut baptisé à la cathédrale le 18 février
1639 : il reçut pour parrain Philippe Linage Seigneur de Villers, issu d’une famille de trésoriers de
France.11 Pas moins de sept frères et sœurs peuvent être trouvés dans les registres baptismaux de
la cathédrale de Châlons. Les différents parrainages choisis par les parents de Philippe La Vigne
montrent qu’il devait s’agir d’une famille bien connectée avec la noblesse champenoise, peut-être
même une famille d’artistes, puisque ceux-ci avaient le privilège de pouvoir demander à leurs pa-
trons de parrainer leurs enfants.12 Jusqu’à son arrivée à Celle à la tête de la bande de violons fran-
çais, la biographie de Philippe La Vigne reste dans l’ombre. Comme la Champagne et le Nord-Est
de la France forment traditionnellement le bassin de recrutement d’apprentis violonistes pour les
maîtres joueurs d’instruments parisiens13, il est probable que La Vigne se rendit à Paris pour faire
son apprentissage et y épousa Louise Madeleine Pécour, probablement issue de la même famille
parisienne que les maîtres à danser Guillaume-Louis Pécour et Louis-Alexandre Pécour, et que
Louis Pécour, maître joueur d’instrument à Paris dans les années 1640 et 1650.14 Un autre Pécour

10 Reinhard Strohm, « Italian Operisti North of the Alps, c.1700-c.1750 », in : The Eighteenth-Century Diaspora,
p. 1-60 et Norbert Dubowy, « Italienische Instrumentalisten in deutschen Hofkapellen », in : The Eighteenth-
Century Diaspora, p. 61-120.
11 AD Marne, Registres paroissiaux de Notre-Dame, Châlons-sur-Marne 1580-1667, GG 105, registre non folié :
« Le 18e Philippe fils d’Anthoine Martin dict La Vigne et & de Marie Failly sa femme Le parrain Philippe
Linage [mot illisible] Seigneur de Villers la marraine Marie Billot. » Voir la notice « Villers le Château » dans :
Philippe Seydoux, Gentilhommières et maisons fortes en Champagne, vol. 1, Paris 1997.
12 Dans le même registre, sa sœur Louise baptisée le 27 fév. 1640 reçoit ainsi pour parrain le magistrat Pierre-
Ignace de Braux, marquis d’Anglure, maître des requêtes. Nicolas, baptisté le 6 nov. 1643, reçoit pour parrain
Nicolas de Cuissote, Seigneur de Bizancourt.
13 Massip, La Vie des musiciens, p. 73.
14 Louise-Madeleine est dite « parisienne » dans les registres paroissiaux catholique de Hanovre. Cf. par exemple
BAHild, KB Nr. 777, Hannover St. Clemens, Taufbuch 1671-1699, 29 juin 1679, p. 51 : « infantem […] natum

– 138 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

figure d’ailleurs parmi les premiers musiciens de Celle : il s’agit de Claude Pécour, marié à Marie
de Courbesastre. Celle-ci est à son tour la sœur d’un musicien engagé à Celle un peu plus tard :
Philippe de Courbesastre, engagé comme hautbois en 1680, apparaît dans le minutier central
de Paris lors de la vente de la maison de sa mère en juin 1700. Dans cet acte, il est décrit comme
« musicien de monsieur le duc de Zelle » et fils de Charles de Courbesastre, marchand drapier
de Paris. Ce document nous permet aussi de savoir que Philippe de Courbesastre est le frère de
Marie, déjà morte à cette date :
ledit sieur de Courbesastre se faisant et se portant fort de Claude Pecourt maître à dancer audit Zelle
tuteur des enfants mineurs de luy et de deffunte demoiselle Marie de Courbesastre sa femme, par lequel
Sieur Pecour il s’oblige faire ratiffier ces presentes.15

Cet enchevêtrement de relations professionnelles et familiales pourrait être déplié à l’infini,


puisque tous les autres musiciens de Celle viennent d’un milieu similaire, et pour certains de véri-
tables dynasties musicales actives à la cour de France vers 1650, et sont reliés entre eux de plusieurs
manières. François Robeau est ainsi le fils d’Hilaire Robeau, maître joueur d’instrument, officier
de l’Écurie du roi (dessus de cornet et basse de violon) et membre des Vingt-cinq violons de la
Chambre.16 Il est donc aussi le frère de Marguerite Robeau, l’épouse d’Élie Jemme, maître à danser
français d’Ernst August et de Sophie, que nous avons déjà croisés à Osnabrück et Hanovre.17 Jean-
Jacques Favier est également le rejeton d’une immense dynastie parisienne de musiciens, puisqu’il
est le fils de Jacques Favier, maître joueur d’instruments et violoniste de la Chambre du roi, et
de sa seconde femme Marguerite Voiture.18 Son grand-père Jehan Favier avait été maître joueur
d’instruments, son oncle Jean Favier était aussi violoniste de la Chambre du roi, et son frère Jean
Favier était danseur à l’Académie royale de musique. Il connaissait donc très certainement Denis
Le Tourneur, musicien engagé à Celle en 1670, puisque celui-ci était le filleul de son père Jacques
Favier, et venait également d’une dynastie parisienne de maîtres joueurs d’instruments.19 René des
Vignes est maître joueur d’instruments à Paris, demeurant près du pré au Clerc à Saint-Germain-
des-Prés. Il s’associe pour quatre ans avec François Chabaron en juillet 1660.20 Thomas de La Selle
est également né à Paris dans une famille de joueurs d’instruments.21 Louis Gaudon, arrivé à Celle
en 1677, est peut-être apparenté à un certain Louis Godon, maître joueur d’instruments qui appa-
raît dans deux contrats d’association à Paris en 1644 et 1647, en conjonction avec le nom d’Henri

ex Philippo Martin, dicto La Vigne, Gallo, de Chaalons in Campania, et Ludovica Magdalena Pecour dicta
La Vigne dalla Parisiensi legitimis conjugibus ». Sur la famille Pécour, voir Jérôme de La Gorce et Margret M.
McGowan, « Guillaume-Louis Pecour : A Biographical Essay », Dance Research. The Journal of the Society for
Dance Research, 8/2, 1990, p. 3-26. Sur Louis Pécour, voir AN, Minutier central, XIII-78, 3 juin 1643, XVI-89,
28 oct. 1644, XVI-95, 4 sept. 1647, LXXXVII-186, 16 sept. 1656, LXX-158, 17 juin 1658.
15 AN, Minutier central, XXXI-20, 21 juin 1700. La maison mise en vente, située à Sceaux, laisse entrevoir une
certaine aisance puisqu’elle est dotée d’un jardin de douze arpents plantés d’arbres fruitiers, et qu’elle est ven-
due 820 livres tournois à Gilles Caillard, demeurant à Sceaux et chef de fruiterie de la duchesse de Bourgogne.
16 Benoît, Versailles et les musiciens du roi, p. 411. Massip, La Vie des musiciens, p. 159-160. Ernest Thoinan, Les Hotte-
terre et les Chédeville, célèbres joueurs et facteurs de flûtes, hautbois, bassons et musettes, Paris 1894, p. 20. En 1668, le
nom de Robeau figure encore dans une liste des « Grands Violons » : voir le livret de la mascarade Le Carnaval.
Il apparaît également dans de nombreux actes du minutier central de Paris.
17 François Robeau est baptisé à Saint-Séverin le 30 oct. 1640 : F-Pn, Fichier Laborde, NAF 12180, fiche 58357.
18 Jean-Jacques Favier est baptisé le 25 avr. 1649 à Saint-Germain l’Auxerrois : F-Pn, Fichier Laborde, NAF 12102,
fiche 26340. Marguerite Voiture avait été apprentie couturière chez la première femme de Jacques Favier, Gil-
lette Bourdonné : voir le contrat d’apprentissage dans AN, Minutier central, XV-79, 4 mai 1632.
19 Fils d’Henri Le Tourneur, maître joueur d’instruments demeurant rue Saint-Denis, et de Geneviève Collet,
Denis Le Tourneur est baptisé le 28 mars 1645 à Saint-Louis. Son parrain est Jacques Favier, père de Jean-
Jacques, et sa marraine Barbe Roussel, fille de Pierre Legou, maître pâtissier : F-Pn, Fichier Laborde, NAF
12144, fiche 43783.
20 AN, Minutier central, LXX-166, 18 juil. 1660.
21 F-Pn, Fichier Laborde, NAF 12084, fiche n° 18947 : Thomas de la Selle, fils de Hilaire de la Selle joueur d’instru-
ment demeurant rue au Maire, et de Françoise Germain, est baptisé le 29 avril 1645 à Saint-Étienne du Mont.

– 139 –
Chapitre 3

Le Tourneur, le père de Denis, puis avec celui de Louis Pécour.22 Enfin, plusieurs actes notariés
montrent que Nicolas Griffon était établi à Paris comme maître joueur d’instruments aussi bien
avant son arrivée à Celle en 1679 qu’après son retour dans la capitale française.23
En déployant ces réseaux transnationaux à travers l’espace et le temps, on voit ainsi émerger
un écosystème constitué par de multiples liens familiaux et professionnels, largement issu de la
corporation des maîtres joueurs d’instruments, et dont la transplantation à 800 kilomètres de
Paris n’altère que très peu la structure d’origine. Donnée classique de l’histoire des migrations,
le facteur familial provoque d’abord des « migrations en chaîne » où les individus migrent en
priorité dans des lieux où sont déjà installés des membres de leur famille ou des proches. Ainsi
le violoniste François de Francine déclare-t-il explicitement en 1741 qu’il s’est rendu auprès de sa
cousine germaine Catherine André, fille du compositeur de musique française Louis André et
danseuse à la cour de Dresde :
François de Francine, cousin Germain de Caterine Andre, voyant que sa parante avoit le bonheur d’en-
trer au service du plus grand et plus digne Prince, s’est fait une gloire de la joindre en ces pays, dans
l’esperance davoir l’honneur de sacrifier sa vie au service de Votre Majesté. Le suppliant Sire, ayant eu
l’avantage de faire ses études pour la musique, se prosterne aux pieds de Votre Majeste pour La supplier
de vouloir, par sa Clemence naturelle, ordonner qu’il puisse entrer dans Sa Chapelle.24

Mais le facteur familial provoque également, au sein d’une même famille, la sélection des mi-
grants par le biais des systèmes d’héritage et des jeux d’alliance : aucun musicien français installé
en Allemagne n’est l’aîné dans sa propre fratrie, mais beaucoup possèdent des frères et sœurs qui
sont restés en France, ayant racheté les charges de leurs parents ou hérité d’opportunités et de
réseaux professionnels qu’ils ont fait fructifier sur place.25 La dynastie Favier offre un excellent
exemple de ces logiques familiales centrifuges.26 Jehan Favier, le grand-père de Jean-Jacques mort
en 1615, était maître joueur d’instruments à Paris. Ses deux fils Jean (c.1583-1644) et Jacques
(c.1605-c.1691) devinrent tous deux violons de la Chambre du roi : le cadet Jacques avait acheté
sa charge en 1633 à la veuve de Jean Mazuel et la conserva jusqu’à sa mort en 1691. Vers 1620,
Jacques Favier épousa la couturière Gillette Bourdonné. À la mort de cette dernière en 1643, il
épousa l’ancienne apprentie de sa femme Marguerite Voiture. Parmi leurs cinq enfants, l’aîné de
la fratrie Jean Favier, baptisé le 25 mars 1648, eut un début de carrière fulgurant, apparaissant
comme jeune danseur dans l’opéra Xerces de Cavalli lors du mariage de Louis XIV et Marie-
Thérèse d’Autriche en 1660, puis dans plusieurs ballets de cour. C’est à ce fils aîné que Jacques
Favier transmit sa charge de violon du roi en 1676. Même s’il revendit la charge de son père immé-
diatement après la mort de celui-ci en 1691, ne souhaitant sans doute pas exercer le violon, Jean
avait bénéficié d’une certaine visibilité et d’une bonne sécurité professionnelle.
Ses deux frères puînés ne bénéficièrent pas de perspectives similaires : Jean-Jacques Favier,
baptisé le 16 avril 1649 à Paris, émigra à Celle avant de revenir à Paris exercer comme maître de
danse à l’Académie royale. Bernard Henri Favier, né en 1651, demeura à Paris où il exerça aussi
le métier de danseur sous le nom de Favier le cadet. À la génération suivante, le fils de Jean, né

22 AN, Minutier central, XVI-89, 28 oct. 1644 et XVI-95, 4 sept. 1647. Charles Gaudon, décrit comme Hofmusiker
dans les actes de l’église réformée de Celle mais dont on ne trouve pas de trace dans les archives de la cour, est
originaire de Lyon et peut-être apparenté à Louis : Beuleke, Die Hugenotten in Niedersachsen, p. 133.
23 AN, Insinuations, Y 233, fol. 125 : Donation mutuelle entre « Nicolas Griffon, joueur d’instrument à Paris, et
Françoise Chevallier, sa femme, demeurant rue de la Bucherie, paroisse Saint-Séverin », 1677. AN, Minutier
Central, XXIII-351, 13 août 1683 : Contrat d’apprentissage entre Nicolas Griffon, « maître joueur d’instru-
ments et à danser » demeurant sur le Pont Saint-Michel, et Claude Collinet.
24 Lettre de François de Francine à August III, Dresde, 17 juil. 1741. HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett,
Loc. 907/05, fol. 54. Catherine André est mentionnée dans une liste de personnel de 1733 comme danseuse :
HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 907/4, fol. 2.
25 Jan Kok, « The family factor in migration decisions », in : Migration History in World History. Multidisciplinary
Approaches, dir. Jan Lucassen, Leo Lucassen et Patrick Manning, Leiden 2010, p. 215-250.
26 Voir l’excellente synthèse donnée par Rebecca Harris-Warrick et Carol G. Marsh, Musical Theatre at the Court
of Louis XIV. Le Mariage de la Grosse Catho, Cambridge 1994, p. 22-26.

– 140 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

en 1694 et également appelé Jean Favier, devint premier danseur d’Auguste le Fort à la cour de
Dresde en 1719, après être passé au service de Stanislas Leczinski, ancien roi de Pologne et père de
la future reine de France Marie. Il laissa des souvenirs qui retracent sa carrière mouvementée.27
À la frontière de la musique et de la danse, la famille Favier compta donc deux membres qui, à une
génération d’écart, tentèrent leur destin en Allemagne. Nul doute que, entre autres motivations,
le facteur familial ait joué un rôle décisif. Un autre cas de dynastie centrifuge est la famille Le
Gros : Simon Le Gros, violoniste arrivé à Dresde avec la troupe de Deseschaliers en 1699 et marié
à une danseuse, est le frère cadet du peintre Jean Le Gros (1671-1745), élève de Hyacinthe Rigaud
et membre de l’Académie royale de peinture.28 Son père, Pierre Le Gros l’aîné (1629-1714), était
sculpteur membre de l’Académie royale à partir de 1666 et réalisateur de nombreuses commandes
pour le château de Versailles.29 Son autre demi-frère de Pierre Le Gros le jeune (1666-1719) fit
également carrière à l’étranger, notamment à Rome où il réalisa de nombreuses sculptures dans
les églises baroques, entre autres un mausolée pour le pape Grégoire XV.30

Les raisons du départ


Pour analyser les facteurs qui motivent le déplacement d’une population ou d’un groupe d’indivi-
dus, l’histoire des migrations fait souvent appel à un couple de notions anglaises : push et pull. Les
facteurs push sont les données répulsives, celles qui chassent les individus de leur lieu d’origine, les
facteurs pull sont ceux qui les attirent vers une destination donnée.31 La migration des musiciens
français peut être éclairée à l’aide de ce couple de notions, même si elle n’obéit pas mécanique-
ment à cette polarité et que le poids des différentes variables doit être nuancé au début et à la fin
de notre période, l’Europe musicale de 1660 présentant un tout autre visage que celle de 1730. Il
convient également de faire une place à l’investissement affectif des espaces vécus, en distinguant
la migration de rupture, qui investit le pays d’accueil comme nouveau lieu de vie et tourne le dos
à son espace d’origine, et la migration de maintien, où le pays d’origine demeure le cadre de réfé-
rence, le lieu d’émigration restant un espace neutre.32 La migration des comédiens français, qui
a déjà fait l’objet de plusieurs analyses poussées, fournit un point de départ intéressant.33 Rahul
Markovits passe ainsi en revue plusieurs facteurs déterminants dans la migration des comédiens
français au xviiie siècle : outre le poids des circonstances individuelles, « l’attrait pécunieux » et le
coup porté à la vie théâtrale à l’intérieur du royaume par la guerre de Succession d’Espagne (1701-
1714) et la guerre de Sept Ans (1756-1763) poussent les comédiens français à s’exiler à l’étranger.
Mais Markovits met aussi en évidence la permanence d’un « esprit de retour », la Comédie fran-
çaise restant pour tous les comédiens « l’horizon indépassable de la réussite professionnelle.34 »
À la différence des comédiens, mis au ban de l’Église gallicane à travers une pratique unique
en Europe qui les excommuniait d’office, les privant de droits civiques et les conduisant parfois à

27 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 235. Léon Pélissier, « Souvenirs du danseur Favier »,
Journal de la société d’archéologie lorraine et du musée historique lorrain, 46/11, 1897, p. 243-253. Avant son enga-
gement à Dresde, Favier avait travaillé en France et en Bavière, puis comme maître à danser de la future reine
de France Maria Leszczyńska lorsque celle-ci était à Deux-Ponts.
28 AN, Minutier central, LIII-280, 5 septembre 1736.
29 François Souchal, French Sculptors of the 17th and 18th Centuries. The Reign of Louis XIV : Illustrated Catalogue,
Londres 1993.
30 Daniel Büchel, Arne Karsten et Philipp Zitzlsperger, « Mit Kunst aus der Krise? Pierre Legros’ Grabmal für
Papst Gregor XV. Ludovisi in der römischen Kirche S. Ignazio », Marburger Jahrbuch für Kunstwissenschaft, 29,
2002, p. 165-197.
31 Ce modèle a été développé pour la première fois par Everett S. Lee, « A Theory of Migration », Demography,
3/1, 1966, p. 47-57. Pour une approche globale, voir The Encyclopedia of Migration and Minorities in Europe from
the 17th Century to the Present, dir. Klaus J. Bade et al., Cambridge 2011.
32 Paul-André Rosenthal, « Maintien/rupture : un nouveau couple pour l’analyse des migrations », Annales. Éco-
nomies, sociétés, civilisations, 45/6, 1990, p. 1403-1431.
33 Voir en particulier Markovits, Civiliser l’Europe, p. 53-65. Roche, Humeurs vagabondes, p. 859-921.
34 Markovits, Civiliser l’Europe, p. 64.

– 141 –
Chapitre 3

chercher un traitement social plus décent à l’étranger, les musiciens jouissent traditionnellement
en France d’un statut social tout à fait régulier. Cependant, au début du xviiie siècle, les musi-
ciens d’opéra semblent avoir été contaminés à leur tour par la suspicion qui pesait sur les gens de
théâtre. L’indignation exprimée par Joachim Christoph Nemeitz sur la condition des gens d’opéra
en France révèle le fossé qui existait sur ce point entre la France et l’espace germanique. Après
avoir avoué qu’il pensait que seuls les comédiens étaient soumis à l’excommunication en France,
Nemeitz doit faire le constat qu’il n’en n’est rien : il relate ainsi le scandale soulevé en 1736 autour
d’une chanteuse d’opéra qui avait reçu la communion des mains d’un capucin, et l’interdiction
faite par l’archevêque de Paris au clergé régulier de distribuer la communion aux gens d’opéra.
Reprenant les arguments avancés par Bouhours à propos de Molière, et par Voltaire lors de la
sépulture d’Adrienne Le Couvreur en 1730, il prend la défense des gens d’opéra et se prononce pour
une tolérance sociale plus grande à leur égard en France.35 Même si les instrumentistes n’étaient
pas excommuniés, les directeurs et les chanteurs d’opéra demeuraient donc marginaux au même
titre que les acteurs : Catherine Dudard et Louis Deseschaliers, les directeurs de l’opéra de Pologne,
n’ont pu se marier qu’à la condition de promettre de renoncer au théâtre. Leur acte de mariage, qui
figure dans les registres de Saint-Éloi à Rouen à la date du 25 novembre 1689, fait explicitement
mention de leur promesse de « renoncer à la profession de quomédien et d’aqueteur de l’Opéra.36 »
La précarité de cette condition pouvait faire apparaître désirable une carrière à l’étranger.
Un deuxième facteur structurel qui explique le départ à l’étranger d’instrumentistes fran-
çais est le bouleversement sans précédent, autour de 1660, de structures musicales séculaires, au
premier plan desquelles se trouve la corporation des ménétriers. Jusqu’en 1658, la communauté
des joueurs d’instruments était régie par des statuts anciens de près de trois siècles, adoptés en
1407. Les nouveaux status, préparés par le nouveau « roi des joueurs d’instruments » Guillaume
Dumanoir dès sa prise de fonction en novembre 1657, puis enregistrés en Parlement le 22 août 1659,
abaissent notamment de six à quatre ans la durée de l’apprentissage, tout en portant à quatre ans
l’interdiction de contracter une association après l’obtention du brevet d’apprentissage.37 Mais
c’est surtout le conflit provoqué par ces nouveaux statuts entre Guillaume Dumanoir et la com-
munauté des maîtres à danser qui bouleverse en profondeur les conditions d’exercice du métier de
joueur d’instrument et a très certainement provoqué une contraction très sensible du marché du
travail et des perspectives de carrière pour les jeunes instrumentistes français : la stricte séparation
entre les maîtres à danser et les maîtres joueurs d’instruments, entérinée par la création de l’Aca-
démie de danse à travers les lettres patentes de mars 1661, modifie profondément la silhouette du
métier. Elle s’accompagne de l’interdiction faite aux maîtres joueurs d’instruments d’enseigner
la danse, dont l’enseignement est désormais exclusivement confié à des maîtres privilégiés.38 Les
maîtres à danser échappent donc complètement à la tutelle de la corporation des joueurs d’instru-
ments, puisqu’ils peuvent enseigner la danse dans toutes les ville du royaume « sans qu’ils puissent
être pour quelque cause ou prétexte que ce soit […] contraints de prendre à cause de ce aucunes
Lettres de Maîtrise.39 » À l’inverse, les maîtres joueurs d’instruments qui veulent enseigner la
danse sont entièrement soumis au contrôle de l’Académie de danse, dont l’accès était conditionné
au versement de droits très importants : 150 livres pour les fils de maîtres et 300 pour les autres.40
Les joueurs d’instruments tenteront de s’opposer par tous les moyens à ce texte largement
défavorable à leur égard, mais en vain : le Parlement les débouta de leur opposition en 1662. Ces
dispositions ont certainement beaucoup réduit les débouchés des jeunes joueurs d’instruments,

35 Joachim Christoph Nemeitz, « Von den musicalischen Schauspielen, die man Opern nennet », in : Vernünfftige
Gedancken über allerhand historische, critische und moralische Materien, vol. 6, Francfort 1745, p. 162-189.
36 Fransen, Les Comédiens français en Hollande, p. 196-197.
37 Massip, La Vie des musiciens, p. 70-72.
38 Massip, La Vie des musiciens, p. 74-78.
39 Art. 10, cité par Massip, La Vie des musiciens, p. 76.
40 Art. 6, cité par Massip, La Vie des musiciens, p. 77.

– 142 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

formés aussi bien dans le domaine de la musique que de la danse, qui arrivaient alors sur le marché
du travail, conduisant certains d’entre eux à aller tenter leur fortune en Europe du Nord. Ce n’est
donc sans doute pas un hasard si les premiers musiciens français arrivent à Osnabrück à la fin de
l’année 1661. Beaucoup d’entre eux étaient d’ailleurs en même temps maîtres à danser, fonction
qu’ils n’avaient plus le droit d’exercer dans l’espace parisien. Ici encore, Jean-Jacques Favier est
un bon exemple d’une telle trajectoire : fils d’un maître joueur d’instruments, il a probablement
appris la musique et la danse. Après plus de dix années passées comme musicien et maître à danser
dans les cours de Celle et de Hanovre, on retrouve sa trace à Paris en 1691, date à laquelle il assiste
à l’enterrement de son père à Saint-André des Arts.41 La même année, un acte notarié le qualifie
de « maître de danse des académies royales.42 » Il a donc dû intégrer l’académie de danse, proba-
blement à l’aide du pécule amassé pendant ses années d’activité en Allemagne. En 1719, il apparaît
de nouveau comme « maître de danse à Paris » dans la quittance d’une somme de trois cent livres
qui lui était due par Joachim de Chatellier, conseiller du roi et président au bureau des finances
de Dauphiné « pour avoir montré à dancer à Messieurs ses enfans.43 » Dans ce cas particulier,
il apparaît très plausible que l’interdiction d’enseigner la danse ait constitué pour Jean-Jacques
Favier un motif supplémentaire de quitter Paris. Les musiciens qui arrivèrent à Celle en 1666
étaient tous en début de carrière, et donc particulièrement touchés par cette évolution : avec ses
27 ans, Philippe La Vigne était certainement le doyen du groupe, tandis que Jean-Jacques Favier
est âgé de 17 ans, Denis Le Tourneur de 25 ans, Thomas de La Selle de 21 ans.
Outre la fondation de l’Académie de danse, l’année 1661 marqua également le début du
règne personnel de Louis XIV et la nomination de Jean-Baptiste Lully au poste de Surintendant
de la musique du roi. Une période de concentration sans précédent du marché de la musique
commençait en France, marquée notamment par le rachat par Lully en 1670 du privilège royal
accordé à Pierre Perrin pour l’établissement d’académies de musique à Paris et en d’autres villes
du royaume, la création de l’Académie royale de musique en mars 1672, au moyen de lettres
patentes et diverses ordonnances royales qui interdisaient non seulement la création d’académies
de musique concurrentes, mais limitaient drastiquement l’usage de musique et la présence de
musiciens dans les théâtres.44 De plus, la salle du Palais Royal étant désormais réquisitionnée par
l’entreprise de Lully, l’ancienne troupe des comédiens du roi dirigée par Molière jusqu’à sa mort
la même année – et qui avait des violonistes à son service – s’en trouve chassée et doit se produire
à l’Hôtel Guénédaud.45 Ces développements eurent d’ailleurs pour effet direct l’émigration de
plusieurs musiciens de renom en Angleterre : nous avons déjà évoqué le cas de Jacques Champion
de Chambonnières, qui manifesta au moins à deux reprises, en 1655 et en 1667, son désir de partir
à l’étranger. Robert Cambert, ancien partenaire de Perrin qui avait perdu face à Lully la bataille
pour le contrôle de l’opéra de Paris, se rendit à Londres dès 1673 pour y fonder sur le modèle fran-
çais la Royall Academy of Musick, où il produisit deux comédies en musique, Ariane ou le mariage
de Bacchus et Pomone. Cambert poursuivit ensuite une carrière dans les cercles aristocratiques
anglais au moins jusqu’en 1676, date à laquelle sa trace se perd.46 Sa fille Marie-Anne Cambert
épousa à Londres le musicien Michel Farinel, qui avait été appelé par Charles II en 1675 et dont la

41 F-Pn, Fichier Laborde, NAF 12102, fiche 26350, 18 janv. 1691.


42 AN, Minutier central, I-193, 4 mai 1691.
43 AN, Minutier central, XVII-119, 24 mars 1719.
44 Les lettres patentes sont reproduites dans Arthur Pougin, Les Vrais créateurs de l’Opéra français : Perrin et Cam-
bert, Paris 1881, p. 193-196. Elles portent défense à toutes personnes « de faire chanter aucune pièce entière en
France, soit en vers françois ou autres langues, sans la permission par écrit dudit sieur Lully, à peine de dix
mille livres d’amende, et de confiscation des théâtres, machines, décorations, habits… » Voir aussi l’ordon-
nance royale signée à Saint-Germain le 14 avril 1672, dans laquelle le Roi défend « aux troupes de ses comé-
diens françois et étrangers qui représentent dans Paris […] de se servir dans leurs représentations, de musiciens
au-delà du nombre de six et de violons ou joueurs d’instruments au-delà du nombre de douze […]. »
45 Mongrédien, La Vie quotidienne des comédiens, p. 113-116.
46 Christina Bashford, « Cambert, Robert », in : Grove Music online.

– 143 –
Chapitre 3

biographie révèle également les contraintes qui pesaient sur les jeunes musiciens de cette généra-
tion : alors qu’en France, sa carrière musicale est principalement limitée aux fonctions de maître
de musique dans des institutions capitulaires et conventuelles du Sud de la France, sa fulgurante
carrière à l’étranger lui offre un environnement beaucoup plus favorable et des opportunités
beaucoup plus variées.47
Ces exemples montrent que le privilège de 1672 aboutit à une raréfaction dramatique des
lieux de musique et des opportunités d’emploi aussi bien à Paris qu’en province, raison pour
laquelle certains joueurs d’instruments décidèrent de poursuivre une carrière à l’étranger, dans
un environnement plus ouvert à la concurrence, en particulier s’ils étaient d’âge jeune ou béné-
ficiaient d’un capital social important. La chronologie des migrations musicales dans l’espace
germanique corrobore ces différentes hypothèses. L’évolution de la migration des musiciens fran-
çais par décennies marque un progrès continu en forme de pyramide, dont le sommet se situe
dans les années 1680. Pour la décennie 1660, à partir de notre échantillon, le nombre d’entrées
de musiciens français dans l’Empire est légèrement supérieur à un par an avec 15 entrées. Il aug-
mente légèrement dans la décennie suivante et culmine dans les années 1680, avant de rescendre
de manière continue jusque dans les années 1730 (Illustration 3.1).48 Si l’on considère la présence
cumulée des musiciens français, toujours sur la base de notre échantillon, on constate une évo-
lution comparable avec une augmentation continue entre 1660 et 1690, un pic dans les annéees
1690 avec 45 musiciens présents, puis une diminution progressive jusque dans les années 1740. Les
années 1680-1690 marquent donc incontestablement le point culminant de la présence musicale
française dans les Hofkapellen de l’Empire.
Nombre de musiciens par décennies
50
50

40
40

30
30

20
20

10
10

00
1660
1660 1670
1670 1680
1680 1690
1690 1700
1700 1710
1710 1720
1720 1730
1730 1740
1740

Nombre d’entrées Nombre de musiciens présents

Illustration 3.1. Évolution de la présence musicale française en Basse-Saxe et en


Saxe par décennie : nombre d’entrée et nombre de musiciens présents.

L’attrait de l’étranger
Examinons à présent les facteurs d’attraction – pull factors – qui ont fait des territoires impériaux
une destination apparemment prisée pour les musiciens français, davantage que d’autres régions
de l’Europe. Ce que Markovits nomme « l’attrait pécunieux » est assez délicat à mesurer avec
précision : la fluctuation des taux de change entre les devises, les différences de prix et de modes
de rémunération, sans parler de l’extrême volatilité des salaires des musiciens en fonction de
leurs capacités individuelles, des gratifications ponctuelles qu’ils reçoivent et des frais qu’ils ont
à supporter font que le coût de la vie de part et d’autre du Rhin n’est pas vraiment comparable.

47 F-Pn, Res. Vma Ms. 1219 : Michel Farinel, Les Concerts choisis de M. Farinelly. Voir aussi Massip, « Itinéraires
d’un musicien européen ».
48 Ces estimations ne prennent pas en compte les musiciens membres de la troupe d’opéra de Deseschaliers.

– 144 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

La remarque de Michel Farinel sur la « bonne pension49 » de son frère indique cependant que
le niveau de vie des musiciens français dans l’Empire était plutôt confortable. Avec une rému-
nération de 500 Thaler par an, Jean-Baptiste Farinel était particulièrement bien payé comme
Kapellmeister. Cette pension, équivalent à environ 1500 livres tournois, est supérieure à celle que
touchent dans les mêmes années Charles Maurice Le Tellier, maître de la musique de la Chapelle
du roi, ou Michel Lambert, maître de la musique de la Chambre du roi (1200 livres tournois
chacun) – mais de telles comparaisons ne prennent pas en compte le cumul des charges, pratique
courante chez les musiciens du roi, ni les suppléments à titres divers.50 Avec un tel salaire, c’est
d’ailleurs Jean-Baptiste qui peut venir en aide financière à son frère Michel : un procès opposera
en 1722 les deux frères Farinel à propos du remboursement d’une somme d’argent que Jean-
Baptiste avait prêtée à Michel en 1709, pour lui permettre d’acheter un office de contrôleur des
gages.51 Il aurait également envoyé de l’argent régulièrement à Berne pour son frère.52
La comparaison des salaires français et allemands est peut-être moins hasardeuse pour les
musiciens du rang : lorsque Jean-Jacques Favier et François Robeau sont engagés à Celle en 1666,
ils touchent chacun 136 Thaler par an, soit environ 408 livres tournois. Au même moment, leurs
pères Jacques Favier et Hilaire Robeau touchent seulement 365 livres par an comme violons de
la Chambre du roi.53 Là encore, la prudence est de mise : cette rémunération ne tient pas compte
des revenus complémentaires que ces derniers touchaient probablement comme maîtres joueurs
d’instruments, et d’autres musiciens de la Chambre du roi sont beaucoup mieux payés (comme les
petits violons ou les flûtistes avec 600 livres tournois). Il faut aussi noter que les hautbois reçoivent
généralement le même salaire que les violonistes (par exemple à Celle et Hanovre) mais que les
chanteurs sont parfois mieux payés : à Hanovre, la chanteuse Anne-Sophie Bonne perçoit un
salaire annuel de 250 Thaler entre 1668 et 1677, alors que les autres musiciens sont rémunérés 115
Thaler.54 Avec un salaire annuel de 400 Thaler, François Godefroy Beauregard est aussi mieux
payé que ses collègues instrumentistes à Dresde.55
Globalement, on peut donc affirmer que la rémunération des musiciens français dans les
cours allemandes est plus élevée qu’en France, puisqu’elle peut dépasser celle des musiciens du roi.
Sans compter qu’à Dresde, les salaires distribués aux musiciens français à partir des années 1700
sont encore supérieurs à ceux pratiqués en Allemagne du Nord : en 1709, les musiciens du rang
touchent entre 240 et 300 Thaler de pension (720 et 900 livres) tandis que Jean-Baptiste Volumier
touche 1200 Thaler (3600 livres).56 En 1720, Louis André touche également 1200 Thaler par an
comme compositeur de musique française. Cette inflation générale des salaires a sûrement à voir

49 F-Pn, Rés. Vma Ms. 1219 : Michel Farinel, Les Concerts choisis de M. Farinelly, non paginé : « De ce Mariage il ne
reste que mon frere qui dépuis environ 28 ans est a la Cour de S[on] A[ltesse] E[lectorale] d’Hannover avec une
bonne pension, & moy, qui des l’Age d’Onze a douze ans ay Composé divers ouvrages qui m’ont acquis quelque
reputation. »
50 Sur la base de l’édition 1709 du Cambio Mercatorio de Georg Heinrich Paritius, nous adoptons le taux de
change suivant : 1 Reichsthaler = 3 livres. Il faut noter que Michel Lambert touche aussi 1980 livres tournois
la même année, en qualité de maître des enfants, « pour sa nourriture et celle de trois pages ». Sur les pensions
de Le Tellier en 1680 et Cambert en 1683, cf. Benoît, Musiques de Cour, p. 11, 72 et 89-90.
51 F-Pn, Fonds Écorcheville, boîte n° 2. Le fonds Écorcheville conservé à la Bibliothèque nationale de France
contient deux copies manuscrites d’actes qui documentent ce procès. La première copie est une sentence du
baillage du Grésivaudan datée du 25 avril 1723. La seconde est intitulée « Réponse de Sieur Michel Farinel
Conseiller du Roy Controlleur des Gages des Officiers du Parlement aux griefs proposés contre la Sentence
rendue par le Vicebailly de Graisivodan ». Je remercie Cédric Segond-Genovesi d’avoir bien voulu me trans-
mettre son article et son inventaire du fonds Écorcheville : Cédric Segond-Genovesi, « Collection patrimo-
niale, héritage(s) scientifique(s): notes sur le fonds Jules Écorcheville (1872-1915) à la Bibliothèque nationale de
France », in : La notion d’ héritage dans l’ histoire de la musique, dir. Cécile Davy-Rigaux, à paraître.
52 Fischer, Musik in Hannover, p. 7.
53 Benoît, Musiques de Cour, p. 11.
54 Par exemple NLAH, Hann. 76c A Nr. 93, p. 437.
55 Par exemple HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 6, fol. 3 et 78.
56 HStA Dresden, Loc. 383/4, fol. 108-110.

– 145 –
Chapitre 3

avec les moyens financiers très importants de la cour de Dresde, qui dépassent de beaucoup ceux
des petites cours du Nord de l’Empire, mais également avec le fait que la tendance générale est à
la hausse y compris chez les comédiens.57 L’attrait pécunieux a donc sûrement joué un rôle non
négligeable dans le départ à l’étranger.
Enfin, l’intérêt croissant pour le répertoire musical et les pratiques orchestrales françaises a
certainement été un facteur essentiel. Il est d’abord stimulé par l’acclimatation de la danse fran-
çaise dans l’espace germanique, sur la scène ou dans la sphère privée, dans les milieux aristocra-
tiques mais aussi dans les milieux bourgeois et étudiants, documentée notamment par les nom-
breux manuels de danse en langue allemande imprimés autour de 1700, notamment à Leipzig.58
L’attrait pour le théâtre français a également provoqué la circulation de la musique : en ce sens, il
s’agit donc d’un phénomène culturel total. Les instrumentistes français purent bientôt jouir d’une
excellente réputation dans l’espace germanique. Le compositeur et écrivain Johann Beer note
ainsi à la fin des années 1680 que « tout le monde semble généralement d’accord sur une opinion
inébranlable, qu’il n’y a pas de meilleurs chanteurs qu’en Italie, et pas de meilleurs instrumen-
tistes qu’en France.59 » Quelques années plus tard, le maître de danse Samuel Behr recommande
aux maisons d’opéra allemandes d’adopter le modèle français pour la musique instrumentale,
voire d’engager une bande de musiciens français si elles en ont les moyens – probablement un
reflet des pratiques en vigueur à l’opéra de Leipzig où Behr exerçait :
Il serait encore bon d’observer, dans un opéra, qu’en ce qui concerne la musique instrumentale, il n’est
pas mal de se régler sur les Français, et de faire en sorte que l’opéra soit doté d’une bonne bande de
Français, ou au moins de bons Allemands qui auraient des manières françaises, puisque les Français,
avec leurs instruments et leurs danses, l’emportent encore sur les Allemands ; en ce qui concerne la voix
et le chant, cependant, les Italiens y fleurissent.60
Même si les recommandations de Behr n’ont vraisemblablement pas été appliquées littéralement
dans les principales maisons d’opéra de l’Empire – on ne trouve pas de trace d’orchestre fran-
çais à Hambourg, Braunschweig ou Leipzig – elles trahissent un intérêt pour les musiciens fran-
çais et une reconnaissance de leur valeur y compris en dehors du monde de la cour. Les opéras
publics pouvaient d’ailleurs mettre à profit les ressources du personnel musical français attaché
aux cours voisines (voir Chapitre 1). Jean-Jacques Favier apparaît ainsi comme maître des ballets
(« Ballettmeister ») dans l’opéra Erindo de Cousser créé en 1694 au Gänsemarktoper de Hambourg.61
Il était alors en poste comme maître à danser à la cour de Hanovre. De même, le tout nouvel opéra
de Braunschweig put compter dans son orchestre un musicien français de la cour de Celle en 1690,
ce qui valut à celui-ci une gratification spéciale.62 La cour se rendait d’ailleurs régulièrement dans
cet opéra, comme le montre la location de douze loges en janvier 1690.63

57 Markovits, Civiliser l’Europe, p. 55-60.


58 Sur ce corpus, voir en particulier Tilden Russell, Theory and Practice in Eighteenth-Century Dance : The Ger-
man-French Connection, Newark 2018. Sur les relations entre les maîtres à danser de Leipzig et les musiciens
français de Dresde, voir Louis Delpech, « Gottfried Taubert und die Rezeption französischer Musik in Dres-
den um 1717 », in : Tauberts « Rechtschaffener Tantzmeister » (Leipzig 1717). Kontexte – Lektüren – Praktiken, dir.
Hanna Walsdorf, Marie-Thérèse Mourey et Tilden Russel, Berlin 2019, p. 75-99.
59 Johann Beer, Musikalische Diskurse, Nuremberg 1719 [1689], p. 60 : « Die gantze Welt sehr allgemach in der
unbeweglichen opinion, es gäbe keine bessere Sänger als in Italien, und keine bessere Instrumentisten als in
Frankreich. »
60 Samuel Rudolph Behr, Maître de Danse. Anleitung zu einer wohlgegründeten Tantz=Kunst, Leipzig 1703, Anno-
tatio I, sans page : « Und noch dieses wäre bey einer Opera zu observiren, daß, was darinne die Instrumental
Music anbelangete, nicht unbillig wäre, wenn man sich darmit nach denen Herren Frantzosen regulirete, und
zusähe, daß entweder die Opera mit einer guten Bande Frantzosen, oder zum wenigsten guten Teutschen,
welche darinne auch Französische Manieren an sich hätten, versehen werden könte, indem doch ermeldte
Herren Frantzosen mit ihren Instrumenten und Tantzen den Welschen noch den Preiß abgewinnen; Was aber
die Stimmen und das Singen anbetrifft, so floriren hierinne die Welschen. »
61 Marx et Schröder, Die Hamburger Gänsemarkt-Oper, p. 439-457.
62 NLAH, Hann. 76c A Nr. 216, 20 août 1690, p. 364 : « Einem Musicanten welcher beÿ den Operen zu Braun-
schweigg auffgewartet, zur Verehrung laut ord: bezahlet. »

– 146 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

La diaspora huguenotte semble aussi avoir joué dans cet intérêt un rôle décisif dans les
métropoles de Hollande, et moins indirect dans les cours allemandes.64 Le fait que la duchesse de
Celle, Éléonore Desmiers d’Olbreuse, ait été une huguenotte semble ainsi avoir largement favori-
sé l’installation de nombreux militaires et aristocrates huguenots à la cour, créant par la présence
d’un public francophone des conditions linguistiques et culturelles particulièrement favorables
à l’installation d’une troupe de comédiens français. Les biographies de Samuel Chappuzeau ou
Jean-Jacques Quesnot illustrent d’ailleurs parfaitement le voisinage entre migration huguenotte
et élargissement du marché du travail pour les comédiens, danseurs et musiciens français (voir
Chapitre 1). De même, la présence de hautbois français dans les armées coïncide également avec
la migration d’officiers huguenots (voir ci-dessous). Même s’ils évoluent dans un environnement
multi-confessionnel et marqué par une tolérance religieuse supérieure à la moyenne, les mu-
siciens français restent cependant très largement catholiques. Mais ils bénéficient d’un intérêt
décuplé pour les pratiques de danse et le répertoire théâtral français qui trouve ses racines aussi
bien dans l’adaptation de l’idéal galant que dans les migrations religieuses.

La vie dans l’Empire


Déplacés à des centaines, parfois des milliers de kilomètres de leur lieu d’origine, dans un envi-
ronnement linguistique, culturel et confessionnel souvent très différent de ce qu’ils avaient pu
connaître en France ou dans les Flandres, les musiciens français ou francophones ont certaine-
ment dû déployer des facultés d’adaptation remarquablement élevées pour pouvoir s’adapter à
l’univers des cours d’Empire. L’adaptation ne portait pourtant pas en premier lieu sur leur style
d’exécution ni sur leur culture musicale, mais sur des phénomènes beaucoup plus triviaux, pour
la plupart extérieurs à la sphère de leur métier. C’est là encore que le rôle joué par la communauté
pouvait se révéler décisif. L’un des premiers obstacles à franchir était la distance géographique.

Voyage et installation
La planification de l’itinéraire, le voyage des musiciens et leur installation dans leur nouveau lieu
de vie sont des aspects essentiels pour saisir au plus près les modalités concrètes de leur migra-
tion. À une époque où les déplacements étaient pénibles et coûteux, un voyage de plusieurs cen-
taines de kilomètres à travers de nombreuses frontières requérait une bonne santé et ne pouvait
être entrepris en hiver à cause du froid et de la neige.65 L’acheminement de bagages nécessitait
quant à lui une préparation logistique soigneuse et engendrait des coûts importants. La plupart
des musiciens voyagent par voie terrestre, privilégiant ainsi la rapidité et les axes très emprun-
tés. Pour se rendre en Allemagne du Nord, l’itinéraire habituel passait à travers la Hollande :
Nemeitz recommande d’ailleurs que l’on visite la Hollande et l’Angleterre avant de se rendre
à Paris.66 À l’inverse, pour rejoindre la Saxe, l’itinéraire le plus courant emprunte la route de
Francfort, d’où partaient chaque semaine plusieurs voitures de poste pour Dresde, en traversant
la Hesse et la Thuringe. Lorsque les musiciens d’Auguste le Fort reviennent en octobre 1714 de
Paris, où ils avaient accompagné le prince Friedrich August pendant son Grand tour, l’organiste
Christian Pezold égare sur le trajet une malle entre Erfurt et Weimar, conduisant le cocher de la

63 NLAH, Hann. 76c A Nr. 215, p. 404 : « Behueff neu erbaueten Operen Hauses in Braunschweig. Vermöge
Serenissimi Durchl. Gnädigster ordre de dato Zelle den 4. January 1690 für 12 logen in demselben, dem H.
Drosten Stechinelli laut Quittung bezahlet 800 Thlr. »
64 Voir par exemple le cas de La Haye avec Rebekah Ahrendt, « Armide, the Huguenots, and The Hague », The
Opera Quarterly, 28/3-4, 2012, p. 131-158.
65 Nemeitz insiste sur la bonne constitution physique indispensable pour voyager (« Les Voiages sont sujets à
beaucoup d’incommoditez, que même des corps sains & robustes ne supportent qu’avec peine », et le voyageur
doit donc avoir une « forte complexion ») ainsi que sur la nécessité d’avoir une « bourse bien garnie » : Nemeitz,
Séjour de Paris, p. 12-15.
66 Nemeitz, Séjour de Paris, p. 38-48.

– 147 –
Chapitre 3

diligence à signer une déclaration de perte.67 Pour le trajet aller, le prince était également passé
par Francfort, avant de rejoindre Cologne et de passer en France à Metz.68
C’est seulement dans le cas où ils étaient accompagnés d’effets lourds et volumineux difficiles
à acheminer par voie terrestre que les musiciens privilégiaient le transport maritime ou fluvial,
beaucoup moins coûteux : les dix-sept ballots de décors et costumes de l’ancien opéra de Lille,
rachetés par Louis Deseschaliers pour l’opéra de Pologne, sont envoyés par la mer à Dunkerke
avant d’être acheminés jusqu’à Paris.69 Pour se rendre à Cracovie, la troupe navigue sur le Danube
entre Ulm et Vienne, sur quatre bateaux qui tranportaient une centaine de personnes avec leurs
bagages et les décors.70 Les portions terrestres de l’itinéraire, fort coûteuses, sont ainsi réduites
au minimum, entre Paris et Ulm puis entre Vienne et Cracovie (Illustration 3.2). Le déplacement
en carosse et le transport par charriot coûte six fois plus cher à la troupe que la portion fluviale de
leur itinéraire.71 La même année, la troupe de comédiens français engagée à La Haye est accom-
pagnée de quatre-vingt ballots de malles et bagages, comprenant décors et habits, ainsi que le
précise la demande de passeport signée par Abraham Wolfgang von Gersdorf, représentant de
Saxe auprès des États généraux.72 Les comédiens empruntent donc un itinéraire maritime et flu-
vial : ils s’embarquent à Amsterdam pour rejoindre Hambourg par la mer, avant probablement
de remonter l’Elbe jusqu’à Dresde.73 Les livres, partitions et autres denrées non périssables à des-
tination de l’Allemagne empruntaient également la voie maritime, comme l’explique Christophe
Brosseau à Leibniz :
Vos lettres des 14. et 24. du mois passé m’ont esté rendues, et j’ay trouvé avec la derniere la liste des
livres que S[on] A[ltesse] S[erenissime] desire, Ils seront bientost achetez, mais la peine est de vous les
faire tenir par une voye seure, car quant à cele de Monsr Leffman le fils il n’est pas possible de s’en servir
acause qu’il s’en retourne par terre, et que le port de ces livres seroit d’un grand coust. Il faut donc se
resoudre à prendre celle de quelque vaisseau Anglois qui partira de Rouën pour Hambourg à quoy je
veilleray incessament.74

Les livres français acquis par la bibliothèque ducale de Hanovre, qui incluaient des partitions de
musique, étaient donc en raison de leur poids d’abord envoyés à Rouen – probablement par voie
fluviale en descendant la Seine – où ils étaient chargés sur un bateau à destination de Hambourg.
Après ces déplacements pénibles, sitôt arrivés à destination, les musiciens français devaient
se mettre à la recherche d’un logement. Dans la petite ville d’Osnabrück, ils n’étaient pas logés
directement à la cour, mais on leur fournissait au même titre que d’autres serviteurs le gîte (ou
plus exactement le « quartier ») chez l’habitant pour la durée de leur présence, la plupart du
temps quelques mois au cours de l’été. Les habitants adressaient ensuite une facture à la cour qui

67 Köpp, Johann Georg Pisendel, p. 81-84. Voir Chapitre 5, p. 264-265.


68 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett Loc. 758/04.
69 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/3, fol. 2 : « Pour dix sept grands ballots d’habits et bardes de
l’Opera, pour les envoyer de l’Isle a Dunkerque & de la a Paris, toujours par terre, il y a le receu — 800 [livres]. »
70 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/3, fol. 2 : « Pour avoir achepté à Ulme quatre bateaux de
quatre vingt pieds, piece, matelas, linge, batterie de cuisine et nourry avec du Vin tout l’opera jusques à Vienne
– 4394 [livres]. »
71 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/3, fol. 2 : « Pour avoir envoyé tout l’Opera en carosse de
Paris a Strasbourg, pour sa nourriture et le payement du port des petits paquets il y a le receu — 8587.15 [livres].
[…] Pour avoir nourri tout l’Opera a Strasbourg pendant douze jours, plus pour nourriture et carrosses durant
sept jours de Strasbourg à Ulme, plus sejourné huit jours à Ulme, plus pour dix sept milliers pesant de Stras-
bourg à Ulme par terre – 9069 [livres]. […] Pour le port de dix sept milliers de Paris a Strasbourg par terre il y
a le receu – 2406.16 [livres]. […] Pour avoir mené tout l’opera en carrosse de Vienne a Cracovie et les ballots par
chariots, marché fait par Monseigneur Vakerbak – 6994 [livres]. »
72 Fransen, Les comédiens français, p. 200.
73 Voir la déclation des comédiens signée à Amsterdam, 9 sept. 1699 : HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett,
Loc. 383/2, fol. 13 : « promettant l’un pour tous, è tous pour un de nous embarquer au plus tard m[ardi] pro-
chain qui est le 15. du Courant, a Amsterdam, pour aller a Hambourg et de la au plus vite a Dresde. »
74 Lettre de Christophe Brosseau à Gottfried Wilhelm Leibniz, Paris, 18 juin 1697. Gottfried Wilhelm Leibniz,
Sämtliche Schriften und Briefe I/2, éd. Paul Ritter, Darmstadt 1927, p. 275-276.

– 148 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

Illustration 3.2. . Itinéraire de la troupe d’opéra de Deseschaliers.

payait l’hébergement. En 1666, une veuve de la ville enregistre la présence pendant trois mois de
Monsieur Jemme et Madame Nanna, ainsi que d’un Monsieur Lafontaine pour neuf mois.75 Si
« Monsieur Jemme » renvoie sans aucun doute possible à Élie Jemme, « Madame Nanna » dé-
signe très probablement la chanteuse Nanon qui apparaît régulièrement dans la correspondance
de Sophie entre 1663 et 1675.76 Elle peut être identifiée comme la fille illégitime du diplomate
huguenot Pierre de Falaiseau77 et se trouve en 1703 à Berlin, à la cour de Sophie Charlotte.78
« Monsieur Lafontaine » a été actif à Osnabrück pendant plusieurs années : le « musicien français
de la cour Pierre La Fontaine » se marie en 1673 dans l’église St. Johann et y fait baptister deux
de ses enfants en 1674 et en 1676.79 D’autres noms de musiciens sont encore signalés dans d’autres
factures en 1667 : Clermont80, Simon, Syntamoir.81 Ces musiciens n’étaient donc pas engagés
durablement, mais seulement pendant l’été, avec une obligation de présence flexible. Certains

75 NLAO, Rep. I Nr. 492, fol. 26r : « Rechnung von Anno 1666 waß mir von Ihro Hochfürstl. Dchl. Einquar-
tierten Völckern und Hoffbedienten an quartiergeldt noch in Rückstand ist alß nemblich : Erstlich Monsieur
Jemme Undt Madam Nanna vor dreÿ Monat jedes mon[a]t. 2 Thlr. – facit 6 Thlr. Monsieur Lafontaine neun
Monat vor jedes mon[a]t 1 Thlr facit – 9 Thlr. Monsieur Lubeck zweÿ Monat vor jedes Mon[a]t 1 Thlr facit – 2
Thlr. […] Diese Rechung ist mir nach Maria Schüters, Wittwe Hawers, bezahlt. »
76 Vgl. Bodemann, Briefwechsel, p. 58, 147, 242.
77 Pierre de Falaiseau fut l’envoyé du Brandebourg en Suède de 1685 à 1690 : Daniel Riches, Protestant Cosmopolita-
nism and Diplomatic Culture. Brandenburg-Swedish Relations in the Seventeenth Century, Leiden 2013, p. 228-253.
78 Voir par exemple la lettre de Gottfried Wilhelm Leibniz à Pierre de Falaiseau, Berlin, 17 avr. 1703. Leibniz,
Sämtliche Schriften und Briefe I/22, p. 243 : « J’ai vu dernièrement M[ademoise]lle Nanon, chez la Reine. Elle se
fait à Merveille : la Reine l’y faisant apprendre à danser, chanter, et l’italien. Et se monstrant fort satisfaite de
son esprit et du zele qu’elle fait paroistre pour le service de Sa Majesté. »
79 BA Osnabrück, St. Johann, Traubuch 1657-1682, 29 oct. 1673, p. 241 : « Eodem die domi cum dispensatione
Petrus Lafonteinne Musicus Principiis Virgo Elisabetha Antonia Beglÿ. Testes Georgius Beglÿ pater sponsae
Antonius Bisendübell. » BA Osnabrück, St. Johann, Taufbuch 1657-1694, 8 juin 1674, p. 87, et 12 janv. 1676, p. 94.
80 NLAO, Rep. 110 I Nr. 492, fol. 72 : « Anno 1667 den 2. Maÿ ist bey mihr eingelogirt Monsieur Clermondt
Fürstl. Musicus Undt geplieben biß den 3. 9bris seindt 6. Monat ieder monat für Schlaff= Undt Verpflegung 1.
Thlr. – F[acit] 6 Thlr. Joibst Höckerp [?]. »
81 NLAO, Rep. 110 I Nr. 492, fol. 75 : « den 8. Aprilis [1667] seindt bey mihr eingelogirt zwey Musicanten alß
Monsieur Simon Undt Monsieur Syntamoir mit einem Diener Undt geblieben biß den 11. 9bris, seindt 7. Mo-
nat für ieder monatlich 1. Thlr – 14 Thlr. Für den Diener monatlich 10 gr. 6 d. – 3 Thlr 10 gr. 6 d. Vom 11.
9bris 1667 biß den 11. Januarÿ 1668. Monsieur Simon geblieben seindt zwey monat – 2 Thlr. Noch biß den 11
Februarÿ 1. Monat – 1 Thlr. Anna Wedeburgt, Wittwe Blauebeforts. »

– 149 –
Chapitre 3

musiciens des cours voisines pouvaient aussi être occasionnellement logés à Osnabrück lorsqu’ils
venaient y travailler de manière exceptionnelle.82
À l’été 1667, deux musiciens du nom de Lübeck et « Lapieur » sont logés chez l’habitant pour
six mois.83 Ce dernier se trouvait déjà à Osnabrück l’année précédente : en mars 1666, il se marie à
la cathédrale Saint-Pierre, où il est désigné comme « Guillaume Lappier, Français et musicien de
Leurs Altesses » (« Aegidium Lappier Gallus et Musicus Serenissimi principi »).84 Tout juste neuf mois
après son mariage, le musicien fait baptiser sa fille qui reçoit Sophie de Hanovre pour marraine.85
Lorsqu’il apparaît six mois plus tard dans les quittances pour l’hébergement des musiciens, on a
donc l’impression qu’il était déjà installé depuis longtemps dans la ville. C’est toujours le cas douze
ans après, puisqu’il fait baptiser en mars 1679, juste avant le déménagement de la cour à Hanovre,
son fils Nicolas à Osnabrück, toujours sous le nom de « Egidius Lappier Gallus musicus ».86 Tout juste
un mois plus tard, en avril 1679, il apparaît dans les Archives Nationales à Paris, sous le nom de
« Guillaume Lapierre » avec une adresse place Maubert : il signe un contrat d’association pour un
an avec d’autres musiciens et maîtres à danser parisiens, pour jouer du violon pour les fiançailles, les
mariages, les banquets et les sérénades, et donner un concert une fois par semaine.87 Cet exemple
montre que les musiciens pouvaient changer très rapidement de lieu de vie : Guillaume Lapierre,
quelle que soit la raison de sa non reconduction parmi le personnel de Hanovre lors du déména-
gement de la cour, est rentré très vite à Paris. Il y était sans doute régulièrement pour entrenir ses
contacts. Il semble donc que les musiciens français en activité à la cour d’Osnabrück entre 1661 et
1680 ne résidaient pas de manière durable dans la ville, mais qu’ils étaient plutôt recrutés pour une
durée courte, probablement déterminée à l’avance, au terme de laquelle ils retournaient en France.
Les déplacements se font exclusivement à la belle saison, quand les routes sont dégagées et
les conditions climatiques supportables. À Celle, les premiers musiciens arrivèrent tout au long
du printemps 1666, hormis René des Vignes qui arriva au cours de l’hiver 1667 mais touche le
même salaire que les autres. Le premier salaire est versé aux musiciens pour une demi-année à
partir de la Saint-Michel 1666 jusqu’à Pâques 1667 et fait référence à un décret d’engagement
signé du 3 avril 1667.88 Il s’est donc écoulé une année pleine entre l’arrivée des musiciens et leur
engagement définitif, probablement signé au terme d’une période d’essai. Philippe La Vigne, le
chef de la bande qui restera jusqu’en 1705 Capellmeister de la cour, arrive le premier à Celle avant
le 2 mars 1666. Il est d’abord logé dans une auberge pendant trois mois,89 avant d’être envoyé
chez l’habitant Christoph Keßelhutt au cours du mois de mai 1666 en compagnie de son petit
frère et du musicien François Robeau.90 Il est enfin envoyé chez un Français nommé Laforest,
pasteur calviniste de la Duchesse, en même temps chargé de l’intendance et de l’accueil des invités
(« Hoffourier »), en compagnie de François Robeau et Jean-Jacques Favier jusqu’en janvier 1667.91
Lorsqu’un nouveau musicien, Guillaume Josse, arrive à Celle en juin 1666, il est également logé

82 En mars 1667, un « maître à danser de Celle » fut logé dix jours : NLA Osnabrück, Rep. 110 I Nr. 493, fol. 28.
83 NLAO, Rep. 110 I Nr. 492, fol. 77 : « Anno 1667. den 7. Martÿ seindt bey mihr eingelogirt zwey Musicanten
alß Monsieur La Pieur Undt Mr. Lübeck, Undt geplieben biß den 11. 9bris, seindt 8. Monat, ieder monatlich
für Schlaff- Undt Verpflegung ad 1. Thlr – 16 Thlr. Anna Catharina Mehrpoldt Wittibe Kaumers [?]. »
84 BA Osnabrück, St. Petrus, Traubuch 1658-1728, 8 mars 1666, p. 16.
85 BA Osnabrück, St. Petrus, Taufbuch 1653-1711, 10 déc. 1666, fol. 26.
86 BA Osnabrück, St. Johann, Taufbuch 1657-1694, 27 mars 1679, p. 58.
87 AN, Minutier central, XLI-262, 29 avr. 1679 : Association de Pierre Clément, Thomas Duchesne, Louis Picart,
Pierre Clerfeuille, Guillaume Lapierre, demeurant place Maubert, paroisse Saint-Étienne-du-Mont, Pierre
Picart et Médard-Rose Darcy, tous maîtres joueurs d’instruments et maîtres à danser, pendant un an pour jouer
du violon aux fiancailles, noces, soupers, sérénades et faire concert tous les samedis.
88 NLAH, Hann. 76c A Nr. 192, p. 465 : « Frantzösische Musicanten halbjährig alß von Michaelis 1666 biß
Ostern 1667 laut befehl dat. des 3. April Ao 1667. »
89 NLAH, Hann. 76c A Nr. 191, p. 363.
90 NLAH, Hann. 76c A Nr. 192, p. 361 : « Frembde Ausquartierung. 3. den 15. Dito — für den Musicanten
Lavigne bis den 20. May, Christoph Keßelhutt. 4. Eodem. Dito — für la Vigne seinen Bruder undt den Musi-
canten Rabau bis Johannis Baptista demselben Keßelhutt. »
91 NLAH, Hann. 76c A Nr. 192, p. 364.

– 150 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

chez ce Laforest, de même que René des Vignes qui apparaît juste avant Pâques 1667.92 Claude
Pécour et Thomas de La Selle, qui arrivent au début de l’automne, sont logés chez un Allemand,
Andreas Vesemann.93 Pendant les quinze premières années de leur activité à Celle, à partir de
leur engagement définitif jusqu’en 1680, les musiciens reçoivent chaque semestre une somme
d’argent pour le loyer au même titre que tous les autres serviteurs de la cour.
La perspective d’une installation définitive semble souvent mettre du temps à s’imposer.
Certains des musiciens de Celle se firent construire une maison, indice infaillible qu’ils éli-
saient leur nouveau pays comme domicile : en 1688, les musiciens Thomas de La Selle et Louis
Gaudon reçoivent en même temps que d’autres serviteurs (entre autre le maître des pages Samuel
Chappuzeau) une grande quantité de pierres et de tuiles pour construire leurs maisons dans la
ville nouvelle (« Neustadt ») qui se trouvait quelques centaines de mètres à l’ouest du château.94
En 1689, Thomas de La Selle et Guillaume Josse reçoivent à nouveau du matériel pour les murs
et le toit de leurs maisons.95 Cet emménagement favorisa grandement l’implantation définitive
de ces musiciens à Celle, sans « esprit de retour » : aussi bien Thomas de La Selle que Louis
Gaudon moururent à Celle, où ils furent enterrés, démontrant ainsi un investissement de leur lieu
d’accueil caractéristique d’une migration de rupture. À Dresde, les données sur le déplacement et
l’installation des musiciens français sont beaucoup plus rudimentaires. Ils étaient apparemment
logés par la cour, ayant leur quartier et partageant parfois leur maison avec d’autres de leurs
collègues. À partir de 1724, le personnel français des plaisirs du roi fut apparemment déménagé
dans un village qui était connu sous le nom de Französisches Dorf, et qui formait dans la ville de
Dresde un véritable quartier français. On avait en fait récupéré les installations créées à l’occasion
d’un divertissement pour les convertir en habitations durables.96

Pratique religieuse et identités confessionnelles


La question de la pratique religieuse est fondamentale, car elle a des implications non seulement
sur la vie quotidienne des musiciens français, mais aussi sur la manière dont nous pouvons com-
prendre les mobiles de leur migration. Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, la plupart
des musiciens français actifs en Allemagne n’étaient pas protestants. Alors que l’exil des hugue-
nots et la formation du Refuge européen occupent une place centrale dans l’historiographie, à
la mesure du bouleversement culturel et migratoire européen qu’ils représentent, la plupart des
musiciens et comédiens français sont de confession catholique – même à Celle, qui a pourtant été
le premier refuge huguenot en terre impériale et a accueilli de nombreux militaires, aristocrates et
hommes de lettres réformés grâce à l’action d’Éléonore d’Olbreuse. Parmi la centaine de musiciens
que nous avons pu observer, seuls Louis et Charles Gaudon ont abjuré la foi catholique romaine et
se sont convertis à la religion réformée, qui était aussi celle de la duchesse Éléonore d’Olbreuse.97
Dans les duchés de Celle et de Hanovre, la cohabitation entre les différentes confessions
chrétiennes est excellente, effet de la tolérance religieuse affichée par des souverains éclairés et du
pluralisme religieux au sein du personnel de la cour.98 Même si le culte catholique restait interdit

92 NLAH, Hann. 76c A Nr. 192, p. 361-365.


93 NLAH, Hann. 76c A Nr. 192, p. 363-364.
94 NLAH, Hann. 76c A Nr. 213, p. 349 : « May den 17t laut Befehls de dato den 30t Aprilis 1688 dem Hoffbau-
schreiber Herman Armelung für eine Quantität Mauer- und Tachsteine, so dem Pagen Hoffmeister Chappu-
zeau, Tappezier La Fontaine, Musicanten Gaudon und la Selle zu Erbauung Ihrer Hauser auf hiesiger Neu-
stadt gnädigst geschenket, bez[ahlet] 646 Thlr, 4 gr, 2 d. »
95 NLAH, Hann. 76c A Nr. 215, 28 oct. 1689, p. 344 : « für 11000 dach= und 37000 Mauersteine so Ser. Dur-
chl. an den Musicanten de la Selle, Josse, Cammerdiener Caulier, la Perle und Silberdiener Hasen gnädigst
verehret laut ord: und quitung bezahlet 300 Thlr. »
96 Fürstenau, Zur Geschichte, vol. 2, p. 158.
97 Beuleke, Die Hugenotten in Niedersachsen, p. 133.
98 Gregorio Leti, Abrégé de l’ histoire de la maison sérénissime et électorale de Brandebourg, Amsterdam 1687, p. 346 :
« on y fait profession de la Religion du Prince qui est la Luthérienne, mais cependant on ne laisse pas d’y souf-
frir les Catholiques, & à present aussi les Réformez en considération de Madame la Duchesse ». D’après lui,

– 151 –
Chapitre 3

à Celle, les catholiques pouvaient aller pratiquer leur religion à Hanovre à partir de l’avènement
de Johann Friedrich en 1665, puisque la chapelle du nouveau duc converti au catholicisme était
desservie par des capucins italiens. La messe était également célébrée quotidiennement dans
diverses chapelles privées attachées à des résidences particulières, comme celle de l’ambassadeur
impérial à partir de 1678, ou celle du prince Luigi d’Este, colonel au service du duc.99 En toute
illégalité, le clergé catholique de la cour de Hanovre venait de temps en temps à Celle pour y
célébrer secrètement la messe lors des grandes fêtes, ce qui n’allait pas sans créer des tensions avec
la population locale : à Noël 1671, les capucins furent trahis par une chanteuse qui avait assisté à
la messe, entraînant une réprimande officielle.100 Confrontés à cette interdiction, les musiciens
catholiques faisaient souvent baptiser leurs enfants dans des églises luthériennes, à la chapelle du
château ou dans les paroisses de la ville. Les registres baptismaux font ainsi parfois mention d’un
baptême pratiqué par un pasteur luthérien et simplement complété, dans ce cas, par le prêtre
catholique qui assure les rites complémentaires.101 C’est seulement à partir de 1683 que la messe
fut célébrée dans la chapelle privée du résident français, le marquis d’Arcy désormais installé à
Celle de manière permanente. Lorsque cette représentation diplomatique prit fin en 1687, les
catholiques reçurent l’autorisation de pratiquer à l’extérieur de la ville, dans la maison de Lucas
von Buccow, fils illégitime du duc et colonel d’un régiment de dragons, bientôt convertie en cha-
pelle catholique et desservie par un jésuite français installé à Celle.102 Le compositeur, diplomate
et évêque italien Agostino Steffani venait régulièrement à Celle pour y assurer les confirmations :
il confirme par exemple en 1710 la fille de Thomas de La Selle, déjà âgée de 33 ans.103 Après leur
mort, les catholiques étaient enterrés à Hanovre dans un cimetière séparé, situé à l’extérieur de
la ville devant la porte Saint-Gilles.
Les musiciens français de Hanovre sont tous catholiques à l’exception de Nanon, fille du
huguenot Pierre de Falaiseau, ainsi que Pascal Bence, Pinel, La Croix, Bertrand et Maillard sur
lesquels nous n’avons pas d’informations. Parmi les vingt-trois musiciens français de la cour de
Celle, seuls quatre individus conservent une identité confessionnelle floue : Forlot, Galliard, des
Hays et Mignier. Au contraire, certaines familles apparaissent très régulièrement dans les registres
paroissiaux catholiques : Philippe La Vigne et Louise Madeleine Pécour, ou encore de Thomas
de La Selle et Louise Sinski. D’autres musiciens n’apparaissent que de manière occasionnelle :
Jean-François Graep et Philippe de Courbesastre font simplement baptiser un ou deux enfants, le
musicien Saint-Amour n’apparaît qu’au moment de sa mort, muni des sacrements de l’Église, tout
comme René des Vignes ou Pierre du Vivier. D’autres enfin n’apparaissent que comme parrains
ou témoins, ce qui n’est pas un marqueur confessionnel, puisque les parrains peuvent être d’une
autre confession que leur filleul.104 La plupart sont néanmoins catholiques : Jean-Jacques Favier,
témoin avec René des Vignes et Guillaume Josse du mariage de Thomas La Selle105 et parrain lors
d’un baptême à Hanovre en 1679, a été baptisé dans une paroisse catholique à Paris.106 C’est aussi
le cas de Denis Le Tourneur, baptisé à Paris dans une paroisse catholique et témoin lors du mariage

le nombre de réformés à Celle ne dépassait pas 150 et ne nécessitait pas l’érection d’une église particulière, les
services se déroulant dans les appartements de la duchesse.
99 Woker, Geschichte der katholischen Kirche, p. 35.
100 Woker, Geschichte der katholischen Kirche, p. 238.
101 Par exemple BAHild, KB Nr. 385, Celle St. Ludwig, Taufbuch 1674-1852, 11 oct. 1715, p. 19 : « NB. In his omni-
bus a Ministris lutheranis baptizates supplevit ceremonicis ommissas Adm: Rdus Pater Carolus Blanche. »
102 Woker, Geschichte der katholischen Kirche, p. 240-246.
103 BAHild, KB Nr. 388, Celle St. Ludwig, Firmungen 1710-1819, p. 8: « Ludovica La Selle annorum 33 filia Tho-
mae La Selle et Ludovicae Sinski conjugum Matrina fuit Margareta Rousselle dta Marchand ex picardia. »
104 Les parrains de Georg Wilhelm La Vigne, fils de Philippe La Vigne baptisé dans l’église catholique, sont le duc
luthérien Georg Wilhelm et sa femme réformée Éléonore d’Olbreuse. Pour d’autres exemples, voir Beuleke,
Die Hugenotten in Niedersachsen, p. 146-147.
105 BAHild, KB Nr. 778, Hannover St. Clemens, Traubuch 1667-1711, 24 avr. 1671, p. 4.
106 BAHild, KB Nr. 777, Hannover St. Clemens, Taufbuch 1671-1699, 3 avr. 1679, p. 76.

– 152 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

de François Valoy et Antoinette Bénédicte de Châteauneuf.107 Guillaume Caillat est témoin lors
d’un mariage à Hanovre en 1676 pour lequel l’acte de mariage prend soin de préciser que tous les
témoins sont catholiques.108
Comme en France, les musiciens ont le privilège de pouvoir de choisir les parrains de leurs
enfants parmi leurs patrons, membres de la haute aristocratie dont l’accès leur resterait autre-
ment impossible. Cependant, ces derniers se font fréquemment représenter par des tiers souvent
choisis dans l’entourage direct des parents. Lorsque Philippe La Vigne et sa femme font baptiser
leur fils Georges en 1676, ils choisissent ainsi Georg Wilhelm et Éléonore pour parrain et mar-
raine de leur enfant, mais ceux-ci se font représenter respectivement par Jean de Hillaret sieur
de Boncourt, membre de la troupe des comédiens français, et Anne Godelet dite La Rivière,
également comédienne française. Quand Gilles Héroux fait baptiser son fils Georges, la comtesse
de Platen se fait représenter par Marie de Loges, probable parente du musicien Jacques de Loges.
Enfin, lorsque Pierre Vezin fait baptiser sa fille Sophie Amélie en 1696, c’est Antoine Desnoyer
qui représente le prince Ernst August.
La situation confessionnelle est assez similaire en Saxe, où l’immense majorité des musiciens
apparaît dans les registres de la chapelle royale catholique. La conversion d’Auguste le Fort ouvrit
une période de tolérance plus grande vis-à-vis des catholiques (voir Chapitre 2). Réciproquement,
les prédicateurs catholiques de la cour étaient tenus de faire preuve de retenue dans leurs propos
et de vivre en bonne intelligence avec les luthériens.109 La cohabitation n’était cependant pas
toujours sans difficulté : en 1726, le meurtre du pasteur luthérien Hermann Joachim Hahn par
un soldat catholique provoqua un véritable scandale qui mettait au jour la précarité de cet équi-
libre confessionnel. Du 21 au 29 mai 1726, la ville fut le théâtre d’un violent soulèvement anti-
catholique durant lequel plusieurs catholiques de la cour furent pris à parti par la population
luthérienne de la ville. Le comédien français Poisson raconte dans une lettre à Pierre de Gaultier
qu’il fut pris pour un prêtre, et dû subir plusieurs vexations pendant cet épisode (Tableau 3.1).
S’il raconte plaisamment l’erreur de ses attaquants, qui crurent reconnaître la tonsure ecclésias-
tique dans sa calvitie et une soutane dans son costume de Crispin, le choc n’en est pas moins réel :
Poisson plaide d’ailleurs pour une bonne entente entre les différentes confessions, et souligne la
modération dont ont fait preuve les prédicateurs luthériens en commentant cet évènement.

Tableau 3.1. Lettre du comédien Poisson à Pierre de Gaultier, non datée (vers mai 1726). HStA Dresden, 10026
Geheimes Kabinett, Loc. 3349/1
Monsieur
L’honneur que vous me faittes de me plaindre est un adoucissement au mauvais traittement que j’ay
receu, et le contentement que j’ay de voir les honestes gens s’interesser a mon avanture, me fait presque
oublier tout le mal que j’ay eû. Vous souhaitez, Monsieur, que je vous fasse un petit détail de la chose,
je le ferai en honneste homme, et mesme sans passion, et le plus abrégé qu’il me sera possible. Comme
vous avez apparemment vû des Relactions exactes de ce Tumulte, je ne vous parlerai que de ce qui me
regarde, il est constant que l’insolence de la Canaille a esté à l’excès, les honestes gens n’ont aucune part
a cette affaire. La Conduite du Conte Vackerbart a esté admirable, un de ces coquins, ou malins tué ou
blessé, auroit causé peut estre la mort de cent honnestes gens ; l’hotel de ville a fait aussi son devoir ;
les ministres et les Predicateurs Lutheriens ont parlé dans tous leurs discours publics et particuliers, en
chretiens, et ont fulminé contre les violences de cette canaille. C’est une chose que tous les catholiques
doivent avoüer et loüer amplement.

107 BAHild, KB Nr. 778, Hannover St. Clemens, Traubuch 1667-1711, 24 avr. 1693, p. 109.
108 BAHild, KB Nr. 778, Hannover St. Clemens, Traubuch 1667-1711, 11 juin 1676, p. 34-35 : « Guilielmus Gaillat
de Saint Fargeau Burgundia », et plus loin « qui testes omnes catholicae sunt religionis. »
109 Voir par exemples le règlement de la chapelle royale dans Theiner, Geschichte der Zurückkehr, vol. 2, p. 75-78 :
« Veut et ordonne le Roy que l’exercice de la Religion soit entierement libre aux Catholiques en sorte qu’ils ne
soient aucunement troublés et molestés ». Réciproquement, dans la chapelle catholique, « l’on se gardera de ne
jamais rien dire contre les Protestants au contraire on priera pour eux et l’on en parler tousjours avec charité
leur donnant toutes les marques d’une véritable fraternité. »

– 153 –
Chapitre 3

L’inimitié qui Règne entre les deux partis


n’y rend pas de l’honneur tous les droits amortis
dit Corneille dans Pertorius, ainsi les differens sentimens De Religion, ne doivent point exclure l’equité
et le bon droit, et on doit se souvennir toujours qu’on est chretien. La canaille dans tous les Pays est
canaille, ce sont gens sans raison, sans éducation, qui n’ont rien à perdre, et qui saisissant la moindre
occasion de trouble, l’augmentent, dans l’esperance d’en tirer quelque avantage apres que la Populace eut
cassé les vitres de notre maison jusques au 3.me étage, où est logé Prevot, les magistrats nous envoierent
une garde Bourgeoise pour nous conduire a l’hotel de ville. Ma femme nous recommanda a elle de la
maniere la plus suppliante, nous sortismes de la maison, au milieu de la garde qui croisait les armes
sur nos testes mais malgré cette précaution, un homme par dessus l’epaule d’un garde m’arracha ma
Perruque ma teste parut à nud, et comme je suis chauve ils me prirent pour un Prestre, et me donnerent
tant de coups de canne sur la teste, et partout, malgré les gardes, qui si javois eû plus loing à aller, j’aurois
esté assommé, et n’aurois pas l’honneur de vous écrire aujourd’hui. Prevot qui est petit, à l’abri de ma
corpulence esquiva bien des coups, pour moi qui suis gouteux, et assez mal sur mes jambes, je n’en perdis
pas un seul. Arrivé a l’hotel de ville, je me trouvai heureux de n’avoir pas esté assommé sur la Place. Ils
m’ont pris pour une Prestre, et m’ont Regalé en Evesque, et en homme qui a 300 mille Livres de Rente
des bienfaits de l’Eglise Romaine. Je n’ay senti mes maux vivement, que 4 ou 5 jours apres, et je n’ay pas
encore bien l’usage de tous mes membres, et mesme quelques coups receus sur la main, et le bras, ne me
permettent pas encore d’écrire aisement. Voila ce qui m’est arrivé, et j’ay l’honneur Monsieur, de vous
dire la chose, comme elle s’est passée.

Dans le temps que nous estions a l’hotel de ville, ces mitins revinrent chez nous chanter pouilles a ma
femme, sous pretexte qu’elle avoit caché un Prestre, ils firent ouvrir, ou enfoncerent toutes les portes
de la maison depuis la Cave jusques au colombier, briserent une grande armoire a coup de hache, sur ce
qu’ils virent un habit de Crispin, ils conjecturerent que cestoit un habit de Prestre, et voulurent abso-
lument qu’on leur en livrat un. Ils vinrent par deux fois à la charge avec la mesme rage. Ma femme a
souffert tout ce qu’on peut souffrir d’une canaille insolente, outre le degat de la maison, Prevot a perdu,
un habit de theatre brodé en or, et deux Epées d’argent qui vallent l’une portant l’autre 50 écus. L’hotel
de ville a pris conoissance de tout cela, et a fait arrester quelques uns de ces coquins, que ma femme
connoissoit, et qui estoient aussi connus de ma servante.
Cette lettre est fort precipitée, mais dans quelque temps je me donnerait l’honneur décrire a Mgr. Le
Nonce. J’ay mesme commencé ma lettre ; mais comme elle est badine (car un homme de Theatre pris
pour un Prestre est matiere à badiner) je veux attendre et laisser passer quelques temps. La Plaisanterie
sieroit mal à present : Apres tout Monsieur il m’est permis de rire de mes coups de Baton ; quoiquil en
soit je ne ferai rien sans votre avis ; et je vous supplie de me le faire sçavoir. Je suis avec le Zele le plus
Respectueux
Monsieur
Votre tres humble
et tres obeissant serviteur
Poisson

Faveur, cabales, patrons : le monde de la cour


Les relations des musiciens français avec l’administration curiale et le monde de la cour n’étaient
pas toujours faciles. L’usage du français ne semble pas avoir constitué un obstacle, puisque les
Français semblent communiquer exclusivement dans leur langue maternelle avec leurs interlo-
cuteurs allemands, au moins par écrit. Les quelques lettres adressées en allemand sont toujours
calligraphiées (et sans doute traduites) par un scribe officiel, jamais par les musiciens eux-mêmes.
Aussi, quand Magdalena Sibylla, la duchesse de Württemberg, édicte en 1684 des règles pour
le bon fonctionnement de la Hofkapelle, elle promulgue deux versions du même document, en
allemand et en français, sans doute par égard pour les musiciens français engagés en 1683.110 Les
différences culturelles demeurent pourtant importantes et les conflits ne peuvent pas toujours
être évités. La cour est souvent dépeinte par les musiciens comme un milieu sans pitié, dans lequel

110 Owens, The Württemberg Hofkapelle, p. 14.

– 154 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

les querelles vont bon train et ne pardonnent pas toujours. Daniel Danielis donne ainsi une image
assez sombre du milieu dans lequel il évoluait, après avoir été privé de son droit de commensal à
la table du maréchal de la cour de Güstrow :
La table de Mons. le Marchal m’at este donnée, table ordonnée à tous maistres de chapelle, et apres trois
quart d’ans l’on me la faict quitter et conséquemment tourner l’honneur que j’en avoit reçeu en mespris ;
j’en parle par experience comme d’une affaire qui m’at faict rougir dans des occasions, et at donnes sujet
en ville de croire que S.A.S. ne se soucioit plus de mes services. Car vous sçavez vous mesmes que sur la
moindre chosse qui se faict a la court il ne manque jamais des chicaneurs.111

Si la dénonciation des intriguants et des chicaneurs constitue un lieu commun inlassablement


ressassé par tous les acteurs de la cour pour asseoir leurs demandes, elle trahit aussi la difficulté
des musiciens français à évoluer dans un milieu dont ils ne maîtrisaient pas tous les codes. À la tête
d’un ensemble composé de Français et d’Allemands, Danielis doit ainsi faire face à une vague de
révolte de la part de certains musiciens qui lui reprochent sa grossièreté et le caractère humiliant
de ses commentaires. En décembre 1662, l’organiste Albert Schop, le chanteur Hans Christoph
Sparmann et le musicien Augustin Pfleger déposent une plainte officielle contre le Kapellmeister
en raison de son langage et de son comportement, ce qui amène l’administration à procéder à un
interrogatoire contradictoire et à une reprise en main de la chapelle.112
La cabale menée contre Jean-Baptiste Volumier par ses collègues de la Hofkapelle de Berlin
offre un superbe exemple d’intrigue de cour, qui mêle en un cocktail explosif accusations de
blasphème, différences confessionnelles, lutte pour la faveur du souverain, et concurrence entre
réseaux de protecteurs (voir Chapitre 1). Les actes mentionnent à plusieurs un mystérieux « pa-
tron » qui aurait cherché à protéger Volumier par tous les moyens et à étouffer les accusations
portées contre lui. Il s’agissait d’accusations d’autant plus lourdes qu’elles étaient proférées à
l’encontre d’un fonctionnaire haut placé dans la hiérarchie curiale, Christian Grabe, conseil-
ler de la cour (« Hofrat ») et second secrétaire des emprunts (« Lehnssekretär »).113 Volumier ne
manqua pas de mettre ces accusations sur le compte des intrigues habituelles de la vie de cour
(« Les persécutions que mes Ennemis m’ont faites par leur envie et malice en Inventant contre
moy certains discours pour me charger de Blasphème, et produisans des témoins qui sont mes
Ennemis jurez, de sorte que par les ménaces qu’ils ont faites de me faire arrêter, j’ay été obligé de
m’absenter ») ni de protester de sa ferme intention de rentrer dans le droit chemin (ces déboires
lui ayant « fait former le dessein que j’ay de m’instruire des véritez Evangéliques et d’embrasser le
Religion Réformée »).114 La faveur royale continua néanmoins de lui être assurée, puisqu’un sauf-
conduit lui fut accordé pour passer en Saxe et échapper aux accusations.115 Même si les mobiles
qui poussèrent les collègues de Volumier à porter ces accusations et à insister pour qu’un procès
ait lieu sont probablement multiples, il faut noter que l’un d’entre eux, Gottlieb August Petzold,
occupait en plus de son emploi de musicien les fonctions d’avocat à la cour, et devait donc être bien
renseigné sur les procédures judiciaires et les risques encourus.116 Les conséquences pour les six
musiciens qui témoignèrent furent très lourdes, puisqu’ils perdirent tous leur emploi. Une liste de
personnel de la Hofkapelle dressée en janvier 1708 par le responsable de la musique de la chambre,
le Kammerherr Johann Wilhelm von Tettau, fait suivre les noms de Pepusch, Wiedemann et

111 LHA Schwerin, 2.12-1/26-14 Hofpersonal Nr. 12. Lettre de Daniel Danielis à Gustav Adolph, non datée. La
dernière phrase est soulignée dans l’original.
112 LAH Schwerin 2.12-1/26-14 Hofpersonal Nr. 45.
113 Voir par exemple le rapport rédigé en 1711 par Gottlieb August Petzold, cité Chapitre 1, note 137. Sur Chris-
toph Grabbe, cf. Peter Bahl, « Die Berlin-Postdamer Hofgesellschaft unter dem Großen Kurfürsten und Kö-
nig Friedrich I. Mit einem prosopographischen Anhang für die Jahre 1688-1713 », in : Im Schatten der Krone.
Die Mark Brandenburg um 1700, dir. Frank Göse, Postdam 2002, p. 31-98, ici p. 95.
114 GStA PK, I HA Rep. 47 Nr. 20a. Lettre de Jean-Baptiste Volumier à Friedrich I, sans date.
115 GStA PK, I HA Rep. 47 Nr. 20a : « Salvus Conductus für Voulmier », 28 mai 1707.
116 Sachs, Musik und Oper am kurbrandenburgischen Hof, p. 181.

– 155 –
Chapitre 3

Lehmann de la mention : « disgraciés à cause de l’affaire Volumier ».117 Seul Wiedemann fut
réintégré dans les rangs de la Hofkapelle peu de temps après son renvoi.118
L’affaire Volumier fait apparaître le rôle crucial des protections intermédiaires et la consti-
tution de réseaux de patronage informels qui traversaient toutes les strates de la cour. Certaines
personnalités occupant des fonctions importantes à la cour et appartenant au cercle rapproché
du souverain, avec qui elles pouvaient être en contact quotidien, sont en mesure d’offrir une
protection efficace et se trouvent donc particulièrement sollicitées. Le comte Jakob Heinrich
von Flemming, l’une des personnalités les plus influentes de la cour de Saxe, gouverneur de la
résidence de Dresde en 1707 puis gouverneur de Saxe en 1717, était une cible de premier choix.
Lorsque le chanteur français Abel apprend qu’Auguste le Fort recrute des musiciens français en
1709, il s’adresse directement au comte dont il avait fait la connaissance lors d’un premier séjour
à Dresde. Tout en insistant sur le fait que l’intervention du ministre peut « faire tout reussir »,
il affirme aussi pouvoir être recommandé par le musicien François Le Riche, déjà en poste à
Dresde.119 Flemming lui renvoie une réponse très courtoise et conseille au musicien de se rendre
directement sur place pour faciliter ses affaires :
Je me ferai un plaisir de vous rendre service, et sur tout dans ce que vous souhaitez de vous établir ici.
Ce seroit assûrement une bonne acquisition que nous ferions, que celle d’un homme de votre capacité.
Comme je ne fais que de recevoir vôtre lettre, je n’ai pas eu encore occasion de parler en vôtre faveur au
Roi ni au Grand Marechal. Je ne manquerai pas de le faire au plutôt. Je vous dirai cependant qu’à mon
avis vous feriez bien de venir ici avec Mr. le Riche, parce que les affaires se font toujours beaucoup mieux
lorsqu’on est sur les lieux.120

Si cette démarche ne semble pas avoir aboutit, on note cependant que d’autres artistes français
entretenaient une correspondance personnelle régulière avec certaines personnalités haut placées
de la cour qui étaient aussi leurs supérieurs hiérarchiques, et à qui ils avaient donc affaire pour la
gestion des affaires administratives courantes. Le comédien François de Tourteville adresse ainsi
une épigramme au comte Flemming depuis Hanovre, pour le féliciter de sa nomination comme
gouverneur de Saxe.121 Le maître de langue Charles Henri de La Touche, au service personnel de
Flemming, le prie de le recommander auprès du comte Wackerbarth, qui était aussi (nous l’avons
vu) une des personnalités importantes de la cour pour obtenir un poste à l’école militaire qui était
en train d’être créée.122 Le baron Pierre de Gaultier, directeur des plaisirs à partir de 1727, reçoit

117 GStA PK, I. HA Rep. 36, Nr. 2432 : « NB. diese beyde sind wegen der volumÿrschen Händeln disgratÿret. »
118 Sachs, Musik und Oper am kurbrandenburgischen Hof, p. 183.
119 Lettre de Jean Abel à Jakob Heinrich von Flemming, La Haye, 10 janv. 1709. HStA Dresden, 10026 Geheimes
Kabinett, Loc. 679/2, fol. 3-4 : « Pardonnez la liberte que je prend de saluer Vostre Exelence de mes tres humbles
respects et de remercier vostre exelence de touttes les honneurs et generositees qui la plu me faire a dresde ;
Le Roy, Et Monseigneur le Grand Marechall estoit party avant mon Arivée ; C’est ainsy en mon devoir Mon-
seignieur que je retourne la lettre de Vostre Excelence et la supplie de me honnorer de sa protection aux prest
du Roy ; je suis informes que Sa Majeste a donne ordre de faire venire des voix a sa cour ; sy mes pettits services
pouvoit estre agreable a Sa Majeste je serez heureux, je scay que Vostre Exelence peut tout ; une seulle parolle a
Monseignieur le Grand Mareschall et a Madame la Countesse Monseignieur qui a fait l’honneur de mentendre
et dont la generosite ma fait un beaux present peut faire tout reussir, Monsieur Le Riche est icy prest a partire
ma promis d’escrire en ma faveur, je prie tres humblement l’honneur des ordres de Votre Exelence […]. »
120 Lettre de Jakob Heinrich von Flemming à Jean Abel, Dresde, 29 janv. 1709. HStA Dresden, 10026 Geheimes
Kabinett. Loc. 679/2, fol. 2.
121 Lettre de François de Tourteville à Jakob Heinrich von Flemming, Hanovre, 26 déc. 1717. HStA Dresden,
10026 Geheimes Kabinett, Loc. 710/8, fol. 152 : « A Son Excellence Monseigneur le Comte de Flemming Stad-
houder de Saxe. Epigramme. Le Roy, pour se representer | Vous a nommé son Stadhouder, | Chacun admi-
rant sa justice, | applaudit a ce juste choix ; | a ma Muse soyés Propice, | Souffrés qu’elle y mesle sa voix. »
122 Lettre de Charles de Tourteville à Jakob Heinrich von Flemming, Dresde, 20 mai 1721. HStA Dresden, 10026
Geheimes Kabinett, Loc. 710/8, fol. 150 : « Ayant en quêque Manière l’honneur d’être au Service de vôtre
Excellence, par le choix, qu’elle a fait de moi, pour enseigne Mr le jeune compte de fleming ; je prends la liberté
Monseigneur d’êcrire ces lignes à vôtre Excellence, pour la prier tres-humblement, de vouloir avoir la bonté,
de me recommander à Mr le Compte de Vackerbard, en ce qui conserne l’emploi de Maître de langue de Mrs
les Cadets. »

– 156 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

également la correspondance personnelle d’artistes.123 Le comédien Clavel le charge de sonder le


roi sur l’engagement de nouveaux comédiens, tandis que l’actrice Detrez lui présente ses vœux de
bonne année et lui souhaite un prompt rétablissement, visiblement dans le but de renouer contact
après une réprimande qu’elle avait reçue.124
Les contacts personnels et les relations informelles entre les musiciens et leurs protecteurs
pouvaient parfois prendre des formes moins contrôlées : Éléonore-Catherine de Deux-Ponts-
Cleebourg, cousine de la reine Christine et sœur du roi Charles X de Suède, entretint une liaison
avec un musicien français du nom de Bechon, attaché à la troupe française de théâtre d’Antoine
de Beaulieu. Cette liaison se prolongea jusqu’à six semaines avant le mariage de cette dernière
avec Frederik von Hesse-Eschwege en 1646, alors qu’elle était déjà enceinte du musicien. Cette
histoire d’amour romanesque est documentée entre autres par une série de lettres en français que
le musicien envoya à la princesse après leur rupture et son éloignement à Paris, accompagnées de
pièces de musique pour le luth.125 Même si aucun témoignage comparable ne survit pour notre
période, cela montre bien que la négociation d’une relation de patronage était pour les musiciens
un enjeu à la fois crucial et délicat.

« L’esprit de retour »
Confrontée à une vague sans précédent de départs de comédiens vers les « pays étrangers », la
Maison du roi commanda en 1763 un rapport au duc de Praslin, dans lequel il notait que les comé-
diens « ont ordinairement l’esprit de retour, et qu’en effet nous les voyons presque tous revenir
en France avec la petite fortune qu’ils ont faite dans le pays étranger.126 » La prévalence de cet
« esprit de retour », ou au contraire son absence – quelqu’un qui part « sans esprit de retour » le
fait sans intention de revenir – constitue donc une question essentielle et fait l’objet d’un souci
constant de la part des négociateurs et des employeurs. Ainsi Cronström note-t-il à propos des
acteurs de la troupe de Rosidor : « L’on ne peut pas oster à ces gens la l’incertitude s’ils se plairont
et s’acomoderont en Suede ou non.127 » Lorsque le prince de Saxe Friedrich August cherche à
faire venir ses musiciens italiens à la cour de Dresde, il répond à Auguste le Fort qu’on ne peut
pas les embaucher tout de suite pour trois ans, car cela risquerait des les effayer. Il faut donc se
résoudre à les employer d’abord pour un an, en dépit de l’investissement initial conséquent que
représentent le financement du voyage et divers frais de lancement incompressibles. Ce n’est que
dans un deuxième temps qu’on pourra tenter de les retenir plus longtemps en les traitant bien et
en leur ôtant tout esprit de retour :
La premiere année etant passée on pourra les arreter plus longtems, en les traittant bien, et lorsqu’ils
n’auront pas sujet de se plaindre. Mais si on leur proposoit à present, de rester 3. ans, Mgr le Prince croit
que celà les intimideroit, specialement ceux qui ne sont jamais sorti d’icy, et qui ont de la peine à quitter
leur Paÿs.128
Mais l’esprit de retour n’est pas seulement la pierre de touche d’une migration de maintien par
opposition à une migration de rupture.129 En effet, le retour n’est pas toujours volontaire : le décès
des principaux mécènes de musique française et l’arrivée de nouveaux souverains signifiait très
souvent le renvoi des musiciens en place et l’obligation de quitter incessamment le territoire. La
mort du duc de Celle Georg Wilhelm en 1705 eut ainsi pour conséquence la dissolution immé-
diate de la Hofkapelle et le renvoi de tous les musiciens français, à quelques exceptions près. Il en
va de même à la mort d’Auguste le Fort, dont le successeur réorganise profondément la musique

123 Sur la nomination de Gaultier, voir Fürstenau, Zur Geschichte, vol. 2, p. 163.
124 Lettre de N. Destrez à Pierre de Gaultier, sans date. HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 3349/1.
125 Fogelberg et Schildt, « L’Amour Constant et Le Ballet de Stockholm », p. 725-726.
126 Lettre de M. le duc de Praslin concernant les sujets des spectacles qui veulent passer dans les Pays étrangers, 16
déc. 1763. Cité par Markovits, Civiliser l’Europe, p. 62-63.
127 Cité par Raul Markovits, communication orale, Rome, 30 janv. 2019.
128 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/2, fol. 50.
129 Rosenthal, « Maintien/rupture : un nouveau couple pour l’analyse des migrations ».

– 157 –
Chapitre 3

en fonction de ses propres options musicales, très différentes de celles de son père. Dans ces deux
cas, les musiciens doivent bon gré mal gré rentrer en France. En outre, l’esprit de retour n’est pas
seulement un horizon lointain et définitif : il constitue bien davantage un trait permanent de la
migration des artistes, les musiciens conservant de multiples attaches dans leur pays d’origine,
qu’ils décident finalement de rentrer s’y installer ou non.

