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Mon autobiographie langagière et interculturelle.

Salutations, lecteur(e). Je m'appelle David Quiroz et j'ai presque 23 ans. Je suis un citoyen
colombien, résidant dans la ville de Medellín, située dans le département d'Antioquia. On
pourrait donc en déduire que ma langue maternelle est l'espagnol (ce qui est vrai). Cependant, ce
n'est pas la seule langue que je parle, puisque je suis étudiant de la "Licenciatura en Lenguas
Extranjeras" à l'Université d'Antioquia, "mi alma máter". Ici, j'ai eu la belle chance d'apprendre
l'anglais et le français, deux langues qui font partie de moi et qui, dans une large mesure, ont
façonné et structuré la personne que je suis aujourd'hui. À cette occasion, je vous parlerai de la
relation étroite que j'entretiens avec les langues que je parle (espagnol, anglais et français) et de
leur impact sur mon processus de formation personnelle et en tant qu'étudiant et enseignant de
langues.

Pour commencer, je voudrais souligner le fait que, dans mon foyer, l'éducation était et a toujours
été considérée comme l'un de nos principaux objectifs à atteindre. Ma mère est née dans une
maison imprégnée de violence (interne et externe) et de malheur. À l'âge de 22 ans, sans père ni
mère, elle a décidé de commencer sa vie séparément de ses frères et sœurs, également orphelins.
Elle a travaillé et étudié pendant quatre ans avant d'obtenir son diplôme d'études secondaires à 26
ans. Trois ans plus tard, ella a suivi un cours d'anglais à “l’Universidad Pontificia Bolivariana”.
Et même si elle n'a pas pu suivre qu'un seul niveau du programme (pour des raisons
économiques et personnelles), ma mère s'est rendu compte du fait qu'avoir l'occasion de se
former, de s'instruire, lui donnait l'espoir dont elle avait besoin pour continuer à survivre,
accompagnée de ses deux enfants, abandonnés par leur père.

Dans mon enfance, un matin, alors que je cherchais des livres avec des images colorées à
découper et à coller sur une "cartulina", j'en ai trouvé un qui a immédiatement attiré mon
attention, car je ne savais pas ce que son titre signifiait. Je me souviens d’avoir demandé à ma
mère : "¿Qué significa (side bi side) ?" (Je l'ai prononcé en espagnol, car pour moi, il s'agissait de
deux mots inconnus qui appartenaient au vocabulaire de ma langue maternelle). Elle a répondu :
“Side by side” (avec prononciation en anglais) "C'était mon livre d'activités quand j'étudiais
l'anglais". J'ai réfléchi un moment et c'était bizarre. J'ai fait un survol en lisant d'autres mots dans
le livre et j'ai compris que, bien que cette langue ait presque les mêmes lettres de mon alphabet,
leur ordre dans les mots était différent, tout comme la façon dont ils étaient prononcés. Après
avoir lu et pratiqué les sons des syllabes et des mots tant des fois avec l'aide de “Nacho lee” et de
“Rin rin renacuajo”, ces nouveaux mots ont brisé toutes les règles que j'avais apprises. Ma mère
m'a expliqué que c'était de l'anglais. Qu'il était parlé aux États-Unis et qu'il était très important
dans le monde entier. Je me suis intéressé à l’apprentissage de la langue. Je voulais savoir
comment dire les couleurs en anglais et je les ai apprises par cœur. J'ai fini par apprendre les
pronoms personnels ainsi que le sens et la conjugaison de certains verbes (par exemple, love, be,
like, do). Cependant, comme l'anglais n'était pas très présent dans mon école primaire à l'époque
(au moins, c'est ce dont je me souviens), je ne pouvais pas pratiquer et, finalement, tout cela m'a
poussé à ne pas être motivé pour continuer à l’apprendre. Au moins pour le reste de mes années
d'école primaire.

Quant à l'espagnol, lorsque j'étais en troisième année, nous avons étudié l'utilisation de l'accent
(“la tilde”) dans les mots "agudas, graves, esdrújulas y sobreesdrújulas". Pour moi, il s'agissait de
concepts très difficiles à comprendre ; pour une raison quelconque, je pensais qu'il s'agissait
plutôt de "brújulas" que d'accents ; plutôt de quelque chose de géographique. Je n'étais pas
capable d'assimiler leur fonction. Je n'ai jamais compris les règles ou les exceptions, quand il
fallait mettre des accents et quand il ne fallait pas. (Je ne l'ai compris que lorsque j'étais en
dixième année du lycée) De plus, j'avais des difficultés dans d'autres sujets, comme les
mathématiques et la religion. J'ai souffert de “bullying” pendant un certain temps à l'école
primaire. Tout cela signifiait que mon temps était partagé entre essayer d'apprendre et me
défendre contre les coups. C'est même au cours de cette même année qu'on m’a envoyé au
"grupo de apoyo" de l'école parce que je devais améliorer mes résultats scolaires. Et bien que je
n'aie pas vraiment vu aucune piste d’amélioration dans mon processus d'apprentissage là-bas,
j'oserais dire que ma mère était obsédée par le fait de toujours nous motiver à bien travailler à
l'école, ce qui se traduisait principalement par les notes imprimées sur les rapports de l’école à
mi-chemin et à la fin des termes académiques (du moins pour elle).

