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1.

La pulsion scopique qui détermine l'excitation sexuelle est importante, mais elle me paraît moins
déterminante que cette espèce de magnétisme qu'entraîne le toucher, associé au rôle des odeurs
(jusqu'aux phéromones bien sûr). Il est intéressant de comprendre que nous sommes, dans ce cas, jouet
de nos humeurs comme disent les anciens, que la chimie du corps fait de notre conscience autre chose
qu'elle n'est dans les situations normales. Soit on décide que cet autre monde, celui de l'excitation
sexuelle, est dangereux et immoral d'une certaine manière (circonscrit au couple, à la procréation...),
soit on laisse faire la nature et exulter le corps de même que l'esprit, afin de se libérer de l'étreinte du
désir sexuel, qui peut être si terrible quand inassouvi. Il va de soi que, si l'on s'en tient à ces explications
chimiques, nul n'a le droit de décider si je dois rester dans un camp (celui du couple avant tout), ou dans
l'autre (celui de l'assouvissement source de plaisir et de partage).
2. Pas plus que les parents ne sauraient aisément revenir à ce qu'ils étaient, adolescents, pour envisager la
bonne manière d'éduquer leurs enfants pubères, les enseignants ne sont à même simplement de se
mettre à la place des élèves lorsqu'ils ont du mal à comprendre. Il est possible, par une espèce de rappel
progressif, comme en escalade on descend en rappel, de retrouver un état proche de cette naïveté, mais
c'est à la suite d'une réaction d'adulte, bien première celle-ci, qui nous fait nous indigner de ce qui nous
paraît incompréhensible. Il en va ainsi de l'enseignement de l'esprit critique, que nous nous faisons fort
de prodiguer à toute une génération, et qui semble valider le bachotage, la bloque comme disent les
Belges, qu'on inflige aux élèves. Rien, à nous professeurs de lettres, ne nous paraît plus transparent que
l'esprit des Lumières, que nous soufflons par le truchement des textes des Philosophes du même nom.
Cependant, ces textes ne sont jamais simples à comprendre, et l'idée qu'ils ont entraîné la Révolution
française est critiquable d'un point de vue historique. Du reste, l'esprit critique s'agite derrière ces
connaissances nouvelles comme un fantôme derrière son linceul, et il faut du temps pour que l'élève soit
véritablement touché. Soit, en effet, l'on se contente de la formulette tirée d'un texte de Kant "Les
Lumières c'est l'humanité arrivée à sa majorité" et de sa formule tirée d'Horace sapere aude – et le
risque de caricaturer est grand – soit on a l'ambition d'entrer dans des détails qu'on juge nécessaires – et
les nuées entourent un objet qu'on voudrait consensuel. La difficulté est que les élèves, parce qu'ils sont
nés après le XVIIIe siècle, et qu'ils vivent dans une ère d'avancées technologiques, ont tous l'impression
de participer de cette majorité de l'humanité et que ce sont des tautologies que ces textes de Rousseau,
de Diderot et de Voltaire. Corollairement, tout ce qui précède n'est que ténèbres et futilités, et il n'est
pas rare d'entendre dire qu'avant la sexualité était interdite, les Français tous fervents catholiques et
qu'on n'usait pas sa raison avant que cette espèce de programme politique ait été lancé.
3.  Basing all his doctrines upon the presence of the Supreme Mind, Plato taught that the nous, spirit, or
rational soul of man, being "generated by the Divine Father," possessed a nature kindred, or even
homogeneous, with the Divinity, and was capable of beholding the eternal realities. This faculty of
contemplating reality in a direct and immediate manner belongs to God alone; the aspiration for this
knowledge constitutes what is really meant by philosophy — the love of wisdom.
