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LES FONCTIONS DE L'IMAGE

DANS LA SOCIÉTÉ ISLAMIQUE DU MOYEN-ÂGE

Marianne BARRUCAND

Le ternle <<image)) est utilisé ici comme synonyme de <<représentation


figurée, c'est-à-dire représentation de <.figures,, animees; nous laissons donc
délibérémei~tde côté l'image abstraite dont chacun connait le rôle fonnateur
dans l'ai-t islamique. Le décor d'origine végétale, qui est parfois assez réaliste et
nullement abstrait, est égaleincnt laissé de côté ici.
D'abord nous allons voir les limitations imposées par la religion A
l'imagination figurative, limitations qui, a premikre vue, réduisent terriblement
les fonctions de l'iinagc dans la société islamique traditionnelle. Ensuite nous
chercherons les biais par lesquels la représent,ation figurée s'est quand même
introduite dans cette soci6t.é jusqu'à y occuper une place non négligeable,

La prktendue interdiction coranique de fabriquer des images


et les hadîths relatifs à I'imagiiiation figurative

Quelques versets coraniques ont trait, à l'image figurée; ce sont la sourate


V, verset 92 : <<Ovous qui croyez! Les boissons fermentées (khanzr),le jeu de
ntaysir; les pierres dressées (al-ansâbu)et les flèches divinatoires sont une
souillure procédant de I'ceuvre du Démon. Evitez la! » (traduction de Blachère,
Chouraqui t.raduit les stèles ),), et la sourate XXI, verset 52 et suiv. : <c quand il
4.

[Abrahain] dit à son père et a son peuple : Que sont ces statues devant
lesquelles vous vous tenez? Ils rependirent : nous avons trouvé nos pères les
adorant ; [Abraham] dit : Certes, vous et vos pères, vous êtes dans un égarement
évident. ... Abraham ensuite brise ces idoles. La sourate XXXN, verset 13, dit
que les djinns créèrent des images (tunzcIthî1)pour Salomon H ? e t n'ajoute pas
vb...

le moindre con~nicntairenégatif. Il est donc évident que le Coran ne se


préoccupe nulleilient d e la fabrication d'in~agesou de la représeritatioii d'êtres
aniiriés? mais qu'en revanche, il iiiterdit formellen-ient et sans ambiguïté la
vénération des images.
'i'outefois, bon nombre de Izadîflzs expriment vigoureusement une attitude
profondément inconophobe. Les thèmes qui y reviennent le plus frkquernment
sont :
- le rideail de 'Aisha, qui déplut au Prophète et qu'elle dut enlever;
- lc refus des anges d'ei~trcrdans une mais011 oii il y a des iniages ;
- Gabriel refusant de faire la visite annoncée au Prophète avant que le

rideau à images dans sa maison ne fût enlevé:


60 MARIANNE BARRIJCAND

- la condanination, le Jour du Jugement dernier des fabricants d'images

qui reqoivcnt l'ordre divin d'insuffler la vie à leurs créations et qiii sont alors
incapables (le l'exécuter ;
- le sactilège de vouloir égaler Dieu créateur ;
- les malédictions terribles énoncées a I'égard des fabricants d'images ;
- I'intcrdiction faite par Mahomet de tolérer des images dans le 4~ bar:t » (la
Ka'ba ? 1 ;
- l'ordre donné par M'ahomet à 'Umar d'effacer les images dans la Ka'ba ;
- Mahomet condamnant les chrétiens en Éthiopie qui auraient construit
des monuments funéraires décorés d'images(1).
La forn-iulation explicite par les milieux religieux du refus de I'imagi-
natioil plastique semble (depuis les travaux de R. Paret) antérieure à l'époque
proposée par K.A.C. Crcswell et Oleg Grabar!2) e t se situerait non pas quelque
part au milieu ou vers la fin du Vrre siècle, mais plutôt, entre la fin du mre siècle
et les deux premières décennies du \;XIT~ siècle.
II est significatif de remarquer que, malgré la tension entre le fonds
péreilne de la civilisation locale préislamique et la nouvelle religion, porteuse de
ses propres aspirations civilisatrices, la dynastie contemporaine de cette
évolution religieuse fut particulièrement iconophile. Les Umayyades, sensibles
à la culture matérielle classique et à son potentiel de propagande politique,
furent A l'origine de cet art syro-islamique pétri d'apports classiques et riche en
images. Ce fut le premier art islamique.
Pour le judaïsme, Ie problème de loimage se pose a priori de la même
manière que pour l'islam : c'est-à-dire une iconophobie religieuse fondamentale,
plus ou moins vigoureuse selon Ies circonstarices, subit Ia pression de la culture
hellélnistique, profondément iconophile; même le christianisme à l'époque
paléachi-étienne vit cet antagonisme entre l'héritage iconophile hellénistique et
romain et des tendances philosophiques, notamment néoplatoniciennes, qui
dénoncent la <<tromperiede l'art*. La reprise de ce débat, violente, pendant
-- -- .