Une mobilité permanente


En dépit de son ampleur géographique, la migration des musiciens français n’est pas un départ
sans retour mais plutôt une sorte d’état permanent de mobilité. La famille d’Élie Jemme et
Marguerite Robeau réside en même temps à Paris et à Osnabrück, impliquant de nombreux
allers-retours entre les deux villes. L’absence de regroupement familial semble avoir concerné
plusieurs artistes français : en 1729, la comédienne Duclos en poste à Dresde demande un congé
de trois mois pour aller rendre visite à son mari qui était à Munich.130 D’autres personnalités
comme Guillaume Lapierre apparaissent à seulement quelques semaines d’intervalles dans les
archives des deux pays. Charles de La Selle, le fils du musicien et maître à danser Thomas, semble
avoir étudié la danse à Paris alors que son père était actif à Celle et Lüneburg.131 La comptabilité
de Celle donne un éclairage très intéressant sur ce phénomène de mobilité permanente. En avril
1669, Thomas de La Selle était en déplacement en France au moment d’un versement de salaire à
la Saint-Michel, fin septembre : il n’avait pas pu percevoir son argent pour le Stubenheuer qui lui
est versé rétrospectivement.132 On constate également de nombreux déplacements entre Celle et
Hanovre : des frais sont payés pour transporter les musiciens en diligence133, pour les loger sur
place et pour les dédommager de leur déplacement.134 Réciproquement, plusieurs musiciens de
Hanovre séjournent à Celle et reçoivent des gratifications équivalentes.135
Cette mobilité pouvait avoir des fins strictement professionnelles. Ainsi le musicien et
maître à danser Favier reçoit-il le 6 août 1677 cent Thaler en frais de voyage (« Reisekosten »).136 En
fait, il se rendait à Paris pour une raison bien précise, puisqu’il devait participer à la création de
la tragédie en musique Isis de Lully à l’Académie royale de musique : le livret original de l’œuvre,
donnée le même mois, mentionne « Favier de Zell » à deux reprises parmi le personnel dansant,
en compagnie de plusieurs autres membres de sa famille et de collègues de renom.137 En 1679,
Denis Le Tourneur, Claude Pécour et Philippe La Vigne reçoivent à leur tour une gratification
pour leur voyage à Paris (« behueff Ihrer Reise nach Paris »), probablement pour aller recruter de
nouveaux instrumentistes.138 Ce voyage porte ses fruits l’année suivante avec l’arrivée de cinq
nouveaux hautbois. En 1683, Pierre Maréchal touche 80 Thaler pour ses voyages.139 En mai 1693,

130 Lettre de Pierre de Gaultier à Auguste le Fort, Dresde, 15 juin 1729. HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett,
Loc. 3349/14, fol. 5-6. Voir ci-dessous note 155.
131 Gustav Fock, Der junge Bach in Lüneburg 1700 bis 1702, Hambourg 1950, p. 47.
132 NLAH, Hann. 76c A Nr. 194, p. 484 : « Thomas la Selle ein gantzen Jahr, weil er eine Zeit lang nach Fran-
kreich gewesen und daher vergangen Michaelis nicht bezahlt worden. »
133 NLAH, Hann. 76c A Nr. 194, 7 août 1668, p. 495 : « die Musicanten in einer Kutsche nach Hannover zuführen. »
134 NLAH, Hann. 76c A Nr. 92, p. 204 et 225.
135 NLAH, Hann. 76c A Nr. 214, p. 364 : « Vermöge Serenissimi Durchl. gnädigster ordre de dato 26 Febr: 89 denen
fürstl. Hannoverschen Italianischen Musicanten zur Gnaden Verehrung in verschiedenen Gülderman Medail-
lien nebst Lage sind Müntzkosten bezahlet. 247 Thlr. » NLAH, Hann. 76c A Nr. 217, 10 mars 1682, p. 370.
136 NLAH, Hann. 76c A Nr. 203, p. 343.
137 Un dénommé « Favier de Zell » apparaît dans la suite des Parques puis parmi quatre Égyptiennes. Avant sa
création au Palais Royal en août, la tragédie avait été jouée devant la cour le 5 janv. 1677 à Saint-Germain-
en-Laye. Un déplacement de Favier à Paris n’est pas documenté pour cette période. Voir Harris-Warrick et
Marsh, Musical Theatre at the Court of Louis XIV, p. 22.
138 NLAH, Hann. 76c A Nr. 205, p. 337. Le troisième musicien, nommé « Henry » est identifiable à Le Tourneur,
puisqu’un autre document lui donne un surnom similaire. NLAH, Celle Br. 44 Nr. 74, p. 93 : « Musicant Tour-
neur genandt Harry ».
139 NLAH, Hann. 76c A Nr. 209, p. 313 : « dem Hautbois Marechal zu seinen Reisen 80 Thlr. »

– 158 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

l’agent Stechinelli reçoit de l’argent pour couvrir les frais engagés à Paris, Bruxelles et Anvers à
l’occasion du voyage entrepris depuis Paris par le musicien des Hays, qui venait d’être engagé par
la cour de Celle.140 Enfin, Philippe de Courbesastre se trouve à Paris le 21 juin 1700 pour signer
l’acte de vente d’une maison à Sceaux et représenter ses neveux, les enfants de Claude Pécour,
pour leur part d’héritage. L’acte notarié permet de savoir qu’il n’avait pas gardé de résidence
permanente à Paris, mais qu’il logeait temporairement chez un particulier, « estant de present
a paris logé rue St. Denis paroisse St Sauveur en la maison du sieur Léger maître Ecrivain ».141
La résidence à Celle, Osnabrück et Hanovre était donc assortie pour beaucoup de musiciens
d’un retour régulier au pays. Les Français actifs à Dresde, à Berlin ou à Varsovie étaient beaucoup
plus éloignés de leur lieu d’origine et de ce fait moins susceptibles de rentrer régulièrement, mais
certains conservaient néanmoins des liens soutenus et durables avec Paris. Louis André publie,
presque dix ans après avoir quitté la France, deux airs dans les Meslanges de musique latine, françoise
et italienne publiés par Jean Baptiste Christophe Ballard.142 Pierre-Gabriel Buffardin se produit au
Concert spirituel à deux reprises en 1726 et 1737.143 À partir des années 1740, les « Pensionnaires
du Roi de Pologne » se produisent assez régulièrement à Paris : en 1744, la danseuse Catherine
André se produit à l’Académie royale de musique sur le Caprice de Jean-Féry Rebel.144 En 1753,
le Concert spirituel accueille Florio Grassi, présenté comme un élève de Buffardin.145 Dès 1748,
ce dernier mentionnait dans une lettre « le fils de Florio Grassi ageé de 10 ans » comme étant son
élève depuis trois ans.146
Plusieurs musiciens passent enfin d’une cour à l’autre, changeant régulièrement d’employeur
tout en restant dans l’espace germanique. Jean Maillard, né à Bruxelles, demeure à Hanovre dès
1691 et y épouse Anne Éléonore La Fleur la même année.147 Un certain « Maillart » était déjà pré-
sent dans le Ballet des Amours dansé en février 1674 à Celle.148 Un individu du même nom avait été
engagé en octobre 1686 comme bassoniste à la Hofkapelle de Darmstadt.149 Il s’agit probablement
dans les trois cas du même individu. Un certain Mignier est d’abord actif à Celle en 1684 avant
d’apparaître dans les comptes de la cour Hanovre entre 1698 et 1701.150 Il est sans doute identique

140 NLAH, Hann. 76c A Nr. 218, p. 444 : « 12. May [1693] den 30. dem H. Dorsten Stechinelli für in Paris, Brüßel
und Antwerpp bezahlte Geldern, wegen des Musicanten des Hays seiner anhero Reise aus Paris nebst Lagio
und Wechsel hin wieder bezahlet. »
141 AN, Minutier central, XXXI-20, 21 juin 1700.
142 Meslanges de musique latine, françoise et italienne, Paris, Ballard, hiver 1729, p. 10-21. Les deux duos sont classés
dans la partie consacrée à la musique française : un « Duo bacchique, de Monsieur André, Maître de Chapelle
de l’Electeur de Saxe » (chanson à boire pour dessus et basse) et un « Duo, de Monsieur André, Maître de Cha-
pelle de l’Electeur de Saxe ».
143 Mercure de France, avril 1726, p. 844 : « Le Dimanche des Rameaux & tous les jours de la semaine, excepté le Ven-
dredi-Saint, on chanta differens Motets, entre autres le Miserere de M. Laloüette, Beati omnes de M. Desmarets,
& omnes gentes de M. Courbois. Le sieur Buffardin, originaire de Provence, & Musicien du Roi de Pologne, a joüé
plusieurs fois des Concerto sur sa Flute Traversiere, avec toute la précision, la vivacité & la justesse imaginable,
de même que le sieur Guignon, sur son Violon. » Cf. Pierre, Histoire du concert spirituel, programmes 17 et 227.
144 Mercure de France, nov. 1744, p. 172 : « Mlle André, Pensionnaire du Roi de Pologne, mais Françoise de nais-
sance, a obtenu à Paris autant de suffrages qu’à Dresde & qu’à Varsovie. On a remarqué sa legereté & la science
de ses Pas dans les Caractères de la Danse, & dans le fameux Caprice de M. Rebel »
145 Annonces, affiches et faits divers, mercredi 7 févr. 1753, p. 24 : « M. Florio Grassy, de la Musique du Roi de Po-
logne Electeur de Saxe, joua un Concerto de Flute (M. Florio est Elève de M. Buffardin). »
146 Lettre de Pierre-Gabriel Buffardin à Auguste III, Dresde, 9 mars 1748. HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabi-
nett, Loc. 907/5, fol. 178.
147 BAHild, KB Nr. 778, Hannover St Clemens, Traubuch 1667-1711, 17 nov. 1691, p. 96.
148 Balet des amours de Mars et de Vénus, Celle, 9 février 1674, non paginé.
149 Noack, Musikgeschichte Darmstadts, p. 157.
150 NLAH, Hann. 76c A Nr. 210, p. 460 : « Mignier Laut Befehlß dat: den 29. 9br: 1684 und 28 Xbr: 1685, 112 Thlr
Besoldung, 24 Thlr Haußwirth, 10 Thlr Holtzgeldt, 4 Thlr 21 gr für Deputat Licht. » NLAH, Hann. 76c A Nr.
118, p. 314 : « Migniè laut gnädigsten Befehls sub dato den 5. jan: 1699 von Mich. 1698 an jährlich 115 Thlr.
kommen also biß Ostern 1699 halbjährig anhero, 57 Thlr 18 gr. »

– 159 –
Chapitre 3

au « Johann Minje ou Migne » actif à Schwerin entre 1703 et 1705 comme musicien de la cour et
hautboïste.151 François Adam Beauregard ne resta que six mois à Celle comme hautboïste, avant de
gagner la cour de Berlin où il occupait, trois mois plus tard, les mêmes fonctions.152 Enfin, Henri des
Hays apparaît dans un ballet donné en mars 1671 à la cour de Güstrow, avant d’être engagé en 1692
à la cour de Celle.153 François Biotteau, engagé comme violoniste à Weimar quelques mois après
le départ de Johann Sebastian Bach en avril 1718, rejoint également la musique de Saxe en 1731.154

Revenir au pays
En dépit de cette mobilité permanente, les musiciens n’étaient pas libres d’aller et venir comme
ils le voulaient : ils devaient toujours obtenir une autorisation avant de quitter la cour, certains
contrats d’engagement précisant même la nécessité de demander la permission du Kapellmeister
avant tout déplacement sous peine d’être renvoyé. Lorsqu’ils souhaitent s’absenter, ils font une
demande de congé éventuellement accompagnée de la promesse écrite d’un retour au terme
fixé.155 Cette contrainte pouvait devenir particulièrement inconfortable lors de conflits armés
ou de retards importants dans les paiements, contraignant certains musiciens à demander qu’on
accepte leur démission, voire même à prendre la fuite. La proximité de villes libres, dans les-
quelles les forces armées des princes ne pouvaient pas pénétrer et qui échappaient ainsi à leur
pouvoir, constituait alors un atout non négligeable.
Plusieurs musiciens de la cour de Güstrow prirent ainsi la fuite en disparaissant littérale-
ment dans les métropoles voisines de Lübeck et Hambourg. Les enfants de chœur Leonhard van
der Houte, Nicolas Chauveau et Jean Antoine Ravissart, tous les trois originaires du Brabant
et engagés à la cour de Güstrow, s’enfuirent en 1674. Le duc Gustav Adolph écrivit aussitôt à
la police de Lübeck pour demander de faire rechercher les jeunes chanteurs et de les ramener à
Güstrow. Quatre jours plus tard, le conseil de la ville répondit qu’après des recherches, conduites
notamment auprès des musiciens, il était apparu que Leonhard van der Houte avait été aperçu à
Lübeck quelques jours auparavant, mais qu’il s’était ensuite rendu à Hambourg où il était désor-
mais hors de portée.156 Servais Ferdinand Le Roy, alors âgé de 24 ans, prit aussi la fuite quelques
mois après son arrivée en passant par Hambourg. Né à Termonde en 1654, il avait été engagé
pour la cour de Güstrow à l’âge de 25 ans par le maître de chapelle Daniel Danielis. Ce musicien,
parfois aussi appelé Servatius Ferdinand von der König, avait été formé à Gand comme enfant
de chœur avant d’aller étudier à Louvain en 1675.157 Aussitôt après sa disparition, une lettre fut
envoyée à un agent de Hambourg pour tenter de retrouver le musicien dans la ville, en le priant

151 Meyer, Geschichte der Mecklenburg-Schweriner Hofkapelle, p. 45.


152 Beauregard quitta Celle en septembre 1681, il fut engagé en décembre 1681 à Berlin : Sachs, Musik und Oper am
kurbrandenburgischen Hof, p. 172. Voir aussi NLAH, Hann. 76c A Nr. 207, p. 461 : « Beauregard 68 Thlr [...] Ist
vom 1/2 Jahre biß Mich: 1681 aber er weg gezogen. »
153 Die Lust der Music, 1671.
154 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/5, fol. 223.
155 Voir par exemple la lettre de Pierre de Gaultier à Auguste le Fort, Dresde, 15 juin 1729. HStA Dresden, 10026
Geheimes Kabinett, Loc. 3349/14, fol. 5-6 : « Comme dont il n’y aura rien a faire pour les plaisirs pendant
quelque temps, la Duclos souhaitteroit profiter de cet intervalle, pour aller voir son mary qui est à Munich, et
pour cela elle supplie Vôtre Majesté de luy accorder un congé pour trois mois. Mais afin d’avoir de quoy s’oppo-
ser à la volonté de son mary, supposé que la fantaisie luy prit de vouloir la retenir, elle me laisserait un Revers,
par lequel elle s’engageroit expressément, et dans les termes les plus forts, de revenir à Dresden au bout des trois
mois de congé. »
156 LHA Schwerin, 2.12-1/26-7 Hofkapelle Nr. 7. Lettre du maire et du conseil de Lübeck au duc Gustav Adolph,
Lübeck, 14 déc. 1674 : « Nuhne haben wir mit fleiß beÿ dieser Stadt Musicanten und einigen anderen Leibhab-
eren solcher Kunst laßen erkundigen, ob erwehnter Leonhard von der Hute sich alhir aufgefalten hette, oder
auch noch auffhielte, Wir aber vernehmen, das ein solcher Knabe kurtz verwichener Zeitt, zwar alhier gewe-
sen, sich aber nacher Hamburgk Verfüget hette, das Wir also nichts mehrers beÿ der sache Wißen zu thun. »
157 Rudolph Rasch, « Konink, Servatius de », in : MGG online.

– 160 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

de mener ses recherches avec discrétion.158 Dans sa réponse, l’agent éclaire bien les difficultés
légales auxquelles pouvait se heurter un tel procédé : s’il arrêtait lui-même le musicien, l’extradi-
tion allait être plus difficile à obtenir que si le duc écrivait directement aux autorités de la ville.159
L’affaire s’arrêta là et le jeune musicien ne fut pas retrouvé. Il poursuivi néanmoins une belle
carrière musicale à Bruxelles puis à Amsterdam, en publiant notamment de nombreuses œuvres
chez Étienne Roger.160
Les fuites restaient cependant un cas exceptionnel. La plupart des musiciens, lorsqu’ils sou-
haitent rentrer au pays, présentent leur démission en bonne et due forme. Celle-ci n’était cepen-
dant pas toujours accordée avec toute la célérité voulue, ce qui plaçait les musiciens dans une
situation difficile, car ils ne pouvaient alors quitter la ville ni recevoir de subvention pour leur
voyage de retour. Daniel Danielis doit s’y reprendre à trois fois avant d’obtenir sa démission, et sa
dernière lettre ne laisse guère planer de doute sur sa profonde exaspération :
Apres avoire receu tant des faveures de Vostre Altesse Serenissimme, je suis extremmement marri de me
voire forcé de la prier tres humblement pour ma dimission, ne voyant plus de moyen de pouvoir amolir
le cœures de ceux qui se sont declaré mes ennemis dès le moment que V.A.S. m’at voulu du bien ; c’est
de quoy je la prie infiniment de me faire donner au plustost ce qui luy plêrat pour pouvoire faire mon
voyage […].161
Les musiciens avaient tout intérêt à entretenir de bonnes relations avec leur employeur jusqu’au
bout, puisqu’ils pouvaient avoir à leur demander une lettre de recommandation, une somme pour
le voyage, ou encore une pension de retraite lorsqu’ils atteignaient un âge avancé. Les lettres de
recommandation étaient habituellement rédigées en français, comme celle donnée au chanteur
Prevost lors de son départ de Berlin, ou encore à Jean Baptiste, maître des concerts à Schwerin :
Le Porteur de cellecy, Jean Baptiste, François de nation, Nous a servi pendant le temps de six mois, en
qualité de Directeur et Maitre de concerts, de Notre Chambre : Mais ayant resolu de s’en retourner à
Paris [barré : pour des affaires pressantes], il Nous a prié tres humblement de luy accorder son congé
et de rendre en meme temps un temoignage public de bonne conduite. Ayant donc trouvé sa demande
raisonnable, Nous n’avons voulu apporter aucun obstacle à la dite sa resolution, mais luy accorder sa
demande, attestant par cellecy, que pendant tout le temps où le dit Jean Baptiste a été en nôtre cour nous
n’avons rien trouvé à contredire à sa conduite il a fait le devoir d’un honnete homme. C’est pourquoi
Nous prions tous ceux qui verront les presentes et chacun selon ses rangs et dignités, d’ajouter pleine
foi au dite notre temoignage et de lui faire jouir de toutes les faveurs et assistences dont il pourroit avoir
besoin sur sa route.162

Alors qu’il avait atteint l’âge avancé d’une soixantaine d’années, Pierre-Gabriel Buffardin pré-
sente sa démission pour raisons de santé afin de pouvoir rentrer en France, mais il doit attendre
plus d’un an avant que celle-ci ne soit acceptée et qu’une pension lui soit enfin accordée. Il avait
pourtant pris le soin de préparer sa succession très en avance, puisqu’il avait proposé dès 1741, soit
sept ans auparavant, plusieurs candidats pour le remplacer :

158 LHA Schwerin, 2.12-1/26-7, Hofkapelle, Nr. 40. Le musicien avait pris la fuite juste après avoir touché son
salaire, le 7 août 1679, puisque la lettre de Gustav Adolph est datée de Güstrow, 11 août 1679.
159 LHA Schwerin, 2.12-1/26-7, Hofkapelle, Nr. 40. Lettre de Johann Schlüter à Gustav Adolph, Hambourg, 16
août 1679 : « Will desfallen fideliter ferner mein bestes zuthun nicht unterlassen, und da derselbe könig allhie
anzutreffen sein sollte, so viel an mir, es dahin sehen zu richten, das er vor der Hand in arrest genommen
werden müge, weil die extraditio schwerlich eher zu erhalten, als wann E. Durchl. solches in einem Schreiben
an den Rath dieser Stadt begehren, und wegen der extradition mann gewöhnlichen revers das die ausfolgung
unpraejudicierlich, und nicht zur consequenz gezogen werden sollte E. Durchl. es auch, auff des Rahtes an-
suchen, in gleichmessigen fällen also halten wollten, ertheilen würden. »
160 Rudolph Rasch, « Athalie entre Saint-Cyr et Amsterdam : Jean Racine, Jean-Baptiste Moreau et Servaas de
Konink », in : Noter, annoter, éditer la musique. Mélanges offerts à Catherine Massip, dir. Cécile Reynaud et Her-
bert Schneider, Genève 2012, p. 139-161.
161 LHA Schwerin, 2.12-1/26-14 Hofpersonal Nr. 12. Lettre de Daniel Danielis à Gustav Adolph, sans date.
162 LHA Schwerin, 2.12-1/26-7 Hofkapelle, Nr. 166, 8 avr. 1710.

– 161 –
Chapitre 3

Pierre Gabriel Buffardin, aïant eû le bonheur de servir l’espace de 33 années Votre Mayesté, se jette pro-
fondement â Ses pieds pour Luy representer, que ses indispositions d’Estomac & ses Vertiges le metant
depuis quelque tems hors d’etat de vaquer â son devoir, et par consequent peu capable de meriter la conti-
nuation de tous Ses Apointemens, suplie tres respectueusement Votre Mayesté qu’il lui soit permis d’en
transmettre 300 rl. par an au jeune Goezel, et d’accorder en grace les 700 rl. restans au suplian qui n’a
d’autre ressource pour pouvoir subsister avec sa femme & les Enfans qu’elle est en chemin de lui donner,
dans un païs qui soit convenable â sa santé délabrée.163

Certains musiciens, comme Jean-Jacques Favier, peuvent compter à leur retour sur des réseaux
influents et se lancer dans une bonne carrière : de retour à Paris, il devient « maître de danse des
académies royales164 » et enseigne à des enfants des milieux parlementaires.165 François Le Riche,
musicien à la carrière fulgurante, semble également être retourné sur son lieu de naissance à la
fin de sa vie : Ashbee signale que le testament de Peter Bressan, rédigé à Tournai en 1731, signale
parmi les garants « Jean Chmielensky domestique au Sieur LeRich.166 » Ceci indiquerait que Le
Riche serait retourné dans sa ville natale à la fin de sa vie, là même où, une quarantaine d’années
auparavant, il avait fait la connaissance de Deseschaliers.
Le retour au pays n’était pourtant pas toujours synonyme de bonne fortune. Après une car-
rière dans plusieurs cours allemandes, le comédien du Rocher écrit plusieurs lettres déchirantes
à Flemming depuis Rouen, où il était apparemment réduit à un état de très grande pauvreté.167
Moins pathétique, l’inventaire après décès de Pierre-Gabriel Buffardin fait aussi entrevoir un
certain dénuement (Tableau 3.2). Il en va de même pour Jean Prache du Tilloy qui, atteint de
maladie, doit être soutenu par sa femme. En 1733-1734, Marguerite Prache envoie plusieurs sup-
pliques à August III où elle évoque le « déplorable état auquel est réduit [s]on Mary, qui perdus
des bras et des jambes, n’ayant plus maintenant que des notions d’enfance, avec une difficulté
inexprimable de s’ennoncer, enfin accablée [sic] de toutes sortes d’infirmités qui le mettent dans
l’impossibilité de pouvoir desormais gagner sa vie ».168 Après sa mort, elle demande de l’argent
pour pouvoir rentrer en France.169 Quelques mois avant de mourir, le 17 mai 1733, Jean Prache
avait fait rédiger un second testament à Berlin dans lequel il confirmait plusieurs dons faits aux
pauvres, aux pères dominicains de la ville d’Halberstadt et à « l’Église romaine de cette ville », et
établissait d’autre part ses deux neveux comme légataires universels de ses biens.170 Ces disposi-
tions furent annulées par la justice locale, les biens étant trop modestes pour être transportés en
France et revenant finalement à Marguerite.171 L’inventaire après décès de Jean Prache (Tableau
3.3) fait figurer les quelques possessions matérielles du musicien, parmi lesquelles des instruments
de musique, un convolut de parties séparées et les sermons de Bourdaloue et de Massillon forment
sans doute les effets les plus intéressants.172

163 Lettre de Pierre-Gabriel Buffardin à August III, Dresde, 23 mars 1748. HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabi-
nett, Loc. 907/5, fol. 177-178. L’acceptation de la démission est signée par August III le 23 juin 1749. Voir aussi
la lettre du 11 déc. 1741 au même endroit, fol. 38-39.
164 AN, Minutier central, I-193, 4 mai 1691 : acte d’association avec François Dufour.
165 AN, Minutier central, XVII-119, 24 mars 1719.
166 Ashbee, A Biographical Dictionary, p. 701.
167 Lettres de N. du Rocher à Jakob Heinrich von Flemming, Rouen, 25 et 30 fév. 1726. HStA Dresden, 10026
Geheimes Kabinett, Loc. 702/5, fol. 75-77.
168 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/1, fol. 45.
169 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383.1, fol. 170-171.
170 HStA Dresden, 10084 Appellationsgericht Dresden, Nr. 3819, fol. 2.
171 HStA Dresden, 10084 Appellationsgericht Dresden Nr. 3818.
172 HStA Dresden, 10684 Stadtgericht Dresden, Nr. 1872.

– 162 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

Tableau 3.2. Inventaire après décès de Pierre Gabriel Buffardin, 28 janv. 1768. AN, Minutier central, LXXVIII-758.
Dans un petit cabinet pratiqué a coté de la cheminee de la chambre
Premierement un petit miroir d’une glace de quinze pouces de haut sur douze de large dans bordure de
bois doré prise quatre livres
Item douze bouteilles de gros verre dont trois remplies d’une liqueur rouge […] remplies de ferailles et
autres chiffons ne meritant description prise trente sols
Item plusieurs poteries de terre façonnée et verre de meritant description prise trente sols
Item un petit avec sa cloche et ses taquets prisé […]
Item un tas de planche de sapin provenant d’une cloison plusieurs bottes de pareils bois partie rempli de
corps de flute […] de la profession de luthier et ferailler servant aladite profession, prisé le tout ensemble
quarante huit livres
Item un tour complet demonte propre a tourner les fluttes prise soixante douze livres
Item treize fluttes complettes de different bois partie garnies en yvoire prisé vingt quatre livres
Item une table un tabouret […]
Item une mauvaise couchette un matelas de bourre couverture de toille et carreaux deux coussins aussy
de bourre deux couvertures de laine blanche prisé ensemble vingt quatre livres
Item Deux vestes de drap d’or un habit et culotte de valerienne noir une veste de camelot brun un habit
de drap noir un habit de velours gris ciselé deux camisolles de toille prisé ensemble quarante huit livres
Item une chemise deux paires de […] brodées prisé quatre livres
Item une paire de boucles de souliers d’argant chappe et arguiller petite cuilliere d’argent prise ensemble
six livres

Tableau 3.3. Inventaire après décès de Jean Prache du Tilloy, 26 août 1734. HStA Dresden, 10684 Stadtgericht Dresden,
Nr. 1872.

1 20 Thlr 2. Kleider 1. von braunen Tuch und 1. von Camlot, welche aus so hoch an die Juden auss
allertheüerste verkaufft worden,
2 5 Thlr 12. Oberhembden
3 3 Thlr 12. Unterhembden
4 5 Thlr als von demselben hinerlaßene seiden und wollen Strümpffe
5 – degen Vacat, weil er solchen vor seinem Tode weggeschenckt
6 1 Thlr vor alle Kraußen und Schnupftücher
7 1 Rthlr 12 gr 2 Hüthe mit dazy gehörigen Futteral
8 35 Rthl. 12 gr Etl. alte Paß Geigen 3. Stücke
2 Baß de Violinen
9 10 rhl 1. Laute nebst zugehör
10 – Ein convolut von Musicalischen Partien
11 – Ein buch worinnen verschiedene Spiel Activ-Schulden anzutreffen die aber inexigible sind
12 – Sechs Pfund alten verdorben Paunscher Schnuff-Taback
13 – Sermon du Pere Pourdalaüe quatre Tome, Frz. in 8vo
14 – Sermon du même 17me Tome
15 – Sermon du Pere de la Rue Tome 3me
16 – 12. Tome des Sermons von verschiedenen Autoribus so aber incomplet, indem einige davon
verlohren gegangen, Frz. in 8tavo
17 – 8. nach dergl. Sermon du Pere Massillon, incomplet in etwas kleinere format.
18 – 50 Piecen, ohngefehr, an Commedien Calendern und andere dergleichen rohen auch
mehrentheils unbrauchbar von, und unnutzern materien
45 Rthl. 12 gr. von stehende sämtl. Sachen, außer die alten Paß Geigen und Violinen auch und die à No: 10 usq. 18
specifiten Bücher, sind wie gedacht an die Juden verkaufft worden, und sind no. 8. 9. 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17 u.
18. in natura vorhanden hierüber noch.
100 Rthl. an einen Wechsel die Mad. Hulot an meinen Ehemann und mich d. d. 23. Xbre 1730. den 23. April
1732 zahlbar ausgestellt, es kommt aber das Anlehen von meinen Vermögen her ead. 12 rh. 12 gr. amtständigen
Interessen.
Dreßden den 26 Aug. 1734
145 rh. 12 gr.

– 163 –
Chapitre 3

Tableau 3.3. (suite et fin)


Marguerite Genevieve la veuve prache du Tilloy
Johann Friedrich Baudius
curat. Noie der verwitibten Madame Prache du Tilloy
Das Begraben hat über 50. rthl gekostet incl. der Trauer vor 50 rthl. mich und Domestiquen
2000 Rthl. quarta davon ich meines verstorbenen Ehemanns creditrix bin wenn er etwas verlassen hätte
––––––––––––––
2050 Rthl.
Marguerite genevieve la veuve prache du tilloy
Johann Friedrich Baudius curat. noie. der verwittbte Madame Prache du Tilloy
Dreßden den 26 Aug. 1734
Hiervon 145 rthl. 12 gr. abgezogen behalt ich annoch
––––––––––––––
1904 rthl. 12 gr.
Je Marguerite Genevieve veuve Prache du Tilloy jure à DIEU tout puissant que tout l’heritage que mon marie
Jean Baptiste Prache du Tilloy a quitté en mourant j’ai fait metre dans la specification presentée à la maison de
cette Ville le vingt sixieme de ce moïs d’Août. Je jure que je n’ai rien cachée de la dite heritage, que j’ai fidelement
mis le tout dans la specification. Je promets aussi si je me ressouviens de quelque chose, qui se puisse trouver dans
la dite heritage de l’annoncer et le specifier. Je jure aussi, que les 100. ecus que la defunte d’Hullot me doit à une
lettre de change soit de mon propre argent. Aussi vray que Dieu soit mon aide par Jesus Christ notre Seigneur
et Sauveur.

Le bonheur en Allemagne ? Installations, reconversions, dynasties


Si la plupart des musiciens français semblent avoir choisi ou subi une migration de maintien
caractérisée par un retour au pays, certains d’entre eux partirent sans esprit de retour. Après
avoir visiblement trouvé « le bonheur en Allemagne173 », selon l’expression de Michel Tournier,
ils décidèrent de s’y installer pour de bon, même après la dissolution des institutions auxquelles
ils appartenaient. Deux phénomènes différents montrent l’inscription dans la durée de la migra-
tion : la reconversion de certains musiciens qui changent de profession après leur renvoi mais
restent dans l’Empire, et la constitution à plus long terme de véritables dynasties de Français qui
s’installent sur plusieurs générations.
Un des cas les plus intéressants de reconversion professionnelle est celui de Pierre du Vivier,
musicien engagé à Celle en 1689 et resté au service de la Hofkapelle jusqu’en 1705, année de la mort
de Georg Wilhelm et de dissolution de la chapelle ducale. L’année suivante, en mai 1706, l’ancien
musicien de la cour ducale (« der ehemalige Fürstl. Zellische Hoff=Musicant ») se fait accorder par
le duc Anton Ulrich de Wolfenbüttel un privilège pour s’établir comme négociant de vin dans le
duché de Wolfenbüttel.174 Dès 1707 cependant, Pierre du Vivier se met en infraction en important
une trop grande quantité de vin et tombe sous le coup d’une plainte de l’un de ses concurrents.175
Notons que le musicien ne semble pas avoir complètement arrêté ses anciennes activités, car il est
désigné comme maître à danser (« Tantzmeister ») aussi bien dans sa condamnation que dans son
acte de décès rédigé en 1711 à Wolfenbüttel.176 Le négoce de produits importés de France paraît
d’ailleurs être une occupation assez naturelle pour l’entourage immédiat des musiciens, puisque
le frère de Philippe de Courbesastre est « marchand en Allemagne.177 »
Les musiciens congédiés ne devaient cependant pas tous envisager une reconversion, et pou-
vaient demeurer sur place même après la cessation de leur service. Une retraite est versée à titre
gracieux (« Gnaden Verehrung ») à certains musiciens de Celle par la cour de Hanovre, qui assurait

173 Michel Tournier, Le Bonheur en Allemagne ?, Paris 2004.


174 NLAW, 4 Alt 5 Nr. 374, fol. 1.
175 NLAW, 4 Alt 5 Nr. 341.
176 NLAW, 4 Alt 5 Nr. 374. BAHild, KB Nr. 1813, Wolfenbüttel St. Petrus, p. 1, 2 mai 1711.
177 AN, Minutier central, XXXI-20, 21 juin 1700.

– 164 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

l’entretien de l’ancien personnel après la réunion des deux territoires. Philippe la Vigne, Claude
Pécour, Saint-Amour et Louis Gaudon touchent une pension jusqu’à leur mort. En 1726, Gaudon
demande que ses biens soient exemptés du droit d’aubaine pour pouvoir les léguer entièrement à
ses héritiers qui habitent en terre de Hanovre :
Depuis l’an 1678 que j’ay eü l’honeur d’etre appellé de France pour venir servir S. A. S. Monseigneur le
Duc de Zell, de Glorieuse memoire dans sa Musique tant d’année c’étant accumuleez successivement
les unes apres les autres, me font pençer que bientôt il me faudra déloger de ce Monde. C’est ce qui me
fais prendre la liberté de supplier tres humblement V. E.ces de m’accorder sous l’Authorité Royalle de Sa
Mté, votre Consentement avec la permission, de faire, & de disposer, mon testament, du peu de bien qui
ce trouvera apres ma mort, En faveur de mes Heritiers, Qui Sont nés, & qui habitent acctuellement en
ce paÿs afin qu’apres mon deçès, ils nen soient point inquiétez, ny vexçés, sous quelque pretexte que ce
puisse être, pour les empêcher de joûir paisiblement de mon délaissement.178

Cette demande lui fut accordée immédiatement. Louis Gaudon semble d’ailleurs avoir été assez
fortuné, puisqu’il prête dès le mois de février 1692 cent Thaler à Johann Friedrich Stammk, pour
monter une petite entreprise.179 Même les musiciens qui ne touchaient pas de retraite pouvaient
rester sur place : Thomas de La Selle est enterré en 1727 à Celle à l’âge de quatre-vingt-huit ans.
Selon son acte de décès, il avait été « pieux et doux » de son vivant, « sain d’esprit dans le dernier
moment de sa vie » et mourut « muni de tous les sacrements selon les rites ».180
Au-delà de ces cas individuels, de véritables dynasties de musiciens français s’implantèrent
durablement dans leur nouveau pays d’accueil. La famille du musicien Pierre Vezin et de la comé-
dienne Marie Charlotte Pâtissier de Châteauneuf est un excellent exemple : leurs descendants
fournirent de nombreux médecins, avocats et hauts fonctionnaires en Basse-Saxe jusqu’au début
du xixe siècle, tandis que certains d’entre eux émigrèrent aux États-Unis et en Angleterre.181
La famille La Vigne est un autre exemple d’intégration réussie : la fille de Philippe La Vigne
épousa en 1718 un musicien employé à la cour Wolfenbüttel, Louis de Fri.182 Quant au fils du
Kapellmeister, Georg Wilhelm La Vigne, il passa toute sa vie à Celle comme maître à danser ainsi
que le confirme son acte de décès.183 Son fils Philippe, né en 1702 et confirmé à Celle en 1710,
continua probalement à vivre dans la région.184 Près de cinquante ans plus tard, en 1757, une cer-
taine Marie-Madeleine La Vigne apparaît toujours dans les registres paroissiaux de Celle.185 Le
cas de la famille Beauregard est également intéressant : François Adam Beauregard, hautbois à la
cour de Berlin à partir de 1681, est le père de François Godefroy Beauregard qui fit une carrière
comme chanteur à Dresde. La veuve du premier, Marie Letellier, s’était remariée avec le cuisinier
Pierre Creholet à Paris le 2 mars 1692.186 Plusieurs années plus tard, en 1714, un certain « Sieur
Beauregard » est mentionné comme maître de chapelle de Joseph Clemens de Bavière lors du
séjour de ce dernier à Paris. Il s’agit certainement du chanteur François Godefroy Beauregard,
engagé à la Hofkapelle de Dresde en 1714 en qualité de haute-contre, et qui mentionne dans sa
biographie qu’il est né à Berlin. Il est probable que le fils a pu bénéficier de réseaux de sociabilité

178 NLAH, Cal. Br. 15 Nr. 1277.


179 NLAW, 7 Alt G, Nr. 104, fol. 15. Gaudon se retira de l’affaire en novembre 1700.
180 BAHild, KB Nr. 387, Celle St. Ludwig, Beerdigungen 1710-1852, p. 15 : « 1727 18ta Januarÿ hora quarta matu-
tina morituris praerivit pie Dominus Thomas la Selle Gallus olim Curia Cellensis magister Saltuum aetatis 88
annorum omnibus sacramentis rite munitus et ad ultimum vitae momentum sana mentis. In vita fuit pius et
lepidus. Sepultus est in suburbiy coemeterio. »
181 Böger, Die Geschichte der Familie Châteauneuf-Vezin.
182 BAHild, KB Nr. 386, Celle St. Ludwig, Traubuch 1706-1852, 20 oct. 1718, p. 33.
183 BAHild, KB Nr. 387, Celle St. Ludwig, Beerdigungen 1710-1852, p. 17 : « 1728 29tia Maÿ pie obyt omnibus
Sacramentis rite praemunitus Georgius La Vigne aetatis 54 professione magister saltuum Sepultus est in Coe-
meterio Suburbano. »
184 BAHild, KB Nr. 388, Celle St. Ludwig, Firmungen 1710-1819, p. 7.
185 BAHild, KB Nr. 385, Celle St. Ludwig, Taufbuch 1674-1852, 27 déc. 1757, p. 45.
186 F-Pn, Fichier Laborde, NAF 12046, fiche 3276.

– 165 –
Chapitre 3

tissés par son père dans l’espace germanique, et peut-être également d’une pratique de la langue
allemande qu’il aura eu l’occasion d’apprendre pendant son enfance à Berlin.

Servir un autre maître


Lorsque Chambonnières cherchait à sonder Huygens sur les possibilités d’emploi à la cour de
La Haye, l’humaniste hollandais lui fit une réponse étonnante, non dénuée de beauté : « Mais
ces grands Princes ne sont plus, pour l’amour desquels il valoit la peine de faire le voyage, et
à peine l’ombre nous en reste.187 » Même si la plupart des musiciens ne font sans doute pas le
voyage par amour pour leurs futurs employeurs, cette citation montre bien le lien personnel fort
qui les attache au service de leur nouveau maître, ce que les sources administratives permettent
aussi de confirmer. On a vu qu’une expression qui revient souvent sous la plume des musiciens
français est le fait d’avoir été appelés ou d’être entrés « au service » de leurs nouveaux maîtres.
Louis Gaudon écrit qu’il a « eu l’honneur d’être appelé de France pour venir servir Son Altesse
Sérénissime le Duc de Zell ».188 Les formulations similaires abondent, et montrent que le service
est une dimension essentielle du métier de musicien de cour. Il importe donc de tenter de cerner
les réalités quotidiennes qu’implique une telle fonction.

Les espaces de la musique française


Pendant tout le xviie siècle, le choix du répertoire musical et la question de la convenance sont
guidés par le choix des lieux de musique. La tripartition topographique de la musique, formali-
sée par exemple sous la plume de Sébastien de Brossard et qui distingue la musique d’église, la
musique de théâtre et la musique de chambre, constitue dès lors un fil directeur essentiel pour
explorer l’activité des musiciens et les usages de musique française dans les cours allemandes.189
Si celle-ci trouve sa place dans une grande variété de contextes et d’endroits, le lieu privilégié de
la musique française demeure à l’évidence le théâtre. Ce privilège du théâtre n’est cependant pas
synonyme d’exclusivité, et le caractère polyvalent de l’activité des musiciens français, située au
croisement de deux mondes – celui des troupes de comédiens français et celui des Hofkapellen,
dont ils doivent remplir les tâches normales et régulières – est une réalité qu’il importe de cerner
avec précision, non seulement du point de vue de l’administration comme nous l’avons fait dans
le chapitre précédent, mais aussi dans la perspective des musiciens eux-mêmes.

Le théâtre
L’exécution de musique sur les scènes des théâtres français aux xviie et xviiie siècles, bien loin
d’être un simple ornement, jouait un rôle absolument central, à tel point qu’il « ne serait pas
exagéré de dire qu’à cette époque, toute représentation de théâtre faisait appel, d’une manière
ou d’une autre, à de la musique ».190 Les pièces en machines et les pièces à intermèdes, comme les
comédies-ballets ou les tragédies bibliques de Racine, sont les exemples les plus connus d’une telle
interaction, mais la présence de la musique ne se limitait nullement à l’insertion musicale dans un
texte parlé.191 Plus largement, elle forme une « composante latente du théâtre dramatique au xviie
siècle.192 » Matthieu Franchin et Bénédicte Louvat-Mozolay ont très bien mis en évidence le rôle de

187 Lettre de Constantijn Huygens à Jacques Champion de Chambonnières, 2 juin 1655. Worp, De Briefwisseling
van Constantijn Huygens, vol. 5, p. 237.
188 NLAH, Cal. Br. 15, Nr. 1277.
189 Sébastien de Brossard, « Stilo », in : Dictionnaire de musique, Paris 1703: « Le Stile des Musiques d’Eglise est bien
différent du Stile des Musiques pour le Théatre ou la Chambre. »
190 Matthieu Franchin, « Les entractes musicaux de l’École des femmes : méthodologie pour une restitution ar-
chéologique », Arrêt sur scène / Scene Focus, 5, 2017, p. 112-142.
191 Bénédicte Louvat-Molozay, Théâtre et musique. Dramaturgie de l’insertion musicale dans le théâtre français (1550-
1680), Paris 2002. Cf. aussi Johan S. Powell, Music and Theatre in France 1600-1680, Oxford 2000.
192 Bénédicte Louvat-Mozolay, « Le théâtre musical au xviie siècle : élaboration d’un genre nouveau ? », Littéra-
tures classiques, 21, 1994, p. 249-264, ici p. 264.

– 166 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

la musique d’entracte dans l’organisation d’une temporalité propre à la représentation théâtrale,


où le relâchement de l’attention des spectateurs entre les actes participe d’une esthétique classique
du théâtre, en confortant les principes de vraissemblance et d’unité de temps.193
Le journal de la cour de Dresde pour l’année 1729 documente l’adoption d’une telle pratique
musicale sur les scènes des cours allemandes. En donnant jour après jour le détail des représenta-
tions théâtrales sur l’ensemble de l’année, cette source permet non seulement de se faire une idée
de la variété du répertoire théâtral de la troupe de comédiens français de Dresde, mais aussi de
s’apercevoir que nombre de comédies sont accompagnées non seulement de musique, mais d’en-
tractes et de divertissements dansés (Tableau 3.4). Les entractes, intermèdes et divertissements
ne sont notés que lorsqu’ils incluent de la danse, et probablement considérés comme une pratique
normale s’ils ne font intervenir que les musiciens. L’usage qui consiste à faire suivre une tragé-
die d’une « petite pièce » comique est constant à Dresde, et rejoint les pratiques de la Comédie
française. L’architecte Jean-François Blondel note en effet en 1752 que le rôle de l’orchestre de la
comédie française est de jouer
des pièces de symphonie un peu avant la représentation du spectacle, pendant les intermèdes, et entre les
deux pièces ; étant d’usage au Théâtre Français, après la tragédie, de donner une petite pièce comique
pour égayer le spectateur.194
On voit donc se dessiner, à travers cet exemple, une très forte cohérence entre le répertoire et les
pratiques musicales du théâtre français à Paris et à Dresde. À l’inverse, le théâtre italien n’est
jamais accompagné d’une musique signalée dans les journaux de la cour.
Il est donc parfaitement logique que les musiciens forment une part essentielle des troupes
de comédiens.195 Dès les années 1640, bien avant d’écrire ses première comédies-ballets, Molière
avait engagé quatre joueurs d’instruments et un danseur dans sa troupe de l’Illustre Théâtre.196
Le registre de La Grange indique parmi les frais ordinaires de la Troupe de Monsieur le paiement
de « violons » : 4 livres et 10 sols pour un nombre inconnu d’instruments au Petit-Bourbon en
1660, 6 livres pour quatre violons au Palais Royal en 1662.197 Lors de la reprise des Fâcheux en 1663,
l’orchestre du théâtre incluait six violons, deux hautbois et un clavecin.198 Samuel Chappuzeau
compte les violons au nombre des emplois secondaires (« les Bas-Officiers ») d’une troupe de
théâtre, et même lorsqu’il raille les « Comédiens de Campagne », il mentionne « deux ou trois
Violons.199 » Mais il décrit aussi la composition des ensembles musicaux attachés aux troupes
régulières et leurs pratiques musicales :
Les Violons sont ordinairement au nombre de six, & on les choisit des plus capables. Cy-devant on les
plaçoit, ou derrière le Théâtre, ou sur les aisles, ou dans un retranchement entre le Theâtre & le Parterre,
comme en une sorte de Parquet. Depuis peu on les met dans une des Loges du fond, d’où ils font plus de
bruit que de tout autre lieu où on les pourroit placer. Il est bon qu’ils sçachent par cœur les deux derniers
vers de l’Acte, pour reprendre prontement la Symphonie, sans attendre que l’on leur crie, Jouëz, ce qui
arrive souvent.200

Le nombre ordinaire de six violons n’est pas donné au hasard. Mais il correspond aussi très bien
aux usages allemands : à Celle, les musiciens qui arrivent en 1666 sont au nombre de sept, six

193 Voir en particulier la remarque de Chapelain citée par Bénédicte Louvat-Molozay, Théâtre et musique, p. 123 :
« j’estime encore que les distinction des actes, où le théâtre se rend vide d’acteurs et où l’auditoire est entretenu
de musique ou d’intermèdes, doivent tenir lieu du temps que l’on se peut imaginer à rabattre sur les vingt-
quatre heures. »
194 Cité par Franchin, « Les entractes musicaux », p. 112.
195 Voir Chapitre 1, p. 44-49.
196 Franchin, « Les entractes musicaux », p. 113.
197 Charles Valet sieur de La Grange, Registre de La Grange (1658-1683), précédé d’une notice biographique, Paris 1876,
p. 18 et 45. Sur les pratiques musicales dans le théâtre de Molière, cf. Powell, Music and Theatre in France, p. 398-
415.
198 Powell, Music an Theatre in France, p. 400.
199 Chappuzeau, Le Théâtre françois, p. 224.
200 Chappuzeau, Le Théâtre françois, p. 240.

– 167 –
Chapitre 3

Tableau 3.4. Plan des pièces de théâtre données en 1729 à Dresde d’après le journal de la cour. HStA Dresden, 10006
Oberhofmarschallamt, G Nr. 29.

Fol. Date Texte


3v 7 janv. « Abends wurde eine franzö. Comoedie La Tragedie de Metridate, Racine, et Grispin bele
Esprit. petitte Comoedie d’un acte gehalten. »
4r 10 janv. « franzöi. Comoedie Les folis amouresses de Regnard et Crispin medecin d’hauteroche »
4v 12 janv. « franzöi. Comoedie Le joueur de Renard »
4v-5r 14 janv. « Abends war franzöi. Comoedie, so genannt wurde. Igres de Castre Tragedie de Mons: de la
Mote, suivie de la petite Comoedie du Charivary ornez de dances et de Musique »
5r 17 janv. « eod: die war franzöi. Comoedie, welche bettitelt wurde: L’Ecole des Maris, piece en trois acte,
de Mons: de Moliere et La famille extravagante. »
5r 19 janv. « Beÿ Hoffe war franzöi. Comoedie genannt: L’Etourdi piece Comique en cinq acte de Moliere »
5v 21 janv. « den 21. nahmen sie das Mittagmahl beÿ dem Herrn General von Baudis ein, so dann aber
wohneten sie der franzöi. Comoedie, Iphigenie de Racine et L’esprit de contradiction, un
ballet entre les deux pieces. »
6v 24 janv. « den 24. Jan: Begeben sich Ihro Königl. Hoheit der Prinz, mit Ihro Druchl. dem Prinz von Daßau
auf die Jagdt und kamen Abends wieder zurücke, wohneten sodann der franzöi. Comoedie beÿ,
so genennet wurde: Le Philosophe Marié, piece en cinq actes, avec un ballet à la fin. »
7r 26 janv. « Abends war franzöi. Comoedie: La Jalousie desabuse. »
7r 28 janv. « Abends war franzöi. Comoedie, genannt: Andromaque de Racine, et le françois à londre,
avec un Ballet. »
7v-8r 2 fév. « Abends var franzöi. Comoedie: Le Medicin malgré luy piece en trois actes et Le Cocu
imaginaire petite de Moliere. »
8r 4 fév. « Abends franzöi. Comoedie, genannt Les Amans deguisée [sic] et Colin Malliard accompagné
d’un ballet et de Musique. »
8v 7 fév. « Abends war franzöi. Comoedie, Ariane, piece en cinq actes et Le Retour un preuvüe entre
aux piece d’un ballet. »
8v 9 fév. « Abends war franzöi. Comoedie benannt: La Dame invisible, piece en cinq actes. »
9r 11 fév. « Abends der franzöi. Comoedie beÿ, welche betittelt wurde Le Philosophie Marie, piece en
cinq actes. »
9v 14 fév. « den 14. war franzöi. Comoedie benannt Le Comte d’Esseck. »
9v-10r 16 fév. « Abends der franzö. Comoedie beÿ, welche war: le nouveau monde, piece en trois actes,
accompagné de trois balets et de musique. »
10r 18 fév. « den 18. war franzöi. Comoedie, betittelt: Les femme sçavantes piece en cinq actes, welcher
Ihro Durchl. der Prinz von Daßau beÿwohnete. »
10v 21 fév. « den 21. Franzöi. Comoedie genannt Oedipe nouveau piece en cinq actes et Lesté des Coquettes
petit piece. »
11r 23 fév. « Abends war franzöi. Comoedie benahnet Le nouveau monde piece en cinq actes,
accompagné de trois balets et de musique. »
11r 25 fév. « den 25. wurde die Redoute abermahls gehalten, vorhero aber franzöi. Comoedie genannt:
Crispin Musicien, piece en cind actes. »
11v 28 fév. « den 28. Nachmittags wurde die franzöi. Comoedie L’Inconnu agiret, und nach dieser Redoute
gehalten. »
12v 4 mars « den 4. wurde die franzöi. Tragedie Oedipe und die Comoedie La parrisienne agiret. »
13r 7 mars « Abends war franzöi. Comoedie benannet Le Medisant, piece Comique en cinq actes. »
13r 10 mars « den 10. war abermahls franzöi. Comoedie betittelt: Tartiffe [sic], Comique en cinq actes »
13v 14 mars « den 14. war franzöi. Comoedie. Le grondeur de Mr. de Palaprat et d’hevill petite piece. »
14r 17 mars « den 17. Marty wurde die franzöi. Comoedie Ignès de Castro gehalten. »
18r 5 mai « dem 5. war franzöi. Comoedie welche betittelt: Polieucte Tragedie en cinq actes et l’épreuve
reciproque petite piece. »
18v 9 mai « eod: die war franzöi. Comoedie genannt Le Medisant piece en cinq actes de Mr. Destouche
accompagnee d’un balet. »

– 168 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

Tableau 3.4. (suite et fin)

Fol. Date Texte


19v 15 mai Comédie italienne
19 mai Comédie italienne

20r 26 mai Comédie italiene


21r 9 juin Comédie italienne
21v 12 juin Comédie italienne
22r 19 juin Comédie italienne Arlequino giardiniere pour la fête-Dieu
23v 30 juin Comédie italienne à Moritzburg
3 juil. Comédie italienne à Moritzburg
24r 7 juillet Comédie italienne
25r 10 juil. Comédie italienne
14 juil. Comédie italienne
17 juil. Comédie italienne
26r 24 juil. Comédie italienne
26v 28 juil. Comédie italienne
31 juil. Comédie italienne
27v 4 août Comédie italienne à Varsovie
7 août Comédie italienne à Varsovie
28v Comédie italienne
37r 18 oct. « den 18. wurde franzöi. Comoedie gehalten und betittelt: Cinna, piece en cinq actes, et le
mariage force, petite piece. »
37v-38r 20 oct. « Eodem Die war franzöi. Comoedie, genannt Menteur, piece Comique, en cinq actes, de
Corneille, dergleichen auch wurde den 23. Octobr: gehalten, und war Le misentrope [sic] piece
Comique en cinq actes, de Mr. de Moliere »
38r 27 oct. « den 27. wurde franzöi. Comoedie, le Malade imaginaire, piece comique de moliere,
accompagne de Musique et de Danses. »
38v 30 oct. « den 30. war franzöi. Aedipe tragedie en cinq actes et les trois freres rivaux petite piece »
39r 30 oct. « eodem die fanzöi. Comoedie, genannt: L’homme à la fortune, piece Comique en cinq actes
avec une petite danse. »
39v 6 nov. « eodem die war franzöi. Comoedie. Le Chevalier à la mode, piece en cinq actes de Moliere. »
40r 10 nov. « den 10. franzöi. Britaniquues [sic] Tragedie en cinq actes de Corneil, et la pres Souppé des
auberges petite piece. »
40r 13 nov. « franzöi. Comoedie L’estourdy piece en cinq actes de Moliere accompagne d’un Ballet. »
40v 17 nov. « Franzöi. Comoedie Le Joueur piece en cinq actes de Renard »
41r 20 nov. « franzöi. Comoedie L’Ecole des femmes piece Comique en cinq actes avec un balet à la fin. »
41r 22 nov. « war wieder franzöi. Comoedie Le Bourgois Gentilhomme, piece comique en cinq actes de
Moliere, accompagnée de Musique et de Danse. »
41v 24 nov. « franzöi. Electre Tragedie en cinq actes, Crispin bel esprit petite piece, et un balet entre les
deux pieces. »
41v 27 nov. « franzöi. Comoedie L’avarre piece Comique en cinq actes, avec un balet à la fin. »
42v 6 déc. « franzöi. Les Maccabes Tragedie en cinq actes de Mr de la Motte et Crispin Precepteur »
43r 9 déc. « franzöi. Comoedie Le Negligent piece Comique en quatre actes et Collin Malliard, petite
piece suive d’argent [agrément] »
43r 13 déc. « franzö. Comedie, Esope à la Cour, piece Comique en cinq actes avec un balet à la fin. »
43v 16 déc. « franzöi. Andronique [sic] tragedie en cinq actes et la Cerenade petite piece suivie
d’agrement »

– 169 –
Chapitre 3

violonistes et un Kapellmeister. À Hanovre, la composition de l’ensemble français installé par


Ernst August en 1680 fait également apparaître le Kapellmeister Jean-Baptiste Farinel et six vio-
lons payés en groupe, désignés comme les « 6 übrigen Frantzösischen Musicanten ». À ce noyau
originaire viennent s’ajouter au fil du temps d’autres musiciens. Lorsque Zacharias Conrad von
Uffenbach se rend à la cour de Hanovre en 1710, il note l’excellence et la richesse de l’orchestre
qui joue lors de la comédie Le Menteur de Pierre Corneille :
Le soir à six heures, nous allâmes pourtant au château [de Hanovre] pour voir la comédie. Le bâtiment
de l’opéra ou de la comédie est joli, mais curieusement l’amphithéâtre est très petit. Les acteurs étaient
une bande vraiment bonne de Français ; et on joua Le Menteur. L’orchestre est incomparable et très
fourni, et la musique était très belle.201

Plusieurs autres témoignages contemporains relatent la présence des musiciens français au


théâtre. Chappuzeau, lorsqu’il se fait l’écho de la troupe de comédiens partagée entre les trois
frères de Braunschweig-Lüneburg, mentionne aussitôt les « trois bandes de violons » :
L’Evêque d’Osnabruc, & les Ducs de Cell & d’Hannover entretiennent depuis plusieurs années une
excellente Troupe de Comediens François riches en habits, & qui executent admirablement leurs rôles ;
& lors que leurs trois bandes de violons se trouvent ensemble, on les peut nommer la bande des vingt
quatre, la plus part François & des meilleurs maîtres de cette profession.202
Cette dernière citation rassemble dans une même phrase les comédiens et les musiciens français.
Chappuzeau suggère ici que les trois cours possédaient chacune une bande de violons qu’elles pou-
vaient mettre occasionnellement en commun afin de créer une bande similaire à celle des vingt-
quatre violons du roi. En fait, si des musiciens français ont bien été engagés à Celle par Georg
Wilhelm et sa femme Éléonore Desmiers d’Olbreuse, ainsi qu’à Osnabrück par Ernst August et
sa femme Sophie von der Pfalz, le duc de Hanovre Johann Friedrich ne possédait pas de violons
français, mais des instrumentistes allemands et des chanteurs italiens.
Un autre voyageur anonyme évoque les musiciens français de Celle juste après les comédiens
en 1681 : « Le Duc de Cell tient une trés-bonne table. Il a sa musique, ses violons & une troupe
de bons Comédiens.203 » Le jugement porté sur les comédiens français par Constantijn Huygens
junior (le fils de l’admirateur d’Anne de La Barre) à l’occasion du voyage qu’il fit dans la suite du
prince Guillaume d’Orange en 1680 est nettement moins flatteur que celui de Chappuzeau et
souligne la mauvaise acoustique du théâtre de Celle :
Je fus à la comedie avec S[on] A[ltesse] [Guillaume d’Orange] ou fut joué ce jour là le Bajazet de [Racine]
mais les acteurs n’estoyent pas bons extraordinairement, et la voute du théatre estant fort haute, l’on
avoit de la peine à entendre les comediens.204
La veille, il avait mentionné la présence de musiciens lors du premier repas offert à la suite du
prince d’Orange (« Il y ent musique de violons durant le soupper 205 »). Lorsque Leibniz envoie
à Anton Ulrich un exemplaire de la comédie française Les Moines qui venait de paraître de façon
clandestine à Paris en 1699, il souligne que cette comédie doit être entendue accompagnée de sa
musique.206 Le philosophe faisait ici référence à une expérience personnelle très concrète, puisqu’il

201 Cité par Scharrer, Zur Rezeption, p. 123: « Abends um sechs Uhr aber giengen wir auf das Schloß, die Comö-
dien zu sehen. Das Opern= oder Comödien=Haus ist zierlich, aber sonderlich das Amphitheater sehr klein.
Die Acteurs waren eine recht gute Bande von Frantzosen; es wurde la Menteur gespielet. Das Orchester ist
unvergleichlich und stark besetzt, und die Musik war sehr schön. »
202 Chappuzeau, Suite de l’Europe vivante, p. 348.
203 Anonyme, Voyages faits en divers temps, p. 223.
204 Constantijn Huygens, Journaal van Constantijn Huygens den zoon, vol. 3, Utrecht 1888, 23 sept. 1680, p. 14.
205 Huygens, Journaal, 22 sept. 1680, p. 13.
206 Lettre de Leibniz à Anton Ulrich, Hanovre, 5 janv. 1699. Leibniz, Sämtliche Schriften und Briefe I/16, p. 83 :
« Pour les Estreines, damit ich vor einem großen Herrn dießmahl auff orientalisch erscheine, so schicke
E. Durchl. eine französische Comoedi, die mir überauß artig vorkomt. Ich habe sie von Paris bekommen, ob
sie wohl alda nicht anders als unter dem Mantel wird herumb spaziren dürffen; denn sie ist gegen die Münche.
Aber sie wird meines ermessens den ehrlichen München nichts schaden, und kan inzwischen lust machen,
zumahl da man sie würcklich mit der Musik begleitet hören solte. »

– 170 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

venait d’entendre cette comédie jouée par les comédiens – et probablement les musiciens – français
au théâtre ducal de Hanovre.207 La collaboration entre musiciens et comédiens français constitue
donc incontestablement l’une des caractéristiques des ensembles français y compris lorsqu’ils sont
engagés dans des cours allemandes. Ces remarques conduisent à revoir à la hausse l’estimation de
Gerhard Vorkamp, selon qui vingt pour cent au moins des pièces jouées par la troupe de Hanovre
étaient accompagnées de musique.208 Lorsque Johann Sigismund Cousser publie sa collection de
musique française à Stuttgart en 1682, il annonce d’ailleurs dans son titre des « ouvertures de
théâtre », révélant bien par-là l’affinité entre ce genre et l’univers des comédiens.209

La table et la chambre
La musique instrumentale française ne résonnait pas seulement sous la voûte des théâtres : elle
était aussi entendue à la table et à la chambre. Cousser devait le savoir mieux que personne,
puisque l’année même de la sortie de sa collection, son nouveau patron le duc de Württemberg
Eberhard Ludwig se plaignait de la piètre performance de ses musiciens en matière de musique
française, « à la table princière ou bien dans les appartements ».210 Johann Beer note que la mu-
sique française se prêtait très bien à une exécution pendant les repas, et tout particulièrement les
suites d’orchestre qui « sonnent agréablement à la table.211 » À la cour de France, l’utilisation de
suites instrumentales pour la musique de table est documentée en particulier par les symphonies
de Michel-Richard de Lalande, « qu’il faisoit exécuter tous les 15 jours pendant le Souper de
Louis XIV et Louix XV ».212 Mais la remarque de Beer est aussi corroborée par les pratiques musi-
cales à la cour de Hanovre dans les années 1680, à travers plusieurs témoignages du Mercure galant
sur ce que le journal appelle les « Violons françois » du duc Ernst August. La première évocation
de cet ensemble instrumental se trouve dans la description d’une fête donnée chez le Baron von
Platen à la fin de l’année 1680, en l’honneur du prince d’Orange :
Le soir Mr le Baron de Platen Grand-Maréchal, & Premier Ministre de cette Cour, traita chez luy
Leurs Altesses. La Table estoit longue, & de vingt-quatre Couverts. [...] Les Violons François firent
admirer pendant ce Repas les Airs doctes & touchans des Opéra du fameux Lully, ce qui ne fut pas un
des moindres divertissemens de cette illustre Assemblée.213
Les violons français sont donc ici présents non pas à la cour, mais dans la maison privée d’un des
plus hauts dignitaires de Hanovre. Leur répertoire est explicitement décrit comme étant extrait
des opéras de Lully, preuve que le répertoire instrumental issu du répertoire d’opéra ou de ballet
pouvait servir de musique de table, probablement sous forme de suite instrumentale. Un an plus
tard, lorsque la reine du Danemark Sophie Amalia visite Hanovre, les Français sont à nouveau
décrits dans un contexte de musique de table, avec une formulation très similaire :

207 Vorkamp, « Das französische Theater », p 174.


208 Vorkamp, « Das französische Theater », p. 182. Le répertoire des pièces jouées à Hanovre par les comédiens
français est minutieusement reconstruit dans la dernière partie de l’article, sur la base d’une grande variété
de sources – notamment les exemplaires imprimés des livrets encore conservés et des extraits de la correspon-
dance de Sophie de Hanovre, Madame Palatine et Leibniz.
209 Johann Sigismund Cousser, Composition de musique, suivant la méthode françoise, contenant six ouvertures de
théâtre accompagnées de plusieurs airs, Suttgart 1682.
210 Décret princier du 7 oct. 1682. Josef Sittard, Zur Geschichte der Musik und des Theaters am Württembergischen
Hofe, vol. 1, Stuttgart 1890, p. 63-64 : « wenn die Hoff Musici bei der Fürstlichen Tafel oder in den Zim-
mern ihre Aufwarttung haben, und diejenige beliebte Stück, die man gern hört, besonders die französische
Entréen, Ouverturen, Courante und dergleichen prästiren sollen, entweder Ihnen, auß Mangel der Übung,
solche nicht bekandt, oder aber, weil ihrer etliche bey einem parte und Buche sich behelffen müßen, nicth
zurecht kommen können ».
211 Beer, Musikalische Discurse, p. 64 : « Die Frantzösische Music, gleichwie sie einer sonderlichen Art ist, also
brauchet sie auch sonderliche Liebhaber. Ihre Suiten klingen brav dey der Taffel, und darff sich derjenige, der
sie stricht, den Ofen zum schrepffen nicht heitzen lassen. »
212 Lionel Sawkins, A Thematic Catalogue of the Works of Michel-Richard de Lalande (1657–1726), Oxford 2005,
p. 434-435.
213 Mercure Galant, novembre 1680, p. 259-261.

– 171 –
Chapitre 3

Il y eut un magnifique Soupé, pour lequel on avoit dressé sept grandes Tables, outre celle de la Reyne,
qui fut seulement de douze Couverts. […] Les Violons François firent des merveilles à leur ordinaire,
& pendant tout le Soupé le Sr Farinel fit valoir les Airs du fameux Lully, qui fait admirer par tout les
agrémens de sa Symphonie.214

Enfin, une troisième description l’année suivante fait à nouveau mention des violons français en
relation avec la musique de table donnée chez le Baron von Platen :
On n’oublia rien pour donner de l’éclat à cette Feste. Les Trompetes & les Timbales s’y firent entendre,
aussi-bien que les Hautbois, & les Flûtes douces ; & les Violons François acheverent de charmer cette
illustre Compagnie, qui prit grand plaisir à les écouter pendant le Repas.215
Ces différentes citations montrent que la musique de table, essentiellement instrumentale, consti-
tue l’une des tâches essentielles pour les musiciens français en fonction à Hanovre. Il en va de
même à la cour de Dresde : le document préparatoire pour le « Banquet bacchique » (1687) montre
que les « Französische Violons » sont requis avant tout pour jouer à la table.216 La gravure d’un
« Temple d’Honneur représenté au Grand Festin » donné le 12 mai 1719 à l’occasion de l’anni-
versaire d’Auguste le Fort montre d’ailleurs des musiciens sur une ballustrade à l’occasion d’un
dîner (Illustration 3.3). Même si la musique de table ne semble pas avoir requis spécifiquement la
présence de musiciens français, nul doute que leurs compétences étaient particulièrement appré-
ciées dans ce domaine. Le répertoire joué demeure d’ailleurs identique au théâtre et à la table :
non seulement les suites orchestrales de Lully, mais aussi les « Grands Concerts en partition »
de Hanovre ou les suites orchestrales de Dresde pouvaient servir indifféremment dans les deux
contextes. En 1733, la fameuse collection de Telemann intitulée Musique de Table commence d’ail-
leurs par une ouverture à la française suivie d’une suite.
Le sous-titre des Concerti da camera de François Venturini, publiés à Amsterdam en 1714,
semble indiquer que la musique de chambre est le lieu privilégié où s’accomplit une synthèse entre
les styles français et italiens, dans un répertoire notamment instrumental. La Cammer-Musique
que Telemann fait paraître en 1716, témoigne également de l’alliage de techniques françaises
et italiennes pour un répertoire de chambre composé pour le hautbois.217 Mais la musique de
chambre n’était pas seulement instrumentale. Même si la présence et les activités des musiciens
dans un contexte semi-privé laissent beaucoup moins de traces que dans d’autres occasions plus
formelles, il est hors de doute que certains se produisirent dans ce cadre, lors de concerts privés
dans les appartements, pour de petites réunions ou simplement de manière informelle. Quelques
musiciens de Dresde portent le titre officiel de musiciens de la chambre (« Kammermusiker »)
parmi lesquels se trouvent beaucoup de chanteurs. C’est en particulier le cas de la chanteuse
Pauline Le Borgne, engagée comme « Cammer-Sängerin » à Dresde en 1697 et du haute-contre
François Godefroy Beauregard, aussi nommé « Cammer-Musicant » dans une source.218 François
Le Riche est nommé « Cammer-Musicus » dans une source, tandis que lui et Simon Le Gros se
voient attribuer le qualificatif de « Musicien de la chambre ».219 Enfin, on notera que la chambre
pouvait accueillir les femmes de certains musiciens : Marguerite Prache du Tilloy rappelle qu’elle
et son mari « ont eu l’honneur de servir le feu Roy de glorieuse mémoire l’espace de 34 ans l’un en
qualité de Musicien de l’Orquêtre [sic] et la femme pour chanter au Theatre et a la Chambre ».220
Cette remarque montre que la musique de chambre était aussi bien instrumentale que vocale.
De ce point de vue, la présence de huit grands « Concerts à chanter » dans un manuscrit en

214 Mercure galant, juillet 1681, p. 152-154.


215 Mercure galant, septembre 1682, p. 207.
216 Voir Chapitre 2, p. 107-108.
217 Cf. Steven Zohn, Music for a Mixed Taste. Style, Genre and Meaning in Telemann’s Instrumental Works, Oxford
2008, p. 273-277.
218 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 267.
219 HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 5, fol. 90. HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/5, fol. 66.
220 Lettre de Marguerite Prache du Tilloy à August III, Dresde, 7 juil. 1733. HStA Dresden, 10026 Geheimes
Kabinett, Loc. 383/1, fol. 89.

– 172 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

Illustration 3.3. Matthäus Daniel Pöppelmann : Temple d’honneur représenté au grand festin donné aupre le 49e jour de la
naissance de Sa Majesté le Roy de Pologne et Électeur de Saxe, Dresde 1718. D-DI, Mscr. Dresden J.3, Deutsche Fotothek, DDZ.

provenance de Hanovre, la diffusion très large des anthologies d’airs de cour français publiés par
Ballard, ainsi que la présence de musique française dans les livres de musique compilés par les
aristocrates allemands pour leur usage personnel est un témoignage de l’adaptation des genres
vocaux profanes français et italiens dans un cadre privé et intime.

L’église
L’exécution de musique d’église française dans les chapelles ducales et princières est longtemps
restée un phénomène inconnu, mais qui illustre très bien la double appartenance des musiciens
français évoquée dans le chapitre précédent. En prenant part activement à la composition et
l’exécution de musique pour le culte, les musiciens français, même s’ils sont à l’origine engagés
pour le théâtre, remplissent par ce biais l’une des principales tâches et une fonction séculaire des
Hofkapellen. Certains musiciens composèrent de la musique d’église : Stéphane Valoy compose
plusieurs œuvres pour la chapelle luthérienne de Hanovre. Les sources françaises de musique
d’église conservées à la cour de Dresde – petits motets français et motets à grand chœur – ainsi
que la participation à la musique d’église des musiciens et comédiens français dans la nouvelle
chapelle catholique de la cour rendent également plausible l’exécution d’un répertoire français
pendant les cérémonies religieuses.221

221 Voir Chapitre 4, p.201-207.

– 173 –
Chapitre 3

La part dévolue à la musique d’église dans l’activité des musiciens français reste cependant
difficile à mesurer autrement que par des bribes d’indices. Louis Gaudon, qui remplace Matthias
Weßnitzer comme organiste de la cour (« Hoforganist ») à partir de 1698, représente un cas tout
à fait exceptionnel.222 Une entrée dans le registre de 1682-1683 pourrait être interprétée dans le
sens d’une implication de certains musiciens dans la musique de la chapelle du château : le 1er
février 1683, la veille de la Chandeleur, 440 Thaler sont versés sans distinction ni motivation au
prédicateur de la cour, aux pauvres, aux pages, au Hofmeister et aux musiciens.223 Ceci pourrait
concerner la participation des musiciens français à une cérémonie liturgique extraordinaire, à
laquelle auraient également pris part les pages et le prédicateur. Un autre cas d’organiste français
est François de Tilly, organiste d’Auguste le Fort dans la « Pohlnische Kapelle » à Varsovie.224 Louis
André, engagé comme compositeur de musique française à Dresde en 1720, figure à deux reprises
dans un almanach de la cour publié en 1729 : d’abord parmi les « Musiciens vocals François »
comme « Compositeur », puis parmi le personnel de la chapelle luthérienne de la cour (« Schloß=
und Hof=Capelle ») comme « Capell=Meister » aux côtés de Johann David Heinichen.225 Il aurait
donc été chargé de composer la musique pour la chapelle protestante de la cour, au même titre
que Heinichen.
Outre le répertoire vocal sacré qui était spécifiquement destiné à l’église, il est possible que
la musique instrumentale et en particulier les suites d’orchestres avec leurs ouvertures aient éga-
lement figuré au répertoire exécuté dans les chapelles. Steven Zohn émet ainsi l’hypothèse que
plusieurs ouvertures de Telemann aient pu être jouées à la chapelle de Dresde à partir de 1725,
dans le cadre d’une pratique dénommée Graduale instrumentaliter où de la musique était jouée par
un petit groupe instrumental pendant l’offertoire de la messe.226 Les ouvertures à la française,
bien connues pour leur gravitas et leur section centrale contrapunctique – deux qualités essen-
tielles de la musique d’église – auraient pu fournir un choix tout à fait convaincant dans ce cadre.

Identités remarquables
Parmi les musiciens français en activité dans l’Empire, certains se distinguent par l’exercice de
fonctions spécifiques au sein des ensembles musicaux français, voire plus généralement à l’inté-
rieur des Hofkapellen. Trois groupes retiendront ici notre attention : les chefs de bandes de violons,
souvent dotés du titre de Konzertmeister ou maître des concerts, les hautboïstes qui se distinguent
de la masse de leurs collègues violonistes par la pratique d’instruments à vents parfois récemment
inventés ou perfectionnés et dont la carrière se situe bien souvent à l’intersection des chapelles de
cour et de la musique militaire, ainsi que les chanteuses et actrices, qui font apparaître l’ampleur
d’une présence féminine bien souvent invisible dans les archives institutionnelles des Hofkapellen.

Maîtres de chapelle, maîtres de concert


La place spécifique des chefs de bandes de musiciens français au sein de la hiérarchie des Hofkapellen
se traduit par des compétences élargies et un salaire relativement élevé. Cette fonction est le plus
souvent désignée par le titre de maître des concerts ou Konzertmeister, à l’exception de Philippe
La Vigne à Celle qui est toujours appelé Kapellmeister dans les registres de comptabilité et les
documents administratifs, sans doute parce qu’il s’agit d’un cas unique où les musiciens fran-

222 NLAH, Hann. 76c A Nr. 223, p. 518 : « Gaudon Musicant alß Hof Organiste, 183 Thlr : 130 Thlr Besoldung,
50 Thlr Kostgeld, 3 Thlr für ein deputat Schwein. »
223 NLAH, Hann. 76c A Nr. 208, p. 356 : « Febr. 1 dem hoffprediger, Armen, Pagen Hoffmeister und Musicanten,
440 Thlr. »
224 HStA Dresden, 10036 Finanzarchiv, Loc. 32623 LII Gen. Nr. 221, fol. 10.
225 Das Jetz lebende Königliche Dresden, Dresde, 1729, p. 22 et p. 163. Louis André apparaît dans toutes les livraisons
de l’almanach comme compositeur de musique pour la chapelle protestante de 1729 à 1737 : Horn, Die Dresd-
ner Hofkirchenmusik, p. 51.
226 Zohn, Music for a mixed taste, p. 186-189.

– 174 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

çais représentent la (quasi-)totalité de la Hofkapelle. Dans les chapelles ducales et princières alle-
mandes, le grade le plus élevé est celui de Kapellmeister : c’est lui qui a la charge de l’ensemble de
la musique, aussi bien instrumentale que vocale.227 Le domaine de compétence du Konzertmeister
est plus restreint : bien que les usages varient selon les endroits, ce titre désigne généralement une
personne en charge de l’exécution de musique instrumentale et de la direction de l’orchestre,
souvent un violoniste qui peut diriger de son pupitre.228 Il apparaît donc comme primus inter pares
au sein de l’orchestre : le maître des concerts Heinrich Schulze est ainsi désigné comme « premier
de l’orguestre » dans une liste de personnel de la chapelle polonaise d’Auguste le Fort.229
C’est le titre de Konzertmeister que reçoivent Jean-Baptiste Farinel et Stéphane Valoy à
Hanovre ainsi que Jean-Baptiste Volumier à Dresde.230 À Osnabrück, la fonction occupée par Élie
Jemme est plus floue : il est désigné dans un acte français comme « chef de la musique de Messieurs
les princes de Brunswick » mais aucun document allemand ne mentionne de titre équivalent. De
nombreux autres Français ont visiblement occupé les fonctions de maître des concerts dans les
cours allemandes : Haumale des Essart est Konzertmeister à la cour de Württemberg entre 1724 et
1732231, et Jean-Charles Petit a servi comme « Maître de Musique & Directeur de la Chapelle » à
la cour d’Eisenach.232 Ce titre était en usage depuis longtemps dans les cours allemandes : parmi
les premières personnes à le porter figurent David Pohle, Konzertmeister à Halle pour le duc de
Magdeburg en 1660, et Clemens Thieme, à la cour de Zeitz à partir de 1664.233 À Dresde, le titre
de Concertmeister apparaît pour la première fois en 1666 pour Constantin Christian Dedekind,
et le poste est pourvu sans interruption jusqu’à Volumier et son successeur Pisendel.234 Telemann
commence par assister Hebenstreit comme Konzertmeister à la cour d’Eisenach, avant de prendre
sa suite comme Kapellmeister en 1709.235
Outre la direction de l’orchestre et la supervision de la musique instrumentale, les fonctions
de maître des concerts pouvaient inclure la préparation des parties séparées pour l’orchestre,
l’achat de nouveaux instruments et leur entretien, ainsi que la gestion des réserves de cordes
et de colophane. Il pouvait aussi remplacer le Kapellmeister lorsque celui-ci était absent ou en
cas de vacance du poste.236 Même si des cas d’indépendance existent, le maître des concerts est
généralement soumis à la tutelle hiérarchique du Kapellmeister. L’acte de promotion de Johann
Sebastian Bach comme Konzertmeister à la cour de Weimar précise que sa nouvelle fonction lui
« assigne le rang après celui du Vice-Capellmeister Drese.237 » Il précise également que Bach

227 Vogler envisage même quatre fonctions de direction pour une Hofkapelle bien fournie : un « Musik-Direktor »
secondé d’un « Capellmeister » pour la gestion de l’opéra, et un « Instrumentalmusik-Direktor » secondé par un
« Concertmeister » pour la musique instrumentale et la gestion de l’orchestre. Georg Joseph Vogler, « Instru-
mentalmusik-Direktor », in : Deutsche Encyclopädie, oder Allgemeines Real-Wörterbuch aller Künste und Wissen-
schaften, éd. Ludwig Julius Friedrich Höpfner, vol. 17, Francfort 1793, p. 656-657.
228 Pour excellent aperçu sur cette fonction, voir Köpp, Johann Georg Pisendel, p. 217-224.
229 Żórawska-Witkowska, « The Saxon Court of the Kingdom of Poland », p. 57.
230 Si le décret officiel de nomination de Volumier comme « Maitre des Concerts » ne date que du 8 août 1720, une
liste de personnel de l’orchestre du 13 août 1709 le qualifie déjà de « Concertmeister Volumnier ». Voir Cha-
pitre 4, p. 224.
231 Owens, « The Württemberg Hofkapelle », p. 232-235.
232 Jean-Charles Petit, Apologie de l’excellence de la musique, Londres 1740.
233 Köpp, Johann Georg Pisendel, p. 218-221.
234 Köpp, Johann Georg Pisendel, p. 225.
235 Laurenz Lütteken, « Telemann, Georg Philipp », in : MGG online.
236 Rüdiger Thomsen-Fürst, « The Court of Baden-Durlach in Karlsruhe », in : Music at German courts, 1715-1760.
Changing Artistic Priorities, dir. Samantha Owens, Barbara M. Reul et Janice B. Stockigt, Woodbridge 2011,
p. 365-387, ici p. 378.
237 BD II, Dok. 66, p. 53, 2 mars 1714 : « haben des regierenden Herzogs Hochfl. Dhl. dem bisherigen Hof-Or-
ganisten Bachen, uf sein unterthstes Ansuchen, das prædicat eines Concert-Meisters mit angezeigtem Rang
nach dem Vice-Capellmeister Dreßen, gndst conferiret, dargegen Er Monatlich neüe Stücke ufführen, und zu
solchen proben die Capell Musici uf sein Verlangen zu erscheinen schuldig v. gehalten seyn sollen ».

– 175 –
Chapitre 3

devra « faire exécuter chaque mois de nouvelles pièces ». Mais la composition de nouvelles pièces
ne faisait pas toujours partie de la fonction : alors que Stéphane Valoy et son successeur François
Venturini composent à l’évidence de la musique pour la cour de Hanovre, Jean-Baptiste Farinel
et Jean-Baptiste Volumier ne semblent pas avoir beaucoup écrit. Ainsi n’est-ce pas Volumier, mais
le Kapellmeister Johann Christoph Schmidt qui compose la musique du divertissement français
de 1719. À partir de 1720, la cour emploie Louis André comme « Compositeur de musique fran-
çaise » pour remplir cette tâche, ce qui indique que Volumier ne composait sans doute pas.
Jean-Baptiste Farinel fournit un exemple de carrière très typique pour un Konzertmeister.238
Installé dans ses fonctions à l’arrivée de la cour de Hanovre en 1680, il est le seul musicien désigné
par son nom et perçoit un salaire cinq fois plus élevé que celui de ses collègues.239 Baptisé le 30 jan-
vier 1655 à la cathédrale de Grenoble, il était le fils d’un musicien de Christine de France à la cour
de Savoie.240 En 1649, son père Robert Farinel s’était retiré à Grenoble où il fait baptiser son fils
aîné Michel. Celui-ci affirme avoir pris en charge, après la mort de leur père, l’éducation musicale
de son petit frère.241 Seules quelques sources musicales éparses témoignent de l’activité compo-
sitionnelle de Farinel, sans doute liée à son poste de Konzertmeister. Un « Concert de Farinelli
pour le Nouvel An 1706 » se trouve dans un un livre manuscrit pour la flûte qui comporte treize
« Concerts pour le Nouvel An » – tous anonymes exceptés le premier attribué à Venturini et le
quatrième attribué à Farinelli – ainsi que d’autres pièces notées en clef de sol sans basse conti-
nue.242 Un air italien pour soprano et quatuor à cordes, conservé à la bibliothèque de Schwerin,
est également attribué à Farinel. Au vu de ce petit nombre de sources, il semblerait que Farinel ait
assez peu composé. Comme nous le verrons, il y a beaucoup plus d’indices qui conduisent à penser
que Stéphane Valoy puis François Venturini étaient les principaux pourvoyeurs de musique fran-
çaise pour la cour, et que par conséquent Farinel n’a pas véritablement exercé d’activité composi-
tionnelle d’envergure. L’attribution à Farinel d’une cantate intitulée Herr, gedenke mein, wenn du
in dein Reich kommst (« Seigneur, souviens-toi de moi quand Tu entreras dans Ton royaume »), qui
aurait été composée à l’occasion de la prise de possession du trône d’Angleterre par George Ier et
aurait déplu à ce dernier, provoqué la disgrâce du maître des concerts et son exil à Venise, semble
reposer sur une erreur de Friedrich Chrysander.243 Le texte de la cantate aurait été adressé obli-
quement au nouveau souverain en l’engageant à ne pas oublier son maître de chapelle français.

Les bandes de hautbois, entre musique militaire et musique de cour


Si les ambassadeurs pouvaient avoir des musiciens dans leur suite, c’était aussi le cas de certains
officiers français. En novembre 1679, le marquis d’Humières, Louis de Crevant, célèbre maré-
chal de France et officier militaire qui allait être nommé Grand maître de l’artillerie de France
quelques années plus tard, arrive à la cour de Celle accompagné de sa suite, laquelle comprend

238 Farinel est contamment désigné comme « Musicant », mais il avait la direction de l’ensemble français. Il est
appelé « Capellmeister » dans un registre de compte de 1713-1714 : NLAH, Hann. 76c A Nr. 237, p. 549 (« Fari-
nelli, welcher bis Ultimo 1713 als hiesiger Capellmeister jährlich 700 Thlr. »).
239 NLAH, Hann. 76c A Nr. 100, p. 198.
240 AD Isère, AC 185/30, registres de Saint-Hugues et Saint-Jean, 1653-1655: « Le 30me Janvier 1655 jay baptisé Jean
Farinel fils de Sieur Robert et de damoisselle [sic] Charlotte Reymon aage de 15 jours a reçu pour parrin noble
Jean de Repelin, fils de feu noble Urbain de Repellin et de damoisselle Helene de Nadinet et pour marrene da-
moisselle Martiane de Bergerant veuve de feu noble François de Cogne sieur de Clesne. » Une lettre des archives
de Turin, figurant dans le fonds Écorcheville de la Bibliothèque nationale, indique que Robert Farinel « ditto il
piccolo » fut musicien de Christine de France entre 1635 et 1649 : F-Pn, Fonds Écorcheville, boîte n° 2.
241 F-Pn, Fonds Écorcheville, boîte n° 2, « Réponse de Sieur Michel Farinel », fol. 1 : « Ces deux frères ont eu un
père qui leur laissa fort peu de bien ce fut sur Michel l’ainé que roula tout le soin de l’éducation de la famille, il
éleva son frère et le mit par son application en état de se faire admirer dans son art, ce qui ne se fit poinct sans
dépense, c’est un fait connu de tout Grenoble ».
242 D-HVl, Ms. IV 417. Voir Albertyn, « The Hanover orchestral repertory ».
243 Friedrich Chrysander, Georg Friedrich Händel, vol. 1, Leipzig 1858, p. 417.

– 176 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

des musiciens : il faut loger ces gens, et la cour paye leur quartier dans une auberge de la ville.244
L’adoption de pratiques et de modèles français au sein des régiments impériaux, liée entre autres
à la présence accrue d’officiers huguenots dans les cadres de l’armée à partir des années 1680, se
manifeste aussi dans le domaine de la musique militaire.245 Là, ce sont très souvent les bandes de
hautbois régimentaires apparues vers 1700 qui témoignent de l’adoption de modèles français au
sein de certains régiments.246 L’appartenance aux corps d’armée semble avoir été pour certains
musiciens français un vecteur de mobilité, illustrant le rôle central des pratiques militaires dans
les circulations culturelles et humaines.247 La musique militaire, élément constitutif de l’art de la
guerre et de l’anthropologie de la violence à l’époque moderne, reste cependant souvent un point
aveugle de l’histoire de la musique.
Dans son manuel de guerre publié en 1726, l’officier saxon Hans Friedrich von Flemming
(officier de Brandebourg qui appartenait à la même famille que Jakob Heinrich) mentionne à
plusieurs reprises l’adaptation dans les armées impériales de la pratique française consistant à
utiliser les hautbois comme instruments militaires :
Les fifres du régiment étaient autrefois aussi appelés Schallmey-Pfeiffer, car alors ces instruments, qui
rendaient un son clair, étaient joués en tête du régiment, pour donner du courage aux soldats du rang.
Mais comme ils étaient difficiles à jouer et qu’ils remplissaient les oreilles d’une façon très désagréable,
à la place des Schallmeyen allemandes sont peu à peu apparus les Hautbois français, qui sont maintenant
en usage un peu partout.248

La nouveauté de cette usage est déjà notée en 1690 par le musicien et écrivain Wolfgang Caspar
Printz.249 Le nombre de hautbois était généralement plus important que celui des anciennes
« Schallmeyen », qui étaient généralement groupées par quatre (deux dessus, un alto et une dulciane)
tandis que les hautbois sont généralement six (deux dessus, deux tailles et deux bassons) – « car les
hautbois ne sont pas si puissants, mais sonnent beaucoup plus doucement que les Schallmeyen ».250
Les hautboïstes étaient apparemment détenteurs d’une tradition d’excellence, et leurs capacités
musicales étaient loin de se résumer aux appels et aux sonneries militaires. Flemming note qu’ils
doivent être polyvalents et jouer d’autres instruments de musique : matin et soir, ils jouent devant
le quartier du colonel « une marche, une entrée ou quelques menuets, si le colonel en est amateur ».

244 NLAH, Hann. 76c A Nr. 205, p. 327 : « Der Wirthin im Weißen Roß für Bewirthung. Ao. 1679 Nov. 25 des H.
Marquis d’Humiers leute 70 Thlr. Nov. 10 deßen Musicanten, Cammerdieners etc. 60 Thlr. ».
245 Voir War, Religion and Service. Huguenot soldiering, 1685-1713, dir. Matthew Glozier et David Onnekink, Alder-
shot 2007.
246 Pour un aperçu général : Haynes, The Eloquent Oboe, p. 158-164.
247 Les développements qui suivent doivent beaucoup aux échanges que j’ai pu avoir avec Émilie Dosquet, entre
autres dans le séminaire « Guerre et altérité à l’époque moderne » qu’elle a organisé avec Arnaud Guinier à
l’École Normale Supérieure en 2015. Je la remercie de m’avoir engagé à réfléchir sur cet ensemble de questions.
248 Hans Friedrich Flemming, Der vollkommene Teutsche Soldat welcher die gantze Kriegs-Wissenschafft, insonderheit
was bey der Infanterie vorkommt, vorträgt, Leipzig 1726, p. 181 : « Die Regiments-Pfeiffer wurden vor Zeiten
auch Schallmey-Pfeiffer geheissen, indem damahls solche Instrumenta, als die einem hellen Laut von sich
geben, vor dem Regiment hergeblasen wurden, um die gemeinen Soldaten hiedurch destomehr aufzumun-
tern. Nachdem sie aber schwer zu blasen, und in der Nähe auf eine gar unangenehme Art die Ohren fül-
len, so sind an statt der teutschen Schalmeyen nachgehends die Frantzösischen Hautbois aufgekommen, die
nunmehro fast allenthalben im Gebrauch sind. »
249 Wolfgang Caspar Printz, Historische Beschreibung der edelen Sing- und Kling-Kunst, Dresde 1690, p. 179: « Zu
unserer Zeit noch, hat der fürtreffliche Held, Herr Graf von Sparr, General-Major, den Gebrauch der Schall-
meyen und Fagotten in dem Kriege eingeführet. Vor wenigen Jahren seyn die Frantzösis. Schallmeyen, Haut-
bois genannt, auffkommen, und im Kriege bräuchlich worden. » Sur la diffusion du hautbois en Allemagne,
voir notamment Haynes, The Eloquent Oboe, p. 313-340.
250 Flemming, Der vollkommene Teutsche Soldat, p. 181 : « Die Anzahl dieser Regiments-Pfeiffer ist unterschieden.
Da die Schalmeyen noch Mode waren, hatte man nur vier Mann, als zwey Discantisten, einen Alt, und einem
Dulcian. Nachdem aber die Hautbois and deren Stelle gekommen, so hat man jetzund sechs Hautboisten, weil
die Hautbois nicht so starck, sondern viel doucer klingen, als die Schallmeyen. Um die Harmonie desto ange-
nehmer zu completiren, hat man jetzund zwey Discante, zwey la Taillen, und zwey Bassons. »

– 177 –
Chapitre 3

Quand celui-ci reçoit « des hôtes ou convoque des assemblées, les hautboïstes se font entendre sur
des Violinen et violons, ainsi que sur des fleutendoucen et d’autres instruments. Le Premier d’entre
eux doit maîtriser la composition, pour mieux régler la musique.251 » Une Hautboistenschule est
créée en 1724 à Postdam, où les orphelins de militaires tombés au front pouvaient étudier la mu-
sique.252 C’est déjà à la cour de Brandebourg qu’avaient été formés sous la direction de Gottfried
Pepusch six hautbois engagés en 1706 par la cour de Hanovre.253
En France, l’institution chargée de la formation des musiciens militaires était la Grande
Écurie du roi, dont proviennent plusieurs hautboïstes.254 Pierre Maréchal fourni un bel exemple de
carrière transnationale : apparemment originaire de Bourgogne, il fut embauché comme hautbois
à Celle à partir de la Saint-Michel 1683.255 Il peut être identifié à un tambour du roi nommé Pierre
Mareschal, dont certains actes des Archives Nationales documentent la vie à Paris entre 1650 et
1678. Mareschal fait baptiser son fils Jean à Saint-Sulpice le 2 août 1650.256 Il est décrit dans un
contrat de novembre 1653 comme « tambour de la compagnie colonelle du régiment des gardes
du roi ».257 Il habite alors rue Guisarde avec Jeanne Beauvallet sa femme, et achète la charge de
tambour des écuries du roi à Anthoine Auger, marchand perruquier. En 1667, il apparaît parmi les
« Fifres et tambours » dans les papiers du Grand Écuyer de France : il habite alors rue des Canettes,
près le séminaire, faubourg Saint-Germain.258 En 1673, une insinuation du Châtelet de Paris enre-
gistre une donation mutuelle entre « Pierre Mareschal dit Champagne, tambour ordinaire de la
chambre de Sa Majesté » et sa femme, qui demeurent rue du Lude, paroisse Saint-Sulpice.259 Enfin,
le 15 juin 1678, le brevet de la charge de tambour de la Grande Écurie du Roi est remis à Thomas
Mathieu dit Du Verger, successeur de Pierre Maréchal, démissionnaire.260 Si l’identification que
nous proposons est exacte, Maréchal aurait été un homme mûr lors de son arrivée à Celle : ceci est
plausible, puisque Pierre Maréchal disparaît des registres de Celle à sa mort en 1696.261 Rappelons
que l’intégration de hautboïstes ayant appartenu à des régiments dans les Hofkapellen n’avait rien
d’exceptionnel, comme le montre l’engagement en 1697 à Celle de Hans Jürgen Vogt et Ernst
Heinrich Grimm, anciens hautbois dans le régiment des Dragons.262 Ces derniers, contrairement
à Maréchal, restent toutefois soumis à un régime fiscal spécifique aux militaires, puisque 60 Thaler
sont déduits de leur salaire annuel et reversés mensuellement à la Kriegers Cassa.
Cinq ans après l’arrivée de Maréchal, Gilles Héroux fut engagé dans la Hofkapelle de
Hanovre. Originaire de Vernou en Brie, aujourd’hui Vernou-sur-Seine, il est marié à Gabrielle

251 Flemming, Der vollkommene Teutsche Soldat, p. 181 : « Es machen die Hautboisten alle Morgen vor des
Obristen=Quartier ein Morgen=Liedgen, einem ihm gefälligen March, eine Entree, und ein paar Menuetten,
davon der Obriste ein Liebhaber ist ; Und eben dieses wird auch des Abends wiederhohlet, oder wenn der
Obriste Gastgebothe oder Assembleen anstellt, so lassen sie sich auf Violinen und Violons, wie auch Fleuten-
doucen und andern Instrumenten hören ; Der Premier unter ihnen muß das Componiren verstehen, um die
Musique desto besser darnach zu reguliren. »
252 Haynes, The Eloquent Oboe, p. 322-323.
253 NLAH, Hann. 76c A Nr. 125, p. 321. Heinrich Sievers, Die Musik in Hannover. Die musikalischen Strömungen in
Niedersachsen vom Mittelalter bis zur Gegenwart, Hanovre 1961, p. 58.
254 Voir notamment Michel Brenet [Marie Bobillier], La Musique militaire, Paris 1917. Susan Goertzel Sandman,
« The Wind Band at Louis XIV’s Court », Early Music, 5/1, 1977, p. 27-37.
255 NLAH, Hann. 76c A Nr. 210, p. 459 : « Pierre Marechall, gleich vorigen laut Befehlß dat: den 29. Novembr.
1684, 150 Thlr. 21 gr. Noch demselben laut selbiges befehlß, nachstendig von Michaelis 1683 biß Ost: 1684,
75 Thlr. 10 gr. 4 d. » L’origine « de Langer in Borgundia » est donné par BAHild, KB Nr. 777, Hannover St.
Clemens, Taufen 1671-1699, p. 141.
256 F-Pn, Fichier Laborde, NAF 12150, fiche n° 46033.
257 AN, Minutier cental, LXX-147, 19 nov. 1653.
258 Benoît, Versailles et les musiciens du Roi, p. 411.
259 AN, Insinuations, Y 227, fol. 118.
260 Marcelle Benoît, Les évènements musicaux sous le règne de Louis XIV. Chronologie, Paris 2004, p. 156.
261 NLAH, Hann. 76c A Nr. 233, p. 564 : « Pierre Marechall nachgelaßenen Kindern ».
262 NLAH, Hann. 76c A Nr. 223, p. 563 : Hanß Jürgen Vogt et Ernst Heinrich Grimm, « bey Serenissimi Drago-
ner Guarde, und zum hoffmusicanten mit angenommenen Hautbois. »

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Frantzösische Musicanten : une biographie collective

Tissier, originaire de Bourges.263 Il faisait partie de la Grande Écurie comme « joueur de basse
de cromorne et trompette marine » depuis au moins 1666.264 Gilles Héroux avait démissionné
en 1679 de sa charge, alors accordée à Alexandre Danican dit Philidor.265 Il reste en service à
Hanovre pendant un peu plus de deux ans, puisqu’il meurt apparemment vers Pâques 1691.266
La proximité de parcours entre Pierre Maréchal et Gilles Héroux est assez frappante, puisqu’ils
appartenaient tous deux à la Grande Écurie qu’ils quittent à un an d’intervalle : juin 1678 pour
Maréchal, mai 1679 pour Héroux. On notera la proximité chronologique de ces deux départs
avec la signature du traité de paix séparé entre la France et les deux duchés de Celle et Hanovre
en janvier 1679. Peut-être les subsides militaires offert dans ce traité par la France à Hanovre ont-
ils été accompagnés d’un transfert de personnel : ils auraient alors fourni à ces deux musiciens,
proches de la musique militaire, une occasion de mobilité géographique.
Mais les hautbois migrent le plus souvent en goupe. Ainsi Denis Le Tourneur reçoit-il une
augmentation de 60 Thaler par an en sa qualité de hautbois à partir du moment où arrivent
cinq autres hautboïstes en 1681 – on note que le nombre de six hautbois indiqué comme norme
par Flemming est respecté ici. Leurs noms sont les suivants : Beauregard, Saint-Amour, Forlot,
La Garenne et Courbesastre.267 Saint-Amour est présent à Celle comme un laquais à partir de
septembre 1676 avant d’être embauché comme hautbois en 1680.268 Il a donc sans doute reçu sa
formation musicale en tant que laquais, alors qu’il était déjà à la cour Celle. Enfin, à Pâques 1688,
trois hautbois ou Pfeiffer sont engagés à Hanovre : Babel, Barré et Héroux.269 Une troupe parti-
culièrement nombreuse de dix hautbois est engagée à Vienne en 1696 pour le compte de la cour
de Dresde.270 Parmi les nouveaux venus, on peut repérer trois noms français : Nicolas Delvaux,
Charles Henrion et Jean-Baptiste Henrion. En 1704, ces deux derniers musiciens sont listés dans
les Cammer=Musici comme hautboïstes, et semblent résider tous les deux en Pologne.271 Charles
et Jean-Baptiste Henrion apparaissent ensuite dans une liste de personnel datée d’août 1709,
signée par le baron de Mordaxt. Le premier est qualifié de « Hautbois primo » avec un salaire de
300 Thaler, le second apparaît comme « Hautbois secondo » avec le même salaire.272 Ce que les
violonistes peuvent vivre avec les troupes de comédiens, les hautbois semblent donc l’expérimen-
ter avec des troupes régimentaires d’instrumentistes qui se constituent et circulent en groupe.

Chanteuses et actrices françaises


Les structures musicales des Hofkapellen sont très largement composées d’hommes, mais les nom-
breuses danseuses, actrices et chanteuses françaises que nous avons croisées suffisent à démontrer
que les migrations musicales sont loin d’être un phénomène exclusivement masculin. En effet,
les listes de personnel font toujours apparaître une parité assez stricte entre hommes et femmes
au sein des troupes de comédiens, et à Dresde parmi les danseurs. L’exercice professionnel d’un

263 BAHild, KB Nr. 777, Hannover St. Clemens, Taufbuch 1671-1699, 24 avr. 1691, p. 144.
264 Benoît, Musiques de Cour, p. 15-18.
265 Benoît, Musiques de Cour, p. 68. Alexandre, fils aîné d’André Danican dit Philidor l’Aîné, était alors âgé de trois
ans et mourut dès 1684. Le brevet de la charge de basse de cromorne et trompette marine de la Grande Écurie
du Roi est établi le 30 mai 1679 en faveur d’Alexandre Danican dit Philidor, successeur de Gilles Héroux,
démissionnaire. Le 15 fév. 1676, le brevet de la charge de cromorne et trompette marine de la Grande Écurie du
Roi avait déjà été accordé à François Arthus dit Plumet, successeur de Gilles Héroux, démissionnaire : Benoît,
Les évènements musicaux, p. 146. Cependant, en 1677, Héroux apparaît toujours dans l’état des officiers du roi :
Benoît, Musiques de cour, p. 56.
266 NLAH, Hann. 76c A Nr. 110, p. 280.
267 NLAH, Hann. 76c A Nr. 216, p. 518-519.
268 NLAH, Hann. 76c A Nr. 206, p. 435 : « St. Amour vom 1/2 Jahr, da er zum Hautbois bestellet ».
269 NLAH, Hann. 76c A Nr. 108, p. 254 : « Ferner noch dreyen Pfeiffern von Mich: 1688 biß Ostern 1689, gleich
vorhergehenden alß Babel, Barrex, Herux, 172 Thlr. 18 gr. | 661 Thlr. 9 gr . »
270 Voir Chapitre 2, p. 108-109.
271 HStA Dresden, 10036 Finanzarchiv, Loc. 32623 Rep. LII Gen. Nr. 221, fol. 10-12.
272 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 110.

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Chapitre 3

instrument demeure cependant largement l’apanage des hommes. Si une certaine Marianne
est dépeinte jouant de la viole d’amour chez le représentant français à Wolfenbüttel, une seule
femme occupe des fonctions musicales instrumentales à la cour : une mystérieuse Du Masis,
« joueuse de clavecin » à Dresde autour de 1728.273 Cependant, il est tout à fait concevable que les
femmes des musiciens français en poste dans les cours de Celle, Hanovre et Dresde, aient joué un
rôle important dans la musique sans recevoir de salaire régulier pour leur travail, dans la mesure
où leur mari assurait la subsistance du foyer.
Les femmes sont particulièrement bien représentées dans la musique vocale. On dénombre
dans notre échantillon sept « chanteuses » : Anne-Sophie Bonne à Hanovre, Nanon à Osnabrück,
ainsi que Pauline Le Borgne, la Clavel, Louise Dimanche, et Marguerite Prache du Tilloy à
Dresde. Par comparaison, le nombre de chanteurs hommes est proportionnellement très res-
treint puisque seuls les trois chanteurs de la cour de Dresde, Beauregard, Diard et Drot, sont
explicitement qualifiés comme tels dans les listes de personnel – ce qui ne signifie naturellement
pas que les acteurs, danseurs ou instrumentistes n’étaient pas susceptibles de chanter, comme on
peut le voir à l’occasion dans les livrets de divertissement. Tout comme Nanon, qui n’apparaît
qu’accidentellement dans la correspondance de Sophie, Anne-Sophie Bonne, qui était apparem-
ment active à Osnabrück, apparaît par hasard dans la comptabilité de Hanovre à la fin de l’année
1668.274 Elle est mentionnée jusqu’en 1677 dans les comptes de la cour comme chanteuse française
(« frantzösische Sängerin »). L’acte de sépulture de l’une de ses enfants montre qu’elle est la femme
de Michael Jemme, probablement le frère d’Élie Jemme.275 Un acte de baptême où elle remplit
le rôle de suppléante de la marraine montre qu’elle est encore dans la région en novembre 1677,
mais c’est là le dernier renseignement que nous avons sur elle.276
À la cour de Dresde, plusieurs chanteuses françaises sont embauchées. La première d’entre
elles, Pauline Le Borgne, est engagée comme « Cammer-Sängerin » le 28 janvier 1697, quelques
jours seulement après l’embauche de la première troupe de hautboïstes par Auguste Le Fort. On
a vu que son contrat d’engagement détaille la nature de ses devoirs : elle doit « chanter dans les
opéras, ainsi que toutes les fois, dans tous les lieux qu’il plaira à son Altesse Électorale.277 » Son
père, Joseph Le Borgne, est engagé en même temps qu’elle comme maître d’hôtel.278 Pauline Le
Borgne semble avoir séjourné à Hanovre avant son arrivée à Dresde, puisqu’elle est en 1695 la
marraine d’un enfant baptisé dans la paroisse catholique de cette ville : Paul Joseph Le Borgne,
originaire de Viviers dans l’Yonne, fait baptiser avec sa femme Elisabeth von der Stärn (ou Van
Derstar), originaire de La Haye, quatre enfants.279 Elle pourrait donc avoir fait le déplacement
en Saxe avec la troupe de comédiens du duc de Hanovre, que ce dernier avait prêté à la cour de
Dresde pour le carnaval de l’année 1696.
Le cas de Marguerite Prache est particulièrement intéressant, car elle n’apparaît presque
pas dans les listes de personnel : elle ne figure pas dans la liste de personnel de l’opéra de 1699,
de sorte qu’on ne peut pas savoir si elle était venue en compagnie de son mari. Elle ne figure pas
non plus dans les Hofbücher. Sa première apparition a lieu dans deux listes de personnel de 1718
et 1719, dans le groupe des chanteurs français.280 Un almanach paru en 1729 à Dresde fait égale-
ment figurer Marguerite Geneviève Prache de Tilloy parmi les « Discantistes » des « Musiciens
vocals François » en compagnie de Louise Dimanche et d’une certaine Brunet.281 Elle devait être

273 Sur Marianne, voir Chapitre 1, p. 35. Sur la Du Masis, le seul document est : HStA Dresden, 10026 Geheimes
Kabinett, Loc. 383/5, fol. 175 et 180.
274 NLAH, Hann. 76c A Nr. 88, p. 318 : « der Sangerinnen von Oßnabrüg Annen Sophien Bonnen. »
275 BAHild, KB Nr. 779, Hannover St. Clemens, Beerdigungen 1666-1710, 23 mars 1671, p. 9. Sur les Jemme, voir
Chapitre 2, p. 90-93.
276 BAHild, KB Nr. 777, Hannover St. Clemens, Taufbuch 1671-1699, 17 nov. 1677, p. 66.
277 HStA Dresden, 10006 OHMA, K III Nr. 8, fol. 313. Pour la transcription de ce contrat, voir Chapitre 2, p. 104.
278 HStA Dresden, 10006 OHMA, K III Nr. 8, fol. 313.
279 BAHild, KB Nr. 777, Hannover St. Clemens, Taufbuch 1671-1699, p. 125, 141, 164 et 183.
280 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/2, fol. 117 et 140.
281 Das Jetztlebende Dresden, 1729, p. 22.