http://theosophy.org/Blavatsky/Isis%20Unveiled/isis_unveiled1.htm (Lumières et Théosophy,
importance de la thématique du regard chez nombre d'entre eux, cf. Micromégas par exemple). Il ne me
semble pas vain de faire l'hypothèse d'une parabole que j'oserais dire anagogique (vers un sens plus
élevé que la simple fantaisie), dans le Micromégas de Voltaire. En effet, l'arrivée de l'espace
intersidéral, par le véhicule incroyable d'un météore (une comète) de deux extra-terrestres impatients de
voir le reste de l'univers fait penser à une mise en scène gnostique, ou pour tout dire théosophique. Il y a
du pythagoricien, et du platonicien, dans la problématique, prégnante dans tout le conte philosophique,
des entraves dues aux sens, dont il est particulièrement question dans le chapitre IV, lorsque le Sirien et
Micromégas parviennent sur le globe de la Terre. En effet, le Sirien, plus petit que Micromégas, est
entravé par une vue déficiente pour apercevoir correctement les Terriens. Il se fie à ce qu'il a vu sans
faire aucune hypothèse viable. Micromégas lui, à la fois plus grand et plus méthodique, demande à
observer plutôt qu'à voir. Il ne se contente pas de l'ombre des choses, portée sur les murs de la caverne,
mais sait que certaines réalités peuvent être, même si elles nous sont invisibles (ce que professaient
Démocrite et les atomistes par exemple, ce me semble). Il faut que je vérifie le sens de la planète de
provenance des deux extra-terrestres. Saturne est très signifiant, comme le commun lettré le sait, mais je
crois me souvenir qu'une tradition kabbalistique accorde à Sirius, d'où vient le second, une place
particulière. Il y a aussi un syncrétisme des théories philosophiques, à l'œuvre dans le conte, qui est tout
à fait saisissant. La volonté de réconciler les inconciliables, fut-ce sur des bases encore inédites – au
sens propre de ce mot – est une hypothèse qu'on peut faire sur les bases d'une lecture sérieuse de L'Essai
sur les mœurs. On ne peut plus parler de la littérature d'idées des Lumières, sans faire l'hypothèse d'une
société théosophique naissante pendant la première moitié du XVIIIe siècle, sous la bannière de
l'Encyclopédie, grâce à l'héritage de l'œuvre entier de Pierre Bayle.
4. Je pense comprendre, désormais, pourquoi Rimbaud parle des poètes comme "d'horribles travailleurs".
La nuit hermétique à laquelle sont confinés les poètes qui veulent une "alchimie du Verbe", est
équivalente à celle que s'imposèrent les kabbalistes, alchimistes et autres "travailleurs de l'ombre", pour
dire la chose autrement. Il faut, je crois aussi, quitter le spécieux cocon familial, comme il est dit par
Jésus lui-même, pour entrer dans l'immense nuit du chemin de divine connaissance (cf. Christine de
Pisan). Il faut ne pas craindre de faire se hérisser le poil d'autrui (c'est le sens latin de 'horreo', dont vient
le mot horrible). C'est lié au fait que la matière sur laquelle ils travaillent est tellement exigeante, et les
résultats qu'ils obtiennent tellement inaccessibles au commun des hommes, que la famille est celle où
les tensions avec eux seraient les plus fortes et les plus gênantes. Fuir cette torture, et ne se donner qu'à
une seule tâche, fût-ce en attirant à soi les rires moqueurs et la calomnie.
5. Il y a, dans ma vie, des rencontres avec des idées, des ouvrages, des systèmes, qui correspondent si bien
avec l'étape de développement où je me vois parvenu que c'est un ravissement – au sens fort de ce terme
– d'être en capacité, je peux dire même d'être autorisé enfin à les lire, à les comprendre. Tout se passe
en effet, tant cette mécanique est bien huilée (je parle de mécanique en un sens spirituel et mystique),
comme si je n'avais fait jusque-là que suivre un chemin qui me mènerait à un haut enseignement. Je
dois, pour accéder à l'état de quiétude, ou de non-inquiétude nécessaire, me défaire des scories du
monde. Je ne dis pas que c'est une entreprise d'aliéné à laquelle je m'astreins pour fuir la vie, c'est
plutôt, au contraire, une évidence phénoménale qui s'est imposée à moi il y a longtemps, et dont j'ai
découvert les éléments jusqu'ici, continuant à avancer dans ce château mystique – celui-là même dont
parle sainte Thérèse d'Avila. Il est rassérénant et responsabilisant de constater qu'il n'y a pas de chaos
dans mon existence, mais bien un plan qui me dépasse et auquel je puis me conformer si je le décide
(puisqu'enfin je n'ai ni à le souhaiter ni à ne pas le souhaiter). L'étude de ma langue, la philologie, les
lectures philosophiques puis mystiques, le dégoût progressif éprouvé à l'égard des romans et de toute
une littérature que j'ai fini par trouver futile, la compréhension de plus en plus familière de l'anglais,
toute cette initiation pourrait avoir un but.

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