Vous êtes sur la page 1sur 19

ECOLE SUPERIEURE DE MUSIQUE ET DE DANSE

ANNÉE ACADÉMIQUE : NIVEAU :


2020-2021 LICENCE PROFESSIONNELLE 2

COURS DE MUSICOLOGIE
SEMESTRE 2

Par
Dr. ATTOUNGBRE Félix
Enseignant à l’INSAAC

Avec la validation de l’U P Culture Musicale

Page | 1
CONSIDERATIONS GENERALES

En Licence 1, le cours de musicologie a consisté à étudier des fondamentaux


de la musique en tant qu’apanage des peuples et de l’humanité toute entière. A ce
titre, beaucoup de notions ont été acquises sur les définitions et les origines de la
musique. De plus, le son musical en tant que phénomène social et ses relations avec
la danse ont été également étudiés. L’on a aussi mis la musique en relation avec la
science pour pouvoir déchiffrer les concepts de musicologie, d’ethnomusicologie et
d’organologie qui ont fourni à l’étudiant les bases théoriques et scientifiques de
l’étude musicale au niveau universitaire. Cela a permis à l’apprenant de prendre vite
conscience de ce qui l’attend dans la suite de son parcours à l’école supérieure de
musique et de danse.

En Licence 2, il est maintenant question pour l’étudiant d’appréhender à


nouveau le champ sémantique de l’art musical à partir de ses acquis en première
année. Il s’agit de s’approprier d’un vaste champ sémantique de la musique afin d’en
ressortir les problématiques sous-jacentes.

En effet, en analysant la musique sous plusieurs formes (savante,


traditionnelle, moderne, contemporaine, Européenne, Africaine, etc.), dans sa
conception et dans sa manifestation, l’on ne peut que s’édifier de cette évidence : les
frontières du domaine musical ne sont pas les mêmes partout et pour tout le monde.
Le champ définitionnel de la musique s’élargie au fur et à mesure que chacun ouvre
ses oreilles, son esprit aux cultures exogènes. En clair, plus on s’ouvre sur
l’extérieur, plus on se forge un concept moins restrictif de la musique, car on
améliore ainsi sa culture et ses désirs.

Cette affirmation montre réellement que la musique est à l’homme ce que les
couleurs et les formes sont à la peinture. L’évolution des sciences et des techniques
ainsi que l’élargissement du champ de connaissances dans les spécialités les plus
diverses ont entrainé l’élaboration de plusieurs théories issues des modifications
notables de l’environnement dans lequel l’homme est amené à se métamorphoser.
Ces théories développées pour le compte de la musique ont vu évoluer, au gré du
temps et des courants esthétiques, les fondements de la création artistique.

Page | 2
Si cette affirmation est indiscutable, il est vrai que les nombreuses
manifestations de la musique dans les différentes contrées et les espaces du monde,
doivent constituer le corpus du travail qui attend les étudiants. De ce point de vue, la
musique africaine constituera l’essentiel du corpus à étudier. L’espace africain est
traversé par plusieurs formes d’expression musicale (folklorique et traditionnelle,
religieuse, profane, moderne, etc.) acquises depuis les périodes précoloniales,
coloniales, postcoloniales ou contemporaines. Chaque expression musicale, selon
l’espace, revêt une triple dimension thématique, socio esthétique et organologique
spécifique. Découvrons-les à présent.

Page | 3
CHAPITRE III : LA COMPOSITION DES ESPACES
MUSICAUX EN AFRIQUE

L’Afrique a toujours été la terre par excellence des musiques de la vie, de


celles qui rythment les faits et gestes de chaque famille, chaque communauté et
chaque espace du continent avec des peuples qui sont nourris à la même sève
culturelle.

Ce chapitre propose alors d’étudier les espaces culturelles clés sur lesquels
reposent les musiques. Une telle étude musicologique ne sera possible qu’avec le
concours des sciences géographique, historique, socio-anthropologique ou encore
cognitive. Les espaces que nous découvrirons sont nourris de différents champs
linguistiques, idéologiques et cosmogoniques.

Le plan adopté pour tenter de dessiner ces espaces à l’intérieur desquels on


trouve les formidables histoires des musiques noires, se structure à partir des
données historiques et géographiques, grandement liées aux migrations et à la
réimplantation des peuples, à l’adoption du monde moderne et ce qui reste dans la
plus pure tradition. L’étude de ce chapitre est donc une géographie culturelle qui
montre comment les cultures musicales se sont enrichies les unes des autres. De ce
point de vue, nous parcourrons tous les espaces occupés par les peuples africains
depuis le grand bloc continental jusqu’aux petits blocs insulaires et créoles, sans
perdre de vue celui des Noirs d’Amérique dont le peuplement est lié à la traite
négrière.

