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Maximes pour
la vie spirituelle
dans le monde
et dans le cloître
par R.-Th. Calmel O.P.

1. Purification de nous-même à un degré toujours plus


profond.
N o u s d e m e u r o n s dans le Seigneur si n o u s persévérons
dans la foi, l'espérance e t la charité ; si n o u s s o m m e s con-
duits par l'Esprit d u Seigneur. Pour cela il importe q u e
l'action d u Paraclet n e soit point gênée, entravée, détour-
née par « l e s sens » n i par « l'esprit ». Cela dépend a u
premier chef d e l a purification qu'il plaira a u Seigneur de
réaliser e n n o u s . Mais cela dépend é g a l e m e n t de notre
application personnelle à pratiquer l e s vertus théologales
et morales d e sorte q u e « l e s sens » d'abord arrivent à
s'adapter, par l a croix, à l a v i e e n D i e u ; et n o n s e u l e m e n t
« l e s sens » m a i s l e p l u s profond de « l'esprit ». C'est la
doctrine de saint Jean de l a Croix, laquelle e s t u n e fidèle
traduction e n termes de théologie spirituelle, de la doctrine
évangélique.

2. Le sens de notre effort.


« Faire effort sans compter s u r soi ; unir la volonté à

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l'abandon ; faire de la volonté e l l e - m ê m e n o n u n i n s t r u m e n t


d'affirmation de soi, m a i s u n e barrière qui protège le
silence intérieur de l'âme et sa défaillance continuelle en
D i e u . » (G. Thibon) Faire effort parce que D i e u qui n o u s
a créés sans n o u s ne nous sauvera pas s a n s n o u s (saint
A u g u s t i n ) ; parce qu'il veut n o u s faire l'honneur de coo-
pérer à sa grâce. Faire effort sans compter sur soi parce
q u e la grâce de coopérer est s o u v e r a i n e m e n t gratuite ; parce
que n o u s restons toujours défectibles ; parce que n o u s ne
p o u v o n s mériter de persévérer : la persévérance est objet
de demande, n o n de mérite, c o m m e le montre bien saint
T h o m a s , fin de la Ia-IIae, de Merito.
Unir la volonté à l'abandon. C'est J é s u s seul par sa sainte
h u m a n i t é , i n s t r u m e n t conjoint de la divinité, qui fait
réussir nos efforts. N o u s en remettre à lui de l'heure et de
la qualité du succès. Cette patience, cette remise totale
d e m a n d e n t u n grand esprit de pauvreté et sont un des
effets de la vertu d'espérance.
Faire de la volonté elle-même non un instrument
(Faffirmation de soi mais une barrière qui protège le silence
intérieur de Vâme et sa défaillance continuelle en Dieu. —
A u t r e m e n t dit la faculté qui est e m p l o y é e si souvent soit
à n o u s affirmer, soit à consentir au découragement (ce qui
est u n autre m o y e n de revenir sur n o u s - m ê m e ) cette faculté,
la mettre en œ u v r e pour empêcher les retours sur nous et
les bruits, discours et agitations qui ne sont pas selon Dieu,
qui e m p ê c h e n t cette détente en Dieu, à la fois douce, ferme
et pure. — C'est là u n des effets de la prudence infuse et du
don de conseil : nous gouverner, nous c o m m a n d e r et diriger
de façon à favoriser l'action du Saint-Esprit.

3. La croisade spirituelle.
Le Seigneur ne veut pas s'en tenir là avec vous. Ce
qu'il a commencé il veut le conduire à terme. — Cette loi de
croissance intérieure est exprimée m a i n t e s fois dans les

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paraboles du R o y a u m e de D i e u qui doivent être lues selon


d e u x registres : la vie du corps m y s t i q u e au cours des
siècles ; notre propre vie durant les quelques a n n é e s q u e
lui fixe le Seigneur. Cette loi de croissance est expliquée
par l'analyse théologique des vertus, en particulier des ver-
t u s théologales. — A d m e t t r e la vérité de cette loi de crois-
sance alors que n o u s faisons l'expérience de nos difficultés,
de nos retards et de n o s lenteurs est l'un des effets de l'espé-
rance théologale ; espérance qui doit être à toute épreuve ;
— m a i s c'est surtout l'un des effets de la charité ; car si
n o u s s o m m e s accordés au Seigneur, si n o u s avons q u e l q u e
expérience de s o n amour et de sa miséricorde, n o u s s o m m e s
certains, envers et contre tout, qu'il v e u t n o u s transformer
e n flamme d'amour,
*
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4. La volonté de Dieu sur notre âme.

