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Ernst Kitzinger

Le Culte des images avant


l’iconoclasme (IVe-VIIe siècles)

Traduction
par Philippe-Alain Michaud
Sommaire
4 Avis au lecteur

Ernst Kitzinger
Le Culte des images avant l’iconoclasme

7 Introduction
12 I Les commencements du culte
chrétien des images
19 II L’intensification du culte après
le règne de Justinien
40 III Racines et causes
55 IV Opposition
61 V Défense
77 VI Conclusions
80 Notes

144 Postface par Philippe-Alain Michaud


L’adoration des surfaces

Annexes

156 Florilège de textes


230 Ernst Kitzinger par Hans Belting
Avis au lecteur

4
Cette étude, parue pour la première fois en anglais dans
les Dumbarton Oaks Papers 8 (1954), pp. 85-150 sous le titre
« The Cult of Images in the Age before Icononclasm »
est reproduite dans Ernst Kitzinger, The Art of Byzantium
and the Medieval West: Selected Studies, W. E. Kleinbauer
(éd.), Bloomington, Indiana University Press, 1976.
Quelques écarts de sens peuvent apparaître entre
l’original et la traduction de Philippe-Alain Michaud.
Ils ont été voulus par Ernst Kitzinger qui a lu et corrigé
le manuscrit français. Une mise à jour de l’appareil de
notes, demandée par l’auteur, a été effectuée par Stephen
Gero, professeur à l’Université de Tübingen. Ses inter-
ventions sont signalées par des parenthèses crochets.
L’étude de Ernst Kitzinger a été complétée par
un florilège de 43 textes grecs ou latins de la période
byzantine, pour la plupart non traduits ou peu acces-
sibles, illustrant les propos de l’auteur et mentionnés
par lui (infra, pp. 156-229).

5
Ernst Kitzinger
Le Culte des images avant l’iconoclasme

6
Introduction

Dans toute l’histoire de l’art européen, il n’y a peut-être pas


d’événement plus décisif que l’adoption de l’image taillée par
l’Église chrétienne. Si le christianisme avait persisté dans le
rejet catégorique des images, ou même de toute forme d’art,
auquel il s’était tenu durant les deux premiers siècles de son
existence, le courant majeur de la tradition gréco-romaine
aurait été arrêté ; il aurait dû alors se prolonger sous une forme
souterraine ou se détourner vers des canaux secondaires pour
s’investir dans des œuvres purement séculières ou décoratives.
Mais il serait futile de se livrer à une spéculation détaillée sur
une séquence historique purement hypothétique. En revanche,
les moyens qui permirent de surmonter la résistance originelle
aux images et les étapes de ce dépassement restent pour l’enquête
historique un sujet à la fois légitime et important. On a souvent
considéré que le processus s’achève, plus ou moins, au cours
du IIIe siècle ou, au plus tard, avec la victoire du christianisme
sous Constantin le Grand (306-337). À ce moment, il semble
que l’Église soit en pleine possession des formes d’expression
et des formules iconographiques et stylistiques qui constituaient
l’héritage du classicisme : le problème de l’admissibilité des images
dans l’Église paraît réglé, du moins sur le plan des principes,
et ne devait pas être reposé avant plusieurs siècles, à Byzance,
pendant la période iconoclaste.
Depuis quelques années, un changement significatif
a commencé de se produire dans la façon de concevoir cette
séquence historique : les historiens, particulièrement les historiens
de l’Église, ont découvert que, parmi les chrétiens, les exemples
d’opposition aux images se multipliaient durant la période qui
précède le déclenchement officiel de l’iconoclasme à Byzance,
en 726, sous le règne de Léon III. Et les spécialistes sont de plus
en plus enclins à rechercher les racines de ce mouvement au
sein même plutôt qu’en dehors de l’Église1. Corrélativement, on

7
tend à relier plus étroitement l’iconoclasme byzantin à la phase
aniconique du christianisme primitif2. En fait, toute l’histoire
de l’Église durant les siècles intermédiaires est traversée par
le courant souterrain d’un iconoclasme au moins virtuel. Plutôt
que supposer une simple alternance de phases anti-iconiques
et pro-iconiques, il est nécessaire de se représenter, dans une
perspective plus continue, un conflit prolongé qui finit par
se résoudre dans une explosion volcanique dont l’importance
se mesure presque à l’échelle de l’histoire du monde.
On discernera plus nettement la « courbe sismique »
de ce conflit tel qu’il se développe à travers les siècles si l’on opère
une distinction entre trois éléments qui contribuèrent à sa forma-
tion de manière essentielle : la pratique ou l’usage des images,
l’opposition que cette pratique rencontrait et la théorie apologé-
tique. Durant les siècles où l’art chrétien se développa, ce fut
la pratique qui joua le rôle dominant. L’exhibition des images
et aussi l’accroissement des gestes de dévotion et des actes pro-
pitiatoires dont elles devenaient les instruments ou les objets
engendrèrent inévitablement des phénomènes de rejet qui, à leur
tour, provoquèrent des réactions de défense adoptant la forme
d’énoncés théoriques. Cela ne signifie pas que l’opposition
et la théorie n’ont pas contribué, pour leur part, à promouvoir
la pratique. Indubitablement, il y eut des cas où les partisans des
images furent incités par l’action de leurs adversaires à intensifier
leur dévotion. Quelquefois, ce furent également des considéra-
tions théoriques qui contribuèrent à promouvoir la création
et la vénération des images et à lever les réticences qui obéraient
ces pratiques3. Mais les énoncés explicites portant sur la nature
et la fonction des images se présentent presque toujours comme
des rationalisations ex post facto de développements d’ores et
déjà acquis4. D’ordinaire, ces énoncés doivent leur existence à
la pression de l’opposition qu’ils rencontrent et, bien souvent,
ne s’accordent pas complètement avec les réalités de leur époque.

8 Le Culte des images avant l’iconoclasme


Le rôle moteur de la pratique se manifeste avec une
particulière évidence à deux reprises : d’abord, pendant le IIIe et
le IVe siècles, puis, de nouveau, durant l’intervalle qui sépare le
règne de Justinien Ier (527-565) et le déclenchement de la crise
iconoclaste au VIIIe siècle. Il est surprenant de constater que
lorsque la peinture et la sculpture commencent de pénétrer dans
les lieux où se rassemblent les chrétiens et dans les cimetières,
ni les adversaires du christianisme ni ses apologistes n’y prêtent
véritablement attention – tout engagés qu’ils étaient dans des
controverses passionnées sur les idoles et l’idolâtrie. Avant
l’an 300, aucun témoignage littéraire ne laisse supposer l’existence
d’images chrétiennes, en dehors de symboles très laconiques
relevant d’une forme hiéroglyphique5. Lorsqu’au début du IVe siècle,
l’art chrétien devient l’objet d’un discours plus articulé, ce discours
est d’abord hostile, ou du moins restrictif6. C’est seulement à
partir de la seconde moitié du IVe siècle que certains auteurs
commencent à évoquer l’art pictural chrétien en termes positifs.
Et même à cette époque, il s’agit de références casuelles plutôt
que d’une défense systématique7. La défense était en retard sur
l’attaque, comme l’attaque l’avait été sur la pratique. Les justi-
fications de l’image chrétienne qu’on entreprend de formuler
durant la seconde moitié du IVe siècle se fondent exclusivement
sur l’utilité de la peinture comme instrument pédagogique,
en particulier pour les illettrés. Mais il y a des raisons de penser
qu’à l’époque où ces énoncés sont formulés, l’usage réel des
images n’est plus confiné à une fonction purement didactique.
Car peu de temps après, les premières voix s’élèvent pour protester
contre les chrétiens qui admettent l’adoration des images8.
La pratique, une fois encore, franchit un pas décisif
durant la période qui suit le règne du grand Justinien. C’est à cette
époque que l’image chrétienne commence d’assumer un rôle
central et une fonction vitale dans la vie quotidienne de l’Orient
grec, à un degré inconnu des siècles précédents. Mais là encore,
la réaction se fait avec retard. Voix hostiles et énoncés défensifs

9
ne manquent pas de se faire entendre dès cette époque. Mais
une opposition proportionnée à ce grand mouvement d’expansion
des pratiques dévotionnelles de nature idolâtre ne devait pas
prendre corps avant le deuxième quart du VIIIe siècle. C’est le
mouvement iconoclaste en tant que tel qui constitue la réaction
cohérente aux développements qui ont marqué l’ère post-
justinienne. Et de fait, la violence de ce mouvement ne devient
compréhensible qu’à prendre en compte l’intensification spec-
taculaire du culte des images durant les cinq générations qui l’ont
précédé. Le sursaut iconoclaste, à son tour, conduit à l’élaboration
théorique d’une défense des images chrétiennes bien plus systé-
matique et profonde que toutes celles qui avaient pu être formu-
lées auparavant. Ainsi, d’un point de vue très général, la période
qui s’étend du VIe au IXe siècle présente la même configuration
que celle qui s’étend du IIIe au IVe siècle : une séquence régulière où
s’entrelacent pratique et phénomènes d’opposition et de défense.
Cette étude traitera de l’expansion du culte des images
pendant la période qui s’étend du règne de Justinien à l’icono-
clasme. Le rôle décisif de cette période, particulièrement du
VIe siècle, dans le développement des croyances et des pratiques
idolâtres parmi les chrétiens, a été reconnu depuis longtemps9.
Les pages qui suivent se proposent de soumettre ce développement
à un éclairage plus précis et d’attirer l’attention sur son impor-
tance capitale. Elles se donnent pour objectifs principaux de
rassembler le plus grand nombre possible de témoignages litté-
raires qui démontrent l’intensification des pratiques cultuelles
à cette époque et d’explorer les forces qui sont à l’origine de ce
développement. Bien entendu, afin de mettre en relief ces faits,
sans précédents à leur époque, les témoignages concernant le
culte des images durant les siècles antérieurs devront être pris
en compte. Néanmoins, c’est sur la période qui s’étend de Justinien
à l’iconoclasme que cette étude se concentrera.
Ce travail est l’œuvre d’un historien de l’art ayant acquis
la conviction que la compréhension des changements d’attitudes

10 Le Culte des images avant l’iconoclasme


que les chrétiens adoptent face à l’imagerie religieuse au cours
des siècles est essentielle à la compréhension de l’art chrétien.
Attitudes toujours plus positives d’un côté, tendances restrictives
ou ouvertement hostiles de l’autre ; ces positions divergentes
n’ont pas laissé, l’une et l’autre, d’imprimer leur marque sur
les monuments et les œuvres. L’ère post-justinienne présente,
en ce sens, un champ d’études particulièrement riche. Le corpus
littéraire concernant les images est très vaste, on le verra ; les
changements qu’il révèle dans leur fonction, leur usage et leur
signification sont extrêmement frappants ; et nombre de déve-
loppements dans l’histoire des arts picturaux de cette période
semblent directement liés à ces changements. Le lecteur doit
garder à l’esprit que cette étude, toute limitée qu’elle soit aux
sources littéraires, n’a pas fait abstraction des œuvres de cette
période qui nous ont été conservées. Il s’agit d’une étape prépa-
ratoire sur laquelle, nous l’espérons, une réévaluation d’une
phase importante de l’art byzantin primitif pourra éventuelle-
ment se fonder.
Les témoignages de la période iconoclaste n’entrent pas
dans le cadre de cette étude. Les adversaires et les défenseurs
des images ne gardèrent cependant pas un silence complet
durant le siècle et demi d’expansion des pratiques cultuelles qui
précéda l’iconoclasme. Leurs opinions confirment l’ampleur
du changement qui se produisit alors dans l’attitude des chré-
tiens face aux images. Elles constituent une part essentielle des
sources littéraires de cette période et seront recensées dans les
deux derniers chapitres. Les efforts des apologètes pour appor-
ter un fondement théorique au rôle inédit et à la fonction nou-
velle impartis à l’imagerie religieuse s’avèrent particulièrement
éclairants. Grâce à ces textes, il devient possible d’interpréter les
œuvres de la période à la lumière de la pensée aussi bien que des
pratiques qui leur sont contemporaines10.

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I. Les commencements du culte chrétien des images

L’aversion originelle du christianisme pour les arts visuels est


enracinée dans sa spiritualité même : « Mais l’heure vient, elle est
là, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité »
(Jean 4, 23). Le concept d’adoration spirituelle trouve peut-être
son expression la plus éloquente dans l’œuvre de Minucius
Felix, composée à une époque – la fin du IIe siècle –, où la forme
idéale du culte se trouvait déjà menacée de plusieurs côtés :

Est-ce que tu crois que nous cachons l’objet de notre culte


parce que nous n’avons pas de sanctuaires ni d’autels ?
Quelle image pourrais-je façonner de Dieu alors que,
si l’on juge correctement, l’homme lui-même est une
image de Dieu ? Quel temple pourrais-je lui élever alors
que l’univers entier, dont il a été l’artisan, ne peut le
contenir ? Devrais-je, moi, simple humain, alors que je suis
logé plus largement, enfermer une puissance aussi
majestueuse dans un sanctuaire étroit ? Est-ce que l’esprit
n’est pas un meilleur endroit à lui dédier ? Et notre cœur,
une meilleure place à lui consacrer ? Dois-je offrir à Dieu
en sacrifice des animaux qu’il a créés à mon usage et
rejeter ainsi ses dons ? Ce serait de l’ingratitude, car le
seul sacrifice acceptable est un esprit probe, un cœur
pur et une conscience sans tache. Celui qui suit la voie
de l’innocence adresse une prière à Dieu ; celui qui
pratique la justice lui offre des libations ; celui qui s’abs-
tient du crime se concilie Dieu ; celui qui en sauve un
autre du danger, immole la plus précieuse des victimes.
Voilà nos sacrifices, voilà les rites que nous rendons ;
pour nous la justice est la vraie mesure de la religion11.

12 Le Culte des images avant l’iconoclasme


Comme le montre ce passage, le rejet radical des arts visuels
par l’Église primitive était une manifestation partielle d’un rejet
général des supports matériels dans la vie religieuse et dans les
pratiques d’adoration. Deux facteurs incontestables donnaient
à la résistance aux représentations figurées une force particulière :
d’une part la prohibition des images taillées telle qu’elle s’expri-
mait dans la Loi mosaïque, et d’autre part le rôle absolument
central que la statuaire, et plus généralement les images, jouaient
dans les religions du paganisme gréco-romain. Naturellement,
la résistance aux images conditionnée par ces deux facteurs visait
au premier chef les formes de représentation regroupées sous le
terme générique d’idoles ou qui, en tant que telles, conduisaient
à des excès idolâtres. Il existait cependant de nombreux modes
de représentation auxquels nulle objection réelle ne pouvait être
faite sur ce plan. Les schèmes décoratifs et symboliques et les
images narratives et didactiques restaient relativement inoffen-
sifs : c’est effectivement sous cette forme que l’art pénétra, au
IIIe siècle, dans les édifices où s’assemblaient les chrétiens et
dans les cimetières. Une grande partie de l’art des catacombes
romaines révèle un souci scrupuleux d’éviter tout soupçon
d’idolâtrie comme de décourager toutes les pratiques idolâtres.
Mais ce premier pas, apparemment sans conséquence, devait
néanmoins s’avérer décisif.
Le chemin qui allait conduire à l’adoration des images fut
tracé au cours du IVe siècle, avec l’adoption et la multiplication
de nouveaux supports matériels sur lesquels ne pesait aucun
interdit spécifique, notamment les croix et les reliques. On a dû
pratiquer l’adoration de la croix çà et là, dès l’époque des persé-
cutions ; mais c’est l’identification symbolique de l’instrument
de la Passion du Christ avec l’étendard victorieux de l’armée
de Constantin le Grand, identification graphiquement exprimée
dans le signe du labarum (l’étendard) qui apparaît sur les monnaies
au cours de la troisième décennie du IVe siècle, qui devait lui
donner son impulsion majeure12. À la fin du IVe siècle, la proskynesis

13
(ou prosternation) devant le signe de la Passion était considérée
comme un geste parfaitement naturel de la part d’un chrétien13.
Le culte des reliques s’est probablement répandu plus largement
et plus rapidement encore. Selon Cyrille de Jérusalem (circa 350),
des fragments de la Vraie Croix, dont on situait la redécouverte
durant le règne de Constantin, furent rapidement recherchés
avec ferveur par les croyants à travers l’ensemble du monde
chrétien14. Julien l’Apostat, alors qu’il n’était apparemment pas
encore prêt à retourner l’accusation d’idolâtrie contre les chré-
tiens, concentrait ses attaques sur le culte des tombeaux et
la prosternation devant le bois de la Croix tels que les fidèles
les pratiquaient15. À la même époque, un passage extatique de
Grégoire de Nysse – que l’on citera plus loin dans cette étude – 
célèbre le culte des reliques des martyrs16.
Ainsi, le culte de la Croix et des reliques était en pleine
expansion à l’époque des grands Cappadociens. Cependant, ceux-
ci ne mentionnent pas l’adoration des images, fût-ce de manière
négative. Ou du moins, ils ne traitent pas de l’adoration des
images religieuses. Il est bon de se souvenir, en étudiant le dévelop-
pement des pratiques idolâtres parmi les chrétiens, que les Pères
du IVe siècle admettaient les marques d’honneur et de respect
traditionnellement rendus à l’image de l’empereur. D’après
Malalas, Constantin institua une pratique selon laquelle, au jour
anniversaire de la fondation de sa capitale, son image devait être
transportée en procession solennelle, et l’empereur régnant venir
s’incliner devant elle. Quelle que soit l’authenticité de ce témoi-
gnage, on peut certainement croire le chroniqueur du VIe siècle
lorsqu’il dit que cette coutume était bien établie à son époque17.
L’adoration traditionnelle du portrait de l’empereur
ne connut pas d’interruption notable avec le triomphe du
christianisme ; sur ce point, les preuves ne manquent pas18. De
nombreuses sources du IVe siècle montrent qu’avec l’avènement
des empereurs chrétiens, la plupart des autorités ecclésiastiques
cessèrent de refuser cette pratique. La célèbre citation du Traité