Page | 4
III.1 : L’ESPACE MUSICAL ARABO-MAGREBIN (NORD)

Située entre les civilisations arabes et celles d’Afrique, l’Afrique du nord croise
des esthétiques musicales qui, tout en s’interpénétrant, continuent pourtant à affirmer
la diversité de leurs origines multiples. L’on sait que les pays comme l’Algérie, le
Maroc, la Tunisie (côté Maghreb) et l’Egypte et la Libye (côté Machreq) ont subi eux-
mêmes des mélanges musicaux dès le 8ème siècle, par le contact avec l’Inde puis
avec l’Asie centrale. Leur musique a été aussi influencée par les sonorités iraniennes
ou afghanes et celles de l’Arabie.

La musique arabo- Magrébine (dont le style et le contenu varient sensiblement


depuis la Lybie jusqu’au Maroc) respecte toutefois un principe formel commun : la
suite vocale et instrumentale ou « Raiba ». Ce style est né de la combinaison des
traditions locales et des apports andalous, un moule culturel hybride que l’on désigne
sous l’appellation de culture musicale arabo- andalouse1.

Les caravanes des commerçants berbères transportaient de part et d’autre de


cet espace arabo-Magrébin, des marchandises mais surtout des cultures et
expressions musicales qu’elles propageaient et qui trouvaient un écho favorable au
sein de toutes les classes sociales.

III.2 : L’ESPACE MUSICAL NILO-ARABO- BANTOU (EST)

En parcourant cette zone africaine, l’on croiserait à coup sûr, des expressions
musicales extrêmement complexes relevant des types Bantous, soudanais,
arabisés : d’où les pays comme l’Ethiopie, le Kenya, le Rwanda, l’Ouganda, la
Somalie et la Tanzanie. Dans cette partie de l’Afrique, la musique purement
ancestrale. En longeant la côte Est de l’Afrique, l’on a le loisir de traverser ces pays
aux multiples civilisations.

La mémoire des ancêtres suggère aussi aux meilleurs artistes de cette zone
africaine, l’usage des récits épiques qu’accompagne la lyre traditionnelle nommée
kraar (en Ethiopie) où l’expression vocale est un élément essentiel du patrimoine

1
L’adjectif « andalouse » vient du mot Andalousie qui est une communauté autonome du sud de
l’Espagne dont la culture a beaucoup influencé celle de l’Afrique blanche.

Page | 5
musical des peuples. Les Azmaris (attachés à la musique traditionnelle), continuent
de véhiculer la mémoire collective à travers les fêtes, les réunions publiques dans les
villages. Ils chantent les louanges, la joie et la tristesse en accompagnant en
accompagnant de la harpe à six cordes (le kraar), d’une lyre à une corde (le
Macinco) et parfois d’un accordéon. La danse (Eskeusta) se pratique et continue de
soutenir aussi bien les musiques traditionnelles que d’autres rythmes nouveaux.

Au Kenya, les chants polyphoniques accompagnent la vie campagnarde dans


ses différents cycles, se distinguant entre eux, par une expression vocale dont les
styles confèrent à leur art une variété de motifs et une richesse de timbres
impressionnants, s’incrustant dans une ravissante palette de tonalité. La danse
accompagne nombre de rituels, comme la célèbre compétition entre hommes Masais
qui doivent sauter le plus haut possible en gardant les pieds joints. Sur la côte de
Zanzibar, la musique Taarab jouée dans les mariages Swahilis se manifeste bien
encore plus.

Au Rwanda, le tambour royal des ancêtres des clans Tutsis, est encore
pratiqué par les spécialistes. Le répertoire des chants traditionnels codifiés et
formalisés par le Roi Yuki III Mazimpaka est encore joué de nos jours. Le clan
Abasindi possède un ensemble orchestral, hérité depuis l’aube des temps,
comprenant cinq ou six flutes en bois drapées d’une peau de coup de taureau.

En Ouganda, la musique de cours est la plus important depuis des siècles. Le


Kabaka (Roi) entretient les multiples orchestres, et les instrumentistes sont placés
sur son autorité. Les musiciens royaux jouent aussi de l’Akadinda, gigantesque
xylophone sur tronc de bananier comportant 22 lames et joué par six musiciens. Au
palais royal, les ensembles de trompes traversières (Amakoondère) jouent à tour de
rôle suivant le protocole du calendrier musical. Les musiciens sont logés dans le
village des joueurs de trompes dans l’enceinte même du palais.

En Somalie, Les Somalis2 chantent leur poésie en frappant sur des bidons
transformés en percussion de fortunes pour faire danser hommes et femmes. Dans
la société pastorale du nord, les femmes jouent du tambour à l’occasion du
Buraanbur.

