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Bulletin de la société
d'études anglo-américaines des
XVIIe et XVIIIe siècles
Mathis Gilles. Vaughan, Herbert et la rhétorique de répétition . In: XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines
des XVIIe et XVIIIe siècles. N°18, 1984. pp. 9-44;
doi : https://doi.org/10.3406/xvii.1984.1032
https://www.persee.fr/doc/xvii_0291-3798_1984_num_18_1_1032
II
VUE V ENSEMBLE
Les poèmes lyriques de Vaughan sont en général plus longs que ceux
de Herbert (38 vers contre moins de 27) *• , mais les poèmes longs de
Herbert sont plus longs que leurs analogues chez Vaughan.
On ne retrouve pas dans Silex Scintillans les recherches
linguistiques et prosodiques de The Temple, comme :
dans les deux cas), Unkindnesse Cas I use Thee", précédé dans quatre
strophes sur cinq de "... use a friend"), Mortification ("death", avec deux
retours étoffés : "house of death") , Dotage ("here") , Easter_Wings (". . .
the flight in me"), auxquels s Ajoute le cas particulier de Aaron ^ .
FIGURES ENCADRANTES :
poèmes qui repose sur le retour parallèle ou symétrique d'un mot ou d'un
groupe de mots du premier vers dans le dernier (en position initiale ou
finale), est l'indice sûr d'une conscience artiste.
Bien qu'il s'agisse d'un procédé relativement rare, au moins une
dizaine de poèmes de The Temple le mettent plus ou moins à contribution :
Jystice__I et Sinnes Jtound (ce dernier sur le thème du "Mea culpa. . . mea
culpa") qui reprennent tout un vers, An_Qffering (reprise en variatio en
début de vers de "Come, bring thy gift. . . ") , §ighs_and_Grones ("me /me",
repris aussi en figure encadrante dans chaque strophe) , Discipline ("throw
away thy rod" et "throw away thy wrath" repris en fin de poème avec
décalage d'un vers)/ Jesu (figure symétrique parfaite), A_Wreath (figure
parallèle parfaite sur le mot-clé du poème : "praise", structure renforcée par
la reprise en chiasme dans les derniers vers des quatre premières rimes :
"praise, give, wayes, live" revenant en "live, wayes, give, praise",
guirlande bien bouclée en vérité) , Antinhon_II (figure encadrante plus étoffée
encore sur le même thème : "Praise be the God", mais irrégulière, le
retour intervenant dans l'avant-dernier vers), The_Bag_ (figure symétrique et
reprise en chiasme : "Away despair... despair, away") Home ("Corne" repris
en figure symétrique au vers 75, juste avant le refrain, effet redoublé
par le scheme encadrant également symétrique de la dernière strophe sur le
même mot : "Corne... corne").
On peut ajouter à cette liste deux cas particuliers : The_Odour,
où une figure encadrante structure chacune des six strophes ("My Master",
qui reprend en agencement vertical la répétition horizontale du premier
vers, "minde", "thee", "before", "sweet", "me") et The_Method, avec la
"figure" encadrante antithétique : "Poore heart, lament /Glad heart rejoyce".
Deux poèmes seulement de Silex Scintillans présentent une figure
encadrante nette, parfaite dans Trinity-SundaY ("three", thème clé du
poème), légèrement irrégulière dans Dressing ("0 thou. . . thou"). Psalm
204, comme AntiDhon_II de Herbert propose un retour irrégulier dans
l'avant-dernier vers mais lui ajoute des variations syntaxiques : "Up, 0 my
soul, and bless the Lord... 0 my soul bless thy Lord !", vers 1 et 95 ;
et ses "saint" évoque à peine le scheme encadrant *•f 1 8")J .
- 19 -
EPUEUKES
The Temple :
Silex Scintillans :
. autres cas : Palm-Sunday ("put on, put on your best array", vers 7),
D§Z_2f_Jyç[gment ("prepare , Prepare me", vers 29 et "Give me, 0 give me",
vers 33), The_Search ("Leave, leave", vers 75), The_Seed_Growing__SecretlY
("My dew, my dew", vers 5, avec un jeu de mots possible, dans le contexte
avec "My due, my due !" ?), The_British__Church ("Haste, hast my dear", vers
5), The ǧX_of_Judgment ("Descend, descend", avant-dernier vers), Begging
II ("most, most", vers 10), Love^sick ("ever, ever", dernier vers), The
Ç2n5ÎËl!§£i2n ("much» much more", vers 28) , Psalm_65 ("purge them, purge
them", vers 8), Misery ("still thine /Still thine", avec enjambement, vers
90-1, et "0 hear my God, hear", vers 105), WMte_Sunda£ ("thy own/Thy own",
avec enjambement, vers 29-30 et un retour différé mais qui respecte le
ton de la figure : "refine us with thy fire ! Refine us", vers 61-2), c'est
aussi le cas pour une série de poèmes qui présentent quelques légères
variations syntaxiques : Psalm 104 ("how great, how very great", vers 2),
The_Ass ("0 then, just then !", vers 53), The_Query ("Tell me, 0 tell",
vers 9), The_Match ("my blood/My fierce, wild blood", vers 3-4, avec
enjambement), The_Relagse, avec une variation syntaxique comparable ("thy love,
thy rich, almighty love", vers 5), To_the_HolY B^l2 ("Farewell 0 book of
God, farewell", dernier vers), Mount of Olives II ("thy name to sing/Thy
glorious name", avec enjambement, vers 24-5, figure qui relève aussi de
la correctio rhétorique) ^ ^ .