Pour grands que soient vos désirs de croissance dans


l amour, vos désirs de conformité à Jésus, les désirs de Jésus,
sont encore bien plus grands. P e n s e z donc à lui c o m m e au
vrai F i l s de Dieu, qui n o u s sauve e n toute vérité, qui veut
que v o u s portiez du fruit et q u e votre fruit demeure.

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5. Loyauté sans faille.

Vous redoutez q u e l'illusion se m é l a n g e à vos aspirations


vers le Seigneur et n e gâte votre vie intérieure ; v o u s avez
s û r e m e n t raison car n o u s s o m m e s toujours capables de n o u s
duper n o u s - m ê m e et le prince des ténèbres est grand archi-
tecte des constructions e n trompe l'œil. F a i t e s ce qui est
e n v o u s d a n s les choses les plus s i m p l e s qui sont e n votre
pouvoir et le Seigneur fera le reste ; c'est-à-dire veillez à
d e m e u r e r d a n s l'humilité et le bon s e n s ; faites-vous u n e
loi de pratiquer u n e droiture sans faille, q u e l q u e déchire-
m e n t q u e doive subir votre amour-propre. Si v o u s êtes très

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vigilant e n matière de pureté et de tendresse ; si vous ne


v o u s passez a u c u n e lâcheté ; si v o u s combattez l'esprit de
rivalité et d'orgueil ; si v o u s n'hésitez pas à demander par-
d o n de vos torts, e n public o u e n privé, selon qu'ils sont
publics ou privés ; si v o u s êtes fidèle dans la charge que
vous pouvez raisonnablement accomplir, en u n m o t si v o u s
avez la passion d'être juste d e v a n t Dieu, si v o u s pratiquez
devant lui cette honnêteté élémentaire, alors D i e u v o u s
gardera de l'illusion, o u du m o i n s v o u s e n retirera bien vite.
Il vous préservera du d é t o u r n e m e n t des maximes des saints
et il vous unira à lui e n v o u s purifiant au fond de v o u s -
m ê m e , c o m m e et quand il lui semblera bon.

L'un des caractères les plus a c c u s é s de la nuit active des


sens c'est, m e semble-t-il, l'honnêteté, la loyauté devant
D i e u . Qui passe à côté de cette h o n n ê t e t é est exposé à t o m -
ber dans les pires e m b û c h e s du d é m o n . — Si vous m'aimez
gardez mes commandements, a dit Jésus. Et saint Paul :
la charité accomplit la loi. Et J é s u s dit a u s s i : « parce que
tu as été fidèle e n de petites choses je t'établirai sur de plus
grandes ». Ce que l'on p e u t interpréter : parce que tu as
été h o n n ê t e devant moi dans les petites choses e n ton pou-
voir, je te rendrai h o n n ê t e de cette h o n n ê t e t é que je fais
directement m o i - m ê m e : l'honnêteté de l'amour toujours
plus purifié.

Il est évident qu'une doctrine saine de l'ordre spirituel


chrétien et (1) de l'ordre temporel chrétien aide beaucoup
à ne pas fléchir dans cette décision d'honnêteté. Cependant
l'expérience démontre que la meilleure doctrine ne suffit
pas. — Il est évident aussi qu'une h u m b l e loyauté dans
les charges temporelles, u n e volonté de ne pas tricher par
e x e m p l e dans u n e charge de m è r e de famille, de soldat, de
médecin, prépare, dans u n e certaine mesure, à la loyauté
spirituelle et dispose à éviter les illusions dans ce domaine.