2
Les somalis sont un groupe ethnique de la Somalie. A ne pas les confondre avec les habitants de la
Somalie qui sont les somaliens.

Page | 6
En Tanzanie, depuis les temps jadis, la société Haya joue de la cithare à sept
cordes (Enanga) pour accompagner les épopées historiques et chanter les louanges
des chefs. Des orchestres de trompes traversières en corne célèbrent le retour des
guerriers victorieux. Dans tous les groupes sociaux du pays, de nombreux musiciens
se produisent à l’occasion des fêtes rituelles ou de simples divertissements. Leurs
chants polyphoniques s’accompagnent de sonnailles, de hochets, de tambours et
autres instruments. Les peuples attachés à la musique traditionnelle sont entre
autre :

- Les Chaaga Menu : Ils peuvent regrouper 600 chanteurs (hommes et femmes)
pour accompagner les danses du terroir.

- Les Wagogo : Peuple d’élevage et de culture, ils réunissent souvent des centaines
de participants (musiciens- chanteur) pour animer les cérémonies agraires.

- Les Sukuma : Hommes et femmes chantent à l’unisson au cours des compétitions


de danse. Les jeunes danseuses sont séduites par les chants des éleveurs de bétail.

En somme, cette bande culturelle dite nilo-arabo-bantou, se présente dans le


paysage sonore africain, comme une plate-forme aux teintes musicales bigarrées,
avec des influences culturelles entre kenyans, éthiopiens et ougandais, et « dont la
diversité des styles (taarab, benga, pop kikuyu, kamba…) impriment forcément sur le
cœur des mélomanes quelques sillons de bonheurs3 ».

III.3 : L’ESPACE MUSICAL BANTOU PYGMOÏDE (CENTRE)

Sur une carte, cet espace indique les pays suivants : le Cameroun, la
Centrafrique, la Guinée-Equatoriale, le Burundi, le Gabon, le Congo Kinshasa, le
Congo Brazzaville et le Tchad. C’est au cœur de la grande forêt de l’Afrique
Centrale, où l’arbre musicien semble avoir fait pousser ses racines au plus profond
de l’humus. Entendant bruire les chants d’oiseaux et du vent entre les brindilles
d’arbres, les pygmées sont mêlés à la polyphonie audio génique de cette région.

Ici encore, les bantous possèdent une bonne partie des ressources
organologiques dues à leurs pratiques musicales qui paraissent très anciennes ce

3 Manda TCHEBWA, l’’Afrique en Musique, tome 4 P.210.

Page | 7
qui avec le temps, n’en a pas empêché la diversification des expressions musicales
tout en consolidant leur sensibilité dans la combinaison des valeurs de notes et des
durées, avec la forte présences des polyphonies vocales et instrumentales,
l’exécution homophonique accompagnée ou non de percussions, la mesure
additionnelle de divers accessoires sonores.

Le Cameroun possède une grande diversité culturelle. La musique règle la vie


économique, sociale et spirituelle. La danse Ambas-baie engendre une musique de
même nom, où un guitariste circule de village en village accompagné par un public
qui bat le rythme avec des baguettes ou des bouteilles. Le Bikutsi « Frapper le sol »
est un rythme guerrier joué au xylophone. Le Bikutsi par la suite popularisé par les
guitaristes depuis 1944.

On peut donc déduire que c’est de tous ces traits esthétiques, vivifiées par le
brassage avec d’autres cultures lointaines que dérouleraient dans une phase ultime,
rumba, soukouss, makossa, ndombolo ainsi que les autres rythmes contemporains
urbains de l’Afrique centrale.

Au Gabon, les pygmées (les premiers habitants) installés dans l’arrière-pays


et les bantous (les plus nombreux) possèdent un patrimoine musical assez riche en
son, en voix et en instrument. Comme chez tous ses voisins, la musique
traditionnelle gabonaise est très variée et accompagne les principaux rites : bwiti,
ndembé, mongala, mimbwiri, ndjobi, isemboué et ikoukoué, etc.

Le Nghombi, harpe sacré à tête de femme est instrument premier au Gabon


(Liliane Prévost et Isabelle De Courtille, 2008), La danse initiatique « bwitiste » est
une danse mystique, exécutée au son de la harpe sacrée, du Mungongo (arc en
bouche), des tambours et d’incantation. Au cours de certaines cérémonies en
hommage aux ancêtres, les Mighounzi (le corps recouvert de matières végétales),
portent des masques anthropomorphes ou zoomorphes.