i l ~Cf. H. P;\fixr, Textbelege zuin islarnischen Fiildeverbot, dans Dns We~kdes Kiiiistlew,
Strtdieii zrrr Iko17agnpliie icricl F'orinpschiclttr (en L'honneur de Hubert Schradei.Stuttgart. 1960 ; et H.
P.AHLT. Die EntsLehu~lgszeitde8 islamischen Bilderverbots. dans Ki<nst des Orients K. 1/2, 1976-77,
15s-191. L'auteur y ailalyse les neuf collections sunnites classiques (Muslim. Suhih : Rukhàrî. Suhilz. ;
Abii B h l i d . Sirriiuii :Tiimidhi. Suritcin ; h'asg'i,Surnun ;Ibn Mâdja, Sunlart :Malik. Muwattn'; Ahmad
ibri Hanbal. L l ~ r s n r ~; dnaiimi. Srrrti~i~i sous l'aspect de ficonophohie e t cssaie de déterminer l'époqiie d e
la g ~ n è s ede cos haditlis. Pour I'attitude dti Shi'isme envers l'art figure, voir R. PARET. Das islamische
Bildei-v~rhntund die Schia dans FesfsrIiriA IVet-lier C u s b ~ lBOUS . la direction d'E~7vinGraf. Ltvde. 1868.
, .. ..., .,.., II.:.: .-- P -.: -'1-1 . -.-b..'.'-
. ..,:Ir .n : I I ; ! , I - I F ~ ~ I I -~i - 'sl s 7 ?:~ r ! j : y j c , rnn
s :-.' rr +.-n ,'l:,n+
.E.' :

; ...
,'*.'..... n . ' . . . , . .. . . 1 ,,. .. ..., ' 1:. 1 ' 1,l. :::: 1 :
.
Pour les cluestions genérales coiicernatit. l'iniage figurative e t I'islam. voir I'ouvr:age ancien mais
tou.jniir,i intéressant. de Tlioinas W.I ~ R N O L D .Puirrtiizg iri Islain. Odord ITnivei-sity Press, 1928, réédit6
par IJovei. I'uliiicalions. New Ynik, 1965. En ce qui concerne la similitude dogmatique foncière entre
Siini)itcs et Shïitcs. dans ce c o n t ~ x t eles , travaus de Paret confirment les afiirmations d'Ainold.
i Z ! Cf K.A.C. CRES\VEI.I.. Eai-ly Muslini Architectui*e 2, Oxford, Univei9sity Press. 1969, t. 1.
p. 411 et Ole5 C;R.AE.AR.The foi-niotioit of Islaiiiic Art. New Haven e t I~ndrcs.Yale University Press,
1973. JI. 26. Creaxvell et Grabai. (après Georges Marcais e t d'autres1 s'appuyent uiiiquement sur des
testes uati-oln~aueocn rapport avec I'ironoclasme bvzantin (Jean de Damas et Théodore ALÛ Qurra.
ev;.111~-de H-t::1:1. Le 1:,nirt1\ I r ~ r cdt! ~ t ~ ? d qui. :.>
! ' I : I : I I ~ ~ I IdII. I~~ .!uif dt l.it1.,q1116 I 110
Titii i1.1:1 , ~ i i i . i ~idonnc- 1:i r i , .t! u::i .n .ici iiii.iyes d?iis Ir: . ~ l . a c s c h i , r . , ~ ~ .rrposc i . ~ ~ sur <:CS iniii.c.
byzant-ines et n e concerne pas. de toute manière. fimagerie proprenient islamique.
t'IMAGE DAKS I,.4S O C ~ É T EISLAMIQUE D U MOYEN-AGE 61

l'iconoclasme (730-787 e t 813-8431, se termine cependant par la reconnaissance


officielle du statut de l'image religieuse, alors que le monde de I'islam répond,
lui, par le refbs de l'image religieuse, voire de l'image tout court.

La méfiance de la religion
Dans le domaint. de l'art religieux,elle entraîne l'absence d'une iconogra-
phie didactique religieuse. Cette fonction est primordiale dans le christianisme.
D6jh pour Saint-Augustin, les représentations fi,gurées servaient à faire
comprendre l'Histoire du salut chrétien aux illettrés. Cette fonctioii pédagogi-
que et missionnaire est à la base des récits communiqués par les vitraux
d'églises, par les biblia pazlperunr e t specr~lrlnzhumanue saluntio~zis,etc. La
méfiance des théologiens vis-à-vis de l'image entraîne également l'absence
d'une iconographie religieuse de propagande politique, à l'instar des images d u
Christ Pantocrator, image religieuse qui utilise des formes visuelies créées à
I'origjne pour l'image impériale romaine. La religion traditionnelle refusant
l'imagerie, il est tout à fait logque que I'islam classique ignore l'iconographie
religeuse de communication et d'identification mystique, comme par exemple
celle d u Christ dc douleur du ~ o ~ e n - chrétien
 ~ e tardif, ou celle, tardive, des
soufYrances de la famille de 'Ali, dans certains milieux shi'ites.
Dans le domaine de l'iconographie tenzporelle, ce refus religieux de
l'imagination plastique a des conséquences comparables, la collusion fondamen-
tale entre autorité spirituelle et autorité temporelle excluant toute utilisation
de l'image à des fins de propagande. P a r conséquent, il n'y a pas d'iconographie
de légitimation royale à l'instar des statues impériales romaines comme il n'y a
guère d'iconographie de propagande souveraine par les inonnaies, moyen par
excellence des souverains romains d'affirmer leur pouvoir (voir cependant plus
bas). On constate également l'absence d'une icono.graphie de propagande
légitimant le po~ivoirpar la religion a u sens d'une participation du souverain au
pouvoir transcendant, l'absence donc d'une iconographie qui serait comparable
à celle des prophètes-rois de Notre-Dame de Paris.

