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Les origines de la musique

occidentale

I. L’orient ancien : Mésopotamie - Égypte


· Les découvertes (poterie, métallurgie,...) ont permis la constitution des villes : une organisation politique et sociale
autour du temple et du palais royal. Les recherches archéologiques et le déchiffrement des écritures (cunéiforme,
hiéroglyphes) permettent de restituer ces civilisations et d’affirmer que la musique accompagnait les circonstances
de la vie.

· Beaucoup d’instruments utilisés en occident ont été mis au point à cette époque et leur diversité laisse supposer une
grande attention aux timbres : les cordes (lyre, harpe, luth) , associées à la poésie lyrique, les instruments à vents
(flûte, trompette qui accompagne les manifestations guerrières et les rites funéraires), les percussions (sistres,
tambours sur cadre (tambour de basque), cymbales (pour les danses extatiques).

· Les prêtres qui mènent les processions maîtrisent l’écriture des hiéroglyphes, la théologie, les sciences (calcul,
astronomie, rituels) mais sont aussi musiciens. Les souverains et les riches notables entretiennent des musiciens
pour leur plaisir et pour l’ostentation de leur puissance.

· La reconstitution des instruments donne une idée de la sonorité et des possibilités mélodiques, mais l’absence de
notation et de traité ne permet pas de trouver d’organisation. On formule quelques hypothèses en analysant les
systèmes de pensée d’autres créations artistiques qui étaient en étroite relation avec la religion, l’éternité, à travers
les mêmes thèmes (guerre, chasse, fécondité, vie rurale, divertissements princiers) où priment la parole. Le
caractère éphémère de la musique en fait plutôt une manière d’être.

II. Le peuple d’Israël : musique et spiritualité


· L’invitation constante à chanter dans les textes de la Bible permet de se faire une idée de la place privilégiée de la
musique. En effet, de par sa nature immatérielle, instantanée, la musique réclame la mobilisation des capacités
affectives, spirituelles et intellectuelles et sert d’intermédiaire idéal pour assurer la rencontre avec le Dieu unique et
transcendant. Comme Dieu, elle est irreprésentable (le 2ème commandement interdit toute représentation figurée de
Dieu), intraduisible, irréductible à tout le reste de la création. Elle appartient au domaine de l’abstrait. C’est une
manière d’intérioriser la relation à Dieu.

· Le livre des Psaumes témoigne de l’importance de la musique pour les Israélites ; il rassemble 150 poèmes écrits
entre le Xème et le IIème siècle av. J.C. et destinés à être chantés avec accompagnement instrumental. Certains portent
même des indications concernant l’exécution : désignation de l’instrument, jeu des voix (mi-voix, chœur), airs à
adopter, qui restent encore difficiles à interpréter.
· La musique accompagnait bien entendu toutes les cérémonies de l’Alliance (pacte avec Dieu dans la religion
juive) : transport de l’Arche, holocauste, purification du temple de Jérusalem. On n’hésitait pas non plus, et c’est
d’ailleurs condamné dans la Bible, à la profaner. Elle servait à manifester la puissance de Dieu, notamment grâce
au shofar (sorte de cor en corne de bélier) ; par exemple, l’écroulement de la muraille de Jéricho. David (roi
d’Israël v. 1000 av. J.C. qui vainquit le géant Goliath et fonda Jérusalem) aurait organisé les prêtres en 24
ensembles de 12 musiciens, chantres ou instrumentistes. Progressivement, le nombre de musiciens diminua et la
musique tomba en désuétude avec la destruction du Temple. Dans la liturgie synagogale, on met en valeur par la
psalmodie la signification du texte et on accentue le sentiment de dévotion. Seul le shofar demeura utilisé, afin
d’éviter aussi toute assimilation avec la musique profane.

III. La Grèce : naissance d’une pensée musicale


La musique grecque est celle qui est le mieux reconstituée parmi les musiques de l’Antiquité : aux vestiges
archéologiques, à tous les textes (épiques, poétiques, tragiques, philosophiques, politiques ) s’ajoutent des documents
musicaux : traités théoriques, “partitions” déchiffrables, renseignements sur la prosodie et sur la métrique, qui couvrent
plus d’un millénaire (et sont relayés par ceux de la civilisation romaine).