14 Le Culte des images avant l’iconoclasme


sur l’Esprit saint de saint Basile19, si souvent utilisée, au cours
des siècles suivants, pour défendre le culte des images du Christ,
ainsi que des passages d’autres auteurs de la même époque où
l’adoration de l’image impériale est invoquée pour illustrer un
point de doctrine20, montrent que cette forme d’adoration était,
dans les faits, considérée comme usuelle et légitime21. Grégoire
de Naziance, dans sa première diatribe contre Julien, évoque
l’attitude des chrétiens à l’égard de ce qu’il appelle « l’honneur
usuel rendu au souverain », et il énonce, en termes plus explicites :
« ... ils ont besoin [les empereurs] de l’adoration à travers laquelle
ils peuvent apparaître plus redoutables – et pas seulement de
cette adoration qu’ils reçoivent en personne, mais aussi de celle
qu’ils reçoivent à travers leurs statues et leurs portraits, afin
que la vénération puisse être plus profonde et plus complète22 ».
La confrontation de deux passages de l’Histoire ecclésias-
tique de Philostorgius, rédigée dans la première moitié du Ve siècle,
illustre parfaitement combien le culte du portrait de l’empereur
a pu anticiper le culte des images religieuses. Si l’on en croit le
témoignage de Photius, qui cite de manière hostile ce texte perdu,
le culte rendu à la statue de Constantin sur le Forum Constantini
s’accompagnait, au temps de Philostorgius, de sacrifices propitia-
toires, d’offrandes de cierges et d’encens, de prières et de suppli-
cations apotropaïques23. Mais le même Philostorgius, lorsqu’il
parle de la célèbre statue du Christ à Panéas, s’efforce de montrer
que, avant sa destruction supposée pendant le règne de Julien,
lorsqu’elle fut transférée depuis la place qu’elle occupait près d’une
fontaine publique jusque dans le diaconicum d’une église, elle
n’était pas un objet d’adoration ou de proskynesis, mais d’une simple
forme de respect s’exprimant dans la dignité accrue qui s’atta-
chait à son nouvel emplacement et dans le sentiment euphorique
de ceux qui l’approchaient pour la contempler24. Ici, Philostorgius
décrit à l’évidence ce qu’il considère comme le comportement
légitime d’un chrétien de son temps vis à vis des images.

15
En réalité, dès cette époque, la pratique des images
excédait les simples démonstrations d’euphorie, au moins dans
certains cas. C’est de saint Augustin (354-430) que nous entendons
pour la première fois, en des termes sans ambiguïté, que des
chrétiens adoraient les images. Parmi ceux qui ont introduit
des pratiques superstitieuses dans l’Église, il mentionne les sepul-
crorum et picturarum adoratores (les adorateurs de sépultures
et de peintures), liant ainsi le culte des images au culte des tom-
beaux25. Ce que certaines autorités doctrinales avaient redouté
durant les premières années du siècle26 était dorénavant réalisé.
Comme l’a montré Holl il y a déjà longtemps27, cette succession
d’événements apporte un fondement logique aux écrits et aux
positions d’un contemporain d’Augustin, Épiphane de Salamine,
à Chypre, qui semble avoir été le premier clerc à voir dans la
question des images religieuses chrétiennes un enjeu majeur.
Pour discerner le but exact de la démarche d’Épiphane, il faut
s’interroger sur l’authenticité de certains des écrits que lui attri-
buent les iconoclastes du VIIIe siècle : il est fait spécifiquement
référence à des cas d’adoration réelle d’images par des chrétiens
dans différents passages dont certains spécialistes contestent
l’authenticité28. Cependant, même les plus sceptiques admettent
l’opposition d’Épiphane à l’imagerie religieuse29 : à tout le moins,
une des raisons de son hostilité s’exprime clairement dans
un passage d’un texte qui lui est incontestablement attribué :
« Lorsqu’ils ont exposé les images, ils célèbrent aussi les autres
coutumes des païens30. » Cette remarque reflète certainement
l’expérience de son époque.
Il est possible que la fin du IVe siècle ait également vu
apparaître les premiers symptômes et les premières expressions
de croyance dans les pouvoirs magiques des images chrétiennes.
Ce type de croyance se manifeste avec une étonnante candeur
dans la très libre traduction par Rufinus du témoignage d’Eusèbe
sur le groupe de bronze de Panéas. Eusèbe décrit de manière
assez ambiguë une plante étrange, douée d’un grand pouvoir

16 Le Culte des images avant l’iconoclasme


curatif, qui poussait au pied de la statue du Christ et touchait
le bord de son vêtement. Rufinus y voit une herbe réelle qui tenait
son pouvoir miraculeux de son contact avec l’image du Sauveur31.
Ce passage donne une indication significative sur le degré de
croyance dans les pouvoirs magiques des images qu’autour de
l’an 400, un auteur au moins pouvait supposer chez ses lecteurs
dévots. Mais il ne s’agit bien entendu que d’une libre variation
sur un texte antérieur, qui ne se fonde sur aucune observation
réelle de pratiques magiques ou d’effets miraculeux. Ce que
Théodoret nous dit quarante ans plus tard de la fonction apotro-
païque des images de saint Siméon Stylite placées à l’entrée
des boutiques de Rome a des résonances beaucoup plus factuelles :
c’est l’indice d’un usage quotidien du portrait d’un saint employé
pour sa puissance prophylactique32.
Enfin, dans la première moitié du VIe siècle, on rencontre
dans la littérature la première allusion à la proskynesis, la pros-
ternation pratiquée devant des images placées dans les églises.
Cette allusion semble provenir d’une question adressée à l’évêque
Hypatios d’Éphèse par l’un de ses suffragants, Julien d’Atramytion.
Nous n’avons connaissance de cette question qu’à travers la
réponse d’Hypatios, un document de la plus haute importance
pour l’histoire de la théorie chrétienne des images, sur lequel
nous reviendrons plus tard. Pour l’instant, retenons simplement
le fait que d’après cette lettre, Julien, bien qu’il s’interroge sur
la légitimité de la présence de sculptures dans les églises – il
invoque à cet égard la prohibition des images taillées dans l’Ancien
Testament – ne s’oppose pas à celle des peintures, et tolère
même leur adoration sous la forme de la proskynesis33.
Si l’on récapitule ce que nous avons appris de l’adoration
réelle des images religieuses ou des pratiques magiques et des
croyances portant sur les images avant le milieu du VIe siècle,
nous devons admettre que les preuves de l’apparition de ces
phénomènes dès la fin du IVe siècle dans l’Orient grec comme
dans l’Occident latin, si elles sont incontestables, restent rares

17
et dispersées. À quel point ces pratiques étaient réellement
répandues durant le Ve siècle et la première moitié du VIe siècle,
il est impossible d’en décider. Mais, quoi qu’il en soit, il est indu-
bitable que dans la seconde moitié du VIe siècle, le culte des images
se développa massivement et s’intensifia, d’abord à l’Est, et qu’il
se maintint, avec cette vigueur nouvelle, durant tout le VIIe siècle
et jusqu’au déclenchement de l’iconoclasme.

18 Le Culte des images avant l’iconoclasme


II. L’intensification du culte après le règne de Justinien

Il ne peut s’agir d’une simple coïncidence si le volume des notices


littéraires concernant les images s’accroît considérablement
durant cette période. André Grabar, qui a étudié de manière élo-
quente et magistrale la montée du culte des images34, a observé
que les récits des pèlerins qui se rendaient en Terre Sainte,
s’ils restaient auparavant silencieux sur les images religieuses,
se mettent alors à les mentionner avec insistance. Des images
de différentes sortes commencent également à jouer un rôle
de premier plan dans les écrits des historiens. Mais la source
d’information la plus riche reste la littérature hagiographique
et populaire : les images et les miracles dont elles sont l’origine
y apparaissent fréquemment à partir de cette époque. La plupart
de ces sources, malaisées à dater, sont trop vite révoquées à cause
de leur caractère légendaire et tendancieux. Quantité de textes
appartenant à cette catégorie ont été compilés pour servir à la
défense des images au second concile de Nicée, en 787. Certains
sont probablement d’invention tardive et ont été composés pour
combattre l’iconoclasme, mais un nombre considérable d’entre
eux a également été conservé dans des sources sans rapport
avec les actes du concile. Dans de nombreux cas, l’attribution
à des auteurs de la fin du VIe ou du VIIe siècle n’a jamais été mise
en doute et n’a aucune raison de l’être, attendu que de semblables
histoires sont également transmises par des écrits datant incon-
testablement de cette période, en particulier ceux des chroni-
queurs et des pèlerins.
Sans doute beaucoup de ces récits sont-ils essentielle-
ment apologétiques : la grande montée de l’adoration des images
se traduisit, comme nous le verrons, par une exacerbation de
leur rejet qui, en retour, stimulait leur défense. De nombreuses
histoires se développent effectivement autour d’actes d’agression
perpétrés contre les images. Dans d’autres cas, l’influence de
théoriciens cherchant à justifier celles-ci à partir d’un fondement

19
théologique est assez évidente. Mais certaines de ces légendes
sont très certainement des expressions spontanées de croyances
populaires. Même une histoire écrite à des fins défensives peut
être tissée autour d’un noyau de réalité, ou bien, lorsqu’il est
indubitable que son déroulement est purement fictif, à tout
le moins, on peut penser qu’elle reflète, dans son détail circons-
tanciel, les conditions même de la réalité.
L’intérêt majeur de ces récits, à ce point de notre enquête,
réside précisément dans les informations qu’ils véhiculent,
presque accidentellement, et qui concernent les pratiques quoti-
diennes et les croyances concernant les images. Ces détails devaient
être plausibles, sous peine de voir le récit dans son ensemble
rejeté comme une divagation inutile et dès lors son but – si but
il y avait – aurait été manqué. Nous n’avons nulle raison de rejeter
ce type d’informations qui ne sert qu’à compléter le tableau com-
posé par les récits des pèlerins et des historiens sans en changer
les données matérielles. Dans la mesure où ils sont employés
judicieusement et soumis à critique, les récits sur les images qui
fleurissent dans les hagiographies et la littérature légendaire à la fin
du VIe et au VIIe siècle peuvent être d’un grand secours pour rendre
plus vivante, pour donner une sorte de « tri-dimensionnalité »
à notre connaissance du grand mouvement d’intensification
que connut, à cette époque, l’adoration des images.
Les informations sur la montée du culte des images
que nous donnent pèlerins, historiens et auteurs de légendes
peuvent se regrouper sous quatre rubriques :
1. Les pratiques dévotionnelles ;
2. La croyance aux propriétés magiques des images
et leur exploitation ;
3. L’usage officiel des images : apotropaia et palladia ;
4. La croyance aux images d’origine miraculeuse.

20 Le Culte des images avant l’iconoclasme


Pratiques dévotionnelles

Le premier pèlerin en Palestine à mentionner explicitement


l’adoration des images est Antonin de Piacenza (circa 570). Il dit
avoir prié (oravimus) dans le prétoire de Pilate où se trouvait une
image du Christ dont on assurait qu’elle avait été peinte de son
vivant35. Le même Antonin fait une allusion plus claire encore
à une image miraculeuse du Christ conservée à Memphis : pallium
lineum in qui est effigies salvatoris... que imago singulis temporibus
adoratur, et nos eam adoravimus [Un manteau de lin sur lequel
se trouve l’effigie du Sauveur... et cette image, qui a été adorée
en tous temps, nous l’avons aussi adorée]36. Au siècle suivant,
Arculf (circa 670) fait état de la vénération d’une pièce de lin
(linteamen) qu’il vit à Jérusalem figurant le Christ et les douze
apôtres et que l’on prétendait tissée par la Vierge Marie37.
Les témoignages directs de ceux qui se sont livrés en
personne à des actes de vénération, ou ont assisté à ces scènes,
ne donnent pas d’indications spécifiques sur les formes que
prenait le rituel. Les histoires miraculeuses sont plus explicites
et apportent des détails qui manquent dans les récits des pèle-
rins. Dans le Pratum spirituale de Jean Moschus (mort en 619),
on trouve l’histoire d’un ermite qui, avant d’entreprendre un
voyage, avait l’habitude d’adresser une prière à une image de
la Vierge et de l’Enfant qu’il conservait dans sa grotte et d’allumer
un cierge devant elle. Selon le récit, il ne demandait pas seule-
ment à la Vierge de lui assurer un voyage heureux, mais aussi
de veiller sur le cierge durant son absence. C’est ainsi qu’il
le retrouvait toujours allumé à son retour, fût-il resté absent
pendant six mois38. Même si l’on adopte une position sceptique
et si l’on soutient que cette curieuse légende ne fait pas partie
de l’œuvre originale de Jean qui connut des changements et des
additions successifs39, l’usage de placer des luminaires devant
les images est également attesté par la Vie de saint Syméon le Jeune
écrite peu après la mort du saint, en 59240. L’auteur évoque un

21
habitant d’Antioche qui, guéri d’une maladie par Syméon, plaça
une image de son bienfaiteur au-dessus de la porte de sa boutique,
située en un lieu de la ville public et fréquenté, et l’orna de rideaux
et de luminaires pour lui rendre un honneur plus complet41.
Dans la dernière version de l’invention de l’image miraculeuse
de Camuliana (un texte que l’on attribue à Grégoire de Nysse
mais qui fut écrit, selon Dobschütz, au cours du VIIe siècle), il est
fait mention d’une lampe suspendue et d’un encensoir placé
devant l’image42. L’auteur attribue à l’image du Christ des acces-
soires qui, comme nous l’avons vu, étaient accordés aux images
impériales dès le Ve siècle43.
Il faut souligner que certaines des peintures qui appa-
raissent dans les récits que nous avons cités sont situées hors des
églises. Au moins l’une d’entre elles, l’image acquise par l’ermite
de Jean Moschus, est un objet de dévotion strictement privée.
Les images religieuses étaient présentes dans les demeures des
particuliers avant cette époque44, mais il est frappant de voir avec
quelle fréquence ces objets sont mentionnés dans la littérature
hagiographique de la fin du VIe et du VIIe siècle45. On retire de
ces textes l’impression qu’à ce moment, la présence des images
du Christ, de la Vierge et des saints dans l’espace domestique
est devenue une chose ordinaire ; une fois admises dans cette
sphère, leur usage et ses déviances échappaient à tout contrôle.
Nous savons qu’on n’a cessé de prier les images depuis
le temps d’Augustin et d’Épiphane. Ces prières pouvaient être
des actes de vénération, comme ceux qu’Antonin de Piacenza
semble décrire, ou le moyen d’obtenir des faveurs particulières.
Des prières relevant de ce dernier genre apparaissent fréquem-
ment dans les histoires miraculeuses46. Quels gestes et quelles
actions entraînaient de telles prières, le point est souvent laissé
dans le vague, mais les génuflexions et la proskynesis, attestées
dès le commencement du VIe siècle, comme on l’a vu, sont
mentionnées avec insistance par les auteurs du VIIe siècle47. On
ne peut malheureusement pas dater avec précision une histoire

22 Le Culte des images avant l’iconoclasme


dans laquelle des artisans, non contents de s’incliner devant
l’image de la Vierge, « l’étreignaient, embrassaient ses mains et
ses pieds et continuèrent à s’incliner devant elle un long moment,
la serrant contre leur cœur en témoignage de leur grande piété »
pour exprimer leur dévotion48. Mais il ne fait aucun doute, à la
lumière des sources que nous venons de citer, qu’à la fin du VIe
et pendant le VIIe siècle, les pratiques dévotionnelles devant
les images devinrent tout à la fois élaborées, usuelles et intenses.
Deux épisodes révélant que la montée du culte des images
excédait la sphère de la piété privée méritent un développement
particulier. En 656, une controverse théologique s’éleva entre
Maxime le Confesseur et Théodose, évêque de Césarée, dans le
camp de Bizya en Bithynie, où Maxime était tenu enfermé. À un
certain point de la discussion, lorsque se manifesta un accord,
tous les participants se levèrent, se mirent à prier, embrassèrent
le Livre Saint, la croix et les icônes du Christ et de la Vierge en
présence desquels la conversation s’était évidemment déroulée ;
ils placèrent ensuite leurs mains sur ces objets pour la confir-
mation (βεβαίωσις) de ce qui avait été arrêté49. Nous sommes ici
confrontés à une cérémonie ecclésiastique officielle accomplie
par des clercs et faisant appel à des icônes, qui apparaissent
comme des instruments quasi légaux, au même titre que le Livre
Saint sur lequel on prêtait les serments depuis le IVe siècle50.
Un emploi plus remarquable et plus ostensible encore
d’une icône par des religieux est attesté au tout commencement
de notre période, dans le premier compte rendu complet de
l’image du Christ de Camuliana. Dans ce texte, qui fait partie d’une
compilation syriaque anonyme apparemment achevée en 569,
il est dit qu’entre 554 et 560, une copie de l’image miraculeuse
fut transportée par des prêtres en procession solennelle à travers
différentes villes d’Asie mineure, afin de collecter des fonds
destinés à une église et à un village détruits par un raid barbare51.
L’image du Christ connaît le même type d’exposition publique
que celui qui était traditionnel dans le culte de l’image de

23
l’empereur52. Le parallélisme n’échappait pas aux contemporains.
Notre auteur syriaque, après avoir dit que la procession était
organisée aux fins très pratiques de collecter des fonds, appa-
remment peu satisfait de cette justification trop matérialiste,
entreprend d’interpréter la procession comme un symbole
de la seconde venue du Seigneur et Roi, qu’il pense imminente53.
L’auteur lui-même – et peut-être le clergé (si l’on admet que
l’événement décrit est authentique) – était parfaitement conscient
du caractère proprement royal ou impérial de la cérémonie.
Nous reviendrons sur ce point par la suite.
Peut-être est-il possible de faire un pas supplémentaire
et de percevoir, dans les remarques de l’auteur, les échos d’une
croyance en une hypothétique efficacité magique de la cérémonie
qu’il décrit. Dobschütz a déjà mis ce passage en rapport avec
la rubrique du Chronicon Paschale pour l’année 562 – la dernière
année du premier cycle pascal. Ce document semble montrer
que l’attente d’une seconde venue imminente était une attitude
répandue au moment où la procession est censée avoir eu lieu54.
Ces actes cérémoniels, dans la conscience des contemporains,
se bornaient-ils à symboliser l’événement à venir, ou bien
pouvaient-ils aussi hâter son accomplissement ? Si de telles
résonances sont à l’œuvre dans notre texte, elles incitent à se
pencher sur les croyances et les pratiques magiques.