Que reste-t-il finalement?

Dans Ics milieux princiers, la fonction de distraction semble engendrer


une iconographie riche et variée qui brode inlassablement autour des nienies
thèmes transposant en images les plaisirs de la vie princière. Chasse, polo et
banquets, éphèbes, musiciennes et danseuses fournissent les sujets préféren-
tiels depuis l'époque urnayyade jusqu'au xrxe siècle, indiffCrcmment sous forme
de peintures niuralcs, dc miniatures, de décorations d'objets en céraniique,
ivoire ou en mEta1.
Cette iconographie, dont l'ensemble figure communément sous le titre de
-cycle princier), est un écho des traditions préiçlan~iques,01-ienlales, qui
evoquent Ici pouvoir princier par les activités faisant partie des privilèges
inhérents h ce pouvoir. Mais l'absence de public pour contempler ces iinages
transforme 1cui.s fonctions, et l'image de propagande princikrc devient iniage a
l'usage prive d u inilieu princier.
62 &URIANNEBAKRUCAND

Il n'est peut-être pas impossible d'admettre une fonction moralisatrice de


certa i ncs images parce qu'elles véhiculent parfois un rappel visuel des diffé-
rents devoirs du souverain. On évoquerait alors quelques unes des miniatures
des Kalila u!a Dirnna, texte souvent illustré qui est un véritable Miroir des
Princes. Quatre des six fi-onfispices connus actuellement du Kitdb al-Afglzci?zî
en vingt volumes, provenant de Mossoul vers 1217-20, appartiennent peut-6tre
également ii ce groupe : il y a là des images d'autorité temporelle (le prince
trônant, vol. XVII, Istanbul, Bibliothèque Nationale), de pouvoir judiciaire (vol.
XI, Le Caire, Dâr al kutubl, et même d'une sorte de pouvoir universcl sous les
traits d'un prince chasseur, maitre du monde (vol. XIX, Istanbul, Bibliothèque
Nationale, e t surtout vol. XX, Copenhague, Bibliothèque Royale)(3);le double
frontispice dcs Maqânzât Scl-iefer, de 1237 (Paris, Bibliothèque Nationale, ms.
arabe 5847) met en scène, sur deux pages, le double r6le d u prince, détenteur de
l'autorité spirituelle e t temporelle. Ce sont, là encore, les survivances d'une
iconographie souveraine d'origine antique qui, privée de ses possibilités de
rayonnement, se retrecit d'image monumentale en miniature.
Certes, en principe les inonnaies sont aniconiques. Toutefois, dans
certaines régions et a des époques déterminées, survit la fonction de propa-
gande par les inonnaies : ce sont des monnaies de cuivre, d'argent ou d'or ; on e n
connaît pour l'époque urnayyade, pour certains souverains abbassides, pour les
émirs bouyideç, il y a des monnaies iconiques des Saldjoukides de Rûm, de
Zanlrides, des Ayyoubidcs et des htiyides(4). Si ces monnaies ne constituent
qu'une partie infime par rapport a la masse monétaire islamique, elles sont
quand même suff~sammentrépandues pour ne pas paraître colnrne d e simples
bizai.reries. Sans doute s'agit-il là d'une part d'une reprise directe cie monnaies
préislamiques (notami-i-ient pour les monnaies umayyades ), d'autre part d'une
résurgence intellectuelle e t formelle d"néritagcs antiques qui prennent valeur
de modèle (K. Mitchell Brown). L'aire d'apparition de ces monnaies est
significative : ce sont toujours des régions frontalières ou des époques char-
nières, où des it-ifluences non-islamiques marquent certaines expressions de la
civilisatjon islamique.
L'utilisation d'images animalières sous forme de blason - de très anciens
symboles de pouvoir comme l'aigle et le lion - est destinée sans doute non
çculement à la manifestation eniblématique du pouvoir du prince, tnais encore
au désir de bénéficier de la protection dispensée par les forces de l'animal