1. Les récits de la mythologie


· “Musique” a commencé par désigner ce qui concerne les muses. Les muses sont ou plutôt sont devenues des
divinités qui président aux activités de l’esprit (art et sciences) ; chez Homère, leur nombre n’est pas encore arrêté
et leur fonction toujours liée au chant (seul mode d’expression et de diffusion des connaissances) ; chez Hésiode
(VIIIème-VIIème s.), elles sont devenues neuf et leur fonction se précise : ce sont à elles que les bardes demandent
leur inspiration ; plus tard elles se spécialisent :
- Calliope dans l’éloquence et la poésie épique,
- Thalie dans la comédie,
- Polymnie dans la poésie lyrique,
- Terpsichore dans la danse,
- Uranie dans l’astronomie,
- Melpomène dans la tragédie,
- Érato dans l’élégie amoureuse,
- Clio dans l’histoire,
- Euterpe dans la musique.
Mais leur pouvoir est à l’image de l’esprit et du destin de l’homme, ambivalent, et est associé à l’activité
créatrice de la vie aussi bien qu’à l’attraction de la mort (certaines d’entres elles sont mères des sirènes...).

· Apollon est le dieu de l’ordre, de la mesure, de la beauté équilibrée qui inspire poètes et devins ; à la fois archer,
poète, devin et musicien, il est doté de l’arc et de la lyre qui sont à l’origine de plusieurs métaphores (“le poème est
une flèche”).

· Athéna, ayant fabriqué un double aulos en joua devant les autres dieux qui se moquèrent d’elle. Elle jeta donc une
malédiction sur l’instrument . Marsyas fut la victime : jouant magnifiquement de l’aulos il se proclama meilleur
musicien qu’Apollon qui le mit au défi. Apollon gagna mais tua quand même Marsyas pour se venger. Cette
légende met en scène deux conceptions opposées de la musique : celle de la lyre et celle de l’aulos, les deux
instruments essentiels de la musique grecque.
- L’invention de la lyre est attribuée à Hermès. Elle servait à l’enseignement de la musique. De cinq
cordes elle passa à sept puis à onze ce qui en réserva l’usage aux professionnels. On en jouait soit avec les
doigts, soit avec un plectre. La lyre, qui souligne la prosodie, le rythme et la mélodie se situe du côté de la
maîtrise que l’homme a conquise sur la nature. Elle est l’instrument de la vie sociale policée.
- L’aulos, proche de notre hautbois, était simple ou double, et percé de 10 puis 16 trous, sa taille
variant pour obtenir un son plus ou moins grave. Certains lui reprochait son manque de justesse. C’est
l’instrument de la nature sauvage, il se situe du côté du débordement des forces vitales. On l’utilise pour les
délires extatiques, les cérémonies d’initiation nocturnes.

· Dionysos est un dieu à part. Il vit à l’écart de la cité dans un monde de libre allégresse, un monde de l’irrationnel
accessible par la musique qui provoque le délire de l’ivresse et de la danse. Le culte qui lui est rendu est à l’origine
de nombreuses fêtes de la Grèce antique, notamment celles qui célébraient sa naissance par des dithyrambes et des
concours dithyrambiques.

· La légende d’Orphée peut être envisagée comme une synthèse entre les deux aspects ambivalents de la musique :
ordre/délire, raison/folie, création/destruction. La musique triomphe par delà l’opposition lyre/aulos, et dans sa
perfection, est ce qui donne toute sa force à l’individu.

2. La poésie chantée
· Les poèmes homériques, transmis oralement par les aèdes itinérants furent consignés par écrit plus tard. Ils
constituent le modèle même de la poésie épique grecque et étaient récités avec accompagnement musical. L’aède
était très considéré : il avait le même statut social que le devin, le médecin ou le constructeur de bateaux et jouait
un rôle essentiel au sein de cette société. Les nombreuses références à la musique permettent d’en cerner la
fonction sociale et religieuse. Il existe aussi un pouvoir indiviuel de la musique, d’apaisement et de consolation (cf.
Achille jouant de la lyre).

· La métrique donne des indications sur le rythme de la musique. Elle est constituée d’alternance de syllabes brèves
ou longues. L’unité de mesure est le pied qui comprend deux ou plusieurs syllabes. Voici les principaux pieds :
- le dactyle, comportant une longue suivie de deux brèves ( - u u )
- le spondée ( - -)
- l’iambe ( u - )
- la trochée ( - u )
- l’anapeste ( u u - )

Les vers obéissent de façon régulière à cette répartition mais les strophes de poésie lyrique et chorale font preuve d’une
plus grande liberté.