Chez les femmes, les battements de mains (instrument primordiale) très


souvent s’exercent dans les marigots ou les endroits de baignade. Le jeu consiste à
plonger alternativement les deux bras dans l’eau de manière à ce que se forme une

Page | 8
poche d’air dans laquelle s’établie la résonance de la percussion dans la paume. Un
rythme de sons divers s’établie ainsi.

Les peuples de Centrafrique sont très nombreux et leurs pratiques musicales


sont pour la plupart des musiques rituelles et collectives, à forte présence de
polyphonie et de polyrythmie. Le répertoire des chants est vaste. Chasseurs,
guerriers, initiés, jeunes filles sont tous mêlés au chant et à la danse. Les Banda
utilisent les xylophones portatifs et les tambours de fente dans les danses et les
divertissements. Chez les Gbaya, la musique vocale avec cœur domine. La fête des
Dambou donne l’occasion aux hommes et aux femmes de chanter et de danser au
son de trois lingas, rythme agrémenté par les sonnailles que portent les danseurs
aux chevilles. Il y a aussi la danse royale des Ngbaka réservée aux ancêtres.

Dans les deux Congo (Brazza & Kin), la musique « bi-riveraine » s’exprime
dans des chœurs de piroguiers au son des tambours, ou dans les chants
accompagnés à la guitare, les pionniers du chemin fer en construction. La musique
congolaise (Brazza & Kin) a très vite adopté le rythme urbain : les rythmes agbaya et
maringa, variation du folklore ainsi que celui plus exotique ramené par le flux de
marins, des cheminots et les commerçants.

Au Tchad encore, la danse et la musique sont très riches et présentes dans


toutes les cérémonies. Les populations jouent sur de très grande variété
d’instruments traditionnelles. L’intronisation du chef traditionnel (le Derclé) exige la
fabrication du grand tambour Nan’gara, instrument symbolique. Les arabes Salamat
utilisent les ensembles de trois flutes obliques, renforcées parfois par un ensemble
de tambours. Chez les Arabes, les chanteurs interprètent les chants satiriques
accompagnés par leur luth dont le son des trois cordes est enrichi par celui des
cauris que porte le musicien sur sa coiffe, ou par celui du bruiteur métallique frappant
le manche de l’instrument.

Chez les femmes, le répertoire des chants de mariage comprend pièces (le
Tudusa) qui correspondent aux sept jours de la semaine durant lesquelles la natte
rituelle doit abriter les nouveaux mariés.

Page | 9
III.4 : L’ESPACE MUSICAL SOUDANO-SAHELIEN (OUEST)

C’est l’espace qui rassemble le plus grand nombre de pays dont la Côte
d’Ivoire. Les autres pays sont le Bénin, le Burkina Faso, la Gambie, le Ghana, la
Guinée Bissau, la Guinée Conakry, le Libéria, le Niger, le Nigéria, la Mauritanie, le
Mali, la Sierra Léone et le Togo. C’est en d’autres termes toute l’Afrique occidentale
qui est concernée par cet espace musical.

En effet, cette aire culturelle dispose d’un inépuisable trésor de musiques


traditionnelles, gardienne des valeurs ancestrales ayant résisté à l’usure du temps, et
qui puisse sa sève dans l’humus des différentes traditions qu’entretiennent avec
passion les différentes aires culturelles de cette région de l’Afrique. On peut citer
l’aire culturelle mandingue (Mali, Guinée, Sénégal, Gambie…) avec ses nombreux
Djeli convertis souvent en balafola4 et/ou korafola5 qui enrichissent l’espace musical
et organologique mandingue, tant du point de vue traditionnel que moderne.

En effet, le patrimoine de l’Afrique de l’ouest est bien à l’image de la richesse


de ses variétés musicales : savante, folklorique, instrumentale et vocale. Mosaïque
de composantes ethniques avec chacun sa propre couleur musicale, baignant ainsi
sous des influences négro-africaines, berbères, arabes et autres.

Le commerce transsaharien, tout en assurant le transport, véhicule également


les idées et les valeurs de la civilisation. La tradition orale confère à l’histoire du
continent une puissante originalité. C’est à la fois la source et un véritable musée
vivant de toutes les productions socioculturelles (musique, danse, etc.) capitalisées
par les peuples réputés sans écriture.

III.4.1 : L’origine de la tradition musicale mandingue et le rôle des griots

Le brassage des peuples fait donc éclore une riche production artistique. La
connaissance se distille dès les premiers temps de la vie au travers d’un
enseignement qui englobe diverses formes d’éducation traditionnelles et initiatiques,
récits généalogiques et contes mythiques à travers les chants, danses et musiques.