1 9i Voir D.S.Rirz, The Âgiiini SIiniatuies s n d Religous Painting in Islam, dans B1ii-lii1,qfori
dfrrgoziizc SC!: 1953, 126-134: S.M. S.I.ERS. A Xpw Volurne of tlir 1llusti.ated AghAiii Manusciipts. d a n s
.AIS ~ l . l ~ l l f 111, l ~ 501.503.
~ l / 19i9.
I 4 1 \.iiii-, pour des rxen~plestle monnaics umayj-adcs. saIdjoukides. ai-tiiqidcs. a p o u b i d e s et
zailliides hl. 1.. Ra'zs et R.E. DAHLLEY-D~~R.AS. La mumismatique d a n s le Caln/ogir~de /'c.i-positio?i Vt;.wii.s
d~ I'Islniii. Gc~iève.hlusce 112th. 1095. texte p. :350-395,11')S. 368, 372-:379, 386-388 et 517-532. L).e t .J.
Svcnei.. 1.o G~~ilianiioii dc l!slai)i clrrs.~irjrrc.Arthaud éd., Paris. 1968. pl. 29 imedaille de 'Izz al-Dn\i.Iai,
13. SPI-!.exet .J. Sni-rrr)e~-THO>I!SE, Diu Kiiiis! des Islnii~.P r o p ~ l a r i iKunstgeschiclite 4. 1973, pl. 154
iiiiédailles et moii~iaiea~bbnssiticsl.Voir à ce prnpos H. MITCHFLL BROIVS,Snnle Hefiecrions oii tlie
Figuied Coiiiii_re of the 3irttiqids and the Zengids, dans hicar Is'osfrr~iNtc~iiisr>lnfics.Icoiiogi~npli~
Epi,qi.trpli? niirl Iiistoiy. Sludies III Horioi of George C. Aliles, Ainesican Uni\reiaity o f B ~ i i r i t .1974.
:3Fi:3-3.5$ : et L. KAI.L'.-5, Cait (IF: la mniiiiaie islamique. dans I.s/cri~iirili,t.Coini~ioi,Pi.iiic~p/~?s.Forunis <liid
T I I ~ ~ I Iiiteinatiot~al
II~~B. Syniposiuni. Istai~bul.1983. publ. Dar al-Fiki; Damas. 1959. 166-170.
L'IhtAGE DANS hl SOCIETÉ ISLAMIQUE DU MOYEN-ÂGE 63

mythique. Les nombreux lions de Baibars, sur des monuments, des monnaies,
des objets d'art mobiliers, et les aigles de Nàsir al-Dîn Muhammad ibn Qalâ'ûn,
nettement plus rares, également sur monnaies, monuments et objets d'art
mobiliers, ont cette double fonction d'armoirie personnelle et de protection
mythique(5). Cet usage d'images animalières n'est pas l'apanage des seuls
Mamelouks, puisqu'on le t.rouve, certes plus isolé, mais avec des significations
analogues, dans 1'Ariatolie saldjoukide e t aussi sous Ies Ayyoubides. La plupart
des blasons mamelouks ont des images figuratives - évoquant des charges d e
cour - qui ne representent pas pour autant des êtres animés. Leur fonction de
marque de propriété et d e symbole personnel est évidente, toutefois ces images
sont marginales par rapport à notre propos concernant les fonctions des images
figur6cs. Il est significatif qiie les animaux des blasons inamelouks n'apparais-
s e n t qu'au début de cette période et qu'avec l'islamisation de plus en plus
profonde du système mamelouk, ils cèdent la place à des blasons plus abstraits
e t notamment épigraphiques.
II est difficile de preciscr l'apparition du portrait d a n s l'art islamique. Il
ne semble guère possible d'identifier des représrntations d'individus précis
avant le xve sihcle, e t même 1$ elles paraisserit encore de façon peu explicite. Le
souverain itnberbe et joumu qui apparaît sur les frontispices de certains
manuscrits [le luxe de Râysunghui; fabriqués A Hérat entre 1421 et s a mort en
1433, peut éventuellement vouloir représenter le jeune piince, de même que le
personnage sévèt-e et barbu apparaissant dans la copie illustrée du Livre des
Etoiles Fixes (Paris, Bibliothèque Nationale, 111s. arabe 50361, copie dont
l'ex-libl-iset le colophon cornportent le nom et les titres d7UlughBeg, peut, à son
tout., éi,re interpréte conirne une représentation des traits individuels de ce
souverain(61. Le portrait de Shâh 'Abbâs. de 1627, au Louvre, est authentifié
par sa légende. Pour la peinture ottoniane, le portrait prend de plus en plus de
place à partir de la seconde moitié du XVe sièclei'i). Mais, malgré certaiiis
passages littéraires, par exerilple dans le Slzcîh-nânia d e Firdawsi (où Qaydafa
reconnaît Alexandre grâce à son portrait), ou dans le Sjaraf-i~ân~a. de Nizâmi

-.

i51 Voir Ii ce propos hl. MEISEC.I<E. Zui' i n a ~ l u k i s l ~ eHeraldik.