Magie

Dans tout acte d’adoration, y compris le plus élaboré et le plus


intense, il est possible d’affirmer que les icônes sont employées
comme de purs symboles, des objets mémoriaux, des repré-
sentants de la divinité ou du saint auxquels la vénération
s’adresse – et c’est effectivement ce qu’ont sans cesse réaffirmé
les partisans des images, quelle que soit l’époque envisagée.
Mais cette affirmation, lorsque la magie est impliquée, tend à être
invalidée. Ce qui constitue le dénominateur commun de toutes

24 Le Culte des images avant l’iconoclasme


les croyances et pratiques attribuant des propriétés magiques
à une image est que la distinction entre l’image et la personne
représentée est, jusqu’à un certain point, annulée, au moins
pour un temps. Cette tendance à supprimer la séparation entre
image et prototype est la caractéristique la plus importante
du culte des images durant la période qui nous occupe.
Il semblerait que le peuple ne se soit jamais représenté
cette séparation comme un obstacle infranchissable, y compris
dans les actes d’adoration ordinaire. Et de fait, dans les sources
littéraires du Ve siècle, on rencontre déjà les signes occasionnels
d’une croyance en l’efficacité magique de certaines représenta-
tions55. Mais le véritable essor des croyances de ce type se situe
dans la seconde moitié du VIe siècle. On en trouve l’expression
la plus claire dans l’extraordinaire engouement qu’à cette époque,
les histoires miraculeuses commencèrent à connaître.
Dans ces histoires, dont certaines sont assimilées à des
rêves et se trouvent ainsi légèrement déguisées ou couvertes
d’un voile de rationalité, l’image agit ou se comporte comme
le sujet lui-même est censé agir ou se comporter. Elle manifeste
ses désirs : dans une histoire bien connue rapportée par Grégoire
de Tours, une image peinte du Christ crucifié, à Narbonne,
demande à être recouverte56. Elle dispense les enseignements
de l’Évangile, comme dans le rêve au cours duquel une image
du Christ apparaît, à Antioche, portant des vêtements auparavant
donnés à un mendiant57. Lorsqu’on attaque l’image, elle saigne :
Grégoire de Tours encore, mentionne une image du Christ trans-
percée par un juif58 ; une autre histoire, citée par Jean Damascène
et tirée des écrits d’Anastase le Sinaïte (640-700), évoque l’attaque
d’une image de saint Théodore par un Sarrasin59. Dans certains
cas, elle se défend elle-même contre les infidèles en usant de
la force physique : par exemple, dans l’histoire précédemment
citée d’une image de saint Syméon Stylite conservée à Antioche
(le récit se trouve dans la Vie de saint Syméon60) ou dans une
légende évoquée par Arculf et qui concerne une image de saint

25
Georges placée sur une colonne à Lydda, en Palestine, colonne
à laquelle, disait-on, le saint avait été attaché pendant qu’on le
fouettait61. Dans d’autres cas, l’image montre son invulnérabilité
face aux attaques, à travers différents actes miraculeux62. Elle
fait des promesses63 ; elle exige aussi qu’on tienne celles qu’on
lui fait, comme dans une seconde histoire que raconte Arculf
à propos de l’image de saint Georges à Lydda64. Cependant,
le type de miracle de loin le plus répandu reste celui dans lequel
l’image dispense un bénéfice matériel quelconque à ceux qui
se dévouent à elle.
Dans cette catégorie, la célèbre histoire de l’image
du Christ d’Édesse, censée avoir joué un rôle pendant le siège
de la ville par les Perses, en 544, occupe une place de premier
plan. Que cette histoire naisse réellement à cette époque ou
seulement au cours des décennies suivantes, il s’agit de l’une
des premières mentions précises, dans la littérature chrétienne,
d’un effet miraculeux bénéfique attribué à une image. L’Histoire
ecclésiastique d’Évagre, écrite à la fin du VIe siècle, est le premier
texte qui en parle65. Dans le compte rendu du siège rédigé par
Procope peu après les événements et sur lequel on admet que
le texte d’Évagre est fondé, il n’est pas fait mention de l’image,
encore moins d’un miracle. Dobschütz66, et après lui Runciman67,
ont suggéré que, en dépit du silence de Procope, la légende avait
un fondement historique. Selon leur point de vue, une icône
du Christ joua un rôle dans la défense de la ville, fut considérée
par certains groupes de la population comme le véritable insti-
gateur de la victoire, et devint ainsi cette image miraculeuse
qui devait rester célèbre.
Quoi qu’il en soit, il est certain que l’histoire se répandit
dans les cinquante années qui suivirent la victoire. Elle souligne
la montée de la croyance en la puissance magique des images
mieux que n’importe quelle autre légende. Dobschütz a montré
que l’intercession miraculeuse de l’image n’est rien d’autre
que la démonstration, sous une forme matérielle, de l’ancienne

26 Le Culte des images avant l’iconoclasme


croyance selon laquelle la ville d’Édesse bénéficiait de la protec-
tion particulière du Christ. On rapportait que dans sa célèbre
lettre au roi Abgar, le Christ avait assuré que jamais un ennemi
n’entrerait dans la ville. Procope raconte que la lettre du Christ
inscrite sur la porte de la ville était son seul phylactère (talisman)68.
Même s’il met personnellement en doute l’authenticité de la
promesse du Christ, selon lui, l’ambition qu’avait le roi des Perses
de conquérir la ville découlait de son incroyance : il voulait montrer
la nullité de la puissance du Christ et l’invalidité de la promesse
de ce dernier69. Si le siège était destiné à éprouver la puissance
du Christ, y compris aux yeux des assaillants, il est naturel que
l’échec de l’entreprise ait été attribué par les défenseurs de la ville
à une intervention divine. Mais le point significatif est qu’on
ait pu penser – sinon immédiatement, du moins peu de temps
après les événements – que cette intervention s’était déroulée
au moyen d’une image.
Il est vrai qu’une addition à l’histoire d’Abgar faisait
d’Édesse, quoique d’une manière assez vague et toute théorique,
un terrain favorable : selon cette addition, connue dès le IVe siècle,
le Christ avait envoyé au roi d’Édesse non seulement une lettre,
mais aussi son portrait70. Aucun témoignage ne nous permet
pourtant de conclure que cette image fut considérée comme
existante et – a fortiori – qu’elle fut adorée à Édesse avant le siège
et Procope nous apprend que la seule protection de la ville
(apotropaion), était la lettre inscrite sur sa porte. L’idée de donner
à la protection traditionnellement dispensée par le Christ une
forme concrète dans une image était, au temps d’Évagre, une
avancée récente. Ce n’est pas une dévotion nouvelle et plus intense
que cette histoire révèle, mais un désir inédit de rendre tangible
l’objet de la dévotion. Il s’agit là, incontestablement, d’un ressort
essentiel pour le développement des croyances et des pratiques
d’inspiration magique. Chargée de rendre la protection du Christ
manifeste, l’image ne peut rester passive. Elle devient une exten-
sion, un organe exécutif de la puissance divine et c’est simple

27
logique si, dans le compte rendu qu’il donne du siège, Évagre
ne se contente pas de mentionner la présence de l’image dans
la ville, mais décrit le rôle actif qu’elle joue dans sa défense, au
moment le plus critique. La façon parfaitement appropriée dont
est décrite la forme visuelle de l’image décourage l’hypothèse
selon laquelle il s’agirait d’une pure métaphore. La barrière qui
sépare l’image et son sujet se trouve abattue. Le Christ est présent
de manière tangible dans son image et remplit sa promesse
à travers elle.
La manière dont l’intervention de l’image est traitée
vaut également d’être mentionnée.
Selon Évagre, l’image servit à allumer un incendie qui
consuma une colline artificielle construite par les Perses en guise
de tour d’assaut. Pour parvenir à cet effet, le visage divin fut
aspergé d’eau avant d’être employé pour allumer les flammes71.
Ce phénomène, apparemment paradoxal, et de ce fait plus
miraculeux encore, de l’eau qui vient attiser le feu, est décrit
par Procope qui, dans son exposé, en donne une explication
parfaitement rationnelle72. Mais il replace également l’histoire
d’Édesse dans une série de récits miraculeux dans lesquels des
images – au même titre que les saints73 et les reliques74 – exercent
leurs effets bénéfiques à travers certaines substances intermédiaires.
Avant d’en venir à ces histoires, il faut évoquer un texte
de la même période qui appartient à la classe des comptes rendus
factuels plutôt qu’à celle des fictions édifiantes et qui suggère
que les récits comme celui qu’Évagre consacre au siège d’Édesse,
quel que soit leur fondement historique, reflétaient – ou peut-être
stimulaient – les pratiques magiques effectives faisant appel
aux images. Dans la description de son voyage en Terre Sainte,
Antonin de Piacenza parle d’une image du Christ qui était visible
sur la colonne de la Flagellation dans l’église de Sion75. En réalité,
selon Antonin, il ne s’agissait pas d’une image complète, mais
simplement d’une empreinte de la poitrine et des mains du Christ,
miraculeusement déposée sur la pierre lorsqu’il était lié à la

28 Le Culte des images avant l’iconoclasme


colonne. Quarante ans auparavant, le pèlerin Théodose affirmait
pourtant que ce n’étaient pas seulement les bras et les mains
du Christ, mais aussi son visage, qui se trouvaient imprimés
sur la colonne76. L’objet constituait à l’évidence un cas limite
entre la simple relique et l’image miraculeusement produite, un
phénomène caractéristique de la période où le culte des images
commençait à s’intensifier77.
À ce point de notre enquête, une assertion d’Antonin doit
retenir notre attention : selon lui, « pro singulis languoribus mensura
tollatur ; exinde et circa collum habent et sanantur » [on « prenait
les mesures » de cette empreinte pour chaque maladie ; par suite,
ceux qui les portaient autour du cou guérissaient]. Cette pratique,
à première vue assez étonnante, est de nouveau mentionnée
au chapitre suivant à propos d’une autre empreinte : Antonin dit
avoir vu l’empreinte du pied du Christ sur la pierre où il s’était
tenu pendant son interrogatoire dans le prétoire de Pilate78.
Dobschütz a suggéré que ces mensurae étaient des empreintes
de cire que l’on utilisait comme amulettes79. Mais on ne connaît
aucune occurrence du mot en ce sens. Tant que l’on n’aura pas
montré que le terme a été employé avec cette acception dans
d’autres contextes, nous sommes obligés de l’appréhender litté-
ralement et de lui attribuer la signification de « mesure »80. Nous
devons comprendre que les personnes souffrant d’une maladie
prenaient sur les empreintes du corps du Christ les mesures
du membre correspondant. Ils devaient opérer au moyen d’une
corde, d’une bande de papyrus ou d’un objet similaire qu’ils
liaient autour de leur cou afin d’obtenir des effets thérapeutiques ;
s’ils utilisaient une règle, ils devaient transcrire la valeur numé-
rique obtenue sur une petite tablette qu’ils pouvaient suspendre
comme une amulette.
La croyance en la force opératoire des mensurations
que révèle l’enquête d’Antonin rappelle une pratique connue
des architectes du haut Moyen Âge : lorsqu’ils devaient construire
une réplique du Saint-Sépulcre, plutôt que de chercher à reproduire

29
fidèlement l’Anastasis de Jérusalem, ils se contentaient d’inclure
de manière sélective quelques-unes des mesures principales
de cet édifice dans une structure qui pouvait être de forme très
dissemblable81. La pratique des pèlerins du VIe siècle dans l’église
de Sion et dans le prétoire de Pilate telle que la décrit Antonin
permet d’expliquer ce phénomène. Le transfert des mesures
était suffisant pour assurer le transfert des pouvoirs divins censés
résider dans l’édifice original. L’existence de tels transferts dans
la sphère architecturale montre par analogie que les mensurae
d’Antonin doivent bien être entendues en un sens littéral82. Pour
le pèlerin, les mesures servaient d’intermédiaires entre l’image
et l’objet visé, exactement comme l’eau, selon Évagre, servait
de médiateur pour les défenseurs d’Édesse.
Dans un certain nombre d’histoires relatant des guérisons
miraculeuses, on rencontre d’autres véhicules servant aux procé-
dures de transfert. Déjà, dans sa version de l’histoire de Panéas,
Rufinus envisageait un intermédiaire particulier : une herbe
d’une espèce véritable poussant au pied du groupe de bronze tire
ses pouvoirs curatifs de son contact avec la figure du Christ83.
Au VIIe siècle, la Vie de saint Théodore de Sykéon rapporte un cas
de guérison attribuée à des gouttes de rosée tombant d’une
icône du Christ sur un patient étendu devant l’autel84 ; au cours
d’une autre guérison, dans la bouche de l’orant se répand une
sensation de douceur mystérieuse, plus suave que le miel, au
moment où il prie devant l’image du Christ85. Dans l’une des
cures miraculeuses que Sophronius mentionne dans l’Encomium
des saints Cyr et Jean, c’est l’huile prélevée d’une lampe brûlant
devant une image du Christ dans le Tetrapylon d’Alexandrie
qui joue le rôle d’intermédiaire. L’image est la source du pouvoir
bénéfique de l’huile, au moins implicitement86. Un exemple
similaire figure dans un épisode de l’encomium copte de saint
Ménas, un texte que l’on ne peut malheureusement pas dater
avec précision87.