4 Le terme "balafola" signifie joueur de bala. Le bala lui-même est un xylophone malinké appelé de façon générique
"balabon".
5 Le terme "korafola" signifie joueur de kora. La kora est un harpe-luth (instrument de musique) privilégié dans l’aire culturelle

Mandingue.

Page | 10
Autant qu’on puisse en avoir l’assurance, on peut dater les premières
expressions de la musique mandingue au 12è siècle sur les terres de l’empire du
Mali. La musique est alors l’affaire de la seule caste des griots, les maitres de la
parole. Ce sont des chanteurs et compositeurs dans les sociétés malienne,
gambienne, sénégalaise et guinéenne dont le rôle est de distraire leur auditoire, mais
surtout de participer à tous les moments importants de la vie de l’homme : naissance,
baptême, circoncision, mariage et mort.

III.4.2 : La tradition musicale ivoirienne

La Côte d’Ivoire précoloniale étant encore majoritairement rurale, la musique


était, comme le disent les ethnologues, « fonctionnelle », on l’utilise pour le travail et
pour les moments ritualisés des réjouissances collectives. Les mélodies populaires
proviennent du fin fond du temps et circulent entre les régions, entre le profane et le
religieux, entre les classes sociales.

Dans la plupart des activités chansonnières, musique, parole et danse sont


intimement liées. En effet, aucune ethnie de Côte d’Ivoire (comme la plupart des
langues africaines) ne possèdent de terme générique pour désigner la musique ; pas
plus qu’il en existe pour le concept de mélodie ou celui du rythme.

Ainsi, le concept de musique est désigné par « chanson » et « danse » et leur


point d’ancrage est la parole. L’enrichissement du patrimoine musical se faisait par la
régulation d’une expression corporelle sous l’empire du rythme capable de régir la
direction et tous les mouvements des musiquants6. Dans cette musique traditionnelle
très vivace, la chanson représente une part très importante du folklore verbal
ponctué de proverbes et d’autres préceptes de vie.

En effet, la Côte d’Ivoire précoloniale disposait d’un épuisable trésor de


musiques traditionnelles, gardiennes des valeurs ancestrales ayant résisté à l’usure
du temps, et qui puise sa sève dans l’humus des différentes traditions
qu’entretiennent avec passion les différents groupes ethniques : Gour, Mandé, Krou
et Akan. Au sein de cette société rurale traditionnelle et précoloniale, de nombreux
temps sociaux se concentraient autour de l’expression musicale.
6 Dans son ouvrage intitulé « L’Afrique en musique ; tome 1 », Manda TCHEBWA cite Gilbert
ROUGET comme étant l’auteur du vocable "musiquant". C’est un musicien qui n’a pas le statut de
l’être, car il ne pratique l’instrument que pendant une cérémonie précise.

Page | 11
D’où viennent les chansons en usage dans les campagnes durant cette
période ? Il semble que les frontières entre musiques profanes et musiques sacrées
aient été poreuses. Les groupes ethniques furent source d’inspiration, de la divinité à
la nature. Chaque groupe ethnique représente également un foyer de ressources et
d’emprunt pour le chansonnier, et dont les textes et mélodies sont largement inspirés
d’un fond commun et fédérateur en provenance potentielle d’un périmètre ayant les
mêmes traits culturels et linguistiques.

Dans l’univers Gour, les Sénoufo possèdent les danses masquaires comme le
Wemblé, le Tchologo, le Poro et le Boloy (danses initialement sacrées). Le
xylophone Djéguélé devient le domaine propre à l’expression musicale. Les Sénoufo
considèrent le Djéguélé comme étant la découverte d’une facture instrumentale
beaucoup appréciable d’une part, et d’autre part comme étant un support de création
musicale « géante », « mobile », composé de divers éléments sonores dont les
harmonies et les mélodies constituent un répertoire ou un patrimoine musical qui a
une influence évidente dans la vie sociale.

Les Mandé vont puiser de la sève vivifiante dans les trésors de leurs traditions
musicales enfouies dans le fond des âges pour créer le Yagba et le Goumbé. Ces
deux genres musicaux teints de couleur mandingue (Djoula) ont envahi les petites
cités urbaines de l’époque. Djembé, balafon et kora produisent des rythmes et des
polyphonies envoutants. Les danses masquées comme le Flaly, le Zahouli et le
Zamblé ont une place prépondérante permettant de synthétiser et d’analyser les
multiples aspirations et valeurs de la société Mandé (Gouro).

Dans l’univers krou, on pouvait aussi identifier de multiples danses et chants


populaires, signes de véritables créations artistiques. Niamboua et Bété se servaient
des Digba, Gbégbé, Glè, Zaglobi, Tohourou, Alloukou dont certaines esthétiques ont
été tirées des traditions musicales Wê, se sont avérées particulièrement actives et
entreprenantes au cours de la période coloniale.