- 21 -
AN AVIPLOSES :
The Temple :
Silex Scintillans :
. rime fratrisée :
AWAPHORES :
2. Beaucoup plus souvent aussi que chez Herbert, les lexemes mis en
jeu dans les anaphores sont des mots-outils (et non des mots de sens plein
comme le nom, l'adjectif, l'adverbe, le verbe), dont certains engendrent
des schémas qui doivent plus au fonctionnement mécanique de la langue usuel
le qu'à une quelconque élaboration rhétorique ; c'est le cas de schemes
syntaxiques comme : "no... no", "no... nor", "nor... nor", "now... now",
"and... and", "some... some", "such... such" ^^ :
Exemples : The Constellation (v. 6, 9-10) : The_Stone (v. 8, 13) ;
The_Star (v. 16, 20, 26, 29-30) ; Misery (v. 89).
III
une exception au même titre que The Wreath, confirme à sa manière les gran-
des tendances du style "anti-rhétorique" de Vaughan T381} .
De toute évidence, le Silure est moins préoccupé de ses effets
que son maître.
La dernière image de The Wreath, qui ouvre le poème vers
l'extérieur, sur les espaces infinis du Ciel, suggère que la couronne des choeurs
angéliques qui entourent le Seigneur a plus de beauté et plus d'éclat
("cloudless choirs") que la dérisoire guirlande de louanges tressée par un
art trop terrestre.
IV
plus nombreuses chez Vaughan que chez Herbert, on peut aussi suggérer que
les épanodes systématiques et insistantes sont moins fréquentes C39) .
Pour les figures plus construites, nous savons que Vaughan
n'utilise pas le refrain et nous avons constaté la relative rareté de l'anapho-
re prosodique stricte, surtout quand elle est étoffée, dans Silex
Scintillans.
Plus généralement, pour l'épizeuxe, l'anadiplose et l'anaphore,
les figures les plus courantes chez Vaughan - et sans doute aussi chez
Herbert - nous avons observé, chez le premier, plus de souplesse, plus de
variété aussi dans les retours : "Vicissitude plays all the game"
(Mfliction_IJ.
Ce sont globalement les mêmes techniques de rupture des schémas
canoniques qui sont à l'oeuvre chez nos deux poètes, mais d'une part, la
pratique de la variatio semble plus systématique chez Vaughan, et d'autre
part, plus fréquent est le recours à la technique d'espacement des retours,
à la distribution interne qui masque ou atténue les effets, aux
contrepoints entre la syntaxe et le mètre. Au totale le style de Vaughan se
distingue par une plus grande discrétion et une plus grande économie dans
l'emploi des figures de répétition : une rhétorique en "demi- teintes", en
quelque sorte, qui est un peu à ce plan de la composition ce que le clair-
obscur de Silex Scintillans est au plan métaphorique J.
GWLoJ> MÀTHIS
de.
- 39 -
NOTES
15. Voici le détail des comptages : pour la moyenne de vers par poèmes,
je n'ai pas compté les longs poèmes (The_Church-Porch, The_Sacrif ice ,
El2Yi<ÎËï}Ç.Ë > ï]}Ë_ÇlîyiÇ?LMilit;§nt>
dans" Thë" pour~HeïbëftJ~cë~qûi donne 4288
vërl"pôûr"i 6Î"pôèinës7 Temple contre 4938 vers pour 130 poèmes,
pour Silex Scintillans, amputé de Rules and Lessons.
16. Pour tout ce groupe III, on songe aux célèbres "Chimène" qui
retentissent à la fin des stances du Cid.
19. Voir Les Figures du Discours (Flammarion, 1977), pp. 330-1. Fontanier
après avoir opposé la réduplication (ou épizeuxe) à l'anadiplose,
propose pour illustrer la première, deux exemples : celui de Racine :
"Songe, songe, Céphise..." et celui de Voltaire : "Songe, au moins,
songe au sang...". Ce dernier exemple montre que 1 'épizeuxe différée
n'est pas impossible mais elle reste exceptionnelle.