30 Le Culte des images avant l’iconoclasme


Les cas d’images exerçant leur pouvoir non pas à travers
une substance intermédiaire mais par contact physique direct
ne sont pas très répandus. Jean Moschus parle d’une femme qui
tira de l’eau d’un puits asséché en y faisant descendre une image
du très saint abbé Théodose : le monastère de Cilicie où le saint
avait résidé lui avait spécialement procuré l’image pour cet usage88.
Dans l’un des miracles de saint Artémius dont le récit a été
composé un peu avant 668, un membre malade se trouve guéri
par une application de cire fondue provenant d’un sceau portant
l’effigie du saint. Le patient avait trouvé le sceau déposé dans ses
mains en s’éveillant d’un rêve qu’il avait fait pendant une séance
d’incubation dans le sanctuaire du saint : dans son rêve, saint
Artémius lui était apparu en personne et lui avait confié le sceau
« pour qu’il le boive89 ».
Si frustes que ces pratiques puissent paraître, ce
qu’Antonin de Piacenza nous dit des mensurae suggère que les
hagiographes du VIIe siècle ne s’éloignaient pas très sensiblement
des réalités de leur temps. En tout cas, dans nombre d’histoires,
le résultat visé est obtenu sans que se produise aucun contact
matériel, direct ou indirect, entre l’image et le bénéficiaire. Il est
très fréquent qu’une prière, souvent accompagnée d’une prosky-
nesis devant l’image, soit suffisante pour rendre le miracle effectif.
Nous avons déjà évoqué l’histoire, racontée par Jean Moschus,
de cet ermite qui implorait la Vierge de surveiller le cierge brûlant
devant son image pendant qu’il était absent et dont la prière
était couronnée de succès90. Lorsque l’image d’Édesse devient
l’instrument de la guérison miraculeuse du roi Abgar – selon un
développement de la légende primitive que Dobschütz situe peu
après les événements de 544 – le roi malade, dans la description
qu’en donne le récit, recouvre la santé en se jetant contre terre
et en adorant l’image que lui avait envoyée le Christ91. Dans
la Vie de sainte Marie l’Égyptienne, attribuée à Sophronius, l’accès
à une église se trouve interdit à Marie comme par une force
divine : il est ouvert à la pécheresse repentante après qu’elle eut

31
adressé une prière à une image de la Vierge placée dans l’atrium92.
Les Miracles de saint Anastase le Perse nous apprennent qu’une
femme, frappée d’une maladie qui lui avait été infligée à cause
de son refus d’adorer les reliques du saint lors de leur transfert
à Césarée, fut guérie lorsqu’elle se prosterna devant le monument
funéraire nouvellement érigé qui contenait une image du saint
ainsi que ses reliques93. La translatio de ces reliques eut lieu
en 631, mais on ne peut affirmer avec certitude que notre texte,
lu au concile de 78794, date de la période antérieure à l’icono-
clasme95. De plus, dans ce récit, le pouvoir thérapeutique semble
émaner des reliques plutôt que du tableau. Ce dernier – et c’est
un motif récurrent dans les textes hagiographiques – permet
surtout à la patiente d’identifier le saint qui, auparavant, lui est
apparu dans un rêve.
Nous devons conclure notre survol des guérisons et
des bienfaits d’origine magique avec deux histoires que l’on peut
attribuer avec une certitude raisonnable à des auteurs de la pé-
riode pré-iconoclaste, histoires qui ne laissent aucun doute sur
la puissance magique reconnue aux images. Dans les deux cas,
l’auteur fait un effort particulier pour montrer que la seule pré-
sence de l’image suffit à produire l’effet désiré. Le premier texte
est tiré de la Vie de Jean le Jeûneur, patriarche de Constantinople,
rédigée peu après sa mort, en 595, par son disciple Photinus.
Ce texte est particulièrement intéressant dans la mesure où,
à l’évidence, il n’a pas été composé dans un but apologétique.
La démonstration du pouvoir de l’icône dérive simplement de celle
de l’humilité du patriarche que l’histoire se propose d’illustrer.
Photinus avait intercédé auprès de Jean pour une femme dont
le mari avait été frappé par un esprit malfaisant : cette femme
tenait d’un ermite que son mari serait guéri à condition qu’elle
aille chercher, à Constantinople, une image de la Vierge bénie
par le patriarche. Jean s’était indigné de cette suggestion : lui,
pécheur mortel, ne pouvait être l’instrument d’un tel miracle.
Photinus raconte alors la ruse pieuse grâce à laquelle il parvint

32 Le Culte des images avant l’iconoclasme


à donner satisfaction à la femme. Il lui donna une icône de la
Vierge dont la richesse pouvait laisser penser qu’elle avait apparte-
nu au patriarche. À la fin de l’histoire, l’image, sans bénédiction
particulière et par sa simple présence dans la maison (où elle avait
été placée sur le mur de la chambre « avec révérence et décence »),
chasse les démons malfaisants96.
L’autre histoire provient de la Vie de saint Syméon le Jeune :
elle concerne une image de Syméon exposée par une femme
dans sa maison en remerciement d’une guérison accomplie par
le saint en personne. L’icône y réalise de nombreux miracles :
elle rend la santé à une femme souffrant d’une hémorragie qui,
venue dans l’espoir de contempler l’image, « s’était dit en elle-
même : si seulement je vois son visage, je serai sauvée ». On ne
peut imaginer aveu plus clair de la croyance au pouvoir absolu
d’une image97.

Palladia

Dans les deux derniers exemples, le rôle de l’image, qui ne


s’accompagne d’aucune célébration rituelle particulière, peut être
décrit comme simplement apotropaïque, à ceci près que l’image
sert à guérir le mal plutôt qu’à le prévenir. On peut soutenir avec
certitude que l’usage purement prophylactique des images dans
la sphère individuelle privée – usage attesté, pour les images
de saint Syméon l’Ancien, dès le Ve siècle –, existait encore et s’est
même épanoui, en même temps que d’autres manifestations de
la croyance aux pouvoirs magiques des images, durant le VIe siècle
tardif et le VIIe siècle98.
Mais à côté de l’usage privé des images comme apotropaïa,
cette période vit la naissance d’une pratique qui devait devenir
l’une des manifestations principales du culte des images à
Byzance, à savoir l’emploi d’images religieuses non seulement
comme apotropaïa, mais aussi comme palladia pour les villes
et les armées, en particulier en temps de guerre. Il s’agissait,

33
bien entendu, d’une ancienne pratique païenne. Sa renaissance
a depuis longtemps été reconnue comme une particularité de
l’ère post-justinienne99.
Le rôle joué par l’image d’Édesse durant le siège de 544
tel que le décrit Évagre n’est pas exactement celui d’un palladium.
Comme nous l’avons vu, le compte rendu de l’historiographe
ressemble aux histoires miraculeuses ordinaires de la période.
Il en diffère seulement par le fait que c’est une ville entière,
et non un individu, qui bénéficie de l’intervention miraculeuse.
L’opération par laquelle le pouvoir de l’image est capté pour
déclencher le feu se déroule en secret, dans un souterrain. Un
palladium, au contraire, est un objet de culte public reconnu
par la communauté tout entière. Il doit être capable d’inspirer
le courage à ceux qui le possèdent et la peur à leurs adversaires.
En outre, dans les situations critiques, on peut attendre de lui
qu’il accomplisse des actes bien précis. L’image d’Édesse ne joue
pas ce rôle au VIe siècle. Mais il n’est pas sans intérêt de noter
qu’elle se rapproche progressivement de la forme du palladium
dans les comptes rendus ultérieurs du siège. La lettre adressée
en 836 à l’empereur Théophile par les patriarches d’Alexandrie,
d’Antioche et de Jérusalem, décrit les Perses entourant la ville
d’une ceinture de feu et l’évêque portant l’image sacrée en pro-
cession autour des murs (à cette époque, il s’agissait déjà d’une
pratique usuelle que l’on voit mentionnée pour d’autres images
dans des situations identiques). En conséquence, le vent se leva
et retourna les flammes contre l’ennemi100. Au siècle suivant,
on retrouve cet usage public de l’image combiné à la version éva-
grienne du miracle accompli en secret : l’ensemble de l’histoire
est précédé par la découverte de l’image en un lieu approprié
pour un apotropaion, à savoir au-dessus de la porte de la ville,
où il occupe la place dévolue à la promesse verbale faite par le
Christ au roi Abgar, promesse qui, selon Procope, avait bien été
inscrite à cet endroit101.

34 Le Culte des images avant l’iconoclasme


Le passage, dans l’histoire d’Édesse, d’une opération
magique privée à une exposition et à un emploi public de l’image
est symptomatique : les palladia iconiques byzantins sont
sortis du terreau des croyances populaires. Mais en fait, en dehors
de cette histoire, il n’existe pas d’exemple, dans la période pré-
iconoclaste, d’image impliquée activement et matériellement
dans des opérations militaires offensives ou défensives. Pourtant,
même dans le rôle encore peu actif qu’ils jouent lorsqu’ils
apparaissent, à la fin du VIe siècle, les apotropaïa et les palladia
iconiques rappellent un usage similaire – et pour une part
antérieur – des images des saints dans la sphère domestique.
Ainsi, un grand nombre d’icônes qui figurent dans les
légendes hagiographiques de l’ère post-justinienne sont situées
par les descriptions non pas dans les églises ou dans les demeures
privées, mais dans les lieux publics et, tout particulièrement,
sur ou à proximité des portes monumentales : à cet endroit, elles
remplissent évidemment une fonction apotropaïque comparable
à celle de l’image d’Édesse, dans les versions tardives de cette
histoire, mais elles rappellent aussi le rôle des images de saint
Syméon l’Ancien placées au-dessus des portes des boutiques
privées102. On localise une image du Christ sur le Tetrapylon
d’Alexandrie103 ; un autre Tetrapylon, situé au centre de la ville
de Césarée, fut choisi pour installer le tombeau et l’image de saint
Anastase le Perse104 ; à Antioche, une image du Christ se trouvait
sur la porte de Cherubim ou dans un périmètre proche105. Peut-
être l’image du Christ de la Chalkè, la porte principale du palais
impérial de Constantinople, apparut-elle aussi à cette époque106.
Plus frappant encore est l’usage des images religieuses
comme palladia dans les batailles. Théophylakte Simokkata, au
commencement du VIIe siècle, rapporte que, durant l’année 586,
l’image du Christ non faite de main d’homme – selon Dobschütz,
il s’agit de l’image de Camuliana qui avait été transférée à
Constantinople en 574 –, fut utilisée par Philippicus au cours
de la bataille de la rivière Arzamon pour donner du courage à

35
ses troupes107. Moins d’une génération plus tard, Héraclius place
sous protection divine sa campagne navale destinée à chasser
Phocas en opposant à « cette tête de Gorgone, ce corrupteur
des vierges, l’image qui inspire la crainte de la Vierge Pure108 ».
Au cours de la décennie suivante, Héraclius, à la tête de l’Empire,
utilisa l’image miraculeuse du Christ – là encore il doit s’agir
de l’image de Camuliana – comme un palladium dans sa campagne
contre les Perses109. Mais la mention la plus mémorable concerne
le rôle joué par les images dans la défense de Constantinople au
cours du siège de la ville par les Avares, en 626. Nous possédons
un compte rendu des événements par un témoin direct110, que
Vasilievsky identifie comme étant Théodore le Syncelle111 : il
nous apprend que le patriarche avait fait peindre des images de
la Vierge et de l’enfant sur toutes les portes du côté occidental
de la ville « d’où les ténèbres proviennent112 » et que, par la suite,
lorsque la cité fut menacée par le feu, il transporta l’image
miraculeuse du Christ le long des murs en implorant l’aide du
Seigneur113. Il s’agit là d’un document historique évoquant des
images placées au-dessus des portes et promenées le long des murs
durant un siège, exactement comme dans les versions tardives de
l’histoire d’Édesse. La procession du patriarche portant la miracu-
leuse image du Christ le long des murs est également mentionnée
par Georges Pisidès, un autre contemporain114. Au moment du
siège de Constantinople par les Arabes, il est encore une fois fait
mention d’une image, cette fois représentant la Vierge, transpor-
tée le long des murs avec les reliques de la Vraie Croix115. Dans
tous ces exemples, on attend des images qu’elles produisent un
effet psychologique et peut-être apotropaïque, mais elles n’inter-
viennent pas pour changer le cours de la bataille par une action
magique directe. L’usage officiel des images emprunte le chemin
ouvert par la pratique privée, mais – à l’exception du siège d’Édesse
tel qu’Évagre le décrit (ou l’imagine) – il ne prend pas les formes
extrêmes que les pèlerins et les hagiographes de la même période
décrivent dans la sphère de la dévotion populaire116.

36 Le Culte des images avant l’iconoclasme


Acheiropoietai

Dans les pratiques tant privées que publiques évoquées au cours


des pages précédentes, les images non faites de main d’homme
(acheiropoietai) jouent un rôle tout particulier. L’importance
accrue de ces représentations est en fait l’aspect le mieux connu
de l’intensification de l’adoration des images qui a marqué la
seconde moitié du VIe siècle et le VIIe siècle117. Sur ce sujet, inutile
d’aller très au-delà du simple résumé de faits bien connus.
Les acheiropoietai sont de deux sortes : soit il s’agit d’images
dont on pense qu’elles ont été fabriquées par des mains qui ne
sont pas d’un simple mortel, soit on prétend qu’il s’agit d’impres-
sions mécaniques, quoique miraculeuses, de l’original. Ni l’un
ni l’autre de ces deux types d’images n’était entièrement nouveau,
pour le culte chrétien, dans la seconde moitié du VIe siècle.
Une histoire, écrite au commencement du VIe siècle par un clerc
d’Afrique du Nord, évoque un velum peint apparu dans des circons-
tances mystérieuses. La peinture, qui représentait un miracle
accompli dans la ville d’Uzala par les reliques de saint Étienne,
fut confiée par un étranger (il s’agissait probablement d’un ange
et non d’un homme) à un sous-diacre de l’église locale située
dans la ville voisine, le jour qui suivit le miracle118. De toute évi-
dence, la rapidité avec laquelle l’apparition de la peinture achevée
suit l’événement qu’elle dépeint et le fait que le donateur n’ait
jamais été aperçu en ces lieux auparavant indiquent que l’image
a été produite non omnino absque mysterio dei, « non sans le
mystère de Dieu ». D’une telle image, on peut dire qu’elle résulte
d’une production céleste.
Un siècle plus tard, le pèlerin Théodose est le premier
à mentionner une impression mécanique de nature sacrée.
Nous avons déjà évoqué la mention qu’il fait de la colonne de la
Flagellation119 : l’empreinte du visage et des bras du Christ, qu’il
assure avoir vu déposée sur celle-ci, constitue un trait supplé-
mentaire destiné à renforcer la valeur de relique qui s’attache

37
à la colonne : il démontre, de la façon la plus concrète possible,
que le corps du Christ a été réellement en contact avec la pierre.
À cet égard, l’impression du visage n’est pas véritablement
requise. Effectivement, une génération plus tard, Antonin de
Piacenza affirme qu’il a simplement vu sur la colonne l’empreinte
de la poitrine et des mains du Christ120.
Ici, c’est la relique plus que l’image qui est le principal
objet d’intérêt. Mais des acheiropoietai complets du Christ
apparaissent également à cette époque. À Memphis, Antonin
vit un pallium lineum in quo est effigies Salvatoris (« un manteau
de lin sur lequel se trouve l’effigie du Sauveur ») : on lui dit que
cette image avait été produite par le Christ en personne qui avait
pressé le morceau d’étoffe contre son visage121. Il s’agit d’un
parallèle rigoureux à la légende rapportant l’origine miraculeuse
de l’image d’Édesse, apparemment élaborée à la même époque.
Dobschütz a montré que c’est probablement quelque temps après
le siège de 544, lorsqu’on prétendit que le portrait que le Christ
avait envoyé à Abgar existait encore122, que prit forme la tradition
selon laquelle le portrait avait été produit non par un peintre
ordinaire, mais par le Christ lui-même pressant son visage contre
le morceau d’étoffe123. Évagre, le premier à parler – au moins
par allusion – de l’image d’Édesse comme d’une image toujours
existante, se réfère probablement à cette légende lorsqu’il l’appelle
« l’image faite par Dieu, que des mains humaines n’avaient pas
peinte »124.
Enfin, l’image de Camuliana est apparue également à la
même époque. Elle fut transportée de Camuliana à Constantinople
durant le règne de Justin II, en 574125. Son histoire avait déjà été
consignée quelques années auparavant, dans la Chronique syriaque
de 569, où l’on apprend qu’une femme, désirant voir le Christ
face à face, trouva son image dans le bassin de son jardin126. Ce
portrait appartient donc à la catégorie des images issues d’une
production céleste plutôt qu’à celle des images formées par
impression directe. Mais rapidement, le portrait se reproduisit

38 Le Culte des images avant l’iconoclasme


mécaniquement sur le tissu dans lequel la femme, après l’avoir
trouvé, l’avait enveloppé. Et c’est cette image (ou une seconde
copie exécutée plus tard) que l’on désigna du nom d’acheiropoïète
[άχειροποίητος]127. Les deux sortes d’images miraculeuses se
trouvent ainsi combinées. Mais dans la version plus tardive de
l’histoire de Camuliana, l’origine de l’image se trouve alignée
sur celle que rapportent les légendes de Memphis et d’Édesse :
désormais, le Christ apparaît en personne et presse son visage
contre le tissu128.
De ce survol, il faut retenir deux points : les images
d’Édesse et de Camuliana, les acheiropoietai les plus célèbres
de la période pré-iconoclaste, tout autant que celui, plus obscur,
de Memphis, firent leur apparition presque au même moment129.
Bien plus, du moins à ce stade, l’idée d’une reproduction méca-
nique – à l’origine un avatar du culte des reliques qui prend parfois,
curieusement, un tour prophétique et annonce les méthodes
utilisées en photographie – semble plus populaire que celle de
l’origine céleste. Il est tentant de chercher une explication à cette
préférence dans le fait que ce type de légende résume le rôle
de l’icône plus clairement et de façon plus concrète et plus
dramatisée que toute contribution théorique : il s’agit d’une
« extension » – d’un organe de la divinité même. C’est le mythe
qui correspond le plus parfaitement à la conception magique
de l’icône et à la croyance en ses pouvoirs divins, éléments
cruciaux dans la montée du culte des images pendant les géné-
rations qui suivirent le règne de Justinien.