(1) Une doctrine comme le relativisme ou l'évolutionnisme con-


tribue, p a r elle-même, à fausser les consciences — quoiqu'il en soit
des exceptions personnelles.

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6. Diversité des vocations.

L a part de la moniale n'est pas de m e n e r la lutte pour la


foi (sans quitter Jésus é v i d e m m e n t ) au sein d'un m o n d e
infesté d'erreurs et de m e n s o n g e s ; c'est là la part de
l'apôtre, en particulier du frère prêcheur. Sa part est uni-
q u e m e n t de regarder Jésus et de persévérer à longueur de
vie dans cette c o n t e m p l a t i o n d'amour. N o n que la moniale
doive totalement ignorer la bataille, m a i s le secours qu'elle
y apporte est u n i q u e m e n t celui qu'il est possible d'apporter
lorsqu'on s'est fermé e n clôture pour l'amour du Seigneur.
P e n d a n t la bataille de Muret, u n e légende rapporte que
saint D o m i n i q u e , les bras en croix dans l'église du village,
suppliait la Vierge Mère de D i e u avec de grandes c l a m e u r s
et larmes très abondantes ; il participait e n prêtre à la
bataille. Peut-être y avait-il, pour soigner les blessés et assis-
ter les m o u r a n t s , quelque tertiaire ayant fait v œ u de virgi-
nité : elle remplissait e n quelque sorte la m i s s i o n de la
religieuse de vie active. Quant a u x m o n i a l e s de Prouilhe
elles ne savaient m ê m e pas que la bataille faisait rage à
une heure et d e m i e de leur cloître ; elles n'avaient pas à
le savoir et du reste elles ne disposaient pas des m o y e n s
modernes pour « se tenir au courant » ; elles continuaient
de chanter la Messe et l'Office, de filer et de jardiner en
silence : c'est c o m m e m o n i a l e s cloîtrées qu'elles aidaient
à la victoire.
Si n o u s c o n t i n u o n s cet apologue sur la vocation propre
des moniales, n o u s dirons que le danger qui les guette c'est
m o i n s de s'intéresser à la bataille de Muret que de n'avoir
pas le courage de s'intéresser toujours au Seigneur, alors
qu'il les a retirées des hasards de la bataille pour ne s'in-
téresser qu'à lui. Leur danger c'est d'être, sinon trop in-
conscientes de la raison pour laquelle elles sont cloîtrées,
du m o i n s de n'avoir pas le courage d'aller jusqu'au bout de
leur vocation sublime qui est de ne regarder que D i e u seul.
Aller jusqu'au bout veut dire imiter Marie-Madeleine qui
regarde et écoute Jésus dans la paix de B é t h a n i e et qui se
tient encore tout près de Jésus, et à côté de Notre-Dame,
p e n d a n t qu'il agonise sur la croix.

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7. La vocation du cloître.

Pour la m o n i a l e qui est sujette à l'égarement, c o m m e


tout u n chacun, le rappel à l'ordre, l'avertissement à retrou-
ver la vérité de sa vocation, n e saurait venir p r i n c i p a l e m e n t
de l'extérieur puisqu'elle est retirée de cet extérieur. Donc,
qu'elle soit telle que J é s u s ait toujours pleine liberté de lui
parler directement.