Les chants sont de différent types selon leur forme et leur destination :
- l’hymne est un chant solennel adressé aux dieux et accompagné par la cithare.
- le thrène est un hymne funèbre. La première mention se trouve dans l’Iliade.
- le péan est un chant de louange adressé à Apollon. Il servait aussi à célébrer une victoire ou à agrémenter un
banquet.
- l’ode était généralement composée de grandes séquences rythmiques alternées, appelées respectivement
strophe, antistrophe et épode. Chaque strophe et antistrophe reproduisait le même schéma rythmique et
mélodique, et l’épode un autre qui lui était propre. (cf. odes de Pindare)
- la scolie était une chanson de table ) tous deux accompagnés de l’aulos
- l’hyménée un chant nuptial )
- le dithyrambe était un chant choral, également accompagné de l’aulos et célébrant la naissance de Dionysos.
Dès le VIème s., il y eut des concours dithyrambiques lors des fêtes données en l’honneur de ce dieu.
- la tragédie fut une extensions du dithyrambe. elle faisait dialoguer un ou plusieurs héros avec un chœur.
Elles comprenaient des parties parlées et des parties chantées, qui se présentaient à la manière des odes.

3. Naissance d’une réflexion musicale


· Au VIème s. av. J.C., Pythagore et ses disciples inaugurent une nouvelle façon de penser. Ils cherchent à rendre
intelligibles les phénomènes en les rattachant à des principes premiers. Les mathématiques deviennent l’instrument
privilégié de cette quête et la musique est envisagée, dans ce nouveau contexte intellectuel, comme un phénomène
sonore reposant sur un ensemble de rapports numériques. On attribue à Pythagore la découverte du principe
fondamental de la musique : la relation existant entre les consonances et les rapports de fréquences. Il aurait appelé
harmonie la structure engendrée par les rapports consonants. Cette harmonie devint l’image sensible de l’univers et
ouvrit à l’étude des lois secrètes qui régissent les mouvements du cosmos, et à l’affirmation qu’il existe une identité
entre l’univers et l’âme humaine, l’un et l’autre étant régis par des rapports de proportions consonants. Platon
expose dans son Timée l’idée que l’ordre intelligible de l’univers est le résultat de relations numériques. Le monde
tourne selon un système de cercles concentriques, disposés suivant des distances correspondant aux intervalles
musicaux, sur lesquels se meuvent les planètes. Or comme tout ce qui se meut engendre un son (pour Platon...), les
planètes produisent donc des ondes sonores (dans le vide !) : l’ensemble de ces sons est appelé musique ou
harmonie des sphères.

· La musique, qui est rythme, harmonie, mesure, et fait percevoir l’ordre de l’univers, a une valeur éducatrice
fondamentale et ce dès l’époque homérique. La connaissance de la lyre et du chant était indispensable pour accéder
aux connaissances véhiculées par la poésie épique, lyrique, tragique mais aussi pour tenir son rôle de citoyen et
participer en tant que choreute aux cérémonies civiques, fêtes religieuses, concours. L’enseignement musical
s’effectuait de façon empirique : l’élève face au maître s’efforçait de l’imiter après avoir écouté et regardé. Outre
son rôle social, l’éducation musicale avait une portée morale sur l’individu et l’on mettait en garde contre les
nouvelles tendances : extension de l’étendue, chromatismes, modulations, libertés prises sur la métrique (cf.
Aristophane, Les grenouilles : “combat” entre Eschyle le démodé et Euripide le novateur en faveur du premier).
Pour Platon, la musique est une science qui assure une relation harmonieuse entre l’ordre naturel et l’âme humaine,
et est la propédeutique (ce qui prépare) à la philosophie. La doctrine de l’ethos analyse la valeur morale des
différentes harmonies. Ce que les grecs entendaient par harmonie, souvent traduit par modes, englobe aussi des
schémas mélodiques et thématiques, des formulaires assortis de particularités d’exécutions. Le philosophe
n’accepte que la musique mesurée et rejette la musique improvisée et du même coup l’aulos, instrument sans
rigueur harmonique et trop proche de la nature non disciplinée.

4. Les premières lois musicales

· Le premier traité d’harmonie que l’on connaisse est celui d’Aristoxène de Tarente, au IV ème s. av. J.C., suivis par
Euripide (IIIème s.), Plutarque (48-125), De Musica, Ptolémée (IIème s. ap. J.C.). Le système musical des grecs, tel
qu’il est dans ces traités est à la base du système occidental. Aristoxène organise son traité comme Aristote en deux
parties : Principes et Éléments ; il pense qu’il n’y a pas de musique en dehors de ce que nous fait percevoir la
sensation et que l’impression auditive prévaut sur la théorie. Il définit les principes indémontrables que saisit
l’oreille éduquée : les sons, l’intervalle, la combinaison des intervalles puis démontre ce qui fait qu’un phénomène
sonore est ou non musical et comment les objets musicaux s’organisent en réseaux et en formes. Il s’attache aussi à
montrer que la musique est une science autonome, fondée sur des principes qui lui sont propres : elle concerne deux
facultés, l’ouïe qui discerne les sons et les intervalles et la pensée qui en perçoit l’organisation. Il ne croit ni à la
mystique des nombres, ni à la doctrine de l’ethos. La musique est l’œuvre à la fois de la Nature et de l’artiste. Elle
n’est pas la représentation des êtres naturels, mais elle est cette organisation voulue par la nature. Le musicien n’a
donc pas à inventer mais à redécouvrir ce qui est donné par la nature, retrouver l’ordre naturel des lois musicales.