n i ~ &Iit/rilii,igeii
i des dc,ritsciieii
r\rr-huolu,giscli~i~It~sritli!~. Ahteilung Kairo. XWIIY2. 19i2. 213-3187 et. du même auteui; Die
Bcdeutung dei- niamlukischen Heraldik fur die R u n s t ~ s c h i c h t c in . Zeitsclii.ift der deritscheii ilio~-geri-
lcli2dist-lieri iksei!si~lici/f.suppl. II (XVlII. Deukclier Orientalistentagi. I 9 i 4 . 2133-2.10. Voir égale~iieiit
E. L V ~ I L LKepi.-~enttltiolls
.~. of the I<liassakiyah aiid the O1ig7ns of Marnluk Eniblenis. irl Cniitrilt oild
Co~ite.rf O/" I'isrrttl Arts in tlir Is!n~nlc Riorld. Colloquium in hlemoiy of' Ricl1ai.d Ettinghauseii.
Pennsy11:ania Stnle University Press. University Park et Londres. 1985.219-254.
(61 Pouls les portraits cie BAyauii&ui; vijii* N. M. TITLEI-.I3ei,sinii fliiiiictttii.e Pniiitiiig. Tlie
I'iritish 1.il1i~ai.y1,oiidres. 1083, p. 54. Voir aussi. pour le théme du paltrait. Y. P ~ ~ ~ F . ~ . ~ fcl~ni-ts iliiii~
riri 1ii.i.i:. Institut Fi-anrais de Recherche eii Iran. Palis-T6lBhran. 1992,105-108. Apropos du maiiuscrit
d'al-Siifi. wiirles i.eI1lai'que.s iiitéressaiites dc .J.M. ROGERSdails .;on conlptc rendu de B. Rrentjes et
ii. Rdiii~dniiz.3Iitrclasicri.Kunst des Islam. 1979. cia~isAr.al>ica-lslaiii, Riblioliicra Oi.ieiitci/is nkT'll
:3A, 19SO. 241-247ien pnrt.iculicr 1,. 244, ou il pi'iipose, pn siiivont .4.A. Ivnnot*.d'atti-il-iiiei.ce riiai~uscrit
Ilii.at. occupe teinporaircniciit eii 1431. par Uiugh Reg: dalis ce cas. le personnage baibu rie peul
g ~ i é xvoulo~rrc.liviseiitei- L?lugh Reg qui aurait probablenient aeulempnt usurpe le iiiniiuscrit alors non
achevé e n ftlisaiii. iiotanlnic.iit rajouter sri11noni dans le colophon et dails I'etr-lihiisl.
171 Plus pi;éciséiiieiit à partir de Meiimet le Conquérant: voir le célèbise portrait de h.Iel~iiietII
:r\:rc iiiie iso.<e.alti-ibiie A SinBii Bey: Y . Ar.isoi' et F. ~..XG>L-\C.Ttii.hisli h f i i ~ i a t ~ P i iu. ~i i ~ ( j i ~lstaiibul.
g.
1974. pl. 1. p. : voir iiussi A ce propns .J. h i . ROL;ÇHÏ. '1Upiiiipi S a i . q i .l.luiiitsc/.ils et iiiitirutrii'cs. Ja.g=iiai.éd..
Paris. IYSG. p. 199.
(OU c'est à Nushâba de reconnaître Alexandre de cette manière), ou encore dans
le Clz.osro&set Slzîrin de Nizâmî (oh le portrait de Chosroès enflamme le cœur de
SItîSn), le l'vIoyen-Âgeislamique ne semble pas connaître le portrait, et pour les
passages littéraires, il s'agit probablement d'un thème littéraire ancien. La
fonction narcissique, inhérente à ce type de commande, n'entre donc pas dans
les préoccupations des commanditaires médiévaux.
Dans les mi1ieu.r Erudits, la fonction didactique est l'une des plus
anciennes dans l'histoire du livre illustré islamique, et tout particulièrement di1
livre scientifique, pour lequel l'héritage antique fut déterminant. Le plus ancien
manuscrit scientifique conservé de ce type est la copie du Lwre des Etorles Fixes
de 'Abd al-Rahmân al-Sûfî, copie datée de 1009, faite par le fils de I'auteur et
richement illustrée d'images devant faire comprendre le texte en même temps
sans doute que I'einbellir(8).Les traductions de textes scientifiques grecs furent.
souvent illustrées de dessins didactiques copiés sur le modèle. Toutefois cette
foilctlon explicative s'enrichit rapidement d'une fonction proprement narrative
qui conduit à représenter non seulement les plantes médicinales, mais encore
Ies savants, les médecins et la pharmacie, ou à montrer les drogues et
antidrogues et aussi des personnages souffrants ou guéris(9).
Avec la prise du pouvoir de la dynastie il-khânide, une certaine sensibilité
vis-à-vis de l'histoire se manifeste dans des illustrations où le récit visuel
narratif se met au sei-vice de I'évocation du passé. On peut sans doute parler: à
ce moment? de l'éclosion d'une fonction didactique spécifiquement historique de
l'image. Les exemples sont nombreux, les plus célèbres, mais non les seuls, sont
les illustrations de 1'Histoii-e Univcrselle de Rashid al-Dîn, faites dans le
scriptorium fondé par ce dernier, ou encore celles de l'Histoire des Peuples
Anciens d'al-Bîrüni, provenant de Maragha ou de Tabriz !10).
Les illustrations d'ouvrages aussi bien médicaux que vétérinaires ou
proprement techniques I-epondent, elles aussi, de toute évidence au besoin de
faire visualiser par un peintre les explications théoriques. Les nombreuses
copies du Livre cIes M+caniques Inginiezsses d'al-Djazarî en témoignent, mais

..