8. La loi du contemplatif et celle de Vapôtre.

La loi du contemplatif est de regarder le Seigneur sans


détourner la tête et de laisser prendre sa vie par lui, coura-
g e u s e m e n t . La loi de l'apôtre est de regarder le Seigneur et
d'apprendre de lui à regarder les â m e s à sauver. La loi de
l'apôtre est encore de donner sa vie au Seigneur en la don-
n a n t pour les â m e s dont il a la charge (1). L e danger du
contemplatif c'est d'être débile en foi, e n espérance et en
charité au point de ne plus chercher jusqu'à la fin le visage
du Seigneur : Vultum tuum Domine requiram. L e s dan-
gers qui m e n a c e n t l'apôtre sont de deux sortes : ou bien
esquiver e n se réfugiant dans la paresse d'une fausse m y s -
tique le devoir de donner sa vie pour éclairer et défendre îe
troupeau ; ou bien (et ce d e u x i è m e danger est de loin le plus
répandu) prendre en charge le troupeau et s'épuiser pour
lui sans avoir accepté de voir que c'est le troupeau du Sei-
gneur, qu'il ne trouve la vie que dans la doctrine qui vient
du Seigneur, qu'il a toujours besoin d'être défendu contre
l'erreur et le péché. La loi de la vie active est de regarder
le Seigneur et d'apprendre à regarder avec lui et traiter
droitement e n lui les offices temporels indispensables à la
vie présente.

(1) Il y a u r a i t encore beaucoup à dire si on envisageait la dignité


sacerdotale ou l'état religieux du p o i n t de vue de la vie active ou de
la vie contemplative.

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Pour tous la perfection consiste dans l'imitation de J é s u s -


Christ, la docilité à l'Esprit-Saint, le c o n s e n t e m e n t à la
croix. Le c h e m i n est unique. Ego sum via, dit le Seigneur.
Mais dans ce c h e m i n u n i q u e le disciple fidèle aura une
démarche différente selon qu'il sera Pape ou ermite, frère
prêcheur ou curé de paroisse. Le Seigneur ayant fondé son
Eglise non point c o m m e une m a s s e uniforme, m a i s c o m m e
u n corps différencié, n o u s devons tendre à la perfection e n
respectant l'office et l'état de vie qui sont les nôtres. La vie
spirituelle pas plus que la « pastorale » ne saurait être stan-
dardisée, uniformisée.
*
* *

9. La foi et les états d'âme.

N'attachez pas d'importance à vos états d'âme. La foi


est au delà et c'est de foi qu'il importe de vivre. La certi-
tude de la foi sur ce que D i e u est, sur ce qu'il fait pour les
h o m m e s (et donc pour vous) se fonde n o n sur vos états
d'âme sujets à variations, m a i s sur la vérité infaillible de
la parole de D i e u . — D u reste c o m m e n t faire fond sur des
états s* bjectifs lorsqu'on sait à quel point l'esprit est prompt
et la chair est faible (Parole de Jésus à l'agonie).

10. La loyauté de la prière.

Prier n o n pour se mettre à l'abri de D i e u m a i s pour se


livrer à sa merci. Ces misères e n votre âme qu'il vous arrive
d'apercevoir dans u n éclair fugitif, c'est dans la prière
qu'elles s'éclaireront — si du m o i n s v o u s le désirez avec
u n e loyauté totale — et c'est dans la prière que vous c o m -
m e n c e r e z d'en être purifiés. Priez c o m m e le publicain, le
centurion, la chananéenne, le père du possédé, c o m m e
Marie-Madeleine toute silencieuse. Que l'Esprit de Jésus
prie a u - d e d a n s de vous, selon la parole de saint Paul aux
Romains VIII, 26-28. Priez en recourant à Notre-Dame.

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11. Dépendance totale à Végard de la grâce.

V o u s ne pouvez mériter la stabilisation dans la grâce,


v o u s ne pouvez que la demander. La grâce vous fait accom-
plir des actes méritoires (en vertu des mérites du Christ)
m a i s v o u s ne pouvez mériter la persévérance dans cette
grâce qui v o u s fait accomplir de tels actes. D i e u veut accor-
der à votre prière la persévérance dans la grâce qui v o u s
fait accomplir de tels actes. D i e u v e u t accorder à votre
prière la persévérance dans la grâce, m a i s ce ne peut être
l'objet d'un mérite. D o n c que votre prière soit d'abord et
toujours u n aveu d'impuissance totale. — Votre coopéra-
tion à la grâce, votre application, attention, persévérance
sont é v i d e m m e n t nécessaires, m a i s votre première coopé-
ration à la grâce ^st d'avouer que sans la grâce v o u s ne
pouvez coopérer à la grâce.