· Les modes sont au nombre de sept. Chacun est défini par sa note finale et s’étend sur deux tétracordes (chaque note
est émise par une des cordes de la lyre) séparés par une note pivot appelée la mèse. A ces modes se superposaient
trois genres - diatonique, chromatique, enharmonique - qui se différenciaient par la disposition des notes à
l’intérieur de chaque tétracorde, lequel était limité par des notes fixes et comprenait des notes mobiles à l’intérieur.
IV. Rome : vers une esthétique musicale
· Pour la civilisation romaine, la référence reste Aristoxène de Tarente et savoir le grec est indispensable pour
aborder les théories musicales. Mais la conception de la musique se modifie : le terme “musicus”, avec une
restriction de la signification, est l’indice d’un nouvel état d’esprit, caractérisé par une attention à la musique
proprement dite : elle acquiert un statut spécifique au sein du domaine des muses. Les représentations de musiciens,
scènes musicales, leçons de musiques, instruments foisonnent. C’est une population qui chante à la moindre
occasion. Les riches maisons possédaient des esclaves musiciens, malgré leur prix très élevé, que les propriétaires
valorisaient en leur faisant donner des cours.

· L’armée ne pouvait se passer de tubicines, musiciens joueurs de tuba. La tuba était un instrument à vent, formé
d’un tuyau conique droit terminé par un pavillon, donnant au maximum six notes différentes à la sonorité puissante
et éclatante. Tout évènement militaire était accompagné de musique : combat, retraite, assemblées, parades, défilés,
triomphes, sacrifices, exécutions capitales. C’était le premier objet avec lequel la jeune recrue faisait connaissance,
car elle communiquait l’esprit militaire. Elle servait également de tactique militaire : faire sonner la tuba dans un
camp déjà évacué pour tromper l’ennemi.

· Le théâtre romain était impensable sans musique. Dès Plaute, un joueur de tibia (sorte de flûte) présentait les
thèmes de la pièce comme une ouverture, des musiciens jouaient pendant les entractes. Dans la pantomime (danse
dramatique exécutée sur des sujets mythologiques par un acteur accompagné d’un chœur et d’un orchestre), la
musique a aussi sa place et dans les jeux du cirque, les tubicens marquaient les différentes phases des combats ou
faisaient taire le public.

· La musique accompagnait toutes les manifestations religieuses : sacrifices (le tibicen (de tibia) permettait de
couvrir tout bruit parasite et incitait à la ferveur), funérailles, cérémonies civiques, fêtes propres aux religions
orientales. Certaines confréries de la religion romaine, comme les Arvales ou les Saliens avaient mis la musique au
centre de leurs offices religieux.

· Tout comme en Grèce, la musique faisait partie de l’éducation sous la forme du chant et de l’apprentissage
instrumental ; pratique d’autant plus importante que les connaissances mélodiques et rythmiques étaient
indispensables à la formation de l’orateur. Les musiciens professionnels deviennent de plus en plus nombreux :
professeurs, musiciens dans une collège de joueurs spécialisés (tubicen à l’armée ou au cirque ; tibicen attaché aux
cérémonies religieuses ou offrant, comme les joueurs de lyre, leurs services aux particuliers).

· Cicéron, sans aller aussi loin que la doctrine de l’ethos, pressent que le pouvoir de la musique va au delà de la
question du comportement ; si elle ne forge pas l’attitude, elle permet toutefois d’aller au bout de ce que l’on
ressent. Elle permet de révéler ce qui était caché. Saint-Augustin (354-430) se méfie de l’action de la musique sur
les sens, de sa force émotive toujours imprévisible et de son lien trop étroit avec les plaisirs physiques. Les romains
ont donc pressenti l’esthétique musicale en remarquant que la musique ne pouvait se réduire à ses fonctions et aux
significations qu’on lui prêtait. Aux premiers siècles après J.C., la musique commence à être considérée comme un
art : non plus un savoir faire mais une activité spécifiquement humaine de l’ordre du spirituel associant l’intellect et
l’émotion, l’esprit et les sens, le rationnel et l’irrationnel, et indispensable à l’équilibre de la société.

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