20. Dans The_World_I, "weep and sing/And sing and weep" (v. 46-7) est
plutôt une anadiplose, ce qui montre que le type de pause séparant
un thème et son retour n'est pas un critère de differentiation
absolu entre épizeuxe et anadiplose. Tout est plutôt une question de ton.
21. Type de variatio signalé par Morier, op. cit. pp. 1162-3.
22. Parmi les cinq epizeuxes de Vaughan apparaissant dans le premier vers,
deux seulement ouvrent véritablement le poème (Sinnes_Round et
The_ Search) , mais la seconde, seule, est vraiment dramatique, elle
êit aûisi irrégulière en raison de l'intrustion de "0" ("Whither,
0 whither..."). Pour les trois autres cas, se reporter à la liste
établie précédemment.
D'autre part, notons que le "My God, my God" de The_Thanksgiving ,
plus proche du cri que les autres epizeuxes de Herbert, appartient
en fait à un vers qui semble parodier le fameux "Eli, Eli, lamma
sabacthani" de l'Evangile de St. Matthieu, 27:46 : "ity God, my God,
why dost thou part from me ?", la typographie herbertienne
(italiques) désignant nettement la référence. Ce phénomène intertextuel
n'ôte-t-il pas une partie de sa force au cri ?
25. Je n'ai pas indu dans les comptages les cas particuliers de The
Wreath, Love-sick et AJVreath, qui seront commentés plus loin.
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27. Les "blood" des vers 29-30 de The_Rainbow seraient plutôt dans le
ton de l'épizeuxe (un cri), bien que cet exemple n'ait pas été retenu
comme telle, en raison de sa trop grande irrégularité.
34. Ce style, globalement plus répétitif que celui de Vaughan, car les
schemes anaphoriques et autres figures de répétition étoffées font
une impression plus durable sur le lecteur que les épizeuxes et ana-
diploses, rapproche Herbert, toutes proportions gardées, de Sidney,
Walter Raleigh, Spenser et même du Crashaw de certains poèmes. Voici
quelques ocemples parmi les plus remarquables :
35. Pour varier les retours, Vaughan a également recours dans ce poème
à un procédé conventionnel qui consiste à faire revenir à la
verticale des lexemes ordonnés horizontalement ou vice versa, par exemple
les "how did" des vers 24-5 et 29, ou "What did" des vers 5, 10-1,
21-2, 23. Dans Love_and_Discigline, une "épanalepse sémantique"
sur "dew" et "frôst" (même champ sémantique) revient en anaphore
prosodique (voir les vers 7 et 10-1), selon le même ordre de
présentation : dew... frost. Pour des exemples miltoniens de cet agencement
horizontal /vertical, voir mon Analyse Stylistique du Paradis Perdu,
op. cit., pp. 889, 936, 1354 (note 4) et 1357 (note 24).
On trouve confirmation de la réalité de ce schéma dans The
Wronged Lover de Sidney, où le vers : "Fire, air, sea, earth, fame,
time, place..." (v. 20) fait revenir exactement dans le même ordre,
les quatre éléments et le trio "fame, time, place", disposés à la
verticale au début de chaque strophe.
38. Et même si on le voit jongler ici avec les "mine" et les "thine",
cela n'a rien de comparable avec le Çlasping__of_hands de Herbert.
40. Je fais ici référence moins aux images de lumière et de ténèbres qu'à
la tonalité générale du système métaphorique de Vaughan, traversée,
il est vrai de quelques éclairs, mais ceux-ci ne doivent rien à
l'élaboration rhétorique. On sait qu'il rejette, plus que Herbert, il
me semble, les "conceits" pétrarquisants et métaphysiques. Le '!My
self all tears, a weeping lake" de Anguish (v. 12) est sans doute le
seul vestige pétrarquisant de Silex'Scintillans .
41 . Dans Joy, Vaughan condamne les "groan well dressed" et les "griefs
tuned" et proclame : "To me /There is no discord but your harmony".
D'autre part, il est significatif que L.L. Martz trouve beaucoup
plus de poèmes de Herbert qui se conforment plus ou moins à la
structure tri-partite du poème méditatif ("composition"/"analysis"/
"colloquy") que chez Vaughan. Pour le premier, il cite : Life, Man,
42. On ne peut, à cet égard, que renvoyer à la belle étude que R. Ellrodt
a consacrée à l'imaginaire et à la sensibilité de Vaughan, et plus
particulièrement, pour notre propos, aux pages 205 à 210, op . cit .