12. Les passages du Seigneur.

L e Seigneur veut amener à leur plénitude les s e m e n c e s


de sainteté qu'il a déposées dans le c œ u r des fidèles. Encore
faut-il qu'ils soient présents et lui ouvrent la porte lorsqu'il
v i e n t les visiter. Trop souvent ils ne le reconnaissent pas
d a n s ses visites tant elles sont déconcertantes pour la nature
blessée. Illuminez mes yeux de peur que je ne m'endorme
dans la mort et que Vennemi ne dise : j'ai prévalu contre
lui. (Ps. des complies du mardi.)

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* *

13. Croissance de la foi.

N o u s s o m m e s appelés à connaître le mystère de Dieu


d'une manière simple, savoureuse, pénétrante ; le connaître

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d'expérience. C'est le rôle de l'oraison, ou plus précisément


le rôle du Saint-Esprit dans l'oraison. Mais l'oraison n'ob-
tiendra cet effet que si nous savons clairement ce que D i e u
a dit et si nous le recevons avec u n e h u m b l e docilité. —
C'est aujourd'hui m o i n s facile qu'en d'autres périodes ; n o u s
devons en effet résister à u n e entreprise diabolique, d'une
ampleur inégalée, pour « réinterpréter » ce que D i e u a dit,
d'après ce que désire le m o n d e moderne —* ce m o n d e né de
la Réforme, du rationalisme et de la Révolution.
Pour grandir la foi doit surmonter à toute époque, inva-
riablement, les obstacles qui tiennent à notre nature blessée :
attachement aux goûts, saveurs et consolations ; tentations
directement diaboliques. Mais il est d'autres obstacles qui
tiennent à notre t e m p s et que la foi doit surmonter désor-
mais pour arriver à grandir ou s i m p l e m e n t à tenir ; je pense
surtout au scandale de la prédication des faux-prophètes
qui sévit à l'intérieur de l'Eglise e l l e - m ê m e .
Pour la sauvegarde et l'augmentation de la foi n o u s de-
vons beaucoup veiller — veiller autant que cela dépend de
nous — à m a i n t e n i r pour la liturgie et pour la prière en
général u n cadre de dignité, de piété, de recueillement.
Notre Mère e n la divine grâce est d'abord notre Mère dans
la foi. Elle a cru sans hésiter lors de l'Annonciation radieuse
et dans les ténèbres du vendredi-saint et du samedi-saint.

*
* *

Notre foi est appelée à grandir. N o u s devons savoir j u s -


qu'au fond de l'âme ce que D i e u est, ce que n o u s s o m m e s ,
ce que Dieu attend de n o u s . Mais la foi ne n o u s i m p r è g n e
jusqu'au fond de l'âme que par l'action du Saint-Esprit d a n s
l'oraison. Et l'action du Saint-Esprit dans l'oraison ne v a pas
sans épreuves et dépouillements acceptés avec simplicité et
courage.
**

Le nombre grandit chaque jour des chrétiens, clercs ou

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laïcs, qui chancellent sur leurs bases. Ils ne sont plus très
sûrs de ce que J é s u s a dit ni s'il a dit quelque chose de net,
ni m ê m e si l'Eglise a bien gardé la doctrine, ou si cette doc-
trine ne réclame p a s u n e transformation. Ces chrétiens,
clercs o u laïcs, se sont m i s à hésiter ou trembler parce qu'ils
se sont laissés atteindre par la prédication des faux pro-
phètes. Celle-ci est d'autant plus dangereuse qu'elle fait
appel, afin de les détourner, à des s e n t i m e n t s nobles et
chrétiens, par e x e m p l e le désir de vérité opposé au ritualis-
me, l'aspiration à l'authenticité dans la prière opposée au
pharisaïsme égoïste, le zèle pour le salut des incroyants op-
posé à u n repliement sectaire. Les faux-prophètes captent et
confisquent ces s e n t i m e n t s pour les tourner contre l'Evan-
gile. Ils parviennent ainsi à faire croire que la vérité dans
l'attitude religieuse est au-delà des rites sacramentels, que
la liturgie doit connaître des c h a n g e m e n t s toujours plus
radicaux afin d'être accessible au m o n d e moderne, cepen-
dant que la collaboration à une œuvre planétaire de déve-
l o p p e m e n t est le n o m n o u v e a u de la charité théologale. E h !
bien la prédication des faux-prophètes tournerait court et
ils n'arriveraient pas à faire croire leur évangile truqué et
déformé, si les prêtres qu'ils é m e u v e n t avaient u n e forma-
tion doctrinale plus solide (1) et s'adonnaient davantage à
l'oraison. Fortifiés de la sorte ils ne se laisseraient pas abuser
sur la révélation divine, sur leur propre dignité qui est
prodigieuse, sur le péché du monde, sur les m o y e n s du
véritable apostolat.