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Frantzösische Musicanten : une biographie collective

rattachée comme son mari à la comédie, puisqu’en 1720, juste après la mort du directeur de la
comédie française Villedieu, elle voit comme Robert du Hautlondel son salaire annuel de 300
Thaler payé directement par la General Accis-Casse.282
Louise Dimanche est engagée en janvier 1726 comme chanteuse, et perçoit le salaire d’une
actrice qui est renvoyée juste avant son arrivée.283 Elle est renvoyée en février 1732.284 Ses activi-
tés musicales ne se limitent pas à Dresde, mais prennent également place à Varsovie, notamment
à l’occasion de la première visite du prince Friedrich August entre décembre 1725 et septembre
1726 : Dimanche aurait en particulier chanté des cantates françaises de Campra et Jean-Baptiste
Stuck.285 Avant son arrivée à Dresde, Louise Dimanche a derrière elle une belle carrière de dan-
seuse, d’actrice et de productrice dans le Nord de la France et les Pays-Bas. Membre de la troupe
de Grimberghs, elle danse au Théâtre de la Monnaie en 1715 dans deux productions : les Nouvelles
Fêtes vénitiennes de Danchet et Campra, et l’Omphale d’Houdar de La Motte et Destouches. En
1718, elle est chanteuse et première danseuse à Lille, puis directrice du théâtre de cette ville en 1721,
pour quelques semaines seulement, puis en 1722. En octobre 1721, elle dirige le Grand Théâtre
de Bruxelles, pour céder ensuite le bail à Thomas-Louis Bourgeois. Elle est encore signalée à La
Haye en septembre 1722, avec son mari le chanteur Nicolas Demouchy. À la mort de ce dernier,
Louis Dimanche regagne Lille où elle reforme une troupe, avec laquelle elle vient se produire à
Bruxelles. Le 23 février 1737, elle y épouse en secondes noces le comédien Jean-Nicolas Prévost.286
Cette carrière entre musique et théâtre met parfaitement en lumière le fait que la Hollande se situe
bel et bien « au centre des affaires » pour les artistes français qui sont entre la France et l’Empire.

Les tâches du musicien


L’un des traits les plus marquants de l’activité des musiciens français est sa polyvalence. Lorsque
l’on parcourt les registres de compte, les listes de personnel ou les livrets, on est souvent frappé par
la grande homogénéité de fonctions qui caractérise les comédiens, les danseurs ou les musiciens.
Ce souvent bien souvent les mêmes personnes qui dansent, chantent, déclament. Contrairement
à leurs collègues italiens spécialisés dans le chant, ou à leurs collègues allemands, qui sont plus
proches des fonctions traditionnelles des musiciens dans les Hofkapellen, les musiciens français
jouent d’un instrument, font trois pas de danse, manient des claquettes, pratiquent l’escrime,
déclament sur scène, chantent à l’église. Les registres de comptabilité offrent un aperçu privilégié
sur cette activité multiple, par des notations souvent très brèves mais précises. En effet, le tra-
vail des musiciens ne consistait pas seulement à jouer, mais pouvait comporter quelques à-côtés,
comme l’entretien des instruments : en 1679, Guillaume Josse est payé quelques Thalers pour l’en-
tretien des instruments.287 On note aussi que des castagnettes sont fournies à Claude Pécour.288
Cependant, la plus grande part des activités annexes semble avoir été dévolue à l’enseignement.

L’enseignement de la musique et de la danse


Les musiciens enseignaient le plus souvent la musique et la danse. Ce dernier enseignement ne se
limitait pas forcément à l’apprentissage d’une technique chorégraphique : les maîtres de danse
sont fréquemment chargés d’enseigner l’escrime, le français, les bonnes manières, et parfois
même l’équitation à leurs élèves. Ainsi Louis Le Conte, musicien originaire de Troyes engagé à

282 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 202: « Die Sängerin Marguerite Prache hat jährlich
erhalten von des Villedieu Geldern 333 Thlr 8 gr, bekommen 66 Thlr 16 gr Zulage, also zusammen 400 Thlr
aus der General Accis Casse, die alte besoldung vom 1 April, die Zulage vom 1 Januari dieses Jahres an, quar-
taliter anticipando. » Sur le paiement de Robert du Hautlondel, voir Chapitre 2, p. 103.
283 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/5, fol. 141.
284 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/5, fol. 24.
285 Żórawska-Witkowska, « The Saxon Court of the Kingdom of Poland », p. 60.
286 Jean-Philippe van Aelbrouck, Dictionnaire des danseurs à Bruxelles de 1600 à 1830, Liège 1994, p. 110.
287 NLAH, Hann. 76c A Nr. 204, p. 505 : « dem Musicanten Josse für Unterhaltung der Instrumenten. »
288 NLAH, Hann. 76c A Nr. 214, p. 486 : « für Bücher und 4. paar Castagnettes dem Tantzmeister Pecour. »

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Chapitre 3

Hanovre à partir de 1674, apparaît-il dans les comptes de Hanovre avec de nombreuses casquettes
différentes : musicien, maître à danser, et maître d’armes.289 À l’inverse, vers 1670, le maître à
danser de Tübingen vient régulièrement à la cour de Stuttgart, où il enseigne aux violonistes de la
Hofkapelle « la maîtrise de la manière et de la danse françaises dans leur plus grande perfection »,
en compagnie d’un musicien français dont nous ignorons le nom.290
La plupart des musiciens sont aussi maîtres à danser, suivant la double qualification en
usage en France jusqu’en 1661. Nous avons vu que Jean-Jacques Favier et Thomas de La Selle
sont des bons exemples de cette double qualification. Le successeur de François Robeau à la cour
de Celle, Henry des Hays, apparaît juste avant son départ de Paris comme maître à danser, situé
« devant la Comédie françoise ».291 Les pages reçevaient souvent des cours de danse dispensés
par des musiciens français. À Celle, ces leçons étaient peut-être individuelles, puisque leur coût
est calculé en fonction de nombre de participants : le musicien qui les dispense touche autour de
12 Thaler par élève et par semestre.292 À partir de 1698, les pages reçoivent l’enseignement de
Claude Pécour, issu d’une grande famille de danseurs parisiens.293 À Dresde, le maître à danser
de Leipzig Johann Christoph Thomae enseignait la même discipline aux pages de la cour.294
L’enseignement de la danse pouvait aussi avoir lieu en dehors de la cour, notamment dans les
Ritterakademien ou les Fürstenschulen, institutions un peu particulières en charge de la formation
des élites aristocratiques et administratives impériales, dont la multiplication au cours du xviie
siècle répond d’ailleurs parfois à la volonter d’adapter le modèle français des collèges dans l’espace
germanique.295 L’apprentissage du français et de la danse figuraient en bonne place dans ces insti-
tutions, qui furent certainement le lieu de transferts culturels privilégiés entre la France et l’Em-
pire – transferts de savoirs, de pratiques et de manuels pédagogiques, mais aussi de compétences
linguistiques et de pratiques artistiques.296 Le musicien Thomas de La Selle occupe les fonctions
de maître à danser à la Ritterakademie de Lüneburg, reprenant une tradition déjà ancienne : dès
1660, le contrat d’engagement du maître à danser Michel Dubreuil stipule déjà l’obligation d’y
enseigner.297 Cette double fonction devait engendrer des déplacements fort longs et incommodes
entre les deux villes distantes de 90 kilomètres.
À Berlin, les fonctions de Jean-Baptiste Volumier incluaient aussi l’enseignement de la danse
aux jeunes nobles de la Ritterakademie à partir de sa fondation en 1705.298 Mais dès cette époque,
Volumier enseignait aussi la musique. Il fut notamment le professeur du violoniste Johann Adam
Birkenstock (1687-1733), qui suivit également l’enseignement de Rugiero Fedeli à Kassel et de

289 NLAH, Hann. 76c A Nr. 94, p. 437 : « Dem Pagen Fechtmeister Conte jährliche Besoldung 300 Thlr. » Hann.
76c A Nr. 97, p. 349 : « Dem Fechte und Tantzmeister Conta gantzjährig 300 Thlr. »
290 Sittard, Zur Geschichte, p. 59 : le Vice-Kapellmeister Johann Friedrich Magg rappelle aux musiciens « daß zu
ergreiffung der französischen manier und Täntz, so offt der Tantzmeister zu Tübingen sich alhier befinden
wirdt und der new ankommene französische Musikant derselben begehren würdt, dieselbe mit ihren Instru-
menten jedesmahl ohnweigerlich uffwartten, und zu erraichung Ihrer F. D. gdstr. intention in bester perfec-
tion und Uebung der französischen Täntz und Manier ihren möglichsten fleiß verwenden sollen. »
291 Abraham du Pradel, Le Livre commode des adresses de Paris, Paris sans date, p. 257.
292 NLAH, Hann. 76c A Nr. 211, p. 401 : « Lehr- und Unterweisungsgeld der Pagen. Im Tantzen. Von Michaelis
1684 biß Ostern 1685 12 Persohnen à 12 Thlr, 144 Thlr. Von Ostern biß Michaelis 1685 8. Persohnen, 96 Thlr.
Von Michaelis 1685 biß Ostern 1686 9. Persohnen, 108 Thlr. »
293 NLAH, Hann. 76c A Nr. 223, p. 452.
294 HStA Dresden, 10006 OHMA, P Nr. 28a.
295 Un document intéressant à ce sujet est conservée dans HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 708/2,
fol. 176 : l’ambassadeur de Saxe à Paris Suhm décrit dans une lettre de 1716 au comte de Flemming la maison
de Saint-Cyr à Versailles, qu’il propose comme modèle pour un établissement du même type qui devait être
fondé en Pologne.
296 Norbert Conrads, Ritterakademien der frühen Neuzeit. Bildung als Standesprivileg im 16. und 17. Jahrhundert,
Göttingen 1982.
297 NLAH, Celle Br. 44 Nr. 64, fol. 13 : Dubreuil est « so woll beÿ Unser Hoffstaats, alß auch der in Unser Stadt
Lüneburg angeordneten Ritten Schule bestellet und angenommen ».
298 Sachs, Musik und Oper am kurbrandenburgischen Hof, p. 68 et 182.

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Frantzösische Musicanten : une biographie collective

François Duval à Paris avant de de faire une très belle carrière comme Konzertmeister à Kassel en
1725, puis comme Hofkapellmeister à Eisenach à partir de 1730.299 À Dresde, un certain Matthias
Lehneis se présente à son tour comme « élève de Volumier ».300 D’autres musiciens sont rétribués
pour dispenser des cours de musique. La Garenne reçoit ainsi 25 Thaler par trimestre pour don-
ner, entre septembre 1682 et décembre 1684, des cours à des jeunes élèves apparemment étrangers,
puisque successivement surnommés le petit Maure (« der kleine Mohre ») et le petit Polonais (« der
kleine Pohlen » ou « der kleine Polacken »).301 L’argent reçu servait aussi pour l’entretien de l’élève
(« Kostgeld »), et l’on peut donc supposer que La Garenne était chargé de les loger, nourrir et
blanchir. Le musicien Henry – il s’agit sûrement de Denis Le Tourneur – est de son côté rétribué
pour donner des cours à un trompettiste, probablement pour lui apprendre le hautbois.302 On a
vu que Johann Ernst Galliard, fils d’un perruquier français employé à la cour de Celle, prit des
cours de hautbois auprès de Pierre Maréchal, et de composition auprès des musiciens de Hanovre
Jean-Baptiste Farinel et Agostino Steffani.
Les occupations de Buffardin à la cour de Dresde semblent aussi avoir comporté une bonne
part d’enseignement. On sait en effet, grâce à l’autobiographie de Quantz publiée par Marpurg
en 1754, que celui-ci prit des cours de flûte auprès du maître français. En 1718, peu après son arri-
vée à Dresde, Quantz fut d’abord engagé dans l’ensemble polonais (la « Pohlnische Capelle »), où
il ne pouvait pas jouer ses instruments habituels (violon et hautbois) car il en était empêché par
les autres instrumentistes. Il décida donc de se consacrer à la flûte traversière :
Ces déboires me poussèrent à me mettre sérieusement à la flûte traversière que je ne n’avais jusqu’alors
travaillé qu’à titre privé, dans la mesure où je n’avais aucune opposition à craindre parmi mes compa-
gnons, d’autant plus que Friese, jusqu’alors flûtiste mais qui avait d’autres penchants plus forts que la
musique, me céda volontairement la première place sur cet instrument. Je suivis pendant quatre mois
environ l’enseignement du célèbre flûtiste Buffardin, pour me familiariser avec cet instrument. Nous
ne jouiions rien que des choses rapides, car c’était là le point fort de mon maître.303

C’est donc notamment par l’intermédiaire de Buffardin que Quantz prit contact avec la musique
française, et entra comme flûtiste à la cour de Dresde. En 1728, Quantz obtint l’autorisation de
se rendre régulièrement à Berlin pour donner des cours de flûte au prince Friedrich, avant de
passer définitivement au service de celui-ci en 1741, date à laquelle il partit s’installer à Berlin.
Buffardin se propose alors de former lui-même le successeur de Quantz, monnayant ainsi une
augmentation de salaire :

299 Stefan Keym, « Birkenstock, Johann Adam », in : MGG online.


300 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/5, fol. 3 : « Euer Hochgraffl. Excel. haben auf unter-
thäniges Vorsprech des H. Wuolmaÿrs meinen Lehrmäysters mich dergestalten begnädiget, daß Dieselbe
würcklich wegen meiner an Ihro Excel: den H: Grafen von Watzdorff nach Warschau haben schreiben lassen
damit die von Sr. Königl. Maÿst: in Pohlen, und Churfürstl. Durchl. zu Sachsen mir allergnädigst beÿgelegter
gnade zur behöriger expedition gelang möchte. » Matthias Lehneiß est sans doute le fils de Johann Georg
Lehneiß, qui figure dans la liste de personnel de 1709 comme haute-contre de violon.
301 NLAH, Hann. 76c A Nr. 208, p. 418 : « La Garonne [sic] kleinen Pagen zu informiren. » Hann. 76c A Nr. 209
p. 363 : « des Kleinen Mohre La Garonne [sic]. » Hann. 76c A Nr. 210, p. 387 : « In der Music, Item Unterhal-
tungsgeldt deß kleinen Pohlen, dem Hautbois La Garenne […] deß Kleinen Mohren, dem Sprachmeister Jean
Heime ». Hann. 76c A Nr. 211 p. 401 : « des kleinen Polacken, Lehr= und Kost=Geld, vom 1. Marty biß 1.
Decembris 1684, alß von 3/4 Jahren ad 25 Thlr, dem Hautbois Lagarenne, 75 Thlr. »
302 NLAH, Hann. 76c A Nr. 207, p. 412.
303 Marpurg, Historisch-Kritische Beyträge, vol. 1, 1754, p. 209: « Der Verdruß hierüber veranlassete mich, die
Flöte traversiere, worauf ich mich bishero für mich selbst geübet hatte, mit Ernst zur Hand zu nehmen: weil
ich hierauf, unter der Gesellschaft wo ich war, eben keinen sonderlichen Widerstand zu befürchten hatte: um
so viel mehr, da der bisherige Flötenist Friese, dessen größte Neigung eben nicht auf die Musik gieng, mir den
ersten Platz bey diesem Instrumente freywillig abtrat. Ich bediente mich, etwan vier Monate lang, der Unter-
weisung des berühmten Flötenspielers Buffardin; um die rechte Eigenschaften dieses Instruments kennen zu
lernen. Wir spielten nichts als geschwinde Sachen: denn hierinn bestund die Stärcke meines Meisters. »

– 183 –
Chapitre 3

Comme j’ose me flatter, que mes services sont agréables à Vôtre Majesté, et que je beni tous les jours le
ciel du bonheure que j’ay de la servir, j’ay cru cependant pouvoir hazarder de me jetter a ses pieds, pour
la supplier d’augmenter mon bien Etre, selon son bon plaisir, d’une petite somme, ce n’est ni la retraite
de mon Camerade, ni la rareté des gens de mon Talent, qui me determine a demander cette grace Sire,
mais seulement une Espece de necessité, puisque jusqu’à present il m’a fallut, vivre avec une certaine
Economie, sans laquelle je me serois fort derangé ; Si Vôtre Majesté daigne etre favorables a ma tres
respectueuse priere, je m’offre pour le bien du service, d’instruire et de donner mes soins a celui quelle
choisira pour succeder a Quantz : Un Domestique de vingt et huit ans, Sire, Vous demande cette grace
il la demande au Monarque, le plus genereux, et le plus gratieux de toute la terre […].304

On voit ici que l’enseignement constitutait non seulement une obligation traditionnelle des musi-
ciens de cour, mais pouvait aussi fournir un complément de salaire. Du point de vue de l’histoire
de la musique, il importe aussi de noter qu’il représente un vecteur majeur dans la transmission
et la diffusion de pratiques musicales françaises.

Le musicien comme agent d’affaires et diplomate


Plusieurs musiciens français, surtout en fin de carrière et figurant parmi les plus célèbres, rem-
plirent des fonctions situées aux frontières de la diplomatie et du commerce international. Ainsi
François Le Riche, bien que qualifié de musicien de la chambre (« Cammer Musicus »), ne figure plus
parmi le personnel de la Hofkapelle à partir de 1712, mais dans une autre catégorie de personnel
appelée les Provisioner. Il touche un salaire exceptionnellement élevé de 3.200 Thaler, qui est versé
par une autre caisse que celle des musiciens : c’est la Hof-Cassa qui lui donne son salaire et non
l’Accis-Casse comme c’est normalement le cas.305 À partir de 1721, il réintègre la Hofkapelle comme
« Violinist », mais son salaire de 2.992 Thaler est toujours payé par la Hof-Cassa.306 En dehors des
registres généraux du personnel de la cour (« Hofbücher »), François Le Riche ne figure sur aucun
inventaire de la Hofkapelle, ce qui constitue une exception d’autant plus notable qu’il est demeuré
une bonne trentaine d’années au service de la cour de Dresde. Une lettre datée du 25 juin 1703,
envoyée depuis Londres au comte Carl Gottfried von Bose, éclaire sa position spécifique : elle
montre que Le Riche achetait des chevaux en Angleterre pour le compte de cet aristocrate diplo-
mate.307 Il servait donc d’agent étranger de la cour de Dresde en Angleterre et en divers endroits
où il poursuivait une carrière musicale. En janvier 1714, Le Riche reçoit aussi un paiement pour
la livraison de plusieurs « marchandises » à la cour de Dresde, parmi lesquelles figurent du thé.308
Nous avons déjà évoqué les intersections entre musique et diplomatie à travers l’exemple des
musiciens circulant dans la suite du personnel diplomatique, mais certains musiciens de carrière
deviennent eux-mêmes des diplomates accrédités. Jean-Baptiste Farinel, à la fin de sa carrière,
déménage à Venise comme agent diplomatique de la cour de Hanovre. L’âge avancé du musicien
ainsi que l’absence de correspondance diplomatique provenant de sa plume conduisent à penser
qu’à la différence de Steffani, le musicien français n’a sans doute pas véritablement mené d’activité
politique pour la cour de Hanovre. Le séjour à Venise apparaît plutôt comme le moyen de garantir
une retraite confortable à Farinel et sa femme Vittoria Tarquini, originaire de Venise. Les lettres
de créance de Farinel, conservées aux archives de Hanovre et datées de mars 1714, mentionnent
d’ailleurs au brouillon, dans un passage barré qui a finalement été retiré de la lettre officielle, que
celui-ci avait demandé à prendre sa retraite à Venise :

304 Lettre de Pierre-Gabriel Buffardin à Auguste III, Dresde, 11 déc. 1741. HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabi-
nett, Loc. 907/5, fol. 39.
305 HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 4, fol. 262. K II Nr. 5, fol. 96.
306 HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 6, fol. 1 et 74. K II Nr. 7, non folié. K II Nr. 8, non folié.
307 Lettre de François Le Riche à Bose, Londres 25 juin 1703. HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc.
30006/09.
308 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 758/04, fol. 3 : « Le Riche zu Wahren... 216 [Thaler]. Ferner ist
geliefert worden den 25. Aug. 1713 von […] Le Riche zu thee … 16 [Thaler].

– 184 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

Nous, Georg Ludwig par la grâce de Dieu Duc de Braunschweig-Lüneburg, électeur et archi-tréso-
rier du Saint Empire Romain Germanique, Jean-Baptiste Farinelli ayant servi pendant de nombreuses
années le Sérénissime électeur notre père d’heureuse mémoire, et Nous aussi, avec pleine satisfaction,
en qualité de Directeur de Notre Musique, [barré: comme il était sur le point de prendre sa retraite à
Venise], et Notre Agent Jean-Baptiste Zanovelli nous ayant fait défaut, nous lui avons proposé de servir
notre bureau vacant, et le déclarons notre agent à Venise.309

Comme agent diplomatique, Farinel continue de toucher un salaire confortable de 600 Thaler
par an.310 Son successeur au poste de Konzertmeister, François Venturini, reçoit alors un supplé-
ment de 100 Thaler par an, prélevé sur le salaire de l’ancien maître de chapelle.311 Au début de
son mandat à Venise, Farinel reçoit également des sommes d’argent pour son logement dans un
palais loué à la famille de Mocenigo, pour le port des lettres, ainsi que pour la location de loges,
probablement à l’opéra.312 Même si un nouvel ambassadeur, probablement un diplomate profes-
sionnel, est nommé en 1720, Farinel reste dans la cité des Doges jusqu’à sa mort en 1725.313

Copier la musique française


La copie de musique est certainement l’un des aspects les plus obcurs et oubliés du métier de musi-
cien. Pourtant, sa fonction était absolument centrale puisqu’elle servait à produire les nombreuses
parties séparées qui servaient aux musiciens de la Hofkapelle à répéter et à jouer correctement leur
partie, et devaient donc être soigneusement préparées en fonction du calendrier des obligations,
du nombre d’instrumentistes au sein de chaque pupitre et de leurs habitudes de lecture. À une
époque où la musique circulait encore fréquemment sous forme manuscrite, la copie de musique
était aussi un moyen essentiel pour acquérir et conserver de la nouvelle musique, enjeu crucial
pour des ensembles qui étaient sollicités quotidiennement et devaient renouveler leur répertoire
régulièrement pour conserver un taux de rotation acceptable. Tâche ingrate et difficile, la copie
de musique ne nécessitait pas seulement du papier, denrée fort chère, de l’encre, des plumes et
de la bougie. Elle supposait aussi de la part des copistes de bonnes capacités de lecture et de
transposition, une connaissance des règles élémentaires de composition pour prévenir, repérer et
éventuellement corriger les possibles erreurs dans le texte musical, une bonne connaissance de la
langue et de l’orthographe pour la copie du texte parlé ou des indications, et surtout une quantité
impressionnante de temps pour régler le papier, écrire la musique, relire et corriger les copies.
La plupart du temps, c’était au Kapellmeister d’organiser la copie de musique, seul ou bien
à l’aide d’auxiliaires.314 Même si cela faisait partie de ses tâches quotidiennes, Philippe La Vigne
était parfois payé spécialement pour assurer la copie de quantités importantes de musique pour
la cour de Hanovre, et probablement aussi pour le rembourser le papier qu’il avait acheté.315 En
contrepartie de la peine engendrée par un tel travail, le Kapellmeister avait ensuite le droit de
conserver les partitions copiées dans sa bibliothèque personnelle au titre de propriété privée : à sa
mort, elles revenaient à ses héritiers, et si la cour souhaitait acquérir les manuscrits, elle devait les

309 NLAH, Hann. 92 Nr. 2461, fol. 11 : « Noi Giorgio Ludovico Per la Gratio de Dio Duca di Brunswich e Lu-
neburgo, Elletor et Arci Tresoriero del Sax. Rom. Imperio Havendo Gio: Battista Farinelli per la spazio di
molt’Anni servita la felice memoria del Sermo Elettor Nostro Padre, e Noi ancora con pieno sadisfattione in
qualità di Direttor della Nostra Musica […] stava per ritirarsi a Venetia et essendo venuto a mancare l’Agente
Nostro Gio Batta Zanovelli, per l’Offerta fattaei di servirei nella Carica vacante lo habbiamo […] dichiaratro
nostro Agente in Venetia […]. »
310 NLAH, Hann. 76c A Nr. 238, p. 600.
311 NLAH, Hann. 76c A Nr. 237, p. 412.
312 NLAH, Hann. 76c A Nr. 238, p. 600.
313 NLAH, Hann. 76c A Nr. 244, p. 678. NLAH, Hann. 76c A Nr. 249, p. 604.
314 Sur l’organisation de la copie de musique en atelier à la cour de Güstrow sous la direction de Heinrich Boke-
meyer, cf. l’introduction de Harald Kümmerling, Katalog der Sammlung Bokemeyer, Kassel 1970.
315 NLAH, Hann. 76c A Nr. 125, 20 fév. 1706, p. 421 : « dem Capellmeister La Vigne von Zelle vor Copÿrung
Musicalischer Sachen. 40 Thlr. »

– 185 –
Chapitre 3

leur racheter. Lorsqu’il quittait son emploi, le Kapellmeister pouvait les emmener avec lui, étant
entendu qu’il devait laisser son successeur libre de copier ce dont il avait besoin pour subvenir
à ses propres besoins lors de sa prise de fonction. Les institutions curiales tentaient cependant
fréquemment de contourner cette coutume et de contraindre les maîtres de chapelle à céder leur
collection de musique personnelle. Lorsque Daniel Danielis quitte la cour de Güstrow en 1664, il
doit se battre bec et ongles pour conserver sa collection musicale, sans doute constituée en grande
partie de ses propres compositions. Il souligne qu’il a laissé son successeur Augustin Pfleger copier
tout ce qu’il voulait :
Ayant entendu que la volonte de V.A.S. est, que je livre mes musiques dans la chambre ; j’ay bien voulu
prendre la hardiesse de Luy resmonstrer avec toutte humilité, comme ce seroit me defaire de ce avec
quoy il faut que je gaigne ma vie, et me priver du moyen de pouvoyre gouverner une autre Chapelle.
Jay donné a mon successeur Pfleger tout ce qu’il at desiré de moy pour descrire ; je luy ay aussi donné
touttes les pieces que j’ay composé pour le quaresme lesquelles demeureront pour la Chapelle, et luy ay
dict que je voulois luy laisser encor d’autres compositions qui sont propres icy, mais de me deffaire du
travaille de 5 ans et demy c’est ce que je ne peut faire quand on me les voudrois payer au double ; et si je
n’avoit pas ceu que ce n’est pas la coustumme, comme savent tous ceux qui font profession de la musique
je les aurois des longtemps descrittes pour moy. Vostre Altesse Serenissime poudrat faire demander
au maistre de Chapelle Pfleger si ceest la coustumme dans nulle Chapelle du monde, et je suis content
d’acquiescer a ce qu’il en dirat.316
Plusieurs conflits du même ordre peuvent être évoqués.317 La plupart du temps, les choses se pas-
saient pourtant de manière plus pacifique et le Kapellmeister pouvait disposer à sa guise des parti-
tions élaborées sous sa responsabilité. Stéphane Valoy emporta ainsi avec lui plusieurs manuscrits
de musique française lorsqu’il quitta la cour de Hanovre en 1698. Probablement copiés en partie
par lui-même, ces recueils avaient aussi été « mis en partition » (c’est-à-dire probablement copiés
à partir de parties séparées) par Charles Babel et Guillaume Barré, deux autres musiciens français
de la cour de Hanovre. C’est ainsi que ces manuscrits se sont retrouvés transportés à la cour de
Darmstadt, où Stéphane Valoy était musicien de la troupe de comédiens français à partir de 1714.
Il mourut dans cette ville en 1715 : en l’absence d’héritier, ces recueils de musique durent donc
tomber automatiquement dans les collections de la bibliothèque de la cour de Darmstadt, où ils
sont toujours conservés aujourd’hui.318
De même, la bibliothèque musicale de Jean-Baptiste Volumier fut rachetée à ses héritiers en
bonne et due forme après sa mort en 1728. Le directeur des plaisirs Pierre de Gaultier s’engagea
personnellement en faveur de ce rachat, en soulignant la valeur des partitions de l’ancien maître
des concerts – qui devait en effet être exceptionnelle, compte tenu de l’immensité des collections
musicales de la cour de Dresde :
Vôtre Majesté n’aura pas oublié ce que j’eus l’honneur de Luy dire avant son départ touchant la Musique
que Woulmier a laissée, parmy laquelle il y a quantité de Pièces morceaux de consequence, et difficiles à
trouver, et de la bonne acquisition que Vôtre Majesté feroit, en acheptant cette collection.319

Gaultier recommande le rachat des partitions auprès du gendre de Volumier, un certain Léger.320
Quelques jours plus tard, l’accord d’Auguste le Fort est donné et des dispositions sont immédia-
tement prises pour le rachat de la bibliothèque de Volumier.321 Aucun document ne vient mal-

316 LHA Schwerin, 2.12-1/26-14 Hofpersonal Nr. 12, lettre non datée de Daniel Danielis.
317 Sur les cas de Graupner et Pisendel, cf. Köpp, Johann Georg Pisendel, p. 402-405.
318 Voir Chapitre 2, p. 44-46.
319 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 3349/14, fol. 6-7.
320 Jean-Baptiste Léger est l’époux de la fille de Volumier, Angélique Louise. Ils font baptiser plusieurs enfants
entre 1726 et 1730 : DA Bautzen, Taufbuch der Hofkirche 1709-1759, fol. 23, 28 et 33.
321 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 3349/14, fol. 10 : « L’achapt de la musique sera fait avec le
Sr. Leger. » Une pension est versée à la veuve de Volumier le 20 oct. 1729, et l’achat de la bibliothèque est fixé à
hauteur de 400 Thaler : HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 190.

– 186 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

heureusement détailler la composition de cette bibliothèque, qui semble avoir disparu avec une
grande partie de la collection musicale de la cour lors des bombardements de 1760.
Certaines cours ne pouvaient cependant pas compter sur le seul maître de chapelle pour
produire toute la copie et le matériel d’orchestre nécessaire. À Dresde, la copie de la musique
pour la Hofkapelle, institutionnalisée à la fin du xviie siècle, est assurée par un véritable atelier de
copistes professionnels, payés spécialement pour accomplir cette tâche. Les partitions et parties
séparées pouvaient ainsi aller directement dans la bibliothèque électorale, puisqu’elles n’avaient
pas été copiées par le Kapellmeister.322 Pour la musique française, il fallait de préférence un copiste
francophone, bien familiarisé avec le répertoire, mais aussi avec les pratiques musicales spéci-
fiques des ensembles français, capable d’anticiper les besoins d’un orchestre placé sous la direc-
tion d’un maître des concerts français et largement composé d’instrumentistes français. Jean
Prache du Tilloy, arrivé à Varsovie à l’âge de vingt-cinq ans comme « danseur » dans la troupe de
Deseschaliers, était aussi violoncelliste dans l’orchestre de la cour.323 Cependant, à partir de 1709,
sa tâche principale devint la copie de musique française pour subvenir aux besoins musicaux de
la comédie française et de la Hofkapelle. Une lettre adressée à Christoph Heinrich von Watzdorf
met en lumière l’ampleur de cette tâche et décrit les conditions matérielles de son exercice :
pour faire voir a Vôtre Excellence, le détail de cet Employ, j’en diray seulement icy un article, qui est
l’opera que la noblesse repettent actuellement : tant pour les Rolles des personnes qui chantent que pour
la musique des Chœurs, Celle de la dance, et pour toute l’orquestre, j’ay escrit jusqu’à present 15560
lignes de musique qui consistent en 843 feuille de grand papier, et sans ce que je dois encore fournir, j’ay
payé a mes frais tout le papier ; ancre ; plume ; pâte pour regler [patte à régler] ; bougie ; ainsy que du
reste ; il y a pres de six mois que je travaille comme un esclave, colé a une table nuit et jour, dont j’en suis
tombé malade d’un heresipel [sic] sur la jambe par deux reprise ce qui me fait courir de grand risque, et
ce que Vôtre Excellence peut sçavoir de monsieur le docteur Schmeltz, qui à la bonté de me traiter. Vôtre
Excellence peut bien concevoir par ce seul divertissement, combien il m’en coûte pour tous les autres
contenus dans mon memoire Car Enfin le papier de musique coûte bien de l’argent.324

Le mémoire auquel Prache fait allusion n’est malheureusement pas conservé. On peut cependant
retenir de cette lettre que le copiste devait avancer lui-même l’acquisition de tout le matériel
nécessaire : bougie, papier, encre, plume et « patte à régler », une plume à cinq becs qui servait à
tracer les portées de musique. Comme l’indiquent les versements de l’année 1720, ces dépenses
lui étaient remboursées par la suite, parfois avec un grand retard.325 De ce travail qu’il a fourni
pendant plus de quinze ans, seule une petite partie est vraisemblablement conservée aujourd’hui.
Les manuscrits copiés par Prache sont aisément identifiables grâce à un monogramme qu’il uti-
lisait pour authentifier ses copies. Un bel exemple est la page de garde de la partie séparée de
premier violon, dans une suite orchestrale tirée d’Acis et Galatée de Lully. Sans doute pour pouvoir
la reconnaître rapidement parmi le matériel d’orchestre, Jean-Baptiste Volumier y a inscrit son
nom (Illustration 3.4).
À Stuttgart, Charles Belleroche est également copiste de musique française.326 Un autre
copiste apparaît au détour d’une facture signée à Varsovie le 29 juillet 1726, reproduite dans le

322 Sur le fonctionnement de cet atelier, voir Ortrun Landmann, Über das Musikerbe der Sächsischen Staatskapelle.
Drei Studien zur Geschichte der Dresdner Hofkapelle und Hofoper anhand ihrer Quellenüberlieferung in der SLUB
Dresden, Dresde 2010, p. 121-190.
323 HStA Dresden, 10006 OHMA, K II Nr. 5, fol. 90 : « Jean Baptiste prache Du Tilloy ; parisien de Nation :
Musicien Engagé au service de Sa Majesté suivant son contract en lannée 1699 : âgé de 45 ans ». Sur son arrivée
dans la troupe d’opéra de Desescheliers, voir Chapitre 1, Tableau 1.6.
324 Lettre de Jean Prache du Tilloy à Christoph Heinrich von Watzdorf, ca. 1720. HStA Dresden, 10026 Geheimes
Kabinett, Loc. 383/2, fol. 174-175. Ponctuation modernisée.
325 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 383/4, fol. 269-270.
326 Ekkehard Krüger, Die Musikaliensammlung des Erbprinzen Friedrich Ludwig von Württemberg-Stuttgart und der
Herzogin Luise Friederike von Mecklenburg-Schwerin in der Universitätsbibliothek Rostock, Beeskow 2006, vol. 1,
p. 50-55.

– 187 –
Chapitre 3

Illust ration 3.4. Partie séparée de violon ayant appartenu à Jean-Baptist e


Volumier [Woulumier], copiée par Jean Prache du Tilloy. D-Dl, Mus. 1827-F-31.

livre d’Alina Żórawska-Witkowska sur la musique à Varsovie sous le règne d’Auguste le Fort.327
Jacques Guénin y détaille l’ensemble des copies pour la Hofkapelle de Saxe et de Pologne au cours
des six mois précédents, soit une quantité impressionnante de 56 copies en partition ou parties
séparées, comprenant exclusivement du répertoire français, aussi bien instrumental que vocal
(Tableau 3.5). Chaque item de cette liste est comptabilisé par feuille de papier, soit un total de
440 pages. Tout comme Prache quelques années auparavant, Jacques Guénin indique aussi l’encre
et la patte à régler parmi ses dépenses. Le répertoire décrit dans cette liste reflète une variété
fascinante de genres, de compositeurs et de contextes d’exécution. Il est aussi le témoin de la cir-
culation européenne de la musique française, un phénomène essentiel qu’il convient maintenant
d’étudier en profondeur.

327 Alina Żórawska-Witkowska, Muzyka na dworze Augusta II w Warszawie, Varsovie 1997, p. 93-95.

– 188 –
Frantzösische Musicanten : une biographie collective

Tableau 3.5. Liste des copies réalisées par Jacques Guénin entre novembre 1725 et avril 1726. Cité d’après Alina
Żórawska-Witkowska, Muzyka na dworze Augusta II w Warszawie, Varsovie : Königsschloss, 1997, p. 93-95.
Par ordre de Monsieur le Maître de Concert, le Copiste de l’orchestre de Sa Majesté, a copié ce qui suit.

feüilles
Un Grand Air, Rigaudon et Gigue toutes les parties 5.
Plusieurs autres ouvrages suivants, toutes les parties 24
Les Caracteres de la dance, de M.r Rebel 9.
Une Cantate où il y a un Recitatif et muzette 4.
Une loüre, bourée et un Trio, toutes les parties 6.
Quel qu’autres ouvrages suivants toutes les parties 3.
Une Passacaille, Rigaudon et un Trio 5.
Une Sarabande et toutes les parties d’un air 7.
Une loüre, Chaconne, Gigue et deux Passepieds 6.
plus pour d’autres airs, toutes les parties 3.
Un air de paÿsant, bourée et un air de polichinel 5.
Une Chaconne de trivelin, bouree et un air 4.
Une loüre et une bourée toutes les Parties 6.
pour le divertissement des Vandanges 8.
Une Sarabande et deux Passepieds 6.
Un Aria et Gigue de polichinel, toutes les parties 2.
Secondement pour le divertissement des Vandanges 4.
Deux Airs de Tambourins, dancer dans les Vandanges 5.
de Surêne, toutes les parties
pour Mr du prez une loüre, Chaconne, et passepieds 8.
Une loüre, Gigue, et un air, toutes les parties 6.
Une Passacaille et un Rigaudon 5.
Une Entrée de démonds et deux airs, toutes les parties 5.
Une Entrée de Matelots et deux airs 6.
Un Grand Air et une Gigue, toutes les parties 1.
pour les divertissements des Vandanges, 20.
pour les repetissions de ballet 2.
Somme 165 feüilles
Pour Monsieur St. Denis, Une Chaconne d’Arlequint, toutes les Parties 5. feuilles
Airs des paÿsans et Scaramouche 4.
Une Chaconne de Trivelin et un air de Polichinel 3.
Un Air de paÿsant, toutes les parties 3.
Un air, Passepied, Sarabande et Canaries 5.
Un air, Sarabande, et une Gigue pr. Mr. du Mesnil 4.
Une marche, Rigaudon, pour Mr bruyer 1.
Pour Mlle de Vaurinville, Une muzette et les Caracteres de la dance, toutes les parties 4.
Une marche de Villanelle, un air et trio 3.
Une Entrée de faunes, toutes les parties 3.
deux airs de Muzettes, toutes les parties 6.
Une Chaconne, toutes les parties 1.
Une sarabande et deux passepieds en repetition 5.

– 189 –
Chapitre 3

Tableau 3.5. (suite et fin).

Pour les Plaisirs de Sa Majesté, Représenté par Mlle dimanche, Une Cantate, toutes les 4.
parties
Une partition de la même Cantate 5.
Une seconde Cantate toutes les parties 4.
Une partition de la même Cantate 4.
La partition d’une Cantate de M.r Campra 8.
Une Cantate, Régné belle Thétis, toutes les parties 5.
Une Seconde Cantate, Trompettes Éclatéz 5.
Une Troisième Cantate, Venez regner 4.
Une quatriême Cantate, Non Sempre 5.
Un livre de Partition des fêtes Vénitiennes, En Grand Papier de Regal, proportionnez a 60
Une Second livre de Partition des Cantates françoise 24.
Une troisiême livre de partition des Cantates de Mr Stuck 48
Somme 222. feüilles
Plus, pour Mlle dimanche,
pour le divertissement de La folie, Toutes les parties 13.
pour le divertissement Turc, toutes les parties 16.
le divertissement, pour la Comedie 12.
trois airs pour Mlle dimanche 1.
le divertissement de Paÿsans, toutes les parties 10.

Somme totalle 440. feuilles de copies, qui font 587 timphes a 4. Chostak la feüille, comme l’accord a été
fait dy devant. J’ay fournis, tant pour mes ouvrages, qu’à Mr le maître de Concert, et à Mlle dimanche
jusqu’a 50 main de papier pattée, ce qui fait 100 timphes, a deux timphes la main, il y a encore pour 8.
timphes d’Encre que J’ay fournis, de puis le moys de novembre, 1725: Jusq’au moys d’avril, 1726.
Somme totalle 695. Timphes
J’ay recu en conformité de l’ordre de Sa Majesté le Roy de Pologne et Electeur de Saxe p. donné à Varsovie
le premier Juillet 1726. de la Caisse Generale de pologne, Par Mr le Tresorier Volmar de l’argent destiné
pour l’extraordinaire de la Comedie et de la danse, pour des Copies de Musique que J’ay faittes depuis le
mois de Novembre 1725, jusqu’au mois d’Avril 1726. Suivant le conte cy contre la somme de cent trente
et huit Ecus et 28 gl. à 5 Tinks, dont je donne la presente quitance, fait à Varsovie ce 29. juillet 1726.
Jacques Guenin.

– 190 –
Chapitre 4. La dissémination de la musique

Jusqu’à présent, la question de savoir sous quelle forme le répertoire français était joué dans
les cours qui employaient des musiciens français, et plus largement dans les territoires d’Em-
pire, a surtout été abordée à partir des livrets imprimés qui montrent que de grandes œuvres du
répertoire de l’Académie royale de musique, surtout celles de Lully, ont été jouées à Ansbach,
Regensburg, Wolfenbüttel, Hamburg et Darmstadt.1 Les sources manuscrites de musique fran-
çaise, encore peu étudiées, donnent un aperçu plus intéressant et plus complexe sur ce phéno-
mène. À la différence des livrets, qui documentent les exécutions intégrales d’œuvres de scène
comme les tragédies en musique, les ballets ou autres produits dérivés de l’opéra français, souvent
données dans le cadre d’évènements dynastiques extraordinaires ou de représentations excep-
tionnelles, les sources musicales permettent de suivre l’adaptation du répertoire français sous des
formes et dans des contextes beaucoup plus variés, et de prendre conscience de la grande diversité
des genres français disséminés dans l’Empire. Aux côtés des grands monuments du répertoire ly-
rique, on voit émerger une myriade de genres dont la dissémination est d’une ampleur demeurée
insoupçonnée jusqu’ici. Ainsi la première partie de ce chapitre, en interrogeant la relation entre
les imprimés et les manuscrits musicaux, met-elle en évidence la diffusion très large du genre de
l’air de cour, de la cantate française, mais aussi du petit motet, du motet à grand chœur et – dans
un contexte où les compositeurs sont très souvent aussi des organistes – du livre d’orgue. Elle
révèle en particulier que le genre du motet à grand chœur a été diffusé et joué de façon bien plus
intensive et bien au-delà de ce qu’on imaginait jusqu’alors. La deuxième partie, tout en faisant le
point sur le corpus de suites orchestrales en usage dans les cours et tirées du répertoire de l’opéra
de Paris, montre également la diffusion très fragmentaire de ce répertoire sous la forme d’ex-
traits, entre autres par le biais des livres de musique privés en usage dans l’aristocratie d’Empire.
Traquer la dissémination de la musique française au plus près des sources et des pratiques
permet donc de relativiser le poids des exécutions extraordinaires en les faisant apparaître comme
la pointe émergée d’un immense iceberg encore largement inexploré. Il serait cependant naïf
de penser que le tableau offert par les sources manuscrites présente un reflet exact des usages
de la musique française dans l’espace germanique. En fait, leur conservation introduit à son
tour un biais inéluctable, notamment par le poids immense accordé à la musique d’église par
rapport aux genres de musique instrumentale pour le théâtre. Cette surreprésentation relative
peut s’expliquer en partie par les conditions de conservation et de transmission des manuscrits,
puisqu’en dehors des collections manuscrites de Dresde, tout à fait uniques, les bibliothèques
des Hofkapellen privilégient mécaniquement la conservation et la transmission de la musique
d’église, lieu traditionnel d’activité des chapelles ducales et princières. À l’inverse, les partitions

1 Pour une liste des livrets de Lully conservés en Allemagne, voir Carl B. Schmidt, « The geographical spread
of Lully’s operas during the late seventeenth and early eighteenth centuries : new evidence from the livrets »,
in : Jean-Baptiste Lully and the Music of the French Baroque. Essays in Honour of James R. Anthony, dir. John Hajdu
Heyer, Cambridge 1989, p. 183-211.

– 191 –
Chapitre 4

et les matériels d’orchestre utilisés par les troupes de comédiens français ou par les musiciens lors
de représentations théâtrales ne sont que rarement conservés. À Dresde par exemple, alors que
Louis André est actif pendant plus de quinze ans comme « Compositeur de musique française »,
aucune de ses compositions n’a survécu. Il s’agit donc à l’évidence d’un répertoire beaucoup plus
disparate, compilé ou composé sur mesure, qui ne rejoint les collections institutionnelles que de
manière exceptionnelle. La grande polyvalence du répertoire français, qui n’est pas seulement
exécuté dans le cadre de représentations théâtrales, mais aussi à la chambre, à la table et dans les
chapelles, est donc reflétée seulement de manière fragmentaire.
Mais au-delà de cette diversité générique, qui recoupe en grande partie la diversité des lieux
de musique, ce chapitre offre aussi une coupe transversale à travers les pratiques de musique
française dans la société allemande autour de 1700 : la musique française est présente dans les
collections des Hofkapellen, sur les théâtres et dans les chapelles de cour, mais également dans les
bibliothèques et les pratiques musicales privées de l’aristocratie et de la bourgeoisie, dans les ma-
gasins des libraires français, sur les rayonnages, les clavecins et la table de travail des musiciens et
compositeurs allemands. Étudier de manière conjointe la dissémination imprimée et manuscrite
de la musique française permet donc de sortir de l’espace de la cour et de mettre en évidence des
réseaux de diffusion très différents de ceux que nous avons envisagés jusqu’à présent. À travers ces
différentes strates, ce qui frappe est la très grande plasticité des genres musicaux français : quelle
que soit leur place dans la hiérarchie des genres en France, presque aucun d’entre eux n’appa-
raît sous son visage original au-delà du Rhin. Alors que les œuvres du répertoire théâtral parlé
sont généralement adaptées en version originale et intégrale dans les cours allemandes, alors que
les livres de langue française circulent sous la forme d’unités stables, la musique française fait
toujours l’objet d’une sélection, d’une compilation et d’une adaptation. Il s’agit donc d’un objet
matériel et culturel particulièrement volatile.
En effet, la dissémination de la musique ne véhicule pas d’abord des artefacts culturels ou
des œuvres musicales abstraites, mais concerne avant tout la musique comme objet matériel : du
papier, des notes, de l’encre, éventuellement des instruments et des pratiques. L’aspect matériel
des sources musicales sera donc placé au premier rang : l’identification des copistes, l’élucidation
de l’origine du papier ou l’analyse de la présentation du texte musical peut apporter un éclairage
décisif sur l’origine de ces sources, les modèles sur lesquels elles ont été copiées, les contextes dans
lesquels elles ont été utilisées, ainsi que sur les transformations qu’elles font subir aux modèles
originaux. Nous aurons à cœur d’inscrire ces sources dans le contexte culturel et historique qui
leur a donné naissance, afin de comprendre les mécanismes qui président à l’appropriation du
répertoire français et les logiques qui conduisent à le solliciter. Ceci permet de mettre en lumière
les pratiques musicales spécifiques qui distinguent, dans les territoires germaniques, la musique
française : la question de la nomenclature et celle des pratiques d’exécution caractéristiques de
l’orchestre à cordes français sont de ce point de vue essentielles.
La question des sources imprimées est à la fois centrale et délicate, puisqu’à l’inverse de ce qui
se passe pour la musique italienne qui circule largement sous forme manuscrite, la dissémination
du répertoire français semble étroitement corrélée à celle des éditions parisiennes. Or, les imprimés
n’offrent généralement pas la même densité d’informations que les manuscrits, et leur étude porte
surtout des fruits lorsqu’elle est menée dans une perpective comparative à partir d’un corpus assez
vaste. Ainsi une approche systématique qui recenserait l’ensemble des sources imprimées de mu-
sique française dans l’Empire serait-elle une entreprise passionnante, qui pourrait apporter des élé-
ments nouveaux sur la circulation de la musique et offrir une cartographie des réseaux de diffusion
des imprimés. Mais une limite demeure toujours : de même que les textes imprimés ne portent la
trace des lectures dont ils ont fait l’objet qu’à travers des notes manuscrites marginales ou des détails
matériels, de même les volumes de musique imprimée doivent-ils être examinés un par un, page
par page, pour être susceptibles de livrer des informations. C’est donc au point exact où la musique
imprimée et la musique manuscrite se croisent et se rejoignent, par le biais de la copie, par celui des
notes marginales ou de toute autre manière, que se situent beaucoup de réflexions de ce chapitre.

– 192 –
La dissémination de la musique

Les imprimés musicaux : de l’achat à la copie


L’achat de partitions musicales constitue un poste de dépense régulier pour les cours qui entre-
tiennent des ensembles musicaux français. Leur coût, généralement moindre que celui des manus-
crits, permet non seulement de doter les collections royales ou ducales d’éditions de prestige dans
une visée patrimoniale, mais également de fournir aux musiciens du matériel pour la copie de
nouvelle musique sur place. On observe donc une corrélation très étroite entre la présence d’im-
primés français dans les bibliothèques musicales et la production de manuscrits : les principales
collections de partitions imprimées de musique française sont solidaires de grands ensembles de
copies manuscrites confectionnés pour l’usage quotidien et immédiat des Hofkapellen. Il paraît
donc assez logique à première vue de postuler que les copies manuscrites ont été réalisées à partir
d’imprimés achetés par les cours. Un regard plus attentif permet cependant de nuancer cette
hypothèse et de mettre en lumière la variété des provenances et des usages.

Les collections de cour


Certaines vastes collections d’imprimés musicaux français ont aujourd’hui complètement dis-
paru. C’est le cas de l’ancienne bibliothèque de la cour de Kassel, où quelques imprimés ont sans
doute servi de modèle à certains manuscrits encore conservés : Martine Roche a mis en évi-
dence l’étroite parenté entre les « Branles de Monsieur Brulard » présents dans les manuscrits
de Kassel et un recueil d’airs pour le violon imprimé par Ballard en 1665.2 Les titres, la datation
et la partie supérieure des pièces sont identiques dans le manuscrit et dans l’imprimé, mais les
voix intermédiaires et la basse sont en revanche très différentes. Roche conclut que seul le dessus
a dû faire l’objet d’une copie manuscrite à partir de l’imprimé, les autres voix ayant été arrangées
sur place en fonction des pratiques locales. Beaucoup d’autres pièces ont cependant fait l’objet
d’une transmission purement manuscrite, n’étant pas accessibles dans le répertoire imprimé de
l’époque.3 La bibliothèque musicale de la cour de Darmstadt, complètement détruite pendant la
Seconde guerre mondiale, contenait également plus d’une quarantaine de volumes imprimés à
Paris ou à Amsterdam entre 1680 et 1730, surtout composés du répertoire de l’Académie royale
de musique.4 Mais la constitution de ces collections de cour ne reposait pas seulement sur une
politique d’achat institutionnalisée : elles accueillaient aussi les achats effectués à titre personnel
par des membres de la cour, des fonds provenant d’anciennes bibliothèques privées des princes,
de certains grands aristocrates ou de musiciens, et reflètent donc parfois les goûts musicaux de
ces anciens possesseurs.

Une mosaïque de provenances


Pour les aristocrates mélomanes, le Grand tour pouvait représenter l’occasion d’enrichir les col-
lections musicales de la cour ou leur bibliothèque de musique personnelle par l’achat de nouveaux
imprimés. Le prince Johann Ernst von Sachsen-Weimar se procura ainsi de nombreux imprimés
de musique française et italienne au cours de son voyage d’études à Utrecht entre 1711 et 1713 —
politique d’achat qui ne passa d’ailleurs pas inaperçue parmi les musiciens de la cour. C’est pré-
cisément cette raison qu’invoqua un élève de Bach, Philipp David Kräuter, lorsqu’il demanda
la permission de prolonger son séjour à Weimar auprès de l’école évangélique de sa ville natale
d’Augsburg :

2 Martine Roche, « Le Manuscrit de Cassel et les “Pièces pour le violon à 4 parties de différents autheurs” (Bal-
lard, 1665) », Recherches sur la musique française classique, 9, 1969, p. 5-20.
3 Robertson, The Courtly Consort Suite, p. 65-91.
4 D-DS, KK-Mus : Friedrich Noack, Katalog der Kriegsverluste der Musikalien. Je remercie Nicola Schneider
d’avoir attiré mon attention sur ce catalogue. Sur une tentative de reconstitution des collections manuscrites
de Darmstadt, voir Nicola Schneider, « Die Musikhandschriftensammlung Schneider-Genewein in Zürich »,
Zeitschrift der Schweizerischen Bibliophilen-Gesellschaft, 55/1, 2012, p. 19-34.

– 193 –
Chapitre 4

comme le prince de Weimar, grand amateur de musique qui joue aussi très bien du violon à ce qu’il
paraît, rentrera après Pâques de Hollande pour passer l’été ici, je pourrais donc entendre beaucoup de
belle musique italienne et française, ce qui me serait très profitable pour composer des concerts et des
ouvertures.5

La plupart des partitions rapportées par le prince ont été perdues. Comme le laisse entendre
Kräuter, le prince Johann Ernst ne rapportait pas seulement des éditions hollandaises de musique
italienne qui lui servirent de modèles ainsi qu’à Bach pour la composition et la transcription pour
l’orgue de concertos. Il avait aussi dans ses malles de la musique française, dont presque rien ne
reste. Seules deux rééditions assez tardives de Lully sont conservées à l’Amalienbibliothek de
Weimar qui contient les anciennes collections de la cour : l’édition de 1716 de Rolland et l’édition
de 1720 de Thésée.6 C’est également pendant son séjour à Paris en 1715 que le prince Friedrich
Ludwig von Württemberg (1698-1731) put commencer la constitution d’une grande collection de
musique française, aujourd’hui conservée à Rostock.7 Ekkehard Krüger relève que 87 volumes de
la collection ont été imprimés à Paris, dont 67 figuraient dans la collection personnelle du prince.
Les partitions achetées n’étaient pas toutes imprimées, mais pouvaient avoir été réalisées sous
forme manuscrite par des ateliers de copistes parisiens.
La bibliothèque de Dresde comprend une cinquantaine d’imprimés musicaux en prove-
nance de France (Tableau 4.1, p. 196-197). Nombreux sont ceux qui portent encore la cote et
l’ex-libris de l’ancienne collection royale, la « Musica Regia » ou Königliche Privatmusiksammlung
(KPMS).8 D’autres sont entrés plus tard dans les collections, à un moment où la bibliothèque
royale était déjà publique, et portent donc seulement la cote ou l’ex-libris de Königliche Öffentliche
Bibliothek (KÖB). Quelques exemplaires ont rejoint la collection par le biais de musiciens français
engagés dans la Hofkapelle qui les ont légués après leur mort ou laissés après leur départ. Un cas
spectaculaire de dissémination de musique imprimée est offert par deux exemplaires des Trio des
opéras de Monsieur de Lully, publiés à Amsterdam par Blaeu en 1690. Ces parties séparées, pré-
sentes en deux exemplaires dans la bibliothèque de Dresde, portent en tête de chacune des parties
de basse une marque de possession manuscrite :

A Zelenka Music[ien] de Sa
Maieste le Roy de Pologne et
Electeur de Saxe 1716 a Vienne.9

Illustration 4.1. Insertion manuscrite de Jan Dismas Zelenka sur les Trios de Lully : D-DI, Mus. 1827-F-27, partie de basse.

Le musicien a donc acheté son exemplaire pendant une longue période de voyage, où il s’absenta
de Dresde entre 1716 et 1719 pour aller étudier la composition en Italie et à Vienne, où il prit entre
autres des cours de composition auprès de Fux.10 Nous avons ici un cas assez complexe de circu-
lation : imprimées en Hollande, les parties séparées ont donc transité par Vienne avant de finir
leur trajet à Dresde par l’intermédiaire de Zelenka. Cet exemplaire figure dans le catalogue du

5 Hans-Joachim Schulze, Studien zur Bach-Überlieferung im 18. Jahrhundert, Leipzig 1984, p. 156-163, ici p. 157 :
« der hiesige fürstliche Weimarische Printz, als welcher nicht nur allein ein großer Liebhaber der Music, son-
dern auch selbst eine unvergleichliche Violin spilen soll, nach Ostern aus Holland nach Weimar kommen u. den
Sommer über da verbleiben wird, kunte also noch manche schöne Italienische und Frantzösische Music hören,
welches mir absonderlich in Componirung der Concerten und Ouverturen, sehr profitabel seyn würde. »
6 D-WRz, M 8:25 : Jean-Baptiste Lully, Thésée, Paris 1720. D-WRz, M 8:26 : Jean-Baptiste Lully, Rolland, Paris
1716.
7 Ekkehard Krüger, Die Musikaliensammlung des Erbprinzen Friedrich Ludwig von Württemberg-Stuttgart und der
Herzogin Luise Friederike von Mecklenburg-Schwerin in der Universitätsbibliothek Rostock, Beeskow 2006, notam-
ment vol. 1, p. 122-124.
8 Ortrun Landmann, Über das Musikerbe der Sächsischen Staatskapelle, Dresde 2010, p. 12-19.
9 D-Dl, Mus. 1827-F-27, partie de basse, couverture intérieure.
10 Stockigt, Jan Dismas Zelenka, p. 43-58.

– 194 –
La dissémination de la musique

fonds musical de l’église catholique rédigé en 1765 et a donc sans doute été versé dans les archives
musicales de la chapelle catholique de la cour peu de temps après la mort de Zelenka en 1745. Le
fait que Zelenka inscrive son nom sur la partie de basse indique que le musicien, initialement
engagé comme contrebassiste à la cour de Dresde avant de prendre en charge la composition
de musique pour la chapelle catholique de la cour à partir de 1719, a probablement d’abord fait
un usage privé de cette musique, dans un but de pratique musicale ou de composition. D’autres
imprimés ont également appartenu à des musiciens de la Hofkapelle : l’exemplaire de l’Amadis de
Grèce de Destouches appartenait au chanteur François Godefroy Beauregard, qui a reporté son
nom (« François Beauregard ») pas moins de quatre fois sur la page de titre.11 On trouve égale-
ment une édition d’Atys de Lully ayant appartenu à Louis André, ainsi qu’en témoignent plusieurs
marques de possession écrites à l’encre sur la page de couverture.12
D’autres exemplaires imprimés ont transité par les collections privées de grands aristocrates
ou d’amateurs de musique : les sept exemplaires de Lully reliés aux armes du comte de Brühl
et l’édition Mortier du dictionnaire de Brossard sont probablement issues de la bibliothèque
musicale familiale. Un exemplaire de Roland provient de la bibliothèque bavaroise du prince
d’Oettingen-Wallerstein, dont elle porte l’ex-libris : elle doit donc avoir rejoint la bibliothèque
à une date tardive.13 D’autres enfin proviennent de collections particulières plus obscures. Une
édition de la tragédie en musique Issé de Destouches, imprimée en partition générale par Jean-
Baptiste Christophe Ballard en 1724, porte ainsi une marque de possession de Marguerite Dufour
à Leipzig.14 Il a donc appartenu à l’une des membres de la grande dynastie huguenotte originaire
de Lyon, qui s’était établie à Leipzig depuis 1708 dans le commerce de soie et autres « denrées
françaises ».15 Comme le montre la collette du libraire lyonnais encore présente, cet exemplaire
a été acheté dans la ville d’origine de la famille Dufour, d’où il a été emporté ou envoyé à Leipzig
pour rejoindre la bibliothèque de la famille, avant d’être finalement intégrée aux collections de
la bibliothèque royale de Dresde.

Objet de collection ou support de pratiques ?


La question de l’utilisation des imprimés musicaux est complexe, puisqu’il est généralement im-
possible de savoir dans quelle perspective les partitions ont été achetées : dans une visée purement
patrimoniale, comme objet de valeur pour orner les collections de bibliothèques prestigieuses,
ou bien pour fournir le support de pratiques musicales, à travers leur copie ? Il faut bien dire que
les traces d’usage et les insertions manuscrites dans les partitions imprimées sont assez rares,
puisqu’il s’agit d’objets précieux qu’on hésite donc à abîmer. Même les exemplaires possédés par
des musiciens ne portent généralement pas de trace d’usage, alors que ceux-ci faisaient proba-
blement un maniement intensif de leurs exemplaires imprimés. La troisième édition de L’Europe
galante de Campra représente un contre-exemple, puisqu’elle a probablement appartenu à une
musicienne sans doute amatrice (on trouve le nom d’une certaine « Judith Thomas » qui ne figure
pas dans le personnel musical de la cour) mais contient quelques indications d’exécution : après

11 D-Dl, Mus. 2148- F-5 : Destouches, Amadis de Grèce, Paris 1699.


12 D-Dl, Mus. 1827-F-5 : Lully, Atys, Paris 1689. Deuxième de couverture, à l’encre : « Pour Monsieur Dandre. »
Page de garde : « Mr Dandre. » L’exemplaire porte un ex-libris orné, peu visible, sans lettres, autrement incon-
nu dans les collections. Je remercie Karl Wilhelm Geck et Barbara Wiemann pour leur expertise.
13 Grand collectionneur de livres français et amateur de musique, Kraft Ernst von Oettingen-Wallerstein (1748-
1802) arriva au pouvoir en 1773 et fut élevé à la dignité princière en 1774, date après laquelle doit avoir été posé
l’ex-libris qui porte une couronne princière. La majeure partie de sa collection se trouve aujourd’hui dans la
bibliothèque universitaire d’Augsburg.
14 D-Dl, Mus. 2148-F-1. Les marques de provenance incluent un monogramme manuscrit « MD » et la collette
du libraire (p. iii : « A Lyon, chez de Brotonne | Grande ruë Merciere à côté | de la Banniere de France ») ainsi
qu’une insertion manuscrite : « Margueritte Dufou [Dufour] de Leipzig », p. v.
15 Katharina Middell, « Hugenotten zwischen Leipzig und Lyon. Die Familie Dufour », in : Übergänge und
Verflechtungen. Kulturelle Transfers in Europa, dir. Gregor Kokorz et Helga Mitterbauer, Berne 2004, p. 47-72.

– 195 –
Tableau 4.1. Liste des imprimés de musique française conservés à la Sächsische Universitäts- und Staatsbibliothek Dresden (1680-1730).

Cote : Mus. Compositeur Titre harmonisé Éditeur Date Provenance


01-K-532 — Brunetes et petits airs tendres Ballard 1703-1711
1718-E-01 Robert, Pierre Motets pour la chapelle du Roy Ballard 1684 Hofkirche
1827-F-01 Lully, Jean-Baptiste Cadmus et Hermione Ballard 1719 KPMS
1827-F-03 Lully, Jean-Baptiste Alceste Baussen 1709 Brühl
1827-F-05 Lully, Jean-Baptiste Atys Ballard 1689 Louis André, KPMS
1827-F-05a Lully, Jean-Baptiste Atys Baussen 1709 Brühl
1827-F-07 Lully, Jean-Baptiste Thésée Baussen 1711 Brühl
1827-F-09 Lully, Jean-Baptiste Bellerophon Ballard 1714 Brühl
1827-F-10 Lully, Jean-Baptiste Proserpine Ballard 1714 Brühl
1827-F-12 Lully, Jean-Baptiste Le Triomphe de l’Amour Ballard 1681 Hingant, KPMS
1827-F-14 Lully, Jean-Baptiste Persée Ballard 1682 Wappen 3
1827-F-16 Lully, Jean-Baptiste Phaëton Baussen 1709 Brühl
1827-F-18 Lully, Jean-Baptiste Amadis Baussen 1711 Brühl

– 196 –
Chapitre 4

1827-F-20 Lully, Jean-Baptiste Roland Baussen 1709 Brühl


1827-F-20a Lully, Jean-Baptiste Roland Ballard 1685 Ex. lib. Oettingen-Wallerstein
1827-F-22 Lully, Jean-Baptiste Armide Ballard 1686 Wappen 3
1827-F-24 Lully, Jean-Baptiste Acis et Galatée Ballard 1686 Wappen 1, KÖB
1827-F-27,1 Lully, Jean-Baptiste Trios des opera de Lully Blaeu 1690 Zelenka
1827-F-27,2 Lully, Jean-Baptiste Trios des opera de Lully Blaeu 1691 Zelenka
1827-F-28 Lully, Jean-Baptiste Achille et Polixène Pointel 1688 KPMS
2021-E-01 Lorenzani, Pietro Motets Ballard 1688 KPMS
2116-Q-01 Lalande, Michel Richard de Motets, Livres II et III Boivin 1729
2124-E-01 Campra, André Motets à 1, 2 et 3 voix Ballard 1700
2124-F-01 Campra, André L’Europe galante Ballard 1699 Thomas, KPMS
2124-F-03 Campra, André Hésione Ballard 1700 KPMS
2124-F-04 Campra, André Tancrède Ballard 1702
Cote : Mus. Compositeur Titre harmonisé Éditeur Date Provenance
2124-J-01 Campra, André Cantates françoises, Livre II Ballard 1714 KPMS
2146-M-01,1 Rebel, Jean Ferry Pièces pour le violon Ballard 1705
2146-M-01,2 Rebel, Jean Ferry Caprice Ballard 1711

2147-F-500 Desmarets, Henri Iphigénie Ballard 1711 Tonkünstlerverein


Destouches, André
2148-F-01 Cardinal Issé Ballard 1724 Marguerite Dufour, KPMS
Destouches, André
2148-F-03 Cardinal Omphale Ballard 1701
Destouches, André
2148-F-04 Cardinal Callirhoé Ballard 1712 Wappen
Destouches, André
2148-F-05 Cardinal Amadis de Grèce Ballard 1699 François Beauregard, KPMS
2151-J-01 Bernier, Nicolas Cantates françoises, Livres I-IV Foucault sd KPMS
2151-L-01 Bernier, Nicolas Les Nymphes de Diane, cantate françoise Foucault sd

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2162-T-01 Couperin, François Pièces de clavecin Boivin 1713 Chelisey, Berryer, KPMS
2352-J-500,1 Clérambault, Louis-Nicolas Cantates françoises, Livre I Foucault 1710
La dissémination de la musique

2352-J-500,2 Clérambault, Louis-Nicolas Cantates françoises, Livre II Foucault 1713


2394-F-01 Mouret, Jean-Joseph Ariane Ballard 1717 KÖB
2394-F-02 Mouret, Jean-Joseph Pan et Doris Leclerc 1730
2394-F-04 Mouret, Jean-Joseph Pirithoüs Boivin 1723
2430-F-01 Aubert, Jacques La Reine des Péris Boivin 1725 KPMS
2430-R-01 Aubert, Jacques Première Livre de sonates à violon seul, Livre I Foucault 1719 Cartier, KPMS
2430-R-02 Aubert, Jacques Sonates à violon seul, Livres I et II Boivin sd KPMS
2445-F-02, 1-2 Quinault, JBMaurice Divertissements Ribou 1714-1723 KÖB
2472-R-01 Francœur, Louis Sonates à violon seul, Livres I Foucault 1715 KPMS
2484-R-01 Leclair, Jean Marie Sonates à violon seul, Livre III Boivin sd Ferdinand David, KPMS
MB 8° 175 Rara Brossard, Sébastien de Dictionnaire Roger sd Ferdinand Keffer, KPMS
MB 8° 176 Rara Brossard, Sébastien de Dictionnaire Mortier sd Brühl
Chapitre 4

la fin d’un mouvement, ou trouve « las une fois lon reprant la marche », ou bien quelques pages
plus loin « la 2me fois lon reprend le 2me air si devan ».16
Si l’on compare la liste des imprimés avec celle des parties d’orchestres réalisées par les
ateliers de copie de musique de la cour de Dresde, on constate pourtant que beaucoup de suites
manuscrites ont un modèle imprimé dans les collections royales, quelle que soit leur provenance.
Sur dix-sept suites tirées des opéras de Lully, seules cinq n’ont pas de modèle imprimé dans les
collections de cour. Pour d’autres compositeurs, la comparaison est plus aléatoire : manquent
ainsi les exemplaires sur lesquels ont été copiées l’ouverture tirée de Thétis et Pelée de Collasse ou
celle d’Alcione de Marin Marais. Pourtant, la majeure partie des parties séparées manuscrites
reproduisent très exactement le texte de l’édition imprimée. Même les parties intermédiaires sont
parfois la copie littérale de la partition générale. C’est le cas pour l’ouverture tirée de l’Europe ga-
lante de Campra, où les parties « de remplissage » sont identiques à celles de la partition générale
imprimée en 1724 par Ballard, bien qu’aucun exemplaire ne soit conservé dans la bibliothèque
– seule la partition réduite de 1699 est présente. C’est aussi le cas pour la plupart des ouvertures
de Lully, dont les parties intermédiaires reprennent le texte de la partition générale avec des
modifications mineures : omission de la partie de quinte, ajout d’ornements, enrichissement du
chiffrage pour les parties de clavecin. De même, l’examen des parties intermédiaires montre que
les ouvertures tirées de l’Orphée de Louis Lully, ou de Thétis et Pelée de Pascal Colasse ont sans
doute été copiées sur les partitions générales imprimées.
Beaucoup d’œuvres n’ont toutefois jamais été imprimées sous forme de partitions générales.
La plupart des œuvres de Campra, Destouches et Mouret furent seulement publiées sous forme
de partition réduites. Dans ce cas, il faut postuler que les parties intermédiaires étaient composées
de nouveau sur place ou bien copiées à partir d’une autre source manuscrite. La copie directe sur
l’imprimé n’est donc pas la règle. Un autre cas de figure très intéressant est fourni par les suites
qui prennent un net caractère de compilation, comme deux suites dont les mouvements sont tirés
de nombreuses œuvres de Lully.17 Outre le fait que certaines de ces œuvres n’ont jamais fait l’objet
d’une impression, il serait très malaisé pour un copiste de travailler directement à partir des par-
titions imprimées pour en extraire les mouvements de sa suite : il n’y a pas moins de six œuvres
représentées dans le manuscrit Mus. 1827-F-33, et quatre dans le Mus. 1827-F-35 (Tableau 4.2). Il
est donc probable que les copistes avaient à leur disposition d’autres sources manuscrites que les
partitions imprimées.
Certains musiciens ont également copié leurs propres partitions manuscrites. Les copies réa-
lisées par Pisendel témoignent de la confrontation du violoniste allemand avec le répertoire fran-
çais à l’occasion de son voyage en France en 1714.18 L’une d’entre elles est la copie des Caractères de
la danse de Jean-Féry Rebel : l’exemplaire a été visiblement assez rapidement copié, mais son écri-
ture est indéniablement celle du violoniste saxon.19 Pisendel aurait pu rencontrer personnellement
Rebel à Paris, puisque celui-ci était alors âgé de 36 ans et se trouvait au faîte de sa carrière, ou bien
avoir eu accès à sa musique par un autre biais. Les Caractères devinrent rapidement une des pièces
maîtresses du répertoire français de Dresde : sur la double feuille qui contenait la copie de l’œuvre
française, on trouve une musette, dont la ligne mélodique est assise sur une pédale de quinte à
vide, ainsi qu’une bourrée, toutes deux écrites pour la même nomenclature instrumentale que les
Caractères (sol 2, ut 1, ut 2 et fa 4).20 Delang indique que Pisendel a pu composer ces deux mouve-
ments en guise d’introduction aux Caractères, et que c’est seulement très récemment que ces deux

16 D-Dl, Mus. 2124-F-1, p. 255 et 268.


17 D-Dl, Mus. 1827-F-33 et Mus. 1827-F-35.
18 Kerstin Delang, « Betrachtungen zu einigen Werken französischer Komponisten in Abschriften von Johann
Georg Pisendel », in : Johann Georg Pisendel. Studien zu Leben und Werk. Bericht über das Internationale Sympo-
sium vom 23. bis 25. Mai 2005 in Dresden, dir. Ortrun Landmann et Hans Günter Ottenberg, Hildesheim 2010,
p. 77-102.
19 D-Dl, Mus. 2146-N-2.
20 D-Dl, Mus. 2146-N-1.

– 198 –
La dissémination de la musique

Tableau 4.2. Provenance des mouvements dans le jeu de parties séparées. D-Dl, Mus. 1827-F-33.
Titre Provenance LWV Ton
Ouverture Lully, Les Festes de l’Amour et de Bacchus 47/1 sol m
1. Prelude non identifié – do M
2. Sinfonie Lully, Les Festes de l’Amour et de Bacchus 47/5 do M
3. Entrée Lully, Les Festes de l’Amour et de Bacchus 47/9 do M
4. La Mariée Lully, Ballet de Flore 40/18 si bémol M
5. Menuet Lully, Ballet de Flore 40/14 si bémol M
6. Magissien Lully, La Pastorale Comique 33/1 si bémol M
7. Rittorn: Lully, La Pastorale Comique 33/3 si bémol M
8. Air Lully, Les Amants magnifiques 42/16 sol m
9. Trio Lully, Les Festes de l’Amour et de Bacchus 47/29 sol m
10. Rondeau Lully, Le Grand divertissement Royal de Versailles 38/7 sol m
11. La Coure Lully, Les Festes de l’Amour et de Bacchus 47/40 sol M
12. Menuet Lully, Le Grand divertissement Royal de Versailles 38/14 sol M
13. Le donneur de livre Lully, Le Bourgeois gentilhomme 43/23 sol M
14. Canarie Lully, Le Bourgeois gentilhomme 43/7 sol M
15. Chaconne Lully, Acis et Galatée 73/32 ré M
16. (sans titre) non identifié – sol m

folios ont été séparés et se sont vus attribuer deux cotes différentes. On voit apparaître, sur le coin
gauche de la feuille, le nom de « La petite Drôt » : il s’agit de la belle-fille du chanteur Jean-David
Drot, une danseuse aussi connue sous le nom de Clément, qui avait été engagée par le prince en
1716 à Lyon. La liste de copies faites par Jacques Guénin permet de savoir que les Caractères furent
sans doute dansés dans les années 1725-1726 à Varsovie par la danseuse Louise de Vaurinville. Ils
furent également produits en 1731 à la cour de Dresde par Marianne Clément.21
On trouve aussi, de la main de Pisendel, une copie de la sonate en trio La convalescente de
François Couperin, issue du troisième ordre des Nations (1726). Là encore, la disposition extrême-
ment ramassée et compacte du manuscrit suggère une destination d’abord privée. C’est ce manus-
crit qui a pu servir de modèle pour la transcription en trio pour orgue de Bach, l’Aria bwv 587 :
Pisendel aurait ainsi rendu visite à Bach sur le chemin du retour, et lui aurait transmis ses impres-
sions toutes fraîches de France, ainsi que de la musique copiée dans la capitale.22 D’autres copies de
sa main figurent dans les collections de Dresde : il s’agit d’abord d’une sonate pour violon et basse
continue de Leclair, publiée en 1723 dans le Premier livre de sonates à violon seul avec la basse continue
(n° 7). Pisendel est également le copiste principal de trois œuvres de Venturini, aussi copiées par
Johann Gottfried Grundig (1706-1773).23 Celui-ci n’a officiellement commencé ses activités de co-
piste pour la cour qu’en 1733, mais il copiait sans doute de la musique à titre privé pour Pisendel ou
d’autres commanditaires à partir de 1725.24 Ces sources ont été copiées par Pisendel pendant son
activité comme violoniste puis comme Konzertmeister à Dresde, où il prit la succession de Volumier.
La copie par Johann Joachim Quantz (aidé par le copiste anonyme S-Dl-052) des deux
concertos de Guignon fournit également un cas d’étude intéressant sur la circulation de la mu-
sique par le biais des musiciens.25 Cette copie a dû intervenir pendant la période d’activité de

21 Delang, « Betrachtungen », p. 89.


22 Kerstin Delang, « Couperin - Pisendel - Bach. Überlegungen zur Echtheit und Datierung des Trios bwv 587
anhand eines Quellenfundes in der Sächsischen Landesbibliothek Staats- und Universitätsbibliothek Dres-
den », Bach Jahrbuch, 93, 2007, p. 197-204. Voir Chapitre 5, p. 264-265.
23 D-Dl, Mus. 2-O-1,32, Mus. 2142-O-3a et Mus. 2142-O-6.
24 Landmann, Über das Musikerbe der sächsischen Staatskapelle, p. 147.
25 D-Dl, Mus. 2957-O-1 et Mus. 2957-O-2.

– 199 –
Chapitre 4

Quantz à Dresde, soit entre 1716 et 1741. Nous n’avons pas pu retrouver la source de ces concer-
tos, genre dans lequel Guignon n’a jamais publié d’œuvre imprimée. On peut donc penser que
Quantz a obtenu une source manuscrite de ces pièces lors de son séjour à Paris en 1726-1727,
période qui correspond justement au début de l’activité de Guignon à Paris, où il se produit au
Concert Spirituel dès avril 1725.26 Cette hypothèse est renforcée par la graphie italienne du nom
de Ghignone utilisée par Quantz, qui pourrait indiquer une date de composition précoce de ces
concertos : la graphie française du nom de Guignon s’imposera peu à peu entre 1725 et 1741, date
de sa naturalisation française. Le filigrane en forme de grappe de raisin que l’on trouve dans les
deux manuscrits pourrait bien indiquer une origine française du papier, même si un travail plus
approfondi est encore nécessaire pour le déterminer avec certitude. Notons enfin que le copiste
auxiliaire de Quantz (S-Dl-052) n’est présent que dans ces deux jeux de parties séparées, et qu’il
est de ce fait fort possible qu’il se soit agit d’un copiste français.

Air de cour et cantate


Le répertoire vocal soliste est souvent négligé mais a visiblement connu une large diffusion,
notamment par le biais des livres d’airs de différents auteurs imprimés par Ballard, dont
des exemplaires sont conservés un peu partout en Europe, et par celui des livres de cantates
françaises. Le nombre de cantates conservées dans la collection de Friedrich Ludwig von
Württemberg-Stuttgart est tout à fait impressionnant : on trouve des œuvres de Stuck, Morin,
Clérambault, Bernier, Bourgeois sous forme imprimée. Parmi elles, les cantates de Thomas
Louis Bourgeois (1676-1750) montrent bien la solidarité entre diffusion imprimée et copie
manuscrite. L’exemplaire imprimé porte, sur la seconde page de couverture, une marque de
possession de Johann Nicolaus Nicolai et même l’endroit où il fut acheté, c’est-à-dire au domicile
du compositeur.27 L’ancien possesseur est un musicien originaire de Munich et qui se trouvait au
service de la cour de Stuttgart depuis au moins 1714 puisque le Kapellmeister Johann Christoph
Pez note en janvier de cette année que « Nicolai joue très bien de la flûte [à bec], de la flûte
allemande et du hautbois, et il accompagne aussi très bien sur le clavecin, ce pour quoi j’ai souvent
besoin de lui.28 » Nicolai avait accompagné le prince Friedrich Ludwig à Paris en 1715. La copie
manuscrite qu’il réalise de la cantate « Les Sirènes » sous forme de parties séparées diffère assez
sensiblement de la version imprimée : le chiffrage de la basse continue, le titre des mouvements
et parfois le texte musical diffèrent, et la partie de basse continue est transposée un ton plus bas.29
Elle adopte donc le Chorton – le diapason d’église, les orgues étant souvent accordés un ton plus
haut dans l’espace germanique – ce qui semble indiquer l’usage d’un orgue de chambre pour la
réalisation du continuo. Une seconde copie beaucoup plus proche du texte original a été copiée
dans les premières années du xviiie siècle par un copiste de la cour, peut-être par Haumale des
Essarts, actif comme Konzertmeister à la cour de Stuttgart entre 1724 et 1732.30
Les cantates de Bernier sont particulièrement bien représentées dans les bibliothèques de
cour. À Dresde, elles sont présentes à la fois sous forme manuscrite et imprimée : on trouve les
quatre premiers livres des Cantates françoises publiés chez Foucault entre 1703 et 1723, reliés par
paire. Le premier volume comporte l’ex-libris de la Königliche Musikprivatsammlung tandis que Les
Nymphes de Diane, également publiée chez Foucault, ne portent aucune marque de provenance.31

26 Neal Zaslaw, « Guignon, Jean-Pierre » in : Grove Music online. Sur le séjour de Quantz à Paris, voir son auto-
biographie publiée par Marpurg, Historisch-Kritische Beyträge, vol. 1, p. 225-227.
27 D-ROu, Musica Saec. XVII 18-5. Cf. Krügger, Die Musikaliensammlung, vol. 2, p. 112 : « Habe Es in Paris
selbsten v. Mr. Burgeois gekaufft. gehört Meiner Pro Memoria Nicolai ». Des marques de possession de Nicolai
se trouvent également sur les trois livres de trio de Michel de La Barre.
28 Krüger, Die Musikaliensammlung, vol. 1, p. 264.
29 Krüger, Die Musikaliensammlung, vol. 2, p. 113.
30 D-ROu, Mus.Saec. XVII 5-4. Sur Haumale des Essarts, voir Owens, The Württemberg Hofkapelle, p. 232-235.
Sur le catalogue (« Memoire des Musique des Son Altesse Serenissime Monseigneur Le Prince Hereditaire de
Wirtemberg »), voir Krüger, Die Musikaliensammlung, p. 164-165.
31 D-Dl, Mus. 2151-L-1.

– 200 –
La dissémination de la musique

Les deux premiers livres des Cantates françoises ont aussi fait l’objet d’une copie manuscrite sur
place.32 Comme le montre le filigrane, le papier provient d’une fabrique située à quelques kilo-
mètres de Dresde, à Zittau.33 La main du copiste de Bernier peut d’ailleurs être retrouvée dans
plusieurs autres manuscrits de Telemann, et il a parfois été suggéré que cette écriture puisse
être celle de Johann Quantz.34 De format oblong, les feuilles de papier ne sont pas pas reliées,
mais simplement pliées en deux et glissées l’une dans l’autre par groupe de deux. Chaque cahier
comprend 8 pages. Une seconde main peut être identifiée sur le manuscrit. Elle apporte des cor-
rections dans une encre plus claire pour les deux premières cantates, essentiellement d’ordre pro-
sodique ou orthographique : placement des syllabes sous les notes, corrections d’erreurs de copie
du texte français. L’encre des corrections devient plus foncée à partir de la troisième cantate, et
il semblerait qu’une troisième main apporte désormais des corrections. Outre la fidélité du texte
musical, un détail supplémentaire permet de confirmer que c’est bien la version imprimée de
Foucault qui a servi de modèle pour la copie manuscrite de Mus. 2151-J-1 : à la page 17 du manus-
crit le copiste a d’abord copié une clé d’ut 4 qu’il corrige en fa 4. Or, au même endroit, l’édition
originale change de clé lors d’un changement de système sans placer de guidon d’avertissement
à la fin du système précédent. Dans la collection musicale de Friedrich Ludwig sont présents pas
moins de trois exemplaires des cantates de Bernier, sous forme imprimée et manuscrite.35
La liste des copies de musique réalisées par Jacques Guénin en 1720 comprend aussi des
cantates profanes de Jean-Baptiste Stuck (dit Batistin) et d’André Campra, copiées en partition
ou sous forme de parties séparées (voir Tableau 3.5, p. 189). Plusieurs sont probablement issues
de l’édition des Airs nouveaux des Messieurs Campra et Batistin publiée par Christophe Ballard
en 1708 : on retrouve dans la liste de Guénin quatre d’entre elles (« Regnez, belle Thétis »,
« Trompettes, éclatez, redoublez vos concerts », « Venez, régnez, aimables Jeux », « Non semper
Guerriero è il son del la tromba »). Si la majeure partie de cette liste est composée de mouvements
sans nom d’auteur, d’autres œuvres identifiables se détachent de l’ensemble. Les Caractères de
la danse de Jean-Féry Rebel (1666-1747) apparaissent deux fois dans la liste : une première fois
copiées en parties séparées sur neuf feuilles, et une seconde fois « pour Mlle de Vaurinville »,
danseuse à la cour de Dresde, toujours copiées en parties séparées sur quatre feuilles. De fait,
cette pièce était visiblement un classique du répertoire de la Hofkapelle de Dresde, depuis que
Johann Georg Pisendel en avait rapporté une copie manuscrite de son voyage parisien de 1714.
Il est d’ailleurs possible que Guénin ait copié la partition manuscrite de Pisendel plutôt que la
partition imprimée parue chez Le Clerc en 1715.

Les sources du motet


Si la diffusion des principaux genres français – tragédie en musique, ballet, cantate profane et
suite instrumentale – est un phénomène assez bien connu, on assiste également à la diffusion
plus inattendue d’autres genres qui ne sont habituellement pas considérés comme faisant partie
des produits d’exportation de la France. Parmi eux, le motet offre un premier cas d’étude tout
à fait intéressant pour comprendre les mécanismes de la diffusion de musique française dans les
territoires germaniques. Il connaît en effet une diffusion massive, dont la reconstitution permet
de délimiter un corpus cohérent tout en éclairant plus généralement les mécanismes de dissémi-
nation de la musique de provenance française.

32 D-Dl, Mus. 2151-J-1a. Le contenu de chacun des livres est intégralement recopié.
33 Steven Zohn, « Music Paper at the Dresden Court and the Chronology of Telemann’s Instrumental Music »,
in : Puzzle in Paper - Concept in Historical Watermark. Essays from the International Conference on the History,
Function and Study of Watermarks, dir. Daniel Wayne Mosser, Michael Saffle et Ernest W. Sullivan, Londres
2000, p. 125-168, Filigrane 13.
34 Ortrun Landmann, Die Telemann-Quellen der Sächsischen Landesbibliothek. Handschriften und zeitgenössische
Drucke seiner Werke, Dresde 1983, p. 149.
35 D-ROu, Mus. Saec. XVIII 71-2 et Mus. Saec. XVIII 7.3-7.

– 201 –
Chapitre 4

Un corpus exemplaire
Les motets français sont présents dans de nombreuses bibliothèques. Les collections royales de
Dresde comprennent plusieurs éditions originales de motets français dont certaines ont servi à
la chapelle catholique de la cour (Tableau 4.1). Au-delà des deux éditions de 1684 examinées en
détail ci-dessous, des imprimés plus tardifs sont également présents : une édition des motets à
grand chœur de Paolo Lorenzani (1688), le premier livre de la seconde édition des petits motets de
Campra (1700), les livres 1 et 3 de l’édition des motets de « feu Mr. de La Lande » publiée en 1729
par Boivin.36 Ces trois derniers recueils sont cependant dénués de toute marque de possession et
de toute trace d’usage, si bien qu’il est difficile d’évaluer s’ils ont pu faire partie du répertoire de
la chapelle catholique de Dresde entre 1708 et 1733.37 En outre, ils ne sont pas reliés dans le papier
bleu typique des partitions de la chapelle catholique et ils n’apparaissent dans aucun des trois
catalogues qui recensent les fonds musicaux de cette institution. D’autres cours ont également
possédé dans leur bibliothèque les partitions imprimées transmettant le répertoire de la Chapelle
royale de Versailles par le biais du motet à grand chœur. Une partie de dessus de l’édition 1684 des
motets de Lully par Christophe Ballard est ainsi conservée à Wolfenbüttel, indiquant sans doute
qu’un jeu complet de parties séparées a été présent autrefois dans les collections ducales.38 Cette
partie ne comporte aucune trace d’usage et aucune insertion manuscrite, à l’exception de petits
traits obliques, tracés à l’encre au-dessus de quelques mesures. Peut-être a-t-on ici la trace d’une
activité de copie : les traits auraient été introduits par un copiste pour marquer la fin de passages
copiés. Quelques fragments de motets de Du Mont furent aussi retrouvés près de Hanovre, dotés
du sceau de la bibliothèque de la cour. Ils ont donc fait partie du répertoire de la chapelle ducale.
Plusieurs pages de ces éditions avaient été arrachées pour colmater les tuyaux d’un orgue, où elles
furent retrouvées en 1958 lors de la restauration de l’instrument. Parmi elles figurent le second
livre des Meslanges publiés par Ballard en 1657 et les Motets à deux voix d’Henry Du Mont publiés
en 1668.39 Enfin, une copie manuscrite du Te Deum lwv 55 de Lully figure dans les collections de
Schwerin : il s’agit d’une partition réduite aux parties de trompette et de cordes, sans les parties
chantées, ce qui pourrait s’expliquer par le fait que le duc de Schwerin ne disposait pas de chan-
teurs dans sa Hofkapelle.40
Mais d’autres collections de taille plus réduite contiennent également ce répertoire. C’est
notamment le cas de la collection privée du comte Rudolf Franz Erwein von Schönborn, origi-
naire de Mayence (Tableau 4.3). Cinquième fils d’une grande famille catholique de Mayence, il
avait d’abord étudié chez les jésuites au Collegium Germanicum à Rome avant d’aller à l’université
de Leiden. Il séjourna ensuite quelques mois à Paris, où il fit l’acquisition de huit partitions impri-
mées de musique sacrée entre juin et septembre 1699, comme l’indiquent les dates d’achat très
précisément reportées sur les exemplaires. Ces achats marquaient le début d’un intérêt durable
pour la musique d’église, puisque Schönborn achète à partir de 1697 vingt oratorios, 90 messes,
318 motets, 420 psaumes et hymnes, le nombre total de partitions contenant de la musique reli-
gieuse s’élevant à plus de 800 à la fin de sa vie.41
Le motet circulait aussi sous forme manuscrite, comme le montre la copie d’un petit motet de
Campra en Saxe. Il se trouve dans un petit livre de musique, de format in-quarto italien, relié dans
une épaisse couverture de cuir, copié par plusieurs mains différentes dans les deux sens de lecture

36 Respectivement D-Dl, Mus. 2021-E-1, Mus. 2124-R-1 et Mus. 2116-Q-1.


37 La partie de Basse-continue de Lorenzani porte l’ancienne cote de la bibliothèque royale A 214.
38 D-W, 123 Musica div. La partie conservée est celle de Dessus du Grand chœur. Reliée dans une couverture
en carton avec un papier marbré coloré, elle est intitulée « Dessus du grand Chœur ». Un ajout postérieur, à
l’encre bleue, précise en dessous : « J. B. de Lully | Motets a deux chœurs | Dessus du grand Chœur | 1684 ».
39 Sievers, Die Musik in Hannover, p. 48-50.
40 D-SWl, Mus. 3496. Andreas Waczkat, « “Les Violons du Duc”. Französische Musiker an mecklenburgischen
Höfen in der zweiten Hälfte des 17. Jahrhunderts », Jahrbuch der Ständigen Konferenz Mitteldeutsche Barock-
musik, 4, 2004, p. 252-263, ici p. 255-256.
41 Fritz Zobeley, Die Musikalien der Grafen von Schönborn-Wiesentheid, vol. 1, Tutzing 1967, p. XIII.

– 202 –
La dissémination de la musique

Tableau 4.3. Motets imprimés dans les collections de Rudolf Franz Erwein von Schönborn.

Nr Compositeur Titre harmonisé Éditeur Date Annotations


34 Brossard, Sébastien de Prodromus Musicalis Seu Cantica Sacra Ballard 1695 Paris 26. Juin 1699
35 Brossard, Sébastien de Élévations et motets Ballard 1698 Paris 26. Juiin 1699
39 Campra, André Motets à voix seule Ballard 1695 Paris 26. Juiin 1699
40 Campra, André Motets, Livre III Ballard 1711 v.S. [von Schönborn]
48 Du Mont, Henry Motets à 2, 3 et 4 Ballard 1681 Paris 5. Sept. 1699
49 Du Mont, Henry Récit de l’éternité Ballard 1699 Paris 7. Sept. 1699
55 Foliot, Edme Motets à 1, 2 et 3 voix Auteur [1710] 1711
76 Lebègue, Nicolas Antoine Motets pour les principales Festes Ballard 1687 Paris 7.7.1699
77 Lebègue, Nicolas Antoine Motets pour les principales Festes Ballard 1708
93 Menault, Pierre Richard Vespres à deux chœurs Ballard 1693 1699
98 Morin, Jean-Baptiste Motets à une et deux voix Ballard 1704

du volume.42 Il porte une ancienne cote (B 37) et une marque de la Bibliotheca Musica Regia, et est
donc probablement arrivé à une date relativement précoce dans les collections royales de Dresde.
Au milieu d’un grand nombre de pièces attribuées à Campra et plusieurs cantates italiennes pour
voix de soprano, on trouve une copie très propre du motet Exsurge Domine pour voix de basse et
deux dessus de violon, également présent dans le livre I de la seconde édition des Motets à I, II et III
voix (Ballard, 1700) conservée à Dresde. La différence la plus notable avec le texte imprimé est le
placement de la ligne vocale : elle est renvoyée en bas de chaque système par le copiste du recueil,
alors qu’elle figure au-dessus de la portée de basse continue dans l’imprimé original. On observe
également que quelques indications textuelles (Lentement, Ritournelle, Gravement) ne sont pas re-
portées dans la copie manuscrite, et que la basse continue est dénuée de tout chiffrage. Comme le
filigrane est systématiquement coupé, on ne peut pas émettre d’hypothèse solide sur l’origine de ce
recueil. Nous avons ici un surprenant témoignage du fait que les petits motets français pouvaient
circuler dans des livres de musique au contenu hétéroclite, en l’occurence un recueil de danses pour
clavier et de cantates italiennes probablement destiné à un usage domestique.
L’exécution d’un répertoire d’église français semble d’ailleurs avoir été une tradition qui
se pérpétua jusque vers le milieu du xviiie siècle. Un livret provenant de Hildburghausen, une
cour luthérienne d’Allemagne centrale, montre que le Miserere de Lully fut joué l’après-midi du
Vendredi Saint de l’année 1740 dans la chapelle du château.43 Le duc de Saxe-Hildburghausen
Ernst Friedrich II avait voyagé en France pendant sa jeunesse en 1722-1723. Après un séjour de
trois mois à Paris et Versailles, où il avait été accueilli avec son frère par Madame Palatine et
avait assisté au couronnement de Louis XV, Ernst Friedrich étudia à l’université de Genève et à
Utrecht.44 C’est probablement sous son impulsion que le Miserere de Lully fut donné à la cour. La
page de titre du livret indique :
Musique pour le Vendredi-Saint, composée en vue de la contemplation bienheureuse du Salut apporté
par Jésus-Christ à cause de nos péchés par le célèbre Monsieur de Lully, Surintendant de sa Majesté
royale de France etc. Exécutée seule, et distribuée le 15 avril 1740, non sans une grande émotion dans les
âmes, dans la chapelle princière du château sur le gracieux et haut ordre du très-haut et très-puissant
prince et seigneur Ernst Friedrich II, duc de Saxe, Jülich, Cleve, Berg, Engern et Westphalie, etc.45

42 D-Dl, Mus. 1-B-104. Titres : « Pieces de Mr Campra » (p. 3) « Del Sign° Baron d’Astorga. Cantata à Solo Per
Camera » (p. 14).
43 D-HAu, Hs.-Abt. Pon We 2494, 4° (Nr. 152).
44 Heinrich Ferdinand Schoeppl, Die Herzoge von Sachsen-Altenburg, ehem. von Hildburghausen, Bozen 1917,
p. 49-50.
45 Miserere, Hilburgshausen 1740, traduction de la page de titre.

– 203 –
Chapitre 4

La dénomination de « Char-Freytag Musik » désigne habituellement ce que nous connais-


sons aujourd’hui sous le nom de passions : l’oratorio exécuté dans l’après-midi du Vendredi
Saint en contexte luthérien – désignation générique assez large que Wagner parodie dans la
« Karfreitagsmusik » de Parsifal. Également frappante est l’expression « zur seeligen Betrachtung »,
souvent utilisée à la fin du xviie siècle dans les titres et les livrets de passions luthériennes, qui
peuvent parfois s’appeler simplement « Die seelige Betrachtung des Leidens Christi », comme en
1672 à Rostock. On voit que la musique de Lully est prise dans un réseau de significations lié à la
culture luthérienne allemande, qui dépasse largement le contexte de sa création originale et qui
est mis au jour par le livret. La date très tardive de l’exécution, en 1740, montre que Lully demeure
connu et joué dans l’espace germanique longtemps après sa mort, tout comme en France.46

Les motets de Lully à Dresde


En 1684 et 1686, l’imprimeur du roi pour la musique Christophe Ballard fit sortir une série excep-
tionnelle de motets « Imprimez par exprès commandement de Sa Majesté » : les Motets à deux
chœurs pour la Chapelle du roy de Jean-Baptiste Lully (1684), les Motets pour la chapelle du Roy de
Pierre Robert (1684) et les Motets pour la chapelle du Roy de Henry Du Mont (1686). Parues juste
après la tenue du concours de 1683, ces trois éditions de luxe en parties séparées rassemblaient
donc en une sorte de rétrospective l’œuvre des anciens sous-maîtres de la chapelle royale, dans
le but de publier largement le répertoire de la première chapelle de Louis XIV.47 La présence des
deux recueils de 1684 dans les collections de la cour de Dresde témoigne de l’écho européen de
cette entreprise éditoriale, et suggère que le répertoire de la Chapelle royale a pu faire l’objet
d’exécutions dans la chapelle catholique de Dresde entre son inauguration en 1708 et l’engage-
ment de musiciens italiens en 1717.48 Dans un contexte où Auguste le Fort tentait de conserver
son titre royal et où la construction de la chapelle catholique visait à obtenir les bonnes grâces du
Saint-Siège, il est évident que l’importation d’un répertoire français ad hoc – composé « pour la
chapelle du Roy » – pouvait jouer un rôle de première importance.49
Les motets de Lully ne sont pas conservés à la bibliothèque de Dresde sous leur forme ori-
ginale imprimée. Ils apparaissent dans un catalogue des archives musicales de la chapelle catho-
lique de Dresde rédigé avant 1765 par le compositeur d’église et conservateur de la collection
musicale Johann Georg Schürer (c.1720-1786).50 D’après Wolfgang Horn et Thomas Kohlhase,
les motets de Lully sont alors présents dans l’édition Ballard de 1684.51 En revanche, les motets
de Lully manquent dans un catalogue plus ancien : l’inventaire des fonds musicaux en possession
de Zelenka mais utilisés à la chapelle. Ce catalogue, rédigé entre 1726 et 1739 par Zelenka lui-

46 William Weber, « La musique ancienne in the Waning of the Ancien Régime », The Journal of Modern History,
56/1, 1984, p. 58-88.
47 Laurent Guillo, « Les Ballard : imprimeurs du roi pour la musique ou imprimeurs de la musique du roi ? », in :
Le Prince et la musique. Les Passions musicales de Louis XIV, dir. Jean Duron, Wavre 2009, p. 282.
48 On trouve par ordre chronologique : un jeu complet de parties séparées imprimées pour les Motets pour la
chapelle du roy de Robert, édités en 1684 par Christophe Ballard (D-Dl, Mus.1718-E-1) ; une mise en partition
manuscrite des Motets à deux chœurs de Lully, également édités sous forme de parties séparées par Christophe
Ballard en 1684 (D-Dl, Mus.1827-D-1,2) ; le recueil imprimé des motets de Pietro Lorenzani, édité par Chris-
tophe Ballard en 1693 (D-Dl, Mus.2021-E-1) ; le premier livre des petits motets de Campra, dans l’édition
Ballard de 1700 (D-Dl, Mus.2124-R-1) ; les 2e et 3e livres de motets de Lalande, dans l’édition Boyvin de 1729
(D-Dl, Mus.2116-Q-1).
49 Voir Chapitre 2, p. 93-97.
50 Les trois volumes de ce catalogue, rédigés après la fin de la guerre de Sept Ans, sont aujourd’hui conservés à
Berlin : D-B, Mus. ms. theor. Kat. 186. Voir Wolfgang Horn et Thomas Kohlhase, Zelenka-Dokumentation,
Wiesbaden 1989.
51 Wolfgang Horn et Thomas Kohlhase, Zelenka-Dokumentation. Quellen und Materialien, Wiesbaden 1989,
vol. 1, p. 44-46. Les deux auteurs affirment que l’exemplaire imprimé des motets de Lully figure encore dans les
collections de la bibliothèque de Dresde, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

– 204 –
La dissémination de la musique

même, comprend un ensemble important d’œuvres vocales et instrumentales de compositeurs


très variés, que Zelenka fit exécuter à la chapelle catholique de Dresde.52 L’absence de l’édition
de 1684 des motets de Lully peut s’expliquer de plusieurs façons : ou bien ils auraient été acquis
par la cour de Dresde entre 1739 et 1765, ou bien ils appartenaient à la cour et non à Zelenka.
Les motets de Lully subsistent en revanche sous la forme de copies manuscrites tardives, qui
ont mis en partition les parties séparées de l’édition originale. Le premier manuscrit est intitulé
Motets | a deux Chœurs | mis en Musique | par | Monsieur de Lully.53 De format italien, dans une belle
reliure de cuir à tranche rouge et dorée, il est très proprement rédigé et comprend l’ensemble des
motets mis en partition dans le même ordre que celui de l’édition originale.54 Cette copie présente
toutefois quelques rares divergences textuelles avec les parties séparées, dont il corrige les erreurs
manifestes.55 La partition porte encore la cote originale de la bibliothèque royale (A 218) ainsi
qu’une marque « Musica Bibliotheca Regia ». Le papier utilisé pour la copie provient de la région
de Dresde, puisque son filigrane présente les armes de Saxe. La main semble être celle de Johann
Christoph Zucker, actif comme copiste à la cour de Dresde entre 1805 et 1814, mais dont les acti-
vités de copiste remontent en fait à 1791.56 Le volume aurait donc été écrit aux alentours de 1800.
Le second manuscrit est probablement antérieur au premier.57 Il s’agit du second volume
d’un ensemble dont le premier volume a été perdu : de ce fait, on n’y trouve que les motets figurant
aux numéros 3 à 6 dans l’édition Ballard de 1684. La première page porte la mention manuscrite :
« composé par Lulli a Paris 1694 [sic] | Seconde Partie ». Le titre gravé sur la tranche de la cou-
verture reproduit la même erreur de datation que la page de titre : « Lully | 1694 ». Cette mise
en partition est beaucoup moins soignée que la première : d’un format oblong qui fait tenir 20
portées par page, elle est reliée dans une couverture en carton épais. Le filigrane du papier utilisé,
peu lisible, n’a pas pu être identifié. Une des caractéristiques les plus frappantes de cette partition
est l’absence de texte dans les parties chantées – seuls quelques incipits sont reportés –, l’absence
du titre des motets et l’absence de la partie de timbale dans le Te Deum. Le manuscrit semble
donc être resté inachevé. La pagination originale, reportée par le copiste, n’est pas continue et
suit sans doute l’ordre de sept cahiers qui étaient séparés avant la reliure.58 Mises à part quelques
erreurs de copie qui ne sont pas toujours corrigées, le texte musical de ce manuscrit est très fidèle
à celui de l’édition originale, dont il reproduit même les erreurs. Le manuscrit porte l’ancienne
cote de la bibliothèque royale (A 218b), qui suggère qu’il est entré dans les collections de Dresde
après le premier manuscrit. Ortrun Landmann propose une identification du copiste : il s’agit du
compositeur et critique musical Carl Borromäus von Miltitz (1781-1845), dont une partie de la
bibliothèque a été rachetée en 1845 par la Sächsische Landesbibliothek.59 Sur la seconde page de
couverture, on lit cependant une insertion manuscrite mystérieuse sur la provenance des pièces :

52 Horn et Kohlhase, Zelenka-Dokumentation, vol. 1, p. 44-46.


53 D-Dl, Mus. 1827-D-1.
54 Le libellé des titres du manuscrit suit également de très près l’édition de 1684, qui sont généralement traduits
en latin quand ils figurent en français dans l’édition originale.
55 Pour un premier aperçu de ces corrections à partir de l’exemple du Miserere, voir John Hajdu Heyer, « The
sources of Lully’s Te Deum (lwv 55) : Implications for the Collected Works », in : Quellenstudien zu Jean-
Baptiste Lully. L’œuvre de Lully : étude des sources. Hommage à Lionel Sawkins, dir. Jérôme de La Gorce et Herbert
Schneider, Laaber 1990, p. 264-277.
56 Landmann, Über das Musikerbe des sächsischen Staatskapelle, p. 176-177.
57 D-Dl, Mus.1827-D-2.
58 Les pages 1 à 196 sont numérotées par feuillets, en haut à droite, à l’encre noire. Les pages 197 à 258 sont numéro-
tées de 1 à 31 selon le même principe. Les pages 259 et 261 sont pourvue des numéros 2 et 2, par feuillets, en haut
à droite, à l’encre noire. Les pages 263 à 294 sont numérotées de 1 à 16 selon le même principe. Les pages 295 à 322
sont numérotée de 1 à 16 par feuillets, en bas à droite, au crayon. La page 323 comprend une collette (paginée de
323 à 328 au crayon par un bibliothécaire), numérotée 1. Les pages 329 à 342 sont numérotées 1 à 8 selon le même
principe. Enfin, les pages 343 à 349 sont numérotées 1 à 4 par feuillets, en bas à droite, à l’encre noire.
59 Ortrun Landmann, fiche du catalogue papier des collections musicales de la SLUB. Voir aussi Edward Ed-
wards, Free-Town Libraries. Their formation, managment and history, vol. 4, Cambridge 2010, p. 127.

