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Anis Gouissem

Patrimoine Musical Tunisien : tradition et évolution

Tradition orale et histoire en Tunisie


Point des recherches et analyse historiographique

Les répertoires musicaux traditionnels de toutes sociétés de tradition


orale tant savants que populaires ne sont ni écrits ni même fixés dans
des formes rigides et absolues ; nul doute que ces musiques ont subi des
modifications apportées par ses exécutants successifs, selon leurs
tempéraments, leurs niveaux d’exécution ou leurs volontés à mettre au
goût du jour une mélodie jugée dépassée. Autrefois, le musicien
devenus référence dans leurs communautés étaient nommés selon les
régions « shîkh », « mâalam »… Le titre dûment acquis et la
reconnaissance par ses pairs péniblement méritée, ils n´avaient pas
achevé leur mise à l’épreuve pour autant. Ils étaient à la fois les garants
de la tradition et ses gardiens dévoués, la source intarissable et la
référence incontestée. Pour acquérir ne serait-ce qu’une bribe de ce
savoir, la dévotion du jeune apprenti était le maître mot.

La fragilité de ce patrimoine immatériel dont subsiste aujourd’hui


une représentation simplifiée d’un chant, écartés du contexte qui lui a
donné naissance nous impose de les repositionner car les sociétés et les
espaces dans lesquels ils évoluent actuellement sont le plus souvent
régis aussi par des mouvements associatifs dont les motivations
relèvent parfois du mercantilisme.

La musique tunisienne est un ensemble de musiques adoptées par le


métissage d'une population essentiellement arabe issue des Berbères

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avec les différents vagues musicales issues des occupants de ce pays


(colonisateurs ou immigrants puniques : vandales, romains, turcs,
andalous, français, italiens, etc.). Elle a été également influencée par la
chanson foundou et le zindali, constituant les deux principales formes
musicales populaire de ce pays.

La musique tunisienne a toujours affirmé un caractère récréatif. Elle


a souffert néanmoins d'une incommunicabilité entre la théorie et la
pratique à cause de l'absence d'une notation unifiée. Ces deux
phénomènes ont été perçus comme une entrave au développement de la
musique comme art indépendant en Tunisie.

Bien que la musique tunisienne est différente des autres pays du


Maghreb. Ne serait-ce que par son rythme qui est différent du rythme
algérien ou marocain. Les rythmes Fazzéni, Souga et Jerbi n'existent
qu'en Tunisie, c'est une particularité.

Cette musique s'insère par ses caractères dans la mouvance des


musiques dites « orientales » et constitue une synthèse entre le fonds
culturel propre du pays et des apports exogènes principalement
andalous et orientaux.

À la croisée entre l'Orient et l'Occident, la Méditerranée et l'Afrique,


la Tunisie a toujours été un pays de brassages, de diffusion et de
rayonnement au niveau de la musique.

Cette musique se caractérise par la variété de ses modes et par ses


rythmes spécifiques qui se distinguent nettement de ceux d'autres pays
culturellement proches. Des formes musicales dont la Nouba, le

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Muwashshah, le zajal et le Foundou constituent l'essentiel du


patrimoine musical tunisien connu sous le nom de Malouf.

Sur le plan musical, la Tunisie est réputée pour son répertoire


classique arabo-andalou, le malouf, importé de l'Andalousie musulmane
d'où fuient les musiciens juifs et musulmans devant la reconquête
espagnole (principalement à la chute de Grenade au XVe siècle). Le
malouf, et la musique issue de la tradition orale se métisse d'éléments
berbères, turcs ou persans a failli pourtant disparaître au début du XXe
siècle s'il n'y eut une grande initiative de lettrés, de musiciens et de
mécènes pour fonder une institution réputée dans le monde arabe : La
Rachidia1.

C'est dans ce cadre que sont transcrites et enregistrées pour la


première fois les plus grandes noubas, sortes d’œuvres complètes
répertoriées par modes ou maqâms, qui servent de charpente, codifiées
de façon précise avec des suites de maqâms, de rythmes et de genres
poétiques apprises et connues des mélomanes, permettant à l'interprète
de s'exprimer.

1
La Rachidia ou Association de l'Institut Al-Rachidi de musique, est un institut de musique
tunisienne qui voit le jour en 1934 grâce à une élite de mélomanes dirigés par Mustapha
Sfar (Cheikh El Médina de Tunis). C'est la première institution musicale en Tunisie et une des
plus vieilles institutions de musique arabe. Son but principal est la sauvegarde du Patrimoine
musical traditionnel, de valoriser et d'enrichir le patrimoine tunisien à travers de nouvelles
créations inspirées des règles de la musique et de répertorier le malouf tunisien en réaction à
l'envahissement des espaces publics (cafés) par les disques orientaux ainsi qu'à l'apparition de
chansons tunisiennes en français (défense de l'identité nationale en période de colonisation). Ce
n'est qu'à partir des années 50 que l'enseignement y est introduit avec la même mission de
sauvegarde du patrimoine et d'encouragement de la créativité et de l'innovation chez les jeunes
musiciens de tous horizons.

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La musique traditionnelle compte treize modes : Al rast, Al dhil, Rast


al dhil, Al raml, Al maya, Ram al maya, Al iraq, Al sika, Al hsin, Al
nawa, Al asbaîn, Al asbahan et Al mazmoum. Les demi-tons ne sont pas
les mêmes : histoire de komas (intervalles très petits) entre le ré et le mi,
il y a neuf komas, le demi bémol tunisien est plus avancé d'un ou de
deux komas.