14. Affermissement de l'espérance.

N o u s c o n n a i s s o n s les grandes p r o m e s s e s du Christ : « Je


suis avec v o u s jusqu'à la c o n s o m m a t i o n des siècles... Je
v o u s enverrai l'Esprit-Saint pour qu'il demeure avec vous

(1) Ils sont généralement les victimes plus ou moins conscientes


d'une fausse philosophie issue de l'idéalisme, qui rejette îe réalisme
de l'esprit h u m a i n , estime le concept inapte à exprimer la vérité,
suppose que tout est question de point de vue. D'après cette philo-
sophie il n'y a u r a i t pas de vérité objective ou bien la seule vérité
serait le devenir perpétuel

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à j a m a i s . » Souvenons-nous, pour notre paix et sécurité, de


ces p r o m e s s e s si fermes et si consolantes, m a i s gardons-
nous, sous peine de les trahir, de les interpréter c o m m e si
elles supprimaient les prophéties terribles : « Lorsque le
F i l s de l'Homme reviendra pensez-vous qu'il trouvera encore
la foi sur la terre ?... Je ne suis pas v e n u apporter la paix
mais le glaive... »
Pour être chrétien, il faut tenir ensemble, inséparées, ces
deux séries de révélations, qui paraissent peu compatibles.
En réalité, elles se complètent, se c o m p o s e n t et s'ordonnent
entre elles, de telle sorte que les p r o m e s s e s sur l'assistance
de Dieu, indéfectible et toute-puissante, éclairent et d o m i n e n t
les prédications sur le m a l h e u r des t e m p s , la malice des
h o m m e s et la h a i n e du diable. D'une part, e n effet, le Saint-
Esprit est réellement donné à l'Eglise et jusqu'à la fin il
la maintiendra intacte parmi les h o m m e s : c'est ce qu'il
nous importe d'abord de savoir. D'autre part , — et cette
considération n'est pas négligeable m a i s elle ne vient qu'en
second — c'est à des pécheurs que le Saint Esprit est donné
et il ne fera pas le miracle d'une assistance t e l l e m e n t ex-
traordinaire qu'elle préserverait toujours l'Eglise d'être per-
sécutée par les e n n e m i s du dehors ou m ê m e trahie de l'in-
térieur par certains de ses fils ; q u e l q u e s fois par u n très
grand nombre d'entre eux.
Savoir que cela se produira u n jour, ou constater plutôt
que la trahison s'organise sous nos yeux, n'est point pécher
contre l'espérance. Le péché c o m m e n c e au point précis où,
constatant ce malheur, on ne garde plus une certitude aussi
vive, aussi paisible, dans l'assistance du Saint-Esprit. Ainsi
le péché de certaines â m e s n'est pas u n excès de lucidité —
c o m m e si l'on pouvait j a m a i s y voir trop clair et surtout
c o m m e si c'était u n mal ; — le péché de certaines â m e s c'est
de perdre la certitude de l'espérance au m o m e n t où elles
découvrent, à ne pouvoir s'y tromper, la profondeur, l'am-
plitude, le perfectionnement de la trahison.
Le m o y e n d'échapper au péché de désespoir n'est é v i d e m -
m e n t pas de se faire illusion sur la gravité du scandale ; il
faut seulement, tout e n gardant les y e u x bien ouverts, se