– 205 –
Chapitre 4

Ist unter August | dem 2.ten König von Pohlen | und Sachsen nach Dresden | von König Ludewig dem
14.ten | von Frankreich an König August | dem 2.ten zugeschickt worden. | Franz Schubert.

Selon cette note, rédigée par un musicien de la cour de Dresde au xixe siècle, les motets de Lully
(sans doute l’édition originale imprimée) auraient été envoyés à Auguste le Fort par Louis XIV en
personne.60 Si aucune trace de cet envoi ne subsiste dans les archives de la cour ou dans la correspon-
dance diplomatique, on peut cependant noter que l’envoi d’exemplaires reliés des motets de Lully
semble être un présent plausible à l’heure où Auguste le Fort voulait réinventer sa chapelle royale.
On peut se demander si les deux sources manuscrites ont été copiées directement sur les parties
séparées imprimées, ou s’il existe une source intermédiaire à partir de laquelle elles auraient été
toutes les deux copiées. Les deux sources procèdent à un profond remaniement de la nomenclature
originale de l’œuvre, quasiment identique dans les deux cas (Tableau 4.4). Ajoutons que les deux
manuscrits n’ont pas pu être copiés l’un sur l’autre, dans la mesure où le texte n’est pas présent dans
le second manuscrit, qui de son côté ne corrige pas les parties séparées à la différence du premier.
L’hypothétique source intermédiaire pourrait avoir été une mise en partition manuscrite du jeu de
parties séparées, ou bien alors les parties séparées elles-mêmes munies de nouveaux titres.
Tableau 4.4. Changements de nomenclature : comparaison entre l’édition originale des motets de Lully et la
nomenclature du manuscrit D-Dl, Mus. 1827-D-1.

Édition originale Mus. 1827-D-1


1 Premier dessus de violon sol 1 Violino I sol 2
2 Second dessus de violon sol 1 Violino II sol 2
3 Haute-contre de violon ut 1 Violetta ut 2
4 Taille de violon ut 2 Viola I ut 3
5 Quinte de violon ut 3 Viola II ut 3
6 Premier dessus du petit chœur sol 2 Soprano I ut 1
7 Second dessus du petit chœur ut 1 Soprano II ut 1
8 Haute-Contre du petit chœur ut 2 Alto ut 3
9 Taille du petit chœur ut 4 Tenore ut 4
10 Basse du petit chœur fa 4 Basso fa 4
11 Dessus du grand chœur sol 2 Soprano ut 1
12 Haute-Contre du grand ut 3 Alto ut 3
chœur
13 Taille du grand chœur ut 4 Tenore ut 4
14 Basse-taille du grand chœur fa 3 Basso I fa 4
15 Basse du grand chœur fa 4 Basso II fa 4
16 Basse de violon fa 4 Violono fa 4
17 Basse-continue fa 4 Organo fa 4

Les motets de Robert à Dresde


L’édition originale des motets de Robert se trouve aussi à Dresde.61 Cette source présente un
intérêt philologique majeur : il s’agit d’un jeu de parties séparées quasiment complet d’une édi-

60 Il peut s’agir de deux personnes différentes. Franz Anton Schubert (1768-1827) est contrebassiste à la Hofka-
pelle de Dresde à partir de 1786, puis obtient le poste de Musikdirektor de l’opéra italien en 1808. Il est nommé
Königlicher Kirchenkomponist en 1814. Franz Xaver Schubert (1808-1878), fils du premier, entre en 1823 comme
aspirant à la Hofkapelle, est nommé Konzertmeister en 1861 et prend sa retraite en 1874. Sur ces deux hommes,
voir les notices de Robert Eitner dans l’Allgemeine Deutsche Biographie, vol. 32 (1891), p. 613-614 et 628. Ortrun
Landmann, dans le catalogue papier des fonds musicaux de la Sächsische Landesbibliothek, attribue cette note
au premier.
61 D-Dl, Mus. 1718-E-1. Voir Delpech, « Les Motets pour la chapelle du roy de Robert à la cour de Saxe ».

– 206 –
La dissémination de la musique

tion dont il ne reste que deux autres exemplaires incomplets à travers le monde.62 Dans le jeu de
Dresde, il ne manque que la partie de Second haute-contre de récits. Les parties sont reliées dans
une couverture de papier bleu relativement fin, cousue sur le côté gauche par une ficelle nouée
en haut et en bas de chaque cahier. Cette reliure est typique des partitions de la chapelle catho-
lique de la cour et indique que l’œuvre appartenait au répertoire de la chapelle. Certaines parties
portent encore, sur la page de titre et au crayon, l’ancienne cote de la bibliothèque royale : A 328.63
Sur chaque couverture se trouve reporté à la plume l’intitulé de la partie en français. Cet intitulé
est parfois flanqué d’un surtitre en italien, tracé par la même main que l’intitulé français : il s’agit
de certaines parties vocales solistes et de basse continue.
L’état de conservation est très variable selon les parties : alors que les parties de cordes sont
dans un état de conservation parfait et ne comportent aucune trace d’usage, quelques parties
vocales et de basse continue ont des pages trouées, des coins déchirés ou abîmés par la tourne, ou
encore des taches de cire, notamment la partie de Basse continue pour les instruments et celle
de Haut-concordant. Cette variabilité semble indiquer que les parties solistes ont été distribuées
directement sous forme imprimée aux musiciens puisqu’un seul exemplaire était requis (voix
solistes et basse continue) tandis que les parties exécutées simultanément par plusieurs musiciens
ont fait l’objet d’une copie manuscrite en plusieurs exemplaires aujourd’hui perdus (parties ins-
trumentales et chorales) et ne présentent donc presque aucune trace d’usage.
Le nombre de corrections manuscrites présentes dans l’exemplaire de Dresde, de l’ordre
de trois cents sur l’ensemble du jeu, est un peu plus élevé que dans les deux autres exemplaires
parisiens. Ceci s’explique notamment par le plus grand nombre de parties conservées à Dresde.
Tout comme dans l’exemplaire de la Bibliothèque nationale de France, les parties instrumentales
de Dresde ne comportent presque aucune correction manuscrite, à l’exception des parties de
Basse continue pour l’orgue et les instruments. La plupart des corrections sont communes aux
deux exemplaires et ont donc été faites dans l’atelier, avant la reliure ou l’envoi des partitions.64
Ces corrections d’atelier sont d’ailleurs toutes très propre : le papier a été gratté avec soin puis
les corrections tracées d’une main experte et d’un trait léger à l’encre noire. Quelques collettes,
certaines imprimées, ont aussi été insérées avant l’envoi.
La partie de Basse continue pour les instruments comporte de nombreuses particulari-
tés dans l’exemplaire de Dresde : sur les 30 corrections, seules 7 sont communes avec l’exemplaire
de la Bibliothèque nationale, qui comporte de son côté 28 corrections. Dans cette partie, la plu-
part des corrections ne sont visiblement pas écrites de la même main, ni avec le même soin que les
corrections d’atelier : l’encre a souvent bavé, rendant certaines corrections illisibles, et la plume
a plusieurs fois troué le papier. Celles-ci ne concernent que les motets placés en début (1 et 2) et
en fin de volume (19 à 24), là où l’exemplaire de la Bibliothèque nationale présente des correc-
tions dans les motets intermédiaires. On aurait donc affaire à des corrections insérées sur place,
à Dresde, seulement sur les seuls motets exécutés par la Hofkapelle. On trouve notamment des
transformations rythmiques (le plus souvent explicitation du surpointage), des ajouts d’incipits
textuels sous la portée pour favoriser une meilleure visibilité des sections, l’ajout d’indication
d’effectifs sous la portée (« tous » ou « à 3 »), l’ajout d’altérations, la correction de hauteurs ou
d’indications de mesures, l’ajout de guidons en fin de portée ainsi que de nombreux ajouts de
liaison. Ceci renvoie donc à des pratiques et des effectifs propres à la basse continue de la chapelle
catholique de Dresde, les nombreuses notes tenues indiquant une exécution à l’orgue.

62 Le RISM (Einzeldrucke vor 1800, vol. 7, R 1792) ne mentionne que les deux autres exemplaires déjà connus :
F-Pn, Vm1 1030 et F-Psg, Vm 118 Rés. Hélène Charnassé se fonde exclusivement sur ces deux sources pour son
édition de 1969 : Pierre Robert, Deux Motets pour la Chapelle du roy, éd. Hélène Charnassé, Paris 1969.
63 C’est le cas des Premier et Second dessus de récits, Premier haute-contre de récits, Haute-taille de récits.
64 Pour un aperçu sur les « stop-press corrections » : Lois Rosow, Lully’s Armide at the Paris Opéra: a performance
history, 1686-1766, PhD Dissertation, Brandeis University, 1981, p. 29-42.

– 207 –
Chapitre 4

Du livre d’orgue à l’Orgelbüchlein


La dissémination du répertoire pour clavier se caractérise par son ubiquité, sa volatilité et sa rapi-
dité extrême : les œuvres pour clavier en provenance de France sont transmises depuis le début du
xviie siècle dans de nombreux manuscrits à travers le monde, sous forme de partition ou en tabla-
ture, dans des copies qui sont souvent des compilations où l’origine de la pièce n’est pas indiquée,
et qui se situent à la frontière de l’arrangement, le copiste pouvant ajouter des ornements, modi-
fier la mélodie ou procéder à une réécriture complète de la texture instrumentale. L’étude clas-
sique de Bruce Gustafson a depuis longtemps attiré l’attention des chercheurs sur ce phénomène
et représente encore aujourd’hui la contribution la plus fondamentale sur le sujet.65 Un récent
projet d’édition critique des arrangements pour clavier d’œuvres de Lully, en cours de réalisation
par David Chung sur le site de la Web Library of Seventeenth-Century Music, vient compléter ces
travaux et propose une perspective passionnante sur la dissémination de musique française par le
biais des arrangements pour clavier.66 On s’en doute, ce type de dissémination forme un véritable
continent dont l’exploration demeure très fragmentaire. Il ne peut être question de l’aborder ici
de front, mais plutôt de biais – par l’intermédiaire de la dissémination du répertoire d’orgue dans
l’entourage de Bach.67
Dans la nécrologie de Bach, une phrase détaille les œuvres et les figures tutélaires que le
compositeur « se choisit pour modèle ». À la suite de plusieurs fabuleux organistes d’Allemagne du
Nord comme Bruhns, Reincken et Buxtehude, le texte mentionne aussi « quelques bons organistes
français ».68 Cette phrase de la nécrologie a souvent été rapprochée des deux copies du Livre d’orgue
de Nicolas de Grigny réalisée par Bach et Walther, ainsi que de la copie des deux livres d’orgue de
Jacques Boyvin par Johann Caspar Vogler.69 Ces trois sources sont assurément des témoignages
impressionnants de la circulation de musique d’orgue française à Weimar dans les années 1710.
Elles doivent d’ailleurs être rapprochées des sources françaises pour clavier qui émanent de l’en-
tourage de Bach, dont l’intérêt pour l’œuvre de Couperin est souligné par plusieurs sources.70 La
copie par Bach des suites pour clavecin de Dieupart et de la table d’ornements de d’Anglebert,
présentes dans le même volume que le livre d’orgue de Grigny, ou encore celle des Bergeries tirées
du sixième ordre du Second Livre de Couperin dans l’un des livres de musique d’Anna Magdalena
Bach, ne sont que les témoignages les plus célèbres de cette présence du répertoire français dans
les pratiques musicales de la famille Bach.71 Mais ces quelques manuscrits célèbres gagnent à être
replacés dans un contexte plus large et à être rapprochés d’autres sources, qui ne sont pas forcément
directement liées à Bach et permettent d’éclairer de façon décisive la manière dont la musique
d’orgue française a pu se disséminer en Allemagne. Le recensement de toutes les copies allemandes
de musique d’orgue (Tableau 4.5) permet de distinguer deux groupes : quatre sources copiées à

65 Bruce Gustafson, French Harpsichord Music of the 17th Century. A Thematic Catalog of the Sources with Commen-
tary, Ann Arbor 1977.
66 David Chung, Keyboard Arrangements of Music by Jean-Baptiste Lully, Monuments of Seventeenth-century Mu-
sic 1, Web Library of Seventeenth-Century Music, 2015.
67 Voir Louis Delpech, « “Einige Gute Französische Organisten”. The Dissemination of French Organ Music in
18-Century Germany », The Organ Yearbook, 44, 2015, p. 33-46. Je remercie Michael Heinemann, Peter Wil-
liams (†) et Peter Wollny pour leurs précieuses remarques à ce sujet.
68 BD III Nr. 666, p. 82 : « In der Orgelkunst nahm er sich Bruhnsens, Reinckens, Buxtehudens und einiger guter
französischer Organisten ihre Werke zu Mustern. »
69 Victoria Horn, « French Influence in Bach’s Organ Works », in : J. S. Bach as Organist. His instruments, music,
and performance practices, dir. George Stauffer et Ernest May, London 1986, p. 256-273. George B. Stauffer,
« Boyvin, Grigny, d’Anglebert and Bach’s assimilation of French classical organ music », Early Music, 21/1,
1993, p. 83-96. Siegbert Rampe, « Bachs Piece d’Orgue G-Dur bwv 572 : Gedanken zu ihrer Konzeption », in :
Bachs Musik für Tasteninstrumente, dir. Martin Geck, Dortmund 2003, p. 333-369.
70 Friedrich Wilhelm Marpurg, Johann Adam Hiller et Ernst Ludwig Gerber soulignent tous les trois l’intérêt
que Bach portait à l’œuvre de François Couperin. BD III, Dok. 632, p. 4, Dok. 749, p. 199, Dok. 949, p. 471.
71 Peter Wollny, « Zur Rezeption französischer Cembalo-Musik im Hause Bach in den 1730er Jahren: zwei neu
aufgefundene Quellen », in : In Organo Pleno. Festschrift für Jean-Claude Zehnder zum 65. Geburtstag, dir. Luigi
Collarile et Alexandra Nigito, Berne 2007, 265-276.

– 208 –
La dissémination de la musique

Weimar dans les années 1710, et cinq copiées plus tard à Berlin. Ces deux ensembles ne partagent
pas beaucoup de répertoire en commun, puisque seul Boyvin est représenté dans chacun d’eux.
En outre, ils semblent relativement distants l’un de l’autre, à la fois dans le temps et dans l’espace :
alors que les sources copiées à Weimar l’ont été pendant les années 1710, les sources berlinoises sont
beaucoup plus tardives et n’ont guère été copiées que dans les années 1750. Elles documentent de
ce fait un intérêt surprenant pour la musique d’orgue française du début du siècle dans les cercles
berlinois aux alentours de 1750, puisque cette musique était toujours copiée par Agricola, Harson
et Marpurg, ainsi que par le copiste anonyme désigné par le sigle CPE Bach VI.72

Les copies de Weimar


Les deux premières sources du tableau ont déjà été soumises à un examen attentif.73 Les études de
la calligraphie de Bach menées par Yoshitake Kobayashi sur le manuscrit de Francfort (D-F, Mus.
Hs. 1538) ont montré que Bach a dû copier le Livre d’orgue de Grigny à Weimar entre 1709 et 1712,
Tableau 4.5. Sources manuscrites de musique d’orgue française conservées en Allemagne.

Sigle Cote Copiste Date Compositeur


D-F Mus. Hs. 1538 Johann Sebastian Bach 1709-1712 (entre autres) Grigny
D-B Mus. ms. 8550 Johann Gottfried Walther 1709-1712 Grigny
D-B Mus. ms. 2329 Johann Caspar Vogler ca. 1710-1715 Boyvin
D-B Mus. ms. Bach P 801 Johann Gottfried Walther après 1712 (entre autres) Nivers
D-B Am. B. 529 Johann Friedrich Agricola après 1750? Lebègue, d’Anglebert, Boyvin,
Corrette, Guilain
D-B Am. B. 571 Friedrich Wilhelm Marpurg ca. 1750-1753 (seulement fugues) d’Anglebert,
Boyvin, Lebègue
D-B Mus. ms. 12680 Johann Samuel Harson Lebègue
D-B Mus. ms. 30189 – (entre autres) Guilain
D-B SA 4720 Copiste CPE Bach VI Lebègue, Boyvin, d’Anglebert,
Corrette

au même moment que la table d’ornementation issue des Pièces de clavecin de d’Anglebert et que
les trois premières suites de Dieupart. Le reste du manuscrit semble au contraire avoir été copié à
une date plus tardive, des modifications significatives pouvant être repérées dans la calligraphie
musicale de Bach.74 Le manuscrit de Walther (D-B, Mus. ms. 8550) a probablement été copié pen-
dant les mêmes années que celui de Bach. La page de titre du manuscrit reproduit exactement le
titre de la copie de Bach, qui est elle-même une copie fidèle du texte et de la disposition de la page
de garde de l’édition de 1699, sauf en ce qui concerne la dédicace qui n’est pas copiée, et la date
de 1699, qui est mystérieusement transformée en 1700 sur les deux manuscrits allemands alors
même qu’elle ne correspond à aucune édition connue.75

72 Eva Renate Blechschmidt, Die Amalien-Bibliothek : Musikbibliothek der Prinzessin Anna Amalia von Preußen
(1723-1787). Historische Einordnung und Katalog mit Hinweisen auf die Schreiber der Handschriften, Berlin 1965.
Le même copiste est appelé « Anon. 303 » par Paul Kast, Die Bach-Handschriften der Berliner Staatsbibliothek,
Trossingen 1958.
73 Kirsten Beißwenger, Johann Sebastian Bachs Notenbibliothek, Kassel 1992, p. 190-202. Ses conclusions sont dis-
cutées par Sean Patrick Redrow, The Livre d’Orgue of Nicolas de Grigny and the Livre copies of J.S. Bach and J.G.
Walther : a performing edition with critical commentary, DMA Dissertation, Boston University, 2009, p. 47-52.
74 NBA IX/2, éd. Yoshitake Kobayashi, p. 38.
75 Seul un exemplaire de l’édition originale de Grigny est conservé : F-Pn, Rés. Vmb 13. Un tirage plus tardif,
publié par Ballard en 1711, reçoit une nouvelle page de titre qui indique la date de 1711 : F-Pn, Vm7 1834.
Aucune autre édition n’est connue. Le titre de l’édition originale se présente comme ceci: premier livre
d’Orgue | contenant | une messe et les hymnes | des principalles festes de l’année | Composé |
par N. de Grigny | organiste de l’eglise | cathedralle de Reims | dédié | a messieurs les Vénérables
Prevost, Doyen, Chantre, | Chanoines, et Chapitre de l’Eglise Métropolitaine de Reims. | a Paris | Chez

– 209 –
Chapitre 4

Le manuscrit de Walther présente une autre particularité : la première page, réglée avec la
même patte que le reste du manuscrit et en haut de laquelle Walther a reporté le titre « Kyrie en
taille » ne fait apparaître que le début de cette pièce, copié par une autre main et laissé incomplet
(Illustration 4.2). Les quatre pages suivantes sont réglées mais laissées vides. La main de Walther
réapparaît à partir de la page 6 avec le « Trio en dialogue », jusqu’à la fin du recueil. Cet étrange
début suggère que le manuscrit a eu une histoire mouvementée. Walther n’a pas copié les cinq
pièces qui ouvrent le recueil, mais commence sa copie avec le Trio à la page 6, ce qui correspond à
la pagination de Bach. Le copiste du « Kyrie en taille » laisse sa copie inachevée, mais il a tracé ses
mesures à l’avance. On observe qu’il reproduit fidèlement la disposition adoptée par Bach, alors
même qu’elle ne correspond pas à la mise en page de l’édition originale et surcharge le dernier
système de la page avec 11 mesures.76 Ces deux observations très simples corroborent la thèse de
Redrow, qui soutient contre Beißwenger que le manuscrit de Walther a été copié sur celui de Bach
et non sur une tierce source commune.77

Illustration 4.2. Copie du livre d’orgue de Nicolas de Grigny par Johann Gottfried Walther : première page. D-B,
Mus. ms. 8550.

Pierre-Augustin le Mercier à l’entrée de la Rüe du Foin du côté de la Rüe St. Jacques. | vis-a-vis Saint- Yves. Et
à Reims Chez l’Auteur. | avec permission. m. dc. xcic. Gravez par Roussel.
76 Bach place également 7 mesures sur la premier système, 9 sur le deuxième et 11 sur le troisième. L’édition
imprimée adopte une répartition plus équilibrée avec 8 mesures sur le premier système, 10 sur le deuxième et 9
sur le dernier.
77 Redrow fait la liste des différences textuelles entre les deux manuscrits et l’édition originale et en conclut que
le manuscrit de Walther a été copié sur celui de Bach : The Livre d’Orgue, p. 70, 76 et 112. Beißwenger pense au
contraire que les deux manuscrits ont été copiés indépendamment à partir de la même source. Elle se fonde
principalement sur une analyse graphologique, qui indiquerait selon elle que Walther n’aurait copié son ma-
nuscrit qu’après 1717, date du départ de Bach de Weimar : Beißwenger, Johann Sebastian Bachs Notenbibliothek,
p. 198-199.

– 210 –
La dissémination de la musique

Une troisième source qui documente la réception de musique française à Weimar dans les
années 1710 est celle de Johann Caspar Vogler, qui a réalisé sa copie très fidèle des deux livres
d’orgue de Boyvin sous la supervision de Bach, alors qu’il étudiait avec lui entre 1710 et 1715.78
Cette copie ne présente presque aucune variante par rapport à l’édition originale, de sorte qu’il
est fort probable qu’elle ait été copiée directement sur elle. Pour les mêmes raisons, il est en re-
vanche très difficile de savoir si la copie de Vogler a servi de modèle à des manuscrits postérieurs.
La copie par Walther de quelques pièces d’orgue de Nivers, publiées à Paris en 1665, est également
intéressante : en l’absence de tout filigrane lisible dans la partition, Hermann Zietz date cette
copie de 1712 ou plus tard sur une base graphologique.79 L’écriture de Walther est ici identique à
celle du manuscrit de Grigny, et l’on peut donc penser que les deux sources ont été copiées dans un
laps de temps relativement bref. Mais ici, ni la page de titre ni l’intitulé des pièces ne sont repro-
duits. La première page du fascicule est simplement titrée : « Prelude 1. E. h. | Mr: Nivers ». En
fait, Walther sélectionne neuf pièces sur la centaine que comprend l’édition originale. Il recopie
intégralement la « Suite du quatrième ton », mais omet curieusement presque tous les ornements,
alors que tous les autres éléments sont copiés fidèlement.

Adam Sellius, libraire français


Comment expliquer la présence de ces partitions à Weimar ? Le catalogue de vente d’un libraire
français installé à Halle, Adam Sellius, que nous avons découvert aux archives de Dresde, permet
de proposer une réponse.80 Ce catalogue présente une longue liste d’ouvrages imprimés en fran-
çais ou en latin parmi lesquels se trouve un petit nombre d’imprimés musicaux. Parmi ceux-ci,
on voit apparaître la Messe du huitième ton de Gaspard Corrette.81 Il s’agit là de la seule édition
de l’œuvre, publiée chez Foucault en 1703.82 Cette découverte est importante à plusieurs titres.
D’abord, elle vient nuancer une idée très répandue selon laquelle les imprimés musicaux parisiens
n’auraient pas été vendus à l’étranger ni, en particulier, sur les foires de Francfort et de Leipzig.83
Il est vrai que la grande compilation de Göhler, qui recense tous les imprimés vendus sur les foires
de Francfort et Leipzig entre 1564 et 1759, ne fait apparaître aucun imprimé français, puisqu’elle
repose exclusivement sur le dépouillement des catalogues publiés par les maisons de librairie alle-
mandes.84 Celles-ci ne vendent que des éditions musicales allemandes, hollandaises ou italiennes.

78 Horn, « French Influence », p. 259. Horn affirme que le papier est identique dans la copie de Bach et dans
celle de Vogler sans justification. Beißwenger écrit avec un renvoi à l’article de Horn que les deux manuscrits
présentent le même filigrane (p. 52). Stauffer suit l’affirmation de Beißwenger, et franchit un pas de plus en
donnant un numéro de filigrane suivant la classification proposée par la NBA avec une référence à l’article de
Horn (p. 84). Nous n’avons pas pu identifier de filigrane sur le manuscrit de Vogler.
79 Hermann Zietz, Quellenkritische Untersuchungen an den Bach-Handschriften P 801, P 802 und P 803 aus dem
« Krebs’schen Nachlass » unter besonderer Berücksichtigung der Choralbearbeitungen des jungen J. S. Bach, Ham-
bourg 1969, p. 209.
80 HStA Dresden, 10484 Grundherrschaft Polen bei Neustadt, Nr. 316 : XXI. Supplement. | du Catalogue des
Livres nouveaux françois & | latins pour la Foire de Pâques 1711, qui se | trouvent a Halle & Leipzig dans le
Rot- | haupt hoff chez Adam Christoffle Sellius Li- | braire François.
81 Avant-dernière page, non paginée : « Messe du 8. ton pour l’Orgue pour l’Usage des Dames religieuses &
utile à ceux qui touchent l’Orgue, composée par Gaspard Corrette. | XII. Sinphonie da Chiesa a due Violini
col Basso per l’Organo & una Viola a beneplacito di Manfredini Opera Seconda | Les Fantaisies Bizarres de
la Goutte contenant XII. Sonates pour une Viole de Gambe seule avec la basse par Mr. Schenck opera decima
| Six Sonates a un Violon Seul & Basse par Richman opera seconda | IX. Suittes pour le Clavessin par Pierre
Bustyn opera prima. | VI. Suittes pour le Clavessin par Van Oevering opera prima. »
82 Messe du 8.e ton pour l’orgue | a L’Usage des Dames Religieuses, et | utile a ceux qui touchent l’orgue. |
Composée Par | Gaspard Corrette organiste de l’Eglise Saint | Herbland de Roüen. | Gravé par H. de Baus-
sen. | a paris | Chez H. Foucault marchand rue S.t Honnoré proche la rüe de la lingerie a la | Regle dor | Et a
Rouen Chez l’Autheur | avec privilege du roy. Le prix est de 4 ll. La date de publication n’apparaît pas sur
la page de titre, mais dans l’extrait de privilège reproduit en début de volume.
83 Voir par exemple Laurent Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, imprimeurs du roi pour la musique (1599-
1673), Sprimont 2003, p. 75.
84 Albert Göhler, Verzeichnis der in den Frankfurter und Leipziger Messkatalogen der Jahre 1564 bis 1759 angezeigten
Musikalien, Leipzig 1902.

– 211 –
Chapitre 4

En revanche, les libraires français comme Sellius ou son prédécesseur Lefebvre semblent avoir
assuré la dissémination des imprimés musicaux produits par les grandes maisons parisiennes sur
les foires de Leipzig et Francfort.85
Ensuite, une copie de la Messe du huitième ton de Gaspard Corrette de la main de Johann
Friedrich Agricola se trouve à Berlin. Adam Sellius est donc certainement une figure tout à fait
centrale pour comprendre comment des imprimés musicaux parisiens ont pu être diffusés à
Halle, Weimar et Leipzig. Il semble par ailleurs avoir cultivé des liens assez étroits avec la cour de
Weimar à l’époque où Bach y était Konzertmeister. En effet, Sellius figure parmi les vendeurs sur
la page de titre de l’édition des Six Concerts du prince Johann Ernst von Sachsen-Weimar, publiés
à l’initiative de Telemann après la mort du jeune prince en 1718, et dont Bach tira le concerto
pour orgue bwv 592.86 D’autre part, Sellius a aussi vendu dans sa boutique de Halle les Six Sonates
à violon seul de Telemann, qui étaient dédiées au prince Johann Ernst.87 Enfin, Adam Sellius est
listé comme agent pour l’éditeur d’Amsterdam Étienne Roger dans un catalogue de 1712.88 Le
fait que la messe de Corrette apparaisse en 1711 dans le catalogue d’un libraire français lié à la
cour de Weimar et qui connaissait personnellement Telemann est donc un élément essentiel pour
expliquer la présence de cette œuvre dans un manuscrit réalisé par un autre élève de Bach, Johann
Friedrich Agricola. Cela inciterait alors à réviser la datation de ce manuscrit proposée par Alfred
Dürr et à faire l’hypothèse que ce manuscrit a été copiée pendant la période où Agricola étudia
l’orgue avec Bach à Leipzig entre 1738 et 1741. Ceci éclaire du même coup de façon tout à fait
neuve et décisive l’ampleur du répertoire d’orgue présent dans la bibliothèque musicale de Bach à
Leipzig. Là encore, une étude diachronique de la calligraphie d’Agricola est l’étape indispensable
qui permettrait de valider, ou d’invalider, cet ensemble d’hypothèses.

Les copies berlinoises


Le second groupe de sources d’orgue, copiées par des musiciens berlinois, est dominé par une
grande uniformité dans le choix du répertoire : Nicolas Lebègue, Jacques Boyvin, Gaspard
Corrette, Jean-Henry d’Anglebert et Jean-Adam Guilain sont tous représentés dans plusieurs
sources, alors même que d’autres grands organistes français contemporains brillent par leur ab-
sence, notamment François Couperin, André Raison ou Louis Marchand.
Le manuscrit Am. B. 529, copié par Agricola, est sans doute le plus fascinant de tout ce
groupe. Il s’agit d’une immense collection de pièces d’orgue françaises, copiées par Agricola dans
son écriture caractéristique par sa netteté. Le volume est en format in-folio et semble avoir été
copié sur une période relativement courte : les clés et les titres ont la même allure d’un bout à
l’autre du manuscrit, tandis que toutes les pages semblent réglées avec la même patte. La reliure
du manuscrit rassemble trois ensembles de cahiers, chaque cahier reçevant une numérotation
différente selon les ensembles.89 Sur la base de l’écriture et en l’absence de tout filigrane lisible,
Alfred Dürr date ce manuscrit de la période tardive d’Agricola, soit après 1750.90 Le contenu du
manuscrit Am. B. 529 est tout à fait étonnant, puisqu’il rassemble une grande quantité de pièces
pour orgue accompagnées de préfaces sur la registration, le tout étant tiré de plusieurs sources
imprimées. Soixante pièces et une préface de Lebègue sont empruntées aux trois livres d’orgue
et surmontées d’un titre en français :

85 David L. Paisey, Deutsche Buchdrucker, Buchhändler und Verleger 1701-1750, Wiesbaden 1988, p. 243.
86 D-WRz, Mus. IV V f: 20 (a).
87 Zohn, Music for a Mixed Taste, p. 145 et 271.
88 Rudolf Rasch, « Publishers and Publishers », in : Music Publishing in Europe 1600-1900. Concepts and Issues,
Bibliography, dir. Rudolf Rasch, Berlin 2005, p. 186.
89 Les pièces de Lebègue et d’Anglebert sont copiées sur six cahiers numérotés en chiffres arabes de 2 à 6, Boyvin
et Corrette sur cinq cahiers numérotés en chiffres arabes de II à V, et les pièces de Guilain sont copiées sur les
trois derniers cahiers.
90 Alfred Dürr, « Zur Chronologie der Handschrift Johann Christoph Altnickols und Johann Friedrich Agrico-
las », Bach Jahrbuch, 56, 1970, p. 53.

– 212 –
La dissémination de la musique

Pieces d’Orgues [sic], | recueillies | des trois Livres d’Orgue | de | Mr. le Begue | Organiste du Roi, et
de St. Mederic. | 167-.
Le fait qu’Agricola insère une date approximative de publication sur sa propre page de titre est
tout à fait frappant, puisque les dates n’apparaissent jamais dans les éditions originales de ces
livres d’orgue. Seul l’Extrait du privilège du roy, imprimé dans la première édition du premier
volume, est daté du 1er avril 1676. Agricola semble donc avoir eu accès à cette première édition,
dont il copie également la préface sur la registration et l’erreur typographique dans le titre. Il
aurait alors supposé que les trois livres de Lebègue avaient été publiés dans les années 1670, alors
même que le troisième livre fut probablement publié seulement après 1685.91 Les trois livres sont
inégalement représentés dans le manuscrit d’Agricola : 48 pièces proviennent du premier livre,
mais seulement 3 du deuxième et 9 du troisième livre. Ceci peut sans doute s’expliquer par le
contenu des livres : dans sa préface au second livre, l’éditeur affirme que le premier était conçu
pour les musiciens professionnels, tandis que le second était destiné aux amateurs.92 Le contenu
du troisième livre, qui présente une immense collection d’offertoires très longs, de brèves éléva-
tions et de noëls, a quant à lui sans doute paru un peu étrange à Agricola.
Parmi les pièces du premier livre, Agricola omet généralement les préludes, ainsi que les
dialogues et pleins jeux qui concluent chaque suite.93 En revanche, il copie toutes les fugues ainsi
que toutes les tierces en taille et tous les cromornes en tailles.94 Le Quatuor sur le Kyrie à trois Sujets
tirés du plein chant, extrait des Pièces de clavecin de d’Anglebert, est copié sur la dernière page du
premier ensemble de cahiers. On peut supposer qu’Agricola s’est servi de l’édition parisienne
de 1689 plutôt que de celle, plus précoce, de Roger, car il copie en tête du quatuor un « Avis de
l’Auteur » qui n’est pas reproduit dans l’édition de Roger.95
La copie du premier livre d’orgue de Boyvin s’ouvre avec une page de titre similaire à celle
placée en tête des pièces de Lebègue. Là encore, la longue préface sur la registration (« Avis,
concernant le mêlange des Jeux de l’Orgue, les mouvements, et le toucher ») est copiée intégrale-
ment en français. Deux commentaires sont simplement insérés en allemand. Le premier est une
simple traduction du verbe tirer, signifiant dans ce contexte qu’on tire un clavier sur l’autre afin
de les coupler :
Pour le Plein Jeu dans les Orgues amples, ou il y a Positif, on tire (koppelt) les Claviers ensemble […].96

Le second commentaire est une note insérée en bas de page, qui explicite là encore en allemand
le sens d’un terme technique :
Cette maniere est plus belle, et plus difficile : a moins qu’on ne soit aidé d’une Tyrasse [renvoi en bas de
page: das heißt ein an das Hauptclavier angehängtes, dasselbe mit niederziehendes Pedal] ou Marchepieds
(Pedal).97
Agricola ressent sans doute le besoin de noter ce qu’est une tirasse pour la simple et bonne raison
que ce dispositif, qui permet de coupler le pédalier avec l’un des claviers de l’orgue, est extrême-
ment rare dans les instruments de facture allemande.

91 Norbert Dufourcq, Nicolas Lebègue (1631-1702). Étude biographique suivie de nouveaux documents inédits relatifs à
l’orgue français au xviie siècle, Paris 1954, p. 94.
92 Nicolas Lebègue, Second livre d’orgue, Paris [c.1676], préface non paginée : « [Lebègue] a travaillé dans le pre-
mier particulierement pour les Sçavans, Et dans celuy cy, son dessein a esté de travailler principallement pour
ceux qui n’ont qu’une science mediocre. »
93 Les préludes des 4e et 8e suites sont cependant copiés, de même que les dialogues des 1e, 3e et 7e suites, et enfin
les pleins jeux des 1e et 8e suites.
94 Lebègue écrit dans sa préface à propos de ce type de pièces : « Cette maniere de Verset est à mon avis la plus
belle et la plus considérable de l’Orgue. » Agricola copie cette phrase au fol. 2 de son manuscrit.
95 « Avis de l’Auteur. Cette piece ne peut bien faire son effet que sur un grand Orgue, et même sur quatre Claviers
differens, j’entens trois Claviers pour les mains, et le Clavier des Pedales, avec des jeux d’egale force, et de dif-
ferente harmonie, pour faire distinguer les entrées des parties. l’an 1689 ».
96 D-B, Am. B 529, fol. 35.
97 D-B, Am. B 529, fol. 35.

– 213 –
Chapitre 4

La copie de la Messe du huitième ton de Gaspard Corrette est faite de façon plus sélective,
puisque seulement dix pièces sont copiées en plus de la préface. Ceci est peut-être dû à la relative
médiocrité musicale de cette messe, qui reste volontairement simple puisqu’elle est destinée aux
couvents. Il copie en revanche l’intégralité du livre d’orgue de Guilain, pour autant que nous
puissions en juger en l’absence de toute édition originale. Ce n’est pas un mystère, étant donné la
profondeur et la beauté du livre d’orgue de Guilain.
Le manuscrit d’Agricola a servi de modèle pour deux autres sources berlinoises. La copie de
deux suites de Lebègue (D-B, Mus. ms. 12680) fait apparaître au début la même page de titre que
celle d’Agricola, qui fait référence aux trois livres d’orgue bien qu’en réalité, ce manuscrit ne copie
que des pièces du premier livre. Le copiste reprend les mêmes pièces qu’Agricola, et reproduit la
plupart des variantes d’ornementation introduites par Agricola par rapport à l’édition originale.
Le nom du copiste est indiqué sur la page de titre : il s’agit de Johann Samuel Harson, élève de
Kirnberger qui avait une importante collection de musique et était actif comme organiste de la
Marienkirche à Berlin de 1780 jusqu’à sa mort en 1792.98 L’autre copiste qui prend apparemment
Agricola pour modèle est CPE Bach VI. Le contenu de son manuscrit (D-B, SA 4720) tire de toute
évidence son origine d’Agricola, puisqu’il reproduit dans une fugue de Boyvin l’une des rares
variantes rythmiques que l’on peut observer chez Agricola.
Le copiste du manuscrit Am. B 571 a récemment été identifié par Peter Wollny comme étant
Friedrich Wilhelm Marpurg. Le papier du manuscrit est typiquement prussien, et Marpurg au-
rait donc copié ces pièces à Berlin, après son retour de Paris en 1749.99 Comme le manuscrit ne
comprend que des fugues, il a probablement été pensé comme une sorte d’anthologie française
pour fournir les exemples de l’Abhandlung von der Fuge (1753), et doit donc avoir été copié avant la
publication du traité.100 Le manuscrit de Marpurg contient six fugues de d’Anglebert, une fugue
de Kerll, quatre de Boyvin et quatre de Lebègue. La similitude du répertoire avec Am. B. 529
est frappante. Cependant, Marpurg tire des Pièces de clavecin de d’Anglebert non pas le quatuor
comme l’avait fait Agricola, mais les six fugues sur un même sujet. Il s’agit là d’une première preuve
que Marpurg avait accès à l’édition originale et pas seulement à la copie d’Agricola. En outre,
la variante rythmique introduite par Agricola dans une des fugues de Boyvin et reproduite par
CPE Bach VI n’est pas suivie par Marpurg, qui se conforme au texte de l’édition originale. On peut
penser que Marpurg a eu accès aux éditions originales pour toutes les fugues qu’il a copiées. Le fait
que Marpurg retire tous les ornements montre qu’il était sans doute plus intéressé par les aspects
contrapunctiques que par l’exécution de ces pièces. La réponse à la question de savoir si Marpurg
aurait pu avoir accès à ces fugues par l’intermédiaire de Johann Sebastian Bach, de sa famille
ou d’Agricola est conditionnée à la réponse que nos futures recherches apporteront à l’ensemble
d’hypothèses émises plus haut à propos du manuscrit Am. B 529. Contentons-nous pour l’heure
de noter la parenté de répertoire entre les deux manuscrits, qui pourraient indiquer que Agricola
et Marpurg ont copié à partir des mêmes éditions, bien qu’en poursuivant des objectifs distincts.
Le manuscrit Mus. ms. 30189 est le plus mystérieux de toutes les sources berlinoises. D’une
main inconnue, il reproduit les Pièces d’orgue de Guilain et présente très peu de divergences avec
la copie d’Agricola. Cependant, la page de titre de l’édition originale (aujourd’hui perdue) semble

98 Tobias Schwinger, Die Musikaliensammlung Thulemeier und die Berliner Musiküberlieferung in der zweiten Hälfte
des 18. Jahrhunderts, Beeskow 2006, p. 153.
99 Peter Wollny, « Anmerkungen zu einigen Berliner Kopisten im Umkreis der Amalien-Bibliothek », Jahrbuch
des Staatlichen Instituts für Musikforschung, Preußischer Kulturbesitz, 1998, p. 152-153.
100 La première fugue de d’Anglebert copiée par Marpurg est reproduite comme exemple 1 dans la table xxii.
Deux fugues de Boyvin, également présentes dans le manuscrit, sont données comme exemples musicaux dans
l’Abhandlung : la fugue grave de la première suite (xxix.1) et celle de la huitième suite (xxvii.7). Le texte des
exemples imprimés est le même que celui du manuscrit, c’est-à-dire presque sans ornements. Un autre exemple
est attribué par Marpurg à « Le Bègue », mais il ne figure pas parmi les fugues copiées par Marpurg et nous
n’avons pas réussi à trouver sa source.

– 214 –
La dissémination de la musique

avoir été copiée plus fidèlement par ce copiste, puisqu’il donne l’adresse parisienne de Guilain et
du facteur d’orgue Cliquot où l’édition pouvait être achetée :
Pieces d’Orgue | pour | Le Magnificat | Sur les Huit Tons differens de l’Eglise | dediees | A Monsieur
Marchand | Organiste | de St. Honoré, des RR. PP. Jesuites et du grand | convent des RR. PP. Cordeliers
| Par Mr. Guilain | organiste et maitre de Clavecin à Paris | Suite du 1. Ton | l’an MDCCVI. | Se vend
a Paris | chez l’auteur carrefour des Trois Maries au bout du Pont neuf. | le Sr. Cliquot Facteur d’Orgue
du Roi, ruë | Philippe au proche le temple

Ce simple détail suffit à prouver que le copiste n’a pas utilisé l’exemplaire personnel d’Agri-
cola pour réaliser sa copie, mais bien plutôt l’édition originale. Sur la même page de titre du
Mus. ms. 30189, on trouve une liste de dix titres accompagnés de prix, copiée par le même copiste
que le reste du manuscrit. Ces titres ont été identifiés par Philippe Lescat101 comme des œuvres de
Telemann, libellées en français exactement comme elles apparaissent dans un catalogue imprimé
en 1733 à Amsterdam.102 Les prix, toutefois, n’apparaissent pas dans la devise hollandaise utilisée
dans le catalogue, mais en Thaler et Groschen. Ceci pourrait être une bonne raison de supposer
que ce manuscrit a été copié en Allemagne après 1733, mais seules de futures recherches pourront
permettre de répondre de façon satisfaisante à cette question.

La musique française dans les collections manuscrites


Le plus grand ensemble de sources manuscrites de suites pour orchestre est sans doute conservé
à la bibliothèque de Dresde, et provient en droite ligne de la Hofkapelle de la cour. Une particula-
rité de ce fonds, qui fait aussi son intérêt pour une histoire des pratiques, est d’être sous la forme
de parties séparées manuscrites, qui ont été écrites pour une formation particulière et ont été
jouées. Quelques fragments du répertoire français de la cour de Hanovre susbistent également
sous forme de partitions manuscrites à la bibliothèque de Darmstadt et dans les collections de
Londres : il ne s’agit pas là d’œuvres françaises connues, mais d’un ensemble très varié transmis
de façon anonyme, et dont de larges parts ont été composées par les musiciens français de la cour.
La compilation de Trios de differents autheurs par Charles Babel, publiée en deux volumes en 1697
et 1698 à Amsterdam chez Étienne Roger, donne également un aperçu tout à fait intéressant sur
ce que pouvait être le répertoire de suites orchestrales utilisé par la cour. Il en va de même pour
les Concerti da camera de François Venturini, qui peuvent donner un éclairage très précieux sur
les pratiques orchestrales de la Hofkapelle de Hanovre, ainsi que sur la place et le statut de pro-
ductions suivant un modèle français.

Les suites françaises dans le répertoire de la Hofkapelle de Dresde


Le répertoire orchestral issu de la Schranck No: II, une armoire des archives musicales de l’église
catholique de la cour de Dresde, a récemment fait l’objet d’un projet de recherche qui a permis de
dresser le catalogue exhaustif des sources ainsi que des copistes et des filigranes, et a abouti à la
numérisation de l’ensemble des sources, désormais consultables en ligne.103 Ce travail vient s’ajou-
ter à une importante bibliographie qui avait déjà défriché le terrain et proposé plusieurs avancées
importantes sur l’identification des copistes et des filigranes, à l’occasion de recherches portant
sur des parties isolées de ce vaste ensemble – notamment les sources de Vivaldi et de Telemann.
Le répertoire issu de cette fameuse armoire, où il était conservé depuis 1765 environ, comprend
1700 pièces et est aujourd’hui conservé à la bibliothèque de Dresde (SLUB). En 1760, lors du
bombardement de Dresde par les armées prussiennes, les archives musicales de la cour ainsi que
la réserve des instruments de musique partirent en flammes. Les partitions qui avaient survécu

101 Jean-Adam Guilain, Pièces d’orgue pour le Magnificat, facsimile, éd. Philippe Lescat, Paris 2002, p. v.
102 Ce catalogue est édité dans le Telemann Werk-Verzeichnis, vol. 1, éd. Martin Ruhnke, Kassel 1984, p. 233.
103 Schranck No: II – Das erhaltene Instrumentalmusikrepertoire der Dresdner Hofkapelle aus den ersten beiden Dritteln
des 18. Jahrhunderts, dir. Gerhard Poppe, Beeskow 2012.

– 215 –
Chapitre 4

à l’incendie furent entreposées vers 1765 aux archives de l’église catholique, dans l’armoire n° 2.
Dans l’armoire n° 3 étaient conservées les compositions pour l’église, dont seulement une partie
survit encore aujourd’hui, comme on peut le constater en consultant le catalogue de 1765.104 C’est
lors de ce transport que les partitions furent soigneusement classées et dotées de couvertures
caractéristiques et facilement reconnaissables, encore conservées aujourd’hui. Celle-ci précisent
pour chaque ensemble de parties séparées le casier de l’armoire dans lequel elles étaient rangées
et leur numéro de classement à l’intérieur de ce casier. Outre ces informations, chaque couver-
ture fait également apparaître une formation instrumentale, le nombre de parties séparées, le
cas échéant l’identification du compositeur, et l’incipit musical de la partie de dessus. Le matériel
musical offre donc un reflet fidèle, quoiqu’incomplet, du répertoire instrumental de la Hofkapelle
sous le règne d’Auguste le Fort.

Matériel d’orchestre et répertoire français


Parmi les compositeurs français représentés dans les parties séparées en usage à la Hofkapelle de
Dresde, on trouve les principaux compositeurs produits par l’Académie royale de musique entre
1670 et 1730 : Jean-Baptiste Lully, Pascal Collasse, Marin Marais, André Campra, Louis Lully,
André Cardinal Destouches et Jean Joseph Mouret. Les suites orchestrales sont extraites avant
tout d’œuvres lyriques. On trouve également des personnalités musicales actives en Allemagne :
Melchior d’Ardespin travaillait pour la cour de Munich entre 1666 et sa mort,105 François
Venturini était actif à Hanovre.106 Restent deux compositeurs au patronyme francisant, mais
sur lesquels nous ne savons rien : Boste et Cossaque.
L’écrasante majorité du répertoire se concentre sur quelques figures canoniques : sur 48
suites, 17 sont de Lully et 5 sont de Campra. Les autres compositeurs français les plus représen-
tés sont Venturini, avec 10 suites, et Dieupart, avec 5 suites. Les suites de Dieupart sont, de leur
côté, les seules sources de cette musique et l’attribution à Dieupart ainsi que les circonstances de
leur composition et de leur transmission demeurent donc mystérieuses. Les autres compositeurs
ne sont représentés que par une seule suite. D’autres compositeurs plus tardifs brillent par leur
absence. C’est en particulier le cas de Jean-Philippe Rameau, dont aucune source manuscrite n’est
conservée à Dresde alors même que la cour avait en sa possession un grand nombre de partitions
imprimées de cet auteur.
Les parties séparées des suites d’origine française sont réalisées par cinq copistes principaux.
Johann Jacob Lindner (c.1653-1733) est le plus représenté, puisqu’il est le copiste principal de 16
jeux de parties séparées.107 Employé dans la Hofkapelle de Dresde comme ténor en 1677, il cumule
ces fonctions avec celles de copiste à partir de 1680. En 1700, il devient Vice-Hofcantor à la chapelle
protestante de la cour tout en continuant à exercer comme copiste.108 Son écriture caractéristique,
très ornée, qui emploie occasionnellement une encre rouge pour les titres des parties séparées et
la clé de la première portée, est très facilement reconnaissable. Il copie aussi de nombreuses par-
ties séparées dans des genres très divers, notamment des œuvres de Telemann, Heinichen, Lotti,
Fux et Johann Christoph Schmidt. Le second copiste le plus représenté est Johann Wolfgang
Schmidt (1677-1744), avec cinq ensembles de parties séparées transmettant exclusivement des
suites de Lully.109 En plus de ses fonctions de copiste, il était actif comme organiste de la cour de
1709 à 1728 environ. Son écriture très nette est bien identifiable. Jean Prache du Tilloy était actif

104 Horn et Kohlhase, Zelenka-Dokumentation. Quellen und Materialien, vol. 2, p. 225-276.


105 Anton Würz, « d’Ardespin, Melchior », in : MGG online.
106 La date de naissance hypothétique de Venturini est donnée sans justification par Andreas Waczkat dans la
notice qu’il consacre au compositeur dans la MGG. Comme rien n’est connu de la vie de François Venturini
avant son arrivée à Hanovre, elle est à prendre avec précaution.
107 Mus. 1827-F-15, 15a, 21, 32, 33, 35, 36. Mus. 1859-F-2a. Mus. 2124-F-9. Mus. 2142-O-3, O-5. Mus. 2148-F-2.
Mus. 2174-O-1, O-2, Mus. 2231-F-1. Mus. 2394-N-3.
108 Landmann, Über das Musikerbe der sächsischen Staatskapelle, p. 163.
109 Mus. 1827-F-2, 6, 8, 30, 34.

– 216 –
La dissémination de la musique

comme violoncelliste à Dresde depuis 1699, où il meurt en 1734.110 Il est le seul, parmi les copistes
de la cour, à être francophone de naissance, et rédige de ce fait les nomenclatures et indications
en français, dans une écriture propre et caractéristique. Seuls trois jeux survivent de sa main,
tous trois issus du répertoire français de la comédie.111 Prache n’a probablement copié que de la
musique française, mais la majeure partie de sa production a brûlé dès 1760 et ne peut plus être
reconstruite aujourd’hui. Deux copistes anonymes (désignés par les acronymes S-Dl-001 et u)
sont chacun représentés dans quatre jeux de parties séparées transmettant des suites de Lully,
Campra, Venturini et d’Ardespin.112
La classification générique qui figure sur les chemises de chaque jeu de parties séparées est
très intéressante. Ces chemises, bien que probablement réalisées après la mort de Johann Georg
Pisendel, donnent une idée de la manière dont on perçevait dans les années 1760 un répertoire déjà
ancien. On peut en outre émettre l’hypothèse qu’elles reprenaient la désignation générique qui se
trouvait sur les chemises originales. Sur 48 jeux, 33 portent la désignation « Ouverture ». C’est le
cas de toutes les suites de Lully,113 de toutes celles de Campra, et des suites d’Ardespin, de Marais, de
Destouches, de Louis Lully, de Collasse, de Boste et de Mouret. Une seconde désignation générique
vient qualifier 12 jeux de parties séparées : « Concerto ». C’est le cas pour les suites de Dieupart et
de Cossaque. Les suites de Venturini sont tantôt désignées par le terme d’ouvertures, tantôt par
celui de concerto, suivant en cela la double désignation proposée par l’auteur lui-même en tête de
chacun de ses Concerti di camera (Amsterdam 1714), qui sont tous appelés « Sonata » dans le corps
de la partition, mais dont le mouvement initial est tantôt désigné comme une ouverture, tantôt
comme un concerto. Deux jeux de parties séparées ne sont pas classés d’un point de vue générique
sur leur chemise, et deux autres reçoivent des désignations exceptionnelles.114 On peut donc bien
voir que le répertoire tiré des tragédies en musique données à l’Académie royale de musique est lar-
gement subsumé sous l’étiquette d’ouverture. À l’inverse, certaines compositions françaises plus
modernes – et, d’un point de vue stylistique, beaucoup plus italianisantes – sont regroupées sous
l’étiquette de « Concertos », même si certaines d’entre elles, comme les concertos de Venturini,
n’adoptent pas la succession de trois mouvements propres au concerto italien (Allegro, Lento ou
Adagio, Allegro) mais se rapprochent plutôt d’une courte suite, introduite par un mouvement
concertant en lieu et place d’une ouverture. Quelques œuvres sont cependant des concertos au sens
traditionnel du terme : c’est le cas des deux concertos de Guignon, du concerto de Cossaque et des
cinq concertos de Dieupart. Dans ces derniers cas, la catégorie de suite orchestrale ne peut donc pas
du tout être appliquée. Dans les développements suivants, nous nous concentrerons sur la partie
du fonds composée des Ouvertures. Nous reviendrons sur les concertos en fin de développement,
pour tenter de cerner en quoi les pratiques orchestrales attachées à ce genre pouvaient différer de
celles qui présidaient à l’exécution des ouvertures.

Pratiques orchestrales et disciplinisation


Les parties séparées de Dresde jettent une lumière particulièrement intéressante sur les pratiques
d’orchestre. Depuis une vingtaine d’années, la question des pratiques instrumentales françaises et
de leur diffusion dans le monde germanique a bénéficié d’une attention renouvelée.115 La dissémi-

110 Pour les détails biographiques le concernant, ainsi qu’un aperçu concret sur sa pratique de copiste, voir p. 187.
111 Mus. 1827-F-13, 31. Mus. 2111-F-3.
112 S-Dl-001 : D-Dl Mus. 1827-F-17, Mus. 1850-N-1, Mus. 2124-F-2, Mus. 2142-O-2. U : Mus. 2-O-16.1, Mus.
2124-F-5, Mus. 2124-F-6, Mus. 2124-F-10 et Mus. 2174-O-3.
113 À l’exception de Mus. 1827-F-37, qui ne porte aucune désignation générique.
114 Sont sans désignation générique : Mus. 1827-F-37, Mus. 2957-O-1. Une suite de Venturini est désignée comme
« Sonata » (D-Dl, Mus. 2142-O-3). Une sonate de Leclair est désignée comme « Solo » (D-Dl, Mus. 2484-R-3).
115 Köpp, Johann Georg Pisendel, p. 273-328. John Spitzer et Neal Zaslaw, The Birth of the Orchestra. History of an
Institution 1650-1815, Oxford 2004, p. 216-228. Scharrer, Zur Rezeption, p. 59-68 et 246-257. L’orchestre à cordes
sous Louis XIV. Instruments, répertoires, singularités, dir. Jean Duron et Florence Gétreau, Paris 2015. Bernard

– 217 –
Chapitre 4

nation de pratiques d’exécution françaises pour les cordes, documentée par de nombreuses sources
germanophones, est illustrée de manière fameuse par la longue préface du Florilegium secundum de
Muffat, mais également par des sources moins connues. Spitzer et Zaslaw voient dans ce proces-
sus l’une des sources de l’orchestre moderne, l’adoption de pratiques orchestrales françaises ayant
entraîné une mutation profonde des ensembles de cour allemands à travers un accroissement sans
précédent des effectifs et une standardisation progressive des habitudes de jeu.116
L’acquisition d’une discipline de groupe spécifique était en effet un enjeu particulièrement
saillant dans l’adoption d’un style d’exécution français par les ensembles instrumentaux du monde
germanique. Deux éléments concentrent l’attention des réformateurs et des observateurs : l’uni-
fication des coups d’archet et la pratique du jeu par cœur. Les témoignages à ce propos émanent
surtout des cours de Stuttgart et d’Ansbach, dans la mesure où les musiciens français y étaient peu
nombreux. Dès 1670, le duc de Württemberg Eberhard III se plaint que « les instrumentistes d’ici
ne sont pas même en mesure d’exécuter parfaitement une courante à la manière française117 ».
Quinze ans plus tard, les règles rédigées pour la Hofkapelle de Stuttgart par la duchesse et régente
Magdalena Sibylla en 1684 font encore apparaître clairement les difficultés liées à l’apprentissage
du style français : le répertoire français « exige tout particulièrement un exercice quotidien »
et les musiciens ne doivent pas manquer les répétitions.118 Mattheson, qui loue « l’exécution si
admirable, si unie et si ferme » des Français, mentionne également leur habitude de répéter leur
partie un nombre indéfini de fois, jusqu’à pouvoir la jouer presque de mémoire, ce qui contredit
les habitudes allemandes :
Mais ils l’apprennent d’abord presque par cœur, et n’ont pas du tout honte, comme les Allemands, de
travailler quelque chose et de le répéter une bonne centaine de fois, pour que cela aille bien, ce dont
certains parmi nous ne laissent pas de se moquer mal à propos, et pour tout dire par principio pigritiae
[principe de paresse].119

La rédaction de « règles » pour la Hofkapelle de Stuttgart semble avoir été le résultat d’une crise
interne parmi les musiciens. Le diagnostic assez sévère porté sur les musiciens par le duc Friedrich
Carl, qui assurait la régence pour le jeune duc de Württemberg Eberhard Ludwig avec la mère de
celui-ci, vaut d’être cité longuement :
lorsque les musiciens de la cour font leur service à la table princière ou bien dans les appartements, et qu’ils
doivent exécuter des pièces que l’on aime à entendre, notamment les Entrées, Ouvertures, Courantes
françaises et autres, ou bien elles leurs sont inconnues par manque d’entraînement, ou bien alors, certains
d’entre eux devant s’aider d’une partie séparée ou d’un livre, ils ne peuvent pas s’en sortir correctement
et ces pièces perdent leur grâce, et les irrégularités de tempo et les coups d’archets à contresens troublent
l’harmonie. Mais si les personnes qui doivent jouer ce répertoire avaient chacun pour soi leur partem ou
partie séparée individuelle, s’étant familiarisé avec elle en l’ayant copiée de leur propre main, l’ayant bien
travaillée seul à la maison et dans les répétitions communes [exercitiis musicis], ils pourraient en cas de
besoin la jouer sans avoir de livre devant soi, l’exécuter par cœur, et par là se prémunir et être en mesure
d’exécuter lesdites pièces dans le style qui leur est propre.120

Bardet, Les Violons de la musique de la chambre du roi sous Louis XIV, Paris 2016, en particulier p. 25-42. Luc-
Charles Dominique, Les « bandes » de violons en Europe : Cing siècles de transferts culturels des anciens ménétriers au
Tsiganes d’Europe, Turnhout 2018, p. 399-572.
116 Spitzer et Zaslaw, The Birth of the Orchestra, p. 221-238.
117 Sittard, Zur Geschichte, vol. 1, p. 59 : « dißmals befindliche Instrumentisten nicht einen Courrant nach franzö-
sischer manier perfect aufführen könden ».
118 Owens, The Wurttemberg Hofkapelle, p. 14-15. Magdalena Sibylla, Règles de 1684, citées ici dans la version
allemande : « Und nachdeme, sehr vihl, an denen Exercitÿs Musicis Gelegen ist, welche eine Zeithero abson-
derlich in frantzösischen Sachen, welche doch Insonderheit eines Täglichen exercitÿ nöthig haben… »
119 Mattheson, Das Neu-Eröffnete Orchester, p. 226 : « ist die Execution in ihrem Genere, welche die Frantzosen der-
selbigen geben, so admirable, so unie und so ferme, daß nichts darüber seyn kan. Sie lernen es aber vorhero fast
gantz auswendig, und schämen sich gar nicht, wie die Teutschen thun, ein Ding wol hundertmahl zu probiren
und zu repetiren, damit es ja sein accurat gehe, worüber sich etliche unter uns (die Wahrheit zu sagen theils aus
einem principio pigritiae) ob wol etwas mal à propos, zu mocquiren nicht unterlassen können. »

– 218 –
La dissémination de la musique

Trois symptômes sont identifiés par le régent : le manque de « grâce » qui résulte d’une mau-
vaise connaissance du texte musical, la difficulté de trouver le bon tempo, et la diversité des coups
d’archet qui génèrent une hétérogénéité dommageable. La solution proposée est très simple : il
s’agit de prévoir une partie séparée pour chaque instrumentiste, et non – comme c’était probable-
ment le cas jusqu’ici – de se contenter de copier une partie séparée pour deux ou trois instrumen-
tistes. C’est seulement à cette condition que les musiciens pourront emporter le répertoire chez
eux pour le copier et le travailler, jusqu’à pouvoir le jouer par cœur en cas de besoin.
Cette pratique semble avoir été suivie à Dresde. Une gravure des fêtes du mariage de 1719
montre l’orchestre dans la fosse du théâtre du Zwinger lors d’une représentation de l’opéra Teofane
de Pallavicini (Illustration 4.3). Même dans l’espace relativement confiné de la fosse d’orchestre,
chaque musicien est représenté avec sa partie séparée devant lui, éclairée par deux bougies.
On observe en outre que plusieurs musiciens français notent leur nom sur leur partie séparée,
montrant qu’il y avait bien une partie séparée par musicien, et qu’il était important pour eux de
la conserver d’une répétition à l’autre. Les noms de Volumier, La France le Père, La France le fils
et Adam Rybinski figurent ainsi sur plusieurs parties. Le nombre de parties séparées est toujours
beaucoup plus important pour les voix extrêmes que pour les voix intermédiaires, ces dernières
ne comportant qu’une seule partie séparée par voix. On observe que les parties présentes en un
seul exemplaire (souvent les parties de cordes intermédiaires ou les parties de hautbois) ne sont
jamais dotées d’un nom d’interprète, sans doute parce que l’identité de son destinataire était alors
évidente et que celui-ci n’avait pas besoin de distinguer sa partie de celle de ses collègues.121 Le
nombre d’instruments à vent représentés sur la gravure correspond d’ailleurs au nombre normal
de parties séparées : deux hautbois sur le côté gauche dos à la scène, deux flûtes au milieu dos à la
scène, et deux bassons – le premier à gauche des flûtes et le second au premier plan, face à nous.
On note toutefois la présence de deux théorbes alors que le nombre de parties explicitement des-
tinées à cet instrument est très faible.122 La gravure de la musique de table reproduite dans le cha-
pitre 3 faisait aussi apparaître un théorbe, signalant qu’il s’agissait d’un instrument couramment
utilisé dans le pupitre de continuo à Dresde. Rousseau confirme enfin, dans l’article « Parties » de
son Dictionnaire de musique, que les « grandes Musiques » fournissent habituellement une partie
séparée par instrumentiste.123

120 Décret princier du 7 oct. 1682. Cité d’après Sittard, Zur Geschichte, p. 63-64 : « wenn die Hoff Musici bei der
Fürstlichen Tafel oder in den Zimmern ihre Aufwarttung haben, und diejenige beliebte Stück, die man gern
hört, besonders die französische Entréen, Ouverturen, Courante und dergleichen prästiren sollen, entweder
Ihnen, auß Mangel der Übung, solche nicht bekandt, oder aber, weil ihrer etliche bey einem parte und Buche
sich behelffen müßen, nicth zurecht kommen können, daher öfters solche Stücke ihre grace verlieren und
durch daß ungleiche tempo oder contra-strich eine wiederwärtige harmonie verusacht wird, so aber, wenn ein
jedweder der bey solchen Stücke daß seinige zu prästiren seinen besondern partem oder Stimme Vor sich und
Ihm solchen sowohl durch seine eigene Handtabschrifft, als fleißige Übung zu Hause und bey den exercitiis
musicis in so weit bekandt gemacht hat, daß im Fall der Noth er solche auch ohn Vor sich habendes Buch und
wohl gar außwendig prästiren könne, verhüttet würde, und angeregte Stück auf ihre behörige manier recht
dargestellt werden köndte. »
121 Le seule exception est l’ouverture de Marais, Mus. 2111-F-3, que nous discutons plus bas. Ici, les trois parties
intermédiaires de cordes sont dotées du nom de leur interprète. Ce nom n’est pas, à l’inverse de ce qu’on observe
pour les parties extrêmes, reporté par le musicien lui-même mais par une main étrangère non identifiée. Cela
peut s’expliquer par le caractère relativement inhabituel de la division des parties intermédiaires en trois pupitres.
122 Richard Maunder, The Scoring of Baroque concertos, Woodbridge 2004, p. 91-93 et 105-107.
123 Jean-Jacques Rousseau, « Parties », in : Dictionnaire de musique, Paris 1768, p. 369 : « On appelle encore Partie,
le papier de Musique sur lequel est écrite la Partie séparée de chaque Musicien ; quelquefois plusieurs chantent
ou jouent sur le même papier : mais quand ils ont chacun le leur, comme cela se pratique ordinairement dans
les grandes Musiques ; alors, quoiqu’en ce sens chaque Concertant ait sa Partie, ce n’est pas à dire dans l’autre
sens qu’il y ait autant de Parties [que] de Concertans, attendu que la même Partie est souvent doublée, triplée
& multipliée à proportion du nombre total des exécutans. »

– 219 –
Chapitre 4

Illustration 4.3. L’orchestre de Dresde dans la fosse de l’opéra du Zwinger en 1719 lors d’une représentation de l’opéra
Teofane de Pallavicini pour le mariage du prince. Gravure sur cuivre de Carl Heinrich Jacob Fehling (détail). D-Dl, Sax.
top. Ca 200-14, Deutsche Fotothek, Hans Loos.

– 220 –
La dissémination de la musique

Un aspect important de cette discipline d’ensemble était aussi la pratique de l’accord en


groupe, évoquée par Muffat.124 Là encore, on peut penser que les violonistes allemands s’accor-
daient chacun de leur côté, sans avoir l’habitude d’un accord de groupe. Mattheson décrit à tra-
vers une superbe scène la manière qu’avait Jean-Baptiste Farinel de procéder à l’accord de son
ensemble de violons français à la cour de Hanovre :
[Farinel] avait la remarquable habitude d’accorder lui-même soigneusement un violon avant le début,
disons, d’une ouverture, et ce en frottant les cordes avec l’archet, au lieu de les pincer avec les doigts.
Quand il avait fini, il jouait une corde après l’autre à l’intention du premier violon, aussi longtemps qu’il
le fallait pour que les deux soient bien accordés. Après cela, le premier violon faisait le tour de chacun
en particulier et répétait la même chose. Quand l’un avait fini, il devait aussitôt baisser son violon et le
laisser reposer intact jusqu’à ce que les autres, de la même manière, se fussent accordés : sol, ré, la, mi,
dans l’ordre. Et tout cela faisait un bel effet. Chez nous, tout le monde s’accorde en même temps, en
tenant l’instrument sous le bras. Cela ne produit jamais une justesse parfaite.125

Au-delà des compétences collectives des ensemble, les instrumentistes et chanteurs étaient aussi
confrontés à des exigences individuelles spécifiques : la manière de tenir l’archet pour les uns,
le phrasé pour les autres, et surtout l’art de bien jouer et d’orner sa partie. Le travail sur le coup
d’archet et leur synchronisation au sein de l’orchestre est un aspect important du style français,
mais supposait une modification de la technique de jeu qui n’allait pas toujours sans douleur. Le
violoniste Johann Andreas Mayer écrit ainsi une longue lettre au duc d’Ansbach, se plaignant
des dommages causés sur sa technique soliste par la technique de jeu française et la brièveté des
coups d’archet qu’elle exigeait. Durant ses études à Vienne auprès de Johann Heinrich Schmelzer,
il avait été entraîné à jouer des pièces virtuoses en soliste à la Biber, mais n’avait pas été familiarisé
avec les pratiques d’ensemble françaises :
J’ai cru comprendre, avec plusieurs de mes collègues, que le maître de la cour avait intimé au Capellmeister
de votre Altesse Sérénissime Johann Georg Conrad l’ordre de prévenir les musiciens (parmi lesquels ma
petitesse est comptée) que la répétition dans la manière française que le jeune Cousser de Stuttgart
avait proposée doit maintenant vraiment avoir lieu, et même tous les jours. […] Mais après avoir acquis
ma maigre science du violon à la cour impériale de Vienne, comme vous savez, auprès d’un maître sans
égal et au prix fort, j’espère avoir jusqu’à présent toujours satisfait votre Altesse Sérénisime […]. Au
contraire, si j’adopte ce coup d’archet très court, je devrais non seulement renoncer complètement à
être en mesure de jouer un solo un peu difficile, mais je ne pourrais plus rien jouer non plus de propre à
l’église et dans les autres pièces vocales. […] D’où ma très humble demande que vous daigniez ordonner
que je sois exempté de cette bande française (tout comme l’altiste Murrer à Stuttgart, qui a aussi fait
son apprentissage à Vienne auprès de mon maître, en a été dispensé) pour pouvoir me spécialiser dans
les solos et les autres traits difficiles.126

124 Muffat, Florilegium secundum, p. 48 : « Il faut tâcher de bien accorder les Instruments s’il se peut avant l’arrivée
des Auditeurs. »
125 Mattheson, Der Vollkommene Capellemeister, p. 483 : « [Farinel] hatte die löbliche Gewohnheit, daß er, vor
der Anhebung z. E. einer Ouvertür selbst eine Violine rein stimmte, und zwar mit Bogenstrichen, nicht mit
Fingerknippen; wenn das geschehen, strich er sie dem ersten Violinisten, eine Saite nach der andern, so lange
vor, bis beide gantz richtig zusammenstimmeten. Hernach that der erste Violinist die Runde, bey einem jeden
insonderheit, und machte es eben so. Wenn nun einer fertig war, muste er seine Geige alsobald niederlegen,
und sie so lange unberühret liegen lassen, bis alle andre, auf eben dieselbe Weise, gestimmet hatten ; G, d’, a’,
e” in der Ordnung. Und solches that eine schöne Wirckung. Bey uns stimmen sie alle zugleich, und halten das
Instrument unter dem Arm. Das gibt niemahls eine rechte Reinigkeit. »
126 Curt Sachs, « Die Ansbacher Hofkapelle unter Markgraf Johann Friedrich (1672-1686) », Sammelbände der
Internationalen Musikgesellschaft, 11, 1909, p. 105-137, ici p. 131. Lettre de Johann Andreas Mayer à Johann Frie-
drich von Ansbach-Brandenburg sans date : « Von Eu: Hochfürstl: Durchl: Capellmeistern, Johann Georg
Cunradi, habe mit mehrerm verstanden, welcher maßen in Hochfürstl: haußhoffmeisterey ihme intimiret
worden, Dero Sämbtl: Instrumental Musicanten (worunter auch ich meines wenigen Orts begriffen) anzu-
deuten, daß das Exercitium wegen der Französischen manier, so der junge Cusser von Suttgart vorgeschlagen,
nunmehro würcklich und zwar alltäglich vorgenommen werden solle. […] Nachdeme aber gnädigster Fürst
und Herr, ich meine wenige wißenschafft in der violin, bey dem kayßerl: hoff zu Wien, wie bekant, von einem

– 221 –
Chapitre 4

Muffat, dans sa préface au Florilegium secundum, consacre une section à « la manière de


conduire l’Archelet ». Il y insiste sur la manière de tenir l’archet à la française, c’est-à-dire en
tenant le pouce sous le crin et non directement sur le bois de l’archet, ainsi que sur la nécessité
d’harmoniser les coups d’archets à l’échelle de l’ensemble de l’orchestre, préalable indispensable à
une bonne hiérarchisation des temps au sein de la mesure : le coup d’archet doit être « long, ferme,
egal & doux ». Il doit aussi être harmonisé, tous les instrumentistes devant employer le même
coup d’archet (« comme font les François, les Anglois, ceux des Paysbas, & plusieurs autres »), au
moins pour les « principales notes de la mesure ».127

Nomenclatures à la française
La question des nomenclatures et des effectifs est également cruciale, tant les pratiques françaises
en la matière se distinguent de celles du reste de l’Europe. Chappuzeau mentionne le nombre de
six violons pour les bandes attachées à des troupes de comédiens. Ce nombre semble avoir été re-
pecté aussi bien à Celle qu’à Hanovre.128 Mais les ensembles orchestraux pouvaient être beaucoup
plus importants : le maître de chapelle de Ansbach se plaint de ne pas avoir assez d’instrumen-
tistes à disposition pour le répertoire français, évoquant le nombre de six personnes nécessaires
pour jouer la seule partie de dessus ainsi que la nécessité de doubler les parties d’alto, de basse et
de basson.129 De fait, l’orchestre de Dresde qui a bénéficié des apports français sous la direction
de Volumier devient dès les années 1730 l’un des ensembles musicaux les plus fournis et les plus
qualifiés d’Europe jusque dans la seconde moitié du xviiie siècle.130
Dans les parties séparées de Dresde, plusieurs types de nomenclatures apparaissent : elles
reflètent tantôt fidèlement la tradition française de l’orchestre à cordes à cinq parties, tantôt
elles apportent quelques aménagements à ce modèle – aménagements qui s’observent ailleurs
en Europe du Nord.131 Mais le type de nomenclature utilisé pour les ouvertures et leurs suites
diffère toujours très sensiblement de celle d’autres genres musicaux italiens ou allemands. Dans
les ouvertures, les parties de violon 1 et de violon 2 sont presque toujours à l’unisson et notées en
sol 1, ce qui correspond aux habitudes de lecture des violonistes français. Les hautbois 1 et 2 sont
toujours à l’unisson avec les violons. Il y a toujours au moins deux parties intermédiaires, dési-
gnées par leurs noms français (taille, haute-contre et parfois quinte) ou bien par un nom commun
(viola). Pour le reste, les pratiques de rédaction des parties séparées sont d’une grande diversité.
Le premier grand type de nomenclature est celui qui conserve les trois parties de cordes inter-
médiaires caractéristiques de l’orchestre français : haute-contre, taille et quinte, respectivement
notés en ut 1, ut 2 et ut 3. C’est le cas de 11 jeux de parties séparées sur 48 : huit ouvertures de Lully,
ainsi que les ouvertures de Marin Marais, Louis Lully et Pascal Collasse. Le second type, qui est
aussi le plus fréquent avec 16 jeux de parties séparées, omet la partie de quinte et ne conserve

solchen Meister dergleichen wenig in der welt zufinden, mit ziemlichen spesen, erlernet, auch Eu : Hochfürstl:
Durchl: biß dahero mit meiner wenigen persohn, hoffentlich in gnaden zufrieden gewesen […] ; dahingegen so
ich diesen ganz kurzen strich annehmen – ich nicht allein ein künstliches solo zuspielen, gänzlich unterlaßen
müste, sondern auch zu kirchen- und andern vocal-sachen nichts saubers mehr mitmachen könte […]. Alß
gelanget an Eu: Hochfürstl: Durchl: hiermit mein unterthänigstes bitten […], damit ich von solchen Franzö-
sischen bande (gleich wie der violist Murrer zu Stuttgart, welcher auch zu Wien bey meinem Meister gelernet,
exempt gewesen) befreyet bleiben – und mithin mich in solo und andern künstlichen sachen desto qualificirter
machen möge ».
127 Muffat, Florilegium secundum, p. 45.
128 Voir Chapitre 3, p. 167-170.
129 Spitzer et Zaslaw, The Birht of the Orchestra, p. 220.
130 Jean-Jacques Rousseau, art. « Orchestre », in : Dictionnaire de musique, Paris 1768 : « Le premier Orchestre
de l'Europe pour le nombre & l'intelligence des Symphonistes est celui de Naples : mais celui qui est le mieux
distribué & forme l'ensemble le plus parfait est l'Orchestre de l'Opéra du Roi de Pologne à Dresde, dirigé, par
l'illustre Hasse. »
131 Pour un aperçu sur la modification de la nomenclature orchestrale dans les éditions de Lully publiées à Ams-
terdam, voir Schneider, « The Amsterdam editions of Lully’s orchestral suites ».

– 222 –
La dissémination de la musique

donc que deux parties intermédiaires, libellées en ut 1 et en ut 2 : c’est le cas pour 7 ouvertures de
Lully,132 les 5 ouvertures de Campra, une ouverture de Venturini, ainsi que les ouvertures de André
Cardinal Destouches, Melchior d’Ardespin et Jean Joseph Mouret. Enfin, trois nomenclatures mi-
noritaires peuvent être observées. Trois jeux de parties séparées ne font apparaître que deux parties
intermédiaires, rédigées en ut 1 et ut 3 : deux ouvertures de Lully et une ouverture de Venturini.
Un seul jeu, de Venturini, fait apparaître deux parties intermédiaires en ut 2 et ut 3. Enfin, deux
ouvertures ne comportent qu’une seule partie intermédiaire notée en ut 3 : Boste et Venturini.
On observe aussi une très grande fluctuation dans la dénomination des parties séparées. En
règle générale, les jeux qui conservent les trois parties intermédiaires (ut 1, ut 2 et ut 3) reflètent
aussi la terminologie française : Haute-Contre, Taille et Quinte.133 On observe cependant cinq
jeux qui, tout en conservant les trois parties intermédiaires, adoptent une nomenclature alter-
native qui semble du même coup déplacer leur position au sein de l’orchestre.134 Il s’agit du seul
cas de figure où la partie de violon 2 n’est pas à l’unisson avec la partie de violon 1 et n’est pas non
plus notée dans la même clé. La nomenclature la plus courante consiste cependant, comme nous
l’avons vu, à ne donner que deux parties intermédiaires en ut 1 et ut 2. Cette pratique majoritaire
doit être rapprochée d’une liste de personnel de la Hofkapelle, datée du mois d’août 1709. Cette
liste, qui est la seule à faire figurer des noms français pour les parties intermédiaires, mentionne
simplement l’existence d’un pupitre de « Haute contre » et d’un pupitre de « Taille » (Tableau
4.6). Le pupitre de Quinte semble donc ne pas avoir eu d’existence administrative bien établie, et
l’on peut penser que lorsqu’il y a une partie de quinte, les instrumentistes se répartissaient d’une
manière différente en trois pupitres au lieu de deux.135 Dans ce dernier cas de figure, toutes les
manières de libeller les partitions sont représentées, depuis une dénomination purement fran-
çaise (Haute-contre et Taille) jusqu’à une dénomination italianisée (Viola 1 et Viola 2), avec de
nombreux cas intermédiaires de nomenclature hybride. Il en va de même lorsque les deux parties
intermédiaires sont copiées en ut 1 et en ut 3, ce qui est un cas rare.136 Un seul cas présente deux
parties intermédiaires copiées en ut 2 et ut 3.137 Un autre trait à prendre en compte est la clé dans
laquelle sont copiées les parties de dessus de violon, de flûte et de hautbois dans les ouvertures. En
règle générale (26 jeux), elles sont copiées en sol 1. Il peut cependant arriver (7 jeux) qu’elles soient
libellées en sol 2 : c’est le cas pour les ouvertures de Venturini, dont l’édition imprimée libelle aussi
les parties de violon en sol 2, pour l’ouverture de Boste ainsi que, de façon plus surprenante, pour
deux ouvertures de Lully.138

132 Nous intégrons à ce décompte le Mus. 1827- F-37, qui ne porte pas d’indication générique mais que nous inté-
grons tout de même parmi les ouvertures.
133 Mus. 1827-F-2 (copié par Schmidt), Mus. 1827-F-6 (Schmidt), Mus. 1827-F-8 (Schmidt), Mus. 1827-F-15
(Lindner), Mus. 1827-F-30 (Schmidt), Mus. 1827-F-30 (Schmidt), Mus. 1827-F-34 (Schmidt), Mus. 2111-F-3
(Prache).
134 Mus. 1827-F-32 (Lindner) donne une partie de « 2. Dessus » en ut 1, une partie de « Viola 1.a » en ut 2, et une
partie de « Viola 2.a » en ut 3. Mus. 1827-F-21 (Lindner), Mus. 1827-F-32 (Lindner) et Mus. 2231-F-1 (Lindner)
donnent une nomenclature similaire. Mus. 1859-F-2a (Lindner) donne une nomenclature similaire, mais avec
deux parties de second violon en ut 1.
135 Le jeu de parties séparées Mus. 2111-F-3 (la tempête d’Alcione de Marin Marais) offre un exemple concret de ce
type de pratiques, puisque les trois parties intermédiaires de cordes sont dotées du nom de l’instrumentiste. Ces
noms ne sont pas reportés par les musiciens ni par le copiste (ici Prache), mais par une main étrangère. H[err]
Golde tient la partie de Haute-Contre, H[err] Herring la partie de Taille et H[err] Lehneiß la partie de Quinte. Le
premier est listé parmi les Taille en 1709, le second dans les Haute-Contre, et le troisième est qualifié de Violoncell
dans la même liste de personnel. En revanche, les deux autres altistes qui figurent sur cette liste (Johann Heinrich
Praetorius et Christian Rother) n’apparaissent pas dans ce jeu de parties séparées. On voit bien ici que l’introduc-
tion de trois parties intermédiaire supposait quelques réaménagements dans l’orchestre, parmi les pupitres d’al-
tistes mais aussi dans le pupitre de violoncelles, dont un membre pouvait prendre en charge la partie de Quinte.
136 D-Dl, Mus. 1827-F-11 (Viola 1 et Viola 2). D-Dl, Mus. 1827-F-36 (Viola I et Viola II). D-Dl, Mus. 2142-O-6,
copié par Pisendel (Hautcontre et Viola).
137 D-Dl, Mus. 2142-O-5 : deux parties de Viola I en ut 2, deux parties de Viola II en ut 3.
138 D-Dl, Mus. 1827-F-33 et D-Dl, Mus. 1827-F-35.

– 223 –
Chapitre 4

Tableau 4.6. Composition de la Hofkapelle de Dresde en 1709. HStA Dresden, Loc. 383/4, fol. 108-110.
Daß hier bey specificirten Personen ausgesetzes jährl. Tractament, von und mit abgewichenen Johannis
dieses Jahres, seinen Anfang nimmet, in deme von solcher Zeit an der Gage halber, auf S[eine]r
Königl[ichen] M[ajestä]t und Churfürstl[ichen] H[oheit] zu Sachßen allerg[nä]d[ig]st[en] Mündl[ichen]
Befehl, mit Ihnen durch mich tractiret worden, enthin auf nechst bevorstehende Michael[is] das erste
Quartal gefällig ist, solches wird Kraft meiner eigenen Hand, Unterschrifft und vorgedruckten
Petschaffts, hiermit attestiret. Dreßden, den 13. Aug. 1709. [Signature: Johann Sigismund baron von
Mordaxt]

O. Orchestra.
Concertmeister Volumnier 1200 Thlr
Compositor di Camera Fiorelli 600 Thlr
Stephan Rinck 250 Thlr
Adam Rybitzky Sec: Violino 300 Thlr
Lotti Second: Violino 300 Thlr
Joh: George Lehneiß Í 300 Thlr
Í
Haute contre
Johann Heinrich Praetorius 240 Thlr
Christian Rother Í 300 Thlr
Í
Taille
Golde 240 Thlr
Gottfried Herring Violoncell 300 Thlr
D. Huisse [Jean-Baptiste Ducé] Flute Allemande 400 Thlr
Charle Henrion Hautbois pr: 300 Thlr
[Johann Christian] Richter Hautbois pr: 300 Thlr
Jean Bapt: Henrion Hautb: 2do 300 Thlr
Christian Roche Hautb: 2do 250 Thlr
Le Conte le Bere Flute alemande 250 Thlr
Anthon Rybitzsky Basson 300 Thlr
Le Conte le Fils Basson 200 Thlr
Cosmovskÿ od[er] Luparini Organista e Compos. di Chiesa 400 Thlr
Christian Pezold Organ: e Composi: di Camera 400 Thlr
Gottfried Bentleÿ Tiorbista 400 Thlr
Francesco Arigoni Tiorbista 300 Thlr
Michael Pezschmann Braccista 160 Thlr
La France le Fils violoncell 200 Thlr
Notista 200 Thlr
Instrument diener 100 Thlr
Herr Capellmeister [Johann Christoph] Schmidt 1200 Thlr
le gros [Simon Le Gros] 500 Thlr
diar [Pierre Diard] 600 Thlr
de barkes [Charles Debargues] 1200 Thlr
Gingestes 1200 Thlr
Cosmedit [Comédie, Troupe de Villedieu] 10000 Thlr
Rossi 500 Thlr
210 Thlr
[Total= 23 900 Thaler] 24000 Thlr

– 224 –
La dissémination de la musique

La nomenclature utilisée dans les œuvres baptisées Concertos diffère sensiblement de ce que
nous avons pu observer parmi les ouvertures. On observe d’abord que presque toutes les parties
de dessus sans exception sont notées en sol 2.139 Là où les ouvertures font presque toujours jouer la
même chose aux deux pupitres de violon et aux deux pupitres de hautbois, les concertos contiennent
en général une partie distincte pour chaque pupitre de ces instruments. On peut ausi voir que la
plupart des concertos n’ont qu’une seule partie de cordes intermédiaire, libellée en ut 3 ou, dans le
cas des concertos de Dieupart, en ut 2. La seule exception à cette règle est un concerto de Venturini
dans lequel figurent deux parties d’alto en ut 1 et en ut 2, alors même que l’édition originale prévoit
deux parties d’alto rédigées en ut 3 (Alto Viola et Tenore Viola).140 Il ressort de ces observations que
la musique française et la musique « à l’italienne » faisaient l’objet à la cour de Dresde d’un type de
copie et d’exécution bien particulier, se distinguant par plusieurs détails importants de nomencla-
ture et d’usage des clés. On a donc ici un aperçu très concret et très direct sur les « deux orchestres »
dont il est question dans la biographie de Pisendel. Ces deux ensembles orchestraux partageaient
sans doute au moins quelques musiciens en commun, mais ils se distinguaient par leur formation
instrumentale, par leurs pratiques de lecture et sans doute par leur style d’exécution.

La diaspora des sources de Hanovre


Alors que le répertoire français de la Hofkapelle de Dresde est bien transmis dans les matériels
d’orchestre, celui des cours de Basse-Saxe n’a quasiment pas survécu. Aucune source musicale en
provenance de la cour de Celle n’a pu être retrouvée pour notre période. Même le répertoire de
la Hofkapelle de Hanovre a connu un destin étrange, puisqu’il doit être reconstruit à partir de
sources disséminées à travers l’Europe : quelques fragments de ce répertoire subsistent encore
à Darmstadt, à Londres et à Berlin. L’une de ses particularités est de présenter de nombreuses
œuvres composées sur place par les musiciens français au service de la cour, notamment Jean-
Baptiste Farinel et Stéphane Valoy, là où les sources conservées de la Hofkapelle de Dresde sont
presque exclusivement issues de la copie et de la compilation d’œuvres composées en France. Cette
diaspora des sources hanovériennes, liée aussi bien à la circulation des musiciens, à la dissémi-
nation de la musique qu’à l’union personnelle de Hanovre avec l’Angleterre à partir de 1714, ne
doit cependant pas faire oublier l’existence de quelques sources de musique française qui furent
autrefois ou sont toujours conservées à Hanovre.141 Un livre de musique pour le clavier ayant ap-
partenu à Ernst August, aujourd’hui perdu, contenait du répertoire français.142 Quelques pièces
de musique composées par Jean-Baptiste Farinel sont transmises dans un manuscrit contenant
entre autres 13 « Concerts pour le Nouvel An » composés entre 1697 et 1709 pour l’orchestre de la
cour.143 Enfin, une source documente indirectement la diffusion de l’opéra français : des parties
séparées de chant en français du xviie siècle.144

139 La première exception se trouve dans un concerto de Venturini, où les parties de violon sont notées en sol 1,
tandis que les parties de hautbois sont notées en sol 2 : Mus. 2-O-1.32. La seconde exception se trouve dans
un concerto de Dieupart, où les violons sont notés en sol 2, mais les flûtes en sol 1 : Mus. 2174-O-4. On peut
penser qu’il s’agit dans ces deux cas de s’adapter aux pratiques de lecture des musiciens impliqués. Les flûtistes
d’origine française étaient sûrement plus habitués à la lecture de la clé de sol 1 que de sol 2, d’où l’irrégularité
constatée dans le concerto de Dieupart.
140 D-Dl, Mus. 2-O-1.32.
141 Eduard Bodemann, Die Handschriften der Königlichen Öffentlichen Bibliothek zu Hannover, Hannover 1867.
142 Theodor Abbetmeyer, Zur Geschichte der Musik am Hofe in Hannover vor Agostino Steffani 1636-1689. Ein Bild
künstlerischer Kultur im 17. Jahrhundert, Göttingen 1931, p. 30-31.
143 D-HVl, Ms. IV 417. Erik Albertyn, « The Hanover orchestral repertory, 1672-1714 : significant source dis-
coveries », Early Music, 33/3, 2005, p. 449-471. Un concert est attribué à Venturini, deux à Farinel, les autres
sont anonymes. Le manuscrit contient également une série d’airs, préludes et gigues avec leurs doubles, des
fantaisies, un air en couplet de Valoy, et d’autres pièces pour la flûte. Albertyn attribue l’ensemble des Concerts
anonymes du recueil à Farinel.
144 D-HVl, Ms. IV 411-413. Bodemann, Die Handschriften : « Thésée, Alceste, Atys. Vermuthlich Gesangrollen
aus e[iner] unbekannt[en] Oper. XVII Jahrh[undert]. 20, 20 u. 19 Bl[ätter]. 4° obl. »

– 225 –
Chapitre 4

Les manuscrits de Darmstadt


L’ensemble le plus complet et le plus intéressant de sources hanovériennes est cependant repré-
senté par un ensemble de quatre recueils conservés à Darmstadt. Trois d’entre eux contiennent
des ouvertures pour orchestre avec leur suite, tandis que le dernier transmet huit « Concerts à
chanter ».145 Les trois recueils de suites instrumentales sont anonymes, mais deux d’entre eux
portent le nom du copiste qui les a réalisés et la date à laquelle ils ont été copiés. Le premier a été
copié en 1689 par Guillaume Barré, un hautboïste originaire d’Orléans qui avait été engagé l’an-
née précédente à la Hofkapelle de Hanovre.146 Le troisième a été copié la même année par Charles
Babel, un Français originaire d’Évreux qui appartenait également au groupe des « Pfeiffern »
engagés en 1688.147 Le second manuscrit ne porte pas de signature ni de datation, et il a été copié
par une main différente de celle des deux autres, mais son format est très proche et sa couverture
de cuir porte en lettres gravées le titre : « 12 Grands Concerts en partition. A Hanover 1690 ».
La main qui copie ce manuscrit n’est pas celle de Barré ni celle de Babel : il pourrait peut-être
s’agir du troisième hautboïste engagé en 1688, Gilles Héroux, si jamais chacun des trois nouveaux
musiciens a été chargé de copier du répertoire pour l’orchestre à son arrivée.
Comme leur date de rédaction le laisse supposer, ces trois recueils n’ont pas été rédigés indé-
pendamment, mais semblent au contraire avoir été conçus pour répondre à un projet commun :
chacun comporte douze pièces, et chacun présente une facette différente du répertoire instrumen-
tal de la Hofkapelle. Dans le premier manuscrit copié par Guillaumé Barré, les douze suites sont
numérotées de façon continue et dotées du titre « Suittes ». Chacune comprend entre quatre et sept
mouvements dansés, le plus souvent cinq ou six. Le dispositif du recueil est très proche de celui des
Concerti di Camera publiés par Venturini en 1714, puisque chaque suite est introduite alternative-
ment par une ouverture à la française (« Ouverture ») ou par une pièce plus libre et concertante
(« Concert » ou « Simphonie »). Comme chez Venturini, ces mouvements introductifs sont de
dimensions très larges et de facture très classique, les ouvertures suivant à un schéma très normé.
Le texte musical est différent, mais aide à comprendre que la collection publiée par Venturini en
1714 est le reflet fidèle de pratiques déjà en vigueur à la fin des années 1680.
Le manuscrit copié par Charles Babel comporte douze « Grands Concerts » de dimen-
sions beaucoup plus étendues, d’un seul tenant et visiblement pensés pour être joués d’une seule
traite. Les différentes sections de chaque concert sont très souvent contrastantes, marquées par
des changements de mesure très fréquents, mais ne sont pas séparées par un saut à la ligne et ne
sont pas dotées d’un titre. Comme dans les suites de Venturini et de l’autre manuscrit, on note la
très forte prédominance de passages solistes composés pour le trio de vents à la française, deux
hautbois et un basson, qui correspond sans aucun doute à ce qu’étaient en mesure de jouer les
trois « Pfeiffern » engagés en 1688.
Le contenu du manuscrit éventuellement copié par Gilles Héroux est plus hétérogène,
puisqu’à côté d’un répertoire instrumental standard composé de huit « Suittes » et d’un
« Concert », il transmet également de la musique de ballet regroupée en trois ensembles de mou-
vements qui ne sont pas dotés d’un titre générique. On peut même trouver des concordances tex-
tuelles avec certains livrets de divertissements français donnés à Hanovre dans les années 1680,
par exemple avec le Triomphe de la Paix, donné en 1685 à Hanovre pour célébrer la naissance du
prince Friedrich August, fils de Sophie Charlotte et du prince électeur de Brandebourg. Ainsi, le
troisième mouvement de la troisième suite est intitulé « Chœur vive ce jeune prince » et transmet

145 Respectivement D-DS, Mus. ms. 1221, 1226, 1227 et 1230. Sur les trois derniers, voir Schneider, « Unbekannte
Handschriften der Hofkapelle in Hannover. Zum Repertoire französischer Hofkapellen in Deutschland ».
146 D-DS, Mus. ms. 1221. La table des matières située en fin de volume contient l’indication suivante : « Mise en
partition par M.r Barre a Hannover 1689 ».
147 D-DS, Mus. ms. 1227. La table des matières située en début de volume porte l’indication suivante : « Mise en
partition à hanover 1689. par M.r Babel. » La couverture porte le titre suivant : Partition fa a Hanover 1689.

– 226 –
La dissémination de la musique

donc l’accompagnement orchestral d’un chœur chanté à trois reprises dans le ballet.148 Dans la
même suite, le huitième mouvement (intitulé « Chœur Esperons ») donne l’incipit d’un chœur qui
peut être retrouvé dans le livret du Triomphe de la Paix.149 Les autres mouvements de cette suite
correspondent aussi au Triomphe de la paix dont ils fournissent donc la musique instrumentale :
l’entrée de nymphes, l’entrée de la suite de la Paix, la marche du sacrifice, la symphonie pour
Jupiter correspondent tous à des passages du livret. C’est aussi le cas de la quatrième suite, qui
contient aussi un « Chœur Venez Charmante Paix » dont le titre peut être rapproché d’un passage
du livret.150 Comme le livret du ballet indique que « M.r de Valois a composé toute la musique »,
on peut conclure que les suites ont été composées par Stéphane Valoy. Erik Albertyn mentionne
également des correspondances entre ce manuscrit et le Livre pour la flûte conservé à Hanovre
ainsi qu’une suite de Stéphane Valoy conservée à Berlin.151
La constance de la nomenclature utilisée pour les cordes est très frappante dans ces manus-
crits. Guillaume Barré n’utilise qu’un seul type de nomenclature à quatre parties : Violon (sol 1),
Haute-contre (ut 1), Taille (ut 2) et Basse ( fa 4). Lorsque des instruments à vent sont présents, ils
sont notés en sol 1 et leur nom est donné en tête de chaque suite. La nomenclature utilisée par
Charles Babel est identique, puisque les Concerts à 4 Violons sont écrits pour le même ensemble :
Violon (sol 1), Haute-contre (ut 1), Taille (ut 2) et Basse ( fa 4). Les flûte et hautbois qui appa-
raissent dans les concerts n° 7 à 9 sont notés sur une portée à part, en sol 1. Le troisième manuscrit
suit les mêmes pratiques, de même que François Venturini dans ses Concerti da camera publiés en
1714. On a donc ici accès à la composition de l’orchestre à cordes de la Hofkapelle de Hanovre qui
semble avoir été en usage au moins entre 1690 et 1714. Notons que cette nomenclature semble
avoir été beaucoup plus stable qu’à Dresde, où nous avons déjà constaté la volatilité des pupitres
et des nomenclatures. Au lieu de l’orchestre à cinq parties à la française, on n’a que quatre parties.
Mais au lieu de l’orchestre à quatre parties à l’italienne, on a deux parties intermédiaires de cordes
et un seul pupitre de violons.
Les trois manuscrits de Darmstadt comportent de nombreux passages barrés – simples
mesures fautives corrigées immédiatement après, parfois passages ou mouvements entiers qui se
trouvent rayés. Ceci laisse penser qu’il s’agit peut-être de partitions de travail, corrigées pendant
les répétitions avec les comédiens et les danseurs, bien davantage que de copies propres destinées
à orner une collection musicale. D’autre part, on observe aussi que de nombreux mouvements du
manuscrit 1227 sont accompagnés de l’indication « à prendre » ou « pris », ou encore marqués
avec une petite croix sur le côté gauche. Ceci indique que ce manuscrit a lui-même servi de modèle
à d’autres musiciens, qui copiaient de façon sélective son contenu. Ainsi que nous avons déjà eu
l’occasion de le montrer en examinant la carrière de Stéphane Valoy, ces manuscrits ont certaine-
ment fait le voyage de Hanovre à Darmstadt en sa possession, puisqu’après avoir quitté le service
de la cour de Hanovre, il fut maître de musique de la troupe de comédiens français de Darmstadt
où il mourut en 1715, léguant ainsi ses manuscrits musicaux à la bibliothèque de la cour où elles
sont restées jusqu’à aujourd’hui.152

Les sources de Londres et Amsterdam


La Royal Music Collection de la British Library contient cinq grands volumes de musique reli-
gieuse en provenance de la Hofkapelle de Hanovre, qui transmettent le répertoire de la chapelle

148 Le Triomphe de la Paix, Hanovre 1685 : « Vive vive ce jeune Prince | Vive l’himen glorieux, | Qui donne a la
Province | Ce gage pretieux. »
149 Le Triomphe de la Paix, Hanovre 1685 : « Esperons la Victime est pure, | On n’y trouve rien qui n’augure | Un
succez bien heureux. »
150 Le Triomphe de la Paix, Hanovre 1685 : « Venez Charmante Paix | Vos douceurs ont de charmes [sic] | Vous nous
comblez de bien faits, | Vous dissipez nos allarmes, | Venez Charmante Paix | Venez ne nous quittez jamais. »
151 Respectivement D-HVl, Ms. IV 417 et D-B, Mus. ms. 30274. Albertyn, « The Hanover orchestral repertory,
1672-1714 », p. 463.
152 Voir Chapitre 2, p. 44-46.