Les Akan avaient aussi de multiples créations. Chez les Baoulé, naissaient des
expressions musicales comme le Kotou, l’Adjemlé et empruntent le Goly des Wan.
Les Agni créèrent l’Abodan le Grolot, le Kéniankpli et le Ndolo. Les Adjoukrou ont les
évènements musicaux comme le Low et ses variantes (Agbandji, Ebeb, Bédiakp. Le

Page | 12
fokué des Tchaman (fête de génération) avec ses corolaires de chants populaires et
de danse guerrière créant parfois de véritables spectacles vivants. Chez les Akyé,
N’dé et Allegnin sont deux évènements musicaux populaires et collectifs.

III.4.3 : Autres traditions musicales ouest africaines

La richesse culturelle du Burkina Faso est sans aucun doute liée à sa grande
diversité ethnique. Au nord sahélien, les instruments sont légers et évidemment
portatifs : flute, luth, vièle monocorde dont les Peuls, Bellas et Touaregs tirent des
mélodies élégantes et poétiques.

En revanche, les régions des grands agriculteurs sédentaires combinent


calebasses, tambours cylindriques et autres instruments rythmiques pour produire
des musiques de toutes catégories. C’est le cas des Mossi et des Gourmantchè.
Chez les Lobi, les Dagari, les Bobo et les Birifor, on note une prédilection pour les
aérophones (flute et sifflet). La musique de cour est en relation étroite avec
l’organisation sociopolitique de certains groupes comme les Mossi attachés
officiellement à la cour royale (Moro Naba).

Dans la société Wolof traditionnelle (Sénégal), le tambour Sabar sert aux


villages de se communiquer. Le jeu de Sabar comporte trois fonctions : la danse, la
lutte et la transe. Le rituel de percussion (musicothérapie traditionnelle) amène le
tambour major à susciter chez l’initié jusqu’à ce que la possédée soit à la merci des
batteurs. Le Mbalax est aussi un rythme phare au Sénégal.

III.5 : L’ESPACE MUSICAL AUSTRAL (SUD)

Pour cet espace, on peut citer l’Afrique du Sud, l’Angola, le Malawi, la


Mozambique, la Zambie et le Zimbabwé. Dans cette région de l’Afrique, la plupart
des pays précités ont des singularités culturelles, mais ont en commun un "sound"
populaire reposant sur une pratique vocale à l’octave, qui se matérialise par l’usage
des viriles pleine d’énergie, vue comme un véritable héritage acquis dans les sables,
les forêts et les épineux dans le désert du kahari.

Page | 13
« Il y a à la fois des musiques de femmes chantant en chœur et aussi celles
des hommes grondant comme le tonnerre même, avec leur voix de baryton souvent
associées à un jeux scénique allié à des formes de danses tribales très viriles d’un
attrait irrésistible. Il s’agit d’un tissu vocale privilégiant, ainsi que l’indique
Luigi ELONGUI, une structure harmonieuse en cinq parties plutôt qu’en quatre, cette
dernière étant typique des styles américains et dans laquelle la ligne de chant du
ténor soliste alterne avec la section aigüe et le grave7 ».

A voir les choses, les musiques de l’Afrique du Sud, ont influencé sensiblement
tous les voisins par leurs constructions rythmiques emballantes et même par l’usage,
depuis les années 1960, de la flûte du Marabi8 à partir du succès dans les années
1920 du répertoire des groupes comme zulu boy. Les traces des musiques
américaines comme la techno et autres…, font aujourd’hui une part belle aux
musiques d’Afrique australe.

La musique sud-africaine est bien évidemment fortement marquée par le


régime de l’apartheid. Pour atteindre une audience de masse, elle doit se conformer
à ses lois, une des obsessions du pouvoir étant de maintenir séparées les cultures
des diverses ethnies. La musique sud-africaine est une fusion des différentes
musiques des communautés noires : Zoulou, Xhosa, Sotho, Tswana, Venda, et
Tsonga.

Pour ce qui concerne la musique des townships9, le Makwaya représente la


musique chorale africaine. Elle a influencé diverses musiques vocales et
instrumentales. La Gumboot est « la danse des bottes de caoutchouc » pratiquée
dans le fond des mines d’or par les noirs en pleine ségrégation raciale.