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confier e n D i e u qui est à j a m a i s fidèle dans ses promesses,


qui dispose de ressources toujours efficaces, m a i s souvent
i m p r é v u e s , pour sauvegarder son Eglise, m ê m e quand elle
est persécutée et trahie selon des m é t h o d e s relativement
nouvelles. C o m m e n t le Seigneur s'y prendra-t-il pour pré-
server les sept mille qui sont décidés à ne pas fléchir le ge-
nou devant Baal (I Reg. XIX, 18) (1), lui le sait. Il en a les
m o y e n s et la volonté et cela suffit à notre paix.

*
.* *

A prendre à la lettre les s e r m o n s du Père Basile, qui s'ef-


force de réveiller les dormeurs aussi bien parmi les prélats
que parmi les simples fidèles, on se d e m a n d e r a i t s'il reste
encore des saints dans l'Eglise, si le Vicaire du Christ est
encore Docteur et m a i n t e n e u r de la foi, si tous les bastions
de la résistance orthodoxe n'ont pas été emportés. Inverse-
m e n t à écouter les propos du Père Grégoire, qui s'est donné
pour m i s s i o n de rassurer les chrétiens, on se d e m a n d e r a i t
s'il est encore possible de nos jours qu'il existe des Judas,
s'il est arrivé jadis que la faiblesse, l'orgueil o u l'esprit chi-
m é r i q u e aient i m p r i m é leurs m a r q u e s sur le g o u v e r n e m e n t
de certains P a p e s , enfin s'il est j a m a i s légitime et chrétien
de parler de crise dans la c o m m u n a u t é des fidèles du Christ ;
il y aurait tout au plus des r e m o u s insignifiants. Cette ma-
nière de voir n'est pas la bonne. Les propos que tient le
Père Grégoire, quoi qu'il en soit de son intention très loua-
ble, n e sont certainement pas justes parce qu'il néglige de
faire u n diagnostic de notre situation et surtout parce qu'il
s u p p o s e que l'Esprit-Saint garantirait par u n e sorte de mi-
racle ininterrompu, l'impeccabilité parmi le peuple de Dieu,
pour c e u x qui gouvernent c o m m e pour c e u x qui sont gou-
vernés.
Il n'y a pas à choisir entre le père Basile et le Père Gré-
goire. A u c u n n'a su véritablement unir le sens de la Rédemp-
tion qui est s o u v e r a i n e m e n t efficace et le sens du péché qui

(1) Lire : P r e m i e r livre des rois (Liber Regwrn) chap. 19 et verset


s 18.

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MAXIMES POUR LA VIE SPIRITUELLE

est à l'œuvre dans le m o n d e jusqu'au j u g e m e n t dernier.


D e m a n d o n s s e u l e m e n t au Seigneur la grâce d'une espérance
théologale véritable qui, sans n o u s faire éluder le diagnostic
de nos malheurs, c o m m e sans n o u s y attacher plus qu'il ne
convient, nous fixe et n o u s stabilise en Jésus-Christ tou-
jours victorieux ; n o u s rappelant ses p r o m e s s e s d'assistance
et de victoire à travers toutes les tribulations et toutes les
tentations.