39
III. Racines et causes

Les témoignages littéraires recensés tout au long des pages précé-


dentes ne laissent aucun doute. Ils indiquent clairement que la
montée irrésistible et l’intensification du culte des images com-
mencent dans la seconde moitié du VIe siècle pour se prolonger
jusqu’au déclenchement de la crise iconoclaste. On peut alors
s’interroger sur la façon dont cette évolution surprenante se pro-
duisit et se demander pourquoi elle eut lieu à ce moment précis.
Dans un chapitre extrêmement stimulant qui conclut
son grand livre consacré aux formes du culte des reliques dans
le christianisme primitif, André Grabar a interprété la faveur
qu’a rencontrée l’adoration des images comme le commencement
d’un processus au cours duquel l’icône devait venir remplacer la
relique comme objet central de la dévotion dans l’Église grecque
orthodoxe130. Malgré les objections qu’on a pu opposer à cette
thèse131, à titre d’hypothèse générale, on ne peut guère la mettre
en doute. Nous avons déjà noté que, d’un point de vue chrono-
logique, la relique avait été, avant l’image, un objet d’adoration132.
Même si, en des temps ultérieurs, le culte des reliques s’est
perpétué à côté de celui des images, la relique joua certainement,
dans le christianisme grec tardif, un rôle moins important que
dans l’Occident médiéval, et l’icône un rôle à la fois beaucoup
plus étendu et plus central. D’autre part, on ne peut contester que
le changement d’accent commence à se faire sentir à la fin du
VIe et durant le VIIe siècle, ni que les formes que prit alors le culte
des icônes soient manifestement semblables à celles que l’on
rencontre dans le culte des reliques133.
La croyance au pouvoir de la magie – qui est au cœur de
la grande montée du culte des images – n’a cessé d’être associée
aux reliques. Bien plus, dans l’Orient grec, le culte des reliques,
dès ses commencements, comporte un élément visuel important :
il contient ainsi en germe l’évolution ultérieure. On doit à Grégoire
de Nysse, dans son encomium de saint Théodore, l’une des plus

40 Le Culte des images avant l’iconoclasme


anciennes et des plus éloquentes déclarations à la gloire des
reliques134. Il parle du croyant qui conserve soigneusement
la poussière qu’il a prélevée dans la tombe du martyr135 et décrit
la joie de ceux qui ont eu la grande chance de toucher les reliques
elles-mêmes : « Ceux qui les tiennent embrassent, comme s’il
était là, le corps même [du martyr], vivant et dans la fleur de l’âge,
ils utilisent leurs yeux, leur bouche, leurs oreilles et tous leurs
sens, puis, versant des larmes de vénération et de passion, ils
adressent au martyr leurs prières d’intercession comme s’il était
vivant et présent. » Dans ce passage plein d’exaltation, où la relique
informe n’est plus que l’instrument permettant de faire appa-
raître le saint dans sa présence physique, on peut reconnaître une
des racines de l’adoration des images à venir. Car si la perception
sensible d’une forme vivante est, pour l’orant, la première des
nécessités, il est évident que le travail du peintre et du sculpteur
peut être pour lui d’un plus grand secours qu’une poignée de
poussière et d’ossements. C’est dans la plénitude du corps que
la gloire du martyr est réellement contenue. C’est pourquoi
la restitution de la forme vivante à travers la peinture était sus-
ceptible de retenir les vertus attachées à la relique et de prendre
ainsi une importance équivalente et peut-être supérieure.
André Grabar appuie sa thèse d’une illustration frappante :
il observe que, lorsque le culte des images commence à se
répandre sur une grande échelle, il s’investit souvent sur un objet
qui, à cause de son origine, réelle ou supposée, ou des formes
qui lui sont associées, partage la nature d’une relique ou d’un
brandeum (« relique secondaire »)136. La plupart des textes anciens
mentionnant l’adoration des images ou d’autres actes de véné-
ration cérémoniels – mais aussi bien des témoignages précoces
concernant les croyances et les pratiques magiques – évoquent
soit des acheiropoietai, dont on pense qu’ils doivent leur existence
au contact direct d’un personnage divin et – dans le cas des
impressions mécaniques – proviennent réellement des reliques,
comme des « produits dérivés »137 ; soit des images qui, bien que

41
faites de main d’homme, se trouvaient associées physiquement
à des reliques sacrées138 ; soit enfin des images qui tiennent leur
origine d’un saint toujours vivant qui peut-être les a bénies : un
stylite, par exemple139. Holl a soutenu que ces derniers ont joué
un rôle particulièrement important dans le développement
du culte des images140, et il est vrai que les premiers exemples
que nous possédions d’images chrétiennes utilisées à des fins
apotropaïques sont les portraits d’un stylite141. Il est également
frappant de constater que les palladia transportés dans les batailles
sont très fréquemment acheiropoietai. Mais par ailleurs, André
Grabar a aussi souligné qu’il serait erroné de chercher, pour
chaque manifestation du culte des images, une correspondance
dans le culte des reliques142. Il a mis l’accent sur le pouvoir de
suggestion inné que l’image possède en tant que telle (même
lorsqu’elle ne prétend être rien d’autre qu’un artefact ordinaire,
fabriqué de main d’homme et sans relations avec une personne
ou un objet sacré), pouvoir auquel les Grecs et les sémites hellé-
nisés de la Méditerranée orientale étaient particulièrement
réceptifs. Pour le peuple, l’idée selon laquelle des forces divines
sont présentes dans les images religieuses s’enracine dans les
profondeurs du passé païen. Le néoplatonisme avait seulement
donné un fondement philosophique à des croyances remontant
à des temps bien plus anciens. Cette tendance animiste très
profonde se trouva naturellement réactivée face aux images
religieuses chrétiennes, sans égard pour les relations particulières
que ces images pouvaient entretenir avec une relique et bien
avant qu’à leur tour, elles ne deviennent l’objet d’une intense
spéculation philosophique.
Nombre de nos exemples appartenant à la phase ascen-
dante du culte des images montrent que la relation avec un
personnage saint ou un objet sacré est, dans le meilleur des cas,
très discrète. Par exemple, la statue du Christ à Panéas, même
si l’on considérait qu’elle avait été réalisée du vivant du Sauveur,
n’entretenait pas de relation directe avec lui. On disait que

42 Le Culte des images avant l’iconoclasme


l’hémorroïsse l’avait érigée en signe de reconnaissance après
avoir été guérie. Dès l’an 400, des pouvoirs miraculeux étaient
attribués à l’image, mais on ne peut avancer que ces pouvoirs
étaient conçus comme dérivant d’un contact direct avec le
Christ. Les images de saint Syméon l’Ancien, utilisées à Rome
comme apotropaïa, pourraient bien être des εύλογίαι, des objets
bénis par le saint en personne au cours des visites qu’on lui
rendait, comme le suggère Holl143. Mais dans le cas de miracles
attribués aux images de saint Syméon le Jeune, nous n’avons
aucune preuve indiquant que celles-ci aient été, à quelque moment
que ce soit, en contact avec le saint144. L’histoire miraculeuse
rapportée dans la Vie de Jean le Jeûneur rejette explicitement l’idée
selon laquelle une εύλογίαι réalisée par une personne vivante,
même par un saint, puisse conférer des pouvoirs miraculeux
à une image : effectivement, la légende glorifie l’efficacité magique
d’une icône ordinaire, sans antécédents particuliers145. D’ailleurs,
d’autres histoires miraculeuses circulaient, à la fin du VIe siècle,
mettant en scène des peintures parfaitement ordinaires146, et
leur nombre devait s’accroître durant le VIIe siècle147. Les images
placées comme apotropaïa sur les murs ou les portes des cités
étaient rarement considérées comme relevant d’une nature
particulière ; néanmoins, on estimait que nombre d’entre elles
possédaient des pouvoirs magiques148.
Ainsi, le culte des images, bien qu’il ait été clairement
préparé et encouragé par le culte des reliques, ne fut jamais
réductible à ce dernier, et devait, au cours du VIIe siècle, s’en
émanciper complètement. Certaines formes adoptées par ce
culte offrent des preuves particulièrement frappantes de cette
émancipation. Nous avons vu que les images étaient susceptibles
de servir de brandea, comme intermédiaires entre les person-
nages ou les objets saints et leurs adorateurs. Mais nous avons
vu aussi que les images – parfois même des images tout à fait
ordinaires qui ne pouvaient par elles-mêmes posséder le caractère
d’une relique ou d’un brandeum –, étaient créditées à leur tour

43
du pouvoir de produire des effets miraculeux à travers une subs-
tance intermédiaire, pouvoir traditionnellement reconnu aux
reliques dans leur contexte cultuel149. En d’autres termes, l’image
assume un statut analogue à celui de la relique. Le parallélisme
est particulièrement évident lorsque c’est l’huile qui assure le rôle
d’intermédiaire150. L’huile a très tôt été considérée par les croyants
comme un lien les rattachant aux lieux saints ou aux reliques,
ce dont témoignent les ampoules des pèlerins qui sont parvenues
jusqu’à nous. L’histoire d’un miracle accompli par les saints Cyr
et Jean, que nous avons déjà évoqué en note, traite explicitement
l’huile prélevée des lampes qui brûlent devant les reliques des
martyrs et celle d’une lampe brûlant devant une image du Christ
comme des agents doués d’un pouvoir équivalent151.
Si nous nous souvenons des paroles de Grégoire de Nysse,
la transformation du culte des images en forme de dévotion
toujours plus autonome est assez peu surprenante. Mais il est
plus difficile d’expliquer pourquoi le culte des images a connu
une impulsion massive précisément à cette époque.
Évaluer les causes d’un mouvement si profondément
enraciné dans des croyances et des pratiques anciennes et si
évidemment soutenu par la masse du petit peuple est une entre-
prise délicate. Sans aucun doute, la tendance à adorer et à faire
un usage magique des images religieuses se fit jour dès que l’on
commença à produire de telles images152 et depuis ce moment,
elle ne cessa de se propager. L’élan semble s’être accéléré dans
la seconde moitié du VIe siècle, mais les causes de cette accéléra-
tion sont à peu près impossibles à identifier. Nous avons évoqué
la recherche de plus en plus pressante de la présence palpable
et de l’intervention de la divinité153. Cette disposition était peut-
être due à un sentiment croissant d’insécurité touchant de larges
ensembles de la population des pays de la Méditerranée orientale
en ces temps de péril. Mais l’identification précise des forces
qui auraient provoqué cette « poussée par le bas » ne saurait être
que conjecturale. On peut néanmoins suggérer que la résistance

44 Le Culte des images avant l’iconoclasme


à cette pression dont les autorités faisaient preuve déclina
sensiblement durant cette période et que ce relâchement de tout
contre-pouvoir venu d’en haut fut l’un des grands facteurs
du développement du culte des images. L’historien, en tout cas,
est obligé, sauf exception, de limiter sa recherche des causes
à l’exploitation de faits relevant de la sphère officielle, lorsque
les sources permettent un examen suffisamment minutieux
de ceux-ci.
Pour le clergé, l’adaptation de la philosophie néoplatoni-
cienne aux conditions du christianisme, qui s’était accomplie,
vers la fin du Ve siècle, dans les écrits du Pseudo-Denys, fournissait
un fondement théorique à la défense de l’adoration de l’image
chrétienne. Nous verrons plus loin que les autorités ecclésiastiques
ne furent pas longues, en s’emparant de cette source appropriée
et respectable, à faire taire les scrupules que cette dérivation
pouvait faire naître154. Ces autorités deviennent également tou-
jours plus conscientes de l’efficacité des icônes pour lutter contre
les hérétiques et cela semble expliquer en partie la bénédiction
officielle et le soutien tout particulier accordé aux acheiropoietai,
dont on abordera plus loin les aspects christologiques155.
Dobschütz156 et Runciman157 ont suggéré que l’image d’Édesse
a pu être « inventée » pendant le siège de 544 par les Grecs et
les Chalcédoniens de la ville pour s’opposer, ou pour favoriser,
le puissant élément monophysite [courant hérétique refusant
ou relativisant la réalité de l’Incarnation] qui se trouve alors sous
l’hégémonie du célèbre Jacob Bar Addaï. Il est certain que de
nombreux monophysites avaient des penchants iconoclastes158,
mais d’un autre côté, comme Dobschütz le remarque159, les
monophysites d’Édesse revendiquèrent sans réticence la propriété
de l’image, sans cesser peut-être de refuser son origine miracu-
leuse160. On possède, à propos de l’image de Camuliana, des
exemples mieux attestés où l’icône est utilisée à des fins dogma-
tiques. Georges Pisidès la loue comme la preuve tangible de
l’Incarnation et le moyen de confondre les phantasiastes161, et

45
dans le sermon du Pseudo-Grégoire consacré à cette image
qui, selon Dobschütz, remonte également au VIIe siècle, son
apparition et ses effets miraculeux sont décrits et interprétés
avec force comme une répétition de l’Incarnation du Christ162.
Mais l’exemple le plus frappant de la promotion active dont les
images sont l’objet dans un contexte doctrinal reste le 82e canon
formulé par le concile quinisexte qui se tint à Constantinople
en 692. Le canon concerne un type particulier de représentations,
les reproductions symboliques du Christ sous les traits d’un agneau,
et prescrit qu’elles doivent être remplacées par des représenta-
tions du Christ sous la forme humaine « afin que nous percevions
à travers elles la profondeur de l’humiliation du Verbe divin et
que nous nous remémorions son existence et sa chair, sa Passion
et sa mort et la grandeur du pardon qu’il a apporté au monde. »
On voit ici la fabrication des images – en particulier celle
des images anthropomorphiques – prescrite par les plus hautes
autorités. Le but est clairement énoncé : l’image doit rendre
tangible l’Incarnation du Logos dans le Christ. Elle est utilisée
comme un défi, une provocation à l’intention de ceux dont les
opinions christologiques ne répondaient pas au dogme ortho-
doxe. Bien que rien n’y soit dit de l’adoration qui leur était due,
aucun autre texte de la période pré-iconoclaste ne montre avec
une telle clarté les détenteurs de l’autorité prendre une initiative
personnelle dans le domaine des images163.
Ainsi, dans certains cas, les considérations théoriques,
tout particulièrement théologiques et doctrinales, ne servaient
pas seulement à défendre les images et leur culte, mais aussi
à les promouvoir. Il faut cependant considérer que la théologie
fut simplement une cause parmi d’autres de l’expansion du
culte des images. Si son importance avait été déterminante, on
s’attendrait à voir cette expansion se produire durant le Ve et au
commencement du VIe siècle, au moment où la lutte contre le
monophysisme atteignait son point culminant et où la nécessité
de démontrer la réalité de l’Incarnation était particulièrement

46 Le Culte des images avant l’iconoclasme


criante. On s’attendrait aussi à voir les réactions d’opposition
et de défense provoquées par l’expansion du culte des images
dans la seconde moitié du VIe siècle se concentrer de manière
bien plus précise sur des enjeux théologiques et plus spéciale-
ment christologiques qu’ils ne l’ont fait en réalité. Comme nous
le verrons par la suite, la christologie intervint à la fois dans les
réactions d’opposition et de défense – cela s’était déjà produit
à une date bien antérieure –, mais sans en capter tous les enjeux.
Il paraît plus douteux encore que l’image ait constitué, dès cette
époque, une part essentielle des querelles doctrinales. Les aires
respectives de la théologie et du culte des images se chevauchaient,
mais c’est seulement au cours de la controverse iconoclaste
qu’elles devaient finir par coïncider.
Peut-être la promotion officielle du culte des images
religieuses dans la seconde moitié du VIe siècle est-elle tout autant
tributaire des développements séculiers dont la cour byzantine
fut le théâtre que de facteurs d’ordre théologique. Pour évaluer
l’importance que ce culte a pu prendre à la cour, il faut avoir à
l’esprit ce que nous avons dit plus haut des images impériales
et de la façon dont leur usage et leur vénération se sont perpétués
à l’époque chrétienne164. Les portraits des princes se trouvent
à peine affectés par l’aversion officielle des chrétiens pour toutes
les formes d’idolâtrie. Leur vénération constante est ouverte-
ment admise dès le IVe siècle. Il est vrai que la loi interdisait
de leur offrir des sacrifices165, mais en dehors de ce point, elles
ne cessèrent de bénéficier d’une place prééminente et décisive
dans le culte impérial. Elles étaient transportées en processions
solennelles, étaient l’objet d’acclamations et de proskynèses166.
Les cierges et l’encens figurent dans le culte impérial bien avant
que l’usage de ces accessoires n’apparaisse dans le contexte des
images religieuses167. Ces caractéristiques externes du portrait
impérial expriment une fonction clairement reconnue et préci-
sément définie et montrent que son statut officiel, à la différence
de celui de l’image religieuse chrétienne, était d’emblée constitué.