En Angola, les danses traditionnelles sont fréquemment accompagnées par le


Semba comme dans le kissenlenghena (danse de la virilité), le kelombelombe
(danse de l’oiseau), le lamenja (danse d’offrande à la mère) et la batuque (danse du
vaudoue). Les Lamentos sont les chants souvent nostalgiques et tristes : chants
funèbres, lamentations et chroniques sociales. Les instruments d’accompagnement
sont l’arc musical (Undu), la guitare traditionnelle (Kokoa) et les percussions

7 Manda TCHEBWA, op.cit. P.278.


8
Le Marabi musique est une sorte de jazz sud-africain joué avec des guitares, pianos et percussions.
9 Le township est le ghetto noir, bidonville d’Afrique du sud.

Page | 14
(Dikanzas). D’autres ryhmes traditionnels comme le Kazukuta et le Kena-mbika
inspirent encore de nombreux artistes.

Au Botswana, les habitants du Kalahari dont réputés pour les chants


polyphoniques, entrecoupés de halètements10 et onomatopées. Ils chantent à
diverses occasions : retour de la chasse, encouragement à la marche et autres
cérémonies rituelles.

Quant à la musique Mozanbicaine, dans le nord, les troubadours itinérants, en


majorité aveugles, accompagnent leurs chants d’une vièle monocorde. Au sud du
pays, l’art du Timbila (xylophone) des Chope se transmet de père en fils les soirs au
cours d’une dégustation de vin de palme. Le Marrabenta combinant plusieurs
rythmes traditionnels où les gens se rencontrent et boivent ensemble.

En Swaziland, les cultivateurs et éleveurs Swazi chantent, avec comme


instruments d’accompagnement la Guimbarde Sitolo, l’arc résonateur en calebasse,
la trompe traversière en corne et les sonnailles aux chevilles.

Au Zimbabwé, les femmes jouent du mbira et la plus connue au pays est


Stella Rambissai. Cet instrument était considéré par les portugais comme « l’œuvre
de Satan », alors que les zimbabwéens l’utilisent pour atteindre la bénédiction de
leurs ancêtres.

III.6 : L’ESPACE MUSICAL INSULAIRE ET CREOLE

La musique africaine des iles a été le théâtre des brassages divers dans les
océans atlantique et indien. Dans la plupart de ces îles, l’histoire de l’homme s’est
écrite avec le sang des esclaves noirs venant de tous les horizons.

Dans la grande île nommée Madagascar, la musique accompagne la vie et la


mort avec la grande ferveur. La musique malgache la plus joyeuse est celle qui
réveille les morts au son de l’accordéon et des tambours lors des séances de
possession nommées Famadibana. De l’est de l’île vient le Bassessa, une musique
au tempo languide. Il y a aussi le Soava (une sorte de gospel malgache) et le Ba-
gazy (Genre musicale inspiré du théâtre).

10 Le halètement est une sorte de fortes respirations saccadées.

Page | 15
Sur l’ile de la Réunion. Le Maloya (musique des noirs ayant subi une influence
européenne) garde encore ses racines et ses rites. Dans les caraïbes, la musique
née de la rencontre de deux mondes a servi de trait d’union à des populations et à
des civilisations. La musique et la danse sont un métissage de sons et de rythmes :
valse et polka (européens), Bou-doum et Badamoum (africains) ainsi qu’un fond de
percussions venant de l’Asie. Le Zouk, âme des Antillais réunit la richesse des
caribes avec des influences du jazz, le rock et de funk.

La musique du Cap-Vert est un mélange de percussions africaines, de la


langue du Fado portugais, des rythmes brésiliens qui décrit un style très particulier.
Le Norma (style et rythme le plus prisé des iles) et la Coladera (plus dansant) sont
nés sur les quais. Le Funana est une musique traditionnelle jouée essentiellement
dans les bals du village et ses paroles dénoncent l’injustice sociale. Il se joue au
Gaita (bandonéon) et au Ferinho (plaque métallique grattée par un couteau. Le
Bantuque est un chant collectif d’origine africaine qui anime les naissances, les
baptêmes et les mariages. Les percussions les guitares, la cimboa et les battements
de mains accompagnent le répertoire typiquement féminin.

III.7 : LA FIEVRE MUSICALE AFRICAINE DES ESCLAVES SUR LE NOUVEAU


CONTINENT

Les premiers courants de la musique noire américaine sont le Blues, « épine


dorsale » du Jazz, le Zydeco, le Boogie-woogie et la Soul music. L’origine du Blues
s’enracine dans les chants, les musiques et danses des terres africaines razziées par
les marchands d’esclaves. Plus que tout, le blues est une sensation d’expression
vocale. Les tous premiers chanteurs, souvent aveugles, s’accompagnent
généralement eux-mêmes à la guitare en se souciant peu des douze mesures
Chacun y va de sa propre interprétation, imposant son rythme, son invention, ses
sentiments et son émotion aux mélodies comme aux paroles qui l’accompagnent.

