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texte : Deutéronome, 4 / 1-9

premières lectures : Épître de Jacques, 1 / 17-27 ; Psaume 15


chants : 45-01 et 45-13

Les textes bibliques, qui sont proposés à notre méditation aujourd’hui selon notre liste de lectures, sont
des textes qui vantent la Loi, les commandements de Dieu, l’obéissance des croyants à ce « cadeau parfait qui
vient d’en-haut », pour le dire comme saint Jacques. Chers amis, on pourrait s’en tenir là : de nombreux juifs, de
nombreux chrétiens, ont ainsi essayé de passer leur existence à obéir aux commandements, puisque, comme
saint Paul l’écrivait aux Romains, « la Loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon » (Rom. 7 / 12) As-
surément donc, il n’y a rien de mal à ça !
Pourtant les prophètes et les apôtres – c’est-à-dire tous les écrivains sacrés – ont éprouvé souventes
fois le besoin de redire les choses, et non pas tellement pour en rappeler le contenu : tout le monde connaît les
Dix commandements, tout le monde sait, comme Jésus l’a fait, résumer la Loi en deux paroles d’égale impor-
tance qui correspondent aux deux “tables” de cette Loi : Dieu et le prochain… Mais ils ont éprouvé le besoin, ces
auteurs, d’attirer l’attention sur les limites, sur la cohérence ou, en l’occurrence, sur les incohérences de ceux
qui prétendent observer ces commandements !
La première limite, elle est évidente pourtant : c’est que les commandements ne sont pas faits pour être
écoutés, lus, connus, etc., mais pour être mis en pratique. Or, la Bible nous montre le peuple d’Israël, notre an-
cêtre spirituel, se prévaloir de ces commandements devant Dieu et devant les autres peuples – pour se croire
supérieur à eux, généralement – alors même qu’il ne les pratique pas, ni lui comme peuple, ni ses dirigeants, ni
la plupart des gens. Le risque n’a pas disparu depuis les temps bibliques ! Nous qui connaissons la Loi de Dieu,
nous qui savons où passe, selon Dieu, la limite entre le bien et le mal, eh bien il peut nous arriver de nous croire,
à cause de cette science, supérieurs aux autres : “ah ! qu’est-ce qu’ils sont bien, ces protestants”…
Et surtout, il nous arrive – à moi en tout cas, mais j’imagine qu’à vous aussi… – il nous arrive
d’accommoder la Loi ! En effet, il y a ce que nous considérons comme le plus important, comme prioritaire. Et
auquel il nous arrive de sacrifier d’autres choses, peut-être d’autres commandements, moins prioritaires à nos
yeux, comme ces Pharisiens à qui Jésus reprocha un jour de préférer l’obligation de l’offrande au Temple à celle
d’entretenir ses parents (Marc 7 / 11). Et puis il y a tout ce que nous considérons comme inactuel, ou impratica-
ble, ou trop moderne, ou trop rétrograde. Bref, que ce soit dans la pratique ou dans l’abstention, nous nous insti-
tuons nous-mêmes juges de la Loi de Dieu : n’a force de loi pour nous que ce à quoi nous décidons d’obéir, que
ce qui nous plaît.
Enfin, il y a tout ce que nous n’arrivons pas à faire, sans même pouvoir ou vouloir nous chercher des
excuses. Tout ce par quoi « nous transgressons tous les jours et de plusieurs manières [les] saints commande-
ments [de Dieu], attirant sur nous, par [son] juste jugement, la condamnation et la mort », comme nous le disions
autrefois dans nos cultes. C’est, comme disait saint Paul, que « je ne fais pas le bien que je veux, mais [que] je
pratique le mal que je ne veux pas » (Rom. 7 / 19)… Et dans toutes ces limites à notre obéissance, la moindre
n’est pas notre langue, comme le souligne Jacques dans son épître : le mal que nous pouvons faire avec cette
arme redoutable est bien plus important que le bien que nous faisons sans elle !
Car, naturellement, c’est alors la relation avec notre prochain qui est atteinte : à Dieu, on peut bien lui
dire ce qu’on veut, il sait ce qui est au fond de notre cœur, il connaît notre intention profonde, et toute parole
qu’on lui adresse avec foi est d’abord une parole qui nous fait du bien à nous. Mais à l’égard du prochain, à
l’égard de celui qui est comme nous, on peut le tromper en lui parlant, on peut le blesser d’une simple parole, on
peut le tuer par la parole. Simplement, considérez comment vous-mêmes vous pouvez réagir à ce qu’on vous
dit, à la manière dont on vous le dit, etc. À plus forte raison lorsqu’une telle parole vient de quelqu’un qui prétend
obéir à la Loi de Dieu !
Mais hélas, il y a encore beaucoup d’autres manières pour nous de désobéir au Dieu auquel nous
croyons obéir… Chacun d’entre nous le sait pour lui-même, chacun connaît, s’il est lucide, ses propres dérapa-
ges, ses propres incohérences. Le psalmiste en énumère quelques-unes, dont beaucoup sont, là encore, des
fausses paroles, des mots qui font mal ou qui sont vides. Le discours de Moïse aux abords de la Terre promise
nous rappelle le caractère totalisant, exclusif, de l’obéissance qui est requise du peuple élu : « vous n’ajouterez
rien […] et vous ne retrancherez rien, mais vous observerez les commandements de l’Éternel votre Dieu tels
que je vous les donne ».
Mais cet extrait du Deutéronome a un autre mérite, celui de souligner une autre limite à la Loi de Dieu,