– 227 –
Chapitre 4

à la fin du xviie siècle et ont trouvé leur chemin vers Londres dans les années 1710 à la suite de
l’union personnelle avec la cour de Hanovre.153 Parmi les compositeurs les plus représentés sont
naturellement Johann Krieger, Johann Rosenmüller, Nicolaus Adam Strungk, Ruggiero Fedeli
et Pietro Torri. Mais deux pièces témoignent également de l’activité des musiciens français de
la cour dans le domaine de la musique d’église. La première œuvre est un psaume en musique
anonyme, Laudate pueri Dominum, qui est introduit par une ouverture à la française et se conclut
par une grande chaconne sur le verset « suscitans a terra ».154
La seconde est un Magnificat composé par Stéphane Valoy, qui se trouve dans le premier des
cinq volumes, un recueil comprenant plusieurs autres psaumes en musique par des compositeurs
ayant exercé en Allemagne du Nord à la fin du xviie siècle.155 L’ensemble témoigne de la cohérence
dans le choix du répertoire : les deux compositeurs les plus représentés sont Johann Rosenmüller,
qui fut compositeur pour la cour de Hanovre depuis son exil vénitien, ainsi que son élève Johann
Philipp Krieger. Ruggiero Fedeli (1665-1722) a également des liens avec la cour de Hanovre : sou-
vent sollicité à Berlin par la reine en Prusse Sophie Charlotte pour des événements musicaux au
château de Lietzenburg – aujourd’hui Charlottenburg –, Fedeli composa la musique pour ses ob-
sèques à Hanovre lorsqu’elle mourut en 1705. Pietragrua et Rossi sont en revanche plus éloignés
de la cour de Hanovre, même si leurs œuvres ont très probablement été transmises à Londres par
ce canal.156 Peter Wollny a déjà attiré l’attention sur cet ensemble de manuscrits en provenance
de Hanovre et qui possède de nombreuses concordances avec la collection Bokemeyer. Il souligne
qu’une grande part de la musique est copiée par un scribe unique à l’identité encore indéterminée,
probablement originaire de Hanovre et qui aurait suivi George Ier en 1714.157 En fait, cet ensemble
de copies est probablement un peu plus tardif. L’ensemble du recueil contenant le Magnificat de
Valoy est copié sur le même papier, qui porte une marque de filigrane en fleur de lys avec un blason
rayé, tandis que la contremarque montre le sigle « JWhatman ».158 James Whatman (1702-1759)
était un fabricant de papier actif à partir de 1733 dans le comté de Kent, près de Maidstone. Installé
en 1736 dans une nouvelle fabrique, il commence à y produire du papier blanc de haute qualité. Son
premier filigrane connu date de 1740.159 Cette datation amènerait à réviser l’hypothèse initiale de
Wollny, et conduirait à conclure qu’il s’agit de copies plus tardives qu’on ne le pensait jusqu’alors,
puisqu’elles n’auraient pas été réalisées avant 1740, soit sous le règne de George II (r. 1727-1760). Il
faudrait alors chercher l’identité du copiste non pas dans le personnel qui aurait suivi George Ier
depuis Hanovre, mais dans le personnel en place sous le règne de son successeur. Les manuscrits
que nous avons aujourd’hui seraient donc une copie tardive du matériel original de Hanovre, qui
aurait été transporté directement à Londres en 1714 et aurait depuis été perdu.160

153 GB-Lbl, R.M. 24.a.1, R.M. 24.a.2, R.M. 24.a.3, R.M. 24.a.4, R.M. 24.a.5.
154 GB-Lbl, R.M. 24.a.5. Wollny, « Zur Thüringer Rezeption des französischen Stils », p. 148.
155 GB-Lbl, R.M. 24.a.1. Outre le Magnificat de Valoy, on trouve deux Beatus vir et un Laudate pueri de Johann
Rosenmüller, trois œuvres de Johann Philipp Krieger (Cantate Domino, Cor meum atque, Confitebor tibi Do-
mino), un Alleluia fideles plaudite de Carlo Luigi Pietragrua, un Laudate Dominum de Camilla de Rossi, un
Confitebor tibi Domine de Ruggiero Fedeli.
156 Carlo Luigi Pietragrua (1665-1726) est embauché à Dresde comme altiste en 1687, puis comme Vice-Kapell-
meister en 1693. On peut ensuite le suivre à Düsseldorf (1694) puis à Vienne (1705) et à Heidelberg (1718).
Il retourne ensuite à Venise, où il engage des chanteurs italiens pour la chapelle de l’évêque de Würzburg,
Johann Philipp von Schönborn, sur une commande de Steffani. Rossi est vraisemblablement Camilla de Rossi,
une compositrice qui écrivit quatre oratorios pour la chapelle de la cour de Vienne entre 1707 et 1710.
157 Peter Wollny, « Zwischen Hamburg, Gottorf und Wolfenbüttel : neue Ermittlungen zur Entstehung der Sam-
mlung Bokemeyer », Schütz-Jahrbuch, 20, 1998, p. 59-76, ici p. 68.
158 Ce filigrane est presque identique au numéro 104 donné dans : Edward Heawood, Watermarks, maintly of the
17th and 18th centuries, Hilversum 1981.
159 John N. Balston, The Elder James Whatman : England’s Greatest Paper Maker (1702-1759). A Study of Eighteenth-
Century Papermaking Technology and its Effect on a Critical Phase in the History of English White Paper Manufac-
ture, West Farleigh 1992, vol. 1, p. 94-105. Le père de James Whatman était tanneur à Loose, et celui-ci était
donc le premier fabricant de papier de sa famille : vol. 2, p. 36-39. Je remercie Rudolf Rasch pour ses précieux
conseils à ce sujet.

– 228 –
La dissémination de la musique

Le Magnificat de Valoy est une œuvre d’assez grande envergure, puisqu’il compte 373 me-
sures – tout comme la messe, qui en comptait 289. Il est structuré de façon tout à fait régulière,
puisque chaque verset du texte de l’Évangile de Luc est mis en musique pour un effectif différent.
Les sections sont habituellement séparées par une double barre, mais elles peuvent aussi être
enchaînées comme la première avec la seconde ou encore la neuvième avec la dixième. L’œuvre du
musicien français montre certaines similitudes avec sa messe brève, tant sur le plan du style musi-
cal que dans les détails les plus concrets de la copie. On retrouve en particulier le mélange carac-
téristique entre un idiome musical nettement italianisant et des détails typiquement français, tels
que l’alternance entre un petit chœur et un grand chœur, le traitement largement syllabique des
chœurs et des lignes vocales solistes, ou encore les nombreuses indications libellées en français.
Au premier rang de ces détails gallicisants se trouve toutefois la nomenclature de l’œuvre. La
source londonienne reprend en effet la nomenclature de Hanovre également observable dans les
manuscrits de Darmstadt, en distinguant deux parties de violon qui jouent un texte identique
(sol 1), deux parties intermédiaires (ut 1 et 2) et une partie de basse ( fa 4).
À côté de cet ensemble de sources londoniennes, il faut également prendre en considération
les deux compilations de trios publiées à Amsterdam par Charles Babel, chez Étienne Roger en
1697 et 1698.161 Quelques années seulement après avoir quitté le service de la cour de Hanovre, où
il avait déjà copié douze concerts dans le manuscrit de Darmstadt en 1689 et où il reste au moins
jusqu’en 1691, Charles Babel était bassoniste à La Haye dans la troupe des comédiens français
de Guillaume III d’Orange Nassau, Stathouder de Hollande et roi d’Angleterre.162 Les deux vo-
lumes publiés par Babel sont d’un grand intérêt pour l’étude du répertoire français de la cour de
Hanovre : cette grande anthologie de musique publiée à la fin des années 1690 peut en effet être
lue non seulement comme un vade mecum pour les musiciens actifs dans les troupes de comédiens,
mais aussi comme un reflet du répertoire français en usage à la cour de Hanovre dans les mêmes
années. Malheureusement, la quasi-totalité du répertoire publié par Charles Babel est anonyme.
On peut simplement noter que la publication d’un volume pour une formation en trio rejoint une
pratique que Babel a sans doute contribué à introduire à Hanovre : celle du trio de vents à la fran-
çaise, également mobilisée de façon massive par les sources de la cour de Hanovre et par Steffani.
L’activité de copiste et de compilateur de Babel s’est cependant pas limitée à la publication de ces
deux anthologies ni au manucrit de Darmstadt : de nombreux manuscrits disséminés à travers le
monde témoignent de l’ampleur de son travail de copiste et de sa vaste connaissance du répertoire
français.163 Un manuscrit particulièrement intéressant dans notre perspective est conservé à la
bibliothèque de Hambourg, qui est daté de La Haye en 1696 – soit juste avant la publication du
premier volume des Trios de différents autheurs.164 Il s’agit d’une compilation d’œuvres de Lully et
de Johann Philipp Krieger, copiées comme les Trios sous forme de parties séparées.

La musique française dans la collection Bokemeyer


Le répertoire de la Hofkapelle de Hanovre ne trouva pas seulement son chemin vers les collections
royales de Londres ou le marché de l’édition florissant en Hollande : il est également très présent

160 Frederick Hudson arrive à une conclusion similaire à propos des parties de L’Allegro de Händel, sur la base du
même filigrane : Frederick Hudson, « The New Badford Manuscript Part-Books of Handel’s Setting of L’Alle-
gro », Notes, 33/3, 1977, p. 531-552. Voir aussi Frederick Hudson, « The Earliest Paper made by James Whatman
the Elder (1702-1759) and its Significance in Relation to G. F. Handel and John Walsh », The Music Review, 38,
1977, p. 15-32.
161 Charles Babel, Trios de Différents Autheurs, Livre premier, Amsterdam [1697]. Charles Babel, Trios de Différents
Autheurs, Livre second, Amsterdam [1698]. Pour une description du contenu, voir Rudolf Rasch, The Music
Publishing House of Estienne Roger and Michel Le Cène, Catalogue en ligne.
162 Fransen, Les Comédiens français en Hollande, p. 177.
163 Gustafson, « The Legacy in Instrumental Music of Charles Babel ».
164 D-Hs, ND VI 2762. La fin du volume porte l’indication « Fin de tous les Anciens Ballets de feu | Monsieur Jean
Baptiste de Lully | Remis en Ordre par Charles Babel A la Haye en 1696 ».

– 229 –
Chapitre 4

dans la collection Bokemeyer, aux côtés de quelques sources française. Cette collection, qui ras-
semble près de 2000 manuscrits conservés à la Staatsbibliothek de Berlin, est d’une importance capi-
tale pour la transmission de la musique d’église luthérienne d’Allemagne du Nord de la seconde
moitié du xviie siècle.165 Elle tient son nom de Heinrich Bokemeyer (1679-1751), élève à l’univer-
sité de Helmstedt entre 1702 et 1704, puis théoricien et polémiste de premier plan.166 Kantor à la
Martinskirche de Braunschweig entre 1704 et 1712, Bokemeyer prit des cours de composition à
Wolfenbüttel auprès de Georg Österreich. C’est par ce dernier que fut en fait largement constituée
la collection qui porte aujourd’hui le nom de Bokemeyer, puisque c’est Österreich qui copia ou fit
copier la plus grande partie des manuscrits.
Georg Österreich (1664-1735) débuta ses études à la Thomasschule de Leipzig où il fut l’élève
de Johann Schelle. Après un bref séjour au lycée Johanneum de Hambourg, il commença une car-
rière de ténor à l’opéra du Gänsemarkt de Hambourg, puis à la cour de Wolfenbüttel entre 1686 et
1689. C’est en 1689 qu’il fut engagé par le duc Christian Albrecht comme Kapellmeister de la cour
de Gottorf. Peu après la dissolution de la Hofkapelle en 1702, Österreich retourna à Braunschweig
pour gérer la brasserie qu’il avait héritée de son beau-père. À partir de cette date, il fut à nouveau
associé à la Hofkapelle de Wolfenbüttel, remplaçant par exemple le Kapellmeister Georg Caspar
Schürmann lorsque celui-ci était absent et occupant les fonctions de Kantor de la cour à partir de
1724, poste qu’il conserva jusqu’à sa mort en 1735.167 Sa collection mêle donc plusieurs strates de
répertoire : bien sûr la musique copiée pour les besoins de la Hofkapelle de Gottorf, mais égale-
ment des manuscrits que Österreich avait copié avant et après son activité comme Kapellmeister.
Bokemeyer reçut la bibliothèque en héritage à la mort d’Österreich, et la légua à son tour à son
gendre, Johann Christian Winter, organiste à Celle. C’est probablement par l’intermédiaire de
ce dernier que Forkel put racheter l’ensemble de la collection, acquise par le Königliches Institut
à Berlin en 1819, où elle se trouve encore aujourd’hui, dans un état probablement incomplet.168
Une bonne partie de la collection transmet le répertoire de la Hofkapelle de Hanovre : à côté
de nombreuses œuvres d’Agostino Steffani, on trouve une messe brève et une suite pour orchestre
de Stéphane Valoy. Composée d’une ouverture suivie d’une gigue, d’une gavotte et d’un rondeau,
la suite de Valoy présente globalement les mêmes caractéristiques que les suites présentes dans les
manuscrits de Darmstadt.169 Plus originale est la messe brève composée par le maître de chapelle
français, parfaitement adaptée au culte luthérien puisqu’elle comporte seulement un Kyrie et
un Gloria.170 Elle a été copiée par Georg Österreich au même stade d’écriture qu’un motet de
Lalande, désigné par Harald Kümmerling comme « Öe », sur un papier dont le filigrane est relevé
par Kümmerling mais dont je n’ai pas pu éclarcir la provenance.171 Même si son style musical est
largement international ou italianisant, plusieurs détails trahissent l’origine française du com-
positeur. L’alternance entre un petit chœur soliste et le grand chœur, dont Valoy fait un usage
très fréquent, évoque l’effectif vocal du motet à grand chœur. Le paratexte musical est libellé
en français : « Sinfonie », « Lentement », « Gay », « Doux », « Seul », « Tous », « L’on reprend
au premier Kyrie jusqu’a la Ritournelle » – ainsi qu’une indication plus inhabituelle (« Hardi »)
qui accompagne de nombreux passages fugués et que l’on retrouve également dans le Magnificat
conservé à Londres. On notera aussi le parcours tonal fondé sur l’alternance de tons homonymes :
au Kyrie en do mineur succède un Gloria en do majeur.172

165 Harald Kümmerling, Katalog der Sammlung Bokemeyer, Kassel 1970. Voir aussi Zwischen Schütz und Bach. Georg
Österreich und Heinrich Bokemeyer als Notensammler, dir. Konrad Küster, Stuttgart 2015.
166 Wolfgang Hirschmann, « Bokemeyer, Heinrich », in : MGG online.
167 Carsten Lange, « Österreich, Georg », in : MGG online.
168 Kümmerling, Katalog, p. 9-10.
169 D-B, Mus. ms. 30274.
170 D-B, Mus. ms. 30293. Si l’on s’appuie sur cote originale de la partition dans la bibliothèque de Gottorf (1198) et
sur les hypothèses de Kümmerling concernant le développement de la collection, cette copie aurait été réalisée
entre mars 1694 et novembre 1696. Voir cependant ci-dessous (note 176) les réserves exprimées par Peter Wollny.
171 Kümmerling, Katalog der Sammlung Bokemeyer, p. 131.
172 Sur ce point, voir aussi Chapitre 5, p. 273-282.

– 230 –
La dissémination de la musique

La messe de Valoy respecte la nomenclature caractéristique de Hanovre, puisqu’elle est


écrite pour violon (sol 2), haute-contre (ut 1), taille (ut 3) et basse ( fa 4). Il faut noter que les deux
parties de violon sont là encore notées sur deux systèmes différents, mais qu’elles jouent stricte-
ment la même chose. Plusieurs indices laissent penser que Georg Österreich a pris l’initiative de
modifier la nomenclature des violons par rapport à la partition qu’il avait sous les yeux lors de la
copie : plusieurs erreurs de copie montrent que le modèle était rédigé avec des clés différentes. On
observe ainsi, dans la partie de taille de violon (ut 3), plusieurs passages écrits une tierce trop bas,
probablement parce que le modèle était rédigé en ut 2 : ces passages arrivent d’ailleurs de manière
intéressante après des mesures de silence, soit à un moment où le copiste a probablement oublié
qu’il devait transposer la partie de taille. Les parties de violons comportent aussi des erreurs de
transcription suggérant que les parties originales que Österreich avait sous les yeux étaient libel-
lées en sol 1, l’amenant à transcrire par erreur certains passages une tierce trop bas lorsqu’il oublie
de faire la transposition. On observera d’ailleurs que la partie de haute-contre, libellée en ut 1, est
beaucoup moins raturée et ne contient que deux erreurs qui n’ont rien à voir avec un changement
de clé : ceci peut s’expliquer par le fait qu’Österreich n’avait sans doute qu’à recopier une partie
libellée dans la même clé. La nomenclature de la partition ou des parties séparées recopiées par
Österreich était donc sans doute arrangée de la même manière que toutes les autres sources de
Hanovre : deux parties de violon identiques (sol 1), deux parties intermédiaires (ut 1 et 2) et une
partie de basse ( fa 4).
Même si le noyau de la collection Bokemeyer est constitué de musique d’église italienne
et allemande, plusieurs sources témoignent de la circulation de la musique française : on trouve
ainsi une copie manuscrite de L’Europe galante de Campra et celle du motet à grand chœur Audite
caeli (S7) de Michel-Richard de Lalande.173 Cette dernière est sans doute l’une des sources les plus
fascinantes et les plus mystérieuses de la collection : cataloguée par Kümmerling au numéro 590,
elle a aussi été copiée par Georg Österreich.
D’après Kümmerling, la quasi-totalité de la collection fut produite par l’atelier de copistes
de la cour de Gottorf entre 1692 et 1702 pour répondre aux besoins musicaux de la Hofkapelle,
mais également dans une visée patrimoniale destinée à couvrir le spectre le plus large possible de
musique d’église.174 Plusieurs indices laissent pourtant penser que c’est à Wolfenbüttel qu’Öster-
reich aurait rédigé sa copie de Lalande. Cette hypothèse recoupe plusieurs points importants de
la discussion engagée par Peter Wollny avec les conclusions de Kümmerling : d’une part, certaines
des partitions ont été copiées en-dehors de la période d’activité d’Österreich comme Kapellmeister
à Gottorf (1689-1702). D’autre part, les cotes reportées par Österreich sur les partitions de sa
collection ne suffisent pas à établir une chronologie satisfaisante du développement progressif
de cette dernière.175 Enfin, la question de l’usage des sources de la collection Bokemeyer mérite
également d’être discutée à nouveaux frais : Wollny souligne que la copie des sources de la col-
lection ne peut pas avoir eu pour seul objectif, comme le suppose Kümmerling, la constitution
d’une bibliothèque musicale aussi complète et large que possible, destinée à l’étude. La plupart
des partitions de la collection doivent avoir eu pour but au moins provisoire d’être exécutées dans
l’un des lieux d’activité de Georg Österreich. Ceci implique que les partitions de la collection,
aujourd’hui seules conservées, étaient à l’origine accompagnées de parties séparées qui auraient
été dissociées des partitions à un moment ou à un autre de l’histoire de la collection.176

173 D-B, Mus. ms. 2880 : André Campra, « Ballet en Musique. L’Europe Galante ». La partition est datée de 1697,
l’année de la création de l’œuvre, mais le copiste a d’abord indiqué Lully comme compositeur, avant que cette
attribution ne soit corrigée. D-B, Mus. ms. 30222 : Michel Richard de Lalande, « Audite Caeli à 10. Premier
et Second Dessus, Haute-contre, Taille, Quinte, Basse de Violon, Premier et Second Dessus de Voix, Haute
contre, Taille, Basse, Basse Continüe ».
174 Kümmerling, Katalog, p. 12-13.
175 Wollny, « Zwischen Hamburg, Gottorf und Wolfenbüttel », p. 63.
176 Wollny, « Zwischen Hamburg, Gottorf und Wolfenbüttel », p. 62-63.

– 231 –
Chapitre 4

Cette hypothèse permet d’expliquer pourquoi le titre et l’attribution qui figurent sur les
partitions sont bien souvent copiés par Österreich à un stade avancé de son écriture, ou encore par
une autre main que celle d’Österreich – comme c’est le cas pour le motet de Lalande : ils devaient
figurer à l’origine sur une chemise de papier qui a probablement suivi les parties séparées, d’où la
nécessité de compléter l’intitulé directement sur la partition. D’ailleurs, si un titre abrégé figure
bien sur la première page de la partition du motet de Lalande, copié par une main différente de
celle d’Österreich, cette partition est encore accompagnée de sa chemise originale dans laquelle
les parties séparées étaient sans doute insérées, et sur laquelle figure, de la main d’Österreich et
de façon très complète, le titre et l’attribution de l’œuvres, ainsi que l’intitulé des parties. On peut
observer que la main qui a ajouté la nouvelle cote « 1063 » sur la chemise est la même que celle qui
ajoute « de Lalande » en haut de la première page.
L’Audite caeli S7 est l’un des tout premiers motets de Lalande.177 Les sources françaises qui
transmettent cette pièce ne sont pas nombreuses : outre une copie tardive de la fin du xviiie siècle,
le motet est transmis par une seule source manuscrite de la collection Philidor, où il apparaît sous
deux formes différentes.178 Dans sa table des matières, Philidor a indiqué les particularités de
chacune des deux versions copiées : à la page 39 figure « Audite Caeli quae Loquor », à la page 71
« Audite Caeli quae Loquor, de la manière que Mr. De la Lande l’avoit fait la premiere fois ». La
première version du manuscrit est donc la seconde chronologiquement. Objet de nombreuses
coupures selon un processus courant dans la réécriture par Lalande de ses propres motets, elle est
nettement plus courte que la version originale. Alors que la seconde version date probablement
de 1689, la première doit avoir été composée avant la nomination de Lalande comme maître de
chapelle à Versailles en 1683.179 La copie allemande réalisée par Georg Österreich transmet la
version la plus ancienne du motet. Comme elle n’a jamais été imprimée, on doit supposer que
Georg Österreich l’a copiée sur une version manuscrite qui circulait en Allemagne à cette époque.
L’écriture de Georg Österreich dans cette partition est assimilée par Kümmerling au stade
« Öe ». La partition porte la cote originale 1227, qui apparaît encore sur la chemise du manus-
crit. Si l’on suit l’hypothèse de Kümmerling selon laquelle les partitions étaient numérotées dans
l’ordre chronologique de leur copie, ce manuscrit devrait avoir été rédigé à la même période que
les deux motets de Cousser discutés au Chapitre 5 (respectivement cotés 1225 et 1228), soit entre
mars 1694 et novembre 1696, puisqu’il est situé entre deux sources datées : la cote 1091 (mars 1694)
et la cote 1309 (novembre 1696). Mais les Gottorfer Signaturen ne reflètent en fait pas strictement
le développement chronologique de la collection Bokemeyer. Le papier de la copie fait apparaître
un filigrane identifié par Kümmerling (384a). Il provient du moulin à papier de Johann Wilhelm
Cast à Hasserode, non loin de Wernigerode, petite ville du Harz située à une cinquantaine de
kilomètres au sud-est de Wolfenbüttel. Johann Wilhelm Cast y aurait été actif entre 1695 et 1705.
Il s’agissait là sans doute d’un des moulins à papier les plus proches de la cour, puisque la plaine de
Basse-Saxe n’en comptait que très peu, contrairement à la région voisine du Harz, riche en cours
d’eau nécessaires pour la fabrication du papier.180 Ce filigrane peut être retrouvé dans d’autres
partitions de la collection.181 Par ailleurs, son utilisation est documentée pour les années 1695,
1700 et 1701 en combinaison avec un autre filigrane classé par Kümmerling sous le numéro 385a.

177 Sawkins, A Thematic Catalogue, p. 78-87.


178 F-V, Ms 12.
179 Le manuscrit F-A, Ms. 5840 (« Table de motets de feu Mr. De La Lande qui n’ont point esté gravez et l’année
qu’il les a composés ») donne 1689 comme date d’exécution de ce motet. Sawkins suppose qu’il s’agit de la date
de la seconde version.
180 Viktor Siemers, Braunschweigische Papiergewerbe und die Obrigkeit, Wolfenbüttel 2002, p. 28-34.
181 Nous donnons pour chaque partition le numéro sous lequel elle figure dans le catalogue de Kümmerling, la
cote actuelle, le compositeur et ses dates d’existence, le titre, la cote originale (Gottorfer Signatur) et le copiste
tel qu’il est identifié par Kümmerling. D-B, Mus. ms. 30211, Bok. 465, Antonio Gianettini (1648-1721), Confi-
tebor tibi Domine, 1267, Österreich et un autre copiste connu sous les initiales JDF mais dont le nom complet
n’a pas pu être élucidé. D-B, Mus. ms. 18882, Bok. 802, Johann Rosenmüller (1619-1684), Laudate Dominum
omnes gentes, 1281, Ö. D-B, Mus. ms. 18883, Bok. 827, Rosenmüller, Homo Dei creatura, 1262, JDF. B-D, Mus.

– 232 –
La dissémination de la musique

La copie du motet de Lalande n’est pas simplement une copie, mais plutôt un arrangement
de l’œuvre originale. Plusieurs modifications notables sont en effet apportées dans le dispositif
fondamental du motet à grand chœur.182 Les parties instrumentales présentent peu de modifica-
tions par rapport à la source versaillaise, puisque Georg Österreich reproduit fidèlement le texte
musical, les noms et les clés de la nomenclature utilisée par Lalande : premier et second dessus de
violons en sol 1 (mais rassemblés sur une seule portée là où ils sont parfois notés sur deux portées
distinctes chez Philidor), haute-contre en ut 1, taille en ut 2, quinte en ut 3, basse de violon en
fa 4. Österreich ajoute simplement une portée pour la basse-continue qui n’est pas présente dans
la copie de Philidor puisqu’elle suit la ligne de basse de violon. Le type de modification le plus
frappant apporté par Österreich dans les parties instrumentales est la multiplication des orne-
ments. Les quelques passages fautifs dans la copie de Philidor sont en règle générale corrigés par
Österreich. On trouve également quelques modifications des lignes vocales médianes, qui suivent
de plus près chez Österreich que chez Philidor les lignes instrumentales. De rares ornements
sont omis par Österreich, et on observe enfin quelques différences minimes d’indications,183 de
rythme, de hauteurs et de liaisons. Le chiffrage de la basse continue est également beaucoup plus
précisément noté chez Österreich.
Dans les parties vocales, la réécriture est plus profonde puisque les deux chœurs caractéris-
tiques du motet à grand chœur (le grand et le petit chœur) sont ici rassemblés en un seul ensemble
vocal, ce qui conduit Österreich ou son modèle à réécrire de nombreux passages. La nomenclature
de l’unique chœur d’Österreich diffère aussi sensiblement de la tradition française, puisque si
le copiste allemand reprend les cinq voix caractéristiques du grand chœur français, l’usage des
clés se rapproche en revanche sensiblement de l’usage allemand : deux clés de sol 2 (deux sopra-
nos), une clé d’ut 3 (alto), une clé d’ut 4 (ténor) et une clé de fa 4 (basse). L’usage de la clé de sol
est le seul qui ne correspond pas à l’usage allemand traditionnel, puisque les parties allemandes
de soprano sont habituellement notées en ut 1. L’énumération des voix en français dans le titre
d’Österreich est d’ailleurs intéressante : la composition du chœur est détaillée en « Premier et
Second Dessus de Voix, Haute-Contre, Taille, Basse ». Österreich féminise donc la composition
du chœur français, où toutes les voix sont masculines sauf le dessus, se prive de la Basse-Taille
et décale d’un système vers le grave les parties de Haute-Contre et de Taille. Il trouve ainsi un
excellent compromis entre le chœur français à une voix de femme et quatre voix d’homme, et le
chœur allemand ou italien à deux voix de femmes et deux voix d’hommes.
L’une des questions les plus passionnantes pour le chercheur, mais aussi l’une des plus dif-
ficiles à résoudre, est celle du modèle copié par Österreich et la manière dont il a pu avoir accès
à une telle œuvre, somme toute assez marginale et précoce dans la carrière de Michel Richard
de Lalande. La copie d’Österreich présente plusieurs traits intéressants de ce point de vue. Tout
d’abord, on remarque qu’à toutes les voix, les mesures de silence sont pourvues d’un numéro au
lieu de la pause. Ceci indique que, lorsqu’il réalise sa partition, Österreich a certainement en tête
la réalisation de parties séparées où il suffira de reporter le nombre total de mesures de silence.
Tout à fait frappante est également la propreté de ce manuscrit, qui, en dépit de sa longueur (721
mesures de musique) contient très peu de ratures ou de corrections. Les quelques fautes commises
puis corrigées par Österreich ne trahissent pas la présence d’un modèle différent, mais sont au
contraire des fautes bénignes telles que des décalages de mesure ou des erreurs isolées dans la

ms. 18887, Bok. 884, Rosenmüller, In te Domine speravi, 1246, JDF et Ö. D-B, Mus. ms. 19781, Bok. 974, Johann
Schelle, Nun dancket alle Gott, 1239, JDF. D-B, Mus. ms. 30293, Bok. 1035, Vesii, Venite gentes, pas de cote, JDF
et Ö. D-B, Mus. ms. 23445, Bok. 1076, Friedrich Wilhelm Zachow, Von Himmel kam, sans cote, Ö.
182 Thierry Favier, Le Motet à grand choeur. Gloria in Gallia Deo, Paris 2009.
183 Österreich indique à plusieurs reprises un doux aux parties supérieures de cordes lors de l’entrée d’une voix soliste
– notation qui n’apparaît pas chez Philidor : mes. 27, 212, 305, 466. Il note également en toute lettres (Ritournelle
ou Symphonie) trois passages instrumentaux non intitulés par Philidor: mes. 298, 445, 614. On pourra noter que
Georg Österreich demeure pour le reste fidèle à la terminologie qui figure dans la copie de Philidor: les Simpho-
nies (mes. 1, 188) sont appelées Symphonie, tandis que la Ritournelle de la mes. 526 est appelée Rittournelle.

– 233 –
Chapitre 4

lecture des clés. Le seul passage où Georg Österreich modifie visiblement son modèle de façon
intentionnelle, mais seulement dans un second temps, se situe à la mesure 221, à la partie de
haute-contre de violon : il copie d’abord la version de Philidor, avant de se raviser et de modifier
la ligne mélodique de façon à ne pas toucher le fa dièse dans l’orchestre avant le second temps de la
mesure, de sorte que la voix chante seule le fa dièse au premier temps. Il écrit d’ailleurs en français
un « Ré » en toutes lettres en-dessous de cette correction peu lisible.
On a donc globalement l’impression de Georg Österreich copie fidèlement un modèle ligne
par ligne. La faute qu’il fait à la partie de dessus (mes. 166-173) est tout à fait typique d’une copie
page par page et ligne par ligne, puisqu’il confond ces quelques mesures avec un passage qui
se situe un peu plus loin sur la même page, mais commence de la même façon (mes. 177-183).
Le passage copié par erreur est gratté puis corrigé, avec l’indication des notes en toutes lettres
au-dessus de la dernière mesure de la page. Österreich a donc apparemment commencé sa page
en copiant la partie de dessus vocal. De façon intéressante, le décalage prend fin au bas de la
page, ce qui indique que chaque page était copiée l’une après l’autre. Ceci pourrait indiquer que
Georg Österreich copiait sa partition sur un ensemble de parties séparées. Il ne semble pas avoir
introduit de modification majeure en cours de copie, et son modèle doit donc avoir été déjà très
largement modifié par rapport à la version transmise par André Danican Philidor.

Entre compilation et objet de mémoire : le livre de musique


La musique française n’a pas été sollicitée seulement dans le cadre de chapelles princières ou
ducales, ou d’une vie de cour fastueuse, pas plus que son usage ne s’est limité à des contextes de
représentation extraordinaire ou de liturgies publiques marquées d’un certain degré de solen-
nité. Le répertoire venu de France a également franchi le seuil des demeures individuelles et
des appartements, et a visiblement trouvé un usage important dans la sphère privée. Ici, dans
l’intimité d’une pratique musicale domestique ou dans le labeur silencieux d’un atelier de co-
pistes, le répertoire français emprunte des chemins encore largement inexplorés, et pour une
part semés d’embûches d’un type bien particulier. Une difficulté spécifique des sources destinées
à un usage domestique est leur caractère très marqué de compilations : la musique française y est
présente sous forme d’extraits, placés au beau milieu d’œuvres qui n’ont souvent rien à voir par
leur contenu ou leur provenance. La question de l’usage de ces sources est aussi un aspect essentiel
de la réflexion sur ce type de documents, puisqu’ils sont souvent réalisés pour un usage pratique
immédiat. Ceci rend souvent un travail approfondi sur les sources domestiques particulièrement
ardu. En effet, les extraits copiés dans les livres de musique des grands aristocrates allemands ne
sont généralement pas attribués ni identifiés précisément. Puisque le livre était destiné à un usage
individuel, on savait ce qu’il y avait dedans et il n’était donc pas nécessaire d’identifier, de classer
et d’ordonner les extraits autrement qu’en suivant sa fantaisie, ou par des annotations à usage
strictement personnel. À charge donc pour le chercheur de reconstituer, à partir des catalogues
à sa disposition, et en se fondant sur les titres, les textes ou les incipits musicaux du manuscrit,
le répertoire qu’il contient. Ce travail, réalisable sur des recueils de musique vocale, étant donné
que le texte peut servir à identifier un extrait d’une œuvre, est en revanche beaucoup plus difficile
à mettre en œuvre sur les sources de musique instrumentale, dont bien peu de choses peuvent
servir à l’identification.

Le livre de musique de Ludwig Rudolf de Wolfenbüttel


Une source tout à fait passionnante pour l’étude de la vie quotidienne musicale à la cour de
Wolfenbüttel est le journal tenu par le duc Ludwig Rudolf (1671-1735). Dernier fils du duc Anton
Ulrich et de sa femme Elisabeth Juliane, il accomplit son Grand tour juste après son frère aîné
August Wilhelm, entre 1685 et 1687, à travers la France, l’Italie et les Pays-Bas. Il s’engagea ensuite
dans les armées impériales sous Jean III Sobieski, où il se fit remarquer pour son courage et sa
valeur militaire. En 1689, un traité de succession lui assura le comté de Blankenburg. En 1690, il
épousa Christine Luise von Oettingen, une mélomane très active. En 1714, à la mort de son père,

– 234 –
La dissémination de la musique

il s’installa à Blankenburg et gouverna ce territoire de moins de vingt kilomètres carrés, élevé


depuis 1707 à la dignité de principauté impériale par l’empereur Joseph Ier, avec détermination
en y entretenant une vie de cour très active. À la mort de son frère aîné August Wilhelm en 1731,
Ludwig Rudolf accéda au gouvernement de la principauté de Wolfenbüttel qu’il conserva jusqu’à
sa mort.184 Cette figure intriguante n’est pas seulement intéressante dans une perspective d’his-
toire politique ou militaire : Ludwig Rudolf était aussi, comme en témoigne son impressionnante
collection de manuscrits, un homme d’une grande érudition et d’une immense curiosité. Dans
cette collection se trouvent aussi deux fragments de son journal datés de 1701 et 1707, les deux seuls
extraits qui nous soient parvenus. Rashid Pegah a transcrit et commenté les extraits se rapportant à
la musique pour l’année 1707.185 Différentes entrées montrent que des extraits de Phaëton de Lully
et de L’Europe galante de Campra furent exécutés à Wolfenbüttel en septembre 1707 par une troupe
de comédiens français de passage, dont la composition reste malheureusement inconnue.186 Ces
extraits apportent un témoignage passionnant sur la circulation de la musique et des musiciens
français, ainsi que sur la proximité entre théâtre parlé et théâtre chanté, étroitement mêlés lors
des représentations en français – à la différence, sans doute, du théâtre italien qui semble avoir été
nettement plus distinct de l’opéra.
L’autre fragment du journal de Ludwig Rudolf, le cahier de l’année 1701, est d’une toute autre
nature que le journal de 1707 : alors que celui-ci est de format in-quarto, simplement relié dans une
épaisse couverture de cuir brun, contenant des notices apparemment écrites en toute hâte au jour le
jour, le journal de l’année 1701 est de format in-folio, relié dans une couverture de cuir rouge bordée
d’or, écrit très proprement, de façon continue, sans saut de page ou changement d’écriture visible.
On peut se demander s’il ne s’agit pas là d’une copie au propre d’un journal original, mais cette pra-
tique semble peu vraisemblable. Peut-être simplement que Ludwig Rudolpf était plus attentif à la
présentation matérielle de son journal en 1701 qu’en 1707. La page de titre est ornée d’une superbe
aquarelle, représentant un arc de triomphe, avec le château de Wolfenbüttel à l’arrière-plan. Sur
l’arc est reporté en caractères manuscrits dorés le titre latin du cahier.187 Plusieurs extraits de ce
journal se rapportent de façon très précise à de la musique jouée ou entendue (Tableau 4.7). La
musique s’inscrit ainsi dans un univers mental et sensoriel très large, puisque ce journal est tout à
la fois exercice spirituel, livre de comptes et de dettes, mémoire des choses vues, lues et entendues,
écriture de soi et consignation méticuleuse des plus petits événements de la vie quotidienne, com-
pris comme effets de la sollicitude de Dieu. Il s’achève du reste par une action de grâce saisissante,
où le jeune duc relit l’année écoulée en étendant sa prière à l’ensemble de l’univers.
Dès la première page du journal, l’année 1701 s’ouvre par l’évocation de deux musiciens
français, et se conclut, lors des derniers jours, de la même façon. Comme nous l’avons déjà noté
dans le Chapitre 1, ces deux évocations sont des beaux exemples de circulation de musiciens fran-
çais par le biais de canaux diplomatiques. Les représentations musicales extraordinaires évoquées
dans le journal ont lieu presque exclusivement au mois de février et au mois d’août. La cour se
trouve à Braunschweig du 29 janvier au 15 février pour la foire d’hiver, et assiste à des représenta-
tions d’opéra au théâtre public du Hagenmarkt de Braunschweig. Beaucoup d’œuvres entendues
sont de Georg Caspar Schürmann (1673-1751), maître de chapelle de la cour de Wolfenbüttel :

184 Paul Zimmermann, « Ludwig Rudolf », in : Allgemeine Deutsche Biographie.


185 Rashid Sascha Pegah, « Und abends war opera. Tagebuchnotizen aus dem Jahre 1707 », Wolfenbütteler Notizen
zur Buchgeschichte, 23, 1998, p. 182-190. D-W, Cod. Guelf. 286a Blankenburg.
186 Pegah, « Und abends war opera », p. 198 : « d. 2 Septemb. wieder le Mariage forcé, nachdem sie vorhero etwas
auß der opera von Phaeton gesungen. […] d. 6. Septemb. ist wieder Commoedie geweßen; Le Devil [= Le
Devin?] und haben sie vorhero auß der opera L’Europe Galante etwas gesungen […] d. 15 Septemb. deß Abends
wurde von denn französischen Commoedianten; auf dem Theatro ein Actus auß Europe Galante gerepresen-
tiert; hernach le tombeau de Maitre d’Andrée gespielet . »
187 D-W, Cod. Guelf. 28 Blankenburg : « Diarium Ser[enissi]mi Princip[i] ac Domin: D[o]m[in]i Ludovici Rudol-
phi Brunsvicensium ac Luneburg: Ducis Vitam & Actiones nec non pleraque in Aula Guelphica ut et Chris-
tiano Orbi Universo notatu digna complectens. Anno Ortae Salutis MCCI. »

– 235 –
Chapitre 4

Tableau 4.7. Journal du duc Ludwig Rudolf von Braunschweig-Wolfenbüttel pour l’année 1701 : extraits se
rapportant à la musique et au son. D-W, Cod. Guelf. 28 Blankenburg.

Date Texte
24. janv. Den 24ten Januarii war man des mittages zu Gaste beÿ dem Franzosch: Envoyé Monsieur de Bonnac, und
waren selbige Persohnen beÿ Ihme: Mein H: Vatter, Frau Mutter, Mein Bruder, und Seine Gemahlin,
Meiner Gemahlin, der Prinz August von Bettern, Ich, Monsr Obdam, ein so genandter Baudovin, so aus
Pohlen gekommen und affairen vor dem König alhier unter händen hatte, die 2. Princessinen Eleonora
von Meinungen, und die von Hollstein-Vorburg. Beÿ der Taffel war Music von Flöten und Hautbois,
und spieleten auf solchen Instrumen ten 2. Franzosen, Vatter und Sohn, da von der Sohn nicht über
10. Jahr alt, zu seÿn scheine, und dennoch über alle maßen wohl blieb, so wohl der Hautbois als Flöte,
absonderlich auf dem Basson : Sie hatten sich den Tag vorher beÿ der Assamblée zu Hoffe auch hören
laßen, weil Sie der französische Envoyé meinem H. Vatter praesentiret.
26 janv. den 26to Januar : ist Assamblée beÿ Mr. de Bonnac des Abends gewesen, und ist auch darbeÿ getantzet
worden.
29 janv. den 29ten Januar : ist der gantze Hoff hinüber nach Braunschweig gereiset, umb auf der bevorstehenden
Winter-Meße daselbsten ihren Séjour zu halten.
6 févr. Den 6to Febr: ist Music in der Dohm-Kirchen St: Blasii zu Braunschweig vor und nach der Predigt in
Gegenwartt der Fürstl: Persohnen gehalten worden, und hat ein neuer Bassist von Coburg ein Solo gesungen.
7 févr. Den 7ten Febr: ist Opera gewesen und nach der Opera hat man getantzet und gespielet zu Hofe, die Opera
wurde tituliret Salomon.
8 févr. den 8ten Febr. ist auf dem ordinairen Theatro wieder eine Opera in Teütscher Sprache gespielet worden,
Lucius Verus benahmet den Mittag haben beÿ dem Französ. Envoyé Bonac in seinem gemietheten Hause
zu Braunschweig gegeßen
10 févr. den 10ten Febr: wurde Salomon nochmahlen gespielet.
11 févr. den 11ten Febr: ist wiederumb eine teutsche Opera gespielet : Pharamond genandt, und nach der Opera
wurde à l’ordinaire zu Hofe getantzet und gespielet.
14 févr. den 14ten Febr: wurde Salomon zum 3ten mahl gespielet.
15 févr. den 15ten Febr. reisete der Hoff wieder herüber nach Wolfenbüttel.
21 févr. den 21ten Febr: ist die Italienische Opera Endimione auf dem kleinen Theatro zu Wolfenbüttel
gepraesentiret worden, und hat man nach der Opera gespielet in Meines Hrn Vattern Vorgemach
24 févr. den 24. Febr. des abends ist die Italienische Opera : Il Pastore d’Anfriso zu Hofe gespielet worden, nach
deren endigung man an die Tagel gegangen […]
28 févr. Sonsten habe Ich den 28ten Febr: die Anmerckungen über des Balthasar Gratians Criticon mitschrieben
zu ende gebracht, und über die Pensées ingenieuses de Mons.r de Pascal wieder angefangen zu excerpiren.
6 mars Kurz vorhero ist ein so genannter von Schleinitz, so nebst Seiner Frauen wehrender Winter-Meße zu
Braunschweig sich aufgehalten, nach Sachsen weg gereiset ; Ich habe demselben [Tag ?] einen Jungen
verehret, so auf der Hautbois und Fleute-douce spielen konte, weilen er mich darumb angesprochen.
16 mai des abends ist der Hoff al corso zum erstenmahl gewesen von diesem Jahr in dem Lecheln-Holtze, und
hat man des Abends alsdort, in dem daselbst gefindlichen Hause gegeßen ; bey der Taffel haben etliche
Berg-Knappen mit Lithrinen und Violinen aufgewartttet und dabeÿ gesungen.
17 mai diesen Tag ist eine Opera alhier zu Wolfenbüttel gespielet worden, nemblich Endymione so Italienische
und schon vorher etliche mahl gespielet war ; nach endigung der Opera ist an etlichen Tafeln in dem
ordinairen Eß-Gemach gespeiset worden.
30 mai den 30ten May seÿnd meine Gemahlin, der Prinz August von Bettern, Ich, die Madme Crammen, ihr Mann,
die Fräulein Papthausen, Mons: Campe des Abends umb 6. Uhr hinaus nach Unserm Gartten gefahren,
haben daselbsten zu Abend gegeßen, nach deßen endigunge wir in Lecheln-Holtze in Chaise-Rolande
Portieren gefahren, und habe Ich die Crammen geführet ; der Printz August und Ich haben auf der flöte
gespielet, umb das Echo in einer von denen Alléen im Bechels-Holtze recht hören zu können.
26 juin [à l’occasion de l’inauguration du couvent à Salzdahlen] Man saß en der Tafel pêle mêle, und waren mehr
als 90. Persohnen an selbiger ; Es wurde eine schöne Music beÿ selbiger gehalten.
27 juin Den 27. Jun: seÿnd wir zusammen gegen mittag wiederumb hinaus nach Saltzdahlen gefahren und
haben des Mittages wie auch des Abends daselbsten geßen [sic] ; Es ist damahls eine Italienische Opera
gespielet worden, genannt Il figlio delle Selve.

– 236 –
La dissémination de la musique

Tableau 4.7. (suite)

30 juin Es hatt obgedachte Wache alle Zeit ein Lieutenant oder Föndrich [?] auf geführet, und seÿnd Sie jedesmahl
auf dem Zechten Flügel der hiesigen Parade postiret gewesen, seÿnd mit selbiger zugleich abmarchiret
und auf das Schloß gezogen mit Hautbois und rührendem Spiel.
8 juil. Gegen Abend bin Ich nebst Meiner Gemahlin nach Menßen hinaus gefahren, allwo Wir beÿ Meinem
Bruder gegeßen, so uns zu Gaste gebehten [sic] hatte, und waren folgende Persohnen auch mit da, die
Princessinen von Meinungen und Hollstein, der französische Envoyé Mon: de Bonac, die Fräulein
Henningen und Mons. Schwartzkopf ; Es wurde beÿ der Tafel musiciret und Aß man in dem Gartten
unter einer von denen 3. Lauben so mitten in Gartten seÿnd.
22 juil. Meine Gemahlin hatte des Printz Augusts Seine bande Hautbois kommen laßen, welche beÿ der Tafel
aufwartteten und verkleidet waren als Bauern, wie dann auch Meiner Gemahlin und Meine Bediente
sich als Bauer-Mädgens verkleidet hatten […]
9 août den 9ten Augusti wurde eine Italienische Comoedie des Abends auf dem Großen Saal zu Braunschweig auf
dem Most-Hause Italienischen Comoedianten gepraesentiret, der Harlequin hieß Stefano oder Sebastiano
von Zell, und war vor diesem in Zellischen diensten gewesen, er hatte eine gar hübsche Tochter welche
auf mitspielete.
11 août des Abends ist wieder Italienische Comoedie auf dem Großen Saale gewesen.
12 août Nach dem Eßen fuhren wir wieder hinüber nach Braunschweig, woselbsten wir eben zu recher Zeit
ankahmen, umb der Italienische Comoedie mit zusehen zu können, so diesen Abend auf dem Theatro auf
dem Alten Rath-Hause von denen Italienische Comoedienaten praesentiret wurde, und war es : Il Principe
finto.
13 août des Abends ist wieder Italienische Comoedie gewesen, und war es : Harlequino Simiotto.
15 août den 15ten Augusti wurde eine Opera gespielet, so Teutsch, Nahmens Daniel, und fuhr man umb 4. Uhr
nach der Redoute, allwo gespielet wurde, bis es Zeit war in die Opera zugehen ; diese wehrete von 7. Uhr
an bis halb 11. Uhr nach derer endigunge jeder in Seinem Gemache des Abends speißete.
16 août den 16ten Augusti wurde wieder eine Opera gespielet : Salomon, so schon vorige Winter-Meße gespielet
worden.
17 août des Nachmittages hat der französch. Envoyé du Bonac den gantzen Hoff mit einer Italienischen Comoedie
regaliret, intituliret : Angoletta Spirito Foletto, welches die Tochter des Harlequins praesentirte, und viele
Adorateurs in diesem Stücke bekahm.
18 août den 18ten Augusti ist die Opera von Salomon wieder gespielet worden
19 août den 19ten Augusti ist Luccius verus, auch eine Teutsche Opera gespielet worden […] Man hat der Opera
verkleidet zugesehen, und war Ich als ein Jäger gekleidet, und hatte einen Grünen Rockh mit Guldenen
Gallonnen an ; Wie die Opera aus war hat man an unterschiedliche Tafeln in dem großen Redout-Saale
beÿ der Opera geßen [sic], und setzte Ich mich, weil sonsten kein Platz vor mir, mit an der Tafel von denen
Prinzen und Princessinnen, die das Ballet Tantzen solten, worunter den Prinz von Plöre [?] der vornehmste
war, welcher nach vielen hönischen Reden und raillerien, als Sie eher aufstunden wie die andern, weil
Sie sich mußten zu dem bevorstehenden Ballet praepariren, mich mit Seiner schmutzigen Serviette ins
Gesichte warff, mit beÿgefürgten wortten : du verfluchtes Gesicht, welches Ich damahls that als wann
Ich es nicht gehöret, und dieses en Raillant annoch aufnahm. Hierauff wurde das Ballet getantzet auf dem
Großen Theatro, nachdehm die Herrschafft Sich in denen Logen placiret : das gantzen Amphitheatrum war
illuminiret, und waren die Logen von oben bis unten mit Zuschauern besetzet, die Persohnen des Ballets,
so alle en Bergeres gekleidet waren wie auch als Jägers und Nymphen, waren folgende : die Princessinen von
Meinungen, und Hollstein, Meine 2. Töchter, die Fräuleins Fettebrocken, Negendancken, Hermingen
und Hapthausen, der Prinz von Plöre, der Prinz August und Christian von Bettern, der Prinz Leopold
von Hollstein, Mons : Oppeln, Brion, Veltheim, Gerstorff, Amat und einige Academisten. Nach endigunge
des Ballets fing man unter in dem parterre zu tantzen, und waren es fast lauter teütschen täntze.
20 août und ließe darauff der Hertzog Rudolph August in dem Großen Reit-Hause auf dem Grauen Hofe eine
Italienische Comoedie spielen, nemblich Harlequino Simiotto per amore […]
21 août des Abends wurde wieder der Daniel gespielet.
23 août an Meinen Cammer-diener François 50 Thlr., 12 Thlr. an Alberti, vor Meine Hautbois zu lernen […]
Diesen tag war der sämbtliche Hoff in der Italienischen Comoedie, so war : 1 quattro Harlequini.

– 237 –
Chapitre 4

Tableau 4.7. (suite et fin).

7 oct. den 7ten October ist des Abends vor dem Eßen eine Teutsche Comoedie, so aus dem franzö: vertiret, und
von des Molliere pieces waren, nemblich Le Medicin malgré lui, ein Meines Herrn Vattern Vorgemache,
durch die Pagen gespielet worden, nach deren endigunge selbige ein Ballet getantzet, und die vereinigung
der beÿden Hollsteinischen Magens, als Plöre und Norburg, nebst der 2. verlogten Geschlungenem
Nahmen durch eine helle gläntzende Piramide vorgestellet worden.
9 oct. den 9ten October, Ist die neue aufgrichtete Granadier-Compagnie blau mit Gelben aufschlägen mondiret
und schönen bordierten Granadier-Mützen unter Commando des Schloß-Haubtmans von Bennigsen
stehende als Schloß-Guarde zum erstenmahl auf hiesigem Schloße aufgezogen ; Es hat selbige Marche
bestanden zu Einem Unter-Officier, und 30 Gemeinen, 1 Tambour, und 1. Querpfeiffer. […] Wie man
in die Kirche ging, auch wie man wieder heraus ging, wurde alle Zeit gepaucket, und auf den Trompeten
geblasen. […] Nach der Predigt wurde das Te Deum Laudamus unter Trompeter und Paucken-Klang
wie auch allen Choral-Instrumenten abgesungen, wobeÿ sich die Stücke umb den Schloß und Stadt-
Wall tapfer hören ließen, welche 3. mahl sämbtlich gelößet wurden. […] wurde in dem Großen Saal
getantzet, und zwar die Ehren-Täntze alle nach Paucken und Trompeter, die andern aber nach ordinairen
Musical=Instrumenten.
11 oct. den 11. October wurde die Italienische Opera : Il Pastore d’Anfriso auf dem Wolfenbüttelschen Theatro
gespielet, und zwischen den Entre-acten tantzeten die Fürstl. Personen die zu Braunschweig das Ballet
getantzet hatten auf verstrichener Sommer-Meße etliche Entréen, und tantzete der Braütigam und die
Braud auch selbst mit, wie auch etliche von denen Dames und Cavalliers.
13 oct. beÿ der Tafel ließen sich die Paucken und Trompeten, wie auch Hautbois lustig hören.
1 nov. den 1ten November Ist dergleichen Assemblée in Meiner Gemahlin Gemächern gewesen, und habe Ich
in meinem Vorgemache, allwo ein Tafel von 12. Persohnen angerichtet war, ein Tafel-Musique von der
Schloß-Capelle halten laßen.
14 nov. den 14ten November ist Assamblée in Meiner Gemahlin Gemächern gewesen […]. Beÿ der Tafel hatten
wir wieder ein Concert, worbeÿ 2. Trompeter nach der Musique mit bliesen. Hierauff, als das Confect
aufgesetzet worden, meldete sich auf einmahl, abgeredetermaßen, Mein Jäger an mit seinem Wald-Horn,
welches Er laut erschallen ließ […] Hierauff erschien des Prinz Augusts von Bettern Bande Hautbois ; so alle
als bauern verkleidet waren, nebst einen Tambour so als ein Norwegischer Bauer sich praesentirete, welche
zweÿmahl umb die Tafel blasend herumb gingen, und den Türckischen march blusen […] reterireten Wir
uns wieder in Meiner Gemahlin Gemächer Paar beÿ Paar, Wie Wir an Tafel angangen, und musten vorher
die Hautbois und Tambour blasend und spielend uns in die innerste Gemächer wieder convoyiren.
24 déc. des Abends ist à l’ordinaire die Schloß-Capelle gantz illuminiret gewesen, und haben Sie nebst der
Gewöhnlichen Vesper eine schöne Musique in der Cappelle gehalten. Madme d’Usson [femme de
l’ambassadeur français à Wolfenbüttel] so den Tag vorhero angekommen war, hat diesen Abend Ihre erste
Audienz beÿ Frau Mutter gehabt, und hat nebst ihrem Manne an der Tafel geseßen beÿ Herr Watter und
Frau Mutter ; die Tafel war angerichtet in Frau Mutter Ihrem ordinairen Gemach und saß mein bruder,
Seine Gemahlin, Meine Gemahlin, und Ich, auch mit an derselbigen, beÿ wehrender Tafel wurde von einer
französin Mariane genant, so die Madme d’Usson mit aus Frankreich gebracht, eine Musique gemachet, und
spielete sie auf einer sogenanten Viole d’Amour überaus wohl, und sang auch darbeÿ etliche französ. Lieder.
25 déc. [chez Mr d’Usson] und beÿ der Tafel ließ sich die Mariane wieder hören, nebst einen österreicher, so auf
der lauten überaus wohl spielete, welchen der Graff Rappach alhier zurücke gelaßen.
27 déc. Des Mittages hatte Mein Herr Vatter, Mein Bruder, Seine Gemahlin, Ich und Meine Gemahlin, nebst
Meiner ältesten Tochter, und dem Ältesten Prinzen von Bettern, hoffmeister Post, und Cammer-
Praesident Imhoff beÿ d’Usson geßen [sic], und wurde beÿ der Tafel wieder von der französin musiciret.
Hatt mich also der Aller-Gütigste Gott dieses 1701ten Jahres Ende Glücklich und gesund erleben laßen,
welchem da vor Ewig Danck gesaget seÿ, wie auch vor aller Leibes und Seelen Wohltarten, die Er nicht
so aohl mir, als Maeinen Verwandten, als Erltern, Schwestern, Bruder, Frau und Kinder, sonderauch vor
diejenigen unzählig-vielen Wohltaten, so Er dem Gantzen Menschlichen Geschlecht an Seel und Leib
dieses Jahr über verliehen ; Gott helffe, daß ein jedes Sterblicher also möge gelebet haben, daß er dermahl
eins über kurtz oder Land, oder schon die ewige Seeligkeit erlangen, oder haben mögen, udn daß die
annoch Irrende viele Schäflein, als Heÿden, Türcken, und Juden, wie auch die Geistlich-verwirreten
alle mögen in künfftigen Zeiten zur Herrde Christi kommen, und mit den Glaubigen Kinders Gottes
ererben das Ewige Leben.

– 238 –
La dissémination de la musique

son opéra Salomon est créé au début de la foire d’hiver le 7 février 1701 et repris trois fois en août
de la même année ; l’oratorio Daniel est créé le 15 août, avant d’être repris le 21 du même mois ;
sa fable en musique Endimione, créée à l’été 1700 au château de Salzdahlum, résidence d’été des
ducs de Wolfenbüttel, est reprise deux fois en 1701. On notera également l’importance de Carlo
Francesco Pollarolo, dont trois œuvres sont executées en 1701. Enfin, l’opéra Il figlio delle Selve
d’Alessandro Scarlatti est donné à Wolfenbüttel le 27 juin 1701.
Mais c’est n’est pas seulement à travers les notations quotidiennes de son journal que la mu-
sique est présente dans la vie et la mémoire de Ludwig Rudolf : son livre de chant nous permet aussi
d’entrevoir la place occupée par la musique française dans les pratiques musicales domestiques de
l’aristocratie allemande.188 Ce petit cahier de format oblong, relié dans une couverture de cuir
assez abîmée, est presque entièrement (à l’exception des cinq derniers numéros) écrit par le même
copiste qui pourrait bien être Ludwig Rudolf. Mais avant d’aborder le contenu musical propre-
ment dit de cette compilation d’airs manuscrits, nous chercherons à la replacer dans son contexte
culturel, intellectuel et social, afin de pouvoir mieux en comprendre, dans un second temps, les
enjeux proprement musicaux. L’une des caractéristiques les plus frappantes de ce livre de musique,
lorsqu’on l’ouvre, est l’annotation liminaire qui figure sur la première page de couverture :
Tout cede au tems, mai La Vertu | resiste. Louis Rodolfe | D[uc] de Br[unswick] et L[unebourg] |
Wolfenbüttel ce | 6: Ottob[re] 1705

Cette maxime en forme de sentence morale, accompagnée d’une datation et rédigée en français,
permet à notre avis de pointer l’une des caractéristiques essentielles de ce livre de chant : loin d’être
une simple anthologie pour l’exécution, il semble bien être – à la manière d’un journal, d’une com-
pilation d’extraits ou d’un recueil de lieux communs – à la fois le support écrit d’une pratique quo-
tidienne et le moyen de fixer la mémoire des choses entendues. Un petit détour par les productions
manuscrites de Ludwig Rudolf apparaît nécessaire pour préciser ce que nous entendons par là.
Un trait particulièrement saillant de sa personnalité est en effet son activité de compilateur
polygraphe, qui semble se répercuter sur tous les plans de sa vie intellectuelle et spirituelle. Son
journal, ainsi que nous l’avons vu, peut être lu comme la compilation – ou encore le recueil au
sens littéral du mot – des petits évènements quotidiens compris comme effets de la grâce divine et
objets privilégiés de la conscience individuelle qui se forme et se ressaisit dans un travail quotidien
d’écriture. Mais l’activité compilatoire du duc de Wolfenbüttel ne s’arrête pas là: on trouve, parmi
les manuscrits du fonds de Blankenburg, une quantité tout à fait impressionnante de recueils
de citations ou notes de lecture rédigées par le duc au cours de ses loisirs.189 Un seul exemple
d’une telle activité suffira ici. Le manuscrit 26 du fonds Blankenburg rassemble des notes de
lecture tirées de l’Histoire des Juifs de Flavius Joseph ainsi que plusieurs citations en latin extraites
d’un ouvrage de Middendorf, copiées entre 1702 et 1705.190 Le recueil, entièrement de la main
de Ludwig Rudolf, signale soigneusement la date de début et la date de fin de lecture de chacun
des ouvrages et reporte après chaque citation, le numéro de la page, du chapitre et du livre d’où
elle est tirée. La plupart des citations sont des notes factuelles, ou bien au contraire des sentences
morales gnomiques. Ludwig Rudolf s’inscrivait donc ici dans une tradition séculaire, celle du
recueil de lieux communs, cahier de citations situé au confluent des pratiques de lecture, d’écri-
ture et d’édification personnelle.191

188 D-W, Cod. Guelf. 266 Mus. Hdschr.


189 Hans Butzmann, Die Blankenburger Handschriften, Francfort 1966.
190 D-W, Cod. Guelf. 26 Blankenburg : Eigenhändige Excerpte Ludwigs Rudolfs 1702-1705. Les extraits de Fla-
vius Joseph son issue d’une édition parisienne de 1677 : Histoire des Juifs, écrite par Flavius Joseph sous le titre
d’Antiquités judaïques, trad. fr. Robert Arnaud d’Andilly, Paris 1677.
191 Par exemple D-W, Cod. Guelf. 26 Blankenburg, p. 2 (« La veritable valeur consiste à surmonter les plus grands
obstacles, et à ne pas craindre de s’exposer à la mort pour acquerir une reputation immortelle ») et p. 59 (« Fin
de L’histoire des Juifs […] à Wolfenb. Le 3. Avril 1705 après ayant commencé à en excerpter le 15. juin 1702 »).

– 239 –
Chapitre 4

Le recueil est en outre ouvert par le même dispositif liminaire que le livre de musique, fai-
sant figurer côte à côte une maxime morale rédigée en français, ayant sans doute pour fonction
de placer le travail quotidien dans un contexte de dévotion personnelle, le nom du scripteur et
une date :
Tout avec Dieu, et rien sans | Luy. | Louis Rodolfe. D[uc]. de | B[runswick]. et L[unebourg]. |
Wolfenbüttel | ce 26.me Fevrier. | 1705.

On voit bien où nous voulons en venir : si le livre de chant de Ludwig Rudolf est un recueil
d’airs copié à des fins de divertissement pour un usage domestique immédiat, il est aussi solidaire
d’une pratique quotidienne de compilation qui ne se limite pas à la sphère de la musique, ni même
à la sphère de l’écrit. De ce point de vue, on pourrait considérer le livre de musique comme une
forme particulière de recueil de lieux communs, où le choix des morceaux s’appuie non seulement
sur le goût et les capacités musicales de son utilisateur, mais aussi sur une expérience individuelle
d’auditeur ou de lecteur, peut-être aussi sur leur contenu textuel et les valeurs morales dont ils
sont investis. Le livre de musique peut donc être lu comme la constitution d’une mémoire musi-
cale individuelle, constituée jour après jour par le scripteur, ou le commanditaire si le duc n’est
pas lui-même le copiste du livre.
Dans cette perspective, la question de la datation du recueil et celle de la durée pendant
laquelle il a été copié sont essentielles. La datation liminaire de 1705 peut avoir été reportée au
début du processus de compilation, alors que le livre était encore vierge, ou au contraire comme
touche finale après la copie. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que l’écriture pouvait s’étaler
sur un temps très long : à titre de comparaison, la compilation des extraits de Flavius Joseph s’est
étendue sur presque trois ans, de juin 1702 à avril 1705, et la maxime initiale datée du 26 février
1705 a donc été introduite au milieu de la compilation du volume. La rédaction du livre de chant
de Ludwig Rudolf semble aussi s’être étalée sur un grand laps de temps, puisque les portées ont
été tracées en six strates successives avec de nombreux changements de plume : le papier a été
réglé avec la même patte jusqu’au folio 18 inclus, puis l’on passe à une règle plus serrée qui permet
de tracer huit portées par page jusqu’au folio 20, puis une autre règle jusqu’au folio 30, avant de
revenir à une règle plus large de six portées par page du folio 31 jusqu’à la fin du volume, avec
encore quelques changements de patte à régler. Tous ces changements correspondent à des chan-
gements de pièce, et dans le dernier cas aussi à un changement de copiste. On peut supposer que
les différentes strates temporelles de la copie du recueil pourraient dans ce cas être marquées par
les changements de patte à régler.
Le contenu musical de ce livre à chanter a été identifié par Hansjörg Drauschke.192 Il est
très hétéroclite, tant sur le plan linguistique que sur le plan des genres musicaux représentés et
de la provenance de la musique recopiée. La musique française se trouve ici environnée d’œuvres
de provenances diverses, mais l’architecture du recueil reste sous-tendue par la coexistence de
trois grands ensembles linguistiques : la musique française, la musique italienne et la musique
allemande. Il s’agit d’une compilation d’airs pour voix de basse et basse continue, avec quelques
airs pour voix d’alto et basse continue, et quelques duos avec basse. De nombreux airs sont en
outre accompagnés par deux violons (Tableau 4.8).
L’exécution de certaines œuvres identifiées peut être documentée grâce aux fragments du
journal de Ludwig Rudolf : leur présence est donc liée au contexte immédiat de rédaction de ce
livre. Rashid Pegah parvient à documenter l’exécution d’extraits de l’Europe galante de Campra
les 6 et 15 septembre 1707 à Wolfenbüttel par une troupe de comédiens français.193 Peut-être ces
représentations ont-elles guidé le choix de l’extrait présent dans le livre de musique (en 4e posi-
tion), mais le volume semblerait avoir été commencé bien plus tôt. La présence de nombreux ex-

192 Hansjörg Drauschke, « Einleitung », in : Rugiero Fedeli, Almira, Beeskow 2011.


193 Pegah, « Und abends war opera », p. 184.

– 240 –
La dissémination de la musique

Tableau 4.8. Contenu musical du livre de chant du duc de Wolfenbüttel Ludwig Rudolf von Braunschweig-
Wolfenbüttel. D-W, Cod. Guelf. 266 Mus. Hdschr.

Nr Fol. Incipit textuel (voix) Identification


1 3r-5r Que vois-je? C’est Issé (B) Destouches, Issé, IV.3
2 5r Agréables témoins de mon bonheur (B) Berthet
3 6r-7r Malheureux mortel (B) Ribon
4 7r-8v Que notre ardeur soit éternelle (B) Campra, Europe galante, III.3
5 8v-10v Leggi, ch’io mi parto (B) Fedeli, Almira, I.4
6 11r-13v Leggi, ch’io mi parto (B) Fedeli, Almira I.9
7 14r-15v Sostegno del regno (B) Fedeli, Almira III.3
8 15v-18r Malaccorta gioventù (B) Fedeli, Almira III.10
9 18r-20v Mia fède stabile non cangero (B) Fedeli, Almira II.9
10 21r-22v Svenero chi fa guerra (B) Fedeli, Almira II.14
11 23r-23v Corona, scettro e soglio (B) Fedeli, Almira II.8
12 23v-24v Tutti tese amor (B) —
13 25r-v Vergnügter Zeitvertreib (B) Schürmann, Salomon I.1
14 26r-v Saget, Schöne, darf ich hoffen (B) Schürmann, Salomon I.10
15 26v-27r Ti do il core ma io ripiglio (B) —
16 27v Nun schlägt des Unglücks Sturm und Wetter (B) Schürmann, Salomon II.21
17 28r-30v Men Unglück ist von Gott beschlossen (B) Schürmann, Salomon III.16
18 28r-30v Ja, ja, nur Eitelkeit sind alle Ding’ auf Erden (B) Schürmann, Salomon III.21
19 28r-30v Chi già non crede amor (B) —
20 28r-30v Vorrei farmi intendere (B) —
21 31r-33v Lieben und geliebet werden (A) Keiser, Psyche II.7
22 34r-36r Meine Glieder gehen ins Grab (B) Keiser, Psyche I.7
23 36r-37r S’ho lasciata la ritrosa (B) —
24 37v-38v Nodo stringete ch’al sen v’allaci (B) —
25 39r-40v Sommo Giove (S, B) —
26 40v-41v Cessi il pianto e sorga il riso (B) —
27 41v-42v Antri ciechi boschi e frondi (B) —
28 43r-50r Sangaride, ce jour est un grand jour (S, B) Lully, Atys I.6
29 50v-51r Quanto dolci, quando care (A) Bononcini, Semiramide I.8
30 51v-52v Prenditi quest’amplesso (A) Bononcini, Semiramide I.2
31 52v-53v Se ben regnante (A) Bononcini, Semiramide III.3
32 54r-v Un petit air à boire (B) —
33 55r-56v O charmante bouteille (S, B) Dupin
34 56v-58v Ami c’est grand dommage (S, B) Dupin
35 58r-59r En vous disant adieu (B) —
36 59v-60v Depuis que vous trompez esperance (B) —
37 60v-61v Ah c’en est fait mon cœur (B) —
38 61v-63r Êtes vous satisfait (B) —
39 63v-64r Rochers vous estes (B) Michel Lambert
39b 64v Ces vœux que tu faisais (B) —
40 65r-67r Cessez mes yeux (B) Campra, Tancrède III.2
41 67v-68r N’endormes que les cœurs accables (B) —
42 68v-70r Mes yeux ne pouvez vous jamais forcer (B) —

– 241 –
Chapitre 4

Nr Fol. Incipit textuel (voix) Identification


43 70r-71r Que chacun à son gré (B) —
44 71r-72r Que du buisson dorme (B, B) —
45 72v-73v Conosco che sei bella (A) —
46 73v-75r Tornero mia cara stella (A) —
47 75v-79r Amorosa Violetta (A) Pistocchi, Scherzi musicali
48 79v-80v Se Amor ti dice che ne suoi strali (A) —
49 81r-82r Si scherzate luci adirate (A) —
50 82v84v Si quei bella (A) —

traits de l’opéra Salomon de Georg Caspar Schürmann, que Ludwig Rudolf a entendu à plusieurs
reprises à Braunschweig en août 1701, semble également liée au contexte immédiat. Notons enfin
que l’Almira de Fedeli a été composée pour l’opéra de Braunschweig aux alentours de 1700,194 et
que la Psyche de Keiser avait aussi été représentée à Braunschweig le 26 octobre 1701.
Le manuscrit s’ouvre par une série de quatre airs français, issus aussi bien du grand réper-
toire lyrique de l’Académie royale de musique de Paris que de recueils d’airs de différents auteurs.
Deux extraits restés anonymes (n° 2 et 3) peuvent être identifiés : le deuxième numéro est un air
issu du trente-sixième Livre d’airs de différents autheurs publié en 1693 par Ballard. Il s’agit d’un air
attribué à un certain Berthet.195 Alors que l’air publié par Ballard est en sol mineur pour voix de
dessus, la copie de Ludwig Rudolf est en la mineur pour voix de basse. L’air pour basse qui figure
en troisième position peut être retrouvé dans un recueil de Parodies bachiques de Ribon réédité
par Christophe Ballard en 1696.196 Il s’agit d’une parodie d’un extrait du second acte de Phaeton
de Lully lwv 61/37, originellement écrit pour voix de dessus mais transposé pour voix de basse
par Ludwig Rudolf.
Les extraits d’œuvres plus célèbres, issues du répertoire de l’Académie royale de musique
de Paris, présentent aussi des différences textuelles importantes avec les éditions originales. Ceci
pourrait indiquer que le livre de chant de Ludwig Rudolf n’est pas tant le reflet d’une circulation
des imprimés qu’une sorte de photographie instantanée de la circulation de musique sous forme
manuscrite à Wolfenbüttel entre 1700 et 1705. Le premier extrait de Destouches ne peut pas être
tiré de l’édition originale de l’œuvre (Ballard 1697) car celle-ci ne possède que trois actes. L’édition
Ballard de 1708, qui ajoute les actes IV et V par rapport à la première édition, pourrait être la
source de la copie, mais c’est sans doute un peu trop tardif et de nombreuses différences subs-
tistent entre le texte musical de l’édition de 1708 et la copie réalisée pour Ludwig Rudolf. Le même
constat vaut pour le duo de Campra tiré de L’Europe galante : celui-ci ne fait son apparition que dans
l’édition Ballard de 1724.197 Là encore, la source imprimée paraît trop tardive pour avoir servi de
modèle à la copie manuscrite. Enfin, un dernier exemple intéressant de modification par rapport
à l’original est l’exemple de la scène 6 de l’acte I d’Atys de Lully (lwv 53/30-33). Ici, l’extrait est
transposé en mi mineur, soit une quinte au-dessus de la version présentée dans l’édition originale.
Cette transposition mise à part, les variantes sont minimes. La longueur de la copie (43 systèmes en
tout) fait de cet extrait l’un des plus longs du livre. Ceci montre bien que la musique française, bien
que quantitativement moins importante que la musique italienne ou allemande, avait cependant
toute sa place dans les pratiques musicales quotidiennes de Ludwig Rudolf.

194 Drauschke, « Einleitung », p. vi.


195 F-Pn, Rés. Vm7 282 (28), p. 22.
196 F-Pn, 4 Vm7 1964, p. 164.
197 Le duo ne se trouve pas dans l’édition originale de 1697, ni dans celle de 1698 (Christophe Ballard, seconde
édition augmentée en 4 entrées et prologue), ni dans celle de 1699 (Christophe Ballard, troisième édition), ni
dans celle de 1699 (Le Cène, quatrième édition).

– 242 –
La dissémination de la musique

Une pratique partagée


D’autres livres de musique de la même époque figurent dans la bibliothèque de Wolfenbüttel :
une partie séparée pour violon, qui rassemble plusieurs pièces françaises, ainsi qu’un livre de
guitarre font apparaître des marques de possession de Christine Louise.198 Notons également
la présence d’une partie séparée de violon datant des années 1690-1700, ayant appartenu au duc
Ferdinand Albrecht, frère du duc Anton Ulrich, qui rassemble avec de nombreuses autres pièces
des extraits de Lully.199 On trouve enfin une épaisse compilation manuscrite d’airs et de ritour-
nelles extraits de seize opéras de Lully, qui semble avoir été réalisée par un copiste français et
ne comporte aucune marque de possession.200 Ces manuscrits peuvent être rapprochés d’autres
sources témoignant de l’intégration du répertoire français dans les pratiques musicales privées
de la haute aristocratie d’Allemagne du Nord. Au premier rang figurent deux livres de clavier en
provenance de la cour de Hanovre : le livre de clavecin de la princesse Amalia von Braunschweig-
Lüneburg, ainsi qu’un autre livre de clavier, désormais perdu, ayant appartenu à Ernst August
de Hanovre, et qui contenait des pièces de Jean-Henry d’Anglebert, Nicolas-Antoine Lebègue et
Jacques Champion de Chambonnières.201
Le Livre de son altesse Serenissime Madame La princesse amalie de Brunsvic et Lunebourg contient,
sur un total de quarante-quatre pièces, une dizaine d’extraits d’opéras de Lully et Collasse adap-
tés pour le clavier. Il comprend également une pièce de Chambonnières, et une pièce intitulée
« Rigodons de Mr Favier » dont on retrouve à Wolfenbüttel une version monodique dans le livre
de contredanse d’Ernst August Jayme.202 Ce livre semble avoir été un objet d’usage quotidien, pro-
gressivement rempli par les deux bouts : dans le sens normal, et dans le sens inverse, en retournant
le livre et en l’ouvrant en commençant par la dernière page de couverture. Six copistes différents
sont représentés, dont la princesse, ce qui supposer que le livre a été complété peu à peu pendant
une longue période. Cet objet fétiche semble avoir accompagné Amalia tout au long de sa vie
pourtant riche en périgrinations et en déménagements. Comme le montre le papier, la rédaction
du livre a été commencée à Paris, où Benedicta Henriette von der Pfalz – mère d’Amalia et veuve
du duc Johann Friedrich de Hanovre – s’était installée après la mort de son mari et l’installation
d’Ernst August dans le duché de Hanovre.203 Benedicta Henriette et ses enfants demeurèrent
dans la capitale française de 1680 à 1693, date de leur retour en Allemagne. C’est donc à Paris que
furent copiées les douze premières pièces du livre, qui comprennent sept transcriptions de Lully
et une pièce de Chambonnières. Après son retour à Hanovre, Amalia continua à compléter son
anthologie, comme le montre l’intitulé de quelques pièces : « le prince gorge », « menuet De l’opera
d’Hanover », ou encore les « rigodons de mr favier ». Enfin, la princesse prit ce livre avec elle lors
de son mariage avec Joseph de Habsbourg en 1699, à Vienne où ce livre est toujours conservé. Nous
avons donc là un autre beau témoignage de la place de la musique française dans les pratiques musi-
cales domestiques les plus intimes de la haute aristocratie d’Empire. Ce livre est non seulement un
support pour une pratique personnelle du clavier, mais il acquiert par son histoire une épaisseur
existentielle qui le transforme, ainsi que le dit très justement Leisinger, en « objet de mémoire 204 ».

198 D-W, Cod. Guelf. 296 Mus. Hdschr. et Cod. Guelf. 302 Mus. Hdschr. Pour plus de détails sur ce second manus-
crit : Rüdiger Thomsen-Fürst, Gitarrentabulatur der Herzogin Christine Luise (1671-1747), Michaelstein 1993.
199 D-W, Cod. Guelf. 295 Mus. Hdschr. La page de titre porte la notation suivante : « Ferdinand Albrecht
H[erzog]. Z[u]. B[raunschweig]. & L[üneburg]. d[en]. 9. Novembr. 1697 ».
200 D-W, Cod. Guelf. 151 Mus. Hdschr.
201 Sur le premier, voir Ulrich Leisinger, « Das Klavierbüchlein der Prinzessin Amalia von Braunschweig-Lü-
neburg », Jahrbuch der Ständigen Konferenz Mitteldeutsche Barockmusik, 2000, p. 169-178. Sur le livre perdu
d’Ernest August, voir Abbetmeyer, Zur Geschichte der Musik am Hofe in Hannover, p. 30-31.
202 D-W, Cod. Guelf. 244 Blankenburg.
203 Leisinger, « Das Klavierbüchlein », p. 176-177. La provenance française du papier réglé imprimé sur lequel est
écrit le livre, vraisemblablement vendu par la maison Ballard, peut être confirmée grâce à l’article de Laurent
Guillo, « Les papiers à musique imprimés en France au xviie siècle. Un nouveau critère d’analyse des manus-
crits musicaux », Revue de Musicologie, 87/2, 2001, p. 307-369.

– 243 –
Chapitre 4

Cette pratique féminine n’était cependant pas entièrement nouvelle dans la famille. Dès
1633, la princesse Sophie Elisabeth zu Mecklenburg avait commencé la rédaction d’un livre d’airs
français à Güstrow.205 La livre se compose d’un choix d’airs parus dans les cinq premiers volumes
de la collection des Airs de différents autheurs éditée à partir de 1607 par Gabriel Bataille. Le livre
se trouve aujourd’hui dans les collections de Wolfenbüttel, où il fut apporté depuis Güstrow par
Sophie Elisabeth lors de son mariage avec le duc August en 1635. Les cinq premiers volumes impri-
més de Bataille se trouvent aussi, reliés ensemble, dans les collections de Wolfenbüttel.206 L’étude
détaillée de ce cahier a déjà été entreprise par Karl Wilhelm Geck.207 Particulièrement remar-
quable est le remplacement des tablatures de luth de l’édition originale par une portée de basse
continue non chiffrée, dont la mélodie est parfois corrigée et améliorée par Sophie. Quelques airs
ne sont pas présents dans la collection éditée par Bataille, et pourraient donc avoir été composés par
Sophie Elisabeth elle-même. Mais là encore, cet intérêt pour la musique française prend place dans
une constellation plus large, où la littérature française occupe une place de choix : Sophie Elisabeth
a ainsi traduit l’Astrée d’Honoré d’Urfé dans un manuscrit appelé Dorinde. Sa participation à deux
sociétés savantes féminines, la Noble Académie des Loyales et la Tugendliche Gesellschaft, est éga-
lement à noter. Lorsqu’elle entama la copie de son livre de musique le 1er octobre 1633 à Güstrow,
sa mère Elisabeth était justement en train de terminer la traduction en allemand des dix-huit
règles de l’Académie des Nobles Loyales, originalement rédigées en français.208 On note d’ailleurs
que deux airs ont été copiés dans le livre par Elisabeth elle-même.209 Cela semble indiquer que ces
académies ont pu offrir un contexte d’exécution possible pour ces airs de cour, qui étaient souvent
chantés dans une sphère semi-privée, en société réduite, parfois même dans les ruelles, le petit
espace entre le mur et le lit.210 Notons pour finir que, comme Ludwig Rudolf soixante-dix ans plus
tard, Sophie Elisabeth place en exergue de son livre un « memento mori » sur la page de couverture.
Et en effet, ces petits airs de cour sont bien une peinture de vanité – la fugacité d’un moment de
sociabilité qui réfléchit en miniature, jusque dans sa perfection musicale et rhétorique, la brièveté
et le caractère éphémère de la vie, encapsulé dans quelques minutes de musique.

204 Leisinger, « Das Klavierbüchlein », p. 178 : « Amalia hat das Klavierbuch als persönliches Erinnerungsstück
bei ihrer Eheschließung mitgenommen. »
205 D-W, Cod. Guelf. 52 Noviss. 8°.
206 D-W, 1.1a Musica.
207 Karl Wilhelm Geck, Sophie Elisabeth Herzogin zu Braunschweig und Lüneburg (1613-1676) als Musikerin, Saar-
brücken 1992, p. 99-100.
208 Gabriele Ball, « Das Netzwerk der Herzogin Sophia Elisabeth von Braunschweig-Wolfenbüttel », Schütz-Jah-
rbuch, 34, 2012, p. 29-48.
209 D-W, Cod. Guelf. 52 Noviss. 8°, Bl. 11-13.
210 Voir notamment Anne-Madeleine Goulet, Poésie, musique et sociabilité au xviie siècle. Les « Livres d’airs de diffé-
rents auteurs publiés chez Ballard de 1658 à 1694, Paris 2004.

– 244 –
Chapitre 5. L’invention allemande du style français

La musique française est-elle soluble dans l’ouverture ? Si l’on parle de la musique produite en
France, la réponse est certainement négative. Mais si l’on parle du concept de « musique fran-
çaise » inventé dans l’espace germanophone autour de 1700, alors la question prend un tour dif-
férent. En effet, l’éloge le plus appuyé du style français sous la plume de Johann Mattheson porte
précisément sur l’ouverture, présentée comme étendard et tête de pont de l’ensemble de la pro-
duction musicale française :
Que les Italiens pavanent et paradent tant qu’ils veulent avec leurs voix et leurs artifices, mais qu’ils
soient mis au défi de me composer une bonne ouverture à la française, ou même seulement de l’exécuter
comme il faut. Cela prouve que la musique instrumentale des Français possède généralement un avan-
tage très particulier. Les Italiens peuvent se donner tout le mal du monde avec leurs symphonies et leurs
concerts, qui sont d’ailleurs aussi très beaux, il faut bien leur préférer une bonne ouverture à la française
bien fraîche. Car, au-delà de la composition d’une telle Pièce avec sa Suite à la Françoise, c’est l’exécution
spécifique que les Français lui donnent, si admirable, si unie et si ferme que rien ne peut la surpasser.1

Figure incontournable dans l’invention allemande du style français, le théoricien plaçait donc
dès 1713 l’ouverture au-dessus de tous les autres genres instrumentaux, rassemblant en une seule
opposition la question de l’origine de la musique (italienne vs française), celle des genres musicaux
(l’ouverture et sa suite vs les symphonies et concerts) et celle de l’exécution (virtuosité vocale des
Italiens vs exécution admirable des instrumentistes français). Cette triple superposition marquait
l’aboutissement d’une évolution qui, dans le monde germanique et en Europe, avait contribué à
réduire l’ensemble de la musique française au genre de l’ouverture et de sa suite. Ce processus
peut être appréhendé comme une stylisation de la musique française au double sens du terme :
celle-ci n’est plus simplement un répertoire musical identifié par sa provenance, mais se trans-
forme en catégorie esthétique, en « goût » ou « style ». Du même coup, ses caractéristiques sont
soumises à une forme de simplification voire de schématisation, et le foisonnement générique de
la production musicale française entre 1660 et 1730 semble presque complètement ignoré par le
discours théorique d’outre-Rhin : ailleurs, Mattheson ne cache pas le peu de cas qu’il fait de la
musique d’église française.2

1 Johann Mattheson, Das Neu-Eröffnete Orchestre, Hambourg 1713, p. 225-226 : « Es mögen nun aber die Italiäner
mit ihren Stimmen und Künsten prahlen und prangen wie sie immer wollen, Trotz sey ihnen geboten, daß
sie mir eine rechte Frantzösische Ouverture machen, oder auch einmahl, wie sichs gebühret, herausbringen
solten. Daß wil so viel sagen, daß generalement die Instrumental-Music der Frantzosen recht was sonderlichs
voraus habe. Ob sie auch gleich die Italiäner die größte Mühe von der Welt mit ihren Symphonien und Concer-
ten geben, welche auch gewiß überaus schön sind, so ist doch wol eine frische Frantzösische Ouverture ihnen
allen zu praeferiren. Denn, nechst der Composition einer solchen Pieçe mit ihrer Suite à la Francoise, ist die Exe-
cution in ihrem Genere, welche die Frantzosen derselbigen geben, so admirable, so unie und so ferme, daß nichts
darüber seyn kan. »
2 Johann Mattheson, Das Beschützte Orchestre, Hambourg 1717, p. 221. Mattheson, Der Vollkommene Kapellmeis-
ter, p. 223.

– 245 –
Chapitre 5

La transformation des traditions musicales européennes en autant de styles nationaux ne


repose donc pas seulement sur l’identification et l’exégèse de différentes manières de composer,
mais sur l’élaboration de nouvelles catégories esthétiques adossées à des genres instrumentaux
clairement identifiables. Mattheson n’introduit d’ailleurs la fameuse typologie qui distingue les
Italiens, les Français, les Allemands et les Anglais que dans la troisième partie de son traité,
intitulée « Pars judicatoria, ou comment juger de différentes choses dans la musique ».3 Les styles
nationaux servent donc d’abord à étayer le jugement de goût : c’est pour affiner son discernement
et apprécier correctement la musique qu’il faut se familiariser avec leurs différences. Dans cette
perspective, la composition n’est pas le seul paramètre décisif. La manière d’exécuter la musique
est aussi primordiale et doit être considérée à sa juste valeur :
Celui qui veut se former un jugement sain, universel et sans préjugé sur la musique italienne, française,
anglaise et allemande d’aujourd’hui, ne doit pas confondre entre elles la composition et l’exécution de ces
musiques nationales (si je puis m’exprimer ainsi), mais au contraire les distinguer de manière nécessaire
et très précise ; car sinon il risque de porter aux nues une pièce bien exécutée, même si sa composition
est médiocre, ou au contraire de mépriser complètement une composition admirable, si elle a le malheur
d’être mal exécutée.4

L’art de composer et la manière de jouer sont deux axiomes fondamentaux du style français :
ils doivent être soigneusement distingués et informer tout jugement de goût en ces matières.
L’invention allemande du style français repose donc sur la combinaison de trois éléments : une
composante poétique, qui se concentre sur les procédures de composition à la française à travers le
modèle de l’ouverture, une composante pragmatique qui se penche sur les pratiques d’exécution de
cette musique, et une composant esthétique qui vise à polir et à enrichir l’appréciation de la musique
par l’auditeur.
Retracer l’invention allemande du style français suppose donc de combiner deux approches,
l’une pratique, compositionnelle et performative, et l’autre esthétique. Les stratégies d’appren-
tissage, d’imitation et d’adaptation du style français par des compositeurs allemands seront au
cœur de la première partie : il s’agit de se mettre à la recherche d’une « méthode française » de
composer dont la pierre de touche est l’ouverture. Cela implique de se pencher sur les techniques
d’imitation et d’apprentissage qui sont au cœur de la formation des compositeurs : comment
les modèles sont-ils sélectionnés, compilés et imités ? Comment acquiert-on l’art de composer
des ouvertures et des suites à la française ? On se penchera ensuite, à travers le prisme de la
cantate luthérienne, sur les expériences d’adaptation et d’hybridation de l’ouverture à française
chez Bach et Telemann. Passant enfin à une échelle plus microscopique, on tentera de repérer les
marqueurs du style français en-deçà des catégories génériques, dans le concret des pratiques de
composition et la chair de la musique.
La deuxième partie sera consacrée aux controverses sur la musique française qui rythment
la vie musicale allemande entre 1700 et 1730. La querelle qui oppose Mattheson et Buttstett entre
1713 et 1717 marque l’émergence d’un débat public sur la musique française, polarisé par les
valeurs de la galanterie et de la modernité. Une dizaine d’années plus tard, alors que plusieurs
œuvres lyriques françaises sont reprises à Hambourg sous l’impulsion de Telemann et Kunzen
autour de 1725, une seconde étape est franchie : l’émergence de la presse et l’apparition d’un
espace critique dans les méta-prologues hambourgeois servent de porte-parole aux premières
attaques contre la galanterie, inaugurant une mise en crise de la musique française par le biais de

3 Mattheson, Das Neu-Eröffnete Orchestre, p. 200-231.


4 Mattheson, Das Neu-Eröffnete Orchestre, p. 200 : « Wer von der heutigen Italiänischen, Frantzösischen, En-
glischen und Teutschen Music ein generales, von allen Praejudiciis gesaubertes, und gesundes Urtheil fallen
will, der muß die Composition und Execution solcher National-Music (wenn ich also reden darff) nicht mit ei-
nander confundiren, sondern nothwendig und sehr genau distinguiren ; denn sonst wird er ein wol executirtes
Stück, wenn gleich die Composition mittelmäßig ist, biß am Himmel erheben, und hingegen eine vortreffliche
Composition, wenn dieselbe das Unglück hat, schlecht executiret zu werden, gäntzlich verachten. »

– 246 –
L'invention allemande du style français

l’opéra. Cette évolution est définitivement entérinée dix ans après, au milieu des années 1730 : à
travers un spectaculaire renversement des alliances, la musique française se trouve critiquée par
les tenants d’un style musical naturel et cosmopolite par le biais de l’opéra. Elle bascule donc défi-
nitivement du côté des anti-Lumières et du conservatisme musical incarné par Johann Sebastian
Bach ou Friedrich Wilhelm Marpurg qui continuent, contre Johann Scheibe et Johann Philipp
Agricola, à cultiver le répertoire pour clavier et la musique religieuse d’origine française.
« Nach Französischer Art » : composer à la française
Si l’ouverture fournit le véhicule et le catalyseur de l’invention allemande du style français, c’est
le concerto qui assume un rôle équivalent pour la musique italienne. Quantz établit d’ailleurs
un strict parallélisme entre l’évolution des deux genres : l’ouverture « doit son origine » aux
Français mais fut rapidement adoptée par « quelques Compositeurs Allemands », ce qui fait que
« les François essuyent presque le même sort par rapport à leurs ouvertures, que les Italiens par
rapport à leur Concerto.5 » Ceci n’impliquait cependant pas une stricte égalité entre les deux
genres. Même si l’engouement immédiat créé en 1712 par la publication de L’Estro armonico de
Vivaldi par Roger à Amsterdam fit que le concerto se répandit comme une traînée de poudre
dans toute l’Europe du Nord, une subtile différence de statut le séparait de l’ouverture au sein de
la hiérarchie des genres.
Laurence Dreyfus a parfaitement montré que dans certains milieux, le concerto fut rapi-
dement déconsidéré comme un genre un peu commun, trop standardisé, voire carrément dilet-
tante, que même les compositeurs les moins doués pouvaient pasticher facilement en appliquant
quelques recettes éprouvées.6 Telemann témoigne ainsi de sa secrète aversion pour le genre du
concerto lorsqu’il le découvrit pour la première fois :
Comme la variété distrait, je me mis aussi à l’étude des concertos. Mais je dois avouer qu’ils n’ont jamais
vraiment conquis mon cœur, même si j’en ai composé un certain nombre à propos desquels on pourrait
écrire, cependant : « À défaut d’inspiration naturelle, que l’indignation inspire des vers quelconques »
(Juvénal, Sat. 1). Au moins est-il vrai que la plupart respirent la France. Je ne sais pas si c’est la nature qui
me fait défaut ici, tous ne pouvant pas tout faire, mais cela pourrait s’expliquer par le fait que presque
tous les concertos qui me tombèrent sous la main comportaient beaucoup de passages difficiles et de sauts
tortueux, mais bien peu d’harmonie et une mélodie encore pire. Je détestais les premiers car ils étaient
inconfortables à ma main et à mon archet, et quant à l’indigence de ces dernières qualités auxquelles
mon oreille avait été accoutumée par les musiques françaises, je ne pouvais l’aimer ni ne voulais l’imiter.7

Ce statut privilégié, l’ouverture et la suite à la française l’avaient acquis dès les années 1680,
comme en témoignent notamment une série de publications qui cherchaient à promouvoir l’ap-
propriation des pratiques orchestrales et du style français dans l’espace germanique. Les auteurs

5 Jean Joachim Quantz, Essai d’une méthode pour apprendre à jouer de la flute traversière, avec plusieurs remarques
pour servir au bon goût dans la musique, Berlin 1752, p. 304 : « Elle doit son origine aux François. Lulli en a donné
de bons modeles ; mais quelques Compositeurs Allemands, & surtout Haendel & Telemann, l’ont surpassé
de beaucoup. Les François essuyent presque le même sort par rapport à leurs ouvertures, que les Italiens par
rapport à leur Concerto. Il est seulement à regretter, que les Ouvertures, faisant un si bon effet, ne soyent plus
à la mode en Allemagne. »
6 Laurence Dreyfus, Bach and the Patterns of Invention, Cambridge 1996, p. 45-52.
7 La première autobiographie de Telemann est publiée par Johann Mattheson, Grosse General-Baß-Schule,
Hambourg 1731, p. 176 : « Alldieweil aber die Veränderung belustiget, so machte mich auch über Concerte
her. Hiervon muß bekennen, daß sie mir niemahls recht von Hertzen gegangen sind, ob ich deren schon eine
ziemliche Menge gemacht habe, worüber man aber schreiben möchte : Si natura negat, facit indignatio versum
| Qualemcunque potest [Juv. Sat. I]. Zum wenigsten ist dieses wahr, daß sie mehrentheils nach Franckreich
riechen. Ob es nun gleich wahrscheinlich, daß mir die Natur hierinne etwas versagen wollen, weil wir doch
nicht alle alles können, so dürffte dennoch das eine Uhrsache mit seyn, daß ich in denen meisten Concerten,
so mir zu Gesichte kamen, zwar viele Schwürigkeiten und krumme Sprünge, aber wenig Harmonie und
noch schlechtere Melodie antraff, wovon ich die ersten hassete, weil sie meiner Hand und Bogen unbequehm
waren, und, wegen Ermangelung derer letztern Eigenschafften, als worzu mein Ohr durch die Frantzösischen
Musiquen gewöhnet war, sie nicht lieben konnte, noch imitiren mochte. »

– 247 –
Chapitre 5

de ces publications, parfois appelés les « lullystes allemands », mettaient ainsi à la disposition
de leurs collègues un corpus théorique et musical ayant pour ambition de proposer à la fois une
traduction linguistique et musicale des pratiques de composition et de jeu à la française, et un
répertoire représentatif à la valeur exemplaire. Ces publications étaient le résultat direct d’une
étude intensive du répertoire français ainsi qu’un recueil d’exemples pour les jeunes compositeurs
souhaitant s’instruire dans la musique française.

L’apprentissage d’une méthode


La quinzaine de collections d’ouvertures publiées en Allemagne entre 1680 et 1715 n’est pas seule-
ment l’expression d’une nouvelle mode musicale dont les représentants, au demeurant très divers,
appartiendraient à une même école regroupée sous l’étiquette de « lullystes allemands ». Ce ré-
pertoire fournit plutôt un excellent point de départ pour s’interroger sur les méthodes de travail
et les techniques de composition par lesquelles des musiciens de langue allemande d’origine très
diverse ont pu assimiler le style français. Ces ouvertures signent en effet l’apparition d’un nouvel
art de composer à la française qui plonge ses racines dans la copie, l’imitation et l’invention à
partir de modèles.

L’ouverture et les « lullystes allemands »


Alors que les cours de Saxe et de Basse-Saxe accueillent dès les années 1660 de nombreux musiciens
français parmi leur personnel, aucun phénomène d’ampleur comparable ne peut être observé dans
les régions méridionales de l’Allemagne. Le prince électeur de Bavière Maximilian Emanuel était
certes un grand amateur de musique et d’opéra français, mais la guerre de Succession d’Espagne
le força à mener une existence nomade, d’abord à Bruxelles où il avait été nommé Gouverneur
des Pays-Bas, puis dans les Flandres, à Paris ou sur les théâtres d’opération militaire.8 La cour
de Württemberg à Stuttgart représente la seule exception, puisqu’on y rencontre une dizaine de
musiciens français entre 1683 et 1730, nombre qui reste bien en-deçà des niveaux observés dans
les cours de Saxe et en Basse-Saxe.9 Dans quelques endroits, une tendance inverse se fait même
jour : certaines cours adoptent des pratiques musicales françaises sans avoir recours à du person-
nel français, mais en confiant à des musiciens allemands la supervision et la mise en œuvre du
style français. Ansbach fournit un exemple intéressant de cette tendance : en 1683, le duc Johann
Friedrich von Brandenburg-Ansbach engage dans sa Hofkapelle Christoph Friedrich Anschütz,
violoniste originaire de Nuremberg qui avait été en Italie et dans les Pays-Bas, en lui ordonnant
entre autres de former deux élèves par an au jeu du violon à la française et de composer de la
musique pour les ballets et les comédies.10 L’année suivante, le violoniste Johann Fischer, né à
Augsburg mais qui avait travaillé à Paris comme copiste de Lully aux alentour de 1665, est égale-
ment engagé comme violoniste. Cette stratégie fut enfin couronnée par le recrutement la même
année du violoniste Johann Sigismund Cousser, natif de Bratislava.11
Même si ce dernier, à la différence de Fischer, n’avait probablement pas séjourné à Paris, il
était loin d’être un novice en matière de musique française.12 En 1680-1681, il avait dirigé à la

8 Scharrer, Zur Rezeption, p. 129-144.


9 Owens, The Württemberg Hofkapelle. Le trompettiste Daniel Rousselin, le chanteur La Rose et Claude Reinsal
sont engagés en 1683 (p. 13). Le contrebassiste François La Rose est engagé en 1697 et encore mentionné en
1724 (p. 82). La chanteuse Magdalena Sibylla von Bex, qualifiée de « Frantzösin », est engagée en 1699 (p. 59
et 316). Jean Mamere apparaît en 1715 (p. 119). En 1724, le duc Eberhard Ludwig qui venait d’hériter de la
principauté de Montbéliard engage trois musiciens français : Haumale des Essarts, Lelong et Barre (p. 11).
Louis d’Etry apparaît dans le personnel en 1725, Madeleine Lefebvre en 1730 : Samantha Owens, « The Court
of Württemberg-Stuttgart », in : Music at German courts, 1715-1760. Changing artistic priorities, dir. Samantha
Owens, Barbara M. Reul et Janice B. Stockigt, Woodbridge 2011, p. 165-195, ici p. 174 et 192.
10 Sachs, « Die Ansbacher Hofkapelle » p. 128.
11 Sachs, « Die Ansbacher Hofkapelle », p. 131.
12 Samantha Owens, The Well-Travelled Musician. John Sigismond Cousser and Musical Exchange in Baroque Europe,
Woodbridge 2017, p. 14.

– 248 –
L'invention allemande du style français

cour de Baden-Baden un petit ensemble de six musiciens qui comprenait trois Français : Gerard,
Laprairie et La Rose.13 Mais surtout, le 26 novembre 1682, il signait à Stuttgart la préface de
la première collection d’ouvertures avec leurs suites publiée dans l’Empire : la Composition de
musique suivant la méthode françoise. Bien sûr, ce recueil n’est pas le premier volume de suites
de danses instrumentales à avoir été imprimé en Allemagne, où la suite avait déjà une longue
tradition.14 Cousser se distingue cependant radicalement de ses prédécesseurs à travers quatre
caractéristiques : son titre annonce un style français ; sa préface revendique l’héritage de Lully ;
il suit la nomenclature de l’orchestre à cordes français ; chaque suite est introduite par une ouver-
ture. Avant cette date, les collections imprimées de suites de danses n’affichent jamais un style de
composition français de manière explicite et n’adoptent pas la nomenclature française. Seule la
collection publiée par Georg Bleyer en 1670 fait exception sur le premier point, son titre faisant
référence à la « manière française d’aujourd’hui », mais elle se situe pour le reste dans la lignée
des anciennes collections de suites imprimées, puisqu’elle ne comporte aucune ouverture et est
composée pour un ensemble à cordes tout à fait standard.15
L’exemple de Cousser allait bientôt faire des émules, et à compter de 1682, la publication
de collections d’ouvertures à la française réunissant ces quatre caractéristiques devint un trait
marquant de la vie musicale allemande (Tableau 5.1). Jusqu’en 1700, cette floraison d’imprimés
reste concentrée au Sud de l’Allemagne, dans les grands centres de l’édition musicale que sont
Nuremberg, Augsburg et Stuttgart. À l’inverse, en Allemagne centrale et septentrionale, la
transmission du répertoire d’ouvertures et de suites se fait essentiellement sous forme manuscrite.
Si Georg Bleyer fait imprimer dès 1670 une collection de suites assez traditionnelle, c’est sous
forme manuscrite que sa production plus moderne se diffusait, comme le montrent deux suites
introduites par des ouvertures à la française très typées et dont la nomenclature est beaucoup plus
proche des pratiques françaises avec deux dessus, haute-contre, taille et basse.16 Cette tendance
est aussi illustrée par les suites copiées par David Pohle, aujourd’hui conservées dans la collection
Düben et qui présentent une similitude remarquable avec les manuscrits de Kassel.17 À Kassel
sont également conservées sous forme manuscrite douze ouvertures de l’ancien Kapellmeister de
Gotha, Christian Friedrich Witt.18
Ensemble de « Six Ouvertures de Theatre accompagnées de plusieurs Airs », la Composition
de musique de Cousser était dotée d’un titre en français qui mettait l’accent sur une « méthode
françoise », suggérant la mise en œuvre par le compositeur d’un savoir-faire ou d’une technique
particulière, d’un art fondé sur des maximes et des procédés bien spécifiques. Ce titre trahissait
aussi une ambition d’exemplarité : il ne s’agissait pas de présenter une collection de pièces choisies
de manière arbitraire, mais d’abord de fournir un précis de composition à la française. L’édition
extrêmement soignée était publiée par le cousin du compositeur, Paul Treu, et constituée de six
parties séparées reflétant les pupitres français de cordes : Premier Dessus, Second Dessus, Haute-
contre, Taille, Quinte et Bassus. La dédicace mettait enfin l’accent sur l’étude approfondie du style
français par Cousser :

13 Owens, The Well-Travelled Musician, p. 14-15.


14 Robertson, The Courtly Consort Suite, p. 93-116.
15 Georg Bleyer, Lust-Music, Nach ietziger Frantzösicher Manier gesetzet, Leipzig 1670. Bleyer dédie ironiquement
sa collection à « Monsieur Personne » et note que les pièces françaises doivent se jouer plus vite que les alle-
mandes : « Mercke aber nachgesetztes : 1. Daß etliche recht nach Frantzöischer Arth gesetzet, und einen
geschwinden Tackt erfordern alß die Bourren Gagliarden, Gavotten &c. 2. Teutscher Arth und in gewöhnlichen
Zeit-Masse bleiben, alß Allemanden, Aire, Chansoni. »
16 Robertson, The Courtly Consort Suite, p. 119-121.
17 Juliane Peetz, « The large Tablature Books in the Düben Collection », in : The Dissemination of Music in
Seventeenth-Century Europe. Celebrating the Düben Collection. Proceedings from the International Conference at
Uppsala University 2006, dir. Erik Kjellberge, Berne 2010, p. 49-72.
18 Wollny, « Zur Thüringer Rezeption », p. 148-151.