[Y1 Cf: E. WEI.LESX,A n Early al-Sûfi Maiiuscript in tlie Rodleian I.ihi.aiy in Oxford. A Study in
Islainic C:onstellatio~iImages, dans AI-.$0i.ielitalis III, 1959, 1-26. 27 planches.
( 9 ) Eri ce qiii ctincrrne les copies de manuscrits antiques. voir K. W ~ r m a r uThe
~ . Greek Sources of
Islainic Illust,rations. dans Archc~eologicciOriei?taliu, iii menio~iamErnst Hei.sf~ld,G.C. Miles éd.,
Locus1 Valley. New York, 1962. 244-266. Voir aussi E.J. CRI.RE, Alateiialien zum 1)ioskulides Arahicus,
dans Arts dei C7::lt dei ~.~lniizischeii Krcijst. Festschrift Ernst Kühnal. K. Ettiiighausen tld., Berlin. 1959.
163-19.1 ; voir aussi. i ce propos la t.hèse d'E.K.E: HOFF~L-AS, Tlie Ei~iergeiiryof Illiistia~ioiiiti A i ~ ~ b i c
Jloriitscripts : clnssirrtl Ixgnqv nri I~larrlic n.urisfi~i.rnation. I'h. 1). Harvard University, 1982. R.
ETri~c~.!i'ses.T,(I priiitici.~nrahr. Skiia. Genkve, 1962, est probahleiiicnt le ii~~illeiii. livre de syncl-ièsc
qiii esiste poiii. t.oute la peinture piéii~ongoI.rilc. il prcsenre une analyse coilvaiiicantc des liens enti-e les
illustratiiins antiques ct les iinages arabes.
1101Voir P. Snr'c-KI;.An iiliistrated Mariiiscript of al-Bîrunî's Chroiioliigi~of iIncient Nations.
dans TIic Scliolnr und flie Suilif. Stti(l'it's iii Co~iii~icinoi~atioirofAhfi Ra,vlihii al.Hirririî ,niid Jniol al-Dili
Rîiitii. P.:J. Clielknwslii e d . , New York. 1975. Pour les illustrations de I'Histoiic Universelle de b s h i d
al-Di~i.1:oir A. W n 1 . r ~L'Histoire
. Ziniverselle de Raahid al-Din, dans le Cntnlogue de lé.i-posiiion '77rsoi.s
de 1 ' i ~ l u i ~Genève.
r. Musée Rath. 1985.48-53 rt B. GRM, Tlie icsorld Iristoi. o f Rushid u:-Din. A Stirqvof
t l ~ eKriycil .*ls'iutic Sociefy hfni~r(xcript.1,ondres-Boston, 1975 : D.T.RTCEet R. GR,IY. Thp Illitstiatio~~s to
tlic 'tlbi.ld I-Tistoi~~'of Rnsliirl nl.Diii, Edirribouiig. 1976.
elles démontrent à leur tour l'émergence de plus en plus déterminante d'un goût
pour la narration visuelle ct pour le décor prir(l1).
Dans certains nzilieux citadins aisés, on appréciait des textes de distrac-
tion, par exemple les Maqânzât d'al-Harîrî, qu'on fit illustrer abondamment.
Ces images répondent clairement aux mêmes motivations que le texte : le désir
d'amuser et de distraire, jointe à une critique sociale humoristique, mais
néanmoins évidente. La teneur du texte, le car+actère des images et, surtout
l'absence de nom de commanditaire, dans le colophon du manuscrit le plus
prestigieux de ce type - et d'ailleurs le seul colophon conservé intact - fait
conclure à une wuvre faite par un atelier indépendant en ville (et non à un
atelier princierII 12).
Par ailleurs, lc desir de distraire par la narration visuelle conduit à
illustrer un certain nonihre de romans, pour lcsquels nous ne possédons pas
d'indication fiable concernant le milieu social qui les a commandés. La copie
il1ustri.e de 1;Varqa zva Gulslza (un i.omail d'amour chevaleresque écrit en persan
à la cour turco-persane ghaz-ilévide),exceutée vers 1250 à Konya, provient
peut-être de la cour salcljoukide, parlant Je persan et épris de ce type de
littérature(l3). La copie illustrée de Bnyad w n Riyad (roman d'amour arabe),
faite dans le monde hispano-maghrébin pendant Ie premier quart du XILFsiècle.
appartient peut-être au milieu aisé d'un grand centre alrnohade, au Maroc ou
en al-Andalus ( 14).
La fonction ludique conduit à la fabrication de poupées, et ce depuis les
fameuses poupées de 'Aïcha, dont nous ignorons cependant l'aspect. Quelques
poupées fatimides et d'autres, irano-turques, ont été conservées. Toutefois, les
fonctions de ces dernières statuettes, dont quelques unes vernissées et colorées,
h iconographie variée, sont peut-être multiples et non encore expliquées de
manière satisfaisante(l5).