47
Un rôle constitutionnel et légal avait été imparti à l’image
impériale à l’époque romaine, rôle que la montée du christianisme
ne remit pas en question. Les empereurs chrétiens, comme leurs
prédécesseurs païens, utilisent leurs portraits pour représenter
leur personne dans les lieux où ils ne peuvent être présents. Ces
portraits sont envoyés dans les provinces éloignées, gouvernées
par des alliés ou des sujets, afin de recevoir allégeance à la place
du nouveau souverain : les accepter ou les repousser, c’est accepter
ou repousser le souverain lui-même168. Dans les tribunaux, sur
les marchés, dans les lieux publics et les théâtres, elles servent
à représenter la personne sacrée de l’empereur en son absence169
et à confirmer les décisions des magistrats170. Elles occupent
une fonction précise parmi les insignes de l’armée171 et dans
l’étiquette complexe des offices impériaux et de l’administration
en général172. Mais la plus étonnante des fonctions qu’on leur
reconnaît est peut-être celle de protecteurs légaux des citoyens
particuliers. Ad statuas confugere, se réfugier près des statues :
c’était là un droit traditionnellement imparti à toute personne
recherchant la protection de la loi impériale173, un droit qui fut
manifestement restreint, mais non supprimé, par les codes
de Théodose174, puis de Justinien175. L’Église ne rejeta pas cette
pratique légale ; en témoigne un passage attribué à saint Jean
Chrysostome et cité ultérieurement par d’autres auteurs176.
Il est donc clair qu’existait une tradition très ancienne
et jamais véritablement remise en question accordant au portrait
impérial une importance et un pouvoir de substitution qui
pouvaient difficilement être attribués à l’image chrétienne sans
soulever des réticences et des oppositions. Il est vrai que ce
pouvoir découlait d’un principe qui ne s’appliquait pas à la sphère
religieuse : à la différence de la divinité, le souverain n’est pas
doué d’omniprésence : il est pour ainsi dire nécessaire qu’il ne soit
pas présent en personne pour que soit reconnu tant de pouvoir
et accordé tant d’honneurs à son portrait177. Cela rend en tout
cas très confuse la ligne de démarcation séparant l’image du

48 Le Culte des images avant l’iconoclasme


prototype178. Comme cela se produit invariablement lorsque
des images sont utilisées pour rendre tangible l’autorité ou le
pouvoir de la personne portraiturée, le rôle légalement assigné
au portrait impérial, en particulier dans le cas du droit d’asile, n’est
pas loin de la magie. Il existe au moins un exemple de miracle
attribué à une statue impériale : il s’agit d’une histoire rapportée
par Josué le Stylite. Il la situe à Édesse, en 496 : après que la cité
ait célébré la fin d’une sécheresse dans une explosion de joie
indigne de chrétiens, Dieu exprima ses reproches par l’intermé-
diaire d’une statue de l’empereur Constantin qui, pendant trois
jours, laissa tomber la croix qu’elle tenait dans ses mains179.
Le moment et le lieu ne sont pas sans signification ; moins d’un
demi-siècle plus tard, on dit que la même ville fut le théâtre
d’un miracle spectaculaire accompli par une image du Christ.
La croyance au pouvoir magique des images – il faut y
insister encore – n’a jamais cessé d’affleurer dans le monde grec.
La cour n’a pas donné l’impulsion initiale en ce domaine. Nous
avons déjà vu que tout au long de la période critique, la pratique
officielle reste en retrait de la pratique privée. Mais à tout le
moins faut-il admettre que lorsque l’engouement pour les images
religieuses surgit dans l’Église d’Orient avec une force inédite,
dans la seconde moitié du VIe siècle, les empereurs ne cherchent
pas à contrôler ce mouvement qui pourtant empiète sur un
domaine rituel jusqu’alors à eux réservé. Le fait que l’image
religieuse commence à jouer un rôle identique à celui qui, tradi-
tionnellement, était imparti au portrait impérial, n’échappe pas
à l’attention des contemporains. On en trouve une illustration
particulièrement intéressante dans le compte rendu déjà men-
tionné des processions cérémonielles qui se succédèrent entre
les années 554 et 560, au cours desquelles une copie de l’image
de Camuliana était transportée en procession à travers plusieurs
villes. Le chroniqueur syrien anonyme, qui achève son œuvre
en 569, décrit ces processions en employant les termes réservés
à l’adventus d’un empereur et les interprète comme des symboles

49
de la seconde venue du Christ180. Il semble même, à un endroit,
se référer à l’image du Christ comme à un λαυράτον, un terme
technique servant à désigner le portrait du souverain180’. Peu
après, des auteurs commencent à défendre l’adoration des images
du Christ et de la Vierge – et à dénoncer le manque de respect
envers ces images – en arguant a fortiori des lois et des coutumes
régissant l’adoration du portrait de l’empereur181. L’argument
devait être repris plus d’une fois au cours de la querelle icono-
claste182 et se voir renforcé par un ensemble de thèses supposant
ou définissant des relations entre les cultes respectifs des images
religieuses et des images impériales183. Un énoncé de ce genre,
parmi les plus intéressants, se trouve dans un sermon d’un prédi-
cateur copte déjà cité mais que, malheureusement, on ne peut dater
précisément. Pour fonder son argumentation a fortiori, le prédi-
cateur se concentre sur le pouvoir protecteur de l’image impériale :

Si l’image de l’empereur terrestre, lorsqu’elle est peinte


et exposée sur la place du marché, protège la cité tout
entière et si quelqu’un subit une injustice et vient saisir
l’image de l’empereur, alors, nul homme ne pourra se
dresser contre lui, même si l’empereur n’est rien d’autre
qu’un homme mortel, et il sera emmené devant les tribu-
naux. C’est pourquoi, chers frères, il nous faut honorer
l’icône de la Vierge notre véritable reine, la sainte mère
de Dieu, Marie... etc.184

Concluons que les images religieuses acquièrent, dans la seconde


moitié du VIe siècle, une position et des fonctions qui sont
perçues, immédiatement – et avec une intensité qui ne cessera
de s’accroître –, comme analogues à celles dont bénéficie l’image
impériale. Cet enchaînement historique n’aurait pas été possible
sans le consentement des empereurs eux-mêmes. Bien plus,
ils doivent avoir apporté à cette transformation un soutien actif.
On trouve peut-être une indication fugitive de ce phénomène

50 Le Culte des images avant l’iconoclasme


dans la chronique syrienne de 569 : un passage indique en effet
que les processions au cours desquelles on faisait parader l’image
du Christ selon un rite « royal » étaient organisées par des prêtres
conseillés par un membre de l’entourage de l’empereur Justinien
en personne185. Selon le chroniqueur, cet événement se produisit
en 554, dans la vingt-septième année du règne de Justinien. Ainsi,
pour peu que nous prenions cette histoire au pied de la lettre,
un rite « impérial » concernant une icône du Christ était déjà sur
le point de recevoir un encouragement officiel durant les dernières
années de l’empereur Justinien. Sous le règne de ses successeurs
immédiats, cet encouragement devint parfaitement évident.
On ne peut affirmer que l’image de Camuliana fut transportée
à Constantinople à l’instigation de l’autorité impériale : Cedrenus,
la seule source à laquelle on puisse se référer pour cette translatio,
dit simplement que cette image « vint » de Cappadoce dans la
septième année du règne de Justin II186. Mais en tout état de cause,
elle acquit très rapidement un statut et une fonction officiels.
C’est durant cette période que les souverains byzantins et les
autorités locales commencent à faire, dans un contexte civil
et militaire, un usage officiel et public des propriétés protectrices
et salvatrices des images religieuses que la dévotion privée leur
reconnaissait déjà depuis un certain temps187. Si l’on songe au
monopole dont jouissait, dans ce contexte, l’image impériale,
il faut considérer ce nouveau développement comme l’effet d’un
renoncement volontaire du monarque à l’un de ses privilèges.
Dans l’armée, les seules images employées jusque-là par les
chrétiens en guise de palladia avaient été les bustes impériaux
placés sur les étendards (labarum) et d’autres insignes militaires188.
L’image du Christ de la porte de la Chalkè, si elle a été véritable-
ment érigée pour la première fois à cette époque189, prit la place
de l’image de l’empereur Constantin qui dominait auparavant
l’entrée du palais impérial, selon la Vita Constantini190. C’est
probablement Tibère II (578-582) qui, pour la première fois,
subordonna son trône de manière tangible à celui du Christ en

51
faisant peindre une image du Sauveur en majesté dans l’abside
du Chrysotriclinium, la grande salle d’audience du palais191.
Tibère II fut également le premier empereur à renoncer à se faire
représenter « en majesté » sur les monnaies – un type de repré-
sentations dont ses prédécesseurs avaient largement usé – et
depuis ce temps, cette figure d’« empereur trônant » devait connaître
une éclipse à peu près complète jusqu’à ce que les Iconoclastes
la remettent en vigueur192. Mais la preuve la plus frappante
de la naissance d’une mentalité nouvelle se manifeste à la fin
du VIIe siècle, lorsque Justinien II bouleverse la numismatique
byzantine en plaçant une image du Christ sur ses monnaies.
À l’évidence, à travers la légende du Rex Regnantium, (le Roi des
Rois), n’est plus simplement attribuée au Christ une souveraineté
d’ordre général, mais il est, spécifiquement, le souverain de ceux
qui règnent sur la terre. Justinien II rend cette position plus
explicite encore en faisant circuler des monnaies sur lesquelles
figure, au revers, son propre portrait en pied accompagnée
de l’inscription Servus Christi. En se faisant représenter debout
devant le Souverain suprême, l’empereur manifeste aux yeux
du monde la position inférieure qu’il occupe face au Christ193.
Un nouveau mode de pensée, une nouvelle disposition
d’esprit semblent avoir touché les souverains de la fin du VIe
et du VIIe siècle, certains d’entre eux du moins. Un climat
de piétisme, que l’on perçoit dans la biographie d’un monarque
comme Justin II194, vient abruptement contraster avec la pose
autocratique et pleine d’assurance de Justinien le Grand. C’est
à partir de telles prémisses que les empereurs semblent avoir
mené une politique visant à activer consciemment le culte
officiel des images religieuses, au détriment du monopole qui
avait été auparavant le leur195.
Lorsque l’on tente de prendre la mesure de ce changement
de mentalité au sein de l’Empire, on est réduit, pour l’essentiel,
à de simples conjectures. Nous avons déjà mentionné l’attente
eschatologique qui paraît bien avoir accompagné la fin du premier

52 Le Culte des images avant l’iconoclasme


cycle pascal, en 592196. André Grabar qui, le premier, a rassemblé
le matériel numismatique de cette époque et les sources qui
s’y rapportent – où se révèle un changement spirituel profond –,
a suggéré d’autres facteurs plus puissants et durables, qui pour-
raient avoir exercé une influence plus spécifique sur l’admi-
nistration impériale elle-même et avoir modifié la conception
même que celle-ci se faisait de son rôle et de sa fonction197.
Il s’agit, après tout, de cette période de grand reflux au cours
de laquelle l’empereur devait cesser d’être, de facto, le maître
du monde civilisé, de l’oikoumenê. N’est-il pas naturel qu’en
ces circonstances le thème du pouvoir universel, qui se trouve
au nœud de la théorie politique byzantine, du commencement
de l’Empire jusqu’à sa chute, cesse de s’incarner aussi souvent et
de manière aussi tangible dans la personne du souverain terrestre
pour se trouver réaffirmé, avec une force accrue, sur un plan où
ce pouvoir ne dépend plus des aléas militaires et diplomatiques ?
Bien entendu, dès ses origines, le pouvoir à Byzance est conçu
comme une émanation céleste. L’empereur était le vicaire du Christ,
son représentant sur la terre et l’on ne peut soutenir que cette
idée soit née à la fin du VIe siècle. Mais il est néanmoins possible
de suggérer que cette idée, qui suppose à la fois un pouvoir
terrestre absolu et la subordination de ce pouvoir à une autorité
céleste supérieure, a connu un subtil déplacement d’accent,
le premier reculant au profit de la seconde. Même si l’on tient
ce déplacement pour assuré, il n’aurait pas suffi à provoquer
par lui-même la montée de l’adoration des images dont nous
traitons ici ; il pourrait néanmoins expliquer en partie le soutien
officiel accordé à ce mouvement.
André Grabar a introduit ce type d’analyse afin d’expli-
quer non pas l’intensification de la dévotion pour les images
religieuses à la fin du VIe siècle, mais la suppression rigoureuse
de celles-ci par les empereurs iconoclastes, qui devait faire suite
à leur multiplication. Il a suggéré en fait – et cette idée fut par
la suite approfondie par Lucas Koch et Gerhart Ladner – que

53
le déclenchement de l’iconoclasme fut, dans son essence, une
réaffirmation du pouvoir impérial et une affirmation de sa
suprématie absolue vis à vis de l’Église198. Cette explication
de l’ iconoclasme byzantin a peut-être rencontré une faveur
particulière auprès des chercheurs qui ont subi le contre-coup
des événements qui affectèrent les pays européens dans les
années précédant immédiatement la Seconde Guerre mondiale,
tout comme les interprétations antérieures de ce mouvement
très complexe et protéiforme traduisaient déjà l’influence du
contexte historique dont elles étaient les contemporaines199.
Mais elle a eu le mérite certain de placer sous un éclairage violent
un aspect essentiel de l’iconoclasme. Bien que les empereurs
de cette période n’aient jamais cessé de se considérer comme
les mandataires du Christ et qu’ils aient infléchi leur politique
en ce sens, ils soulignaient pourtant avec une vigueur nouvelle
le pouvoir absolu du monarque sur la terre, ce dont témoignent
la multiplicité et la variété des manifestations de l’absolutisme dans
l’iconographie impériale de cette époque200. La thèse que nous
avons soutenue dans les pages précédentes apporte un complé-
ment logique à celle du professeur Grabar, mais elle constitue
aussi son présupposé nécessaire. Si la réaffirmation du caractère
absolu de la monarchie sur la terre constituait bien un enjeu
majeur de l’iconoclasme, il ne pouvait en être ainsi que parce
que les empereurs de la phase précédente avaient encouragé
l’adoration des images religieuses : elle constituait pour eux
un moyen de souligner leur propre subordination à un pouvoir
transcendant. Même si des considérations de cette nature n’ont
pas été, en la matière, les premiers moteurs, elles ont pu encou-
rager l’empereur, au VIe comme au VIIe siècle, à canaliser et à
orienter de puissants courants déjà formés201.

54 Le Culte des images avant l’iconoclasme


IV. Opposition201’

Pendant toute la période paléo-chrétienne et proto-byzantine,


les mouvements qui portaient les hommes vers l’adoration des
images ont immanquablement engendré des réactions d’oppo-
sition. Dans notre période plus spécialement, l’adoration des
images, connaissant une extension d’une ampleur et d’une inten-
sité sans précédent, produit aussi des phénomènes de résistance
sur une échelle inédite.
La réaction parvient à son apogée avec la crise iconoclaste
du VIIIe siècle. Si les deux mouvements d’adoration et de résis-
tance s’entrelacent, de façon déterminante, dans les hautes sphères
de la politique impériale que l’on vient d’étudier, ils se développent
également dans des sphères plus humbles qui font office d’impul-
sion pour les campagnes officielles. Les empereurs Isauriens
(Léon III et Constantin V) n’auraient pu faire de l’image religieuse
un enjeu central de leur politique sans l’accélération décisive
de l’adoration des images qui s’était produite durant les géné-
rations précédentes et sans l’opposition que cette accélération
avait rencontré, du moins dans certaines régions de l’Empire.
Le mouvement iconoclaste en tant que tel et l’élabora-
tion théorique de la défense des images qui en résulta excèdent
les limites de cet essai. Mais l’opposition aux images et leur
défense sont constituées bien avant que le conflit n’éclate sous
le règne de Léon III (717-741). Comparée à la grande explosion qui
suivit, il ne s’agit guère plus que d’affrontements préliminaires.
Cependant, même si ses manifestations restent sporadiques,
l’existence d’une opposition constituée est bien mieux attestée
pour la seconde moitié du VIe siècle et le VIIe siècle que pour
la période précédente, ce qui donne la mesure de l’importance
croissante que l’icône avait acquise.
Les démonstrations d’hostilité peuvent se diviser en
deux catégories : les unes s’élèvent du sein de la communauté
elle-même ; les autres sont d’origine non chrétienne. L’apparition

55
de cette dernière catégorie constitue un phénomène entièrement
nouveau, qu’aucune source antérieure à la seconde moitié
du VIe siècle ne mentionne. Nous avons déjà signalé les histoires
miraculeuses de l’ère post-justinienne qui décrivent les attentats
et les actes de profanation que les infidèles, en particulier les
Sarrasins ou, plus fréquemment, les juifs, perpétraient contre
les images202. Or, c’est précisément à cette époque que la défense
de l’adoration des images commence à jouer un rôle dans les
écrits polémiques dirigés contre les juifs203. Il est probable que
les actes de violence physique recensés dans les histoires
miraculeuses ne sont pas complètement légendaires, quoique
les termes de « juif » ou d’« infidèle » aient pu être employés par
les auteurs orthodoxes de ces légendes édifiantes sans véritable
fondement et d’une manière assez arbitraire. L’agression phy-
sique pourrait bien avoir été une contrepartie des polémiques
littéraires que les juifs, de toute évidence, inaugurèrent à cette
époque204. Par ailleurs, nous possédons des renseignements
sur des attaques contre des images chrétiennes menées par
des samaritains à travers une lettre passionnée, et apparemment
authentique, de saint Syméon le Jeune adressée à l’empereur
Justin II205. Il existe également quelques preuves, dans la litté-
rature de la période, indiquant que les derniers survivants du
paganisme gréco-romain pouvaient être encore suffisamment
vivaces pour prendre conscience – et suffisamment puissants
pour l’exploiter – de la contradiction apparente dans laquelle
se trouvait l’Église chrétienne du fait de sa nouvelle orientation,
une orientation qui se trouvait ouvertement en porte-à-faux
avec la dénonciation des images et de leur adoration dans
le christianisme primitif206.
Il est difficile de croire que les Sarrasins et les Samaritains,
les juifs et les païens se manifestaient pour sauver les chrétiens
de leurs excès idolâtres. Dans bien des cas probablement, les
attaques contre les images servaient simplement de moyens
dramatisés pour ébranler les chrétiens dans ce qui, à l’évidence,