– 249 –
Chapitre 5

Tableau 5.1. Collections de musique française publiées dans l’Empire, 1682-1706.

Auteur Titre
Georg Bleyer Lust-Music, Nach jetziger Frantzösischer Manier gesetzet, bestehend von
unterschiedlichen Airn, Bourreen, Gavotten, Gagliarden, Giquen, Chansons, Allemanden,
Sarrabanden, Couranden &c.
Johann Sigismund Composition de Musique suivant la Methode françoise Contenant Six Ouvertures de
Cousser Theatre accompagnées de plusieurs Airs
Rupert Ignaz Mayr Pythagorische Schmids-Füncklein, Bestehend in unterschiedlichen Arien, Sonatinen,
Ouverturen, Allemanden, Couranten, Gavotten, Sarabanden, Giquen, Menueten, &c.
Philipp Heinrich VI. Ouvertures, Begleitet mit ihren darzu schicklichen Airs, nach Französischer Art und
Erlebach Manier
Johann Fischer Le Journal de Printems consistant En airs, & Balets à 5 Parties, & les Trompettes à plaisir

Benedict Anton Concors Discordia, Amori e Timori


Aufschnaiter
Georg Muffat Suavioris Harmoniae Instrumentalis Hyporchematicae Florilegium Primum
Georg Muffat Suavioris Harmoniae Instrumentalis Hyporchematicae Florilegium Secundum
Johann Abraham Zodiaci musici, in XII partitas balletticas
Schmierer
Johann Fischer Neu-Verfertigtes Musicalisches Divertissement […] auf die neueste Manier gesetzt
Johann Sigismund Appolon enjoüé, Contenant Six Ouvertures de Theatre accompagnées de plusieurs Airs
Cousser
Johann Sigismund Festin des Muses, Contenant Six Ouvertures de Theatre accompagnées de plusieurs Airs
Cousser
Johann Sigismund La Cicala della Cetra d’Eunomio
Cousser
Johann Joseph Fux Concentus Musico-Instrumentalis, enhaltend sieben Partiten und zwar, vier Ouverturen,
zwei Sinfonien, eine Serenade
Johann Fischer Tafel-Musik bestehend in verschiedenen Ouverturen, Chaconnen, lustigen Suiten, auch
einem Anhang von Pollnischen Däntzen à 4. & 3. Instrumentis
Johann Fischer Musicalische Fürsten-Lust, bestehend anfänglich in unterschiedenen schönen Ouverturen,
Chaconnen, lustigen Suiten und einen curiosen Anhang Polnischer Täntze mit 3 und 4
Instrumenten
Johann Christian XII. Musicalische Concerte, bestehend aus etlichen Ouverturen und Suiten
Schieferdecker

La Reconnoissance que je dois aux graces, que j’ay receües de V.A.S m’obligeant de rechercher tout ce qui
peut contribuer a son divertissement, j’ay crû n’y pouvoir mieux parvenir, qu’en m’attachant a imiter ce
fameux baptiste, dont les Ouvrages font a present les plaisirs de touttes les Cours de l’Europe. Je me
suis reglé a suivre sa Methode, et a entrer dans ses manieres delicates, autant qu’il m’a esté possible, pour
les rendre dignes d’estre exposées au discernement Universel de V.A.S.19

Douze ans plus tard, en 1694, le Florilegium Primum de Georg Muffat réunissait à son tour les
quatre caractéristiques de Cousser : annonce explicite d’un style français, revendication de l’héri-
tage lullyste, orchestre à la française, et emploi quasi systématique de l’ouverture en début de suite
(seule la cinquième est introduite par un caprice).20 Comme Cousser, Muffat visait à l’exemplarité.

19 Cousser, Composition de Musique, partie de basse, dédicace non paginée.


20 Georg Muffat, Suavioris Harmoniae Instrumentalis Hypochematicae Florilegium Primum, éd. Heinrich Rietsch,
Vienne 1894 [Augsburg 1695].

– 250 –
L'invention allemande du style français

Ville Date Parties séparées


Leipzig 1670 Violino (sol 2), Altus (ut 3), Tenor (ut 4), Bassus (fa 4)

Stuttgart 1682 Premier Dessus (sol 1), Second Dessus (sol 1), Haute Contre (ut 1), Taille (ut 2), Quinte (ut 3),
Bassus (fa 4), Bassus (fa 4)
Augsburg 1692 Violino Primo (sol 2), Violino Secundo (ut 1), Alto, Viola da Braccio (ut 3), Basso di Viola (fa 4),
Basso Continuo (fa 4)
Nuremberg 1693 Premier Dessus (sol 1), Second Dessus (sol 1), Haute Contre (ut 1), Taille (ut 2), Quinte (ut 3),
Basse (fa 4)
Augsburg 1695 Premier Dessus pour les Trompettes (sol 1), Second Dessus (sol 1), Dessus (sol 1), Hautecontre
(ut 1), Taille (ut 3), Quinte (ut 4), Basse (fa 4)
Nuremberg 1695 Violino Primo (sol 2), Violino Secondo (sol 2), Viola Prima (ut 1), Viola Seconda (ut 3), Basse
(fa 4)
Augsburg 1695 Violino (sol 2), Violetta (ut 1), Viola (ut 3), Quinta parte (ut 4), Violone (fa 4)
Augsburg 1698 Violino (sol 2), Violetta (ut 1), Viola (ut 3), Quinta parte (ut 4), Violone (fa 4)
Augsburg 1698 Violino (sol 1), Violettta (ut 1), Viola (ut 3), Violone O Cembalo (fa 4)

Augsburg 1700 Dessus, Haute Contre, Taille, Bassus


Stuttgart 1700 Premier Dessus d’Hautbois (sol 1), Second Dessus d’Hautbois (sol 1), Dessus de Violon (sol 1),
Haute Contre de Violon (ut 1), Taille de Violon (ut 3), Basson (fa 4)
Stuttgart 1700 Premier Dessus d’Hautbois (sol 1), Second Dessus d’Hautbois (sol 1), Dessus de Violon (sol 1),
Haute Contre de Violon (ut 1), Taille de Violon (ut 3), Basson (fa 4)
Stuttgart 1700 Premier Dessus d’Hautbois (sol 1), Second Dessus d’Hautbois (sol 1), Dessus de Violon (sol 1),
Haute Contre de Violon (ut 1), Taille de Violon (ut 3), Basson (fa 4)
Nüremberg 1701 Violino Primo (sol 2), Violino Secundo (sol 2), Haut-Bois Premiere (sol 2), Haut-Bois Seconde
(sol 2), Viola (ut 3), Basso (fa 4), Fagotto (fa 4)
Hambourg 1702 Dessus (sol 1), Haute Contre & 2. Dessus (ut 1), Taille (ut 2), Bass (fa 4)

Lübeck 1706 Dessus (sol 1), Dessus (sol 1), Haute Contre & 2. Dessus (ut 1), Taille (ut 2), 1. Bass (fa 4)

Hambourg 1713 Violino Primo (sol 2), Violino Secundo (sol 2), 3. Violin & Viola (sol 2), Hautbois Primo (sol 2),
Hautbois Secundo (sol 2), Hautb. Tertio (sol 2), Basson (fa 4), Bassus Continuo (fa 4).

C’est en tout cas ce que suggère le déploiement d’une somme d’érudition considérable, exposée en
pas moins de quatre langues dans la longue préface qui accompagnait le second volume : latin,
allemand, italien, et français.21 Le premier volume était quant à lui précédé d’une page de titre en
latin annonçant cinquante pièces « dans le style chorégraphié » (« quinquaginta excultis, recentio-
rique stylo Choraico »), la préface précisant que Muffat avait en vue « des Airs de Balets, que J’avois
composé pour la plus part à la Françoise ».22 Dans la dédicace, Muffat précisait son idéal de varietas
combinant plusieurs « styles » musicaux, également désignés sous le vocable de « méthodes ».23

21 Georg Muffat, Suavioris Harmoniae Instrumentalis Hypochematicae Florilegium Secundum, éd. Heinrich Rietsch,
Vienne 1895 [Augsburg 1698].
22 Muffat, Florilegium Primum, p. 19. Sur le « Stylus Choraicus », cf. Athanasius Kircher, Musurgia Universalis,
vol. 1, éd. Ulf Scharlau, Hildesheim 1999 [Rome 1650], p. 310-315.
23 Muffat, Florilegium Primum, p. 17-19 : « Il ne me falloit pas servir d’un simple style seul, ou d’une même
methode ; mais selon les occurrences du plus sçavant mélange que J’aye pû acquerir par la pratique de diverses

– 251 –
Chapitre 5

La version allemande de la préface, plus économe, rassemblait sous le terme unique de « Art »
ces deux concepts distingués dans le texte français, l’assortissant parfois d’un synonyme proche :
« Manier ».24 Le titre de la collection publiée par Philipp Erlebach faisait également appel à ce
dyptique : « nach Frantzösischer Art und Manier ». Il est intéressant de comparer ce vocabulaire à ce
qu’écrit Telemann dans son autobiographie de 1718 sur la musique française à la cour de Hanovre,
où l’allusion frappante à une « science » (« Frankreichs Wissenschaft ») suggère là encore l’existence
d’un savoir, d’une technique artistique pouvant s’acquérir par l’étude et l’exercice.25

À la recherche d’une « méthode françoise »


Se familiariser avec le répertoire français original était une étape certes indispensable mais non
suffisante, puisqu’elle devait être suivie de longues heures d’exercice et d’innombrables essais de
composition. Telemann place ainsi sa rencontre avec la musique française à la cour de Sorau sous
le signe d’un travail acharné et de l’application, effets indirects de « l’ardeur » et de « l’échauffe-
ment des esprits » propres à l’expérience de l’amour :
En effet, c’est là que je commençai vraiment à devenir travailleur, et ce que j’avais réalisé à Leipzig pour
les pièces à chanter, je tentais de le faire ici dans la musique instrumentale, et notamment les ouvertures,
car son Excellence Monsieur le Comte en raffolait, étant tout juste revenu de France. Je me procurai les
œuvres de Lully, de Campra et d’autres bons auteurs, et bien que j’eusse déjà reçu à Hanovre un avant-
goût prononcé de cette manière [Art], je la pénétrai désormais plus profondément, en fait je m’y jetai
à corps perdu, non sans succès, et le besoin m’en est toujours resté par la suite, si bien que je pourrais
rassembler jusqu’à 200 ouvertures de ma plume. À une telle ardeur et un tel développement a sans doute
aussi beaucoup contribué le fait que j’avais alors jeté mon dévolu conjugal sur ma défunte femme. On
dit souvent que l’amour échauffe les esprits.26

Plus de vingt ans plus tard, dans son autobiographie de 1740, Telemann répète avoir produit
200 ouvertures en deux ans.27 Au-delà du caractère démesuré et peut-être hyperbolique de ce
chiffre, même compte tenu de la productivité proverbiale de Telemann, il faut surtout retenir que
l’adoption d’une manière française suppose un entraînement intensif de la plume et du stylet :
l’étude du répertoire, qui peut être copié, lu ou joué, est doublée d’une imitation en quantité. Pour
acquérir le coup de main, il faut donc écrire peut-être pas deux cent, mais beaucoup d’ouvertures.
Cet apprentissage supposait d’avoir accès à des partitions en nombre important et de les avoir
sous la main un certain temps. Les anthologies de pièces instrumentales françaises, le plus souvent

nations. […] ce style commançoit chez nos Allemans peu a peu a se mettre en vogue ; […] le mépris inconsideré,
& l’aversion, que quelques uns avoient eu pour cette méthode, commançoit à tomber ».
24 Muffat, Florilegium Primum, p. 8-11. Le texte latin utilise « methodus », « stylus » et « mos Gallicus ».
25 Mattheson, Große General-Baß-Schule, p. 172 : « Ich hatte damals das Glück, zum öfteren die Hannöverische
und Wolfenbüttelische Capellen zu hören, von deren ersteren man gestehen muste : Hier ist der beste Kern
von Frankreichs Wissenschaft | Zu einem hohen Baum und reiffster Frucht gediehen | Hier fühlt Apollo selbst
der muntern Lieder Krafft, | Und muß, als halb beschämt, mit seiner Leyer fliehen. »
26 Mattheson, Große General-Baß-Schule, p. 174 : « In der That, hier fieng ich erst recht an fleißig zu seyn, und
das, was zu Leipzig in Singe=Sachen gethan, allhier auch in der Instrumental-Music, besonders in Ouverturen,
zu versuchen, weil Se. Excellence der Herr Graf kurz zuvor aus Franckreich kommen waren, und also dieselben
liebeten. Ich wurde des Lulli, Campra, und anderer guten Autoren Arbeit habhafft, und ob ich gleich in Hanno-
ver einen ziemlichen Vorschmack von dieser Art bekommen, so sahe ihr doch jetzo noch tieffer ein, und legte
mich eigentlich gantz und gar, nicht ohne guten Succes, darauf, es ist mir auch der Trieb hierzu bey folgenden
Zeiten immer geblieben, so daß ich biß 200. Ouverturen von meiner Feder wohl zusammen bringen könnte. Zu
solchem meinem Fleisse und Zunehmen mochte damahls auch wohl diese viel mit beygetragen haben, daß ich
eine eheliche Liebe auf meine seel. Frau warff. Denn man hält dafür, daß die Liebe die Geister aufmuntere. »
27 Cette autobiographie est éditée par Mattheson, Grundlage einer Ehren-Pforte, p. 360 : « Das gläntzende Wesen
dieses auf fürstlichem Fuß neu=eingerichteten Hofes munterte mich zu feurigen Unternehmungen auf, be-
sonders in Instrumentalsachen, worunter ich die Ouvertüren mit ihren Nebenstücken vorzüglich erwehlete,
weil der Herr Graf kurtz vorher aus Frankreich wiedergekommen war, und also dieselben liebte. Ich wurde
des Lulli, Campra und andrer guten Meister Arbeit habhafft, und legte mich fast gantz auf derselben Schrei-
bart, so daß ich der Ouvertüren in zwey Jahren bey 200. zusammen brachte. »

– 252 –
L'invention allemande du style français

ordonnées par ton, étaient alors un outil pédagogique indispensable : elles pouvaient être achetées
sous forme imprimée ou bien constituées progressivement sous forme manuscrite. Des compila-
tions manuscrites de pièces instrumentales extraites des opéras étaient réalisées dans l’entourage
immédiat de Lully, à la cour de France, comme par exemple le second volume du Recueil de Plusieurs
belles pièces de simphonies copiées et mises en ordre de tonalité par Philidor l’Aîné vers 1695.28
Souvent, de telles compilations se présentent sous forme de partition réduite, ne copiant que les
parties de dessus et de basse. Si une version complète pour orchestre doit être réalisée, l’apprenti
ou l’arrangeur devra alors réinventer les parties intermédiaires en fonction de l’ensemble à sa dis-
position. Mais comme le montre l’exemple des compilations publiées par Charles Babel en 1697
et 1698, les modèles se disséminent aussi sous forme imprimée. Lorsqu’elles sont imprimées, c’est
le plus souvent sous forme d’un jeu complet de quatre ou cinq parties séparées : les « Ouvertures
avec tous les airs » de divers opéras de Lully imprimées par Roger à Amsterdam sont un élément
décisif pour comprendre l’apparition et la dissémination du genre de l’ouverture avec sa suite.29 Les
éditeurs pouvaient cependant faire le choix d’un format plus économique en arrangeant ces pièces
pour trio. Le fait que Zelenka ait acheté un exemplaire personnel des Trio des opéras de Monsieur
de Lully édités en 1690 par Blaeu lors de son séjour à Vienne (1716-1719) est un excellent indice de
l’usage pédagogique de ces compilations comme un réservoir d’exemples à imiter. On peut penser
qu’il les avait achetés sur le conseil de Johann Fux, lequel avait publié quatre ouvertures accompa-
gnées de leur suite dans son Concentus musico-instrumentalis quelques années auparavant.30 Assez
paradoxalement, des ouvertures et suites tirées des opéras d’Agostino Steffani furent aussi éditées
sous le titre de « sonates en trio » chez Étienne Roger à Amsterdam en 1706.31
Mais confronté à un nombre immense d’ouvertures à la française, produites à un rythme
accéléré à partir de 1680, l’apprenti musicien pouvait être rapidement submergé : le caractère très
stéréotypé des ouvertures rendait non seulement difficile l’identification et la mémorisation de
silhouettes mélodiques individuelles, mais allait jusqu’à menacer son inventivité. En 1740, alors
que Scheibe réfléchit de manière rétrospective sur le genre de l’ouverture à la française, il relève
cette uniformité comme l’un des principaux défis pour le compositeur :
Ce que l’on pourrait reprocher à ce type de composition, c’est que toutes les ouvertures commencent de
la même façon. Il leur manque donc une certaine variété, qui est par ailleurs toujours nécessaire dans la
musique si l’on ne veut pas que tous les morceaux sonnent comme un seul morceau. C’est pour cela que,
lorsqu’on n’a pas entendu d’ouverture pendant longtemps et qu’on nous en joue tout à coup une nouvelle,
on a l’impression de l’avoir déjà entendue quelque part dans un lointain passé. Cette illusion provient
d’une similarité trop étroite et trop exacte, qui est cependant un élément essentiel du style de l’ouver-
ture. C’est peut-être la très grande uniformité de toutes les ouvertures entre elles dès les premières
mesures qui a contribué à faire qu’elles ne sont plus si populaires qu’elles l’étaient encore naguère.32

28 F-Pn, Rés. 533 : Recueil de plusieurs belles pieces de Simphonie copiées choisies et mises en ordre par Philidor
l’aisné ordinaire de la musique du Roy et l’un des deux gardiens de la musique de sa M[ajes]té. Second tôme 1695.
29 Carl B Schmidt, « The Amsterdam Editions of Lully’s Music. A bibliographical scrutiny with commentary »,
in : Lully Studies, dir. John Hadju Heyer, Cambridge 2000, p. 100-165.
30 Voir Chapitre 4, p. 194-195.
31 Agostino Steffani, Sonate Da Camera à Tre Due Violini Alto e Basso, Amsterdam 1705. Le jeu de parties sépa-
rées comprend : Violino Primo, Violino Secondo, Alto, Basso. La page de titre porte cette remarque : « Pour
bien jouer ces Piéces il en faut doubler le Premier Violon, à moins qu’il n’y ait écrit Trio ; Car aux Trios on ne
le double point & quand on trouvera deux nottes gravées l’une sur l’autre un des deux Violino doit jouer les
grosses & l’auttre Violon les petittes. » Pour une description de cette édition, voir Rasch, The Music Publishing
House of Estienne Roger, Catalogue en ligne.
32 Johann Adolf Scheibe, Critischer Musicus, Leipzig 1745, p. 669-670 : « Was man diesem Satze vorwerfen könnte,
ist dieses, daß er verusachet, daß sich alle Ouverturen auf einerley Art anfangen. Es fällt also eine gewisse Verän-
derung hinweg, die sonst in der Tonkunst durchgehends nöthig ist, wenn nicht alle Stücke wie ein Stück klingen
sollen. Wenn man dahero lange Zeit keine Ouverture gehöret hat, und es wird uns endlich einmal auch eine ganz
neue gespielet : so kömmt es unserm Gehöre dennoch vor, als ob man sie lange zuvor gehört hätte. Und dieses
entsteht bloß aus einer allzugenau eingeschränkten Gleichheit, die doch ein wesentliches Stück in der Schreibart
der Ouverturen ist. Vielleicht daß auch diese sehr große Aehnlichkeit, die alle Ouverture im Anfange mit einan-
der haben, ein großes dazu beygetragen hat, daß sie nicht mehr so beliebt sind, als sie sonst waren. »

– 253 –
Chapitre 5

La standardisation du genre posait donc un véritable défi à la faculté d’invention et d’in-


novation, pouvant par exemple conduire à confondre des ouvertures différentes, à ne plus se
rappeler des ouvertures déjà vues ou copiées, voire à ne plus pouvoir être certain qu’une idée
musicale que l’on croit neuve n’est pas en réalité la réminiscence d’une ouverture déjà composée
par quelqu’un d’autre. Pour mettre de l’ordre dans cette profusion et relever le défi, Cousser avait
développé un outil à la fois simple et génial : un véritable index d’ouvertures, occupant sept pages
dans son livre de lieux communs et rassemblant 193 incipits d’œuvres (Illustration 5.1).33 Les
incipits, longs d’une à deux mesures, paraissent avoir été copiés au fil des lectures, sans planifica-
tion ni volonté de systématisation : les lignes comportent un nombre variable d’incipits et sont
toutes très remplies. On peut pourtant distinguer plusieurs strates de répertoire qui reflètent les
différentes étapes dans la collecte de Cousser.

Illustration 5.1. Johann Sigismund Cousser, Commonplace book, p. 244. Beinecke Rare Book and Manuscript
Library, Yale University, Osborn Music MS 16.

Sur la première page (244) se trouvent d’abord vingt-sept grands modèles français du genre,
issus du répertoire de l’Académie royale de musique jusqu’en 1700 : Jean-Baptiste Lully, André
Campra, Pascal Collasse, Marin Marais, etc. L’œuvre la plus récente de la série, l’Aréthuse de
Campra (1701), est aussi la dernière à avoir été copiée, mais les autres œuvres ne figurent bien
sûr pas dans l’ordre chronologique. En bas de la page figurent deux incipits tirés d’opéras de
Reinhard Keiser donnés à Hambourg en 1694, pendant le mandat de Cousser comme directeur
du Gänsemarkt-Oper. Sur la page suivante commence une nouvelle série de dix-neuf ouvertures
qui circulaient probablement sous forme manuscrite, puisqu’elles sont non identifiables ou n’ont
jamais imprimées : figure par exemple l’ouverture du prologue Polyeucte Martyr de Charpentier,

33 US-Nhub, Osborn Music MS 16. Le Commonplace Book de Johann Sigismund Cousser, à la fois recueil de
citations, carnet d’adresses, livre de remèdes, compilation de traités et d’exemples musicaux, est présenté, ana-
lysé et édité par Owens, The Well-Travelled Musician, p. 183-328. L’identification individuelle des incipits a été
effectuée par Samantha Owens : Owens, The Well-Travelled Musician, p. 308-320.

– 254 –
L'invention allemande du style français

composé pour le Collège d’Harcourt et resté à l’état manuscrit. On repère ensuite une série étroi-
tement liée à la cour de Hanovre avec sept ouvertures de Steffani, cinq de Jean-Baptiste Farinel
et une ouverture de Michel (« Farinelle ainée »).
L’accumulation se poursuit par strates successives sur les quatre pages suivantes, reflétant le
développement chronologique de la collection de Cousser. L’inventaire se termine avec quatorze
opéras de Purcell donnés à Londres dans les années 1690, suivis de sept opéras donnés à Londres
entre 1709 et 1712 – dont un de Johann Ernst Galliard, un de Giovanni Battista Bononcini, et
trois de Georg Friedrich Händel. Ces derniers numéros ont donc probablement été ajoutés à par-
tir de l’arrivée à Londres de Cousser en décembre 1704.34 Cousser semble avoir cessé d’alimenter
son répertoire vers le milieu des années 1710, date à laquelle il arrête d’ajouter de nouveaux inci-
pits alors même que les portées continuent encore sur les deux pages suivantes. Il devait connaître
remarquablement bien sa collection, puisque seuls deux doublons ont été commis par distrac-
tion : le dernier numéro, la première mesure d’une ouverture de Jean-Claude Gillier (L’hyménée
royale donnée à Paris en 1699) avait déjà été copié 30 numéros et sans doute quelques années
auparavant ; et une ouverture de King a aussi été copiée deux fois.35
Sur le feuillet qui précède ce gigantesque annuaire, Cousser a commencé une autre liste d’in-
cipits selon le même principe, mais cette fois-ci dotée d’un autre titre : « Gedruck[t]e Ouverturen,
so in Londen angeschafft ». Il s’agit donc d’un répertoire imprimé acheté à Londres. Samantha
Owens a montré que ces quarante incipits proviennent d’une collection publiée par John Walsh
entre 1701 et 1710 : Harmonia Anglicana, or The Music of the English Stage, qui rassemble les mu-
siques d’intermèdes composés pour les théâtres de Londres.
Ce répertoire d’ouvertures, reliquat exceptionnel et remarquablement développé d’une
pratique probablement partagée par d’autres compositeurs, mais que Cousser a poursuivie sur
plusieurs décennies, montre bien l’assemblage de modèles très variés : après l’assimilation du
canon constitué par le répertoire français des années 1670-1700, la provenance se diversifie au
fil du temps et des partitions rencontrées. Quelle pouvait être la fonction d’un tel index ? Deux
réponses sont possibles : soit il faisait office de catalogue pour des pièces dont une copie complète
était conservée ailleurs, par exemple dans la bibliothèque musicale extrêmement bien fournie de
Cousser ; soit d’un répertoire d’œuvres qu’il connaissait très bien, mais dont l’indexation n’impli-
quait pas nécessairement la disponibilité immédiate sous forme de copie manuscrite ou d’exem-
plaire imprimé. Dans les deux cas, le but est à l’évidence mnémotechnique : il s’agissait pour le
compositeur de pouvoir embrasser d’un seul coup d’œil une trentaine d’exemples à la fois. Ce
faisant, il pouvait stimuler et canaliser son invention, en regardant ce qui était sans doute autant
un gisement de modèles possibles qu’une liste de figures mélodiques déjà prises et qu’il fallait
donc éviter d’employer. Cousser écrit d’ailleurs son propre nom (« Cousser ») sous onze de ses
ouvertures manuscrites, soulignant la portée mnémotechnique de ce répertoire qui ne comporte
en revanche aucune de ses ouvertures imprimées.
Au-delà de la constitution d’une banque personnelle de modèles, l’apprentissage du style
français pouvait être facilité par la consultation de traités musicaux ou de méthodes de com-
position françaises. Johann Sigismund Cousser disposait ainsi, dans la bibliothèque du cabinet
de travail (« Scriptor ») de sa résidence à Dublin, deux traités français de composition : celui de
Gabriel Nivers et celui de Charles Masson.36 Si le premier (qui devait déjà être un peu ancien
quand Cousser l’a acheté) n’est qu’un traité très général de théorie musicale sans grande utilité
pratique pour le compositeur, le second est à la fois plus récent et plus concret, pouvant très bien
fonctionner comme un manuel pour l’apprentissage d’un art de composer à la française, en par-
ticulier grâce à ses sections sur la prosodie.

34 Owens, The Well-Travelled Musician, p. 97.


35 Ownens, The Well-Travelled Musician, p. 317 et 320.
36 Owens, The Well-Travelled Musician, p. 156-157. Charles Masson, Nouveau traité des règles pour la composition de
la musique, Paris 1697. Guillaume-Gabriel Nivers, Traité de la composition de musique, Paris 1667.

– 255 –
Chapitre 5

La fréquentation des Hofkapellen françaises semble également avoir joué un rôle impor-
tant. La nécrologie de Johann Sebastian Bach publiée en 1754 par Carl Philipp Emanuel Bach
et Johann Friedrich Agricola consacre quelques mots significatifs à la Hofkapelle de Celle, en
soulignant que Bach l’entendit à plusieurs reprises et que c’est à travers elle qu’il prit contact avec
la musique française :
Depuis [Lüneburg] il avait régulièrement l’occasion d’aller entendre une Capelle autrefois célèbre, financée
par le duc de Celle et composée principalement de Français, et par-là de se mettre à l’étude du goût français
[ frantzösischem Geschmack], qui, dans ces régions, était alors quelque chose de tout à fait nouveau.37

Ce texte célèbre situe donc les premiers contacts du jeune Bach avec la musique française à Celle,
alors qu’il était chanteur à la Michaelisschule de Lüneburg entre 1700 et 1702. C’est à Lüneburg
qu’il étudia avec Georg Böhm et qu’il avait sans doute pu faire la connaissance de Thomas de
La Selle, le maître à danser de la Ritterakademie voisine et musicien du duc de Celle. En effet, les
étudiants de la Michaelisschule logeaient dans le même bâtiment que les étudiants nobles de la
Ritterakademie.38 Même si les deux auteurs posent à l’évidence un regard rétrospectif sur cet épi-
sode, qu’ils décrivent à plus de cinquante ans de distance en employant le vocable de « Geschmack »
qui venait d’être popularité par Johann Joachim Quantz à travers la notion de « goûts réunis [ver-
mischter Geschmack] », ce texte demeure un témoignage essentiel sur la mise en contact du jeune
Bach avec la musique française. C’est à Celle, en compagnie de musiciens français, que débuta
une pratique de la musique française qui se poursuivit pendant les cinquante années suivantes.

Pratiques d’écriture et techniques de composition


Comment passe-t-on de la copie des modèles à l’invention proprement dite ? Cette question est
délicate : si la copie du répertoire est un phénomène qui laisse des traces, une approche de l’inven-
tion musicale est plus périlleuse dans la mesure où l’ensemble des automatismes et des décisions
qui forment le processus compositionnel représentent une sorte de boîte noire inaccessible à l’his-
torien. Plusieurs travaux ont cependant constitué la créativité musicale baroque en objet d’étude,
en-deçà des traces livrées par la partition.39 Plusieurs motifs semblent jouer dans la décision de
composer des ouvertures. Dans sa préface de 1693, Philipp Erlebach invoque la grande popularité
dont jouissent les « ouvertures et airs composés à la manière française dans les cours et autres
réunions de musiciens » pour expliquer la nécessité d’élargir le répertoire en usage afin d’éviter
de ressasser toujours les mêmes morceaux. Erlebach dit ne pas s’être laissé effrayé par le fait de ne
jamais être allé en France, puisque de même que l’on peut apprendre à connaître les mœurs et les
paysages des peuples étrangers par les cartes, les livres et les récits de voyages, on peut aussi péné-
trer leur manière et leurs techniques artistiques par « la consultation intensive, l’écoute, l’exercice
et le jugement » de leurs productions artistiques. Enfin, contrairement à Muffat, Erlebach estime
que la manière d’exécuter ces pièces à la française est désormais assez connue et pratiquée pour
pouvoir se passer d’une explication détaillée.40

37 BD III, Dok. 666, p. 82 : « Auch hatte er von hier [= Lüneburg] aus Gelegenheit, sich durch öftere Anhörung
einer damals berühmten Capelle, welche der Hertzog von Zelle unterhielt, und die mehrentheils aus Frantzo-
sen bestand, im Frantzösischen Geschmacke, welcher, in dasigen Landen, zu der Zeit was ganz Neues war, fest
zu setzen. »
38 Fock, Der junge Bach, p. 44.
39 Voir par exemple Dreyfus, Bach and the Patterns of Invention. Rebecca Herissone, Musical Creativity in Restora-
tion England, Cambridge 2013.
40 Erlebach, VI Ouvertures, partie de Basse, préface non paginée : « Nachdem nunmehro an den meisten Höfen,
wie auch in anderen zu Musicalischen Ergetzung gewidmeten Zusammenkünfften, die nach Französischer
Art gesetzte Ouverturen und Airs in grosse Ubung und Beliebung gekommen ; und aber die neugierige Welt
durch immerwährende Anhörung einerley, ob gleich der besten Sachen, leicht zu einer Verdrießlichkeit
kan beweget werden. […] Weil auch die Manier, solche Französische Sachen zu musiciren und aufzuführen,
nunmehr zimlich bekandt ist, als halte vor unnöthig, selbige hier weitläufftig zu erklären und vorzuschreiben,
sondern überlasse sie des Music-Liebhabers eigenem vernünfftigen Gutdüncken. »

– 256 –
L'invention allemande du style français

Dès la première mesure d’une ouverture, il faut prendre un nombre incalculable de décisions :
la tonalité, l’incipit mélodique, la possibilité de commencer de façon dramatique avec la texture
pleine de l’orchestre ou bien de façon plus galante avec les dessus, en faisant rentrer la basse seule-
ment dans un deuxième temps. Pour composer une ouverture, Mattheson recommande de garder
la première partie relativement courte, de ne pas y cadencer plus de deux fois et de trouver un
thème brillant pour la partie centrale.41 Mais au-delà des recettes, chaque compositeur développe
bien entendu un art assez personnel de l’ouverture et développe des caractéristiques individuelles.
Les ouvertures publiées par Philipp Erlebach se caractérisent ainsi par leur profil assez consonnant
ainsi que par la fréquence des cadences, des marches modulantes et des emprunts aux tons voisins
qui leur confèrent une couleur très tonale : la 5e suite en fa majeur, par exemple, commence de
manière très galante avec une imitation entre le dessus et la basse, mais emprunte tout de suite en
si bémol majeur, ré mineur, do majeur. La partie centrale à 6/8 est en ternaire au lieu d’être à trois
temps, ce qui confère ° b également œ ™ œ œun œ œ ™ œassez
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œ ™ œ œ moderne œ ™ œgalant
et œ ™ œ œ auœ contrepoint.
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41 ¢ Mattheson, Das Neu-Eröffnete Orchestre, p. 170-171.
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– 257 –
Chapitre 5

Chez Cousser au contraire, les premières ouvertures de 1682 gardent une saveur un peu
archaïque et modale, très proche des premiers modèles français du genre, et ménagent de nom-
breuses imitations entre le dessus et la basse, les voix intermédiaires étant conduites de façon assez
polyphonique. La première suite révèle une maîtrise remarquable des codes français et du traite-
ment des dissonances : la basse du refrain du rondeau « Les Enchantans » commence ainsi par un
retard qui produit un accord de septième renversé, et se poursuit par un mouvement chromatique
descendant. Au fil des collections, l’effectif instrumental est enrichi de vents : Apollon Enjoüé com-
porte ainsi des parties séparées pour deux dessus de hautbois et un basson, et Michael Robertson
note également que cette collection se distingue de la première par la longueur des mouvements,
l’emploi de formes à reprises et l’insertion d’une gigantesque et ambitieuse chaconne.42 Dans ses
deux publications, Muffat reste aussi très proche des modèles français des années 1680 : il procède
très souvent par basses conjointes, ménage de nombreuses dissonances de septième et de neuvième,
use des cadences avec parcimonie, introduit de nombreuses imitations entre le dessus et la basse.
Au-delà de ces variantes individuelles, toutes les ouvertures publiées dans l’espace germa-
nique adoptent le modèle en deux ou trois parties qui s’impose chez Lully à partir de 1660, bien
loin de la diversité des modèles que l’on trouve encore dans ses premières ouvertures comme celles
des ballets d’Alcidiane lwv 9 (1658) ou de Xerces lwv 12 (1660). Les compositeurs allemands ne
semblent pas avoir repris l’habitude de certains Français de n’écrire que la partie de dessus et de
basse – Le Cerf de la Viéville rapportant qu’en dehors de « ses principaux chœurs, & de ses duo,
trio, quatuor importans » dont il « faisait lui-même toutes les parties », Lully « ne faisoit que le
dessus & la basse, & laissoit faire par ses Secretaires la haute-contre, la taille & la quinte, qui est ce
que quelques gens appellent les fiches, ou les parties-médiantes, & que j’aimerois mieux apeler […]
les parties moyennes.43 » En revanche, tous les compositeurs doublent systématiquement la partie
de dessus, faisant jouer la même chose par les deux parties de violon quand elles sont séparées.44
Chez Aufchnaiter, la partie de second violon reste silencieuse pour les deux premières suites à
l’italienne, et n’entre que pour doubler la partie de premier violon au début de la « Serenata 3 »,
la première qui commence avec une ouverture à la française.
D’autres genres que l’ouverture pouvaient également être utilisés pour se faire la main au
style français. Deux motets latins de Cousser conservés dans la collection Bokemeyer témoignent
par exemple d’un apprentissage stylistique à partir de la musique d’église latine.45 Ces deux
œuvres de jeunesse semblent en effet former un diptyque contrastant, l’un italien – « Dilata me »
pour deux sopranos et orchestre à cinq – et l’autre français – « Quis det oculis » pour deux tailles
chantantes, orchestre à six et deux dessus de flûte. Alors que les violons sont notés en sol 2 dans le
premier cas (c’est l’habitude en Allemagne et en Italie) ils sont en sol 1 dans le deuxième (comme
les dessus de violon et de flûte français). Le rythme harmonique, très régulier à la croche dans le
motet à l’italienne, est beaucoup plus lent et irrégulier dans le motet à la française (Exemples 5.2
et 5.3). L’écriture pour les dessus est aussi très différente : là où le violon brode mélodiquement la
dominante avec quelques motifs solistes dans le motet à l’italienne, les deux flûtes ont une ligne
beaucoup plus contrapunctique et ornementée dans le motet à la française. Mais de façon plus
frappante encore, c’est l’écriture pour la voix qui diffère beaucoup : alors que la ligne vocale est
assez fleurie dans le motet italien, le style est beaucoup plus déclamé dans le deuxième (Exemples
5.4 et 5.5).
L’origine des deux textes dévotionnels en latin demeure obscure : on remarque simplement
que le texte de « Dilata me » est une version à peine modifiée d’un poème latin inséré dans le

42 Robertson, The Courtly Consort Suite, p. 131-132.


43 Cité par Charles-Dominique, Les « bandes » de violons en Europe, p. 540.
44 Robertson, The Courtly Consort Suite, p. 20-21.
45 D-B, Mus. ms. 4238 : Johann Sigismund Cousser, « Dilata me à 7. 5 Instrumens et 2 Dessus de Voix avec la
Basse=Continüe ». D-B, Mus. ms. 4239 : Johann Sigismund Cousser, « Quis det oculis à 10. 2 Flutes traver-
sières, accompagnement de trois Instrumens, Basson, 2 Tailles de Voix, avec la Basse-Continüe ».

– 258 –
L'invention allemande du style français

Exemple 5.2. Johann Sigismund Cousser, Dilata me « Symphonia ». D-B, Mus. ms. 4238.
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Exemple 5.3. Johann Sigismund Cousser, Quis det oculis, « Symphonie ». D-B, Mus. ms. 4239.

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– 259 –
Chapitre 5

Exemple 5.4. Johann Sigismund Cousser, Dilata me, « Dilata me in amore ». D-B, Mus. ms. 4238.

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célèbre ouvrage de dévotion de Thomas a Kempis, l’Imitatio Christi (Livre III, chapitre 5). Le
texte de « Quis det oculis » est quant à lui très proche d’un motet à voix seule contenu dans une
collection de Carlo Grossi publiée à Anvers en 1680.46 Les deux motets de Cousser, copiés par
Österreich, portent les cotes originales typiques de la collection Bokemeyer (1225 et 1228). Leur
cotation est assez proche de celle du motet de Lalande (cote originale 1227), ce qui indiquerait
soit leur proximité sur les rayonnages dans le cas d’une cotation systématique, soit la proximité
temporelle de leur copie vers 1700 dans le cas d’une cotation par ordre chronologique. Le Dilata

46 Carlo Grossi, Moderne melodie a voce sola, Anvers 1680.

– 260 –
L'invention allemande du style français

me est copié sur le même papier que le motet de Lalande, issu de la fabrique de Johann Wilhelm
Cast, actif comme producteur de papier à partir de 1702.

Expérimentations et hybridations
Dans les cours de Passau, de Dresde, de Celle et de Hanovre, on a vu que l’établissement d’une
dichotomie franco-italienne ne se limitait pas au monde de la musique mais pouvait aussi être
retrouvée dans l’art des jardins ou le monde du théâtre. En musique, la prévalence de cette dua-
lité entraîna bientôt non seulement la coexistence mais aussi des tentatives d’hybridation entre
style français et style italien. Le terreau d’une telle hybridation est sans doute la coexistence de
musiciens français et italiens au sein de mêmes ensemble et leur cohabitation négociée dans les
Hofkapellen. Les opéras composés par Agostino Steffani pour la cour de Hanovre, ou encore les
oratorios de Pietro Torri témoignent de l’adoption de pratiques française orchestrales dans le
cadre d’un idiome et de genres italiens.47 Mais cette hybridation se retrouve aussi dans certaines
collections de suites imprimées : un exemple fameux de jeu ludique avec le mélange des goûts est
le fameux trio du Concentus Musico-Instrumentalis de Fux, où sont superposées dans une même
sonate en trio une « Aria Italiana » gracieuse, en triolets et au profil galant, avec une « Arie fran-
çoise » très ornée et véhémente, caractérisée par ses rythmes pointés et inégaux.
C’est surtout à l’aune du répertoire instrumental que le mélange des idiomes français et
italiens a été étudié chez Georg Philipp Telemann et Johann Sebastian Bach. Laurence Dreyfus
a ainsi parfaitement mis en évidence la fusion opérée entre un adagio et une sarabande dans le
mouvement lent de la sonate bwv 1029 pour viole de gambe et clavecin obligé : alors que la mélo-
die jouée par la viole de gambe possède toutes les caractéristiques d’un adagio de concerto italien,
le clavecin exhibe au contraire les signes typiques d’une sarabande française.48 Steven Zohn a
également consacré des développements éclairants au mélange des styles français et italiens sous
la plume de Telemann, notamment dans les genres de la Sonaten auf Concertenart ou celui de la
Concertouvertüre.49 Mais une autre forme d’adaptation non moins fascinante, plus étrange peut-
être, intègre aussi des éléments stylistiques français dans le genre de la cantate luthérienne.

Gallicus Adventus
« Gallicus Adventus » : c’est par cette formule que Cicéron décrit, au deuxième livre de la République,
« l’effroyable tempête de l’invasion gauloise » qui s’abattit sur Rome au début du ive siècle avant
notre ère.50 Le dimanche 2 décembre 1714 au matin, ce ne sont pas les cris des oies du Capitole
qui résonnèrent dans l’air glacé de Weimar et de Francfort, mais une musique d’église un peu
particulière destinée à marquer le début d’un nouvel Adventus Christi : cet hiver-là, les deux com-
positeurs Bach et Telemann avaient décidé de mettre en musique le même texte d’une manière qui
ressemblaient fort à une invasion française, cette fois purement musicale. Les deux cantates pour
le premier dimanche de l’Avent représentaient en effet une sorte de manifeste musical dans le style
français qui résonnait simultanément à quelques centaines de kilomètres de distance.
La cantate Nun komm, der Heiden Heiland bwv 61 occupe une place très particulière dans la
production de Johann Sebastian Bach. Elle est l’une des rares œuvres de jeunesse qui puisse être
datée avec précision, puisque l’année de l’exécution est reportée sur le manuscrit.51 En outre, la
seule source conservée pour cette œuvre, une partition manuscrite autographe, présente un trait
particulièrement énigmatique : au verso de la page de titre, Bach a noté le déroulement musi-
cal du culte luthérien à Leipzig pour le matin d’un premier dimanche de l’Avent, sans que l’on

47 Sur Steffani, voir Chapitre 2, p. 120-122. Sur Torri, cf. Scharrer, Zur Rezeption, p. 225-288.
48 Dreyfus, Bach and the Patterns of Invention, p. 116-123.
49 Zohn, Music for a Mixed Taste, p. 65-117 et 283-331.
50 Cicéron, La République, éd. Esther Bréguet, vol. 2, Paris 1980, p. 13.
51 D-B, Mus. ms. Bach P 45, page de titre. Édition moderne dans NBA I/1.

– 261 –
Chapitre 5

sache quand ni pourquoi.52 Ceci pourrait indiquer que l’œuvre fut reprise une dizaine d’années
plus tard, le 28 novembre 1723, dans le cadre du premier cycle annuel de cantates de Bach à la
Thomaskirche de Leipzig – signe de la grande qualité et du pouvoir d’attraction durable exercé
par cette œuvre. Plus encore que l’étrangeté de la source, c’est en effet l’alliage très particulier de
différents styles musicaux qui peut venir expliquer le caractère fascinant de cette œuvre. Exemple
unique de combinaison entre la forme de l’ouverture à la française et le traitement en cantus fir-
mus d’une mélodie de choral, son équilibre suscitait déjà l’admiration de Philipp Spitta, qui lui
consacre une longue analyse et voit en elle le point d’aboutissement du travail du jeune Bach dans
le genre nouveau de la cantate.53
Promu maître des concerts à la cour de Weimar le 2 mars 1714, Bach avait désormais l’obli-
gation de composer « chaque mois de nouvelles pièces » pour la chapelle de la cour.54 Son activité
décuplée dans le champ de la musique d’église est alors marquée par l’abandon progressif des
modèles traditionnels de musique figurée luthérienne qui avaient jusqu’alors fortement marqué
son œuvre religieuse. Désormais, Bach se tourne vers le nouveau genre de la cantate, formalisé
pour la première fois en 1702 par Erdmann Neumeister et caractérisé par l’alternance entre airs
et récitatifs, sur le modèle de la cantate profane italienne.55 La copie d’une cantate du compositeur
vénitien Antonino Biffi témoigne de l’assimilation de modèles italiens, tandis que la maîtrise des
nouveaux canons formels est démontrée par exemple à travers la Jagdkantate bwv 208. Dans le
domaine de la musique d’église, les trois œuvres Gleichwie der Regen und Schnee vom Himmel fällt
bwv 18, Ich hatte viel Bekümmernis bwv 21 et Mein Herze schwimmt im Blut bwv 199 témoignent
également de l’assimilation rapide de la topique de la cantate profane italienne, transposée à la
musique d’église luthérienne.56
Dans ce contexte, l’emploi d’une ouverture à la française n’a rien d’évident et présente même
quelque chose de contre-intuitif. L’année précédente, Mattheson en déconseillait l’usage dans la
musique d’église, recommandant au contraire d’introduire toutes les pièces religieuses par « une
symphonie ou une sonate conforme à l’esprit texte, mais toujours quelque peu pondérée, à l’exclu-
sion de l’ouverture ».57 C’est pourtant avec une netteté particulière que le premier mouvement de
la cantate – le seul qui ne soit pas copié par Bach lui-même mais par son cousin Johann Lorenz
Bach qui étudiait alors avec lui à Weimar – revendique le style français (Illustrations 5.2 et 5.3).
Doté d’un sous-titre en français (le mot « Ouverture » est placé au-dessus de la portée de basse
continue) et d’une indication de tempo également donnée en français (« gay ») pour la partie cen-
trale, ce mouvement adopte aussi une nomenclature unique. Les violons 1 et 2 sont notés sur deux
systèmes différents, mais ils jouent à l’unisson pendant toute la cantate (sauf dans le 4e numéro,
un récitatif accompagné en pizzicato). L’utilisation de deux parties d’alto, courante dans les pre-
mières œuvres de Bach et dans la musique d’église d’Allemagne du Nord,58 est ici accompagnée
de clés françaises puisqu’au lieu d’être notées en ut 3 et ut 4 comme d’habitude, elles sont notées
en ut 1 et en ut 3, les clefs de haute-contre et de quinte de violon.

52 D-B, Mus. ms. Bach P. 45, fol. 1.


53 Philipp Spitta, Johann Sebastian Bach, vol. 1, Leipzig 1873, p. 500-505.
54 BD II, Dok. 66, p. 53.
55 Ute Poetzsch-Seban, Die Kirchenmusik von Georg Philipp Telemann und Erdmann Neumeister. Zur Geschichte der
protestantischen Kirchenkantate in der ersten Hälfte des 18. Jahrhunderts, Beeskow 2006, p. 20-33.
56 Peter Wollny, « Einführung », in : Johann Sebastian Bach, « Nun komm, der Heiden Heiland ». Kantate zum 1.
Adventssonntag bwv 61, fac-similé, éd. Peter Wollny, Laaber 2000, p. V.
57 Mattheson, Das Neu-Eröffnete Orchestre, p. 155-156 : « Ist demnach unmaßgeblich sehr wohl gethan, wenn man
ein Kirchen=Stück, es sey nun ein Laudate, Magnificat, Benedictus, Gloria, Dixti, Miserere &c. […] mit einer dem
Text conformen, doch allezeit etwas moderirten Symphonie oder Sonate an statt der Ouverture anheben läst,
selbige aber so kurtz und nervos, als müglich ist, einrichtet. »
58 Cf. par exemple Greta Haenen, « Die Streicher in der evangelischen Kirchenmusik in Norddeutschland », in :
Zwischen Schütz und Bach. Georg Österreich und Heinrich Bokemeyer als Notensammler (Gottorf/ Wolfenbüttel),
dir. Konrad Küster, Stuttgart 2015, p. 61-82.

– 262 –
L'invention allemande du style français

Illustration 5.2. Johann Sebastian Bach, Nun komm der Heiden Heiland bwv 61, début du
premier mouvement. D-B, Mus. ms. Bach P 45.

Illustration 5.3. Johann Sebastian Bach, Nun komm der Heiden Heiland bwv 61, milieu du premier
mouvement. D-B, Mus. ms. Bach P 45.

– 263 –
Chapitre 5

Mais outre son contexte d’exécution, cette ouverture possédait une autre particularité,
puisqu’à la texture instrumentale de l’ouverture était ajouté un cantus planus : la première période
du choral, énoncée en valeurs longues par chaque voix successivement, était en outre dotée d’une
terminaison ornée à la française lors de sa première occurrence. Cette idée saugrenue de combi-
naison pourrait bien provenir du répertoire français d’orgue, où l’on introduisait volontiers un
plain-chant en taille au milieu du plein jeu. Ainsi, le Kyrie de Nicolas de Grigny que Bach avait
copié dans les mêmes années allie un type de texture très proche de l’ouverture au manuel avec
un plain-chant énoncé en taille et en valeurs longues au pédalier (Illustration 5.4).

Illustration 5.4. Nicolas de Grigny, Kyrie en Taille. Copie de Johann Sebastian Bach. D-F, Mus. Hs. 1538.

Les commentateurs ont parfois émis l’hypothèse que l’ouverture à la française était un
moyen de marquer le début de l’année liturgique et de signifier l’attente du nouveau Roi d’Israël
en la personne du Christ.59 En fait, une raison beaucoup plus simple et prosaïque semble avoir
poussé Bach à concevoir ce mouvement dans le style français : six semaines auparavant, les musi-
ciens de Dresde qui avaient accompagné le prince Friedrich August pendant son séjour à Paris
étaient rentrés à Dresde, rapportant avec eux plusieurs manuscrits de musique française. Or, sur
le chemin du retour, ils avaient fait étape près de Weimar, comme le montre une déclaration de
perte signée le 15 octobre 1714 par le postillon de la diligence après qu’il eut égaré la valise de
l’organiste Christian Pezold, d’une valeur estimée à 200 Thaler.60 L’identité des musiciens qui
étaient dans la voiture peut même être établie sur la base de cette déclaration :
Je soussigné Hans Junge, de Kerstenleben, reconnais par la présente que le 15 octobre 1714, quatre
messieurs étrangers, c’est-à-dire M. le Baron von Eben Fändrich, du régiment impérial de Herberstein,
et M. Johann Christoph Schmidt, Capellmeister royal de Pologne et électoral de Saxe, avec M. Pezold et
M. Pisendel, également musiciens royaux de Pologne et électoraux de Saxe, sont arrivés chez moi par la
voiture de poste, et m’ont confié leurs biens, soit 3 coffres, deux sacs de manteaux et deux paquets, avant
de continuer leur route. Mais vu que le coffre de M. Pezold a été perdu, comme je ne l’avais pas attaché
et pas assez surveillé, je promets par la présente […] que j’emploierai non seulement toute la peine et le
zèle nécessaire pour faire rechercher ledit coffre à mes frais, mais je promets aussi fidèlement que, s’il
ne devait pas être retrouvé, je donnerai et procurerai à Monsieur Pezold le remboursement de sa valeur,
comme le prévoit le règlement de la poste.61

59 Konrad Küster, « Weimarer Kantaten (1708-1717) », in : Bach Handbuch, Laaber 1999, p. 162.
60 Köpp, Johann Georg Pisendel, p. 82.
61 Köpp, Johann Georg Pisendel, p. 82 : « Ich Endes unterschriebener Hannß Junge von Kerstenleben bekenne hier-
mit, daß den 15. Octobris 1714. Vier Fremde Herren, als nahmentl. der hl. Baron von Eben Fändrich, von Kayserl.
Herbersteinischen Regiment, und hl. Johann Christoph Schmidt, Königl. Pohlnl. und Churf. Sächßl. Capell-
meister, nebst hl. Pezolden u. hl. Pissendeln gleichfalls Königl. Pohlnl. und Churfürstl. Sächßl. Musicis bey mir
mit der Post ankommen, und selbe weiter fortzuschaffen, wie sie denn deren Güter alß 3. Coffer, zwey Mantel
Säcke, und zwey Paquete anvertrauet. Nachdem aber unter weges hl. Pezoldens Coffer verlohren gangen, indem
selber nicht angebunden, noch gennug verwahret worden, Alß gelobe ich hiermit [...], daß ich auff meine eigene
Unkosten alle Mühe und Fleiß, bemelten Coffer wiederum zu schaffen nicht allein werde anwenden, sondern
verspreche auch treul., daß, daferne bemelter Coffer sich nicht solte wieder finden, hl. Pezolden alle Satisfaction
dem Werthe nach, und wie es die Postgerechtigkeit mit sich bringet, zu geben und zu verschaffen ».

– 264 –
L'invention allemande du style français

La destination des musiciens, Buttelstedt, se situe à une dizaine de kilomètres au Nord de


Weimar, sur la route entre Erfurt et Leipzig. Rien ne prouve qu’ils se soient arrêtés à la cour de
Weimar, sinon la transcription pour orgue d’un trio de François Couperin réalisée par Johann
Sebastian Bach sous le titre « Aria » (bwv 587). En effet, cette transcription montre que Bach
dut avoir accès à la copie manuscrite de cette pièce rapportée par Pisendel dans ses bagages,
aujourd’hui conservée à Dresde, puisqu’elle ne correspond pas à la version imprimée en 1726 dans
Les Nations (comme premier mouvement du troisième ordre sous le titre « L’Impériale »), mais bien
à une version antérieure, qui circulait sous forme manuscrite sous le titre « La Convalescente » et
fut copiée par Pisendel lors de son séjour à Paris.62 Ceci montre que les musiciens de Dresde ont
vraisemblablement rencontré Bach en rentrant de Paris, lorsqu’ils firent arrêt à Weimar vers le 15
octobre 1714, et même qu’ils ont échangé des partitions. La déclaration de perte ne mentionne ni
Jean-Baptiste Volumier ni Johann Christian Richter : ces deux derniers pourraient très bien avoir
fait partie du groupe de voyageurs dans une autre voiture, mais ils restèrent plus probablement
à Paris, puisque Kos et Hagen notent à la date du 14 décembre 1714 la présence de musiciens de
la chapelle de Dresde.63
On peut donc supposer que le trio bwv 587 et la cantate bwv 61 ont été composés en même
temps. L’emploi d’une ouverture à la française comme premier mouvement de cantate est donc lié
au contexte immédiat de composition plus qu’à une signification théologique : il est le résultat de
la rencontre avec les musiciens de Dresde et avec le répertoire qu’ils rapportaient de France. Mais le
choix du texte était aussi le fruit d’une rencontre personnelle : il était tiré d’une collection de textes
que Erdmann Neumeister venait tout juste de terminer et qui ne fut publiée qu’en 1717. 64 En fait,
ce texte avait été fourni à Bach par Telemann, lequel était lui-même en train de commencer un
nouveau cycle de cantates pour la Barfüßerkirche de Francfort, ancienne église des Cordeliers où il
était maître de chapelle depuis 1712. Le baptême de Carl Philipp Emanuel Bach, dont Telemann
était le parrain et auquel il se rendit le 10 mars 1714, pourrait avoir fourni une occasion de ren-
contre entre les deux hommes.65
Telemann avait reçu au plus tard en novembre 1714 les épreuves finales du recueil contenant
tous les nouveaux textes de Neumeister pour l’année liturgique à venir, qu’il allait ensuite mettre
en musique progressivement, dimanche après dimanche.66 Comme Bach, Telemann paraît avoir
choisi une orientation stylistique résolument tournée vers la France, non seulement pour la cantate
du premier dimanche de l’Avent mais pour la totalité de l’année liturgique : le cycle de cantates
composé en 1714-1715, le deuxième cycle complet de Telemann, fut en effet diffusé dès les années
1720 sous le nom de Frankfurter Jahrgang ou de Französischer Jahrgang.67 Il précédait deux autres
cycles également désignés par une attribution stylistique géographique : le Italienischer Jahrgang et
le Sicilianischer Jahrgang. Un simple regard sur la partition de la première cantate de ce cycle, Nun
komm der Heiden Heiland (twv 1:1775), suffit cependant pour constater l’absence à première vue de
tout élément français. Au contraire, le style semble extrêmement concertant, avec une basse pulsée
en croches tout au long du premier mouvement et des arpèges bariolés aux cordes qui rappellent
beaucoup plus l’idiome du concerto italien que de la musique française (Exemple 5.7). L’usage de

62 Kerstin Delang, « Couperin - Pisendel - Bach. Überlegungen zur Echtheit und Datierung des Trios 587 an-
hand eines Quellenfundes in der Sächsischen Landesbibliothek Staats- und Universitätsbibliothek Dresden »,
Bach Jahrbuch, 93, 2007, p. 197-204.
63 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 785/5, fol. 8, 14 déc. 1714 : « aus Gelegenheit der von Ew:
Konigl. Mayt. hier anwesenden Musicanten mit einer kleinen Cammer-Musique zu unterhalten ».
64 Erdmann Neumeister, Geistliche Poesien, mit untermischten Biblischen Sprüchen und Choralen, Eisenach 1717.
65 Wollny, « Einführung », in : Bach, Nun komm, p. IX.
66 Poetzsch-Seban, Die Kirchenmusik von Georg Philipp Telemann und Erdmann Neumeister, p. 155-190.
67 Christiane Jungius, Telemanns Frankfurter Kantatenzyklen, Kassel 2008, p. 23. On trouve l’abréviation « frz. »
ou « frantz. » sur plusieurs sources de Francfort copiées dans les années 1720. Deux copies manuscrites en pro-
venance de la Fürstenschule de Grimma portent en toutes lettres « Frantzösischer Jahrgang » sur la couverture :
D-Dl, Mus. 2392-E-561a et D-Dl, Mus. 2392-E-578a.

– 265 –
Chapitre 5

Exemple 5.7. Georg Philipp Telemann, Nun komm der Heiden Heiland twv 1:1775, premier mouvement. D-F,
Ms. Ff. Mus. 1285.

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deux petites trompettes ou cors en fa (« clarini piccoli ò Corni ») qui jouent également des arpèges
en tuilage n’apparaît pas non plus même vaguement français.68 Enfin, la présence d’un violoncelle
concertant qui accompagne le dictum de basse est une autre caractéristique très italienne.69
Cette absence d’éléments français fait penser que, si Telemann s’est mis d’accord avec Bach
pour lui fournir le texte de sa cantate, les deux compositeurs ont opté pour des orientations
stylistiques très différentes. Ceci est d’autant plus étonnant que Telemann destinait les pièces du
Französischer Jahrgang aussi bien à l’église de Francfort qu’à la Hofkapelle de Eisenach.70 Or, celle-ci
avait été un haut lieu d’acclimatation du style français, comme le souligne encore Telemann dans

68 D-F, Ms. Ff. Mus. 1285. Les parties séparées sont dans le ton de fa majeur comme toutes les autres parties.
69 La partie pour violoncelle est nommée « Violoncelle Solo ». Alternativement, une autre partie intitulée « Viola
Concertato » suggère que la partie soliste pouvait être prise par l’alto.
70 Sur l’utilisation parallèle du « Französischer Jahrgang » à Francfort et à Eisenach, voir la lettre de Telemann au
Hofrath Jakob Witsch du 27 déc. 1714, in : Georg Philipp Telemann, Briefwechsel. Sämtliche erreichbare Briefe
von und an Telemann, éd. Hans Grosse et Hans Rudolf Jung, Leipzig 1972, p. 175-176.

– 266 –
L'invention allemande du style français

son autobiographie de 1740.71 Les membres de l’orchestre avaient été embauchés par Pantaleon
Hebenstreit, un musicien allemand qui venait de séjourner en France, et dont Telemann note
« l’adresse extraordinaire dans la musique française et la composition.72 » Claus Oeffner relève
dans les archives de la cour la présence de musiciens et danseurs français depuis les années 1670,
sans qu’aucune liste ne nous permette de connaître la composition de la Hofkapelle au moment
où Telemann fut nommé Konzertmeister en 1708.73 Louis Bonin y avait été maître de danse, avant
que Pantaleon Hebenstreit n’arrive. Telemann y fut Konzertmeister en 1708, puis Kapellmeister
en 1709 avant de rejoindre Francfort en 1712. Les pratiques de composition françaises sont donc
logiquement très présentes dans la musique instrumentale qu’il compose pour la cour d’Eisenach,
mais semblent l’être beaucoup moins à Francfort.74
L’enquête sur cet Avent gallican ne s’arrête pas là. Une troisième cantate fut en effet com-
posée sur le texte de Neumeister. Conservée à Mügeln et longtemps attribuée à Telemann, elle
était considérée comme une seconde version de la cantate précédente.75 Sur la base de son lieu
de conservation (situé en dehors de l’aire de diffusion habituelle du Französischer Jahrgang) et
des maladresses prosodiques dans les récitatifs, Ute Poetzsch-Seban a proposé de remettre en
cause cette attribution et de considérer cette œuvre comme étant d’un autre compositeur, pro-
visoirement désigné par les initiales TEL qui figurent sur le manuscrit.76 Mais curieusement,
alors que la cantate de Telemann est d’un style très international et moderne, celle-ci présente
immanquablement des caractéristiques françaises : le premier mouvement est une ouverture sans
partie centrale, mais avec interpolation de périodes de choral harmonisées simplement entre
les phrases de l’orchestre. L’air « Komm Jesu Komm » est accompagné par deux hautbois solistes,
faisant référence au trio français de bois. Enfin, dans le chœur final, les deux pupitres de violons
jouent également unisono. Notons enfin que l’ouverture de la cantate de Mügeln commence exac-
tement comme celle de Telemann pour la cantate du dimanche de Pâques, Christ ist erstanden von
der Marter (twv 1:136). Après une longue sonnerie en majeur qui précède le début de l’ouverture,
celle-ci démarre exactement de la même manière dans les deux cas, si bien qu’il faut postuler
que l’une des deux œuvres a été copiée sur l’autre (Exemple 5.8).77 Il est possible que la cantate
de Mügeln ait été composée sur le modèle de celle que Telemann composa pour le jour de Pâques
dans le Frantzösischer Jahrgang. Mais là où Telemann avait fait le choix d’un ensemble instrumen-
tal identique à celui de Bach, avec deux parties d’alto notées en ut 1 et en ut 3, le compositeur de
Mügeln ne retient qu’une seule partie d’alto.

Ouvertures entre Köthen et Leipzig


Lorsque Bach prit ses fonctions de Kantor à la Thomaskirche de Leipzig, c’est sans aucune ambi-
guïté qu’il choisit de placer sous le signe de la musique française le coup d’envoi de son nou-
veau mandat : sa première cantate, exécutée quinze jours après son arrivée le 30 mai 1723 à la

71 Mattheson, Grundlage einer Ehren-Pforte, p. 361 : « Ich muß dieser Capelle, die am meisten nach frantzösischer
Art eingerichtet war, zum Ruhm nachsagen, daß die das parisische, so sehr berühmte Opern=Orchester,
welches ich nur erst vor kurtzen gehöret, übertroffen habe. »
72 Mattheson, Grosse General-Baß-Schule, p. 175-176 : « Monsieur Pantlon, sage ich, hatte, nebst der Erfahrung
auf vielerley Instrumenten, zugleich in der Frantzösischen Music und Composition eine ungemeine Ges-
chicklichkeit ».
73 Claus Oefner, Das Musikleben in Eisenach, 1650-1750, Dissertation, Martin-Luther Universität Halle, 1975.
74 Zohn, Music for a Mixed Taste, p. 13-63 et 72-84.
75 D-Müg, Nr. 355 et 395. Voir Ute Poetzsch-Seban, « Neues über den Telemannbestand im Kantoreiarchiv zu
Mügeln », in : Auf der gezeigten Spur. Beiträge zur Telemannforschung. Festgabe Martin Ruhnke zum 70. Geburtstag,
dir. Wolfgang Hirschmann, Wolf Hobohm, Carsten Lange, Ochserleben 1994, p. 106-127.
76 Ute Poetzsch-Seban, « Notizen zu ‘Nun komm der Heiden Heiland’ von Georg Philipp Telemann und TEL »,
in : Musik zwischen Leipzig und Dresden. Zur Geschichte der Kantoreigesellschaft Mügeln 1571-1991, dir. Michael
Heinemann et Peter Wollny, Oscherleben 1996, p. 125-130.
77 Ces premières mesures sont copiées en la mineur dans l’exemplaire de Dresde : D-Dl, Mus. 2393-E-561a.

– 267 –
Chapitre 5

Exemple 5.8. Georg Philipp Telemann, Christ ist erstanden twv 1:136, premier mouvement, mes. 1-8. D-F, Ms. Ff.
Mus. 796.

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– 268 –
L'invention allemande du style français

Nikolaikirche – Die Elenden sollen essen bwv 75 – commençait par une admirable ouverture à la
française avec chœur, qui compte sans aucun doute parmi l’une des plus belles de Bach.78 Outre
sa forme, ce mouvement cumulait les marqueurs classiques du style français : l’usage des hautbois
colla parte avec les violons ou en trio à la française (deux hautbois et basson, mes. 80-83), ainsi
que l’emploi probable d’un petit chœur dans la partie centrale, contrastant avec le grand chœur
des deux parties extrêmes.79 Mais Bach montrait aussi clairement qu’il ne s’agissait pas de n’im-
porte quelle ouverture : loin de proposer un modèle du genre, il composait selon son habitude à
contre-courant.80 Dès la deuxième mesure, une petite phrase pour hautbois solo entre les inter-
ventions pointées de l’orchestre donnait au mouvement l’allure d’un concerto pour hautbois. Plus
encore, les proportions métriques normales d’une ouverture à la française se trouvaient inversées,
puisque la première partie est un exemple unique d’ouverture à trois temps, tandis que la seconde
est à quatre temps.
Jusqu’à la fin de l’année 1723, Bach fit encore entendre deux œuvres introduites par une
ouverture à la française avec chœur : une cantate pour le conseil de la ville le 30 août 1723
(Preise Jerusalem bwv 119) et une musique pour l’inauguration d’un orgue le 2 novembre 1723
(Höchsterwünschtes Freudenfest bwv 194). Ces deux ouvertures sont de facture beaucoup plus clas-
sique que la précédente, dans la mesure où les proportions métriques normales sont respectées
avec le retour de la partie pointée après le fugato, une mesure à deux temps pour les parties
extrêmes et à 3/4 pour la partie centrale. De plus, le chœur n’intervient que dans la partie cen-
trale, laissant aux parties extrêmes l’allure purement instrumentale du genre sous sa forme ori-
ginale. L’ouverture bwv 194/1 démarre cependant de manière surprenante avec un trio de bois
à la française qu’accompagnent des gammes descendantes de cordes, les violons étant à l’unisson
pendant toute la première partie. Ce dispositif est inversé lors du retour de la partie pointée à la
fin du mouvement, où les cordes assurent désormais la trame du discours tandis que l’accompa-
gnement est confié aux hautbois. Cette cantate se distingue encore par un autre aspect : ce n’est
pas seulement le premier mouvement qui adopte la forme d’une ouverture à la française, mais
l’ensemble de la cantate qui est structuré comme une suite. Tous les airs (à l’exclusion des réci-
tatifs et des chorals) adoptent les caractéristiques de mouvements de danse : l’air bwv 194/5 est
immanquablement une gavotte, marquée par l’anacrouse caractéristique et la répétition à la basse
d’un anapeste lui aussi typique. Le duo bwv 194/9, introduit par un trio de bois à la française,
possède aussi de façon très évidente le caractère galant, la métrique et le tempo d’un menuet. Les
deux autres sont moins précisément caractérisés : le duo initial à 12/8 a des allures de pastorale,
et l’air de ténor bwv 194/8 a des allures de gigue à la française vive et pointée, mais en binaire.
Au cours de l’année suivante, Bach fit encore entendre une ouverture le 11 juin 1724, dans
la cantate O Ewigkeit, du Donnerwort bwv 20. Dans le mouvement introductif, les périodes har-
monisées du choral sont interpolées au sein d’une texture orchestrale typique de l’ouverture.
Parallèlement, Bach continuait à employer le trio de vents à la française, bien audible le 1er janvier
1724 dans la première partie du mouvement introductif de la cantate bwv 190, ou le 3 septembre
1724 comme accompagnement du duo bwv 33/5. Mais l’exemple le plus impressionnant d’adap-
tation de modèles français arrive exactement une semaine plus tard : le 10 septembre 1724, la
cantate Jesu, der du meine Seele bwv 78 était introduite par une immense et admirable chaconne
en rondeau avec chœur. Le profil de la ligne de basse, le caractère monumental et dramatique de
l’écriture, la verticalité de l’introduction instrumentale, la présence du rythme pointé et surtout
l’accentuation très marquée sur le deuxième temps trahissaient des modèles français. Une cantate
plus tardive conclut la période d’expérimentation autour de modèles français initiée en 1723.
Dans la cantate pour le jour de Noël 1725 (Unser Mund sei voll Lachens bwv 110), Bach reprend

78 NBA I/15, BC A 94.


79 Le chœur n’est accompagné que par le continuo dans la partie centrale.
80 Dreyfus, Bach and the Patterns of Invention, p. 33-58 : « Composing against the grain ».

– 269 –
Chapitre 5

l’ouverture pour orchestre bwv 1068 qu’il avait déjà composée quelques années auparavant, pro-
bablement vers 1722.81 Dans cette nouvelle version, il lui ajoute un chœur dans la partie centrale
fuguée. Cette œuvre marque la fin d’une phase de deux ans de travail intensif sur l’ouverture
(1723-1725) : entre 1726 et 1729, Bach allait se tourner exclusivement vers le genre du concerto
lorsqu’il souhaitait réutiliser des œuvres instrumentales pour le mouvement introductif de ses
cantates.82 Il semble que Bach n’écrivit plus une seule ouverture jusqu’en 1734.
Comment peut-on expliquer cette floraison d’ouvertures pendant les dix-huit premiers
mois de son mandat à Leipzig ? Pendant sa période comme Konzertmeister à Köthen (1717-1723),
Bach avait continué d’approfondir sa connaissance du répertoire instrumental français et c’est
probablement là qu’il composa ses premières ouvertures pour orchestre. Les deux collections de
suites pour clavier à la française (connues sous le nom de Suites anglaises et françaises) sont un
très bon témoin de cette activité.83 À Köthen, Bach évoluait en outre dans un milieu de cour où
figuraient plusieurs musiciens d’origine française : le maître des pages et musicien Jean-François
Monjou d’origine huguenotte, engagé en 1719 avec ses deux filles. À en juger par leurs noms, le
bassoniste Torlé et le hautboiste Rose, qui venaient tous les deux de la chapelle berlinoise dis-
soute en 1713, étaient peut-être également d’origine française.84 Les indices de contact avec les
musiciens français de Dresde sont plus rares. On sait que Volumier a rencontré Bach en 1715
et en 1717. Carl Philipp Emanuel Bach indique en outre que Buffardin s’est rendu chez Bach.85
On a parfois supposé que le cinquième Concerto Brandebourgeois bwv 1050 avait été composé
dès 1717, alors que Bach était maître de chapelle à Köthen, pour être exécuté à Dresde par les
musiciens de la Hofkapelle – dont Jean-Baptiste Volumier et Pierre-Gabriel Buffardin – lors de
la visite de Louis Marchand.86 Certaines œuvres composées pour la flûte à la fin des années 1730
(en particulier la sonate bwv 1030 et l’ouverture bwv 1067 en si mineur, ainsi que la sonate en
la majeur bwv 1032) ont également pu être inspirées par Buffardin.87 Bien des années plus tard,
en 1773, Scheibe affirme avoir été le témoin vivant que Bach – tout comme « d’autres amis de la
musique » habitant à Leipzig – était en contact régulier avec les « virtuoses de la chapelle royale
de Dresde », et qu’il « pouvait obtenir tous les jours des nouvelles sûres et complètes » de ce qui
s’y passait.88 On peut donc penser que l’arrivée en Saxe fut peut-être pour Bach une raison de
renouer avec la composition de musique à la française.

Regards rétropectifs
Ce n’est qu’après une pause de onze ans que Bach composa ce qui était probablement sa dernière
ouverture pour orchestre, encore une fois dans le cadre de la cantate : le mouvement introductif
de l’œuvre In allen meinen Taten bwv 97 prend la forme d’une ouverture très développée. Bach
renouait avec l’alchimie qu’il avait pratiquée à Weimar vingt ans plus tôt, puisqu’un cantus firmus
était ajouté à l’ouverture, mais cette fois-ci chanté seulement dans la partie centrale. La mélodie
du choral, énoncée sans ornement au soprano, était accompagnée par les autres voix du chœur

81 Heinrich Besseler, Kritischer Bericht, NBA VII/1, p. 16.


82 Heinrich Besseler, Kritischer Bericht, NBA VII/1, p. 9
83 Peter Williams, Bach. A Musical Biography, Cambridge 2016, p. 217-219.
84 Günther Hoppe, « Köthener politische, ökonomische und höfische Verhältnisse als Schaffensbedingungen
Bachs », Cöthener Bach-Hefte, 4, 1986, p. 12-62. Christoph Wolff, Johann Sebastian Bach. The Learned Musician,
New-York 2000, p. 193-194.
85 Voir Chapitre 1 p. 31.
86 Wolff, Johann Sebastian Bach. The Learned Musician, p. 234. Pieter Dirksen, « The Background to Bach’s Fifth
Brandenburg Concerto », in : The Harpsichord and Its Repertoire. Proceedings of the International Harpsichord
Symposium Utrecht 1990, dir. Pieter Dirksen, Utrecht, 1992, p. 157-185.
87 Williams, Bach. A Musical Biography, p. 345.
88 BD III Nr. 773, p. 241 : « damals, wie ich deßen aus selbst eigener Erfahrung gewiß versichert bin, ganz Leipzig
eines bessern überzeuget war, und wovon man durch die Verbindung, in welcher der seel. Kapellmeister Bach
und andere Freunde der Musik in Leipzig mit den Virtuosen der Königlichen Kapelle in Dresden standen, fast
alle Tage sichere und gründliche Nachrichten erhalten konnte ».

– 270 –
L'invention allemande du style français

en contrepoint libre. L’ouverture faisait à nouveau usage du trio de vents à la française. À par-
tir de cette date, Bach ne compose plus que des ouvertures pour le clavier et entame donc une
phase de travail plus abstraite et plus spéculative sur le genre, détaché de son substrat orchestral :
l’ouverture « nach Französischer Art » qui introduit la deuxième partie de la Clavier-Übung II fut
imprimée l’année suivante en 1735. Peter Williams relève à juste titre que les quatre volumes de la
Clavier-Übung comprennent systématiquement en leur milieu des ouvertures d’un genre un peu
particulier et parfois très éloigné du modèle original : le premier mouvement de la Partita 4 dans
le premier (1731), l’ouverture à la française proprement dite dans le second (1735), la Fughetta super
Wir glauben all an einen Gott dans le troisième (1739) et la variation en ouverture dans le quatrième
(1741).89 Une nouvelle manière d’appréhender l’ouverture s’inaugure donc en 1734, à distance des
modèles français et privilégiant des réalisations beaucoup plus complexes.
Un an avant que Bach ne fasse sonner sa dernière ouverture à la française pour orchestre à
Leipzig, Telemann avait fait paraître en 1733 à Hambourg une collection radicalement différente,
qui n’avait rien à voir avec la musique d’église, intitulée Musique de table. Celle-ci était partagée en
trois collections de musique, chacune composée de six mouvements reflétant les principaux genres
instrumentaux : une « ouverture avec la suite », un quatuor, un concert, un trio, un solo et une
conclusion. Cette collection, véritable somme et démonstration d’un art de composer cosmopolite,
introduite par une liste de plus de 200 souscripteurs provenant de toute l’Europe, prenait aussi un
regard rétrospectif sur l’ouverture : en l’intégrant dans un ensemble de genres instrumentaux dont
l’accumulation faisait de la collection un véritable manuel de composition, Telemann lui déniait le
statut spécifique qu’il lui avait encore reconnu quelques décennies plus tôt.90

Par-delà l’ouverture : les marqueurs du style français


En dépit de son poids énorme, tant qualitatif que quantitatif, tant sur le plan de la théorie de la
musique que sur le plan de la pratique des compositeurs, l’ouverture ne représente cependant pas la
totalité des expérimentations allemandes dans le style français. D’autres genres, comme le petit ou
le grand motet, ont aussi retenu l’attention des compositeurs. Surtout, si l’on se place à une échelle
plus réduite, en-deçà de l’appellation générique, on observe un fourmillement de pratiques compo-
sitionnelles localisées qui ne sont plus immédiatement perçues comme spécifiquement françaises
aujourd’hui, mais semblent avoir été consciemment liées au style français par les compositeurs qui
les employaient. Certaines ne sont plus reconstructibles : les pratiques de basse continue jouent
ainsi un grand rôle dans la distinction des styles français et italiens, mais aucun témoignage ne
permet de savoir si Bach ou Telemann accompagnaient à la française certains mouvements ou à
l’italienne certains autres. Les emprunts harmoniques sont difficiles à cerner avec précision, même
si quelques études isolées ont déjà tracé la voie à une approche de ce type.91

Une diversité de pratiques d’écriture


Revenons au complexe d’œuvres évoqué à propos du Gallicus Adventus de 1714. Nous avons
observé que contrairement à la cantate Nun komm de Bach, celle que Telemann compose sur le
même texte ne comportait aucune caractéristique française clairement identifiable. Cela ne signi-
fiait pourtant pas qu’il n’y en avait aucune. En effet, au-delà de ce que nous entendons aujourd’hui
comme une allusion claire au style français, une variété d’éléments pouvaient dans le cadre d’une
pratique de composition être inspirés par des modèles français. L’un de ces éléments est l’écriture

89 Williams, Bach. A Musical Biography, p. 566.


90 Laurenz Lütteken, « Telemann, Georg Philipp », in : MGG online. Sur les souscripteurs français, voir Thierry
Favier, « Aufgeklärte Netzwerke ? Telemann und seine französischen Liebhaber », in : Telemann und die urba-
nen Milieus der Aufklärung, dir. Louis Delpech et Inga Mai Groote, Munich 2017, p. 110-169.
91 Siegbert Rampe, « Bachs Piece d’Orgve G-Dur bwv 572: Gedanken zu ihrer Konzeption », in : Bachs Musik
für Tasteninstrumente, dir. Martin Geck, Dortmund 2003, p. 333-369. Dominik Sackmann, « “Französischer
Schaum und deutsches Grundelement” – Französisches in Bachs Musik », Basler Jahrbuch für historische Musik-
praxis, 28, 2004, p. 81-93.

– 271 –
Chapitre 5

à l’unisson des parties de violon. Nous avons vu que les collections d’ouvertures imprimées dans
l’espace germanique, si elles comportent parfois deux parties séparées de violon, dupliquent tou-
jours strictement le même texte musical dans chaque partie. Bach adopte cette caractéristique
dans le premier mouvement de sa cantate : si les deux pupitres de violons sont copiés sur deux sys-
tèmes différents, ils jouent strictement la même chose. On observe d’ailleurs que les violons jouent
à l’unisson pendant toute la cantate, sauf dans le récitatif qui illustre le Christ frappant à la porte
où les cordes sont en pizzicato. Un des passages les plus représentatifs de ce point de vue est l’air
« Komm Jesu, komm » où toutes les cordes jouent à l’unisson (Exemple 5.9). C’est précisément cet
air que Telemann et TEL font également accompagner par les violons à l’unisson (Exemple 5.10).
Notons enfin le fait que chez Telemann comme chez TEL, les hautbois doublent toujours les vio-
lons, ce qui n’est pas sans rappeler la pratique française.92 La partition de Bach ne fait pas figurer
de hautbois, mais il est possible d’imaginer que s’ils avaient été présents, ceux-ci auraient aussi
joué colla parte avec les violons. Ces deux caractéristiques sont donc sans doute des reliquats de
la méthode de composition française, même s’ils ne sont pas immédiatement identifiable comme
tels pour nos oreilles contemporaines.
Exemple 5.9. Johann Sebastian Bach, Nun komm der Heiden Heiland bwv 61, troisième mouvement, mes. 1-5.
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Plus largement, les spécificités stylistique du Französischer Jahrgang de Telemann mises en évi-
dence par Ute Poetzsch-Seban méritent d’être brièvement mentionnées : l’emploi occasionnel
d’un petit chœur contrastant avec un grand chœur, la prédilection pour un style choral homo-
phone, la prédominance de changements de mesure dans les récitatifs, le caractère sobre et décla-
mé des airs qui renoncent à l’utilisation de vocalises.93 De son côté, Christiane Jungius a aussi noté
la présence à partir du dimanche de Pâques de deux parties d’alto, et d’une écriture pour cordes
volontiers colla parte avec le chœur.94 La triade d’œuvres que Telemann compose pour les trois
jours de Pâques 1715 constitue un ensemble intéressant : nous avons déjà vu que la cantate pour
le premier jour était introduite par une ouverture à la française. Au deuxième jour de Pâques,
Telemann compose le dictum en forme d’écho avec un mètre ternaire. Au troisième jour, il conclut

92 D-F, Ms. Ff. Mus. 1285. Le matériel ne consiste qu’en copies faites après le départ de Telemann. Les hautbois
n’apparaissent pas dans les deux partitions, copiées par Heinrich Valentin Beck entre 1721 et 1734 et Johann
Balthasar König, mais dans les parties séparées copiées en 1727 par Johann Christoph Bodinus. La ligne « Cla-
rini piccoli ò Corni » est en do dans les deux partitions, mais en fa dans les parties séparées.
93 Poetzsch-Seban, Die Kirchenmusik von Georg Philipp Telemann und Erdmann Neumeister, p. 167-172.
94 Jungius, Telemanns Frankfurter Kantatenzyklen, p. 295.

– 272 –
L'invention allemande du style français

Exemple 5.10. TEL, Nun komm der Heiden Heiland, troisième mouvement, mes. 1-11. D-Müg, Nr. 355 et 395.

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sa cantate avec un rondeau, bien que cela ne soit pas prévu par Neumeister dans la composition
du texte. Pour le premier dimanche après l’épiphanie, Telemann compose enfin l’aria finale sous
forme de chaconne.
Mais au-delà de ce groupe d’œuvres, les spécificités harmoniques du style français semblent
aussi avoir été au cœur des préoccupations des compositeurs. On connaît en effet l’usage fréquent
que Bach fait de l’accord de dominante sur médiante, qui constitue l’un des lieux communs har-
moniques les plus frappants dans les pleins jeux des livres d’orgue français. Cet accord est ainsi
utilisé de manière tout à fait évidente dans la fantaisie pour orgue bwv 542. D’autres formes de
dissonances sont également présentes dans la Pièce d’orgue bwv 572 dont le mouvement central
reprend de façon démonstrative les codes du plein jeu à la française. Mais au-delà de ces outils
harmoniques ponctuels, un certain type de modulation semble également avoir connoté, entre
1700 et 1730, le style français dans l’espace germanique : le changement de mode sur la tonique.95

Stabilité tonale et changement de mode


L’apparition, la codification et la réception du style français au xviie siècle ont surtout été étudiées
sous l’angle des genres musicaux, des techniques d’exécution instrumentale et vocale, des ques-
tions rythmiques et des pratiques d’orchestration. En revanche, ni les spécificités harmoniques

95 Pour un aperçu complet sur cette question, voir Louis Delpech, « Der Wechsel in die Varianttonart als Merk-
mal des französischen Stils um 1700. Lully, Couperin, Bach, Händel », in : Dur versus Moll. Zur Geschichte der
Semantik eines musikalischen Elementarkontrasts, dir. Hans-Joachim Hinrichsen et Stefan Keym, Cologne 2020,
p. 131-153.

– 273 –
Chapitre 5

ni les aspects tonaux du style français n’ont véritablement retenu l’attention des chercheurs.96
Ceci peut être expliqué par plusieurs facteurs : en cette époque de transition entre la modalité et
la tonalité, aucune source théorique ne semble reconnaître de spécificité française dans l’utilisa-
tion des tons. En outre, les préjugés sur le conservatisme supposé des théoriciens français – qui se
seraient contentés, contrairement à leurs collègues allemands ou italiens, de reproduire la vulgate
harmonique de Zarlino pendant tout le xviie siècle – et sur l’introduction tardive de la basse
continue en France ont longtemps détourné les chercheurs de ces questions.97 De ce fait, la discus-
sion sur l’usage des tons en France reste le plus souvent limitée, avant le Traité de l’harmonie (1722)
de Jean-Philippe Rameau, à la caractérisation des modes dans les Règles de Composition de Marc-
Antoine Charpentier – un texte qui est davantage un aide-mémoire pédagogique qu’un traité de
composition, et dont le caractère confidentiel fut souvent oublié au xxe siècle.98 Les œuvres de
Charpentier rappellent en outre que les pratiques harmoniques des compositeurs français étaient
loin d’être homogènes et monolithiques, puisque son œuvre fourmille d’emprunts harmoniques
à des modèles italiens (en particulier Carissimi) qui montrent la porosité des frontières entres les
styles nationaux ainsi que la fluidité et le métissage des langages harmoniques.99
Pourtant, on a souvent remarqué que la polarité entre le mode majeur et le mode mineur
avait été affirmée de manière particulièrement nette dans le discours théorique de langue fran-
çaise : très tôt, les douze modes de l’Antiquité ou les huit modes ecclésiastiques furent réduit aux
deux modes de do et de ré, sur la base de leur grande ou de leur petite tierce.100 Dès les années
1670, Antonio Bertali évoquait une « opinion française selon laquelle il n’y aurait pas plus de
deux modes, l’un par B mol, l’autre par B carre ainsi qu’ils disent.101 » Charles Masson affirme
aussi, dans le livre que possédait Cousser, que presque tous les modes antiques et ecclésiastiques se
ramènent au majeur et au mineur par transposition.102 Dans sa méthode de chant, Jean Rousseau
leur attribue, sur la base de considérations étymologiques et visuelles, un affect fondamental :
le mineur ou bémol est « plus propre pour le tendre » et se trouve représenté par une « figure
ronde […] propre à rouler doucement », tandis que le majeur ou bécarre est « gay » et représenté

96 Voir cependant Bertrand Porot, « Tonalité et modalité dans les pièces de clavecin de d’Anglebert : éléments
pour une analyse harmonique », Musurgia, 7/1, 2000, p. 61-87, ainsi que « Les tonalités dans les divertissements
des opéras de Lully et Quinaul : approche dramaturgique », in : Formes et formations au dix-septième siècle, dir.
Buford Norman, Tübingen 2006, p. 133-147. Jean Duron, « Le Bel édifice : l’architecture des tonalités », in :
Vénus & Adonis (1697), tragédie en musique de Henry Desmarest. Livret, étude et commentaire, éd. Jean Duron,
Sprimont 2006, p. 151-156. Gérard Geay, « Le style des vingt-quatre violons et les premières compositions du
jeune Lully », in : La naissance du style français (1650–1673), dir. Jean Duron, Wavre 2008, p. 115-134.
97 Voir par exemple Thomas Christensen, Rameau and Musical Thought in the Enlightenment, Cambridge 1993,
p. 44-45. Robert Zappula, Figured Bass Accompaniment in France, Turnhout 2000, p. viii.
98 Theodora Psychoyou, « Les Règles de composition par Monsieur Charpentier : statut des sources », in : Les Manus-
crits autographes de Marc-Antoine Charpentier, dir. Catherine Cessac, Wavre 2007, p. 201-221.
99 Graham Sadler et Shirley Thompson, « The Italian Roots of Marc-Antoine Charpentier’s Chromatic Har-
mony », in : Europäische Musiker in Venedig, Rom und Neapel (1650-1750). Les musiciens européens à Venise, Rome et
Naples (1650-1750), dir. Anne-Madeleine Goulet et Gesa zur Nieden, Kassel 2015, p. 546-570.
100 Walter Atcherson, « Key and Mode in Seventeenth-Century Music Theory Books », Journal of Music Theory,
17/2, 1973, p. 204-232, ici p. 225 : « The second option, C major paired with D Dorian, seems to be a French
phenomenon. » Voir aussi Porot, « Tonalité et modalité », p. 64 : « La réduction des modes à deux est, en fait,
une notion qui apparaît assez tôt en France et qui semble être une spécificité théorique de ce pays. »
101 Antonio Bertali, Instructio Musicalis : « einer französischen Meinung, daß nit mehr als zwey Toni seindt, einer
per B moll, der ander per quadro von ihnen genent. » Cité d’après Hellmut Federhofer, « Zur handschrift-
lichen Überlieferung der Musiktheorie in Österreich in der zweiten Hälfte des 17. Jahrhunderts », Die Musik-
forschung, 11/3, 1958, p. 264-279, ici p. 275.
102 Masson, Nouveau Traité des Règles, p. 9 : « Mais afin de faciliter les moyens de parvenir plus promptement à la
Composition, je ne montrerai que deux Modes, sçavoir le Mode majeur, & le Mode Mineur : dautant que ces
deux Modes posez quelquefois plus haut & quelquefois plus bas, renferment tout ce que l’Antiquité a enseigné,
[et] même les huit Tons que l’on chante dans l’Eglise, excepté quelques-uns qui se trouvent irreguliers. »

– 274 –
L'invention allemande du style français

par une « figure quarrée » dont l’expérience nous apprend qu’elle « ne peut rouler qu’en sautillant,
par bonds, & en faisant quelque bruit.103 »
Les deux modes fondamentaux n’étaient pas seulement caractérisés par leur grande ou leur
petite tierce ni par les affects qu’ils suscitaient, mais aussi par le nombre et la position de leurs
degrés cadentiels, ou « cordes ». D’après Charpentier, les modes mineurs en possèdent trois : la
tonique, la médiante et la dominante. Au contraire, les modes majeurs n’en possèdent que deux :
la tonique et la dominante.104 Il y a donc pour Charpentier une asymétrie entre les deux modes :
alors que dans le mode mineur, on peut cadencer à la médiante (autrement dit : au relatif majeur)
sans sortir du ton d’origine, l’inverse n’est pas vrai, puisqu’on ne peut cadencer au sixième degré
(autrement dit : au relatif mineur) dans le mode majeur sans sortir du ton d’origine. L’espace tonal
décrit par Charpentier ne connaît donc pas la notion de ton relatif, mais seulement la notion de
finale à laquelle tout se rapporte, y compris les cordes de modulation.
Cette absence singularise fortement la pratique harmonique des compositeurs français
par opposition à celle de leurs collègues allemands ou italiens. En effet, on peut observer chez
ces derniers une standardisation progressive de la modulation au ton relatif à partir des années
1680 : dans la sonate en trio italienne avant Corelli par exemple, Florian Edler a noté que la
modulation au ton relatif remplaçait progressivement la modulation à la dominante, aussi bien
dans les tons majeurs que dans les tons mineurs.105 La valeur structurelle du ton relatif est éga-
lement manifeste dans de nombreux autres genres vocaux et instrumentaux, aussi bien en Italie
qu’en Allemagne.106 On trouve certes occasionnellement des modulations au ton homonyme
chez Corelli ou Vivaldi, mais celles-ci restent exceptionnelles et ne remettent jamais en cause le
caractère structurant du ton relatif comme modulation préférée.107 En France au contraire, cette
fonction est occupée par le ton homonyme : celui-ci reste le vecteur harmonique privilégié par
tous les compositeurs, notamment entre deux mouvements successifs, du moins tant que l’on peut
rester dans le voisinage des tonalités habituelles : le changement de mode se fait couramment en
do, en ré et en sol, mais pas en fa, en si, en la ou en mi.
Le ballet est un bon exemple pour observer l’évolution de cette pratique entre 1650 et 1720,
dans la mesure où le changement de mode est fréquemment utilisé comme élément de contraste
entre deux mouvements dansés. Celui-ci joue déjà un rôle décisif dans le Ballet Royal de la Nuict,
premier ballet de cour représenté après la Fronde (1653) avec la collaboration d’Isaac de Benserade
et Jean de Cambefort. Après l’ouverture en sol mineur, les deux premiers récitatifs sont conçus
comme un dyptique contrastant : au « Récit de la Nuict » en ré mineur et en mètre binaire, chanté
en soliste par « Mr de Cambfort » et caractérisé par ses valeurs longues, ses harmonies suaves
et son caractère rêveur, succède un vigoureux « Récit des Heures » en ré majeur, chanté alter-
nativement par un soliste et un chœur, dont le caractère énergique et le mètre ternaire viennent
souligner la dimension solaire. Mais aussitôt après, Cambefort poursuit son récit avec la seconde
strophe, revenant ainsi au mode mineur. Les mouvements suivants sont également caractérisés

103 Jean Rousseau, Méthode claire, certaine et facile pour apprendre à chanter la musique, Amsterdam 1710 [Paris
1678], p. 73.
104 Marc-Antoine Charpentier, Règles de composition, in : Catherine Cessac, Marc-Antoine Charpentier, Paris 1988,
p. 454 : « Les modes ont trois cordes essentielles, savoir la finale qui est la note du mode, la tierce au-dessus de
la finale que l’on appelle la médiante, et la quinte au-dessus de la finale qu’on appelle la dominante. Les modes
qui ont la tierce majeure n’ont que deux cordes essentielles, savoir la finale et la dominante. Les modes qui ont la
tierce mineure ont trois cordes essentielles, savoir la finale, la médiante et la dominante. »
105 Florian Edler, « Der Dur-Moll-Kontrast in der italienischen Triosonate », Zeitschrift der Gesellschaft für
Musiktheorie, 3, 2006, p. 307-326.
106 Voir par exemple Michael Talbot, « How Recitatives End and Arias Begin in the Solo Cantatas of Antonio
Vivaldi », Journal of the Royal Musical Association, 126/2, 2001, p. 162-192. Ellen Harris, « Harmonic patterns in
Handel’s operas », in : Eighteenth-century music in theory and practice : Essays in honor of Alfred Mann, dir. Mary
Ann Parker, Stuyvesant 1994, p. 77-118.
107 Bella Brover-Lubovsky, « ‘Die Schwarze Gredel’, or the Parallel Minor Key in Vivaldi’s Instrumental Music »,
Studi Vivaldiani, 3, 2003, p. 105-131.

– 275 –
Chapitre 5

par des changements réguliers de mode : les deux premières entrées sont en sol mineur, la 3e et la
4e en sol majeur. On retourne en sol mineur à partir du 2e Air pour les chasseurs. Le reste du ballet
alterne constamment entre les deux modes de sol, à l’exception d’un court épisode à la médiante
en si bémol majeur (Tableau 5.2). On note ainsi l’extrême stabilité tonale de l’ensemble, qui ne
quitte guère le ton de sol, tantôt par bémol, tantôt par bécarre – ce procédé faisant apparaître la
coloration majeure ou mineure comme une qualité secondaire du ton principal plutôt que comme
un changement de ton.
Tableau 5.2. Tonalités des mouvements dans le Ballet Royal de la Nuict von Isaac de Benserade und Jean de Cambefort
[et al.], 1653. F-Pn, Rés. F-501.

[Première Partie] [Deuxième Partie]


Ouverture sol m 1e Entrée, 3 Parques et la Vieillesse et la tristesse sol m
Récit de la Nuict « Languissante clarté » ré m Récit de Venus « Fuyez bien loin » do M
Récit des Heures « Vous poussez le soleil » M 2e Entrée, Les Jeux les Ris l’Hymen sol M
La Nuict « Je descends pour charmer » m 3 Entrée, Deux Pages m
Chœur « Tenez donc vos rideaux » M 4e Entrée, Roger Bradamante & toute sa compagnie si b M
1re Entrée, Les 4 Heures sol m 5e Entrée, La Nourisse & l’Enfant M
2e Air pour les mesmes m 6 Entrée, Medor & Angélique sol m
2e Entrée, Protez m 2e Air pour les mesmes M
3e Entrée, 5 Nereïdes M 7e Entrée, Cardet & Guidon m
4e Entrée, 6 Chasseurs M 8e Entrée, Richardel & Fleur Despine M
2e Air pour les mesmes m 2e Air Triolet pour les mesmes M
5e Entrée, 2 Bergers & deux bergeres m 9e Entrée, Thetis & Pelée m
6e Entrée, Un Mercier M 2e Air pour les mesmes & 3 Grasses M
2e Air pour les mesmes et 2 Bandits m 3e Air, Mercure en mercier m
3e Air pour les mesmes un Carosse m
7e Entrée, 2 Galants & deux coquettes m
2e Air pour les mesmes M
8e Entrée, Les Egyptiens et les Egyptiennes m
9e Entrée, 2 Gagnes-petis M
10e Entrée, Les Boutiques se ferment m
11e Entrée, 3 Allumeurs de Lenternes M
12e Entrée, 4 Porteurs de Chaisse m
2e Air les mesmes M
13e Entrée, 2 Filoux m
14e Entrée, Les Gueux les estropiez & soldats m

Les ballets plus tardifs témoignent d’une pluralisation progressive des cordes de modulation et de
l’affaiblissement de la stabilité tonale à l’échelle de l’œuvre. Ces deux évolutions sont visibles dans
le Ballet des Saisons lwv 15 créé en 1661. Le début est structuré autour d’une alternance entre sol
mineur et majeur. À partir du Récit des Masques au milieu de la 7e Entrée cependant, on module
en si bémol majeur, médiante de sol mineur sur laquelle s’achève le ballet. Le centre tonal est encore
plus instable en 1669 dans le Ballet de Flore lwv 40 : alors que le changement de mode se fait plus
rare, l’apparition de modulations à la sous-dominante, à la dominante ou même au ton relatif se
multiplie et devient la norme. Après le début en ré mineur, la 4e Entrée module vers sol mineur
ou majeur, et l’on se trouve à partir de la 7e Entrée en si bémol majeur ou en fa majeur, à partir de
la 10e en sol majeur ou mineur, et dans la dernière Entrée en do majeur. Le changement de mode
sans changement de ton est donc seulement employé sur la corde de sol et se fait plus rare, perdant
son caractère structurant pour se limiter aux couples de mouvements contrastants (Tableau 5.3).

– 276 –
L'invention allemande du style français

Tableau 5.3. Tonalités dans le Ballet de Flore lwv 40 de Jean-Baptiste Lully.