Musique typiquement de la Louisiane le Zydeco est une musique des créoles


noirs basée sur des chants très entrainants. Il se compose essentiellement de
berceuses, de complaintes et de ballades chantées à capella.

Le Boogie-woogie est certainement le plus « africain » de tous les styles de


piano jazz, par son caractère essentiellement rythmique et obsessionnel. La main

Page | 16
gauche joue une basse obstinée de huit notes par mesure. La main droite étant
totalement indépendante, brode des riffs et des phrases mélodiques employant tous
les procédés du blues au piano.

La Soul Music est la résultante du pont entre noir et blancs. Il prend forme
avec la voix superbe de Sam Cooke vers 1935.

Sur le marché d’esclavage, la musique était pour l’esclave un des grands


moyens d’évasion dans une vie presque totalement privée de sens et de dignité. Ce
pouvoir de la musique, les propriétaires et marchands le connaissent parfaitement et
en encourageaient l’usage, non seulement pour augmenter leur productivité, mais
surtout pour éviter les dépressions et les idées suicidaires. Chaque note portait
témoignage contre l’esclavage et suppliait Dieu les délivrer de leurs chaines (Prévost
et De courtille, 2008)

Les chants de travail, les work songs rythment et soutiennent les esclaves.
Sous forme d’appel- réponse, le soliste chante à tue-tête de courtes phrases
musicales auxquelles la collectivité répond des shouts (cris). Il semble que les
meilleurs musiciens noirs d’avant la guerre de sécession aient été les hommes qui
travaillaient sur les fleuves (Mississipi et Missouri).

Les danses sont, en l’absence d’instrument, rythmées par des tapotements


(les patting songs) sur les corps utilisés alors comme tambour, surtout les cuisses ou
les pieds frappant le sol. Le Shuffle rythmé par un pied bien à plat, donnera plus tard
naissance à un rythme voisin du Boogie-woogie.

Les minstrel fait son entrée. C’est une parodie des chants et danses nègres
par les blancs. Les spectacles se font à New York et James Bland (1854-1911) est
reconnu pour être le plus grand minstrel du monde.

Ainsi nait une musique religieuse afro- américaine. Les négros spirituals
s’imposent alors très tôt dans la communauté noire par le biais de la religion. Le
gospel11 apparait quelques temps plus tard et devient incontestablement une révolte
musicale contre une Amérique raciste.

11 Le gospel signifie good spell, c’est-à-dire « bonne parole ».

Page | 17
CONCLUSION

L’Afrique reste un immense réservoir d’inspiration pour toutes les musiques du


monde Chacun y puise ce qu’il a besoin de trouver. Loin d’être un simple voyage
dans les labyrinthes de la musique africaine, ce chapitre a été pour nous, une vraie
occasion de rencontres de toutes les aires culturelles de l’Afrique. Ainsi que ses
affluents insulaires et même continentaux.

Après avoir parcouru cette carte musicale africaine, il bon de retenir que toute
l’Afrique chante, prie, danse et bruit de plaisir à travers les tambours, les battements
de mains, rires, pleures et complaintes, partout dans le désert, les villages, les
savanes et forêts. Cette musique africaine n’est pas homogène car elle secouée par
une hybridation d’éléments musicaux d’origines ethniques différentes : d’où la
composition de plusieurs espaces musicaux.

Sept (7) grands espaces apparaissent de façon visible sur une carte cumulant
les avantages d’un vivier multiculturel. En parcourant tous ces espaces musicaux, un
accent a été mis sur les pionniers des différents mouvements qui ont contribué à
l’élargissement du champ d’exploration et d’interprétation des musiques
traditionnelles, source d’inspiration pour bon nombre des musiques modernes.

Page | 18
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE

1- ASSOUKPOU Adjitin, la musique, la danse et l’art : Dieu en parle, Abidjan,


éditions CEP, 2007, 112 P.
2- DAGRI Paul, Comprendre la musique africaine, Abidjan, NEI/CEDA, 2014, 178
pages.

3- GREEN Anne-Marie, De la musique en sociologie, Paris, Harmattan, 2009, 255P.

4- KOFFI Gbaklia, l’éducation musicale en Côte d’Ivoire, Paris, Harmattan, 2008,


202 P.

5- PREVOST Liliane et de COURTILLES Isabelle, Les racines des musiques noires,


Paris, l’Harmattan, 2008, 306 pages.
6- WONDJI Christophe (sous la direction de) la chanson populaire en CI, présence
Africaine, Paris, 1986, 342 p.
7-TCHEBWA Manda Antoine, l’Afrique en musique, tome 4 : contexte urbain, Paris,
l’Harmattan, 344 pages.

Page | 19

Vous aimerez peut-être aussi