mais cette fois-ci c’est une limite – dirais-je – que pose Moïse lui-même. C’est-à-dire que cette limite fait partie
de la Loi. La voici : l’obéissance à la Loi est liée à la vue ! Pour le dire autrement : il y a un lien obligatoire, sem-
ble-t-il, entre des événements que l’on a vu et dont on peut témoigner, et le fait d’obéir à la parole de la Loi qui
est elle-même liée à ces événements. Or, chers amis, c’est là une constante de toute la Bible : l’obéissance à
Dieu est témoignage rendu à Dieu, mais le témoin, c’est d’abord celui qui a vu et qui raconte.
Ainsi, c’est vrai, mes œuvres sont inspirées de ma foi : c’est parce que j’ai vu que j’ai cru – même lors-
que je ne sais pas dire ce que j’ai vu et même lorsque le verbe “voir” lui-même est inadéquat. Et c’est parce que
j’ai cru que, concrètement, ma vie a changé : c’est parce que je sais, dans mon existence, que Dieu est le Sei-
gneur et non pas seulement une idée, que je puis connaître le bonheur en lui étant soumis, que je puis trouver
mon plaisir dans le fait d’obéir à sa Loi. Sans cela, les œuvres sont vaines. Si j’obéis à la Loi de Dieu pour ga-
gner mon salut, pour gagner la vie éternelle, alors je cours à ma perte, je creuse ma propre tombe. C’est au
contraire parce que je sais avoir reçu mon salut et ma vie éternelle que j’arrive à obéir, parfois, aux commande-
ments du Dieu qui fait vivre.
Mais revenons à ce « voir »… Qu’avez-vous donc vu, que vous puissiez raconter et vous raconter ?
Qu’avez-vous donc vu, qui vous motive à ce point que vous persistiez à être chrétiens et à vouloir vivre votre
soumission à Dieu, dans ce monde où cela devient une tare, est montré du doigt et objet de sarcasmes ? Est-ce
seulement l’éducation et l’habitude, ou bien celles-ci ont-elles été le support d’une rencontre plus importante,
d’une expérience qui a fondé votre existence ? Quel est, quels sont les événements dont vous avez été les té-
moins, et qui continuent à vous porter depuis ce jour ?
Chers amis, je ne pense pas que même les plus âgés aient pu être témoins des événements de Baal-
Peor qu’évoque Moïse, lorsque les Israélites, invités par les Madianites, se livrèrent au culte et à l’amour de
cette divinité dont les Grecs ont traduit le nom “Belphégor” : c’était il y a 3.300 ans peut-être ! Ainsi vous n’avez
vu ni cette idolâtrie, ni la vengeance de Dieu. De même que vous n’avez pas assisté à l’Exode, ni au retour de
l’Exil. De même aussi que vous n’étiez ni dans les villages de Galilée ni sur les routes de Judée il y a 2.000 ans,
non plus qu’à Golgotha ou sur le chemin d’Emmaüs…
Qu’avez-vous donc vu, dont le témoignage vous tient encore aujourd’hui ? C’est aussi la question que
nous pose le monde, que nous posent nos enfants et nos jeunes gens, que nous posent nos voisins… Notre
théologie ne les intéresse pas, parce qu’ils n’ont pas vu. Notre morale peut les interroger, comme Moïse le fai-
sait remarquer, mais c’est seulement pour eux une raison de nous poser la question, ce n’est pas une réponse !
La question n’est pas adressée à la Bible, ils ne la lisent pas. Elle nous est adressée à nous, qui sommes des
êtres de chair, des êtres de relations. Quelle est donc la rencontre qui a changé notre vie ?
Saint Paul, parlant de cet événement pour lui-même, parle d’un homme qui « fut enlevé dans le paradis
et qui entendit des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un homme d’exprimer » (2 Cor. 12 / 4) Lorsque les
Actes des Apôtres racontent, de l’extérieur, le même événement, vous savez bien qu’ils en parlent tout autre-
ment… (Ac. 9 / 3-9) De même, chacun d’entre nous le dira avec ses propres mots, ou ses propres balbutiements,
ou ses propres images, tout comme un amoureux parle du coup de foudre qui a changé sa vie… Chers amis,
n’avez-vous pas eu le coup de foudre, vous aussi ? Je ne parle pas de vos amours, mais de votre foi ! N’avez-
vous pas, vous aussi, été rencontrés par celui qui vous a laissé sans voix peut-être, et n’avez-vous pas dû tout
réorganiser autrement qu’auparavant, dans votre cœur et dans votre tête ?
Eh bien, cette rencontre, peut-être unique ou peut-être répétée, peut-être lorsque vous étiez enfants ou
bien à l’âge adulte, peut-être comme une découverte brusque ou peut-être comme un chemin partagé depuis
toujours… cette rencontre, continuez à en vivre, racontez-la, recevez encore d’elle les forces nécessaires pour
avancer, pour témoigner, pour obéir, pour être libres. Car celui que vous avez rencontré n’est pas n’importe qui :
c’est au fond de votre misère que vous avez rencontré le Roi de gloire, c’est au fond de vos abîmes que vous
avez reçu le Sauveur, c’est même au fond de vos désobéissances, de vos infidélités, de vos lâchetés, que vous
avez reçu celui-là seul qui vous fait vivre. C’est lui qui a pris votre mort sur lui, et qui vous a donné sa vie. Ne
l’oubliez pas, racontez-le, chantez-le par toute votre existence : c’est ce à quoi les commandements peuvent
vous aider, mais c’est lui, toujours, qui accomplit cela. Amen.
Ste-Catherine-de-Fierbois - David Mitrani - 3 septembre 2006

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