D a n s les heures terribles où les raisons h u m a i n e s de


continuer le combat, au p l a n spirituel c o m m e au plan t e m -
porel, craquent les u n e s après les autres, n o u s s o m m e s expo-
sés à pécher contre l'espérance c h a q u e fois que notre luci-
dité s'exerce à part, isolée de la confiance théologale. Alors
en effet u n e analyse a u t o n o m e , vidée de sève surnaturelle,
nous montre à l'évidence que ce qui faisait notre raison de
vivre et de tenir est d é c i d é m e n t cassé et qu'il n'y a plus
rien. Il y a toujours e n réalité le secours divin qui est au-
delà du secours de la créature, il y a toujours la fidélité de
D i e u à ses p r o m e s s e s , dans le Christ Jésus. Mais pour le
savoir il faut être situé au-delà de l'analyse a u t o n o m e , au
sein d'une autre lumière, en sorte que l'analyse elle-même,
qui n'a pas à être évitée, soit i l l u m i n é e de cette lumière de
vie.
A u x â m e s e m p o i s o n n é e s par la morsure du désespoir
il est vain de répondre au n i v e a u de leur diagnostic des
contingences, car celui-ci est juste et la morsure du déses-
poir ne pénètre en leur â m e si vite et si loin que parce qu'elle
paraît se confondre avec u n rayon de lumière. C'est u n e
lumière qui épuise et qui peut conduire à la mort, parce
qu'elle ne procède pas de la foi.
A toute âme, — serait-ce la nôtre — tentée de désespoir,
gardons-nous de répondre au plan de l'analyse des contin-
gences, n o u s passerions à côté de la question, qui est de
savoir ce qu'il faut encore penser du Christ d a n s les t e m p s
les plus funestes. D o n n o n s u n e réponse de foi et s u p p l i o n s
le Seigneur de n o u s la graver dans le c œ u r et la m é m o i r e en

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R.-TH. CALMEL, O. P.

caractères indélébiles. Le Seigneur ne veut qu'exaucer u n e


telle prière, n o u s rendre a b s o l u m e n t sûrs de lui et, à partir
de là, n o u s donner de mettre e n œ u v r e tous les m o y e n s qui
restent encore en notre pouvoir, au spirituel et au temporel,
pour lui prouver notre fidélité.
J é s u s n'a j a m a i s dit à ses apôtres que le m o n d e n'était
pas aussi m a u v a i s qu'on veut bien le dire ou que j a m a i s le
m o n d e ne parviendrait à s'infiltrer d a n s la société ecclé-
siastique. Il a m ê m e dit le contraire : « Méfiez-vous des faux-
christ et des faux prophètes qui viendront à vous e n m o n
nom... v o u s verrez l'abomination de la désolation siéger d a n s
le lieu Saint » ; m a i s il a ajouté : « Confiance, j'ai vaincu le
monde... L e s portes de l'Enfer n e prévaudront pas... Voici
votre Mère... Je prierai le Père et il v o u s enverra u n autre
Paraclet pour qu'il d e m e u r e avec v o u s à j a m a i s ; l'Esprit de
vérité que le m o n d e ne peut recevoir parce qu'il ne le voit
pas et le connaît pas ; m a i s vous, v o u s le connaîtrez parce
qu'il demeurera chez vous et qu'il sera e n vous. » (Jo. XIV,
15-18.) C'est lui qui grave dans notre c œ u r et notre mémoire,
e n lettres indélébiles, les paroles de foi qui sont le fonde-
m e n t inébranlable de l'espérance théologale.

*
**
La tentation est forte dans un m o n d e i m p i e et abject
c o m m e le nôtre de n o u s laisser glisser, à la verticale, sur
la pente du désespoir. Il est possible cependant de s u r m o n -
ter cette tentation. Veillons à u n e certaine direction du
regard ; appliquons-nous à tout regarder dans la foi ; pre-
n o n s garde à ce c h a n g e m e n t du regard qui, au lieu de rester
fixé e n paix sur le D i e u v a i n q u e u r et bien-aimé, c o m m e n c e
à s'abaisser dans la direction du néant ; ne n o u s permettons
a u c u n e pensée désespérée ou désespérante, car pour peu que
n o u s a y o n s consenti à regarder d a n s la direction de l'à-quoi-
bon, n o u s ne savons pas où n o u s pourrons bientôt nous re-
trouver. Ne m e t t o n s pas e n doute les p r o m e s s e s que Jésus
n o u s a faites de n o u s conduire au don total et de garder et
sanctifier son Eglise jusqu'à la fin.
R.-Th Calmel o.p.
(ITINÉRAIRES, Décembre 1967. - Numéro 118).
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