Ouverture lwv 40/1 ré m


Récit de l’Hyver lwv 40/2 –
Chœur des Glaçons lwv 40/3 –
Second couplet – –
I. Entrée, Le Soleil lwv 40/4 –
II. Entrée, Flore et ses Compagnes lwv 40/5 –
III. Entrée, Les Nayades et les Driades lwv 40/6 –
Bourrée pour les mesmes lwv 40/7 –
IV. Entrée, Le Printemps lwv 40/8 sol m
V. Entrée, Les Jardiniers et les Galants lwv 40/9 sol M
VI. Entrée, Les Galants et les Dames lwv 40/10 sol m
Menuet pour les mesmes lwv 40/11 –
VII. Entrée, Les Esclaves lwv 40/12 si b M
VIII. Entrée, Les Débauchez lwv 40/13 –
Menuet pour les mesmes lwv 40/14 –
Serenade pour des nouveaux Mariez, Ritournelle lwv 40/15 fa M
L’Hymen « Si vous vous aymez bien tous deux » lwv 40/16a –
Tous trois lwv 40/16b –
L’Amitié, la Fidélité « Amour veut qu’on suive » lwv 40/17 –
IX. Entrée, Le Marié et la Mariée lwv 40/18 si b M
Une Musicienne lwv 40/19 fa M
X. Entrée, L’Aurore lwv 40/20 sol m
XI. Entrée, Les Heures et les Graces lwv 40/21 –
XII. Entrée, Vertumne lwv 40/22 sol M
Plainte de Vénus, sur la mort d’Adonis. Ritournelle lwv 40/24a sol m
Vénus « Ah quelle cruauté » lwv 40/23b –
XIII. Entrée, Proserpine et deux de ses Compagnes lwv 40/25 –
Pluton enlevant Proserpine lwv 40/26 –
Les Demons lwv 40/27 sol M
XIV. Entrée, Les Héros lwv 40/28 sol m
Bourrée pour les mesmes lwv 40/29 sol M
Airs pour Jupiter et le Destin lwv 40/30-32 –
XV. Entrée, Prelude pour les Quatre Parties du Monde lwv 40/34a do M
Recit de l’Europe lwv 40/34b –
Choeur des quatre parties du monde lwv 40/36a –
La marche des Nations lwv 40/33 –
Air pour l’Europe lwv 40/35 –
Canaries lwv 40/38 –
Menuet pour les Faunes lwv 40/39 –
Second recit des Quatre Parties du Monde lwv 40/36b –
Second Choeur des Quatre Parties du Monde lwv 40/37 –

– 277 –
Chapitre 5

Mais si l’on constate une diversification des axes de modulation dans le cadre du ballet de
cour à partir de 1660, le changement de mode reste cependant un outil privilégié, y compris
dans la tragédie en musique – aussi bien lors des représentations scéniques que dans les compila-
tions instrumentales d’airs à jouer qui en sont tirées. Produite en 1686, l’Armide de Lully fournit
un bon exemple, tant à cause de la planification méticuleuse qui a manifestement présidé au
choix des tonalités, qu’à cause du statut canonique qu’elle acquit rapidement comme un des plus
hauts modèles du genre. Bien que des modulations au ton parallèle ou à la dominante soient
présentes – par exemple dans le prologue en do majeur, où les tons de la mineur et de sol mineur
fonctionnent comme les antipodes de la tonalité principale –, le changement de mode conserve
un fort potentiel dramatique et est employé pour colorer la tonalité principale. Au premier acte
(I/3), le rondeau en do majeur qui représente le point culminant du triomphe d’Armide se trouble
brusquement avec l’apparition d’un nouveau refrain en do mineur (mes. 329) alors même que le
texte reste triomphant (« Que la douceur d’un triomphe est extrême, Quand on n’en doit tout
l’honneur qu’à soy-même »). À l’évidence, le compositeur souligne ici l’ironie tragique d’une telle
phrase, Renaud ayant en fait battu les armées d’Armide qui l’ignore encore, tout en anticipant
l’irruption dramatique d’Aronte, qui interrompt les réjouissance en annonçant la déroute dans
le ton de do mineur. Mais la première mention du nom de Renaud (I/4, mes. 21-22) est immédia-
tement suivit d’un retour en do majeur jusqu’à la fin de l’acte, le chœur laissant éclater sa fureur
et exprimant sa soif de vengeance. Au cours du troisième acte, alors qu’Armide avoue à Sidonie
qu’elle aime Renaud, on passe régulièrement de sol mineur à sol majeur : le mode suit les paroles
de la protagoniste qui balance entre son refus d’aimer Renaud et l’abandon à ses sentiments.
Le changement de mode est également visible dans le répertoire de suites pour le clavecin,
où l’on observe la tendance progressive à grouper les pièces d’un même ton, mais en alternant
entre le mode majeur ou le mode mineur. Dès 1677, Nicolas Lebègue avait groupé dans son pre-
mier livre de Pièces de Clavecin les suites par tons : ré mineur, ré majeur, sol mineur, sol majeur,
sans toutefois que l’on puisse conclure à la présence de deux ou quatre suites.108 Les quatres suites
publiées par d’Anglebert (1689) trahissent aussi la prévalence de la relation homonyme à l’échelle
de la collection : la première suite est en sol majeur, la seconde en sol mineur, la troisième en ré
mineur, la quatrième en ré majeur. Cette évolution est surtout visible chez Couperin, dont les
nombreuses suites (« Ordres ») publiées dans les Pièces de clavecin regroupent aussi des pièces dans
les deux modes. Presque toutes les suites du premier livre sont caractérisées par une ambivalence
modale : la 1ère suite est en sol majeur et mineur, la 2e en ré majeur et mineur, la 3e en do mineur et
majeur, la 4e en fa majeur et mineur, la 5e en la majeur et mineur. En revanche, le sixième ordre
en si bémol majeur ne comprend naturellement aucune pièce en si bémol mineur. Le changement
de mode apparaît aussi à une échelle plus réduite : à l’intérieur de la 7e suite en sol majeur, la suc-
cession de quatre pièces sur les âges de la vie (« Les Petits Ages ») est marquée par un changement
de mode constant. Même à l’intérieur d’une pièce, une tonalité mineure peut changer de mode
dans la deuxième partie, par exemple dans La Babet en ré mineur (2e ordre), ou dans Les agrémens
et La Villers en la mineur (5e ordre), ou encore dans le quatrième couplet du rondeau L’épineuse
(26e ordre) qui passe de fa dièse mineur au ton « épineux » de fa dièse majeur. En revanche, le
changement de mode à partir d’un ton majeur n’est pas pratiqué à l’échelle d’une partie. Mais il
peut se produire à l’échelle de quelques mesures : la première Allemande du 5e ordre (La Logivière
en la majeur) passe à la dominante mineure (mi mineur, mes. 6) au beau milieu d’un point d’orgue
qui conduit fugitivement, après la majorisation et dominantisation de la résolution, à entendre
le mode mineur de la tonique (mes. 7). Le tout est répété sur la dominante de la dominante, où
l’on passe de si majeur à si mineur avant de retourner en si majeur, pour atterrir finalement dans
le mode mineur de la dominante (mi mineur), majorisée in extremis pour conclure la première
partie (Exemple 5.11).

108 Betrand Porot, « Tonalité et modalité », p. 66.

– 278 –
L'invention allemande du style français

Exemple 5.11. François Couperin, Premier Livre de Pièces de Clavecin, Cinquième Ordre, La Logivière – Allemande,
mesures 5-10.
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La liste de ces exemples pourrait être poursuivie. La musique d’église n’en est pas avare : dans le
Te Deum lwv 55 de Jean-Baptiste Lully, chaque verset est en do majeur, à l’exception de quelques
courts emprunts en sol majeur, la mineur, fa majeur et ré mineur, le retour immédiat dans le ton
principal permettant à la ritournelle introductive de réapparaître au ton principal dans différents
mètres et de venir ponctuer chaque verset. C’est seulement à la fin de la pièce pour le « Dignare
Domine » que le compositeur change soudain de mode, passant en do mineur. Ce tournant inat-
tendu vient souligner de façon saisissante le caractère suppliant du texte, dramatisant par ce
bref assombrissement la dimension sotériologique des deux dystiques finaux, ce qui contribue
également à distinguer très clairement ce passage du reste de la pièce. À titre de comparaison, la
passage en la mineur qui accompagnait le début de la symphonie du verset « Patrem immensae
majestatis », tout en solennisant le discours, ne produisait pas un tel effet de contraste. Souligné
par l’allure grandiose du rythme pointé, le changement de mode est également manifesté par le
seul changement d’armature de la pièce, puisque deux bémols sont ajoutés pour la première et la
seule fois. Dans le répertoire d’orgue, les offertoires offrent un lieu privilégié de changement de
mode : seules pièces qui ne soient pas soumises à la logique de l’alternatim, elles peuvent moduler
librement. Le changement de mode dans la partie centrale devient de ce fait un lieu commun du
genre, exemplifié par le Grand Dialogue du troisième Livre d’orgue de Marchand ou les deux offer-
toires de la Messe pour les Paroisses et de la Messe pour les Couvents de François Couperin : dans les
deux cas, do majeur devient do mineur pour la partie contrapunctique centrale, avant de revenir
dans le mode majeur pour la dernière partie.

Moduler à la française
Les compositeurs germaniques semblent avoir eu tout à fait conscience de cette spécificité modale
du style français, puisqu’ils l’utilisent dans leurs propres compositions à la française. Les Six Suites
avec leurs Préludes pour le Clavecin bwv 806-811 de Bach font systématiquement apparaître un tel
changement de mode dans les paires de danses alternées qui se situent juste avant la gigue finale,
au caractère léger et parfois populaire. L’emploi de cette modulation témoigne ainsi que cette
collection de suites, qui se distingue aussi par des détails d’ornementation et l’usage d’une ter-
minologie française, est peut-être la plus typiquement gallicane que Bach ait composée.109 Dans

109 Williams, Bach. A Musical Biography, p. 218 : « In conveying so many details of the usual dances, the ‘English
Suites’ are the most French of Bach’s sets, especially as copied and ornamented (on uncertain authority) by his
pupils. »

– 279 –
Chapitre 5

ce cadre, l’alternance entre les deux danses s’accompagne toujours d’un changement de mode :
entre les deux Bourrées de la 1e suite en la majeur (bwv 806/6-7), entre les deux Bourrées de la
2e suite en la mineur (bwv 807/5-6), entre la première Gavotte et la « Gavotte II ou musette » de
la 3e suite en sol mineur (bwv 808/5-6), entre le Passepied I en Rondeau et le Passepied II de la
5e suite en mi mineur (bwv 810/5-6), ainsi qu’entre les deux Gavottes de la 6e suite en ré mineur
(bwv 811/5-6). Seuls les deux Menuets de la 4e suite en fa majeur ne présentent pas seulement un
changement de mode, mais aussi un changement de ton, le second étant en ré mineur, sans doute
pour éviter de toucher le ton de fa mineur.
On observe le même phénomène dans l’Ouvertüre nach französischer Art bwv 831. Parmi
les trois paires de danses qui figurent dans cette suite (deux Gavottes et deux Passepieds entre
la Courante et la Sarabande, ainsi que deux Bourrées entre la Sarabande et la Gigue), la pre-
mière et la dernière paire restent en si mineur, mais le second Passepied module de manière très
surprenante en si majeur. L’usage de cette tonalité rare et difficile s’explique par le fait que la
première version de cette ouverture était en do mineur : le passage en do majeur ne représentait
alors aucune difficulté particulière. On trouve également ce changement de mode dans les suites
pour orchestre : la 2e Bourrée de la 1e Suite bwv 1066 est en do mineur, alternativement avec la
1e Bourrée en do majeur. À l’inverse, les Suites pour le clavessin bwv 812-817 ne présentent pas de
changement de mode à la tonique, bien que les tonalités aient très bien pu le permettre, et que
l’on y trouve aussi des paires de danses légères jouées alternativement. Dans un autre cas, Bach
change également le mode de la tonique de façon plus locale : dans l’Ouverture de la Suite pour
orchestre bwv 1069 en ré majeur, on retrouve un procédé très similaire à celui que nous avons
observé dans la Logivière de Couperin : sur un point d’orgue, à la fin de la première et de la der-
nière partie, le mode de la dominante se trouve fugitivement changé, ce qui colore l’atmosphère
festive d’une teinte plus sombre. Aux mesures 19-21 on passe successivement de la majeur à la
mineur avant de retourner en majeur pour la cadence qui conclut la première partie. Lors de la
reprise transposée aux mesures 184-187, le changement de mode affecte la tonique, passant de ré
majeur à ré mineur (Exemple 5.12). Le mouvement introductif de la cantate bwv 110 Unser Mund
sei voll Lachens, une version retravaillée de cette ouverture, présente les mêmes caractéristiques.
Georg Friedrich Händel semble également avoir eu conscience de cette convention. Son
opéra Ariodante hwv 33 créé à Londres en 1735 est très intéressant de ce point de vue, puisqu’en
plus de l’opéra proprement dit, Händel composa aussi la musique pour les intermèdes chorégra-
phiés par la danseuse française Marie Sallé et sa troupe, qui avaient été engagés pour la saison
1735-1736 au théâtre de Covent Garden. Le compositeur se voyait donc obligé de combiner le
modèle traditionnel de l’opera seria en italien avec de la musique de danse française.110 Cet opéra,
qui se caractérise par une planification très minutieuse et réfléchie des tonalités, se distingue
également par le changement de mode à la tonique dans les divertissements.
Après l’ouverture à la française en sol mineur et une gavotte dans le même ton, le premier
acte commence avec l’air de Ginevra en sol majeur (« Vezzi, lusinghe ») et change donc d’entrée
de jeu le mode de la tonique. La deuxième partie de la gavotte se distingue d’ailleurs par l’emploi
du trio de vents à la française, deux hautbois et un basson (mesures 45-60). À la fin du premier
acte, le ballet pastoral (« Ballo di ninfe, pastore e pastorelli ») ne présente pas de changement de
mode sur la tonique, mais module au ton relatif : on passe de fa majeur (« Ballo ») à ré majeur
(Musette I et II), avant de revenir en ré mineur (« Allegro ») puis en fa majeur (« Coro e Soli A
tempo di Gavotta »). Après ce divertissement, le 2e acte commence en ré majeur. Le Ballet de la fin
de l’acte II ne module pas, puisque les deux numéros (une « Entrée de’Mori » et un « Rondeau »)

110 Sur le modèle français dans cette période pour Händel, cf. Herbert Schneider, « Affinitäten und Differenzen
zwischen Rameau und Händel in Opern der Jahre 1735–1737 », Händel Jahbuch, 50, 2004, p. 91-138 ; Monika
Woitas, « Getantze Träume. Händel, Marie Sallé und die Verzauberung der Oper », Göttinger Händel-Bei-
träge, 14, 2012, p. 95-103 ; Stefan Keym, « Herrschaftssymbolik, Gattungskontext und Personalstil : Zur fran-
zösischen Ouvertüre bei Lully und Händel », Händel Jahrbuch, 60, 2014, p. 317-334.

– 280 –
L'invention allemande du style français

Exemple 5.12. Johann Sebastian Bach, Ouverture bwv 1069, dernières mesures.

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restent dans la tonalité de l’air qui les précède, en mi mineur. L’acte III commence directement
en ré mineur, mais le divertissement qui le conclut oscille entre ré majeur (« Coro »), sol mineur
(« Gavotte ») et sol majeur (« Rondeau » et tous les mouvements suivants). Händel utilise donc
aparemment ici le changement de mode de manière tout à fait consciente.
Même ses brouillons laissent entrevoir un tel souci, puisque le travail sur le divertissement
de l’acte II produisit certaines chutes qui furent réutilisées la même année pour l’opéra Alcina
(Tableau 5.4). Alors que dans la version finale présentée le 8 janvier 1735, le divertissement de
la fin du deuxième acte commence dans la tonalité du dernier air de Ginevra (mi mineur) et ne
module plus jusqu’au début de l’acte III, Händel avait visiblement commencé par planifier un
complexe plus important de mouvements, qu’il a finalement laissés de côté : après avoir entamé,
dans la partition autographe, l’esquisse d’une Entrée des Songes agréables en sol majeur qu’il laissa
inachevée, il consigna dans un cahier séparé quatre entrées pour les rêves – une Entrée des Songes
agréables en mi majeur, une Entrée des songes funestes en la mineur, une Entrée des Songes agréables
effrayés en la majeur, puis Le combat des Songes funestes et agréables en la majeur. Händel se souvient
très probablement ici de l’exemple d’Atys, où la célébre « Entrée des Songes agréables » (lwv 53/58)
est suivie d’une « Entrée des Songes funestes » (lwv 53/60). On voit ici que le ton de la majeur n’est
pas seulement la synthèse entre mi majeur et la mineur, mais aussi le reliquat d’un changement de
mode à la française. Si ces esquisses préliminaires avaient été conservées pour Ariodante, on aurait
eu de plus un changement de mode entre l’air de Ginevra en mi mineur, la première entrée en mi
majeur, et le rondeau conclusif en mi mineur. Les brouillons nous révèlent enfin que des danses
avaient été prévues pour la fin du troisième acte, bien qu’elles ne furent jamais exécutées, avec une
alternance entre sol majeur et sol mineur (HHA II/32, éd. Donald Burrows).
L’exemple d’Ariodante est cependant fascinant pour une autre raison, puisque le changement
de mode est également employé par Händel au sein même de l’écriture vocale, un cas de figure
exceptionnel et à ma connaissance unique dans toute l’œuvre du compositeur. La deuxième partie
de l’air « Tu preparati a morire », chanté au point culminant du deuxième acte par Ariodante
qui vient d’être victime de la machination de Polinesso et se croit trompé par sa fiancée, passe en
effet de mi majeur à mi mineur dans la partie centrale – exception d’autant plus frappante que
tous les autres airs de l’opéra modulent, dans leur deuxième partie, au ton relatif, et juste avant
la reprise du da capo, cadencent à la dominante, au relatif, ou au contre-relatif. Ce parcours tonal
exceptionnel met au jour la singularité de cet air très particulier, qui contient la première annonce

– 281 –
Chapitre 5

Tableau 5.4. Georg Friedrich Händel, Ariodante hwv 33. Ton dans des divertissements dans les brouillons préparatoires.

Ouverture sol m
Gavotte sol m
1 Aria Ginevra I/1 Vezzi, lusinghe sol M

15 Ballo di ninfe, pastore e pastorelli – Ballo fa M


16 Musette I Lentement ré M
16a Air Lentement sol m
17 Musette II Andante ré M
18 Allegro ré m
19 Coro et Soli A Tempo di Gavotte fa M
20 Sinfonia II/1 ré M

31 Aria Genivra Larghetto II/10 Il mio crudel martoro mi m


31 Entrée des Songes agréables, Fragment sol M
31 Entrée de’Mori mi m
31a Entrée des Songes agréables Alcina Acte II/28 mi M
31b-c Entrée des Songes funestes Alcina Acte II/29 la m
31d Le combat des Songes funestes et agréables Alcina Acte II/30 la M
32 Rondeau mi m

45 Coro ré M
46 Gavotte sol m
46a Gavotte sol M
47 Rondeau sol M
47a Rondeau sol M
47 Gavotte, Fragment sol M
47 Bourrée sol m
48 Andante allegro sol M
49 Coro sol M

du suicide d’Ariodante et dévoile le paradoxe tragique où l’enferme son héroïsme moral, le refus
de porter la main sur son ami faisant de lui une figure christique qui préfère mourir plutôt que
de commettre l’injustice. Dans cet air, le changement de mode sur la tonique creuse donc le
contraste entre les deux parties du texte, et porte à incandescence la contradiction qu’ils renfer-
ment : dans la première partie, Ariodante menace de mort son rival, tandis qu’il affirme dans la
deuxième partie que si jamais il avait vraiment été trompé par Ginevra, il en mourrait. Mais il
est aussi possible de voir dans cette modulation au ton homonyme le reliquat d’une pratique que
Händel venait d’expérimenter dans le cadre des divertissements à la française composés pour le
même opéra.

La musique française comme objet de controverse


« De gustibus non est disputandum » – des goûts et des couleurs, on ne discute pas. Cette maxime
est invoquée par deux écrivains allemands pour montrer la stérilité des débats sur la supériorité
de la musique française ou italienne : Johann Mattheson et Johann Joseph Fux.111 Et pourtant,
les débats sur les mérites comparés de la musique française et italienne parcourent toute l’Europe

– 282 –
L'invention allemande du style français

dans les premières années du xviiie siècle et contribuent de façon décisive à la naissance de la
critique musicale.112 Dans l’espace germanique, la question du style français est traitée de façon
très ponctuelle et éclatée : il n’existe pas de traité sur le style français comme il y en a sur le contre-
point, la basse continue ou le chant. C’est toujours à propos d’un autre sujet, dans une note de
bas de page, en quelques phrases ou au détour d’un pamphlet que celle-ci se trouve mobilisée.
Les controverses sur la musique française permettent donc d’observer l’émergence d’un discours
théorique de langue allemande sur la musique française, mais aussi de faire apparaître les phé-
nomènes d’appropriation et d’identification par lesquels les différents acteurs prennent position
en fonction d’objectifs propres. Si les controverses se cristallisent autours d’idées, de positions, de
procédés argumentatifs et de citations d’autorités, elles possèdent aussi souvent une face cachée
et des enjeux implicites qui ne recouvrent pas forcément les termes exprimés dans le débat. Il faut
donc faire la part des choses : sans nier la portée spécifiquement esthétique des prises de position
sur la musique française qui rythment la vie musicale allemande entre 1710 et 1750, il convient
de les replacer dans une série de tensions institutionnelles, sociales et culturelles qui dépassent de
très loin la question du style français. Celui-ci apparaît comme le lieu de cristallisation d’enjeux
multiples au croisement de plusieurs champs de savoir et de pouvoir.113

Sous le signe de la modernité


Le débat allemand sur l’imitation des Français trouve son origine dans le cours donné à l’Univer-
sité de Leipzig en 1687 par Christian Thomasius.114 Depuis lors, il est traversé par deux questions
centrales : la galanterie et la modernité. Lorsque Johann Mattheson publie son premier livre en
1713, la notion de galanterie figure encore en bonne place dans le sous-titre programmatique que
le jeune homme place en exergue de son ouvrage : « explication universelle et approfondie sur la
manière dont un Galant Homme peut acquérir une idée complète de la grandeur et de la dignité
de la musique.115 » Voir dans ce geste une simple stratégie éditoriale ou une coquetterie d’auteur
serait une erreur. En effet, Mattheson fait de la galanterie non pas seulement une qualité indivi-
duelle partagée par les gens de qualité, mais bien l’une des trois composantes fondamentales de
la musique, avec la mélodie et l’harmonie :
Pour conclure ce chapitre, il faut encore noter que bien que l’on n’exige ordinairement que deux choses
dans une Composition achevée, c’est-à-dire la Melodiam et l’Harmoniam, on ferait bien mal, par les temps
qui courent, de ne pas y ajouter la troisième chose, c’est-à-dire la Galanterie, qui ne se laisse pourtant
en aucun cas apprendre ni expliquer par des règles, mais que l’on ne peut acquérir qu’à travers un bon
goût et un Judicium sain. Si l’on voulait faire une comparaison, au cas où notre lecteur ne serait pas
assez galant pour comprendre ce que signifie la Galanterie dans la musique, on pourrait se servir d’un
vêtement : le drap serait l’harmonie si nécessaire, la façon serait la mélodie que l’on doit apprivoiser, et la
Borderie ou Broderie représenterait alors la Galanterie.116

111 Mattheson, Das Neu-Eröffnete Orchestre, p. 231. Johann Joseph Fux, Gradus ad Parnassums oder Anführung zur
Regelmäßigen Musickalischen Composition, Leipzig 1742, p. 178.
112 Georgia Cowart, Controversies over French and Italian Music, 1600-1750. The Origins of Modern Musical Criticism,
PhD Dissertation, University of New Jersey, 1980.
113 Voir notamment Antoine Lilti, « Querelles et controverses. Les formes du désaccord à l’époque moderne », Mil
neuf cent. Revue d’ histoire intellectuelle, 25, 2007, p. 13-28.
114 Thomasius, « Diskurs von der Nachahmung der Franzosen ».
115 Johann Mattheson, Das Neu-Eröffnete Orchestre, oder Universelle und gründliche Anleitung, wie ein Galant
Homme einen vollkommen Begriff von der Hoheit und Würde der edlen Music erlangen, seinen Gout darnach for-
miren, die Terminos technicos verstehen und geschicklich von dieser vortrefflichen Wissenschaft raisonniren möge,
Hambourg 1713.
116 Mattheson, Das Neu-Eröffnete Orchestre, p. 137-138 : « Zum Beschluß dieses Capitels möchte noch überhaupt
angekmerckt werden, daß, da man sonst zu einer bereits verfertigten Composition nur die zwey Stücke, nemlich :
Melodiam & Harmoniam erfordert, man bey jetzigen Zeiten sehr schlecht bestehen würde, wofern man nicht das
dritte Stück, nemlich die Galanterie hinzu fügte, welche sich dennoch auf keine Weise erlernen noch in Reguln
verfassen läst, sondern bloß durch einen guten gout und gesundes Judicium acquiriret wird. Wolte man eine Com-
paraison haben, und wäre der Leser etwan nicht galant genug, zu begreiffen, was die Galanterie in der Music

– 283 –
Chapitre 5

Tout en parlant de musique, Mattheson se situe ici à la convergence de courants culturels et scien-
tifiques beaucoup plus larges. De son vivant, il se plaignait déjà qu’on le considère uniquement
comme un théoricien de la musique sans prendre en compte ses autres domaines d’activité.117
Les écrits musicaux de Mattheson doivent être rapprochés de ses autres productions dans des
domaines aussi variés que la diplomatie, la littérature ou la théologie, et se trouvent ainsi inscrits
dans un contexte intellectuel extrêmement riche. D’autre part, la mise en valeur de son inscrip-
tion au sein de réseaux savants, diplomatiques et musiciens transnationaux permet d’avoir une
idée plus juste de sa position, située au carrefour de milieux très différents.118

Une querelle des Anciens et des Modernes


L’ouvrage de Mattheson n’était pas seulement une profession de foi optimiste et moderne dans
la capacité de la musique à exprimer les valeurs fondamentales de la galanterie. Ouvert par un
diagnostic sans appel sur la « décadence » de la musique en Allemagne, ce livre était aussi une
déclaration de guerre aux musiciens de l’ancien monde, et appelait de ses vœux l’enterrement
définitif de la « vieille musique ».119 Tous les lecteurs n’accueillirent pas cette profession de foi
avec enthousiasme. Johann Heinrich Buttstett (1666-1727), organiste à Erfurt et ancien élève de
Pachelbel, publia vers 1716 un texte de près de 200 pages qui était à la fois une défense des « fon-
dements anciens, véritables, uniques et éternels de la musique » et une attaque en règle contre
le traité de Mattheson. Buttstett lui reprochait « d’attaquer trop brutalement l’Antiquité, qu’on
devrait pourtant vénérer », d’avoir « sans raison jeté aux orties » le système de solmisation de
Guido d’Arezzo très utile pour l’enseignement du contrepoint strict, de commettre « plusieurs
erreurs dans la description des tons ou des modes de la musique », et d’avoir « rendu les musiciens,
ses compagnons, coupables de la décadence de la musique.120 »
Il faut dire que Mattheson n’y allait pas de main morte : ciblant le corporatisme de la pro-
fession, il se moquait des « organistes » à tout propos et jouait les redresseurs de torts face à ses
collègues encroûtés dans leurs habitudes. Buttstett lui reprochait pour sa part sa sophistication
et son obscurité et le qualifiait de « galant homme » en mauvaise part.121 Dès le début de son
traité, l’organiste affirmait que les « musiciens ont mis sous le tapis le style d’église, les motets et
le contrepoint double, s’aidant au contraire de galanteries, de marches, de ballets, de menuets etc.
dont ils font tout un foin, alors que ces choses ne représentent que les scories de la musique ».122
Dans sa réponse publiée quelques mois plus tard, Mattheson rejettait cet emploi du mot galant en
notant non sans ironie que « la Galanterie est un mot bien difficile pour certains organistes.123 »
Dès 1713, il avait relevé les difficultés éprouvées par certains organistes à composer une bonne
ouverture à la française, un genre qui devenait sous leur plume trop long et trop ennuyeux.124

bedeute, so könte ein Kleid dazu nicht undienlich seyn, als an welchem das Tuch die so nöhtige Harmonie, die
Façon die geziemende Melodie, und denn etwann die Borderie oder Broderie die Galanterie vorstellen möchte. »
117 Wolfgang Hirschmann et Bernard Jahn, « Einleitung », in : Johann Mattheson als Vermittler und Initiator.
Wissenstransfer und die Etablierung neuer Diskurse in der ersten Hälfte des 18. Jahrhunderts, dir. Wolfgang Hir-
schmann et Bernhard Jahn, Hildesheim 2010, p. 9-10.
118 Johann Mattheson, Texte aus dem Nachlass, éd. Wolfgang Hirschmann et Bernhard Jahn, Hildesheim 2014.
119 Mattheson, Das Neu-Eröffnete Orchestre, p. 245.
120 Johann Heinrich Buttstett, Ut, Mi, Sol, Re, Fa, La. Tota Musica et Harmonia Æterna, Leipzig [c.1716], préface
non paginée.
121 Voir par exemple p. 55-56.
122 Buttstett, Ut, Mi, Sol, Re, Fa, La, p. 10 : « Auf die Music zu appliciren möchte man wohl sagen, daß die Musici
den Stylum Ecclesiasticum, Motecticum, den Contrapunctum duplicem so gar unter die Banck getreten haben,
sich hingegen behelffende mit Galanterien, Marchen, Balletten, Menueten &c. welche ob gleich grosses Wesen
daraus gemacht wird, nur die Schlacken von der Music sind. »
123 Mattheson, Das Beschützte Orchestre, p. 135.
124 Voir par exemple la remarque sur les ouvertures, qui doivent être brèves et ne pas ressembler à celle des orga-
nistes qui les étirent sur trente-deux mesures. Mattheson, Das Neu-Eröffnete Orchestre, p. 171.

– 284 –
L'invention allemande du style français

Buttstett s’agaçait aussi de l’accumulation de nombreux termes étrangers, et en particulier


français, sous la plume du jeune auteur hambourgeois. Lui déplaisaient en particulier les termes
« Caprice » et « Boutade » que Mattheson avait empruntés aux dernières parutions françaises
dans le domaine de la musique de chambre et du répertoire de viole de gambe.125 Une différence
notable entre les deux textes réside en effet dans l’usage des langues étrangères et des citations :
alors que Buttstett cite fréquemment de longs passages en latin et se réfère souvent à des autorités
juridiques ou ecclésiastiques comme les Pères de l’Église, Martin Luther ou l’évêque de Hanovre
Agostino Steffani, Mattheson parsème plus volontiers son texte de mots en français et ne cite
jamais de longs passages, encore moins en latin. Cette différence montre bien le fossé intellectuel
qui séparait les deux hommes.
Buttstett contestait enfin fermement le privilège accordé par Mattheson à l’ouverture parmi
les genres instrumentaux :
Les ouvertures n’occupent justement pas le premier rang parmi toutes les pièces exécutées sur les instru-
ments. D’autant qu’il ne se trouve presqu’aucun compositeur qui sache vraiment parvenir à la manière
lulliste : le Capellmeister du prince de Schwarzburg [Philipp Heinrich] Erlebach, qui pouvait y approcher
d’assez près, est désormais mort. Au contraire, il faut bien plus d’art pour parvenir à écrire des concer-
tos à la manière des virtuoses italiens, comme Albinoni, Corelli et autres, ou bien à mon défunt maître
Pachelbel pour ses sonates à deux chœurs, en particulier sa sérénade, ou encore à Johann Michel Bach
pour sa Revanche et autres choses semblables.126

Cette citation est très intéressante, car elle montre que l’opposition fondamentale entre les deux
auteurs au sujet de la modernité musicale recoupe leurs goûts en matière de musique instrumen-
tale : Mattheson le Moderne privilégie l’ouverture à la française. Au contraire, Buttstett l’Ancien
estime qu’il faut bien plus de science pour écrire des concertos et des motets à double chœur et
appuie ses arguments sur des exemples de la génération précédente. Il est très clair que le style
français se trouve alors du côté de la modernité.
Mais plus fondamentalement, Buttstett contestait le projet même de distinguer et d’expli-
quer les styles nationaux en musique : si tout le monde n’est pas capable d’entendre la différence,
mais que seule une élite de connaisseurs est en mesure de les distinguer, sur quoi peut bien reposer
une telle distinction ? Du point de vue de Buttstett, Mattheson est inconséquent car il ne peut
choisir son camp entre les deux styles qu’il décrit, et qu’il promeut un type de jugement esthétique
fondé sur l’ouïe et le bon goût, et non sur la raison, seule source légitime d’un jugement fondé.127
Il est clair que pour Buttstett, la musique est une et indivisible, qu’elle doit être jugée d’après les
règles immuables de l’art, et qu’elle ne saurait être soumise à des critères d’appréciation différents
en fonction de son origine. Le conflit qui opposait les deux musiciens était donc bien plus qu’une
querelle sur la valeur de la musique française : en fait, c’était un conflit de génération confrontant
un jeune homme privilégié et cosmopolite vivant dans l’une des plus grandes métropoles euro-

125 Buttstett, Ut, Mi, Sol, Re, Fa, La, p. 88 : « Was der Herr Author durch Boutaden und Ricercate verstehet, ob er
vielleicht muthmassentlich die alten Paduane meinet, indem er spricht, daß es eine alte Facon sey solcher Sachen,
die etwa für ein Instrument alleine gesetzt sind und sich nach nichts als nach der Fantasie richteten : daß auch
Fantasia, Toccaten eben diese Bedeutung haben, und alleine vors Clavier gehörten, kan ich nicht errathen. Vers-
tehet er die Ricercaren, so hat er greulich geirret, dann diese sind da künstlichste Wesen auf dem Clavier, und
sind weder Capriscio noch Fantasien zu nennen. » Sur l’usage de ces termes dans le discours théorique de langue
allemande, voir Louis Delpech, « “Nach seinem eigenen plesier und gefallen”. Die Caprice im deutsch-franzö-
sischen Tanz- und Musikdiskurs um 1700 », Musiktheorie. Zeitschrift für Musikwissenschaft, 34/2, 2019, p. 140-162.
126 Buttstett, Ut, Mi, Sol, Re, Fa, La, p. 87-88 : « Die Ouverturen haben eben nicht unter allen Piecen, die Instru-
mentaliter executiret werden, das Prae ; Zumahlen da fast kein Componiste sich findet, so die rechte Lullische
Art zu treffen weiß : Der Fürstl. Schwartzburgische Capellmeister Erlebach, welcher ziemlich nahe kommen,
ist nun todt : sondern zu denen Concerten deren Italiänischen Virtuosen, als Albinoni, Corelli, &c. wie auch
zu meines seel. Lehrmeisters Herr Pachelbels, 2. Chörichten Sonaten, in specie dessen Serenate, Johann Michel
Bachs Revange und dergleichen, wird vielmehr Kunst erfordert. »
127 Buttstett, Ut, Mi, Sol, Re, Fa, La, p. 89-91.

– 285 –
Chapitre 5

péennes avec un organiste déjà âgé, qui vivait de sa pratique de la musique d’église dans une petite
ville de Thuringe et défendait le style savant et le contrepoint. On note d’ailleurs que Mattheson
le traite un peu cavalièrement de « paysan de Thuringe » dans sa réponse publiée l’année sui-
vante.128 Mais il est frappant de voir que la question des styles nationaux se trouve enrôlée dans
cette querelle, qui est autant une dispute intellectuelle qu’un affrontement social, suivant une
ligne de partage très claire : la musique française est du côté des galants et des Modernes, la
musique italienne du côté des érudits et des Anciens.

« Grand Partisan de la Musique Françoise »


Mattheson ne fut pas long à répondre à l’organiste d’Erfurt : en 1717, il publia un second volume
de défense, intitulé Das Beschützte Orchestre, qu’il eut la bonne idée de dédier à des personnes bien
en vue dans le monde musical, mettant ainsi de son côté des alliés potentiels. Parmi les dédica-
taires se trouvait Georg Philipp Telemann, qui écrivit à Mattheson une lettre de remerciement
en français, dans laquelle il louait son entreprise de « decouvrir le faux brillant des Anciens, & de
chatier le caprice de ceux, qui les idolatrent & meprisent le siecle d’aujourdhui. » Le compositeur
se rangeait donc lui aussi résolument du côté des Modernes. Mais il sous-entendait également que
Mattheson n’avait pas montré assez de considération pour la musique française, qu’il n’avait pas
défendue avec assez de clarté quatre ans auparavant dans Das Neu-Eröffnete Orchestre. Dans un
post-scriptum ajouté à la fin de la lettre, Telemann le remerciait donc d’avoir désormais clarifié
sa position dans le deuxième volume de son entreprise :
P.S. Je vous remercie en particulier, Monsieur, pour avoir rasseuré le monde, que Messieurs les François
ne vous sont pas si indifferens, comme un certain endroit dans le premier Tome l’avoit fait soupçonner.
Je suis grand Partisan de la Musique Françoise, je l’avoue.129

Mattheson avait en effet inséré, dans Das Beschützte Orchestre, une petite note où il clarifiait sa
position, probablement sur la demande de Telemann : un « certain grand compositeur » lui ayant
fait le reproche d’avoir un peu trop maltraité les Français, Mattheson répond que les deux styles
français et italien ont leurs mérites propres, et que les Français conservent l’avantage dans la mu-
sique instrumentale.130 Dans sa réponse à Telemann, également rédigée en français, Mattheson
loue la galanterie de son expression (« Vous louez d’un tour si galant, & par des expressions si
obligeantes, qu’il est difficile de n’y pas donner les mains »).131 Mais en fait, les deux hommes
n’étaient pas tout à fait sur la même ligne : Mattheson défendait une vision complémentaire
des deux principaux styles, chacun ayant ses mérites. Les Italiens avaient la suprématie dans
la musique vocale, les Français dans la musique instrumentale. Entre août et décembre 1722,
Mattheson publia d’ailleurs dans son périodique Critica Musica une traduction commentée de la
querelle entre Raguenet et Le Cerf de la Viéville, le texte français figurant en regard de sa tra-
duction allemande.132 Son attitude très neutre se reflétait dans sa préface, où il se gardait bien de
prendre parti, proposant à la place une réflexion sur la musique de langue allemande.

128 Mattheson, Das Beschütze Orchestre, p. 38.


129 Lettre de Georg Philipp Telemann à Johann Mattheson, Francfort, 18 nov. 1717. Telemann, Briefwechsel, p. 252.
Le passage incriminé pouvait être celui où Mattheson reconnaissait que le goût général penchait en faveur
de l’Italie. Mattheson, Das Neu-Eröffnete Orchestre, p. 207 : « Man streitet hierbey nicht, das nicht so wol die
Frantzösische Composition als Execution, in ihrer Art, ihr eigenes Lob verdiene, und vielleicht der Italiänischen
nicht viel nachgiebet ; allein weil ein grosses Theil in solchen Sachen von dem Gout dependiret, und aber die
Frantzosen noch keine solche generale Approbation ihrer Music, als wol ihrer Sprache, in der Welt erhalten ha-
ben, so wird sich vermuhtlich das davon etwa zu machende Elogium hauptsächlich intra, und nicht gar weit extra
fines Galliae erstrecken können. »
130 Mattheson, Das Beschützte Orchestre, p. 237.
131 Lettre de Johann Mattheson à Georg Philipp Telemann, Hambourg, 15 déc. 1717. Telemann, Briefwechsel, p. 254.
132 Johann Mattheson, « Die Parallele, Eine Vergleichung zwischen den Italiänern und Franzosen, betreffend die
Music und Opern », Critica Musica, 2/4-8, 1722, p. 91-232.

– 286 –
L'invention allemande du style français

Au contraire, Telemann se disait « grand partisan de la musique françoise » et sa galanterie


pouvait difficilement passer inaperçue. L’autobiographie qu’il envoya à Mattheson en 1718 était
racontée sur un ton cultivé, spirituel et enjoué, et parsemée de vers dans toutes les langues, parfois
inventés par Telemann lui-même, parfois cités. Elle adoptait donc littéralement les codes de la
« lettre galante », genre épistolaire dont la principale caractéristique était de mêler de la prose
avec des bouts rimés.133 Dans cette autobiographie de 1718, Telemann réaffirmait à nouveau son
admiration pour la musique française : le séjour à Hanovre était présenté comme le moment où
il avait découvert la « science française », avant que ne commence à Sorau une phrase de travail
intensif sur le genre de l’ouverture. Mais si l’on compare le texte de 1718 avec les passages corres-
pondants de la seconde autobiographie rédigée en 1740, on constate quelques différences frap-
pantes. Telemann s’y montre bien moins éloquent sur son amour du style français, et commence
par évoquer ses modèles italiens ou italianisants, ce dont il se justifie même dans une note de bas
de page.134 Son séjour à Hanovre est désormais présenté « avant tout » comme le moment de sa
découverte de la musique italienne :
Les deux orchestres voisins de Hanovre et Braunschweig, que j’allais entendre lors de certaines fêtes,
à toutes les foires et encore en d’autres occasions, m’offrirent l’opportunité de découvrir d’assez près le
style d’écriture français ici, le style de théâtre là – mais avant tout, aux deux endroits, le style italien – et
de savoir les différencier.135

C’est donc à présent la composition à l’italienne (« italiänische Schreibart ») qui passe au premier
plan, tandis que la manière française (« frantzösische Schreibart ») est opposée sans autre forme
de procès au style « théâtral ». On remarque aussi que dans la deuxième version, ce n’est plus la
cour de Wolfenbüttel mais l’opéra de Braunschweig qui sert de pendant à l’orchestre de Hanovre :
Telemann crée donc ici une dichotomie implicite entre la cour et la ville, entre la vie musicale
aristocratique placée sous le signe de la musique française et la vie musicale publique placée sous
le signe de l’opéra, sous-entendant qu’il appartenait aux deux univers – une opposition qui était
complètement absente de sa première autobiographie. Ces reformulations subtiles entre les deux
autobiographies de Telemann sont donc loin d’être fortuites, mais révèlent le profond change-
ment de statut de la musique française entre 1718 et 1740 : un quart de siècle après la première
lettre à Mattheson, le style français et la galanterie naguère tellement en vogue semblaient avoir
perdu leurs lettres de noblesse, et avoir cédé de leur actualité et de leur pertinence sociale au profit
d’un nouveau style italien.

Bach contre Marchand : un duel symbolique


Un tour d’horizon des discours sur la musique française dans les années 1710 ne serait pas complet
sans ménager une petite place à un épisode devenu au xixe siècle l’un des plus fameux de l’histoire
de la musique occidentale : le duel musical entre Bach et Louis Marchand. Beaucoup de zones
d’ombre demeurent sur l’arrivée de Marchand à Dresde, la durée de son séjour et les raisons qui
l’ont conduit à séjourner dans la résidence du prince électeur de Saxe. La seule trace tangible de
son passage à Dresde est un extrait de comptabilité qui documente l’attribution au musicien de
deux médailles d’or, que l’on retrouve dans son inventaire après décès.136 Nos recherches dans les

133 Viala, La France Galante, p. 50.


134 Mattheson, Grundlage einer Ehren-Pforte, p. 357 : « Die Sätze von Steffani und Rosenmüller, von Corelli und
Caldara erwählte ich mir hier zu Mustern [en note : Da kommen die Italiäner schon in Betracht : die Frantzo-
sen hernach.] »
135 Mattheson, Grundlage einer Ehren-Pforte, p. 357 : « Die zwo benachbarten Capellen, zu Hanover und Braun-
schweig, die ich bey besondern Festen, bey allen Messen, und sonst mehrmahls besuchte, gaben mir Gelegen-
heit, dort die frantzösische Schreibart, und hier die theatralische ; bey beiden aber überhaupt die italiänische
näher kennen, und unterscheiden zu lernen. »
136 HStA Dresden, 10026 Geheimes Kabinett, Loc. 898/16, fol. 32 : « 528 Gulden 7 1/2 Reichstaler oder 130
Ducaten zu 2 Reichstaler 17 Groschen, bestehend in 3 Medaillen ; davon eine à 30 Ducaten, der Violonist

– 287 –
Chapitre 5

archives de Dresde pour l’année 1717 n’ont apporté aucune information supplémentaire à ce qui
était déjà connu.137 Louis Marchand aurait quitté provisoirement le service du roi à la suite de pro-
blèmes conjugaux : d’après Marpurg, le roi avait décidé de verser la moitié du salaire de Marchand
à la femme de celui-ci, le couple vivant séparé, et Marchand ne voulant plus assurer que la moitié
de son service (celle pour laquelle il touchait effectivement son salaire) aurait été provisoirement
congédié.138 D’après la nécrologie de Bach, c’est Volumier qui aurait fait appel aux services de ce
dernier pour affronter Marchand en duel.139 Jusqu’à présent, on ne savait pas comment les deux
hommes s’étaient connus. Nous avons vu qu’un inventaire d’instruments non daté de la cour de
Weimar faisait mention d’un grand violon de Crémone fourni par Volumier (« Volumine aus dres-
den »).140 Comme Volumier entreprit un voyage à Crémone en juin 1715 pour y acheter des violons
pour le compte de la cour de Dresde, c’est probablement au retour de ce voyage qu’il fournit cet
instrument à la cour de Weimar et qu’il prit contact avec Bach, qui y était alors Konzertmeister. Ce
document permet donc de supposer une première rencontre entre Bach et Volumier à Weimar.
L’anecdote de la rencontre manquée entre Bach et Marchand a été rapportée par de mul-
tiples sources, et Marpurg observe qu’on « la raconte de différentes manières ».141 Mais comme
on sait, toutes les versions rapportent que Marchand prit secrètement la fuite la veille du concours
pour éviter une humiliation publique. Philipp Spitta mentionne curieusement qu’un débat sur
les mérites comparés de la musique française et de la musique allemande aurait été initié par la
présence de Marchand à la cour :
Il se produisit alors une vive controverse pour savoir lequel des deux [Bach ou Marchand] était le plus
grand. Un important parti issu des cercles de la cour se rangeait, comme le roi aimait beaucoup l’art
français, du côté de Marchand, et en faveur de Bach s’engageaient avantageusement les artistes alle-
mands de la chapelle. L’affaire se développa finalement en un débat d’idées général sur la plus grande
ou la plus petite valeur de la musique allemande ou française, et Bach fut poussé par ses amis à inviter
Marchand à une joute.142

Même si cette affirmation est à prendre avec précaution, puisque rien à notre connaissance ne
permet de la vérifier, il est certain que l’anecdote du duel entre Bach et Marchand rencontra des

Frühwirth, der sich in Karlsbald, und die anderen beide zusammen à 100 Ducaten der Organist Marchand,
der sich in der Kapelle hören lassen, zu einem Gnadengeschenk erhalten. » L’inventaire après décès de Louis
Marchand comprend « une médaille d’or representant le roi de Pologne » et une « timballe d’Allemagne dorée
pesant cinq onces quatre gros » : Norbert Dufourcq, « Pour une approche biographique de Louis Marchand
(1669-1732) », Recherches sur la musique française classique, 17, 1977, p. 109-117.
137 On relève seulement la présence, parmi le personnel qui accompagne Auguste le Fort dans ses divers déplace-
ments en Saxe pour l’année 1717, d’un cuisinier (« Mundkoch ») appelé Marquand, dont la relation avec l’orga-
niste reste inconnue : HStA Dresden, 10006 OHMA, I Nr. 25, fol. 27 (voyage à Leipzig vers mars), fol. 114
(voyage à Karlsbad), fol. 237 (voyage à Dörlitz), puis pour le voyage à la Michaelismesse de Leipzig.
138 Friedrich Wilhelm Marpurg, Legende einiger Musikheiligen, Cologne 1786, p. 289-291.
139 BD III, Dok. 666, p. 83 : « Der damahlige Concertmeister in Dreßden, Volumier, schrieb an Bachen, dessen Ver-
dienste ihm nicht unbekannt waren, nach Weymar, und lud ihn ein, ohne Verzug nach Dreßden zu kommen,
um mit dem hochmüthigen Marchand einen musikalischen Wettstreit, um den Vorzug, zu wagen. Bach nahm
diese Einladung willig an, und reisete nach Dreßden. Volumier empfing ihn mit Freuden, und verschaffete ihm
Gelegenheit seinen Gegner erst verborgen zu hören. Bach lud hierauf den Marchand durch ein höfliches Hand-
schreiben, in welchem er sich erbot, alles was ihm Marchand musikalisches aufgeben würde, aus dem Stegreife
auszuführen, und sich von ihm wieder gleiche Bereitwilligkeit versprach, zum Wettstreite ein. »
140 HStA Weimar, Hof- und Haushaltwesen, A 9274, fol. 1 : « 5. Ein Cremoneser von Volumine aus dresden Leib
Violino. »
141 BD III, Dok. 914, p. 425 : « diese Anekdote, die man verschiedentlich erzählt ». Voir Werner Breig, « Bach und
Marchand in Dresden : eine überlieferungskritische Studie », Bach Jahrbuch, 84, 1998, p. 7-18.
142 Spitta, Johann Sebastian Bach, vol. 1, p. 575 : « Nun entspann sich ein lebhafter Streit, welcher von beiden der
größere sei. Eine starke Partei aus den Hofkreisen stand, da der König französische Kunst sehr liebte, auf Mar-
chands Seite, für Bach werden vorzugsweise die deutschen Künstler der Capelle eingetreten sein. Die Sache
gestaltete sich endlich zu einem Meinungskampf über den größeren und geringeren Werth deutscher oder
französischer Musik im Allgemeinen und Bach wurde durch seine Freunde angegangen, Marchand zu einem
Wettstreite herauszufordern. »

– 288 –
L'invention allemande du style français

résonances nationalistes jusque dans le xixe siècle, juste après les guerres napoléoniennes. Dans
une lettre à son ami Goethe, Carl Friedrich Zelter, un excellent connaisseur de l’histoire de la
musique qui était aussi directeur de la Sing-Akademie à Berlin, écrivait :
Le vieux Bach est, malgré toute son originalité, un fils de son pays et de son temps, et il n’a pas pu échap-
per à l’influence des Français, notamment de Couperin. On veut se montrer courtois, et ainsi a lieu ce
qui ne devrait pas avoir lieu. Mais on peut épousseter cet élément étranger comme une écume légère, et
juste en-dessous gît sa silhouette lumineuse.143

La réponse de Goethe est très éclairante : il affirme avoir « toujours trouvé très étrange » que Bach
ait pu être l’objet d’une influence étrangère, lui qui était le comble de l’originalité – mais rappelle
en même temps à son ami que, dans le « grand mouvement » qui s’emparait alors des sciences et des
arts, « quelque chose de gallican soufflait sur tout le reste ».144 Ces réflexions tardives n’illustrent
pas seulement le désastre qu’ont représenté les guerre napoléoniennes pour les relations cultu-
relles franco-allemandes : bien avant le xixe siècle, dès les années 1730, la musique française allait
connaître une mise en crise profonde dans l’espace germanique, sous le double coup du déclin de
l’idéal de la galanterie et de l’ascendant connu par les premières manifestations de l’Aufklärung,
les Lumières allemandes.

Critique de la galanterie et crise de l’opéra français


Lorsque Telemann prit la direction de l’opéra de Hambourg en 1722, un an après avoir été nom-
mé Director Musices dans la ville hanséatique, il devint chargé de la « supervision de la musique
et de la composition de nouvelles pièces, contre un salaire de 300 Thaler par an.145 » L’institution
dont il était désormais responsable avait déjà produit des œuvres lyriques françaises trente ans
auparavant, dans les années 1690. Mais l’arrivée de Telemann comme nouveau directeur coïn-
cida avec la production d’une seconde triade d’œuvres françaises, fait peu étonnant au regard de
l’admiration qu’il professait pour la musique française. En février 1724, la pièce Der Beschluß des
Carnevals reprend le troisième acte de l’Europe Galante ; en février 1725, la Critique des hambur-
gischen Schau-Platzes est constituée d’extraits musicaux composés par Kunzen, Campra et Lully ;
en avril 1725, la tragédie en musique Vénus et Adonis de Henry Desmarets est donnée intégrale-
ment en version originale.

La tragédie en musique : un modèle à bout de souffle


L’arrivée de Telemann au Gänsemarkt-Oper coïncidait avec un renouvellement du directoire de
l’institution à la suite de difficultés financières.146 Mais ce renouvellement ne suffit pas à régler
tous les problèmes, puisque le recrutement de Johann Paul Kunzen l’année suivante déclencha un
conflit entre les nouveaux directeurs de l’opéra de Hambourg. Il semble que Kunzen, protégé par le

143 Lettre de Carl Friedrich Zelter à Johann Wolfgang von Goethe, Berlin, 5-14 avr. 1827. Briefwechsel, p. 992 :
« Der alte Bach ist mit aller Originalität ein Sohn seines Landes und seiner Zeit und hat dem Einflusse der
Franzosen, namentlich des Couperin nicht entgehn können. Man will sich auch wohl gefällig erweisen, und so
entsteht – was nicht besteht. Dies Fremde kann man ihm aber abnehmen wie einen dünnen Schaum und der
lichte Gehalt liegt unmittelbar darunter. »
144 Lettre de Johann Wolfgang Goethe à Carl Friedrich Zelter, Weimar, 21-22 avr. 1827. Briefwechsel, p. 995 : « Dein
gewichtiges Wort : daß der grundoriginale Bach doch auch einen fremden Einfluß auf sich wirken lassen, war
mir höchst merkwürdig : ich suchte gleich Franz Couperin in dem biographischen Lexikon auf, und begreife
wie, bei damaliger großer Bewegung in Künsten und Wissenschaften, etwas Gallikanisches herüberwehen
konnte. »
145 Mattheson, Grundlage einer Ehren-Pforte, p. 366 : « Ohngefehr ein Jahr hernach [1722] wurden die in Ab-
nehmen gerathene Opern, durch einige Ministers und hochadeliche Personen, in einen verbesserten und
prächtigen Stand gesetzet, und mir dabey die Aussicht über die Musik, nebst der Verfassung neuer Schau-
spiele, gegen 300. Rthlr. jährlichen Einkommens, aufgetragen. »
146 Johann Mattheson, Der Musicalische Patriot, Hamburg 1728, p. 190-191.

– 289 –
Chapitre 5

comte de Callenberg, ait été imposé de force par son patron aux autres directeurs qui n’en voulaient
pas. Telemann se fait l’écho de cette situation dans une lettre d’octore 1724 à Uffenbach : il décrit le
« schisme » survenu à l’opéra après l’arrivée du nouveau venu. Telemann affirme que Kunzen avait
été « recommandé » et « introduit dans l’orchestre en grande pompe pour devenir son monarque »
en dépit de ses faibles talents musicaux, et regrette amèrement qu’un tel « potentat » soit porté aux
nues par ses partisans.147 Le vocabulaire employé par Telemann est très frappant car il souligne
implicitement les origines curiales de Kunzen : il s’agit d’un petit intriguant qui ne provoque que
guerre et catastrophes en essayant d’imposer son pouvoir absolu. Avant son arrivée à Hambourg,
Kunzen avait été « Musicus » à la Hofkapelle de Dresde, où il était resté entre 1719 et 1723.148 Il
avait certainement eu l’occasion de collaborer avec les nombreux musiciens français de la cour et
de développer des réseaux personnels dans ce milieu, puisque Mattheson affirme qu’il avait formé
une amitié avec le maître des concerts Jean-Baptiste Volumier.149
Cette dispute trouva un écho dans la presse contemporaine, puisqu’une satire féroce des
misères de l’opéra parut le 21 septembre 1724 dans le Patriot : un certain Hexameter, membre
de la troupe fictive des « Comédiens de Württemberg », publiait un poème qui prenait explicite-
ment pour modèle l’Art du Lutrin de Boileau et décrivait les troubles qui secouaient l’opéra de la
ville.150 Ce personnage fictif, membre d’une troupe de comédiens au service d’une cour ducale,
composait donc un poème prosaïque d’après un modèle de la galanterie littéraire française de
la fin du xviie siècle. L’allusion au personnel traditionnel des cours allemandes était donc assez
transparente. On peut même se demander si ce n’est pas au passage d’une véritable troupe de
comédiens français à Hambourg qu’il était fait allusion. Dans le Beschluß des Carnevals donné le 21
février 1724, le premier acte reprenait l’entrée turque de L’Europe galante de Campra en modifiant
sa fin, le sultan donnant l’ordre de faire venir « une troupe de François » pour donner un « tres
Comique Opéra ».151 Celui-ci n’était autre que le deuxième acte, la comédie La fille Capitaine
d’Antoine Jacob de Montfleury, suivie au troisième acte de l’intermède Il Capitano composé par
Telemann lui-même.
De fait, la présence d’artistes français parmi le personnel de l’opéra, déjà constatée dans
les années 1690, connaît un nouveau pic entre 1724 et 1725. Une Mademoiselle Dimanche avait
chanté en mai 1725 le role de Clénate dans l’Amphytrion de Gasparini : c’est aussi elle qui chanta
quelques semaines plus tard – du moins d’après le Relations-Courier du 23 mars 1725 – le rôle de
Vénus dans l’opéra de Desmarest.152 Il s’agit vraisemblablement de Louise Dimanche, qui s’était
produite comme chanteuse à Bruxelles, Lille et La Haye avant de gagner Hambourg, et qui fut
ensuite Kammersängerin à la cour de Dresde (probablement par l’intermédiaire de Kunzen)
entre 1725 et 1732.153 Les sœurs Monjou – qui apparaissent dans les livrets de Hambourg comme
« Christel Monjo » et « Melle Monjo die jüngere » – sont les filles du huguenot Jean-François

147 Lettre de Georg Philipp Telemann à Johann Friedrich Armand von Uffenbach, Hambourg, 4 oct. 1724.
Telemann, Briefwechsel, p. 216-217. Sur l’usage de modèles français à Hambourg par Telemann, voir Louis
Delpech, « Zwischen Galanterie und Frühaufklärung. Telemann und die Rezeption französischer Opern in
Hamburg um 1725 », in : Telemann und die urbanen Milieus der Aufklärung, dir. Louis Delpech et Inga Mai
Groote, Munich 2017, p. 53-74.
148 Arndt Schnoor, « Kunzen, Johann Paul », in : MGG online.
149 Mattheson, Grundlage einer Ehren-Pforte, p. 161 : « Seine Vorzüge machten ihm auch hier bald Freunde : wie er
denn mit den nunmehro sel. Schmid und Heinichen, welche Capellmeister daselbst waren ; vor allen aber mit
dem Concertmeister, Woulmyer, sehr vertraulich umgegangen ist. »
150 Der Patriot, 24 août [21 sept.] 1724, p. 359-370.
151 Georg Philipp Telemann, Der Beschluß des Carnevals, non paginé : « Zuliman. Dans ce jour où l’allegresse |
Doit regner de tous côtés | On prepare à ma Princesse | Des plaisirs qu’elle n’a jamais encore goûtés ; | C’est
une piece enjouée, | Dont une troupe de François | Ici par mon ordre arrivée | Pour la divertir a fait choix ;
| Et dont (pour rendre plus riante | Une Journée aussi brillante) | La Clôture se fera | par une trés comique
Opera. »
152 Marx und Schröder, Die Hamburger Gänsemarkt-Oper, p. 444.
153 Jean-Philippe van Aelbrouck, Dictionnaire des danseurs à Bruxelles de 1600 à 1830, Liège 1994, p. 110.

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L'invention allemande du style français

Monjou, musicien et maître des pages à la cour de Köthen à partir de 1719 : d’après Mattheson,
les deux femmes avaient travaillé sous la direction de Kunzen à Wittenberg, avant de rejoindre
elles aussi la Hofkapelle de Köthen où elles avaient chanté sous la direction de Bach entre 1720 et
1721.154 À partir de 1722, elles se trouvent à Hambourg, où elles se produisent dans des œuvres de
Mattheson, Kunzen, Keiser, Telemann, mais aussi Händel. Une Mademoiselle Pichon, qui chante
dans L’Amour saltimbanque en 1725 et apparaît dans la troisième partie de la Critique des hambur-
gischen Schau-Platzes, était chanteuse et danseuse à la cour de Wolfenbüttel : elle apparaît dans
le livre d’adresse de 1721.155 Elle est sûrement la femme du machiniste qui apparaît dans le pro-
logue de Desmarest. Enfin, Mademoiselle Sellin et une certaine Dubissons (peut-être Dubuisson)
apparaissent aussi dans la Critique. Aux côtés de ces chanteurs français se produisent aussi natu-
rellement des chanteurs allemands, entre autres les deux Riemschneider ou bien Westenholtz.
Le nombre de danseurs et de maîtres de ballets français est aussi remarquablement élevé
autour de 1725 à Hambourg. Un Monsieur Descamp (sans doute Deschamps) apparaît dans plu-
sieurs œuvres entre 1722 et 1725, notamment dans deux œuvres de Telemann : une ode dynas-
tique, Das frohlockende Groß=Britannien, et dans son opéra Omphale. Mademoiselle Des Forges
apparaît en 1722 dans Ariadne, en 1724 dans le Beschluß der Carnevals. Monsieur Morelle est égale-
ment actif à Hambourg entre 1722 et 1725, notamment dans Ariadne, Omphale et dans la Critique
des Hamburgischen Schau=Platzes. Un Baptiste (aussi appelée Battiste le Jeune) sert comme maître
des ballets dans plusieurs productions entre 1722 et 1726, entre autres en 1725 dans la Hamburger
Schlacht-Zeit et dans Giulio Caesare in Egitto de Händel. Il s’agit peut-être du même Baptiste que
celui qui avait été Kapellmeister de la cour de Schwerin entre 1709 et 1710. On retrouve éga-
lement Catherine Dudard, la femme Louis Deseschaliers qui l’avait accompagné dans la mise
sur pied de plusieurs opéras à Paris, Lille, Dresde, Varsovie et La Haye : une Mademoiselle ou
Madame Deschalieres apparaît en 1724 et 1725 comme danseuse ou maîtresse des ballets dans de
nombreuses productions (notamment le Carneval von Venedig, le Beschluß des Carnevals et dans la
Critique des Hamburgischen Schau=Platzes).
On a donc ici la confirmation que la production de la tragédie en musique de Desmarest en
1725 fut mise sur pied par des artistes français très proches des milieux de cour, dont beaucoup
avaient des relations personnelles avec Johann Paul Kunzen. Dans l’avant-propos du livret à la
tragédie en musique de Desmarets, les producteurs faisaient d’ailleurs allusion à sa nouveauté sur
la scène et justifiaient leur choix auprès du public hambourgeois en faisant appel à la nécessité de
cultiver des genres variés :
L’insatiable penchant des hommes pour les satisfactions sensuelles est aussi la cause que même les plus
agréables provoquent un dégoût insensible lorsqu’elles ne sont pas accompagnées d’un renouvellement
permanent de plusieurs sortes. C’est pourquoi, après avoir satisfait les amateurs et les connaisseurs avec
tant de pièces italiennes et allemandes très recherchées, nous osons tenter l’expérience de faire mainte-
nant apprécier plus encore ce théâtre par l’exécution d’une pièce entièrement française.156

Néanmoins, cette programmation avait de quoi surprendre et montrait bien le fossé qui séparait
désormais des artistes de cour et le public hambourgeois. L’œuvre de Desmarests n’était plus
une nouveauté au moment de sa reprise hambourgeoise, puisqu’elle avait été créée trente ans
auparavant en 1697 sur la scène de l’Académie royale de musique à Paris.157 Depuis cette époque,

154 Mattheson, Grundlage einer Ehren-Pforte, p. 161. Christoph Wolff, Johann Sebastian Bach, p. 194.
155 Adress-Calender der Hoch=Fürstl. Braunschw. Lüneburg. Haupt= und Residentz=Städte, Braunschweig 1721,
p. 20 : « Mademoiselle N. N. Pichon, Sängerinn und Täntzerinn, Log. am kleinen Zimmerhoff in seel. Stock-
hausen Hauß. »
156 Venus und Adonis, Hambourg 1725, préface non paginée : « Die zärtliche Unersättlichkeit der Menschen in
sinnlichen Vergnügungen verursacht auch bey den angenehmsten derselben einen unvermerckten Eckel,
wenn sie nicht durch unterschiedliche Arten beständig abgewechselt werden. Dem zur Folge hat man, nach so
viel ausgesucht=Italiaenisch=Teutschen Stücken, die Liebhaber und Kenner derselben zu vergnügen, diesen
Schauplatz jetzt durch ein gantz=frantzösisches Schauspiel beliebter zu machen, gewaget. »
157 Cf. l’édition du livret dans Vénus & Adonis Tragédie en musique de Henry Desmarest (1697), éd. Jean Duron.

– 291 –
Chapitre 5

d’autres œuvres de Desmarest avaient été jouées dans l’espace germanique, entre autres dans les
cours de Darmstadt, d’Ansbach et de Baden-Durlach, en version originale, en version traduite
ou bien avec une nouvelle musique.158 À Hambourg, le texte original de l’opéra était reproduit
littéralement dans le livret, accompagné d’une traduction allemande en regard. La version ham-
bourgeoise ne suit pas la version imprimée par Ballard en 1697 mais une autre version plus courte,
uniquement transmise par une source manuscrite : alors que Cidippe chante dans la partition
imprimée un long et amer monologue aussitôt après le départ de Vénus à la fin du premier acte,
elle ne chante qu’un court récitatif et quitte la scène dans le manuscrit copié par André Danican
Philidor.159 La source de la reprise hambourgeoise n’était donc pas la partition générale impri-
mée, mais une version non publiée, probablement copiée sur le manuscrit de Philidor ou trans-
mise par un réseau similaire.
Si les cinq actes de la tragédie étaient fidèlement repris dans la production hambourgeoise, le
prologue avait été complètement réécrit. Mais au lieu de faire précéder la tragédie d’un prologue
en français comme en 1689, les organisateurs du spectacle firent précéder la pièce d’un « prologue
comique en allemand » (« Teutschen Comiquen Vorspiel ») dont le caractère se distinguait fortement
de la tonalité tragique de la pièce qu’il servait à introduire. Ce prologue en allemand appartenait
en fait à un type bien particulier de prologues cultivé depuis peu sur la scène de Hambourg : le
méta-prologue, une courte pièce introductive qui commentait de façon critique l’action qui allait
suivre, mais proposait aussi une réflexion sur les fonctions et le rôle d’une maison d’opéra dans
un contexte urbain comme celui de Hambourg.160

Critiques éclairées de la galanterie


Ici, ce sont les muses en personne qui se disputent avec Momus sur la valeur et la signification de
la pièce qui allait être représentée. Momus, un personnage grotesque de la mythologie grecque
qui incarne le sarcasme et la moquerie, apparaît régulièrement dans les méta-prologues comme
figure grincheuse et bougonne qui se fait le porte-parole et l’avocat du public hambourgeois.
Momus reproche à la muse Thalia de se comporter comme un singe en chantant trop de « trucs
étrangers sur ce théâtre ».161 Il s’en prend ensuite à Melpomène :
Mom. Ich hab euch zwar versprochen/ Mom. Je vous ai certes promis/
Den Haupt-poßierlichen Publiqu’ De vous gagner les faveurs
Zu eurem Vortheil zu bekehren. de la masse plébéienne du public
Allein da ihr mir euer Wort gebrochen Mais comme vous n’avez pas tenu parole,
Kan ich in diesem Stück Je ne peux pas pour cette pièce
Euch meine Hülffe nicht gewähren. Vous garantir mon aide.
Melp. Worinn denn haben wir nicht unser Wort Melp. Et en quoi donc n’avons-nous pas tenu pa-
gehalten? role ?
Mom. […] Darinn daß ihr jetzt nicht den Caesar Mom. […] En ceci que vous ne représentez plus le
aufgeführet/ César/
Und noch darzu an dessen Statt/ Mais qu’en outre vous avez à la place
Was der Publiqu’ so sehr verdammet hat/ Choisi de jouer
Ein gantz Frantzösisch Stück/ Ce que le public a tant exécré
das allen Danck verlieret/ Une pièce française en entier
Zu spielen auserkohren. qui enlève les mots de la bouche.

158 Thomas Betzwieser, « Le parcours germanique de l’œuvre lyrique d’Henry Desmarest », in : Henry Desmarest
(1661-1741). Exils d’un musicien dans l’Europe du Grand Siècle, dir. Jean Duron et Yves Ferraton, Sprimont 2005,
p. 309-320.
159 Version manuscrite : F-Pn, Rés. F. 1716.
160 Sur le « méta-prologue » comme support d’un nouvel espace de débat public, voir Wolfgang Hirschmann et
Bernhard Jahn, « Oper und Öffentlichkeit. Formen impliziten Aufklärens an der Hamburger Gänsemarkt-
oper um 1700 », in : Um 1700. Die Formierung der europäischen Aufklärung zwischen Öffnung und neuerlicher
Schließung, dir. Daniel Fulda et Jörn Steigerwald, Berlin 2016, p. 184-197.
161 Venus und Adonis, Hambourg 1725 : « Nur still ! Dein Affen=Spiel ist mir zuviel bekannt ! | Du sängst solche
fremdes Zeug auf diesem Schau=Platz an/ | So daß ich mich dir unmöglich stoßen kann. »

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L'invention allemande du style français

L’allusion au « César » rappelle cruellement aux muses que l’opéra de Desmarest n’avait été choisi
qu’au pied levé, comme une alternative commode à l’exécution de l’opéra Giulio Caesare hwv 17
de Händel, après que le projet d’une création de l’œuvre à Hambourg en avril 1725 eut échoué.162
C’est alors qu’intervient Terpsichore, la muse de deux éléments très importants de l’opéra fran-
çais, à savoir les chœurs et la danse. Elle affirme que la pièce a été programmée « en connaissance
de cause et avec raison » (« mit Kundschaft und Vernunfft ») et qu’elle « compte parmi les meil-
leures ». Ceci ne suffit visiblement pas à convaincre Momus, qui répond :
Mom. Halt du doch nur das Maul/ Mom. Mais ferme ta grande gueule,
du wirst mich wohl nicht fressen ! tu ne vas quand même pas me bouffer !
Ja/ weistu was Publiqu’ Ouais, tu sais ce que le publiqu’
Von der Frantzösischen Musiqu’ À la musique française répliqu’
Mit mir und allen Kennnern spricht : Il dit, comme moi et tous les connaisseurs :
Sie taugt den Hencker nicht. Elle n’est même pas bonne pour les chiens.

Sans perdre son sang-froid face à un tel assaut de vulgarité, la muse Terpsichore chante alors en
un majestueux arioso tous les avantages de la musique française, prenant implicitement le contre-
pied de l’opera seria italien, et donc de l’opéra de Händel qui aurait dû être donné à la place de la
tragédie de Desmarest :
Terp. Die holde Macht der Symphonien, Terp. Le noble pouvoir des symphonies
Kan Herz und Ohren an sich ziehen. Attire à lui les cœurs et les oreilles.
Es läßt sich in den starcken Chören Dans les chœurs bien fournis,
Mit Geist vereinte Anmuth hören. La grâce alliée à l’esprit se fait entendre.
Hier folgt die Kunst der schönen Spuhr Ici, l’art suit la belle voie
Der ungezwungenen Natur. D’une nature sans contrainte.

Chœurs abondants, noble musique instrumentale, naturel de la déclamation – après ce vibrant


plaidoyer pour l’opéra français, même Momus doit convenir que la « musique française n’est
peut-être pas entièrement bonne à jeter. » Il exprime toutefois ses réserves sur les capacités des
chanteurs (« So weiß ich doch, daß du in diesem Stück | Mit Sängern schlecht versehen bist »),
sur la complexité des décors et des cotumes (« Haha, der Berg gebieret eine Mauß ») et prévient
que tout ce qui brille n’est pas or (« Doch ist nicht alles Gold, Was Gelb ist, gläntzt und scheint »).
Dans un dernier rebondissement ironique, Apollon apparaît alors sur scène tel un deus ex machina
et donne l’ordre aux muses de jouer la pièce, sans prêter attention aux plaintes de Momus, pro-
mettant qu’il viendra lui-même assister à la représentation.163
Ce prologue indique donc très clairement qu’en 1725, le public hambourgeois n’était peut-
être plus préparé à entendre une tragédie en musique française, déjà vieille de plus de trente ans
et donnée en version originale. Malgré ce prologue très amusant, l’œuvre de Desmarest ne semble
pas avoir remporté de grand succès, puisque Mattheson note de manière laconique : « elle ne fut
jouée que deux fois, par manque de spectateurs.164 » L’attitude extrêmement critique exprimée par
Momus vis-à-vis de la musique française, qui articule avec une netteté extraordinaire les attentes
du public tout en réfléchissant avec lucidité sur ses limites, était également exprimée la même
année dans le prologue d’une autre pièce – la Critique des hamburgischen Schau=Platzes, qui combi-
nait en un ensemble de quatre actes indépendants une pièce de Johan Paul Kunzen, deux actes de
Campra (l’entrée turque de l’Europe galante et « L’Amour saltimbanque » des Fêtes vénitiennes) et Le

162 Marx et Schröder, Die Hamburger Gänsemarkt-Oper. L’opéra de Händel fut donné pour la première fois en août
1725 à l’opéra de Braunschweig, sous la direction de Georg Caspar Schürmann, et ne fut représenté à Ham-
bourg qu’en novembre de la même année.
163 « Ey kehrt euch nicht daran, spielt nur auf mein Geheiß | So gut ein jeder weiß, | Und laßt den schielen
Momus passen. | Ich komme selbst, sobald mein Tagwerck nur geschehn, | Was ihr bereitet anzusehen. »
164 Mattheson, Der Musicalische Patriot, 1728, p. 192 : « Sie wurde nur zweimahl gespielet, weil es an Zuschauern
fehlte. » Le calendrier des représentations établie par Marx et Schrödter confirme qu’une représentation a eu
lieu le 11 avr. 1725 : Marx et Schröder, Die Hamburger Gänsemarkt-Oper, p. 489.

– 293 –
Chapitre 5

Divertissement de Chambord lwv 41 de Lully (sur la comédie Monsieur de Pourceaugnac de Molière)


et fut donnée en février 1725, quelques semaines seulement avant la création de Venus und Adonis.165
La construction de la Critique, dont le titre se rapporte au « prologue cocasse » qui introduit
la pièce, est expliquée dans la préface du livret.166 Au lever de rideau, Momus réapparaît, mais il se
trouve cette fois au pied du Parnasse, où se tiennent Apollon et les neuf muses. Il exprime à nou-
veau, au nom du public, son mécontentement face à la programmation de l’opéra de Hambourg.
À la fin du prologue, apparaît le machiniste français Pichon, qui tient dans sa langue un petit
discours sur la dureté de sa condition, interpelant les Muses : « Vous êtes plaisantes, Mesdames
les Citoiennes du Parnasse, vous qui étes à vôtre aise, & qui avés du pain cuit, de tourmenter un
pauvre Diable qui sue sang & eau pour gagner le sien. » Il est suivi par le peintre du théâtre, qui
raconte dans une « Aria en Menuet » (en allemand) ses propres misères, avant que n’apparaisse le
public en accoutrement bizarre (« Publique in einem bizarren Aufzug »). Apollon se tourne alors
vers lui et lui demande :
Ap. Sprich den Publiqvue wo kommt es her/ Ap. Dis-moi, Publiqvue, comment se fait-il
Daß diese Opera so leer? Que cet Opera soit si vide ?
Gefällt sie die denn nicht? Il ne te plaît donc pas ?
Publ. Ja sie gefällt mir woll/ Publ. Si, il me plaît bien,
Doch wenn ich dir die Wahrheit sagen soll/ Mais pour dire la vérité,
So sind viel tausend fremde Sachen/ Ce sont ces mille et une choses de l’étranger
Die mich ihr ab- und wiederspänstig machen. Qui me rendent fauché et frondeur.

Parmi ces « mille et une choses de l’étranger » qui éloignent le public de l’opéra, se trouvent bien
sûr les langues mais aussi les différents styles nationaux :
Italiänisch versteh ich nicht/ Je ne comprends pas l’italien,
Das teutsche ist mir viel zu schlecht/ L’allemand est bien trop piètre pour moi,
Was ein Frantzos singt/ spielt und spricht/ Et ce qu’un Français chante, joue et déclame
Ist meinen Ohren nie gerecht. Ne convient jamais à mes oreilles.

Ces deux méta-prologues thématisent donc de manière réflexive les fonctions et les tâches de la
scène de Hambourg. Ils développent une double critique : d’une part, contre les limites du public
hambourgeois, mais aussi contre la surreprésentation du répertoire étranger sur la scène. Dans
les deux cas, les prologues introduisent un répertoire français déjà ancien : à l’exception des Fêtes
vénitiennes (1710) qui datent d’une quinzaine d’années au moment de leur reprise hambourgeoise,
les autres pièces datent des années 1660 à 1690. Si on les compare avec l’opéra Giulio Caesare que
Händel venait tout juste de composer et qui représentait le dernier cri en matière de modernité
dramatique et musicale, on comprend qu’elles aient dû frapper le public comme étant d’un autre
âge. Au-delà de l’antiquité du répertoire, c’est aussi sur le plan du genre que ces pièces représentent
un modèle archaïque : elles appartiennent à des genres de théâtre musical français déjà anciens et
plutôt typiques du monde de la cour – la comédie-ballet, la tragédie en musique et l’opéra-ballet.
En attaquant explicitement le choix de ce répertoire, ces deux prologues critiquaient implicitement
un modèle culturel galant et contribuaient à alimenter un débat public sur les valeurs de la galan-

165 Critique Des Hamburgischen Schau=Platzes, Hambourg 1725.


166 Critique Des Hamburgischen Schau=Platzes, préface non paginée : « Die besondere Piecen, die man für dieses
mahl dazu auserwehlt hat, sind : I. In einem Prologo, eine Critique oder Untersuchung des Hamburgischen
Theatri, nemlich in welchem Stand selbiges sich anitzo befinde, was darauf gut, und was darauf etwan auszu-
setzten, seyn möchte. II. Eine Piece, so unter dem Nahmen, einer Türckischen Scene, oder eines Theils der
berühmten Frantzösischen Opera, Europe Galante, genannt, sich im verwichenen Jahr, ihrer Artigkeit wegen,
berühmt gemacht. III. Eine sehr berühmte und bekannte Piece l’Amour Saltinbanque genannt, zu welcher die
vielfältige comique Balletten und Entréen, und die zur Aufführung derselben sehr habile Täntzerinn Mad. Decha-
lieres, Anlaß gegeben, Und IV. Eine Italiänische bekannte, wegen der darinn vorkommende sehr lächerlichen
Begebenheiten berühmte, und aus dem Französischen des Molieres entliehene, Piece, Pourceaugnac genannt. »

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L'invention allemande du style français

terie, qui était également développé au même moment dans la presse hambourgeoise naissante. Le
choix de la tragédie en musique Vénus et Adonis écrite par Henry Desmarest et le librettiste Joseph-
François Duché de Vancy est d’ailleurs très éclairant de ce point de vue : non seulement les deux
hommes avaient collaboré pour mettre sur pied un opéra-ballet intitulé Les Fêtes galantes (en mai
1698), mais le livret même que Duché de Vancy avait écrit pour Vénus et Adonis était déjà considéré
peu après sa création comme l’adaptation galante d’un sujet antique.167
Mais ce que les programmateurs et les musiciens français n’avaient sans doute pas vu, c’est
que la galanterie tombait justement sous le feu de la critique au moment même où ils mettaient en
route leurs projets. Au premier rang des critiques se trouvait « l’hebdomadaire moral » Der Patriot,
l’un des principaux journaux de langue allemande, publié de manière anonyme à Hambourg à
partir de janvier 1724, et qui a souvent été décrit comme un levier central dans l’émergence d’un
espace public et dans la promotion des idées de la Frühaufklärung.168 Le succès du Patriot fut d’ail-
leurs tellement retentissant que Mattheson décida quatre ans plus tard de lancer son propre heb-
domadaire, appelé le Musicalischer Patriot.169 Mais dès 1724, le Patriot se moque avec férocité de ce
qu’il appelle « le monde galant » en dénigrant ses pratiques sociales et culturelles, parmi lesquelles
se trouvent bien sûr la pratique de la langue française et la fréquentation assidue de l’opéra. Dix
ans auparavant, Mattheson comptait déjà la fréquentation régulière de l’opéra parmi les activités
indispensables d’un « galant homme » souhaitant développer son goût pour la musique.170
Même si les rédacteurs du Patriot ne condamnent pas l’opéra en bloc et reconnaissent
même qu’il peut contribuer à l’édification morale de l’homme171, la pratique galante de l’opéra
concentre leurs critiques. La description fantaisiste d’une société fictive ennemie du Patriot (la
« Gesellschaft vam schönen Wedder ») qui organiserait des réunions secrètes au cours desquelles
ses membres n’auraient le droit de fumer leur tabac que dans le papier des numéros de l’hebdo-
madaire, est l’occasion pour le journal de se moquer de ses cibles favorites. Le journal brocarde
en particulier l’usage immodéré de tournures étrangères et notamment françaises, ainsi que la
fréquentation stupide de l’opéra :
Dans cette société sont naturalisés les agréments étrangers suivants : Comment va votre petit chien ? Avez-
vous été à l’opéra hier ? Avez-vous joué au piquet ou à l’ombre lors de l’assemblée ? N. est un danseur incom-
parable, il a beaucoup d’esprit dans ses pieds. Avez-vous vu les œillades qui couraient d’une loge à l’autre ?172

La fiction d’une « montre philosophique », qui peut « mesurer très exactement la durée ou la
brièveté de la vie raisonnable ou philosophique » qu’on a passée et ainsi indiquer « combien de
temps l’on a vraiment vécu, dans le meilleur sens du terme », témoigne également du statut am-
bigu de l’opéra dans l’éthique du Patriot. Comme on s’en doute, le temps passé à l’opéra n’est pas
comptabilisé par cette montre philosophique, alors qu’il joue au contraire un rôle essentiel dans
l’éthique du monde galant :
Car nous ne vivons pas, lorsque nous ne faisons que nous remuer, nous habiller, danser, bavarder, aller
à l’opéra, rire, etc. – quoique le monde galant puisse en penser.173

167 Jörn Steigerwald, « La galanterie des dieux antiques : Chapelain critique de l’Adone du Cavalier Marin », Lit-
tératures classiques, 77/1, 2012, p. 281-295.
168 Steffen Martus, Aufklärung : das deutsche 18. Jahrhundert. Ein Epochenbild, Berlin 2015, p. 223-229.
169 Holger Böning, Der Musiker und Komponist Johann Mattheson als Hamburger Publizist. Studie zu den Anfängen
der Moralischen Wochenschriften und der deutschen Musikpublizistik, Brême 2011.
170 Mattheson, Das Neu-Eröffnete Orchestre, p. 161.
171 Der Patriot, 22. Juni 1724, p. 247.
172 Der Patriot, 17 fév. 1724, p. 65 : « Von den Fremden sollen schon folgende Zierlichkeiten bey der Gesellschaft
das Bürger=Recht haben : Was macht ihr kleines Hündgen ? Sind sie gestern in der Opera gewesen ? Haben sie
Piquet oder Ombre in der Assemble gespielet ? Der N. ist ein unvergleichlicher Täntzer, il a beaucoup d’esprit
dans ses pieds. Haben sie die Œillades wol wahrgenommen, die von der einen Loge zur andern hinüber flogen ? »
173 Der Patriot, 28 déc. 1724, p. 495-496 : « Denn wir leben nicht, wenn wir blosserdings uns bewegen, uns anklei-
den, tantzen, schwätzen, zur Opera gehen, lachen, u. was auch immer die galante Welt hievon dencken mag ».

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Chapitre 5

L’opéra appartient donc clairement à l’art de vivre du « monde galant », celui-là même qui adopte
si volontiers la langue et la culture française et est souvent représenté avec tous les stéréotypes
nationaux attachés à la France. Dans son vingtième numéro, l’hebdomadaire publie la lettre
d’un certain Monsieur de Bel-Amour, un correspondant qui se présente comme un « Français de
bonne naissance » et est apparemment très convaincu de la supériorité de son pays (« personne
ne peut nier que nous soyons la meilleure nation de toute l’Europe, que nous possédions le goût le
plus délicat, bien loin devant toutes les autres nations »). Le Patriot ajoute dans un commentaire :
« Ce lecteur me pardonnera d’exclure toute forme de galanterie française de ces colonnes, et ja-
mais je ne lui accorderai la moindre place dans ce papier.174 » Il est donc très compréhensible que,
lorsqu’il décrit l’opéra de Hambourg, l’hebdomadaire se refuse à prendre position sur les mérites
comparés des styles nationaux. Au contraire, le journal plaide pour une conception éclairée de la
musique, débarassée des particularismes régionaux d’Ancien Régime :
Quant à savoir si une musique française ou italienne se prête à obtenir un meilleur effet, je me garderai
bien d’oser affirmer quelque chose d’incontestable là-dessus. J’ai connu des gens raisonnables qui préfé-
raient les uns celle-ci, les autres celle-là. Chacune d’entre elles possède des charmes particuliers, qui sont
prisés selon les inclinations diverses des hommes, et estimés davantage ici ou là par suite de l’habitude. Un
véritable maître, aussitôt qu’il remarque quel est le goût dominant dans son environnement, ne manquera
pas d’y tendre par son art, sans amoindrir aucunement la perfection essentielle de la musique.175

On voit donc émerger ici pour la première fois une conception relativiste des styles nationaux
d’Ancien Régime, considérés comme les produits contingents de la tradition, du lieu, du goût et
de l’habitude. La vraie musique se situe au-delà de ces formes locales et secondaires.

Telemann entre deux fronts : l’opéra comique


Dans l’introduction à sa Critique des Hamburgischen Schau=Platzes, Kunzen indiquait de manière
tout à fait explicite le modèle qu’il avait suivi pour rassembler en un même ensemble quatre
actes issus de pièces très variées : il s’agissait d’une pièce supervisée et partiellement composée
par Telemann l’année précédente, qui avait conclut le carnaval et remporté un beau succès.176
Der Beschluß des Carnevals avait été donné le 21 février 1724, et représente la seule adaptation
connue d’une œuvre lyrique française réalisée avec sa musique originale sous la supervision de
Telemann – on ne connaît autrement que des adaptations musicales de livrets français traduits
en allemand, comme Omphale (1722), Orpheus (1726) ou Die verkehrte Welt (1728).177 Cette pièce
se composait de trois actes, également empruntés à des sources très diverses et formant un patch-
work assez hétérogène : le premier acte, sous-titré « Ballet en musique » dans le livret, reprenait
comme Kunzen la cinquième entrée turque de L’Europe galante de Campra. Toutefois, elle en
modifiait substantiellement le dénouement, puisqu’au lieu de voir la Discorde prendre la fuite

174 Der Patriot, 17 mai 1724, p. 198 : « Er wird mir aber vergeben, daß ich alle Frantzösische Galanterien hievon
ausschliesse, und ihnen niehmals einigen Platz in meinen Papieren einräumen werde. »
175 Der Patriot, 22 juin 1724, p. 245-246 : « Ob aber zu dieser Wirckung eine Französische, oder Welsche Music
geschickter sey, davon getraue ich mir nichts unwiedersprechliches fest zu setzen. Ich habe vernünftige Leute
gekannt, welche bald diese jener, bald jene dieser vorgezogen. Beide haben ihre besondere Anmuth, welche,
nach verschiedener Neigung der Menschen, angenommen, und durch Gewohnheit hie oder da beliebter wird.
Ein Meister, so bald er den herrschenden Geschmack seines Ortes vermercket, wird nicht ermangeln, mit
seiner Kunst in denselben hineinzugehen, ohne den wesentlichen Vollkommenheiten der Musik das geringste
zu entziehen. »
176 Critique des Hamburgischen Schau=Platzes, préface non paginée.
177 Martin Ruhnke, « Telemanns Hamburger Opern und ihre italienischen und französischen Vorbilder », Ham-
burger Jahrbuch für Musikwissenschaft, 5, 1981, p. 9-27. Peter Huth, « Telemanns Hamburger Opern nach fran-
zösischen Vorbildern », in : Französische Einflüsse auf deutsche Musiker im 18. Jahrhundert, dir. Friedhelm Brus-
niak et Annemarie Clostermann, Cologne 1996, p. 115-148. Wolfgang Hirschmann, « Le monde renversé – Die
verkehrte Welt. Zur Adaption und Transformation der Opéra comique auf deutschen Bühnen des frühen 18.
Jahrhunderts » in : Telemann und Frankreich – Frankreich und Telemann, dir. Carsten Lange et al., Hildesheim
2009, p. 238-266.

– 296 –
L'invention allemande du style français

devant Vénus, les spectateurs hambourgeois pouvaient entendre le sultan ordonner la venue d’une
troupe de comédiens français pour célébrer les fiançailles de sa fille Zaïde.178 Là encore, l’allusion
au personnel théâtral français des cours allemandes était transparente, et donnait donc lieu à
une scène de théâtre dans le théâtre : le deuxième acte était formé par la représentation d’une
comédie d’Antoine Jacob de Montfleury, La fille Capitaine, suivie directement d’un acte composé
par Telemann, et intitulé Il Capitano. Même si la liste des acteurs n’est pas donnée, on peut penser
que les Français présents à Hambourg (accompagnés sans doute de quelques collègues dont nous
ignorons l’existence) jouaient leur propre rôle dans le deuxième acte, donnant la comédie comme
ils l’auraient fait dans le monde de la cour.
Plus intriguant encore était le sous-titre donné par Telemann à cette œuvre : « Opera
Comique ». Du point de vue générique, cette pièce s’inscrivait par-là dans une série assez consé-
quente de représentations comiques, que Reinhard Keiser avait inaugurée en 1707 avec l’un des
plus grands succès commerciaux de l’histoire de l’opéra de Hambourg : Der angenehme Betrug
oder Der Carneval von Venedig, créé en 1707 et très régulièrement repris jusqu’en 1735. Dans cette
œuvre, Keiser recourait déjà au modèle d’un opéra-ballet mis en musique par Campra, Le Carnaval
de Venise (1699) : le livret anonyme de cette pièce était une traduction très libre et arrangée du
livret que Jean-François Regnard avait composé pour l’opéra-ballet de 1699. Quant à la musique,
la préface de 1707 indiquait qu’elle provenait des sources les plus variées, mais qu’elle avait en
grande partie été composée par Reinhard Keiser et André Campra.179 On a souvent supposé que
les extraits musicaux qui avaient été repris de l’œuvre originale de Campra correspondaient aux
trois airs français contenus dans le livret. En fait, une observation plus attentive montre que ce sont
des airs à boire qui n’appartiennent pas au ballet. Ils ont donc été probablement insérés comme une
touche comique de colori local. Le seul endroit où le livret de Regnard et probablement la musique
de Campra sont repris textuellement par la production hambourgeoise se trouve, de manière assez
ironique, dans les airs et les chœurs en italien à la fin de la troisième entrée de l’acte I. C’est donc
précisément pour ces passages en italien que Keiser a repris la musique française : il s’agissait là
d’une farce ironique, puisque la préface du livret incitait les auditeurs versés dans la musique à
deviner quels étaient les passages musicaux que Keiser avait composé lui-même, et quels étaient
ceux qu’il avait au contraire repris. Dans les années 1725 et 1726, Keiser compléta sa propre série
de « méprises » en produisant encore trois œuvres supplémentaires : le Hamburger Jahr=Markt créé
le 30 juin 1725,180 la Hamburger Schlacht=Zeit dont la représentation fut interdite aussitôt après sa
création le 22 octobre 1725,181 et L’Inganno fedele créé en 1726.182
Parmi ces trois œuvres, les deux premières étaient qualifiées dans la préface d’« Opera co-
mique ». Lors de son Beschluß en 1724, Telemann avait donc à la fois imité l’exemple de Keiser
par le choix d’une pièce de Campra, mais aussi lancé une mode qui fit florès : la création d’œuvres
assez librement agencées, de caractère plutôt comique, et dont le titre était accompagné de la
mention « Opera comique ». La composition en 1728 de Die verkehrte Welt, dont la page de titre
porté également la mention « Opera comique », montre que le nouveau directeur de l’opéra avait
su trouver, à travers l’exemple de Keiser, une nouvelle manière d’adapter les modèles littéraires
et musicaux de l’opéra français qui ne reposait plus sur une esthétique galante, n’incarnait plus
le « grand goût » français mais au contraire un versant plus familier et comique de la création
lyrique parisienne, et pouvaient donc trouver l’assentiment du public éclairé de Hambourg. Cette
accumulation autour de 1725 témoigne d’un profond renouvellement dans les manières d’adapter
le style français à un public germanique : le succès rencontré par les adaptations d’opéra-ballet
désignées sous le genre hambourgeois de « l’opéra-comique » remplaçait définitivement la repré-

178 Georg Philipp Telemann, Der Beschluß des Carnevals. Opera comique, non paginé. Voir note 151.
179 Der angenehme Betrug, oder der Carneval von Venedig, Hambourg 1707, préface non paginée.
180 Der Hamburger Jahr=Marckt Oder der glückliche Betrug, Hambourg 1725.
181 Die Hamburger Schlacht=Zeit oder Der Mißgelungene Betrug, Hambourg 1725.
182 L’inganno Fedele Oder : Der getreue Betrug, Hambourg 1726.

– 297 –
Chapitre 5

sentation de tragédies en musique dans leur version originale, dont la désastreuse production de
Desmarest en 1725 fut le dernier exemple. C’est ainsi que Telemann pouvait réagir aux critiques
exprimées contre le modèle galant tout en continuant à cultiver, de manière sans doute moins dé-
monstrative et beaucoup moins galante que dix ans auparavant, son intérêt pour les productions
musicales françaises. Ces adaptations n’étaient cependant pas au goût de tout le monde : dès 1725,
Mattheson condamnait le « goût corrompu » dont témoignaient ces « vulgaires adaptations183 ».
Pour lui, ces adaptations comiques étaient aussi le signe que « l’énergique esprit français avait
presque complètement disparu de la scène.184 »

Musique française et Lumières : vers un renversement des alliances


À partir des années 1730, la musique française change radicalement de statut dans l’espace ger-
manophone. Elle est considérée non plus à travers le prisme des genres lyriques et instrumentaux
qui se situent à la pointe de la modernité, mais de plus en plus à travers celui du répertoire savant
de la musique d’église ou de la littérature pour orgue. Lorsque Johann Joachim Quantz, élève
de Buffardin et membre de la Hofkapelle de Dresde où il avait acquis une expérience personnelle
approfondie de la musique française, raconte le voyage à Paris qu’il effectua en 1726, il ne mâche
pas ses mots sur l’état de la musique en France. Se rappelant son arrivée à Paris après avoir passé
plusieurs mois en Italie, il écrit :
Je passai alors d’un extrême à l’autre sous le rapport du goût musical, de la diversité à l’uniformité. Même
si le goût français ne m’était pas du tout inconnu et que j’acceptais très bien leur manière de jouer, je ne
pus pourtant pas me faire dans leurs opéras aux idées réchauffées et usées des compositeurs, ni à la faible
différence entre récitatif et airs, ni aux cris exagérés et affectés de leurs chanteurs, et particulièrement
de leurs chanteuses. […] La musique d’église des Français me plut davantage que leur opéra. Le Concert
spirituel et le Concert italien n’étaient pas à dédaigner ; le premier était pourtant mieux fréquenté que
le second. La cause en est la prévention contre la musique des étrangers, qui rend la nation française très
malade et qui l’empêchera d’améliorer son goût musical aussi longtemps qu’elle s’entête dans cette voie.185

Il est particulièrement frappant que Quantz relève une différence qualitative entre les opéras
entendus à l’Académie royale de musique et le répertoire de musique d’église. En fait, cette évo-
lution dans l’appréciation de la musique française est partagée par un certain nombre d’acteurs
de la vie musicale allemande et allait provoquer un véritable renversement des alliances au cours
des années 1730 : alors que la musique française se situe encore aux avant-postes de la moder-
nité musicale et intellectuelle en 1717, notamment à travers son association avec les valeurs de

183 Mattheson, Der Musikalische Patriot, p. 200 : « Der verdorbene Geschmack, mit den Operas comiques : denn
eine Opera comique wiederspricht sich selbst, wie ein höllisches Paradies etc. ». Sur ce point, voir aussi Hans-
jörg Drauschke, « Beispiele wider den ‘verdorbenen Geschmack’. Bearbeitungen als Paradigmen für Johann
Matthesons Opernästhetik der 1720er Jahre », in : Johann Mattheson als Vermittler und Initiator. Wissenstransfer
und die Etablierung neur Diskurse in der ersten Hälfte des 18. Jahrhunderts, dir. Wolfgang Hirschmann et Bern-
hard Jahn, Hildesheim 2010, p. 197-213.
184 Mattheson, Der Vollkommene Capellmeister, p. 218 : « Das sogenannte Carnaval von Venedig ist aus dem
Frantzösischen übersetzt und 1707 hier gespielt, auch unzehlige mahl, mit Vergnügen der Zuschauer, wieder-
holet worden. Hernach sind die abgeschmackten Intermezzi und Zwischen-Spiele Mode geworden ; der leb-
haffte Frantzösische Geist aber hat sich fast gantz vom Theater verlohren. »
185 Marpurg, Historisch-Kritische Beyträge zur Aufnahme der Musik, vol. 1, p. 237-239 : « Hier wurde ich, in Anseh-
nung des musikalischen Geschmacks, von dem einen äußersten Ende ins andere, aus der Mannigfaltigkeit in
die Einförmigkeit, versetzet. Ungeachtet mir der französische Geschmack eben nicht unbekannt war, und ich
ihre Art zu spielen sehr wohl leiden konnte : so gefielen mir doch, in ihren Opern, weder die aufgewärmten, und
abgenutzten Gedanken ihrer Componisten, und der geringe Unterschied zwischen Recitativ und Arien ; noch
das übertriebene und affectirte Geheul ihrer Sänger und besonders ihrer Sängerinnen. […] Die Kirchenmusi-
ken der Franzosen gefielen mir besser als ihre Opern. Das Concert spirituel and das Concert italien waren nicht
zu verachten : doch wurde das erstere mehr besuchet als das letztere. Die Ursach davon war ohne Zweifel, ein
Vorurtheil, wider die Musik der Ausländer, woran die französische Nation sehr krank liegt : und welches sie, so
lange sie noch dabey bleibt, verhindern wird, ihren Geschmack in der Musik zu verbessern. »

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L'invention allemande du style français

la galanterie, elle est de plus en plus considérée comme rétrograde et conservatrice à partir de
la troisième décennie du xviiie siècle. Ce changement de statut s’inscrit dans un contexte plus
général où le projet même d’une typologie des styles nationaux devient caduque et tombe sous le
feu de la critique, au nom d’un idéal universaliste et cosmopolite.