56 Le Culte des images avant l’iconoclasme


était devenu un élément vital de leur existence religieuse. De
plus – et cela s’applique particulièrement aux polémiques litté-
raires –, les opposants au christianisme ne pouvaient manquer
de tirer avantage d’une telle vulnérabilité pour mettre l’Église
en difficulté et, si possible, pour diviser les rangs des croyants.
Ils contraignirent le clergé à défendre une cause qui devait
apparaître douteuse à de nombreux chrétiens. Baynes a suggéré
que certaines des apologies adressées aux juifs étaient « indirec-
tement destinées à vaincre les réticences des chrétiens sensibles
aux objections des juifs »207. Surmonter de telles réticences devait
constituer une stratégie cohérente, surtout dans la mesure où,
au sein de l’Église, la résistance à l’abandon des idéaux spirituels
du christianisme primitif n’avait jamais entièrement cessé.
Cette opposition interne présente une importance et
un intérêt tout particulier. Nous avons déjà mentionné les protes-
tations et les avertissements qui s’étaient manifestés dès le
IVe siècle208. Au Ve siècle, on rencontre une opposition à l’imagerie
religieuse parmi les monophysites. Un de leurs chefs, Philoxène
de Mabbug, s’opposait spécifiquement – et d’une manière parfaite-
ment logique – aux images du Christ, mais aussi aux représen-
tations des anges sous une forme anthropomorphique et aux
figurations du Saint-Esprit sous les traits d’une colombe209. On dit
aussi que des colombes représentant le Saint-Esprit avaient attiré
la colère de Severus d’Antioche210. Alors que cette opposition s’enra-
cinait dans les doctrines hérétiques, des doutes et des réticences
s’élèvent également parmi des clercs apparemment fidèles à
la stricte orthodoxie et qui s’inquiétaient simplement de respecter
le second Commandement. Tel est le cas de Julien d’Atramytion,
un clerc de la première moitié du VIe siècle qui, dans le strict respect
de la lettre des Écritures, limite son opposition à la sculpture211.
Dans la seconde moitié du VIe siècle, le cours des évé-
nements doit avoir considérablement renforcé les difficultés et,
comme Baynes le suggère, cette situation fut très probablement
exploitée avec talent et succès dans des cercles non chrétiens.

57
Des preuves directes d’une montée de l’opposition au sein de
l’Église résultant de l’expansion du culte des images nous sont
parvenues de deux lieux très éloignés l’un de l’autre, situés
à la périphérie du monde byzantin212. À la fin du siècle, la vague
d’adoration idolâtre avait gagné l’Occident avec une force suffi-
sante pour pousser l’évêque de Marseille, Serenus, à détruire
ou à expulser les images qu’il voyait adorer dans ses églises.
Son geste lui attira les réprimandes du pape Grégoire qui, dès
ce moment, perçut clairement la nécessité d’expliciter une
fois pour toutes la position de l’Église romaine : les deux lettres
qu’il adressa à l’évêque de Marseille213 devinrent de ce fait les
références traditionnelles où s’exprime la position de l’Occident
sur la question des images religieuses : elles s’opposent à la fois
à l’élimination complète de ces images et à leur adoration.
Il est frappant qu’exactement à la même époque, des
troubles iconoclastes se soient manifestés à l’autre extrémité
de l’Empire byzantin. Dans la dernière décennie du VIe siècle,
en Arménie, une poignée de prêtres rebelles commencèrent
à prêcher la destruction des images. Selon les témoignages de
leurs opposants que nous avons conservés, ils rencontrèrent une
large audience. Des conflits politiques et religieux complexes en
résultèrent, qui divisèrent l’Arménie de l’époque. Ils embrasèrent
à nouveau l’Albania, dans le Caucase, au cours des années 80 du
VIIe siècle214. Le Paulicianisme, qui fait également son apparition
en Arménie à cette époque, était lui aussi opposé aux images215.
Ainsi, entre les années 300 et 700, il n’y a pas un siècle
pour lequel nous ne possédions des témoignages d’opposition
aux images, y compris au sein de l’Église. Le fait que cette
opposition ait été à l’œuvre, au moins d’une manière latente,
tout au long de cette période est, pour l’historien d’art, du plus
grand intérêt. Ce n’est pas seulement dans les phases les plus
primitives de l’art chrétien, mais aussi au temps où il connaît
une expansion apparemment sans restriction que les artistes
et leurs commanditaires doivent faire face à une hostilité

58 Le Culte des images avant l’iconoclasme


potentielle. Une analyse de l’imagerie religieuse de cette période
ne saurait faire l’économie de ce fait.
Dans chaque cas particulier, les motivations précises
qui produisent les mouvements d’opposition ne sont pas aisés
à déterminer. À l’origine, on l’a vu, ce sont le caractère spirituel
de l’adoration, l’adhésion à la loi vétéro-testamentaire et la répu-
gnance pour les pratiques cultuelles des populations païennes
qui étaient en question. La position adoptée par des personnalités
comme Julien d’Atramytion et Serenus de Marseille au VIe siècle
paraissent avoir été inspirées par des considérations de cet ordre,
et révèlent une persistance, au moins sporadique, de l’idéal
originel. Dès le IVe siècle cependant, des arguments théologiques
sont importés dans la discussion, arguments qui portent sur
la nature divine du Christ et l’impossibilité qui en découle de
dépeindre son apparence216. L’iconoclasme sélectif de certains
des chefs de file du monophysisme s’inspire clairement de leurs
positions théologiques et christologiques en particulier. Des
questions doctrinales peuvent avoir également joué un rôle dans
l’opposition aux images qui se développa en Arménie. Mais
interrogés, en maintes occasions, sur leur refus de l’image du Dieu
incarné, les iconoclastes arméniens répliquent que les images
sont étrangères aux Commandements et que leur adoration n’est
pas prescrite par les Saintes Écritures217. Ils fondent ainsi leurs
positions explicites sur des principes d’obéissance plutôt que sur
des principes théologiques. Leurs opposants à leur tour cherchent
à les convertir en citant des précédents, tirés en particulier de
l’Ancien Testament et des écrits des Pères, plutôt qu’en employant
des raisonnements théologiques218. Ce n’est pas avant la contro-
verse iconoclaste, au VIIIe siècle, que l’opposition aux images
trouvera un fondement solide dans des arguments doctrinaux.
On admet que les exemples d’opposition effective anté-
rieurs au déclenchement de la controverse ont été sporadiques
et, comparés aux attaques virulentes qui devaient leur succéder,
relativement insignifiants. Il reste un peu surprenant qu’après

59
la grande montée de l’adoration des icônes à la fin du VIe siècle,
ces éléments hostiles n’aient pas cristallisé plus rapidement et
que la réaction ne se soit véritablement structurée qu’un siècle
et demi plus tard. Nous avons déjà évoqué le rôle que la politique
impériale a pu jouer dans la promotion et la défense du culte.
Que ce soit une décision impériale qui, en définitive, ait renversé
le courant, le fait est établi. Il se pourrait fort bien que, sans une
telle décision, l’opposition n’ait jamais bénéficié de la puissance
et de l’impulsion nécessaire pour se diffuser sur une large échelle.
Que le renversement des positions impériales ait eu lieu à ce
moment précis de l’histoire, la question dépasse les limites de cette
étude. Nous avons mentionné plus haut un des facteurs qui pourrait
avoir eu une certaine importance : il s’agit de la tendance à réaf-
firmer la nature absolue de l’autorité séculière de l’empereur219.
Quoiqu’il en soit, il paraît douteux que l’on puisse expliquer
de manière adéquate l’adoption de l’iconoclasme par la politique
officielle byzantine sans recourir à des facteurs extérieurs. En
ce sens, le célèbre édit de Yazid mérite certainement un examen
attentif. Tel que Jean le Moine le décrit au concile de 787, cet
édit ne semble pas avoir constitué une brutale démonstration
d’hostilité envers les chrétiens, mais plutôt un instrument de
discorde, subtilement pensé, qui combinait le caractère radical
des attaques physiques menées jusque-là contre les images par
les non-chrétiens et les effets de leurs embarrassantes polémiques
littéraires. En effet, selon Jean, il s’agissait d’une mesure d’ordre
général dirigée contre toutes les représentations de sujets animés,
y compris celles qui relevaient d’un contexte purement séculier,
et de ce fait, l’édit ne pouvait être purement et simplement rejeté
comme un acte d’hostilité envers la religion chrétienne220. Il est
donc fort possible que le décret de Yazid se soit montré parti-
culièrement efficace et qu’il ait réussi à exaspérer l’opposition
latente au sein même de la communauté chrétienne, chose que
les attaques frontales menées jusqu’alors par des non-chrétiens
n’avaient pas réussi à faire.

60 Le Culte des images avant l’iconoclasme


V. Défense

Au fil des siècles, la défense des images religieuses est restée


conditionnée par les attaques dont celles-ci étaient l’objet. C’est
en réponse à la violence des assauts iconoclastes du VIIIe et
du commencement du IXe siècle qu’une théorie des images reli-
gieuses et de leur culte trouvera son élaboration définitive. Mais
tout comme les attaques massives qui se produisirent à cette
époque, la défense des images avait des antécédents dans les
siècles précédents : elle s’intensifia à la fin du VIe siècle, en même
temps que l’accélération et l’intensification des attaques dont
elle procédait évidemment.
On ne rencontre aucune tentative pour élaborer systéma-
tiquement une théorie chrétienne des images avant le VIe siècle220’.
Les propos souvent citées d’auteurs tels que Grégoire de Nysse,
Basile ou Nil et qui semblent aller dans ce sens ne constituent
que des remarques incidentes dans les descriptions qu’ils donnent
ou les éloges qu’ils font d’images ou de programmes décoratifs
particuliers221. Il ne s’agit pas encore d’apologies bien constituées.
Le texte le plus ancien que l’on connaisse, qui soit entièrement
consacré à cette question et cherche à répondre à des critiques
et à des objections précises, est une lettre adressée par l’évêque
Hypatios d’Éphèse à son suffragant Julien d’Atramytion, dans
la première moitié du VIe siècle222. Dans la deuxième partie du
VIe siècle et au VIIe siècle, se succèdent des apologies adressées
à des juifs223, des païens (ou du moins, répondant à des arguments
que des païens auraient pu formuler224) ou à des chrétiens héré-
tiques225. Comme nous l’avons vu, c’est également à cette époque
qu’apparurent des légendes et des récits mettant en scène des
images, dont bon nombre furent sans aucun doute rédigées et
propagées à des fins apologétiques. Plusieurs histoires miracu-
leuses attestent à l’évidence de la familiarité de leurs auteurs
avec les formes usuelles de la défense théorique des images :
ils les utilisaient, sinon pour donner un fondement à leur récit,

61
du moins pour souligner la leçon qu’il enseigne. Ces textes
forment une partie importante et structurée du corpus d’écrits
théoriques de cette époque consacrés aux images. Mais à côté des
énoncés abstraits, la trame de certaines histoires donne une illus-
tration admirable et poignante de la façon dont s’est formé un
ensemble stable de notions théoriques. Il faut au moins souligner
ce parallèle, même dans les cas où l’on ne peut décider s’il s’agit
d’histoires fictives et rédigées dans une intention apologétique
ou de l’expression spontanée d’une intensification des croyances.
Dans notre analyse du « cas » de la défense, nous négli-
gerons les arguments fondés sur des précédents bibliques ou
historiques. Comparés aux développements où se révèlent la
pensée d’un auteur et ses positions personnelles, ils ne présentent
qu’un intérêt mineur. Nous nous proposons principalement de
rechercher dans quelle mesure la défense littéraire des images
au cours de la période qui s’étend de Justinien Ier à l’iconoclasme
reflète les changements profonds intervenus dans la fonction
de l’imagerie religieuse de ce temps. Même si une iconosophie
systématique ne devait se constituer qu’ultérieurement, on peut
s’attendre à découvrir, dans la production écrite de cette période,
des signes indicateurs de ces changements et des tentatives
pour leur apporter une assise théorique.
Il n’est peut-être pas inutile d’énoncer, de manière anti-
cipée, l’une des conclusions générales à laquelle cette enquête
nous conduira : les nouvelles fonctions imparties aux images
religieuses trouvent une contrepartie théorique dans un certain
nombre de tentatives pour justifier ces images, non pas à partir
de leur utilité ou de la signification qu’elles revêtaient pour leur
public, mais à partir des relations internes qu’elles entretiennent
avec leur prototype. En un sens, ce résultat semble paradoxal.
On a vu que la période envisagée a été le théâtre d’un vigoureux
accroissement de l’usage quotidien des icônes. Le contact de
l’image et de son spectateur devient alors plus étroit et intime
qu’il ne l’avait été jusqu’alors dans toute l’histoire du christianisme.

62 Le Culte des images avant l’iconoclasme


Mais ce n’est pas vraiment cette relation que les apologètes
essayaient de défendre ou d’explorer. Au contraire, ils cherchaient
à libérer l’icône de la sphère des besoins et des attentes de l’huma-
nité pour l’ancrer solidement dans une relation transcendante
à la divinité. Dans la réalité, c’était là, bien entendu, le moyen
le plus sûr de motiver et de justifier l’intensité croissante des
pratiques rituelles.
Afin d’évaluer le nouvel élan qui porta les défenseurs des
images chrétiennes, il faut donner un bref aperçu du développe-
ment de la pensée apologétique au cours des siècles précédents.
À l’origine, la défense chrétienne des arts visuels, inaugurée
dans la seconde moitié du IVe siècle par les Pères cappadociens,
se fondait sur la valeur éducative de ces arts. L’imagerie était une
γραϕὴ σιωπω̑σα, une écriture muette226, un moyen d’instruction
ou d’édification, en particulier pour les illettrés227. L’accent pouvait
être mis soit sur sa valeur intellectuelle228, soit sur sa valeur édi-
fiante et morale229. Ce sont ces thèmes strictement pragmatiques
que le Pape Grégoire le Grand devait reprendre à son compte,
deux cents ans plus tard, dans les lettres qu’il adresse à l’évêque
Serenus de Marseille230. En Orient, il s’avéra rapidement impos-
sible de confiner la pensée apologétique dans des limites aussi
étroites. Mais quoique la puissance accordée aux fonctions de
l’image n’ait cessé de s’accroître, jusqu’à l’ère de Justinien com-
prise, ces fonctions restaient définies à partir de ce que l’image
pouvait faire pour son spectateur.
Peut-être le premier écart par rapport à l’argument
purement didactique se manifeste-t-il dans l’œuvre de Grégoire
de Nysse, lorsqu’il évoque une peinture représentant le sacrifice
d’Isaac comme la source d’une expérience émotionnelle pro-
fonde231. Un pas supplémentaire fut franchi, qui devait se révéler
décisif, lorsque l’on cessa de considérer que la contemplation d’une
image servait uniquement à l’éducation religieuse du spectateur
ou à stimuler son émotion, pour soutenir qu’elle constituait une
sorte de canal permettant d’approcher la divinité. Ce type de

63
raisonnement, dans lequel l’image devient un moyen de visualiser
l’invisible ou de lui adresser des témoignages d’amour ou de
vénération, avait été élaboré, sous des formes multiples, par les
apologètes de l’adoration de l’image païenne232. Il s’agissait, on
l’a vu, d’un concept usuel pour définir le rôle imparti au portrait
du souverain et c’est dans ce contexte qu’il fut adopté par les
auteurs chrétiens, dès le IVe siècle233. Dans la première moitié
du Ve siècle, Philostorgius l’appliqua aux images religieuses. Nous
avons déjà évoqué le développement qu’il consacre à la statue
du Christ à Panéas, dans lequel il décrit ce qu’il considère comme
le comportement approprié face à une image religieuse234. La
nature apologétique de ses remarques est évidente. L’auteur vise
aussi bien les critiques étrangères que celles qui s’élèvent du sein
de l’Église lorsqu’il fustige toute velléité d’adoration ou de prosky-
nesis, « puisqu’il n’est pas permis de se prosterner devant le bronze
ou toute autre matière. » Néanmoins, il voit dans l’approche
euphorique et la contemplation de l’image une façon de démon-
trer son amour pour l’archétype235. Il s’agit d’une formule assez
terne, énoncée à une époque où la pratique excédait déjà large-
ment les limites que Philostorgius croyait pouvoir lui assigner.
L’idée selon laquelle le croyant peut employer l’image
comme un instrument de communication avec la divinité reçoit
une puissante impulsion, vers la fin du Ve siècle, des concepts
anagogiques (ascendants) introduits dans la pensée chrétienne
par le Pseudo-Denys. Ces concepts forment une partie de la grande
interprétation que le mysticisme néoplatonicien donne de la
superposition hiérarchique des mondes physique et intelligible.