. - -..--
i 11I Pour al-Djaraii. voir D.K. HILL,The Book o/'f'linowledge of Iiigeizioris Afechanical Deijce,
Traductio~iannotée. Kcidel ed.. Dordrecht. Londres. 1974, pour les ouvrages médicaux du Moyeii-Age
islamique. illustiis ou non. voir M. DUE. iMcdieru2 Islnmic Mediciire, University of California press.
Berkeley. Los Angeles, i.oiidres, 1984. Voir aussi D. BK.ANDENBI,RG, Islamic Mirlintrrr-e PaUttin.q ili
~ \ f ~ d i r n!!fnriuscript~.
i Ed. Hoclir. Rilc. 19SZ.
i12 i Poiii la série des h8[ctqcitit(ilillustrés. voir O. GR.u.~R.Tlie Illustratioiis O/' the 6.ic1qniiicrt.
Universit.y ol'chicago Press. Chicago et Loridi~s.1984.
i 131 Maiiuscrit publie par .4.S. MELII;~.LX-CHIRVA'~'I~ IR roman de Varqe et Golshah. drrs
Asictliyir~sXII, 1970 r nuniero spécial i: voir aussi M.K. OZKRC:IX, Sel~uklusanatçisi Nakkas 'Abdulmu-
'min el-lIoyi hakkindu. aans Bcllrleii XCUV. 1970. 219-229 : et J.M. ROGERS.Topkapi Sniuyi.
Marrrrsciits ~ ' ~t ~ ~ i ~ ~ i o Jagiiar , Paris, 1986. p. 54.
t l t i - r s éd..
(131 Voir R. Et-r!sctt.+cs~s, Lu peiiitrri-e urabe. Sliira. Geiièl-e. 1963. p. 126-129: et aussi J.D.
Doous iecl. 1. AI-Aiidnliis. Tlie Arts o f Islorrzir Spain. The Metropolitai~Museum of Ai*. New York. 199'2.
n u 82.312-318. iJoiii*le teste, voir A.R. NYI~L. Ilistoria de los aiiiores de Bood ,y Rivad :rtna 'rl~airtefnhle'
oriei~trrlet1 estili~p ~ r s u(Vat. Ar. 368).New-York. 1941.
i 151 Voir par cseiilple le Catalogue de l'exposition L%s!oiii chns IV: :
co!!ecrioi?s iiatioiinius.
Grand Palais. k~iis.1977. no 66. Voir surtout E.J. Gncs~.Islamic Sculpture : Ceramic figuriiiea. dans
(lrieiiinl Ai?, 12. 1966. 1-11 : J.M. Krioe~s.011a fig~iirinein the Caiio Museum of Islaniic Art. dans
Persica IV, 1969, 141-150, et aussi R.hl. Riai..si:+~i~~ Fersian Içlamic Stuvco Sculptures. daiis Art
Blrlletiri. 13. 1991. 429-463.
66 MARIANNE BARRUCAND

Le problème de la peinture religieuse

La première image connue du Pi-ophète semble se trouver dans le livre de


!Varga ufa Golsha (voir supra), oii elle tient une place tr&s modeste. Les
i.epi.éscntations les plus anciennes de la vie du Prophète s'intègrent dans le
contexte des illustrations a fonction lustoi-ico-didactique e t appartiennent a
l'Histoire Universelle de Rashîd al-Dîn, de la première quinzaine d'années du
srve siècle. Ces images, pour être belles ct respectueuses, n'ont cependant
aucune prétention religieuse; il est probable que les origines juives de Rashid
al-Dîn, ainsi que la religiosité spécifique des souverains mongols, convertis a
l'islam s ~ u l c m e n ldepuis 1295, sont à I'originc de cette conception plutôt
historique. Jusqu'ici on ne peut donc pas parler de peinture religieuse.
Toutefois, un manuscrit illustré contemporain, l'Histoire des Peuples A n c i e ~ t s
d'al-Birûnî. de 1307 (voir sr~pra),essaie de rendre par l'image l'autorité
religieuse du Prophète et de 'Ali, impressionnants par leur taille et leur nimbe
en flammèches. Quelques images isolées de leur contexte originel et dispersées
dans un Alblcni. du Topkapi Sarayi représentent des moments de l'Asce~-isioxi
nocturne du Prophète au ciel f 16); la monumentalité de ces représentations de
Mahomet fait évoquer un courant analogue à celui qui a conduit, un peu plus
tôt. aux illustrations du Prophète et de 'AIî,de 1307. 11 ne s'agit pas là de
peinture religieuse dalis le sens de la participation de In représentation à
l'essence du représente ;mais il s'agit bien quand même de la volonté de rendre
visible le statut éminent des personnages représentés. Cette tendance va en
s'amplifiant à partir du me siècle, avec les illustrations de plus en plus
nomb~-eusesde l'Ascension du Prophkte. S'ajoute alors le cycle des illustratioi~s
des diffcrentes versions de Vie des prophètes, de Abraham a Mahomet en
passant par Noé, hloise. Salomon, Daniel, Jésus etc. Bien des illustrations, plus
de 600 aimant les six volumes du Siyar-iNahi de Darïr (achevés dans l'atelier
de cours A Istanbiil vers 1595) sont de véritables images de dévotion( 17).
On a voulu voir des fonctions niystiques dans certaines miniatures
persanes i-epréseiitant des paysages, notamment dans celles ornant IiAntholo-
gie de Bihbihân?de 1398 (Istanbul, Tiirk ve Islam Eserleri Müzesi, no 1950)(18).
Les rcprésen tat.ions de Humay devant la porte fermee du jardin et du chAteau
de Hurnayûn, ou de Chosroès devant celle de Shirîn, peuvent certainement