Au cours de l'école secondaire, alors que le système d'évaluation des écoles changeait, on est
passé d’'évaluer des élèves comme "excelentes, sobresalientes, aceptables, insuficientes y
deficientes" à l'évaluation de leurs progrès sur une échelle numérique de 0,0 à 5,0. Et avec ça,
mon pire cauchemar est né. Désormais, les connaissances acquises par les élèves pouvaient être
représentées numériquement, c'est-à-dire qu'elles étaient parfaitement mesurables. Ainsi, en
fonction de la moyenne que vous obteniez à la fin d'une période scolaire (c'est-à-dire la somme
des notes finales de chacun des sujets que vous suiviez), le système de notation de l'école vous
attribuait automatiquement un lieu de classement dans la classe, où les élèves étaient
fondamentalement classés en fonction de leur qualité de "mejor" et de "peor", comme on disait
dans notre école. C'était presque comme être réparti dans un top 30 ou 40, selon le nombre
d'élèves dans chaque classe. Bien sûr, beaucoup d'entre nous ne se souciaient pas de l'endroit où
nous débarquions, mais ma mère, si. Son souhait était que mon frère et moi obtenions toujours la
"première place". Pendant tout le lycée, j'ai étudié avec le seul but de passer des tests et d'obtenir
des notes élevées. Naturellement, je me sentais obligé d'apprendre et j'étais très démotivé. Cela
m'a poussé à chercher d'autres alternatives pour essayer d'être heureux. Et dans cette recherche,
j'ai trouvé la musique et les langues.

Dans mon école, l'espagnol et l'anglais étaient considérés comme "el área de humanidades" ; il
fallait réussir les deux pour obtenir une bonne note. Cela m'a rendu encore plus dévoué à l'étude.
Pendant toutes les années du lycée, j'ai participé aux activités “extracurriculares del área", qui
consistaient en des concours d'orthographe, des clubs de conversation, des cours d'anglais
extrascolaires, etc. Je l'ai fait non seulement parce que j'avais besoin d'avoir de bonnes notes,
mais aussi parce qu'avec le temps, j'ai trouvé refuge dans la connaissance d'autres façons de voir
le monde, de nommer des choses qui existaient déjà dans mon environnement, mais avec des
mots étrangers. Au fur que j’améliorais, j'ai remarqué que j'étais déjà capable de faire les
activités de traduction dans le cours d'anglais, sans avoir besoin du dictionnaire (je l'utilisais
occasionnellement, bien sûr). J'ai été capable de faire les présentations en anglais à un niveau de
base. Je comprenais les “memes” sur l’internet et j'en riais même. J'ai alors vu que, même si je
n'étais pas capable de parler couramment la langue, je pouvais la comprendre, la lire et même
l'écrire si je faisais l'effort de le faire.

D'autre part, lorsque j'étais en septième année, j'ai rejoint la “Fundación Sirenaica”, originaire de
ma ville natale, une association à but non lucratif qui fournit aux enfants et aux adolescents les
outils nécessaires pour apprendre à chanter, réunis dans une chorale (qui parfois était aussi un
théâtre musical), où le but était de chercher un coup de pouce dans l'art. Au début, nous ne
chantions que de la musique colombienne. J'ai appris de nouveaux mots sur la culture afro-
descendante de mon pays, l'Amazonie, ses habitants, ses rivières et ses animaux. Grâce aux
paroles “cadenciosas” des bambucos, currulaos et cumbias, j'ai commencé à comprendre la
diversité culturelle qui existe en Colombie. D'un point de vue personnel, en grandissant, à
l'adolescence, je me souviens avoir élargi mes goûts musicaux. J'ai commencé à aimer le rock, le
heavy metal et tous ses dérivés (même si j'étais déjà un "fan" des ballades américaines que ma
mère passait à la radio). C'était de la musique étrangère. Avec chaque chanson, il devenait de
plus en plus familier d'entendre ces sons anglo-saxons. J'ai commencé à créer un lien avec cette
langue. Je pouvais même comprendre de courtes phrases ou des mots dans les chansons, ce qui
semblait impossible auparavant. De plus, des années plus tard, lorsque j'étais une "voz
cambiata", dans le chœur, nous avons commencé à explorer des musiques de plus en plus
complexes. Nous avons chanté des "misas" en latin, allemand, anglais et espagnol. Lorsque nous
avons participé à des concours et festivals choraux dans d'autres villes et pays, nous avons chanté
en portugais, français, italien, bulgare, latin, vieil allemand, basque, catalan, quechua et emberá-
chamí. Nous sommes aussi allés en Espagne pour concourir en 2015 (notamment à Vic et en
Catalogne), je regardais attentivement les affiches et les publicités dans la rue. Beaucoup d'entre
eux ont dit "perruquería", au lieu de "peluquería". J'ai remarqué que lorsque nous parlions dans le
café, les gens “code-switched” du catalan à l'espagnol et vice versa. C'était magnifique d'en être
témoin autant quelquefois que je le pouvais.