De la galanterie au style galant : mutations d’un concept


Dans le champ littéraire germanique, la galanterie désigne un corpus de textes très cohérent appa-
ru entre 1680 et 1720 dans le sillage du discours sur l’imitation des Français prononcé en 1687 par
Christian Thomasius à l’Université de Leipzig.186 Ses principales figures sont Christian Hoffmann
von Hoffmannswaldau, August Bohse sous le pseudonyme Talander, Christian Friedrich Hunold
sous le pseudonyme Melante, ou Johann Leonhard Rost. Ce dernier publie sous le pseudonmye
de Meleaton (une forme composite de Talander et Melante) une production polymorphe et abon-
dante parmi laquelle on repère entre autres un traité de danse française publié en 1713, un an
après la parution du traité de Louis Bonin qu’il avait préfacé.187 Si l’histoire littéraire se focalise
généralement sur la genèse et la structuration de ce mouvement au détriment de sa progressive
désagrégation et de sa disparition, il est indéniable que les critiques exprimées dès 1725 à l’encontre
de l’idéal galant contribuèrent à le faire imploser. Particulièrement frappant à cet égard est le
contre-discours sur l’imitation des Français publié en 1744 par Johann Michael von Loen, qui fait
référence au discours prononcé une cinquantaine d’années auparavant par Thomasius mais tire
des conclusions exactement inverses, condamnant « l’imitation servile » de ses compatriotes.188
Mais cette mutation culturelle, littéraire et anthropologique provoquée par les critiques
éclairées de la galanterie touchait aussi le discours sur la musique.189 Ainsi, alors que les deux pre-
miers volumes de l’Orchestre publiés par Mattheson font un large emploi de l’adjectif « galant »
toujours pris en bonne part, le troisième tome publié en 1721 pointait l’ambiguité du terme : il y
a une différence entre galant et galant, le mot peut être pris en bonne et en mauvaise part, pour
désigner une personne particulièrement vive et agréable dans le sens ancien, ou au contraire dans
un sens plus moderne pour désigner quelqu’un aux mœurs dépravées, voire une maladie véné-
rienne.190 Mattheson prend bien soin d’ajouter qu’il n’emploie le terme que dans un sens positif
– encore en vigueur, note-t-il, chez les Italiens. Bien plus, Mattheson donne une liste de ceux
qu’il considère désormais comme les « compositeurs les plus célèbres et les plus galants de toute
l’Europe » : Capelli, Bononcini, Gasparini, Marcello, Vivaldi, Caldara, Scarlatti, Lotti, Keiser,
Händel, Telemann.191 Pas la moindre trace de compositeurs français, donc, mais un cortège de
compositeur aimables, élégants, modernes, compréhensibles, agréables, distrayants, parfois sur-
prenants, qui cultivent un style chantant, clair et simple – tous des Italiens à l’exception de Keiser,

186 Thomasius, « Diskurs von der Nachahmung der Franzosen ».


187 Meletaon [Johann Leonhard Rost], Von der Nuetzbarkeit des Tantzens, Leipzig 1713.
188 Voir notamment Catherine Julliard, « Johann Michael von Loen et son Discours de l’imitation des Français
(1744). Un anti-Thomasius ? », Recherches germaniques, 40, 2010, p. 131-150.
189 Pour un aperçu sur les emplois de l’adjectif galant dans la production théorique musicale, voir Wolfgang Horn,
« Galant, Galanterie, Galanter Stil », in : Handwörterbuch der musikalischen Terminologie, vol. 3, Stuttgart, 1973.
190 Mattheson, Das Forschende Orchestre, p. 276 : « Zwischen galant und galant ist ein Unterschied. Wenn der Herr
Rector Hübner von der Pedanterie und Galanterie, als zwo Pesten der Schulen schreibet, so verstehet er durch
die letztere eben nicht viel Gutes. So wie man heutiges Tages manches verdächtiges Frauenzimmer, ja wohl
garstige Kranckheiten, mit einem galanten Prædicato zu belegen pfleget. Die Italiäner aber verstehen durch
einen galant huomo, eine wackern, geschickten, tüchtigen und redlichen Kerl, un valent’uomo, wie ich es denn
in alten Autoribus, insonderheit aber im Artusio oft so geschrieben finde. Und in solchem, als seinen rechten
genuinen Verstande, nehmen wir das Wort auch hier. »
191 Mattheson, Das Forschende Orchestre, p. 275 : « Glaubet wohl ein Mensch in dieser Welt, daß die aller-berüh-
mtesten und galantesten Componisten in Europa, als Gio. Mar. Capelli, Anton. Bononcini, Franc. Gasparini,
Bened. Marcello, Vivaldi, Caldara, Alessand. Scarlatti, Lotti, Keiser, Händel, Telemann etc. bey allen ihren
wunderschönen Sachen wohl einen eintzigen Circul=Strich gethan haben, dadurch ihre Arbeit besser, als
sonst gerathen wäre ? »

– 299 –
Chapitre 5

Telemann et Händel. Ici, l’adjectif galant semble donc désigner un type musical opposé au style
savant voire pédant. Cet usage du terme est encore relativement proche de son origine française,
puisqu’il se trouve employé en ce sens par Bénigne de Bacilly, lorsque celui-ci oppose la manière
galante et la manière sérieuse de chanter.192 On le trouve encore chez Quantz, lorsqu’il oppose
à la discipline d’orchestre draconienne exigée par l’ouverture à la française une « manière trop
galante de jouer, & un coup d’archet trop long, trainant & qui n’a pas une certaine force » et ne
convient donc pas aux ouvertures, dans lesquelles elle « ne fait point un si bon effet, que dans un
Solo ou dans une petite Musique de Chambre ».193 Dans ce cas précis, la galanterie devient donc
associé au jeu à l’italienne, caractérisé par une allure recherchée et une libre ornementation de
la ligne mélodique, et se trouve renvoyée à l’exact opposé d’un style de jeu sobre, enlevé et grave
caractéristique de la manière française.
Enfin, dans les cercles berlinois, l’adjectif galant est couplé à partir de 1750 avec le terme
« Schreibart » (manière d’écrire) et prend donc un sens plus technique, lié à l’harmonie et au
traitement de la dissonance. Cet usage se rencontre sous la plume de Carl Philipp Emanuel Bach,
lorsqu’il explique que l’accord de quarte et quinte peut être attaqué sans préparation de la disso-
nance dans le style galant, par opposition au style savant contrapunctique.194 Dans son Handbuch
bey dem Generalbasse und der Composition, Friedrich Wilhelm Marpurg – un excellent connaisseur
du style français – mentionne un seul cas où il est permis de moduler directement d’un ton prin-
cipal majeur au ton homonyme mineur :
Dans le style galant, on a le droit, si une courte figure rythmique se trouve dans un mode majeur, de
la transposer lors de sa répétition sur le même degré, mais dans une tonalité mineure, après quoi l’on
retourne à l’harmonie majeur. Ce procédé ne doit en aucun cas survenir en sens contraire, quand le
passage à répéter se trouve dans un mode mineur.195

Cet exemple invite à s’interroger sur les liens qui unissent ce nouveau « style galant » avec l’ancien
« style français ». En effet, nous avons noté plus haut que le changement de mode sur la tonique
semble avoir été employé et perçu comme un marqueur tonal du style français jusque dans les
années 1730. Dans les suites de Bach, ce changement de mode apparaît dans des paires de danses
au caractère moderne et populaire, par opposition aux danses plus traditionnelles telles que l’alle-
mande, la courante, la sarabande ou la gigue : menuets, passepieds, gavottes, bourrées, rondeaux.
Or, en allemand, ces danses reçoivent parfois le nom de « Galanterisätze ». Mattheson utilise en
1713 le terme de manière générique, pour désigner toutes les pièces libres écrites pour le clavecin
ou le clavicorde.196 Mais sur la page de titre de ses partitas pour clavier publiées en 1731 à Leipzig

192 Bénigne de Bacilly, L’Art de bien chanter, Paris 1679, p. 15-16 : « l’un & l’autre est bon, pourveu qu’il soit bien
pratiqué, & avec jugement, selon la diversité des Pieces de Musique gayes ou tristes, galantes ou serieuses.
[…] La legereté donne au chant, ce qui s’appelle le tour galant : mais la pesanteur donne la force aux Pieces
serieuses, & qui demandent beaucoup d’expression. […] il est aussi dangereux de le loüer par la gravité & la
pesanteur qui semble estre opposée à la galanterie du chant. »
193 Quantz, Essai d’une méthode, p. 186.
194 Carl Philipp Emanuel Bach, Versuch über die wahre Art, Clavier zu spielen, vol. 2, Berlin 1762, p. 164 : « In der
galanten Schreibart kann die Quarte zuweilen unvorbereitet, mit der None vorkommen. » Voir aussi l’usage
du terme dans le contexte d’une discussion sur l’ornementation dans le vol. 1, Berlin 1753, p. 118 : « Viele,
besonders die affectuösen oder sprechenden Stellen eines Stückes lassen sich nicht wohl verändern. Hierher
gehöret auch diejenige Schreib-Art in galanten Stücken, welche so beschaffen ist, daß man sie wegen gewisser
neuen Ausdrücke und Wendungen selten das erste mahl vollkommen einsieht. »
195 Friedrich Wilhelm Marpurg, Handbuch bey dem Generalbasse und der Composition, Berlin 1762, p. 25 : « In der
galanten Schreibart ist es erlaubt, einen kurzen Rhytmus, bey welchem eine Durtonart zum Grunde liegt, bey
der Wiederholung desselben auf eben denselben Stuffen, in eine Moltonart zu versetzen, worauf man in die
Durharmonie wieder zurücke geht. Dieser Proceß findet aber im geringsten nicht umgekehrt Statt, wenn bey
der zu wiederhohlenden Passage ein Moltonart zum Grunde liegt. »
196 Mattheson, Das Neu-Eröffnete Orchestre, p. 264 : « Hand- und Galanterie-Sachen, als da sind, Ouverturen, So-
naten, Toccaten, Suiten, &c. werden am besten und reinlichsten auff einem guten Clavicordio herausgebracht,

– 300 –
L'invention allemande du style français

sous le nom de Clavier-Übung, Bach utilise le terme « Galanterien » de manière plus spécifique et
plus énigmatique dans le contexte de suites de danses.197 Même si cette collection ne renferme
aucun exemple de changement de mode sur la tonique, elle indique que Bach lui-même pouvait
se servir du terme de « Galanterien » pour désigner certaines danses pour clavier.
Un dernier élément permet de jeter un pont entre l’ancien style français et le nouveau style
galant. On sait que la monumentale collection de pièces pour orgue publiée en 1741 et connue
sous le titre de Clavier-Übung III est introduite par un Praeludium pro Organo Pleno en mi bémol
majeur bwv 552 qui inaugure solennellement l’ensemble par une écriture typique de l’ouverture
à la française, à cinq voix en rythmes pointés. Les deuxième et troisième sections du prélude té-
moignent en revanche d’une orientation stylistique tout à fait différente. Or le second groupe thé-
matique, très mélodieux et galant (Exemple 5.13), ménage un changement de mode entre si bémol
majeur et si bémol mineur (mes. 44) avant de retourner dans le ton majeur (mes. 51). Lors de la
deuxième présentation transposée du même passage, ce changement de mode affecte la tonique,
conduisant de mi bémol majeur à mi bémol mineur puis en majeur (mes. 124-131). On remarque
enfin que dans le troisième groupe thématique, la dominante est touchée plusieurs fois en mode
mineur : on module d’abord de si bémol majeur vers fa mineur (mes. 151) puis de mi bémol majeur
à si bémol mineur (mes. 159-161). On peut se demander si ce changement de mode « galant » a
encore à voir avec la pratique harmonique usuelle dans les « Galanteriesätze » des suites françaises
autour de 1730, où s’il s’agit plutôt de l’adoption d’un procédé complètement différent, présent
par exemple sous la plume de Vivaldi dans les brèves modulations au ton homonyme.198 Quoiqu’il
en soit, on perçoit bien à travers cet exemple qu’en dépit du changement de paradigme observable
vers 1725, l’ancien idéal de la « galanterie » continue sans doute d’irriguer de manière sous-ter-
raine le nouveau « style galant ». Ces liens sont d’ailleurs au cœur de l’enquête que Keith Chapin
consacre au style contrapunctique de Telemann ou encore aux disputes avec la tradition dans
le discours théorique allemand du premier xviiie siècle, à partir d’une et à une autre querelle
célèbre : celle qui opposa Birnbaum et Scheibe autour du style de Bach.199

Exemple 5.13. Johann Sebastian Bach, Praeludium pro Organo pleno bwv 552/1, mesures 43-51.

b j œ j j j b œ b œ œ œ n œ œ œr œ œ n œ œ b œ œ œ œ œ n œ œ œ œ œ j b œ bœ
& b b C œJ œ n œ œ œ œ œ œ œ œ œ n œ œ œ J œ J
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als woselbst man die Sing=Art viel deutlicher, mit Aushalten und adouciren, ausdrücken kan, denn auff den
allezeit gleich starck nach=klingenden Flügeln und Epinetten. »
197 Johann Sebastian Bach, Clavir Ubung bestehend in Praeludien, Allemanden, Courranten, Sarabanden, Giquen,
Menuetten, und andern Galanterien ; Denen Liebhabern zur Gemüths Ergoetzung verfertiget, Leipzig 1731.
198 Brover-Lubovsky, « ‘Die Schwarze Gredel’ », p. 105-131. Bella Brover-Lubovsky, Tonal Space in the Music of
Antonio Vivaldi, Bloomington 2008, p. 91-121.

– 301 –
Chapitre 5

Cosmopolitisme et refus des styles nationaux : Scheibe contre Birnbaum


En 1737, le jeune Johann Adolph Scheibe venait de lancer à Hambourg une nouvelle revue profes-
sant une modernité musicale éclairée, placée sous le signe du rationalisme : le Critischer Musicus.
Quelques semaines seulement après son lancement, en mai 1737, il publiait une attaque en règle
contre le style de son ancien professseur Johann Sebastian Bach, lui reprochant son obscurité, sa
complexité et son manque de naturel.200 Scheibe opposait à Bach les compositeurs galants tels
que Graun et Hasse ainsi que son nouvel ami Georg Philipp Telemann, dont la « flamme raison-
nable » aurait contribué à faire connaître en Allemagne les « genres étrangers de musique » tels
que l’ouverture, et que « les Français eux-mêmes doivent donc remercier pour le grand progrès
qu’il a fait faire à leur musique.201 » Face à cette attaque, le professeur de rhétorique à l’Université
de Leipzig Johann Abraham Birnbaum monta au créneau pour défendre l’honneur de son ami. Sa
réponse, publiée par Scheibe l’année suivante, contenait un passage particulièrement intéressant
à propos de l’habitude de Bach d’écrire en toutes notes les ornementations de la ligne mélodique :
Nous n’avons pas encore complètement réfuté l’impossibilité qu’il y aurait selon l’auteur à jouer ou à
chanter les œuvres de Bach. [Scheibe] ajoute en effet que [Bach] écrit expressément, en toutes notes, tous
les agréments et les petits ornements, enfin tout ce qui est inclut dans la bonne méthode d’exécution. Soit
[Scheibe] relève ce point parce qu’il est propre [à Bach] seulement, ou bien parce qu’il considère que c’est
une faute. Dans le premier cas, l’erreur serait manifeste : [Bach] n’est ni le premier ni le seul à composer
ainsi. Parmi la foule immense de compositeurs que je pourrais citer, je n’en appellerai qu’à Grigny et à
Du Mage, qui se sont servis précisément de cette méthode dans leurs Livres d’orgue. Et dans le deuxième
cas, je ne puis comprendre pourquoi cela mériterait le nom de faute.202

La convocation de Nicolas de Grigny et de Pierre Du Mage au détour d’une phrase n’est pas le fruit
hasard, mais a sans doute été dictée par Bach lui-même, puisqu’il connaissait à fond l’œuvre du
premier, et sans doute du deuxième. Dans la nouvelle querelle de génération qui oppose Scheibe
et Birnbaum, la musique française a donc basculé du côté des Anciens. Scheibe témoigne d’ail-
leurs dans une note de bas de page de son incrédulité face à cette référence surprenante : Grigny
et Du Mage « furent peut-être des gens biens à leur époque », mais les connaisseurs de musique
sont capables de faire la différence entre le répertoire d’orgue et le répertoire vocal.203 Et c’est

199 Keith Chapin, « Scheibe’s Mistake : Sublime Simplicity and the Criteria of Classicism », Eighteenth-Century
Music, 5/2, 2008, p. 165-177. Keith Chapin, « Counterpoint : From the Bees or For the Birds ? Telemann and
Early Eighteenth-Century Quarrels with Tradition », Music & Letters, 92/3, 2011, p. 377-409.
200 Scheibe, Critischer Musicus, 14 mai 1732, p. 62 : « Dieser große Mann würde die Bewunderung ganzer Natio-
nen seyn, wenn er mehr Annehmlichkeit hätte, und wenn er nicht seinen Stücken, durch ein schwülstiges und
verworrenes Wesen das Natürliche entzöge, und ihre Schönheit durch allzugroße Kunst verdunkelte ».
201 Scheibe, Critischer Musicus, 17 sept. 1737, p. 146-147 : « Das vernünftige Feuer eines Telemanns hat auch in
Deutschland diese ausländische Musikgattungen bekannt und beliebt gemacht ; wie ihm denn die Franzosen
selbst eine große Verbesserung ihrer Musik zu danken haben. »
202 Johann Abraham Birnbaum, « Unparteyische Anmerkungen über eine bedenkliche Stelle in dem sechsten
Stücke des critischen Musicus », in : Scheibe, Critischer Musicus, p. 854 : « Jedoch ist hiermit der von dem Ver-
fasser vorgewendeten Unmöglichkeit, die bachischen Stücke zu spielen, oder zu singen, noch nicht abgehol-
fen. Er setzt an denselben noch weiter aus: daß der Herr Hofcompositeur alle Manieren, alle kleine Auszierun-
gen, und alles, was man unter der Methode zu spielen versteht, mit eigentlichen Noten ausdrücke. Entweder
merkt der Verfasser dieses an, als etwas, das dem Herrn Hofcompositeur allein eigen seyn soll; oder er hält
es vor einen Fehler überhaupt. Ist das erstere: so irrt er sich gewaltig. Der Herr Hofcompositeur ist weder der
erste, noch der einzige, der also setzet. Unter einer zahlreichen Menge Componisten, so ich dießfalls anfüh-
ren könnte, berufe ich mich nur auf den Grigny und Du Mage, welche in ihren Livres d’Orgue sich eben dieser
Methode bedienet haben. »
203 Johann Adolph Scheibe, « Beantwortung der unparteyischen Anmerkungen », in : Scheibe, Critischer Musi-
cus, p. 854 : « Grigny und Du Mage mögen zwar zu ihrer Zeit ein Paar gute Leute gewesen seyn ; allein, daß
ihre Livres d’Orgue des Herrn Magisters Meynung von der Nothwendigkeit des Ausdrucks der Manieren in
starken Instrumental= und Vocalstücken, als von welchen der Verfasser des Briefes redet, bestärken sollten,
erfordert einen großen Glauben. Kenner der Musik werden allerdings einen Unterschied unter bloßen Orgel-
sachen und unter andern vielstimmigen Vocal= und Instrumentalmusik machen. »

– 302 –
L'invention allemande du style français

bien aussi pour cette raison que Scheibe peut conclure sa seconde salve d’attaques, rédigée après
la défense de Birnbaum, par une superbe pointe :
Ce que l’on appelle le goût à la nouvelle mode et qui, selon le jugement rassis de Monsieur l’auteur
impartial des Remarques, est corrompu, ce goût pourrait bien être beaucoup plus fondé et plus naturel
que le goût vieux francique [altfränkischer] de ceux qui, avec Monsieur l’auteur, préfèrent la contrainte
à la nature.204
Préférer la contrainte à la nature : ce serait selon Scheibe la marque d’un goût « vieux francique »
partagé par Bach et ses thuriféraires. Cet adjectif péjoratif est à n’en pas douter une pique contre
le vieux répertoire d’orgue français cité par Birnbaum. Il est donc clair que la musique française a
désormais changé de genre et de camp : elle n’est plus du côté de l’opéra, de l’ouverture, du naturel
et de la galanterie, mais elle représente au contraire par le biais des livres d’orgue un répertoire
savant, obscure et pédant, à l’opposé du style galant prôné par Scheibe.
En fait, cette querelle n’a pas pour seul enjeu la musique de Bach. On pourrait même dire
que ce n’est pas là son enjeu principal : ce qu’elle met au jour, c’est d’abord la confrontation de
deux mondes qui diffèrent radicalement sur le plan intellectuel aussi bien que sur le plan social.
D’un côté Scheibe, issu d’un milieu modeste, ayant échoué à obtenir le poste d’organiste à la
Thomaskirche de Leipzig lors du recrutement de 1727, et ayant quitté sa ville natale pour la bouil-
lonnante métropole qu’était alors Hambourg. De l’autre Birnbaum, fils de juriste et juriste lui-
même, né et mort à Leipzig où il avait repris l’étude de son père, faisant partie du monde tran-
quille des notables de la ville. On perçoit bien ce que ces deux trajectoires ont de radicalement
opposé, et la nécessité de prendre en compte l’affrontement social qui se joue ici entre les deux
hommes pour mesurer avec justesse leurs prises de position respectives.
Mais au-delà de la différence sociale entre les deux hommes et des réflexes de classe qui
s’expriment dans leurs écrits, ce sont aussi deux mondes intellectuels et deux conceptions de la
musique qui s’opposent. D’un côté, Scheibe défend avec fougue le style nouveau contre les ten-
tations conservatrices de son adversaire, en mobilisant pour cela un arsenal argumentatif tout
droit issu des Lumières naissantes : raison, naturel, simplicité. Son style est limpide, pragmatique,
très structuré et ne s’embarrasse pas de détails superflus. Il se pose d’ailleurs en « connaisseur
impartial de la musique », par opposition au « docteur » Birnbaum qui prend la défense de Bach
en insistant sur le travail, le savoir-faire, le caractère subjuguant de la science du contrepoint.205
Comme on peut le sentir dans la citation donnée ci-dessus, le style argumentatif de ce dernier est
beaucoup plus scolastique, procédant de façon ramifiée par distinctions successives davantage
que par grands ensembles de concepts. Il ne semble pas comprendre le réseau serré d’opposi-
tions tissé par son adversaire – naturel contre artifice, simplicité contre confusion, rationalité
contre ratiocination – et choisit de réfuter point par point les positions de Scheibe sans parvenir
à s’échapper du système argumentatif déployé par ce dernier.
En fait, Scheibe plaidait plus radicalement pour l’abandon des styles nationaux et l’avène-
ment d’un style cosmopolite. C’est au nom d’un style musical moderne, débarrassé du provin-
cialisme et des particularismes des styles nationaux d’Ancien Régime, qu’il attaquait son ancien
maître Johann Sebastian Bach. En septembre 1737, Scheibe attaque frontalement cette question
dans un article polémique qui débutait par l’application à la musique d’une formule frappante :
« Tous ceux qui pensent bien n’écrivent pas bien ; mais tous ceux qui écrivent bien doivent néces-
sairement bien penser.206 » Dans la suite du texte, Scheibe s’attaquait déjà au « style ampoulé »

204 Scheibe, Critischer Musicus, p. 886 : « Es dürfte allso der so genannte neumodische Geschmack, der nach dem
reifen Urtheile des unpartheyischen Herrn Verfasser der Anmerkungen, zwar verdorben ist, weit gegründe-
ter und natürlicher seyn, als der altfränkische Geschmack derjenigen, welche mit dem Herrn Verfasser den
Zwang der Natur vorziehen. »
205 Scheibe, Critischer Musicus, p. 843.
206 Scheibe, Critischer Musicus, p. 131 : « Nicht alle, die gut denken, schreiben auch gut ; aber alle, die gut schreiben,
müssen nothwendig gut denken. Dieser Satz ist in der Musik eben so allgemein, als in andern Wissenschaften. »

– 303 –
Chapitre 5

(« schwülstige Schreibart ») dont il dénonçait la complexité pédante mais aussi l’hétérogénéité anar-
chique :
Nous trouvons dans la plupart de ces pièces un ensemble hétérogène, confus et désordonné. On écrit
une ligne dans le style élevé, l’autre dans le style moyen, et la troisième enfin dans le style bas. Ici un
passage français, mais là un passage italien. Tantôt apparaît un mouvement théâtral, tantôt un autre qui
conviendrait à l’église. Vraiment, tout est si chaotique et si confus qu’on ne peut même pas démêler un
style prédominant, ou même l’expression de quelque chose. […] Cette hétérogénéité provient aussi de ce
que l’on mélange les caractères de pièces françaises, italiennes, allemandes ou autres, sans réfléchir une
seconde au fait que chaque pièce nécessite d’être élaborée en vue d’elle-même.207

C’est aussi l’idée développée par Quantz dans son Essai de 1752. Le traité s’achève en effet sur
une entreprise en apparence banale : il s’agit de « caractériser brièvement Musique nationale des
Italiens, & celle des François, considerées chacune de son meilleur coté, & faire la comparaison de
ces deux gouts.208 » Mais après avoir dressé la liste des différences, le traité finissait sur un appel
vibrant à l’adoption d’un style musical débarrassé des particularismes nationaux et capable de
trouver l’assentiment de tous. En fait, le projet cosmopolite de Quantz peut être compris comme
un véritable projet de paix perpétuelle, fondé sur l’idée que le progrès musical et l’union des styles
produira « avec le tems un bon gout universel dans la Musique. » On a ici l’expression d’un pro-
gressisme musical visionnaire et placé sous le signe de l’universalité qui n’est pas sans rappeler le
projet de paix perpétuelle esquissé quarante ans plus tard par Immanuel Kant.

Sous le signe des anti-Lumières musicales ? Marpurg et Agricola


Quelques années avant la Querelle de Bouffons, la dispute entre Marpurg et Agricola autour de
la musique française symbolise de manière peut-être encore plus frappante que la précédente un
nouveau scepticisme allemand à propos de la musique française, mais aussi l’inversion complète
de la charge idéologique dont celle-ci était porteuse dans l’espace germanique jusque dans les
années 1720. Dans le premier numéro de la revue Der Critische Musicus an der Spree, le très conser-
vateur et francophile Marpurg essayait de convaincre son lectorat que l’admiration portée à la
musique italienne par le public allemand était exagérée. Invitant ses compatriotes à relever la
tête et à ne pas juger toutes les productions musicales à l’aune de l’Italie, le rédacteur les invitait
à suivre l’exemple des Français :
Nous suivons en cela les Français. Chez eux, on n’examine pas si tel Allegro ou tel autre est écrit dans le
goût italien, mais seulement s’il est écrit avec bon goût. Un incomparable Leclair ou un Mondonville,
qui sont des maîtres éprouvés dans l’art de toucher les cœurs, laisseraient volontiers à d’autres l’honneur
d’être désignés comme Veracini ou Paganelli français ; et un Calvière ou un Daquin ne feraient qu’en rire,
si l’on s’avisait de qualifier leur heureuse manière de toucher l’orgue de scarlattiste. Les auteurs des splen-
dides motets qui sont joués à la chapelle de Versailles pendant la messe de midi n’ont encore jamais cher-
ché à faire croire aux gens qu’on devait tenir leurs ouvrages pour des imitations de l’art du chant italien.209

207 Scheibe, Critischer Musicus, p. 134-135 : « Wir finden aber in den meisten Stücken ein ungleiches, verwor-
renes und unordentliches Wesen. Man hat in einer Zeile hoch, in der andern mittelmäßig, und in der dritten
endlich gar niedrig geschrieben. Hier stehen französische, dort aber italienische Stellen. Bald zeiget sich ein
theatralischer Staz, bald auch ein anderer, der sich in die Kirche schickte. Ja, alles ist so bunt und so kraus
durcheinander gemischet, daß man keinesweges eine herrschende Schreibart, oder einen gehörigen Ausdruck
der Sachen finden wird. […] Diese Ungleichheit wird auch verursachet, wenn man die Charactere der fran-
zösischen, italienischen, deutschen, oder anderer Stücke, unter einander wirft, ohne zu bedenken, daß jedes
Stück seine eigene Ausarbeitung erfordert. »
208 Quantz, Essai d’un méthode, p. 325.
209 Friedrich Wilhelm Marpurg, Des Critischen Musicus an der Spree, vol. 1, Berlin 1750, p. 2 : « Wir folgen hie-
rinnen den Frantzosen nach. Man untersuchet nicht bey ihnen, ob dieses oder jenes Allegro nach dem italiä-
nischen, sonder ob es in dem guten Geschmack geschrieben ist. Ein unvergleichlicher Leclair oder Mondon-
ville, diese in der Kunst, die Hertzen zu rühren, so erfahrnen Meister, würden gerne die Ehre einem andern
überlassen, wenn man ihnen die Beynamen der frantzösischen Veracini oder Paganelli gäbe ; und ein Calviere
oder Daquin würde nur drüber lachen, wenn man die ihnen eigene glückliche Art, die Orgel zu schlagen, die

– 304 –
L'invention allemande du style français

Il est remarquable que le répertoire choisi par Marpurg comme défense et illustration de l’indé-
pendance des Français soit placé sous le signe de la musique instrumentale et religieuse. C’est au
contraire en prenant appui sur le répertoire lyrique que, sous le pseudonyme italien d’un « musi-
cien voyageur », Johann Friedrich Agricola publia une réponse ironique où il tournait en ridicule
le patriotisme musical de son collègue berlinois, et mettait en évidence le caractère dépassé du
style français, et plus généralement de la distinction entre différents styles nationaux, et réclamait
leur abandon au nom de valeurs tout droit issues des Lumières – liberté, simplicité, clarté :
Je confesse sans y être obligé que la plupart des compositeurs français, aussitôt qu’ils ne copient pas les
étrangers, laissent bien trop peu de liberté à leur imagination musicale, suivent leur Lully de manière
bien trop servile, s’oublient bien trop rarement, et composent aujourd’hui quasiment la même chose
que l’année dernière, ou même que ce que leurs grand-pères ont déjà composé il y a bien longtemps ; et
qu’il doit leur être bien facile d’exprimer des idées pour la plupart très communes à travers leurs chiffres
bizarres, car ils ne sortent jamais du cercle des tournures les plus banales. 210

La réponse de Marpurg ne se fit pas attendre : dans le numéro du 25 mars 1749, il entamait une
longue réponse qui occupa cinq numéros pleins. Ce qui est intéressant ici n’est pas tant la nature
des arguments échangés, que la place singulière occupée par la musique française dans le champ
du discours musical berlinois à la veille de 1750. Marpurg, qui ne manque jamais une occasion
de donner des nouvelles de la vie musicale parisienne et professe apparemment pour la France
une admiration aiguillonnée par son voyage à Paris, est aussi un grand spécialiste du contrepoint
et un défenseur de la fugue. À l’inverse, Agricola défend des options esthétiques plus modernes
et un positionnement musical plus ouvert. Comme dans le cas de la querelle entre Scheibe et
Birnbaum, l’opposition entre musique française et musique italienne semble recouvrir et condi-
tionner un rapport symétriquement opposé à la modernité musicale, la première tombant dans
l’orbite de ce l’on pourrait appeler en exagérant à peine les anti-Lumières musicales.211
Tout se passe donc comme si les admirateurs germanophones de la musique française se
concentraient, à partir des années 1750, sur le répertoire religieux et le répertoire pour clavier :
Quantz note ainsi, nous l’avons vu, qu’il préfère la musique d’église qu’il a entendue au Concert
spirituel et au Concert italien à tous les opéras auxquels il a pu assister à l’Académie royale de
musique. De même, Birnbaum cite le répertoire d’orgue. Marpurg suit cette même voie, mettant
en valeur les motets entendus à la Chapelle royale et la musique pour clavier (clavecin et orgue)
alors que son adversaire Agricola se concentre surtout sur la musique d’opéra. Les différences
d’appréciation du style français semblent dont recouper non seulement un type de rapport à la
modernité musicale, mais encore des préférences de répertoire qui vont dans un cas vers l’opéra,
dans l’autre vers la musique d’église et la musique pour clavier et orgue. Ceci est d’autant plus
frappant qu’on ne peut pas soupçonner Agricola d’avoir ignoré le répertoire pour orgue fran-
çais : tout comme Marpurg qui s’en fait le défenseur, il a copié de larges pans d’un répertoire

Scarlattische betiteln wollte. Die Verfaßer der prächtigen Moteten, die in der Capelle zu Versailles zur Mit-
tagsmesse abgesungen zu werden pflegen, haben noch niemals die Leute zu bereden gesucht, daß man ihre
Ausarbeitungen für Copien der welschen Singart halten sollte. »
210 Flavio Anicio Olibrio [Johann Friedrich Agricola], Schreiben eines reisenden Liebhabers der Musik von der Tyber,
an den critischen Musikus an der Spree, 1749, p. 4 : « Ich bekenne, ohne daß man es von mir verlanget, daß die
meisten Französischen Setzer, so lange sie nicht die Ausländer auschreiben, ihrer Einbildung in der Musik
allzu wenig Freyheit erlauben, dem Lully aber gar zu sclavisch folgen, sich gar zu selten vergessen, sondern
heute bey nahe eben dasselbe wieder setzen, was sie von dem Jahre gesetzt, oder was ihre Groß=Väter schon
vor langer Zeit gesetzt haben: und daß es ihnen sehr leicht vorkommen muß, ihre meistentheils sehr gemeinen
Gedanken durch ihre eigensinnigen Ziffern auszudrucken, weil sie sich immer nur in denen gewöhnlichsten
Gängen herum drehen. » Pour la suite de la dispute entre Marpurg et Agricola, voir les documents rassem-
blés par Hans-Günter Ottenberg, Der Critische Musicus an der Spree. Berliner Musikschrifttum von 1748 bis 1799,
Leipzig 1984, p. 83-106.
211 Voir notamment Didier Masseau, « Qu’est-ce que les anti-Lumières ? », Dix-huitième siècle, 46/1, 2014, p. 107-
123. Pour une présentation de Johann Sebastian Bach comme critique des Lumières, voir par exemple Dreyfus,
Bach and the Patterns of Invention, p. 219-245.

– 305 –
Chapitre 5

d’orgue français dans les compilations manuscrites aujourd’hui conservées à Berlin. C'est donc
au nouveau rapport entre la musique française, les Lumières et la modernité que nous engagent
à réfléchir ces controverses, qui signalent non seulement une recomposition profonde du paysage
musical germanique entre 1730 et 1750, marquée par le déclin paradoxal de la galanterie et du
goût pour la musique française au moment de l’essor du style galant – mais aussi, plus fondamen-
talement, l’émergence d’une conception radicalement nouvelle de la musique, traversée par les
valeurs d’universalité et de cosmopolitisme, au sein de laquelle la question des styles nationaux
n’a plus sa place.

– 306 –
Conclusion
L’année 1733 comme terminus

Même si les dernières pages de ce livre se sont aventurées bien au-delà de l’année 1733, celle-ci
marque indéniablement la fin de l’enquête et le terminus de l’ouvrage. La rupture majeure qui sur-
vient alors dans les transferts musicaux entre la France et l’espace germanique est symbolisée par
la convergence spectaculaire de trois évènements musicaux très différents qui marquent chacun
à leur manière la fin d’une époque musicale, tant sur le plan du patronage de musique française
et des représentations associées au style français en Allemagne que du point de vue de l’identité
même du théâtre musical français. En mars 1733, un mois après la mort d’Auguste le Fort, le
nouveau prince électeur de Saxe et roi de Pologne renvoyait presque tous les musiciens français de
la Hofkapelle de Dresde, mettant fin au dernier ensemble musical permanent de l’Empire où les
Français étaient encore largement représentés. Au-delà de ses motivations immédiates, la portée
de ce geste était considérable puisqu’elle signait l’arrêt de la présence vivante de musiciens français
dans l’Empire. Le même mois, Christian Förster écrivait à Telemann pour lui confirmer qu’il avait
payé sa souscription à la publication de la Musique de Table, dont la parution avait été annoncée
par la presse hambourgeoise en novembre et décembre 1732 et qui allait sortir incessamment.
Véritable précis de composition instrumentale précédé d’une impressionnante liste de plus de 200
souscripteurs qui témoignait de son ambition cosmopolite, cet ensemble de trois « productions »
portait un regard distancié et rétrospectif sur l’ouverture et sa suite à la française en l’inscrivant
dans un catalogue de genres instrumentaux très divers, la figeant de ce fait en objet de patrimoine
et en cliché musical. Six mois plus tard enfin, les premières notes d’Hippolyte et Aricie résonnaient
sous les voûtes de l’Académie royale de musique. Première tragédie en musique de Jean-Philippe
Rameau, cette œuvre créée le 1er octobre 1733 renouvelait complètement les cadres de l’un des
genres musicaux les plus éminents en France, mais provoquait aussi une crise d’identité profonde
qui allait nourrir l’une des plus grandes querelles sur le destin de l’opéra français, sur la place du
canon louis-quatorzien et sur l’héritage de Lully. Point de rupture décisif sur le plan musical à
Dresde, à Hambourg et à Paris, l’année 1733 sonnait donc le glas d’une certaine musique française
et de son destin allemand – tout en ouvrant un nouveau chapitre et conduisant l’opéra français
sur des chemins inexplorés.
Au-delà de la coïncidence produite par ce remarquable alignement des planètes, ces trois
secousses sont aussi l’aboutissement d’un ensemble de phénomènes qui couraient de façon sous-
terraine depuis quelques années et avaient partie liée avec la crise profonde de l’idéal galant. En
effet, c’est bien à une remise en question radicale des codes de la galanterie propres à la tragédie en
musique que procédait l’œuvre de Rameau et Pellegrin, et c’est aussi comme cela que l’on peut com-
prendre sa nouveauté inouïe et les réactions démesurées qu’elle provoqua parmi le public parisien.
En proposant sa propre version de Phèdre, qui fourmille d’allusions à la pièce de Racine tout en
procédant à un profond remaniement de l’intrigue, Simon-Joseph Pellegrin touchait au cœur du
canon tragique louis-quatorzien et à l’un des monstres sacrés de la littérature théâtrale française.
À plus de soixante ans de distance, la Querelle des ramistes et des lullystes rejouait d’ailleurs dans
une certaine mesure la Querelle des sonnets qui avait accueilli la création de Phèdre.

– 307 –
Conclusion

Signe de son audace, le librettiste s’attaquait même à l’unité de lieu, décalant le change-
ment de décor à la 3e scène du cinquième acte au lieu de le faire coïncider avec l’entracte. Cette
grave atteinte à l’un des fondements de l’esthétique classique, beaucoup commentée, était relevée
sobrement par le Mercure de France dans le compte rendu de l’opéra paru juste après sa création,
avant que ne soit expliquée la marche arrière effectuée toutes affaires cessantes par Pellegrin et
Rameau :
Au Ve Acte, le Théatre ne change qu’à la troisiéme Scene. […] On a retranché ces deux premieres Scenes
qui produisoient quelque irrégularité contre l’unité de lieu, par le changement de Scene, dans le même
Acte. L’Auteur avoit prévenu l’objection dans sa Préface ; mais le Public ne s’y étant pas prêté, il n’a pas
balancé à le satisfaire.1
Pellegrin avait en effet prévenu les objections éventuelles dans la préface de son livret en citant
l’exemple de Quinault, le « créateur du genre » qui avait donné de nombreux exemples d’irrégu-
larités de ce type.2 Mais sans doute encore davantage que cette licence manifeste, que la difficulté
de la partition ou le caractère savant de la composition musicale, plus encore que quelques inno-
vations particulièrement spectaculaires de Rameau ou l’irrévérence de Pellegrin par rapport à
Racine, le cœur du problème se situait visiblement autre part.
On ne peut en effet qu’être intrigué par ce commentaire du Mercure de France sur une scène
de l’Acte II : « Cette Scene est sans contredit la plus belle de la Tragédie, tant du côté du Poëte, que
de celui du Musicien. » La scène singularisée ici n’était pas celle du légendaire Trio des Parques,
resté dans la mémoire collective comme un des points culminants de l’opéra, logiquement situé
à la fin du deuxième acte, à la fois sombre prémonition de la tragédie qui s’annonce et lieu de la
principale innovation musicale de Rameau par l’utilisation du genre enharmonique. Ce n’était pas
non plus l’un des grands airs de monologue de Thésée ou de Phèdre, ni l’une des scènes de décla-
ration amoureuse passionnée qui rythment l’opéra et situent celui-ci dans la lignée de la tradition
galante propre à la tragédie en musique. En fait, cet éloge formulé en passant s’appliquait à la scène
infernale où Thésée déclare sa passion pour son ancien compagnon d’armes Pirithoüs et supplie
Pluton de pouvoir aller le rejoindre aux Enfers, juste avant le déchaînement de fureur aveugle qui
caractérise toute la fin du deuxième acte jusqu’à l’intervention bienfaisante de Neptune :
Pluton reproche à Thésée le coupable projet qu’il a formé avec Pirythoüs d’enlever Proserpine. Thésée se
justifie autant qu’il lui est possible. Pluton le renvoie au Tribunal des trois Juges des Enfers. Cette Scene
est sans contredit la plus belle de la Tragédie, tant du côté du Poëte, que de celui du Musicien. Pluton
invite toutes les Divinitez infernales à le vanger [sic]. Thésée revient, suivi de la Furie vangeresse ; ne
pouvant revoir son ami que par le secours de la mort. Il l’implore.3
Ce commentaire, qui souligne à juste titre l’extraordinaire intensité dramatique, morale et mu-
sicale du dialogue entre Thésée et Pluton – dialogue quasiment philosophique qui touche des
questions aussi centrales que celles du bien et du mal, de la valeur de l’amitié, de la culpabilité et
de la faute, du caractère transitif de la gloire et du désir de mourir – semble avoir été entre autres
motivé par un bref mais superbe exemple d’hypotypose musicale : lorsque Thésée évoque ses
combats passés avec son ami, il semble ressusciter Pirithoüs et soulever à nouveau sur la scène
du théâtre la poussière des armes et les sonneries de trompette à travers un air de basse martial
et viril accompagné par les violons (« Sous les drapeaux de Mars unis par la valeur, je l’ai vu sur
mes pas voler à la victoire »). Le Mercure ne décernait d’ailleurs pas à la musique de Rameau ses
épithètes habituels d’agréable, de charmante ou de touchante, mais la qualifiait au contraire de

1 Mercure de France, oct. 1733, p. 2246. Voir en particulier Graham Sadler, « Rameau, Pellegrin and the Opéra :
The Revisions of “Hippolyte et Aricie” during Its First Season », The Musical Times, 124/1687, 1983, p. 533-537.
Geoffrey Burgess, « “Le théâtre ne change qu’à la troisième scène”. The Hand of the Author and Unity of Place
in Act V of “Hippolyte et Aricie” », Cambridge Opera Journal, 10/3, 1998, p. 275-287.
2 Simon-Joseph Pellegrin, Hippolyte et Aricie, Paris 1733, p. v.
3 Mercure de France, oct. 1733, p. 2239-2240. Sur cette scène, voir Lois Rosow, « Structure and Expression in the
scènes of Rameau’s “Hippolyte et Aricie” », Cambridge Opera Journal, 10/3, 1998, p. 259-273.

– 308 –
L’année 1733 comme terminus

« Musique mâle et harmonieuse » et insistait sur « ce qu’elle a de sçavant pour l’expression ».4 On
ne pouvait rêver de plus bel enterrement de la tradition galante, ni un aveu plus net du fait que
l’opéra français empruntait à présent des chemins neufs et inexplorés.
Il n’est donc pas étonnant de constater qu’à la différence de ses prédécesseurs, la musique
de Rameau ne semble avoir été ni jouée ni copiée dans l’espace germanique. Ceci ne signifiait pas
une disparition complète mais un autre mode de présence, plus subliminal, plus confidentiel et
plus sous-terrain : le corpus théorique de Rameau conserva ainsi une influence profonde mais
largement controversée dans le discours musical allemand jusqu’à la fin du xviiie siècle.5 Quant
à ses compositions, elles circulaient parfois sous forme imprimée mais n’étaient connues que
par un cercle assez restreint de spécialistes, ainsi qu’en témoigne notamment la correspondance
entre Telemann et Graun en 1751-1752 à propos du récitatif français, où la place de Rameau est
importante mais là encore ambiguë et critiquée.6 C’est aussi sur fond de cette métamorphose
radicale que l’on peut finalement relire et mieux comprendre la célèbre péroraison de la Lettre
sur la musique française publiée l’année suivante par Rousseau. En effet, ce n’est qu’en raison du
profond changement de statut de la musique française entre 1733 et 1753 et d’une présence désor-
mais très atténuée dans l’espace européen que le philosophe pouvait affirmer sans crainte d’être
incompris : « D’où je conclus que les Français n’ont point de musique et n’en peuvent avoir, ou que
si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux.7 »

4 Mercure de France, oct. 1733, p. 2249.


5 Ludwig Holtmeier, Rameaus Langer Schatten. Studien zur deutschen Musiktheorie des 18. Jahrhunderts, Hil-
desheim 2017.
6 Telemann, Briefwechsel, p. 264-306.
7 Jean-Jacques Rousseau, Lettre sur la musique française, in : Œuvres complètes, vol. 5, p. 328.

– 309 –
Sigles utilisés

AAE Archives du Ministères des Affaires Étrangères


AD Archives départementales
AN Archives Nationales
A-Wn Vienne, Oesterreichische Nationalbibliothek
BAHild Bistumsarchiv Hildesheim
BA Osnabrück Bistumsarchiv Osnabrück
BD I-III Bach Dokumente, vol. 1-3
DA Bautzen Diözesanarchiv des Bistums Dresden-Meißen, Bautzen
D-B Berlin, Staatsbibliothek
D-Dl Dresde, Sächsische Landes- und Universitätsbibliothek
D-DS Darmstadt, Universitäts- und Landesbibliothek
D-F Francfort, Universitätsbibliothek Johann Christian Senckenberg
D-HAu Halle, Universitäts- und Landesbibliothek
D-Hs Hambourg, Staats- und Universitätsbibliothek Carl von Ossietzky
D-HVl Hanovre, Niedersächsische Landesbibliothek Hannover
D-ROu Rostock, Universitätsbibliothek
F-Pn Paris, Bibliothèque nationale de France
F-V Versailles, Bibliothèque municipale
GB-Lbl Londres, British Library
GStA PK Geheimes Staatsarchiv Preußischer Kulturbesitz Berlin
HHA Hallische Händel-Ausgabe
HStA Dresden Sächsisches Hauptstaatsarchiv Dresden
HStA Weimar Thüringisches Hauptstaatsarchiv Weimar
LHA Schwerin Landeshauptarchiv Schwerin
MGG Die Musik in Geschichte und Gegenwart
NBA Neue Bach-Ausgabe
NLAH Niedersächsisches Landesarchiv Hannover
NLAO Niedersächsisches Landesarchiv Osnabrück
NLAW Niedersächsisches Landesarchiv Wolfenbüttel

– 311 –
Sources imprimées

Livrets imprimés
Celle
Balet | des amours de mars et | de venus | ou | le vulcan jaloux. | Cel le 9. Fevrier 1674
Prologue | & | argument | de la comedie | Du | cavalier duppé, | Entremêlée de chants &
de danses, | Et | representée sur le Theâtre de Cell, | Devant leurs altesses serenissimes, | le
[insertion manuscrite dans l’espace : 7] de Juin [corrigé en : juillet] m. dc. lxxxv. | [motif floral]
| a celle, | [frise] | Chez andre holvvein.

La Discorde Foudroyée | representee dans un | Ballet | Entremelé de Recits, Voix &


Symphonies sur le | grand theatre de Zelle pour le Mariage de | Leurs Altesses Serenissimes
Monseigneur le | Prince | george louis | & | Madame la Princesse | sophie dorothee | de
Brounsvic & Lunebourg. | Le 23. Novembre l’an m dc lxxxii.

Le | triomfe | germanique, | balet, | Dansé au Château de Cell, | Le 16. de Janvier m. dc.


lxxxvii. | pour le glorieux succez | des armes de l’empire | contre les turcs: | Et à la
memoire du Jour heureux | de la naissance de s.a.s. Monsgr. le duc. | a cell, | Par andre
holw. 1688.

Europe, | pastorale | heroique, | ornée | De Musique, de Dances, de Machines, | & de


Changemens de Theâtre: | & | representée | Au Château de Cell, | Devant Leurs Altesses
Serenissimes, | Le [espace blanc] de Janvier. m. dc. lxxxix. | Typ. Andreae Holwin.

Dresde
le | theatre | des | plaisirs | Presenté a la Majesté de | frideric auguste | Second, roy de
Pologne & | Electeur de Saxe. | par | Le Sr. Ange de Constantini, Camerier | intime, Tresorier des
menus plaisirs, & Garde de | bijoux de la Chambre du roy, | & | Representé en Presance de Sa
Majesté | Le roy de Danemarck. | A Dresden ce [espace blanc] 1709.

Les quatre Saisons, | Divertissement de Musique | & de Dance, | pour célébrer | le | mariage | De
Son Altesse Royale | De Pologne & Electo- | rale de Saxe, | 1719. | Dresde | Chéz Jean Conrad
Stössel, Imprimeur de la Cour.

Mirtil, | Pastorale | en Musique, | Ornée de Ballets; | Représentée par les Pensionnaires


dans | les Plaisirs du Roy. | A Dresden, Chez Jean Conrad Stössel, Imprimeur de la
Cour. | m dcc xxi.

Le | triomphe | de | l’amour, | divertissement | en musique | orné de Ballets | pour le


carnaval | de l’année 1725. | A Dresde, par Jean Conrad Stösssel, Imprimeur de la Cour.

– 313 –
Sources imprimées

Güstrow
Die Lust der Music | Ballett | Auff befehl des | Durchleuchtigsten Fürsten und | Herrn |
Herrn Gustaff Adolphen/ | Herzogen zu Mecklenburg/ Für- | sten zu Wenden/ Schwerin und
Ratzeburg/ | auch Graffen zu Schwerin/ der Lande Rostock | und Stargard Herrn. | In Ge-
genwart vieler | Fürstlichen Persohnen | Getantzet | in | Dero Residenz Güstrow | Den 1.
Martii Anno 1671. | Güstrow/ | Gedruckt durch Christian Scheippeln. Anno 1671.

Hambourg
Acis | et | Galatee | pastorale heroique | en | musique. | acis und galatee | In ei-
nem | Sing=Spiel | vorgestellet. [1689]

Achile & polixene | tragedie | en | musique. | Die unglückliche Liebe | Des | achilles | Und
der | polixena, | In einem Sing=Spiel vorgestellet/ nach der | Frantzösischen Musik. | Anno
1692.

Acis | Und | Galatée | In einem | Singe=Spiel/ | Auff | Dem Hamburgischen Thea-


tro | vorgestellet. | Im Jahr 1695.

Der Beschluß | des | carnevals | opera comique, | auf dem |Hamburgischen | Schau=Platze
| vorgestellet/ | Im Monat Februarii Anno 1724. | [règle] | Gedruckt bey Caspar Jakhel/ auf
dem Dom Kirchhofe

Hanovre
La chasse | de | Diane | Balet Champestre | Dansé | sous une grande feuillée | au
grand jardin du leiné | en presence | de la reine | mere du roy | de dannemarc. | Pour
le Divertissement | de Sa Majesté. | A Hannovre. | Imprimé par Wolfgang Schwendimann
cyd. Impr. Duc. | m. dc. lxxxi.

le charme | de | l’amour, | mascarade mise en balet | Dansé | sur le grand theatre


d’hannover | par | madame | la princesse | en presence de leurs | altesses sere-
nissimes | au retour | de | monseigneur le duc | son pere, | a qui elle donne de
divertissement | de | carnaval. | [ornement] | Imprimé à Hannover par Wolfegnag
Schwendimann. | m. dc. lxxxi.

Prologue | en | rejoüissance | du mariage | de leurs | altesses serenissimes | Monseigneur


le prince | george | louis | et | madame la princesse | sophie | dorothée | de la
tres haute et tres | puisante [sic]maison de brunswic | lunebourg, &c. &c. | Par leur
tres humble, tres obeissant & tres respectueux | Serviteur | de chasteauneuf. | Imprimé à
Hannover par Wolfgang Schwendimann [1682].

Prologue | Meslé de recits, de Machines, de Musique, & de Ballets, | en | réjoüissance | de


l’heureux mariage | de leurs altesses serenissimes | monseigneur | le prince | electo-
ral | de brandebourg | et | madame la princesse | sophie | charlotte | duchesse | de
brunswic et lunebourg. | Par | Leur tres humble, tres-obeissant & tres-respectueux | Ser-
viteur | De Chateauneuf. | Imprimé à Hannover par Wolfgang Schwendimann | Imprimeur
Ducal. L’An 1684.

Prologue | Sur lh’eureuse [sic]Naissance | du jeune prince frederic auguste |


fils | de leurs altesses serenissimes | monseigneur | le prince | electoral | de
brandebourg | et | madame la princesse | sophie | charlotte | duchesse | de brunswic et
lunebourg. | Par | leur tres humble & tres Repectueux | Serviteur | de Châteauneuf. | Imprimé
à Hannover par Georg Friderich Grimm, Imprimeur Ducal. L’An 1685.

– 314 –
Sources imprimées

Le Triomphe de la Paix | Balet | Dancè sur le grand theatre de Hannover le | 1685. En rejouis-
sence | de l’heureuse naissance | du jeune prince | frederic | auguste | fils | de leurs al-
tesses serenissimes | monseigneur | le prince | electoral | de Brandebourg | et | ma-
dame la princesse | sophie | charlotte | duchesse | de brunsvic et lunebourg. | Im-
primé à Hannover par Georg Friedrich Grimm, Imprimeur | Ducal. L’An 1685.

Hildburghausen
Char=Freytags=Musique, | Welche | zu seliger Betrachtung der Erlösung | Jesu Christi, |
So für unsere Sünde geschehen ist, | Von dem berühmten Mons. de Lully, | Ober-Capell-
meister | Jhro Königl. Maj. in Franckreich [et]c. [et]c. | componiret. | Alleine auf gnädigsten
und hohen Befehl | Des | Durchlauchtigsten Fürsten und Herrn, | Herrn | Ernst Friedrichs,
II. | Hertzogen zu Sachsen, | Jülich, Cleve und Berg auch Engern und Westphalen, [et]c. | Jn
Hoch-Fürstl. Schloß=Capelle | nicht sonder viele Erweckung deren Seelen aufgeführet, | und
ausgetheilet worden | den 15. April. 1740. | [règle] | Hildburghausen, | Drucks Johann Mel-
chior Pentzold, Fürstl. Hof=Buchdrucker.

Wolfenbüttel
Proser- | pine | tragedie. | Representée | à | Wolffenbuttel | m dc lxxxv. | A Wolffenbut-
tel, | Imprimé par caspar jean Bismarck.

Proserpine [synopsis en allemand qui correspond au livret ci-dessus]

Psyché | tragedie | representée | au Theatre Ducal de Wolfenbuttel | au mois d’Aoust


l’année | m dc lxxxvi. | La musique est composée par Mons. Jean | Baptiste de Lully, | les
Ballets par Mons. Nanquer Maistre de Dance | de la Cour. | Imprimé à Wolffenbuttel, | par
Caspar Jean Bismarck.

Thesee | tragedie | En Musique | representée | au Theatre Ducal de | Wolffenbuttel | au mois


d’Aoust | m. dc. lxxxvii. | Wolffenbuttel | Imprimé chez Caspar Jean Bismarck.

Thesée. | In einer Frantzösischen Opera und | angefügten | Balletten. | Denen | Anwesenden


Hohen Zusehern | zu Ehren. | Auf dem Fürstl. Wolffenbüttelschen Theatro | gepraesentiret. | Im
Augusto des 1687. Jahrs. | Wolffenbüttel/ | Gedruckt bey Caspar Johann Bißmarck.

Autres imprimés

Kurtzer Bericht von der Heyrath und Beylager/ | Des Durchleuchtigsten Hochgebornen Fürs-
ten und Herrn/ Herrn Christia- | ni II. Hertzogen zu Sachsen/ des Heiligen Römischen Reiches
Ertzmarshall/ und Chur- | fürsten/ Landgraffen in Düringen/ Marggraffen zu Meissen/ und
Burggraffen zu | Magdeburg/ so den 12. Septembris dieses Jahrs zu | Dreßden gehalten worden.

Adress- | Calender, | Der Hoch=Fürstl. Braunschw. | Lüneb. Haupt= und Residentz= Städte,
| Wolfenb. udn Braunschw. | und daselbst befindliche | Fürstlichen Hofes, | Auch anderer
hohen und Nie= | dern Collegien, Instantien, und Expeditionen | Auf das Jahr Christi | m dcc
xxi | Mit Hochfürstl. Approbation, | auch darüber gnädigst=ertheilter | privilegium | nicht
nachzudrucken. | Verlegt, herausgegeben und zu finden, | bey | Jacob Wilhelm Heckenhauer, |
Herzogl. Kunst und Kupfferstechen in Wolfenb. | [ligne] | Braunschweig, gedruckt bey Arnold
Jacob Keilteln.

– 315 –
Sources imprimées

Das | Jetzt lebende | Königliche | Dreßden | In | Meissen | vorstellende | Den im Jahr 1729.
| befindlichen | und | Darinnen sich würcklich aushaltenden | Resp | Königlichen und
Churfürstlichen Sächßischen | Hof=Regierungs, Militair, Hauß= Kirchen= und | Privat-Etaat.
| [gravure] | Anno 1729.

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– 336 –
Index nominum

Abel, Clamor Heinrich : 89, 111 Bach, Johann Sebastian : 8, 15, 17, 29, 31, 36, 122, 160, 175,
Abel, N. (chanteur) : 156 193, 199, 208-210, 212, 214, 246-247, 256, 261-273,
Agrell, Sven : 31 279, 287-288, 291, 300-303
Agricola, Johann Friedrich : 209, 212-215, 247, 256, 304- Bach, Johann Sebastian le Jeune : 64-65
305 Bacilly, Bertrand Bénigne de : 300
Ahrendt, Rebekah : 16 Ballati, N. : 117
Albertyn, Erik : 227 Ballard, Christophe : 193, 200-205, 242, 292
Albinoni, Tomaso : 285 Ballard, Jean Baptiste Christophe : 159, 195, 198, 200
Alleurs, Pierre Puchot, marquis des : 31-32 Baptiste, Jean : 28, 161, 291
André, Catherine : 140, 159 Baron, N. (chanteur) : 29
André, Louis : 82, 95, 103, 132, 140, 145, 159, 174, 176, 192, Barré, Guillaume : 45, 101, 179, 186, 226-227
195 Bataille, Gabriel : 244
d’Anglebert, Jean-Henry : 208-209, 214, 243, 278-279 Bauer, Volker : 71
Anhalt-Köthen, Leopold von : 29 Bavarini, Lucia Gaggi dite la : 122
Anne, reine de Grande-Bretagne : 68 Bayern, Maximilian II Emanuel von, prince électeur de
Anne d’Autriche, reine de France : 22 Bavière : 31, 81, 248
Anschütz, Christoph Friedrich : 248 Bayern, Joseph Clemens von, évêque et prince électeur de
Antonio, N. (chanteur) : 87 Cologne : 32, 42, 165
d’Arcy, René Martel marquis : 78, 152 Beaulieu, Antoine de : 25, 157
d’Ardespin, Melchior : 216-217, 223 Beaumont, Philippe Le Roy de : 25
d’Arenberg, Léopold Philippe : 66 Beauregard, François Adam : 29, 32, 67, 116, 165, 179
d’Arezzo, Guido : 284 Beauregard, François Godefroy : 32, 67, 132, 145, 165, 172,
Arighini, Giuseppe : 40 180, 195
Ariosti, Attilio : 67 Beaurepaire, Pierre-Yves : 72
Ashbee, Andrew : 162 Beauvallet, Jeanne : 178
Aubry, Cuny : 25 Béchon, N. (musicien) : 25, 157
Aufschnaiter, Benedikt Anton : 258 Beer, Johann : 146, 171
Auger, Anthoine : 178 Behr, Samuel : 146
August II, prince électeur de Saxe et roi de Pologne : 14, Beichlingen, Wolf Dietrich von : 52
30, 36-39, 42-44, 49-50, 52, 58, 64, 76, 80-82, 93-99, Beißwenger, Kirsten : 210
106, 108-109, 122-133, 141, 147, 153, 156-157, 172, Belleroche, Charles : 187
174-175, 186-188, 204, 206, 216, 307 Bély, Lucien : 62
August III, prince électeur de Saxe et roi de Pologne : 30- Bence, Pascal : 27, 152
33, 35-36, 47, 95, 122-133, 147, 157, 162, 181, 264, 307 Benserade, Isaac de : 275-276
Auguste le Fort : voir August II Bernhard, Christoph : 99
d’Autriche, Marie Josèphe : 95, 130 Bernier, Nicolas : 200-201
Aveline, Antoine : 95 Berselli, Matteo : 122, 131-132
Bertali, Antonio : 274
Babel, Charles : 44-45, 61, 67, 179, 186, 215, 226-227, 229, Berthet, N. (compositeur) : 242
253 Bertrand, N. (musicien) : 111, 152
Babel, William: 61, 67 Besson, N. (musicien) : 27
Bach, Anna Magdalena : 208 Beudan, Jacques : 107
Bach, Carl Philipp Emanuel : 31, 63-64, 256, 265, 300 Biffi, Antonino : 262
Bach, Johann Jacob : 31 Bigot, Nicolas : 25
Bach, Johann Lorenz : 262 Biotteau, François : 105, 132, 160
Bach, Johann Michael : 285 Birkenstock, Johann Adam : 182

– 337 –
Index nominum

Birnbaum, Johann Abraham : 301-303, 305 Braunscheig-Wolfenbüttel, Elisabeth Juliane von : 234
Bisaro, Xavier : 16 Braunschweig-Wolfenbüttel, Ferdinand Albrecht von :
Blaeu, frères : 194, 253 243
Bleyer, Georg : 249 Braunschweig-Wolfenbüttel, Ludwig Rudolf von, duc de
Bloch, Marc : 9 Wolfenbüttel : 35, 234-242, 244
Blondel, Jean-François : 167 Bressan, Peter : 162
Bohse, August : 299 Briegel, Wolfgang Carl : 58
Böhm, Georg : 256 Brossard, Sébastien de : 166, 195
Böger, Richard : 105 Brosseau, Christophe : 117, 148
Boileau, Nicolas : 87, 290 Brühl, Heinrich von : 81-82, 195
Boiselier, N. de (administrateur) : 116 Bruhns, Nicolaus : 208
Boivin, François : 202 Brunet, N. (chanteuse) : 180
Bokemeyer, Heinrich : 230-231 Bruslard, Louis : 25
Bonadei, Pietro Agostino : 101 Buccow, Lucas von : 152
Boncourt, Jean Hillaret sieur de : 84, 120, 153 Buffardin, Pierre Gabriel : 31, 63-65, 68, 159, 161-163, 183,
Bonin, Louis : 267, 299 270
Bonnac, Jean-Louis d’Usson, marquis de : 35, 78 Burney, Charles : 69-70
Bonne, Anne Sophie : 145, 180 Buttstett, Johann Heinrich : 246, 284-285
Bononcini, Antonio : 67, 299 Buxtehude, Dieterich : 208
Bononcini, Giovanni : 67, 255 Byrd, William : 69
Bordoni, Faustina : 63, 132
Borsani, Lucrezio : 130 Caillard, Claude : 58
Boschi, Carlo : 131 Caillat, Guillaume : 153
Bose, Carl Gottfried von : 184 Caldara, Antonio : 299
Boste, N. (compositeur) : 216, 223 Calegari, Anna Martha : 122
Boucœur, Jacques de Rozemont sieur de : 34, 78 Calvière, Guillaume Antoine : 304
Boufflers, Louis François de : 66 Cambefort, Jean de : 275-276
Bouhours, Dominique : 87, 142 Cambert, Robert : 143
Bourdaloue, Louis : 162 Cambert, Marie-Anne : 143
Bourdonné, Gillette : 140 Cammerstein, N. von (administrateur) : 116
Bourgeauville, Monsieur de : 78 Campistron, Jean Galbert de : 20
Bourgeois, Thomas Louis : 181, 200 Campra, André : 19-20, 181, 195, 198, 201-203, 216-217,
Boyvin, Jacques : 208-209, 211-212, 214 223, 231, 235, 242, 252, 254, 289-290, 293, 296-297
Brandenburg, Friedrich August von : 45 Carissimi, Giacomo : 274
Brandenburg, Friedrich Wilhelm de, prince électeur de Cast, Johann Wilhelm : 232, 261
Brandebourg, dit Le Grand Électeur : 29 Caulier, Daniel : 84
Brandenburg, Luise Dorothea Sophie von : 66 Cavalli, Francesco : 140
Brandenburg, Friedrich August von : 226 Chabanceau de La Barre, Anne : 21-26, 28, 61, 170
Brandenburg-Ansbach, Dorothea Charlotte von : 57 Chabanceau de La Barre, Joseph : 21-26
Brandenburg-Ansbach, Johann Friedrich von : 57, 248 Chabanceau de La Barre, Pierre : 22-23
Braunschweig-Lüneburg, Christian Ludwig von : 76, 99, Chabaron, François : 139
101 Chambonnières, Jacques Champion de : 22, 24, 143, 166,
Braunschweig-Lüneburg, Ernst August von, évêque 243
d’Osnabrück puis duc de Hanovre : 15, 28, 34, 40- Chanut, Pierre : 24
42, 76-79, 83-93, 101, 110-111, 119-120, 139, 170-171, Chappuzeau, Samuel : 17-21, 34, 42, 85, 104, 147, 151, 167,
225, 243 170, 222
Braunschweig-Lüneburg, Georg von : 76-77 Charbonnier, Martin : 119
Braunschweig-Lüneburg, Georg Wilhelm von, duc de Charles II, roi d’Angleterre : 68, 143
Celle : 17, 34, 40-42, 50, 68, 76-79, 83-84, 93, 101, Charles X, roi de Suède : 26, 157
153, 157, 170 Charles XII, roi de Suède : 26, 31, 94
Braunschweig-Lüneburg, Johann Friedrich von, duc de Charpentier, Marc-Antoine : 254, 274-275
Hanovre : 30, 40-42, 76-79, 85, 87-90, 99, 109-110, Charpentier, Marie-Thérèse : 56
120, 152, 164, 170, 243 Chartier, Roger : 16
Braunschweig-Lüneburg, Sophie Dorothea von : 84 Chatellier, Joachim de : 143
Braunschweig-Lüneburg, Wilhelmine Amalie von : 243 Chauveau, Nicolas : 29, 160
Braunschweig-Wolfenbüttel, Anton Ulrich von, duc de Chauvet, Jeremias : 78
Wolfenbüttel : 119, 164, 170, 234, 243 Cherrier, N. (danseur) : 33
Braunschweig-Wolfenbüttel, August von, duc de Chmielensky, Jean : 162
Wolfenbüttel : 244 Christian IV, roi de Danemark : 26-27
Braunschweig-Wolfenbüttel, August Wilhelm von, duc Christian V, roi de Danemark : 58
de Wolfenbüttel : 234-235 Christine, reine de Suède : 21-27, 157

– 338 –
Index nominum

Chrysander, Friedrich : 176 Desmarest, Henri : 289-293, 295, 298


Chung, David : 208 Desmier d’Olbreuse, Éléonore : 17, 76-79, 83-84, 91, 93,
Châteauneuf : voir Pâtissier de Châteauneuf 110, 147, 151, 153, 170
Cicéron : 261 Desnoyers, Antoine : 153
Clavel, fille (danseuse) : 132 Desnoyers, François : 28, 60, 66
Clavel, mère (chanteuse) : 180 Desnoyers, Georges : 35-36, 61
Clavel, père (comédien) : 157 Destouches, André Cardinal : 181, 195, 198, 216-217, 223,
Clément, N. (musicien) : 27-28 242
Clément, Marianne : 33, 199 Detrez, N. (comédienne) : 157
Clérambault, Louis Nicolas : 200 Deux-Points Cleebourg, Éléonore Catherine de : 157
Clermondt, N. (musicien) : 149 Diard, N. (chanteuse) : 56
Cliquot, Robert : 215 Diard, Pierre : 56, 102, 180
Coligny, Louis de : 23 Diesel, Thomas : 119
Collasse, Pascal : 198, 216-217, 222, 243, 254 Dieupart, Charles : 208-209, 216-217, 225
Constantin : voir Costantini, Angelo Dimanche, Louise : 47, 132, 180-181, 290
Conti, François Louis Bourbon, prince de : 81 Dompnier, Bernard : 11
Corbett, William : 61 Drauschke, Hansjörg : 240
Corelli, Arcangelo : 119, 275 Drese, Johann Samuel : 175
Cornaz, Marie : 66 Dreyfus, Laurence : 16, 247, 261
Corneille, Pierre : 84, 170 Drot, Jean David : 33, 189
Corrette, Gaspard : 211-212, 214 du Bois, N. (danseur) : 60
Cossaque, N. (compositeur) : 216-217 du Bros, N. (danseur) : 60
Costantini, Angelo : 47, 49-56, 102, 120 du Cormier, N. (machiniste) : 45
Costantini, Constantino : 49 du Hautlondel, Anne Henriette : 47-49, 64-66
Couperin, François : 199, 208, 212, 265, 278-280 du Hautlondel, Jean Baptiste Joseph dit La France le fils :
Courbesastre, Charles de : 139 46-49, 106, 132, 219
Courbesastre, Marie de : 139 du Hautlondel, Jeanne Sophie : 47
Courbesastre, Philippe de : 84, 139, 152, 159, 164, 179 du Hautlondel, Marie Gabrielle : 48
Cousser, Johann Sigismund : 15, 58, 102, 146, 171, 232, du Hautlondel, Robert dit La France le père : 46-49, 103,
248-250, 254-255, 258-260, 274 219
Creholet, Pierre : 165 du Héron, N. (diplomate) : 78
Créquy, François de : 76 du Mage, Pierre : 302
Croissy, Charles François Colbert, marquis de : 34 du Masis, N. (musicienne) : 132, 180
Cronström, Daniel : 52, 157 du Matin, N. (musicien) : 117
Cusance, Beatrix de, duchesse de Lorraine : 23-24 du Mont, Henry : 22, 29, 202, 204
du Rocher, N. (comédien) : 162
Dacier, Anne : 19 du Verger, Thomas Mathieu dit : 178
Dahuron, René : 119 du Vivier, Pierre : 152, 164
Danchet, Antoine : 181 Dubreuil, Michel : 105, 182
Danemark, George : 68 Dubuisson, N. (chanteuse) : 291
Daniel, N. (danseur) : 25 Ducé, Jean-Baptiste : 39, 102
Danielis, Daniel : 29, 100, 155, 160-161, 186 Duché de Vancy, Joseph François : 295
Dannilliers, N. (comédien) : 62 Duclos, N. (comédienne) : 158
Daquin, Louis Claude : 304 Dudard, Catherine : voir Deseschaliers, Catherine
Debargues, Charles : 33, 39, 82, 103, 130 Duden, Christian : 38
Dedekind, Constantin Christian : 175 Duden, Johann Caspar : 38
Delang, Kerstin : 198 Dufour, Marguerite : 195
Delerablée, François : 81 Duindam, Jeroen : 72
Delvaux, Nicolas : 60-61, 109, 179 Dulondel, N. (comédien) : 47, 66
Demouchy, Nicolas : 181 Dumanoir, Guillaume : 142
des Brosses, N. (danseur) : 84 Dumont, N. (chanteur) : 58
des Forges, N. (danseuse) : 291 Dupont, Guillaume : 62
des Hays, Henri : 152, 159-160, 182 Durastanti, Margherita : 131
des Vignes, René : 17, 139, 150-152 Dürr, Alfred : 212
Descamp, N. (danseur) : 291 Dusmeniel, Charles : 97
Descartes, René : 22, 87-88 Duval, François : 183
Deseschaliers, Catherine : 52-56, 62, 142, 291
Deseschaliers, Louis : 52-56, 62, 66, 108, 141-142, 148, 187, Edler, Florian : 275
291 Elias, Norbert : 72
Deseschaliers, Pierre : 62 Ennuyé, Antoine : 100

– 339 –
Index nominum

Ennuyé, Charles : 100 Fuzelier, N. (diplomate) : 34


Ennuyé, Georges Louis : 101
Ennuyé, Marie : 101 Galliard, Johann Ernst : 61, 67-70, 152, 183, 255
Erlebach, Philipp Heinrich : 252, 256-257, 285 Gallois, Louis : 62
Espagne, Michel : 9, 80 Garset, Pierre : 25
d’Este, Luigi : 152 Gasparini, Francesco : 299
d’Estrades, Godefroi : 78 Gaudon, Charles : 151
Gaudon, Louis : 84, 139, 151, 165-166, 174
Failly, Marie : 138 Gault, Gabriel : 92
Falaiseau, Pierre de : 149, 152 Gaultier, Pierre de : 106, 132, 153-154, 156-157, 186
Farinel, Jean-Baptiste : 35, 45, 68, 84, 89, 92-93, 110-111, George Ier, roi de Grande-Bretagne : 76, 84, 92, 176, 184,
120-122, 145, 170, 172, 175-176, 183-185, 221, 225, 228
255 George II, roi de Grande-Bretagne : 228
Farinel, Michel : 92-93, 143, 145, 176 Gerard, N. (musicien) : 249
Farinel, Robert : 176 Gersdorf, Abraham Wolfgang von : 43, 149
Farinelli, Carlo Maria Michelangelo Nicola Broschi, dit : Gérard, Bernard : 29
121 Gilbert, Gabriel : 84
Farinet, N. (musicien) : 58 Gillier, Jean-Claude : 255
Faucart, Jacques : 26 Gobert, Thomas : 22
Favier, Bernard Henri : 140 Goethe, Johann Wolfgang von : 8, 289
Favier, Jacques : 139-140, 145, 150 Goezel, N. (musicien) : 63
Favier, Jean I : 139-140 Göhler, Albert : 211
Favier, Jean II : 139-140 Gonzague, Anne de : 76
Favier, Jean III : 82, 140-141 Goulet, Anne-Madeleine : 10
Favier, Jean-Jacques : 17, 60, 84, 139-140, 143, 145-146, Gourville, Jean Hérault de : 34, 77-78, 93
152, 158, 162, 243 Gouy, Jacques de : 22
Favier, Jehan : 139-140 Grabe, Christian : 155-156
Favier, Thierry : 16 Graep, Bernard : 101
Fedeli, Ruggiero : 67, 182, 228, 242 Graep, Jean-François : 101, 152
Fénelon, François : 19 Grassi, Florio : 63, 159
Fischer, Johann : 248 Graun, Carl Heinrich : 302, 309
Flavius Joseph : 239-240 Graupner, Christoph : 45
Flemming, Jacob Heinrich von : 81, 156, 162, 177 Gresle, Ferdinand : 109
Flemming, Hans Friedrich von : 177, 179 Gresle, Johann Wolfgang : 108
Floridor, Josias de Soulas dit : 84, 105 Gresle, Tobias : 108
Fonpré, Jean Barrié dit : 43, 62 Gridé, N. (copiste) : 117
Fontenelle, Bernard le Bovier de : 19 Griffon, Nicolas : 140
Forkel, Johann Nikolaus : 8, 31, 230 Grigny, Nicolas de : 208-211, 264, 302
Forlot, Étienne : 84, 152, 179 Grimm, Ernst Heinrich : 101, 178
Forstmeyer, Franz : 38 Grossi, Carlo : 260
Förster, Christian : 307 Grot, Baptiste de : 58
Förster, Kaspar : 27-28 Grundig, Johann Gottfried : 199
Foucault, Henry : 200-201, 211 Guarnier, Charles : 28
Franchin, Matthieu : 166 Guénin, Jacques : 188-190, 199, 201
Francine, François de : 140 Guerin, Jacques : 107
Francine, Jean Nicolas de : 54 Guerin, Jean-Baptiste : 107
Fransen, Jan : 55 Guicciardi, Francesco : 122
France, Christine de, duchesse de Savoie : 176 Guignon, Jean-Pierre : 199, 217
Frederik III, roi de Danemark : 26-27 Guilain, Jean-Adam : 212, 214-215
Fri, Louis de : 165 Guillaume II, roi d’Angleterre : 66
Friedrich I, prince électeur de Brandebour et roi de Guillaume III d’Orange-Nassau, roi d’Angleterre : 43, 46,
Prusse : 29, 39, 81, 82, 84 170-171, 229
Friedrich II, prince électeur de Brandebourg et roi de Guilleroy, Pierre : 25-26
Prusse, dit Frédéric Le Grand : 71 Gustafson, Bruce : 208
Friedrich Wilhelm I, prince électeur de Brandebourg et
roi de Prusse, dit le Roi Soldat : 63, 183 Haesler, Otto : 120
Fuchs, Max : 47 Hahn, Hermann Joachim : 153
Fumaroli, Marc : 72 Händel, Georg Friedrich : 60-61, 69, 102, 121, 131, 255,
Fürstenau, Moritz : 55 280-282, 291, 293-294, 299-300
Fux, Johann Joseph : 38, 194, 216, 253, 261, 282 Hagen, Wilhelm von : 265

– 340 –
Index nominum

Hannover, Ernst August von : voir Braunschweig- Kobayashi, Yoshitake : 209


Lüneburg, Ernst August von Kohlhase, Thomas : 209
Hannover, Friedrich Ludwig von : 35-36 Konink, Servaas von der : voir Le Roy, Servais
Hannover, Sophie von : 14-15, 40-42, 76, 84-93, 109-110, Korb, Hermann : 119
139, 170 Kos, Jozef : 32, 123, 130, 265
Harrer, Gottlob : 81 Kräuter, David : 193-194
Harson, Johann Samuel : 209, 214 Kremberg Jakob : 58
Hasse, Johann Adolph : 60, 63, 132, 302 Krieger, Johann Philipp : 228-229
Haumale des Essarts, N. (musicien) : 175, 200 Krüger, Ekkehard : 194
Hawkins, John : 68-69 Kunzen, Johann Paul : 246, 289-291, 293, 296
Hazard, Paul : 17 Kümmerling, Harald : 231
Hebenstreit, Pantaleon : 175, 267
Heinemann, Michael : 16 La Barre : voir Chabanceau de La Barre
Heinichen, Johann David : 30, 95-97, 106, 122-127, 174, La Croix, N. (musicien) : 111, 152
216 La Croix, Adrien de : 25
Hennig, Tobias : 108 La Croix, François de : 25
Henrichant, Pierre André : 44 La Fleur, Anne Éléonore : 159
Henrion, Charles : 108, 149 La Fontaine, Pierre : 149
Henrion, Jean-Baptiste : 108, 179 La Gardie, Magnus de : 23, 25
Héroux, Georges : 153 La Garenne, N. (musicien) : 116, 179, 183
Héroux, Gilles : 153, 178-179, 226 La Lande, N. de (musicien) : 117
Hessen-Darmstadt, Ernst Ludwig von : 57-58 La Rivière, Achille Languillet dit : 84
Hessen-Eschweg, Frederik von : 157 La Rivière, Anne Godelet dite : 153
Hessen-Kassel, Friedrich von : 66 La Rose, N. (musicien): 249
Hessen-Kassel, Wilhelm von : 28 La Selle, Charles de : 158
Hiller, Johann Adam : 131 La Selle, Thomas de : 17, 27, 139, 143, 151-152, 165, 182, 256
Hoffmann, Peter : 33, 123-126 La Touche, Charles Henri de : 156
Hofmannswaldau, Christian Hoffmann von : 299 La Vigne, Anthoine Martin dit : 138
Holwein, Andreas : 119 La Vigne, Georges : 153, 165
Horn, Wolfgang : 204 La Vigne, Marie-Madeleine : 165
Houdar de la Motte, Antoine : 19-20, 181 La Vigne, Philippe le jeune : 60
Houte, Leonhard von der : 29, 160 La Vigne, Philippe Martin dit : 17, 60, 84, 115-116, 138,
Huaut, Nicolas : 47 143, 150, 152-153, 158, 165, 174, 185
d’Humières, Louis Crevant duc : 176 Labuissière, N. (musicien) : 29
Hunold, Christian Friedrich : 299 Laforest, N. (administrateur) : 150-151
Huygens, Constantijn : 21-24, 166 Lalande, Michel Richard de : 171, 202, 231-233, 260
Huygens, Constantijn le jeune : 170 Lamberg, Philipp von : 119
Lambert, Michel : 145
Israel, Jonathan : 73 Landmann, Ortrun : 205
Lapierre, Guillaume : 150, 158
Jacques II, roi d’Angleterre : 66 Laprairie, N. (musicien) : 249
Jemme, Élie : 34, 67, 85, 89-93, 139, 149, 158, 175, 180 Lauterbach, Johann Balthasar : 119
Jemme, Elizabeth : 92 Le Borgne, Joseph : 180
Jemme, Ernst August : 67, 243 Le Borgne, Paul Joseph : 180
Jemme, Georg Ludwig : 102 Le Borgne, Pauline : 104, 106, 172, 180
Jemme, Michael : 180 Le Cerf de La Viéville, Jean Laurent : 258
Jordan, Karl Gustav von : 55 Le Clerc, Charles Nicolas : 201
Joseph Ier de Habsbourg, empereur : 235, 243 Le Conte le fils (musicien) : 102
Josse, Guillaume : 17, 84, 150-152, 181 Le Conte le père (musicien) : 102
Jourdain, N. (musicien) : 29 Le Conte, Louis : 84, 105, 111, 181
Junge, Hans : 264 Le Conte, N. (danseuse) : 102
Jungius, Christiane : 272 Le Couvreur, Adrienne : 142
Le Gros, Jean : 141
Kant, Immanuel : 10, 304 Le Gros, Pierre l’aîné : 141
Keiser, Reinhard : 242, 254, 291, 297, 299-300 Le Gros, Pierre le jeune : 141
Kellner, sœurs : 58 Le Gros, Simon : 102, 141, 172
Kempis, Thomas a : 260 Le Riche, François : 66-67, 95, 156, 162, 172, 184
Kerll, Johann Caspar : 214 Le Roy, Servais : 29, 100, 160-161
Keßelhutt, Christoph : 150 Le Sage, Louis : 47
Kirnberger, Johann : 214 Le Tellier, Charles Maurice : 145

– 341 –
Index nominum

Le Tourneur, Denis : 115, 118, 139-140, 143, 152, 158, 179, Marx, Hans Joachim : 60
183 Massillon, Jean-Baptiste : 162
Le Tourneur, Henri : 118, 140 Masson, Charles : 255, 274
Lebègue, Nicolas : 212-214, 278 Mattheson, Johann : 59, 81, 121, 218, 221, 245-246, 257,
Leclair, Jean-Marie : 199, 304 262, 282-287, 290-291, 293, 295
Lefebvre, N. (libraire) : 212 Maupoint, N. (écrivain) : 50
Lehmann, Christian : 37-38, 156 Mauro, Alessandro : 47
Lehneis, Mathias : 183 Mauro, Ortensio : 120
Leibniz, Gottfried Wilhelm : 86-87, 117, 120, 148, 170 Mayer, Johann Andreas : 221
Lemaigre-Gaffier, Pauline : 73 Mazuel, Jean : 140
Leplat, Raymond : 80, 95-96 Mecklenburg, Christian Louis I von, duc de Schwerin :
Lescat, Philippe : 215 28, 75
Leszcynski, Stanislas : 94, 141 Mecklenburg, Gustav Adolph von, duc de Güstrow : 28,
Letellier, Marie : 32, 165 75
Lévi-Strauss, Claude : 100 Mecklenburg-Gottorf, Christian Albrecht : 230
Linage, Philippe : 138 Médicis, Ferdinand de : 61, 121
Lilti, Antoine : 57 Mersenne, Marin : 22-23
Lindner, Johann Jacob : 216 Meyer, Clemens : 28
Liszt, Franz : 57 Mézétin : voir Costantini, Angelo
Loeillet, Jean-Baptiste : 62 Michel, Antoine : 33
Loen, Johann Michael von : 299 Middendorf, Joachim : 239
Loges, Jacques de : 27-28, 153 Mignier, Jean : 152, 159-160
Loges, Marie de : 153 Miltlitz, Carl Borromäus von : 205
Longuelune, Zacharias : 80 Milton, John : 69
Lorenzani, Paolo : 202 Molière, Jean-Baptiste Poquelin dit : 93, 142, 143, 167, 294
Lorraine-Vaudémont, Charles Henri de : 60 Monari, Clemente : 100
Loss, Johann Adolph von : 35-36 Mondonville, Jean Joseph Cassanéa de : 304
Lotti, Antonio : 30, 122-126, 131, 216, 299 Monjou, Jean-François : 270, 290-291
Lotti, Friedrich : 101 Monjou, sœurs : 290-291
Louis XIII, roi de France : 22 Montfleury, Antoine Jacob de : 290, 297
Louis XIV, roi de France : 20, 26, 62, 71, 76-79, 88, 93, 140, Montmorency, Elisabeth Angélique de : 75
143, 204, 206 Mordaxt, Johann Sigismund von : 104, 106, 132, 179
Louis XV, roi de France : 203 Morelle, N. (danseur) : 291
Louvat-Mozolay, Bénédicte : 166 Morin, Jean-Baptiste : 200
Louvois, François Michel Le Tellier, marquis de : 33 Mortier, Pierre : 195
Lübeck, N. (musicien) : 150 Mouret, Jean Joseph : 198, 216-217, 223
Luccini, N. (poète) : 122 Moureval, Philippe : 28
Lully, Jean-Baptiste : 19-20, 57-59, 81, 143, 158, 171-172, Muffat, Georg : 119, 218, 221-222, 250-251, 256, 258
187, 191, 194-195, 198, 202-206, 216-217, 222-223, Mutant, Antoine : 107
235, 242, 252-254, 258, 277-279, 289, 294, 298-300,
307 Nanon, N. (chanteuse) : 87, 149, 152, 180
Lully, Louis : 198, 217, 222 Nanteuil, N. (comédien) : 118
Lusse, Charles de : 64 Nemeitz, Joachim Christoph : 30, 137, 142
Luther, Martin : 93, 285 Neumeister, Erdmann : 262, 265, 273
Luynes, Charles d’Albert, duc de : 63 Nicolai, Johann Nicolaus : 200
Léger, Johann Bourcard : 186 Nivers, Guillaume Gabriel : 211, 255
Nolhac, Denis : 60
Mahaut, Antoine : 64 Nordlin, Tobias : 26
Maillard, Jean : 152, 159
Maillard, N. (musicien) : 58 Oettingen, Christine Luise von : 234, 243
Maintenon, Françoise d’Aubigné, marquise de : 71 Oettingen-Wallenstein, Kraft Ernst : 195
Manteuffel, Ernst Christoph von : 81 d’Orange, Amalie : 23
Marais, Marin : 31, 198, 216-217, 222, 254 d’Orange, Friedrich Heinrich : 23
Marchand, Louis : 8, 36, 122, 212, 270, 279, 287-288 d’Orléans, Anne Marie Louise, dite Mademoiselle : 37
Maréchal, Pierre : 106, 158, 178-179, 183 d’Orléans, Elisabeth Charlotte dite Liselotte von der
Marianne, N. (musicienne) : 35, 180 Pfalz duchesse, dite Madame Palatine : 34, 37, 86,
Markovits, Rahul : 11, 16, 21, 40, 72, 141, 144 90-93, 203
Marpurg, Friedrich Wilhelm : 183, 209, 214, 247, 288, d’Orléans, Henriette d’Angleterre duchesse, dite
300, 304-305 Madame : 37, 92
Maruccini, Margherita Catterina Zani dite la : 122 d’Orléans, Marguerite de Lorraine duchesse, dite
Marcello, Benedetto : 299 Madame : 37

– 342 –
Index nominum

d’Orléans, Philippe II duc, dit Monsieur : 89, 91, 93 Potot, Pierre : 29


Österreich, Georg : 58, 230-234, 260 Prache du Tilloy, Jean : 103, 132, 162-163, 187-188, 216-217
Owens, Samantha : 255 Prache du Tilloy, Marguerite Geneviève : 132, 162-163,
Oxenstiern, Erik Axelsson : 27 172, 180
Praslin, César Gabriel de Choiseul-Chevigny, duc de : 157
Pachelbel, Johann : 284-285 Pressis-Praslin, César III Auguste de Choiseul de : 92
Paganelli, Giuseppe Antonio : 304 Prevost, Jean Nicolas : 44, 47, 181
Paisible, James : 61 Prevost, Paul : 26, 29, 161
Pallavicini, Stefano : 130, 219 Prin, N. (comédien) : 62
Parfaict, frères : 47 Printz, Wolfgang Caspar : 177
Pâtissier de Châteauneuf, Marie Charlotte : 105, 165 Purcell, Henry : 255
Pâtissier de Châteauneuf, Antoinette Bénédicte : 45, 153
Pâtissier de Châteauneuf, Auguste Pierre : 42, 45, 47, 84, 93 Quantz, Johann Joachim : 60, 64, 66, 118, 183-184, 199-
Pavie, Gabrielle : 68 201, 247, 256, 298, 300, 304-305
Pécour, Claude : 17, 84, 116, 18, 139, 151, 158-159, 165, 181- Quesnot de la Chesnée, Jean-Jacques : 53-56, 147
182 Quinault, Philippe : 19-20, 308
Pécour, Guillaume Louis : 138
Pécour, Louis Alexandre : 138 Rabe, Christian : 38
Pécour, Louise Madeleine : 138, 152 Racine, Jean : 166, 170, 307-308
Pécour, Louis : 138, 140 Raguenet, François : 69
Pegah, Rashid Sascha : 31, 235 Raison, André : 212
Pellegrin, Simon Joseph : 307-308 Rameau, Jean-Philippe : 7, 216, 274, 307-309
Pepusch, Johann Christoph : 69 Ravielle, Jeanne : 100
Pepusch, Heinrich Gottfried : 37, 155, 178 Ravissart, Johannes Anthonius : 29, 160
Perrin, Pierre : 143 Rebel, Jean Féry : 159, 198, 201
Personelli, Geramolo : 122 Redrow, Sean Patrick : 210
Peruzzi, Antonio Maria : 47-49, 64-66 Regnard, Jean-François : 49, 297
Petit, Jean Charles : 175 Reich, Wolfgang : 95
Petzold, Gottlieb August : 37-38, 155 Reincken, Johann Adam : 208
Pez, Johann Christoph : 200 Remez, N. (danseur) : 62
Pezold, Christian : 30, 147-148, 264 Ribon, N. (compositeur) : 242
Pfalz, Benedicta Henriette von der : 76, 90, 243 Richter, Johann Christian : 30, 265
Pfalz, Eduard von der : 76 Rieck, Christian Ernst : 67
Pfalz, Elisabeth von der : 87 Riemschneider, frères : 291
Pfalz, Karl Ludwig von der : 86-91 Rigaud, Hyacinthe : 141
Pfalz-Neuburg, Karl Philipp von : 81 Rinelon, N. (danseur) : 62
Pfleger, Augustin : 155, 186 Ristori, Giovanni Alberto : 95-97, 102
Phélypeaux, Raymond Balthazar : 77 Ristori, Tommaso : 51, 61
Philidor l’Aîné, André Danican dit : 232-234, 253, 292 Riva, Giuseppe : 70
Philidor, Alexandre Danican dit : 179 Robeau, François : 17, 91, 115, 139, 145, 150, 182
Picart, Nicolas : 25 Robeau, Hilaire : 91, 139, 145
Pichon, N. (chanteuse) : 291 Robeau, Marguerite : 90-93, 139, 158
Pichon, N. (machiniste) : 294 Robert, Pierre : 29, 204, 206
Pietragrua, Carlo Luigi : 228 Robertson, Michael : 258
Pigniatten, Giuseppe : 114 Robinson, N. (danseur) : 62
Pinel, N. (musicien) : 152 Roche, Daniel : 17
Piquard, N. (musicien) : 29 Roche, Martine : 193
Pisendel, Johann Georg : 118, 131, 175, 198-199, 201, 216, Rochebrune, N. de (comédien) : 84
225, 265 Rochois, Marie : 56
Platen, Franz Ernst von : 171-172 Roger, Étienne : 120, 122, 161, 213, 215, 229, 247, 253
Platen, Klara Elisabeth von : 153 Romainville, Charles de la Haye dit : 43-45, 48
Podewils, Heinrich von : 76 Rose, Louis : 29, 270
Poetzsch-Seban, Ute : 267, 272 Rosenmüller, Johann : 228
Pohle, David : 175, 249 Rosidor, Claude-Ferdinand Guillemay dit : 26, 52, 157
Poisson, N. (comédien) : 82, 130, 153-154 Rosidor, Jean Guillemay dit : 26
Pollarolo, Carlo Francesco : 239 Rossi, Camilla de : 228
Pompierin, N. (comédien) : 84 Rost, Johann Leonhard : 299
Poppe, Gerhard : 95 Rousseau, Jean-Jacques : 7, 309
Postel, Christian Heinrich : 58 Rousseau, Jean : 274
Potier N. (danseur) : 55 Rybinski, Adam : 219

– 343 –
Index nominum

Sachsen, Friedrich von, prince électeur de Saxe : 93 Spohr, Arne : 10


Sachsen, Friedrich August I von : voir August II Sporck, Franz Anton : 64
Sachsen, Friedrich August II von : voir August III Staël, Germaine de : 10
Sachsen, Johann Georg II von, prince électeur de Saxe : Stammk, Johann Friedrich : 165
94, 97 Stechinelli, N. (agent) : 159
Sachsen, Johann Georg III von, prince électeur de Saxe : Steffani, Agostino : 35, 40, 68-70, 120-122, 152, 183-184,
97, 107 229-230, 253, 255, 261, 285
Sachsen, Johann Georg IV von, prince électeur de Saxe : Steinberg, Charles : 108
97 Stella, Santa : 122
Sachsen-Hildburghausen, Ernst Friedrich von : 203-204 Strohm, Reinhard : 137-138
Sachsen-Weimar, Johann Ernst von : 193-194 Strungk, Nikolaus Adam : 43, 97-99, 111, 127, 228
Sachsen-Weissenfels, Friedrich von : 94 Stuart, Elisabeth : 24
Sadler, Graham : 121 Stuck, Jean-Baptiste : 200-201
Saint-Amour, N. (musicien) : 152, 165, 179 Surlis, Jean de : 43-45
Saint-Hyacinthe, Hyacinthe Cordonnier die Thémiseul Syntamoir, N. (musicien) : 149
de : 19
Sallé, Marie : 280 Tarquini, Vittoria : 121, 184
Salvay, François de : 101 Telemann, Georg Philipp : 15, 66-67, 172, 175, 201, 212,
Salvay, Madeleine de : 61, 101, 131 215-216, 246, 252, 261, 265-267, 271-273, 286-287,
Sardin, Jean : 107 289-291, 296-302, 307, 309
Savoie, Christine de France duchesse de : 176 Tettau, Johann Wilhelm von : 155
Scarlatti, Alessandro : 239, 299 Thanne, Wolf Adam von der : 78, 116
Scheibe, Johann Adolph : 247, 253, 270, 301-303, 305 Thiboust, N. (danseur) : 60
Schelle, Johann : 230 Thiekle, Gottfried Friedrich : 114
Schenck, N. von (diplomate) : 94 Thieme, Clemens : 175
Schmelzer, Johann Heinrich : 221 Thomae, Johann Christoph : 182
Schmidt, Johann Christoph : 30, 44, 106, 123-131, 176, Thomas, Christoph : 28
216, 264 Thomas, Judith : 195
Schmidt, Johann Wolfgang : 216 Thomasius, Christian : 86, 283, 299
Schneider, Herbert : 8 Tilly, François de : 81, 174
Schönborn-Wiesentheid, Rudolf Franz Erwein von : 61, Tilly, N. (comédien) : 84
202 Tissier, Gabrielle : 178-179
Schopp, Albert : 155 Torcy, Jean Baptiste Colbert, marquis de : 34, 62
Schott, Gerhard : 56, 58 Torlé, Johann : 270
Schröder, Dorothea : 60 Torri, Pietro : 228, 261
Schubert, Franz : 206 Tosi, Pier Francesco : 69
Schulze, Heinrich : 175 Tourteville, François de : 156
Schürer, Johann Georg : 204 Treu, Paul : 249
Schürmann, Georg Caspar : 230, 235, 242
Schütz, Heinrich : 97, 99, 104 Uffenbach, Zacharias Conrad von : 170, 290
Schweiberger, Anton : 108 d’Urfé, Honoré : 244
Schwerin, Otto von : 24
Scudéry, Madeleine de : 86 Valois, N. de (comédien) : 62
Sellin, N. (chanteuse) : 291 Valoy, Bérénice : 46, 106
Sellius, Adam : 211-212 Valoy, François : 45-46, 84, 106, 153
Senesino, Francesco Bernardi dit : 122, 131-132 Valoy, Stéphane : 44-46, 84, 106, 111, 120, 173, 175-176,
Silvestre, Louis de : 80 186, 225, 227-228, 230-231
Simon, N. (musicien) : 149 Valzania, Michael Ange : 109
Sinski, Louise : 152 Vaurinville, Louise de : 199, 201
Sobieski, Jakob : 81 Venturini, François : 101, 122, 172, 176, 185, 215-217, 223-
Sobieski, Jean : 81, 234 227
Sophie Amalia von Braunschweig-Calenberg, reine de Venturini, Henrietta : 101
Danemark : 26-27, 68, 171 Veracini, Francesco Maria : 122-126, 131, 304
Sophie Charlotte von Hannover, reine de Prusse : 39, 67, Verdier, Pierre : 25-26
82, 84, 149, 226, 228 Verdion, Otto Gerhard : 38
Soulas, Charles de : 105 Verjus, Louis de : 77
Soulas, Marguerite de : 105 Verpré, François de : 22
Spinoza, Baruch de : 87-88 Vesemann, Andreas : 151
Spitta, Philipp : 262, 288 Vezin, Pierre : 105-106, 111, 120, 153, 165
Spitzer, John : 218 Vezin, Sophie Amélie : 153

– 344 –
Index nominum

Viala, Alain : 19, 73 Westenholz, frères : 291


Vidor, N. (danseur) : 62 Whatman, James : 228
Villedieu, Michel de : 43-49, 103 Wiedemann, Bernhard Gottfried : 37-38, 155-156
Vivaldi, Antonio : 64, 215, 247, 275, 299, 301 Williams, Peter : 271
Vogler, Johann Caspar : 208, 211 Winter, Johann Christian : 230
Vogt, Hans Jurgen : 101, 178 Witt, Christian Friedrich : 249
Voiture, Marguerite : 139-140 Wollny, Peter : 214, 228, 231
Voltaire, François-Marie Arouet : 71, 142 Woulmyer : voir Volumier
Volumier, Jean-Baptiste : 29-30, 36-39, 67, 102, 104-106, Württemberg, Eberhard Ludwig von : 171, 218
118, 122, 126, 131-132, 145, 155-156, 175-176, 182, Württemberg, Magdalena Sibylla von : 154, 218
186-188, 199, 219, 222, 265, 270, 288, 290 Württemberg-Stuttgart, Friedrich Ludwig von : 194,
Volumier, Jean-Jacques : 37 200-201
Volumier, Jonas : 37 Württemberg-Winnental, Friedrich Karl von : 218
Volumier, Pierre Habert sieur de : 37
Vorkamp, Gerhard : 171 Zanovelli, Jean-Baptiste : 185
Vota, Karl Moritz : 94 Zarlino, Gioseffo : 274
Voullon, Alexandre : 25 Zaslaw, Neal : 218
Zelenka, Jan Dismas : 95-97, 194-195, 204-205, 253
Wackerbarth, Christoph August von : 81, 108-109, 130, Zelter, Carl Friedrich : 8, 289
156 Zimmermann, Bénédicte : 12
Wagner, Richard : 204 Zohn, Steven : 174, 261
Walsh, John : 255 Żórawska-Witkowska, Alina : 55, 188
Walther, Johann Gottfried : 68, 122, 208-211 Zucker, Johann Christoph : 205
Watteau, Antoine : 50-51 Zur Nieden, Gesa : 10
Watzdorff, Christian Heinrich von : 132
Watzdorff, Christoph Heinrich von : 81, 123, 126, 130,
132, 187
Weckmann, Matthias : 27
Werner, Michael : 9-12
Weßnitzer, Matthias : 174

– 345 –
Table des matières

Introduction ◊ 7

Chapitre 1. L’Europe galante comme marché du travail ◊ 17


L’émergence d’un marché international ◊ 21
Anne de La Barre et l’Europe du Nord ◊ 21
Les préparatifs d’un voyage ◊ 22
Les cours royales de Suède et Danemark ◊ 24
Les cours allemandes ◊ 28
Un marché en expansion ◊ 30
L’Europe des Grands tours ◊ 30
Diplomaties de la musique française ◊ 33
Marginalité religieuse et itinéraires d’un blasphémateur ◊ 36

L’Europe des troupes ◊ 39


Des comédiens entre la Hollande et l’Empire ◊ 39
Construire le théâtre français ◊ 40
De la Hollande à la Saxe : les troupes du Roi de Pologne ◊ 43
Les musiciens dans les troupes ◊ 44
La troupe de l’opéra de Pologne : les limites d’un modèle ◊ 49
La mission impossible de Constantin ◊ 49
Les impresarios : Louis Deseschaliers et Catherine Dudard ◊ 52
De Dresde à La Haye : un changement de modèle ◊ 55

Du mécène au public : l’invention de la célébrité musicale ◊ 56


L’Europe des métropoles et de la célébrité ◊ 57
Urbaniser l’opéra français ◊ 57
Laboratoires de célébrité ◊ 60
La Hollande « au centre des affaires » ◊ 61
De Dresde à l’Europe des Lumières ◊ 63
De la cour aux métropoles ◊ 63
L’apparition d’une figure publique ◊ 66
Johann Ernst Galliard et l’Angleterre ◊ 67

Chapitre 2. Administrer la musique française ◊ 71


Mécénat musical et identités aristocratiques ◊ 73
Les États impériaux entre le Roi et l’Empereur ◊ 74
Musique et équilibres géopolitiques en Basse-Saxe ◊ 76
Politiques françaises d’Auguste le Fort ◊ 80
Des divertissements entre politique et galanterie ◊ 82
Identités galantes et patronage de musique française ◊ 86
Sophie de Hanovre entre galanterie et Lumières radicales ◊ 86
Entre Osnabrück et le Palais Royal : connections féminines ◊ 90
Tolérance confessionnelle et indifférence religieuse ◊ 93

– 347 –
Table des matières

La construction administrative d’une catégorie stylistique ◊ 97


Pensée sauvage et bricolage administratif ◊ 100
Désignation, origine, identité ◊ 100
De la comédie à la Hofkapelle ◊ 102
Gouverner la musique française ◊ 107
Le prix de la musique ◊ 109
Musique et typologies comptables ◊ 110
Effectifs et salaires ◊ 115
L’économie matérielle de la musique ◊ 116

Négocier les goûts réunis ◊ 118


Pratiques d’hybridation ◊ 119
Horticulture et musique : des structures bicéphales ◊ 119
Les musiciens français et l’ascension de Steffani ◊ 120
La musique française en question ◊ 122
Musique française, musique italienne : un royal affrontement ◊ 122
L’administration face aux conflits ◊ 126
Ruptures et reconfigurations ◊ 130
Un divertissement français ◊ 130
Le renvoi des Français et le règne d’Auguste III ◊ 132

Chapitre 3. Frantzösische Musicanten : une biographie collective ◊ 135


Musiciens migrants ◊ 137
Les ressorts de la migration ◊ 138
Réseaux socio-professionnels et facteur familial ◊ 138
Les raisons du départ ◊ 141
L’attrait de l’étranger ◊ 144
La vie dans l’Empire ◊ 147
Voyage et installation ◊ 147
Pratique religieuse et identités confessionnelles ◊ 151
Faveur, cabales, patrons : le monde de la cour ◊ 154
« L’esprit de retour » ◊ 157
Une mobilité permanente ◊ 158
Revenir au pays ◊ 160
Le bonheur en Allemagne ? Installations, reconversions, dynasties ◊ 164

Servir un autre maître ◊ 166


Les espaces de la musique française ◊ 166
Le théâtre ◊ 166
La table et la chambre ◊ 171
L’église ◊ 173
Identités remarquables ◊ 174
Maîtres de chapelle, maîtres de concert ◊ 174
Les bandes de hautbois, entre musique militaire et musique de cour ◊ 176
Chanteuses et actrices françaises ◊ 179
Les tâches du musicien ◊ 181
L’enseignement de la musique et de la danse ◊ 181
Le musicien comme agent d’affaires et diplomate ◊ 184
Copier la musique française ◊ 185

Chapitre 4. La dissémination de la musique ◊ 191


Les imprimés musicaux : de l’achat à la copie ◊ 193
Les collections de cour ◊ 193
Une mosaïque de provenances ◊ 193
Objet de collection ou support de pratiques ? ◊ 195
Air de cour et cantate ◊ 200

– 348 –
Table des matières

Les sources du motet ◊ 201


Un corpus exemplaire ◊ 202
Les motets de Lully à Dresde ◊ 204
Les motets de Robert à Dresde ◊ 206
Du livre d’orgue à l’Orgelbüchlein ◊ 208
Les copies de Weimar ◊ 209
Adam Sellius, libraire français ◊ 211
Les copies berlinoises ◊ 212

La musique française dans les collections manuscrites ◊ 215


Les suites françaises dans le répertoire de la Hofkapelle de Dresde ◊ 215
Matériel d’orchestre et répertoire français ◊ 216
Pratiques orchestrales et disciplinisation ◊ 217
Nomenclatures à la française ◊ 222
La diaspora des sources de Hanovre ◊ 225
Les manuscrits de Darmstadt ◊ 226
Les sources de Londres et Amsterdam ◊ 227
La musique française dans la collection Bokemeyer ◊ 229
Entre compilation et objet de mémoire : le livre de musique ◊ 234
Le livre de musique de Ludwig Rudolf de Wolfenbüttel ◊ 234
Une pratique partagée ◊ 243

Chapitre 5. L’invention allemande du style français ◊ 245


« Nach Französischer Art » : composer à la française ◊ 247
L’apprentissage d’une méthode ◊ 248
L’ouverture et les « lullystes allemands » ◊ 248
À la recherche d’une « méthode françoise » ◊ 252
Pratiques d’écriture et techniques de composition ◊ 256
Expérimentations et hybridations ◊ 261
Gallicus Adventus ◊ 261
Ouvertures entre Köthen et Leipzig ◊ 267
Regards rétrospectifs ◊ 270
Par-delà l’ouverture : les marqueurs du style français ◊ 271
Une diversité de pratiques d’écriture ◊ 271
Stabilité tonale et changement de mode ◊ 273
Moduler à la française ◊ 279

La musique française comme objet de controverse ◊ 282


Sous le signe de la modernité ◊ 283
Une querelle des Anciens et des Modernes ◊ 284
« Grand Partisan de la Musique Françoise » ◊ 286
Bach contre Marchand : un duel symbolique ◊ 287
Critique de la galanterie et crise de l’opéra français ◊ 289
La tragédie en musique : un modèle à bout de souffle ◊ 289
Critiques éclairées de la galanterie ◊ 292
Telemann entre deux fronts : l’opéra comique ◊ 296
Musique française et Lumières : vers un renversement des alliances ◊ 298
De la galanterie au style galant : mutations d’un concept ◊ 299
Cosmopolitisme et refus des styles nationaux : Scheibe contre Birnbaum ◊ 302
Sous le signe des anti-Lumières musicales ? Marpurg et Agricola ◊ 304

Conclusion. L’année 1733 comme terminus ◊ 307

Sigles utilisés ◊ 311


Sources imprimées ◊ 313
Bibliographie ◊ 317
Index nominum ◊ 337

– 349 –

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