r 16i Voir P. S r i ~ - c - ~The


i ; . Temlile nf Sa10nirii-ii ii Islamic Art and Legelid, dans Arhcieoin,~iccrlFuct
ntid .Ifvdiet~rrlTr-rrrlifioir iii CIii-istiuit. I~laiuicn ~ t r l Jewish Art, 6. Gutmaiin éd.. Scholars Prcss.
hlissoiiln. hlniitnoa. 1976, 73-121. en ]>ai-t.iciiiiei'p. 99-109;voir aussi J.h.1. R~>GLRS. Tu]~kapiSorn)*i,
loitr tris ci ils ci i~iii?i«tiii.c~s.
Jagiiar éd.. Paris, 19SG.pl. 45-47. p. 74-75
4 1 7 ) N..~T.TSLIY e t F. ç.4~31.~~. Tzil.l?isIi ~\fjllticttitwI'ni~itiilg. Istanbul. 1.974. pl. 31-33,1). 5'7 : et,
.;urliiiit %.Taniticli, Si!cr.i !\ebi. Islcifii Tasrir Suiirifiirtlo Hz. Mrlizar~7~i1ed'i11 Anirufi, Isic-I~I
hril. 1984. Vnii
aussi .].Ir. Kiigers. liipliopi Soiayr. :l~cii~rrsci~ifs et iiiiirioticius. .Jaguar ed.. Pni-is. 19Si<,p. 250-251. pl.
164-169.
(1Si thil*Il. GRAS.Histol-'. of Xiiniatuir Paiiiting : the Foiirteei~Century, i i i 8. Gray id.. Tlrcr
4 i . t ~of ille Rool; i i i ("(wtirr!Asin, Sei-inda PuM. UNFlSrO. 1979. 121-145. en particulier p. 122 et pl.
LYSI'I : ~.oii-R L I I ; B ~R1.s.TPRIEOCT.C. 13ns Bild iiti Islrri?i.Eift !kf-botltrtd seifle Folgeii. Ailton Schi.oii éd..
Iiieiiiie et R,Iuiiirli. 1971.p. 8.5. 103-106. pl. 79-81,
figurer dans le même contexte, reprenant l'imagerie d'une certaine mystique
persane, portée a son apogée litteraire par 'Attâr, vers la fin du X I T ~siècle(19).

Conclusion

Bien avant l'intrusion, dans le monde islamique, de systètnes de valeurs


occidentaux, à partir du me siècle, bien avant l'intrusion massive de l'image
d'origine européenne, la représentation figurée, malgré une méfiance religieuse
certaine, tient une place considérable dans l'art islan-iique, depuis au moins le
début du vlire siècle. La raison la plus évidente en est la vitalité des cultures
locales préisiamiques, dont les principes esthétiques, les thèmes artistiques et
les matkriaux et techniques sont très souvent récupérés par la nouvelle société
avant d'être refondus et transformés par elle. Il y a donc une tradition de
l'image figurée en quelque sorte authentique dans certaines régions du monde
islamique oii, avant l'islam, l'image figurée était vécue comme naturelle, et
possédait alors une multiplicité de fonctions. Cette tradition n'est pas liée à la
religion révélée par Mahomet, qui a été obligé de l'accepter en la soumettant
toutefbis à ses propres impératifs, ce qui a souvent profondément rnodifii. ses
fonctions et sa signification.
S'ajout.ent sans doute des aspirations à décorer, à embellir et, surtout, à
narrer par l'image ; ces traits caractérisent l'art de cour - qui constitue les bases
de nos connaissances - mais cet art de luxe sert de modèle à des expressions
artistiques plus modestes, et l'image figurée entre de la sorte dans l'art
bourgeois et dans l'art populaire (20).

(19) L'iiriage, célèbre? de Humây devant le château de l a bien-aimée, appartenant a u Kl~amsu


de Kliavadjû Kirn~finide 1396 (Londres, British Library, Add. 18113,f. 26 vl, est reproduite par B. GRAY.
Peiiitu1.c pei-sni~o,Skira. 1961, pl. 46. Cette composition est souvent reprise par les miniatwistes
i~,aiiierispostérieurs. Pour les relations entre mystique et art, voir J.C. BUROEL.The Feotiiei- of
Siinurgh. The ?,ici! Mogic' uf tlzr Arts in Medierjal IsLain, New York University Press, New York et
Londres, 1988. Voir aussi A. SCHIS~IEL, Stern und Blrime, Harrassowitz éd.. Wieshaden, 1984.
(20) Voir les images touchantes de simplicité p a v é e s dans l'enduit frais des canalisations
au siécle. P. CRES~IER et J.1. RWREIZA,fitude des graffiti de Madinat al-Zahrâ', e n préparation.

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