Mais dans la musique Tunisienne il n'y a pas de règle bien définie, il


faut connaître et discerner cela à l'oreille. Seuls les Turcs sont accordés
différemment. Si un Égyptien et un Tunisien jouent ensemble, leur "ré"
sera pareil, mais les " mi " demi-bémols seront différents. Il y a de
grandes différences entre les tonalités de différents pays.

L'interprète est le personnage le plus important du trio


compositeur-poète-interprète à l'origine des compositions le plus
souvent anonymes. Ces interprètes, souvent aussi compositeurs, sont
rassemblés au sein de La Rachidia dans un immense travail d'archivage
des très nombreuses tendances de la musique classique tunisienne. La
plupart d’entre eux continuent leur œuvre en la modernisant, en opérant
une symbiose d'éléments occidentaux, comme le piano ou la guitare
électrique, ou de rythmes comme le tango ou la rumba.

Parmi les autres styles de la musique tunisienne figurent le mezoued,


le stambali et le salhi qui allie mysticisme, poésie et ambiances de fête
et de transe. Parmi les grands noms connus de ces genres figurent
Ouled Jouini, Belgacem Bouguenna, Hedi Habbouba, Faouzi Ben
Gamra, ou Salah El Farzit.

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D'après un article écrit par Fethi Zghonda on peut actuellement


affirmer que le mezoued est arrivé en Tunisie au début du XXème siècle
à travers la Lybie et était très utilisé par ceux-ci qui se réunissaient
après le travail autour de la musique, la danse, la poésie (en dialecte)...

Le mezoued est longtemps ignoré par les instances culturelles


officielles qui valorisent les formes de musique arabe classique au
détriment de la musique populaire. Cette forme musicale, où
l'instrumental domine, est accompagnée des paroles d'un chanteur
exprimées en dialecte tunisien plutôt qu'en langue arabe comme dans
les formes classiques de musique). Cette musique est souvent
accompagnée par des choristes.

En effet il se serait diffusé dans la culture urbaine des couches


sociale modestes et déracinées par l'exode rural. Il pouvait être perçu
comme l'expression d'un mal-vivre et d'une défiance vis-à-vis de la
culture dominante et s'inscrivait volontiers contre les codes de la
bienséance en adoptant un langage argotique et en traitant de thèmes
provocateurs voire grivois. Ses plus sévères critiques associent le
mezoued au zendali (réputé comme le chant des taulards). Même s'il est
quasiment absent des médias - télévision et radio -, le mezoued est
néanmoins diffusé par cassettes, ce qui le fait connaître du grand public.
De plus, il possède un caractère festif et incarne la culture de masse
face à une culture élitiste. Au début des années 90, la fresque musicale
et chorégraphique Ennouba mise en scène par Fadhel Jaziri et Samir
Agrebi entreprend de le réhabiliter en l'incluant dans le patrimoine
musical tunisien. Dans le même temps, le mezoued est de plus en plus

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incorporé au répertoire des plus grands chanteurs.

Enfin, c'est peut-être en apparaissant comme une forme musicale


spécifiquement tunisienne qu'il regagne une vraie place dans la cité.

L'émergence d'une nouvelle scène de fusion et de métissage de


genres musicaux et de musiques improvisées depuis la fin des années
1990 fait évoluer le paysage musical tunisien. Les partisans,
instigateurs prometteurs de ce nouveau phénomène, sont ceux qui
privilégient l'improvisation. Parmi les références, on cite les
compositeurs-interprètes Dhafer Youssef, Anouar Brahem, Fawzi
Chekili, Mohamed Ali Kammoun.

Malheureusement, la situation actuelle de la musique tunisienne


nécessite une sérieuse réflexion et une mise à niveau, même si le niveau
des compositeurs et musiciens d’une manière générale varie d’un artiste
à un autre. La production musicale demeure dans sa majorité écrasante,
réservée à la chanson légère.

Le fait que la musique soit devenue un produit commercial a


contribué à la détérioration de sa qualité. Les sociétés de production, les
musiciens ainsi que tous les autres acteurs du secteur ont tous une part
de responsabilité dans cet état de fait. Malheureusement, une grande
partie des musiciens est sur la voie d’opter pour le chemin de la légèreté,
à savoir produire à des fins uniquement commerciales. Et c’est le
secteur de la création musicale et de la musique en général qui en
souffrent. Cette situation est commune à tous les pays arabes. Le
secteur de la musique nécessite, de ce fait, une refonte totale, aussi bien

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dans sa composante production qui au niveau de la diffusion et de


l’enseignement.

Nous pourrions, face à ce patrimoine en évolution, se poser la


question suivante : comment étudier et protéger au mieux un
patrimoine en mutation œuvrant tout à la fois pour sa préservation, pour
sa transmission et pour son inscription dans la modernité ?

BIBLIOGRAPHIE :

• ABASSI, Hamadi, Tunis chante et danse. 1900-1950, Du Layeur,


Paris, 2001.
• P.-H., Antichan, La Tunisie, son passé et son avenir, Delagrave,
Paris, 1895.
• SNOUSSI, Manoubi , Folklore tunisien : Musique de plein air.
L'orchestre de tabbal et zakkar, Librairie orientaliste Paul
Geuthner, Paris, 1961
• SNOUSSI, Manoubi, Initiation à la musique tunisienne, vol. I
« Musique classique », Tunis, Centre des musiques arabes et
méditerranéennes Ennejma Ezzahra, Tunis, 2004.

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