Lorsque j'étais en onzième année, j'ai eu la grande chance d'être sélectionné parmi un groupe de
choristes de la fondation qui remplissaient les conditions pour demander une bourse d'études au
"Colombo Americano". J'ai évidemment fait tout ce qu'il fallait pour m'inscrire et j'ai donc étudié
l'anglais pendant deux ans. De plus en plus, les cultures anglo-saxonnes (principalement celle des
États-Unis) m'ont donné l'occasion de découvrir des sujets dont j'ignorais l'existence en espagnol.
J'ai commencé à me renseigner sur les nouvelles théories du genre, le féminisme, le machisme,
les théories “queer” et LGBTQIA+ ; sur la musique, l'espace, l'histoire des êtres humains, des
animaux, des plantes et de la planète elle-même. Avoir accès à toutes ces connaissances m'ont
permis de me sentir bien et à l'aise. J'étais sur le point d'obtenir mon diplôme et je devais choisir
une voie à suivre. J'ai envisagé d'étudier la musique à l'université, mais je me suis rendu compte
que, même si j'aimais cette discipline, elle n'éveillait pas en moi la curiosité d'aller au-delà de ce
qui m'était proposé. En revanche, avec l'anglais à mes côtés, ce n'était qu'une question de temps
avant que je puisse trouver de nouveaux domaines à explorer. Ainsi, petit à petit, l'envie d'étudier
les langues à l'université grandissait en moi.
Et c'est ce qui s'est passé. Au semestre 2015-2, j'ai été accepté à l'université d'Antioquia. Je
savais déjà que j'allais étudier le français et l'anglais. Cependant, je me suis rendu compte que
mes niveaux de compétence dans les deux langues étaient complètement différents. En anglais,
je pouvais exprimer mes sentiments et parler de sujets qui m'intéressaient. Avec le français, en
revanche, je me suis retrouvé dans une langue qui me semblait familière, mais que je ne
comprenais pas. Je pense qu'après mon premier semestre de collège, j'ai pu me faire à l'idée que
le français était très intéressant, qu'il sonnait bien et qu'il ressemblait même à l'espagnol et au
catalan. Cependant, il a été difficile de s'habituer à une grammaire, un vocabulaire, une
prononciation, une conjugaison et une culture différente. Et comme les professeurs de français
que j'ai eus au cours des quatre premiers semestres étaient trop traditionalistes dans leur
enseignement, j'ai cessé d'aimer la langue et elle est devenue un sujet comme toute autre dans le
programme. C'est pourquoi j'ai tant de lacunes dans la langue que je n'ai plus envie de combler.
C'est une sorte de ressentiment envers la possibilité perdue. Je ne connais pas le vocabulaire
français de tous les jours, je ne comprends pas les audios parce que les gens parlent si vite qu'on
dirait qu'ils se battent. Je suis dans mon neuvième semestre et tout ce que je veux c'est de réussir
le test standardisé nécessaire pour être diplômé.

En ce qui concerne l'anglais pendant l'université et en tant que professeur d'anglais, l'expérience
a été totalement enrichissante. Comme beaucoup de gens, lorsque vous commencez à enseigner,
l'inexpérience et le manque de connaissances (que ce soit de la culture ou des aspects
linguistiques) vous obligent à vous améliorer. Je savais que je n'étais probablement pas prête à
enseigner lorsqu'on m'a donné l'occasion de travailler dans une "academia de garaje", mais le
désir d'améliorer ma performance dans la langue et la nécessité d’améliorer ma pratique de
l'enseignement m'ont poussée à sortir de ma zone de confort. J'ai fini par m'améliorer et j'espère
continuer à le faire. Aujourd'hui, je pourrais dire que parler l’anglais est devenu une partie de ce
qui je suis, de ma personnalité, de mes goûts ; quand je l'utilise, "I feel smarter, more reckless
and comfortable in my own skin".

Enfin, j’apprécie d'avoir eu le privilège d'être en contact avec toutes les langues et cultures qui
m'ont accompagné tout au long de mon histoire, dans une mesure plus ou moins grande, car elles
m'ont apporté des expériences précieuses que j'espère chérir et conserver éternellement.

David Quiroz Mesa


Side by side.

Ma chorale et moi en Espagne.

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