Les essences et les ordres qui nous dépassent sont incor-


porels, leur hiérarchie appartient à l’ordre intelligible
et transcende notre monde. Dans la hiérarchie humaine
nous verrons au contraire se multiplier à la mesure de
notre nature propre la variété des symboles sensibles qui
nous élèvent hiérarchiquement jusqu’à l’unité de la

64 Le Culte des images avant l’iconoclasme


déification autant qu’elle nous peut être accessible.
En tant qu’intelligences, les essences célestes possèdent
autant qu’elles le peuvent faire sans sacrilège l’intuition
intellectuelle de Dieu et de la vérité divine. Pour nous,
c’est au moyen d’images sensibles que nous nous élevons
jusqu’aux contemplations divines236.

Pour le Pseudo-Denys (l’Aréopagite), le monde des sens tout entier


et dans tous ses aspects reflète le monde de l’esprit : par la contem-
plation sensible, nous pouvons nous élever à la contemplation
intelligible. La théorie que le Pseudo-Denys élabore n’est pas
spécifiquement destinée à l’art, mais la possibilité de l’appliquer
à ce domaine particulier est évidente et se trouve renforcée
par les fréquentes références qu’il fait par la suite aux objets qui
transforment le monde des sens en ει͗κόνες. On ne s’étonnera pas
dès lors que les concepts et les termes employés par l’Aréopagite
aient été rapidement repris par des clercs anxieux de donner
une justification théorique au rôle toujours plus insistant joué par
les images dans la vie de l’Église. La lettre adressée par l’évêque
Hypatios d’Éphèse à Julien d’Atramytion est le document le plus
ancien que nous possédions qui témoigne de cette reprise : il revêt
donc une importance capitale237. L’évêque balaie les distinctions
légalistes que son suffragant trace entre peinture et sculpture et
insiste sur la nécessité de scruter plus profondément les raisons
des interdits énoncés par les Écritures. La défense des images
qu’Hypatios construit reste essentiellement d’inspiration tradi-
tionnelle : il stipule ainsi que les images servent à l’éducation
religieuse des simples et des illettrés. Mais les simples et les
illettrés sont devenus des éléments d’un système hiérarchique
et les instruments qui leur sont destinés ont trouvé leur place
légitime à laquelle correspond en fait une fonction importante
dans l’ordre divin assigné aux choses : « Nous admettons que
des images soient adorées sur les parois des lieux sacrés (...)
Car nous consentons aux créatures les plus simples et les plus

65
imparfaites une faculté innée de s’élever aux enseignements
sacrés et de s’instruire par la vue, ne serait-ce qu’en manière
d’initiation, et parce que la vue est corrélative de la faculté de
s’élever238. » Indéniablement, il s’agit de la pensée, et même du
langage du Pseudo-Denys239, un langage que l’évêque applique au
problème concret de l’admissibilité des images dans les églises240.
Écrite une génération à peine après l’apparition de l’Aréopagite,
la lettre d’Hypatios montre à quel point les concepts et la termi-
nologie du Pseudo-Denys furent rapidement assimilés par les
défenseurs des images chrétiennes241. La fonction anagogique
des images est également soulignée dans une épigramme sur
le tableau d’un archange composée par Agathias (mort en 582)
et dans une autre, très semblable, par Nil le Scolastique. Le ton
défensif très marqué de ces vers est peut-être dû au fait que la
représentation des anges était longtemps restée une cible privi-
légiée pour les adversaires des images chrétiennes242.
Les déclarations apologétiques que nous avons rencon-
trées jusqu’ici ont toutes à faire avec les effets des images sur
le spectateur et l’utilité qu’elles peuvent revêtir pour lui. Nombre
de ces arguments resurgissent dans les apologies de l’ère post-
justinienne (après 565). En particulier, on retrouve maintes fois
l’assertion selon laquelle les images servent à véhiculer la véné-
ration que nous rendons à la divinité ou à nous mener du visible
à l’invisible243. Mais les apologètes de la fin du VIe et du VIIe siècle
vont plus loin et commencent à utiliser un éventail d’arguments
dans lesquels le spectateur cesse de figurer et qui se préoccupent
uniquement d’établir une relation intemporelle et cosmique entre
l’image et son prototype. Le rôle du sujet regardant se trouvait
ainsi réduit. On cherche le moyen de justifier l’icône en tant que
telle et de trouver sa véritable signification dans son existence
objective, sans se préoccuper de l’expérience personnelle et pas-
sagère. L’image se dégage de la sphère pragmatique des instru-
ments et des ustensiles (qui restent néanmoins sacrés) pour se
voir attribuer un statut propre dans l’ordre divin de l’univers.

66 Le Culte des images avant l’iconoclasme


Cette avancée déterminante était implicite dans la pensée
de l’Aréopagite, tout autant que l’argument « anagogique » dont
en fait elle constituait l’envers. De même que, sous l’effet de l’ordre
hiérarchique de l’univers, il existe une gradation de la sphère
inférieure et sensuelle à la sphère intelligible et enfin à Dieu ;
de même, Dieu se reflète à son tour dans les ordres inférieurs,
selon les lois de l’harmonie universelle et par un mouvement
de descente progressive, pour venir se manifester finalement dans
les objets matériels qui constituent notre environnement physique.
C’est par leur capacité de réfraction que ces objets peuvent être
appelés ει͗κόνες. Plotin, l’ancêtre spirituel de l’Aréopagite, avait déjà
formulé une défense des images des Dieux à partir de ce fonde-
ment244. Mais on ne connaît aucun texte antérieur au déclenche-
ment de l’iconoclasme où ce concept soit utilisé, pour la défense
des images réelles, dans la forme spécifique que lui avait donné
l’Aréopagite. Lorsque les apologètes chrétiens de la fin du VIe
et du VIIe siècle commencent à affirmer la nature transcendante
de la relation entre l’image et le prototype, c’est sur l’autorité
de l’Écriture même qu’ils s’appuient.
La relation de l’homme à Dieu est celle même qui articule
l’image au prototype. « Dieu créa l’homme à son image, à l’image
de Dieu il le créa » (Genèse 1, 27). En conséquence, l’image même
de l’homme est encore un reflet de la divinité et peut servir à
le représenter245. Étant donné que l’image de l’homme créé est
nécessairement limitée à l’apparence physique de l’homme,
le problème réel soulevé par cet argument est le suivant : à quel
degré peut-on dire qu’en l’homme la forme humaine participe
de la ressemblance divine ? Les premiers Pères qui traitèrent des
images religieuses rejetèrent toutes les hypothèses de cet ordre.
Ils utilisèrent le passage de la Genèse uniquement pour montrer
l’absurdité du culte païen de l’image et de son adoration. Ils
assignèrent à la ressemblance divine de l’homme une nature
purement spirituelle246. Retracer l’histoire des interprétations
de Genèse 1, 27 qu’une multiplicité d’auteurs donnèrent, dans

67
différents contextes, entre le IIIe et le VIe siècle, nous entraînerait
trop loin247. On se bornera à signaler que c’est dans un texte de
la fin du VIe siècle que l’on voit, pour la première fois, la ressem-
blance divine de l’homme convoquée dans la défense des images
religieuses chrétiennes. On se mit à utiliser Genèse 1, 27 dans un
sens exactement opposé à celui qu’y avaient trouvé les premiers
Pères. Rien ne pourrait souligner de manière plus impressionnante
le changement d’attitude que l’Église, tout au long des siècles, a
entretenu envers l’art. Dans son sermon contre les juifs, Léonce
de Néapolis (à Chypre) défend les images chrétiennes avec un
éventail d’arguments conventionnels (comprenant les antécédents
bibliques et les honneurs rendus aux souverains) puis conclut :
« L’Homme est l’image de Dieu, lui qui est fait à l’image de Dieu,
et particulièrement cet homme qui a reçu en demeure le Saint-
Esprit. C’est pourquoi il est juste que j’honore et que je me pros-
terne devant l’image des serviteurs de Dieu et que je glorifie la
demeure du Saint-Esprit248. » Les « serviteurs de Dieu » sont les
saints. Ce sont eux qui ont reçu « en demeure le Saint-Esprit » :
ils sont donc, plus particulièrement, les « images de Dieu »249.
En adorant leur image, le croyant glorifie la « demeure du Saint-
Esprit ». Une fois acquis que l’artiste ne dépeint qu’une enveloppe,
une « demeure », cette enveloppe est sanctifiée et transfigurée
par le Saint-Esprit, du moins lorsqu’il s’agit d’un saint. La demeure
reflète son habitant divin. C’est en ce sens que Léonce reven-
dique la dignité de la forme humaine et soutient ses prétentions
à la vénération. Dans la descente de Dieu vers le saint et du saint
vers son portrait, la continuité n’est jamais entièrement brisée.
Ce qui garantit cette continuité est « l’image » qui, à titre d’élément,
est présente à toutes les étapes. Au fondement de l’usage que
Léonce fait de Genèse 1,27, réside cette croyance, essentielle au
néoplatonisme, selon laquelle la divinité se manifeste à travers
une série de reflets décroissants250. Au moins par implication,
l’œuvre de l’artiste devient alors une extension de l’acte divin
de création, conception très éloignée de celles du christianisme
primitif qui imputait à l’artiste une activité mensongère251.

68 Le Culte des images avant l’iconoclasme


Les chrétiens qui défendaient les images avaient toujours
eu à leur disposition une autre série d’arguments qui trouvait
son origine dans le Nouveau Testament : dans le Christ, Dieu s’est
fait Homme ; il a acquis de ce fait la capacité d’être représenté
visuellement. Il s’est incarné, il a vécu, agi et souffert sur la terre.
De la même manière, les saints ont été des êtres humains réels,
ils ont existé et sont morts parmi nous et peuvent ainsi être
dépeints. Cet argument est apparu très tôt. Eusèbe et – proba-
blement – Épiphane, l’ont soutenu l’un et l’autre252. L’argument
se montrait particulièrement efficace pour tracer une ligne
de partage entre, d’un côté, les idoles païennes (qui dépeignent
sous une forme anthropomorphique des dieux qui ne peuvent
prétendre à une telle représentation), et de l’autre, les images
chrétiennes ; Jean de Thessalonique253 et Constantin Cartophylax254
l’ont utilisé en ce sens. Le rôle que ces auteurs assignent à l’image
est essentiellement d’inspiration didactique. La peinture sert à
démontrer un fait historique. Elle enseigne la doctrine de l’Incar-
nation. Nous avons vu que les icônes étaient en fait considérées
comme des instruments utiles pour la défense de la théologie
orthodoxe et que, pour cette raison aussi, on les attaquait255. Nous
avons en particulier attiré l’attention sur le canon 82 du concile
de 692 qui dépasse les perspectives apologétiques pour promouvoir
activement les images comme itérations du dogme orthodoxe.
L’importance du canon tient aussi à son insistance sur les repré-
sentations anthropomorphiques et à son rejet des représentations
symboliques. À l’époque où il fut formulé, l’art chrétien était
depuis longtemps passé du registre du symbole à celui de la repré-
sentation directe des saints personnages. À cet égard, le canon
ne fait qu’entériner un fait accompli. Mais la résolution d’éliminer
les derniers résidus symboliques du christianisme primitif est
en soi remarquable. L’opposition à certains types d’images pour
des raisons dogmatiques s’était exprimée bien plus tôt, en particu-
lier par la voix des promoteurs de certaines doctrines hérétiques256.
Mais ici, l’attaque menée contre un certain type d’image est

69
associée à la promotion d’un autre type. Cela signifie que certaines
formes de présentations picturales véhiculent plus de significa-
tion que d’autres. Même si les auteurs du canon, en promouvant
l’image anthropomorphique du Christ au détriment de sa figura-
tion symbolique, paraissent clairement guidés par le désir
d’instruire et d’impressionner le spectateur, à tout le moins recon-
naissent-ils silencieusement une vertu inhérente et un pouvoir
à la forme visuelle : ce pouvoir tient au fait que l’image est un
reflet direct de son prototype et qu’elle ne renvoie pas à lui sous
la forme d’une allusion.
À l’époque où ce canon était énoncé, la pensée apologé-
tique avait en fait déjà commencé à situer la relation du Christ
et de son image sur un plan transcendant. L’image était pensée
non plus tout à fait comme un simple rappel de l’Incarnation,
mais déjà comme une partie organique, une extension, ou même
un renouvellement de celle-ci. Lentement, l’évolution des idées
allait faire de l’image religieuse byzantine un moyen pour démon-
trer, non pas simplement la réalité historique de l’Incarnation,
mais sa présence vivante et permanente. Le rôle de l’image cessait
d’être purement didactique et se trouvait investie d’une dimen-
sion sacramentelle, au même titre que le sacrifice de la messe.
Il n’existe pas de texte de la période pré-iconoclaste
qui marque cette relation sacramentelle et transcendante entre
le Dieu incarné et son image de manière entièrement explicite.
Mais l’on voit alors cette idée germiner et se propager en plu-
sieurs directions.
Elle apparaît, peut-être pour la première fois, sous
une forme mythologique, dans les légendes des acheiropoietai.
Sans aucun doute, le culte de ces images miraculeuses bénéficia
d’un soutien et d’un encouragement officiels, en raison de la
facilité relative avec laquelle on pouvait les défendre contre les
accusations d’idolâtrie. Elles étaient inaccessibles, en tout cas,
à l’objection – que des juifs, mais aussi des chrétiens scrupuleux
pouvaient soulever – selon laquelle l’Église admettait l’adoration

70 Le Culte des images avant l’iconoclasme


d’images faites de main d’homme. Une intention défensive de
ce genre pourrait en fait justifier implicitement la dénomination
d’α͗χειροποίητος, qui, on l’a vu, fut utilisée pour désigner l’image
de Camuliana dès 569. On déclara que l’image s’opposait à toute
forme χειροποίητος, un terme qui, à côté de sa signification ordinaire
et littérale (« fait de main d’homme »), portait également des
connotations spécifiquement idolâtres257. Mais les acheiropoietai
mettent également en scène l’idée selon laquelle l’image est une
Incarnation continuée. Ceci est particulièrement vrai des images
qui passaient pour des impressions mécaniques du visage ou
du corps divin. Ces images, on l’a vu, l’emportèrent rapidement
sur celles dont l’origine était plus mystérieuse : elles exprimaient,
sous une forme plus radicale, la certitude d’une relation directe
et intime entre le prototype divin et sa représentation picturale.
L’acheiropoieton n’apparaît pas seulement comme une empreinte
directe et durable du Dieu Incarné : il doit son existence à un geste
de reproduction qui répète, à un niveau inférieur, le miracle de
l’Incarnation. D’où l’usage que firent de ces images les défenseurs
de la christologie orthodoxe258. Si la date que Dobschütz donne
pour le sermon du Pseudo-Grégoire sur l’image de Camuliana
est exacte, la relation interne associant le miracle incorporé dans
l’image et le miracle de l’Incarnation était entièrement explicite
dès le VIIe siècle. L’auteur parle de Camuliana comme de « la
nouvelle Bethléem ». Le Christ apparaît, au cours d’une nouvelle
épiphanie, pour imprimer ses traits sur une étoffe préparée avec
cérémonie par un fidèle. Toute l’histoire de l’image est décrite
et abondamment louée comme une nouvelle Incarnation259.
Le concept de l’image comme extension et réitération
de l’Incarnation se trouve également – de manière plus trouble,
il est vrai, mais aussi plus susceptible d’assurer définitivement
la défense des peintures, y compris non miraculeuses –, dans
les textes rapportant les images réelles à la définition du Christ
lui-même comme « image ». Ces textes mettent en relief une
conséquence logique : puisque Dieu a incarné sa propre personne

71
dans la nature d’une image, son image, en retour, partage la nature
de l’Incarnation. Cet argument reste dans une certaine mesure
parallèle à celui qui fait des images fabriquées de main d’homme
une extension de la création de l’homme par Dieu et « à son
image », et, il se fonde lui aussi sur l’autorité des Écritures. Saint
Paul ne parlait-il pas du Christ comme de « l’image de Dieu »
(2 Corinthiens 4, 4) ? Le Pseudo-Grégoire cite les paroles de Paul
au tout début de son sermon sur l’image de Camuliana. L’auteur
de l’apologie adressée aux Arméniens iconoclastes introduit
dans sa défense deux citations des Pères qui évoquent le Christ
comme une image (ou du moins étaient interprétées comme
telles). Ces passages, qui à l’évidence ont été choisis parce qu’ils
glorifient le Christ, « l’image », comme un objet d’adoration
furent employés – était-ce vraiment sincère ? – pour légitimer
également l’adoration des images dérivées et faites de main
d’homme260. De nouveau, c’est l’idée d’une relation entre proto-
type et image comme principe étendu à l’ensemble de l’univers
qui donne à l’essor du culte des images sa justification.
Sans doute, ces textes ne sont pas très explicites. Un pas-
sage de la Vie de saint Syméon le Jeune contient l’énoncé peut-
être le plus net de toute la littérature pré-iconoclaste : il suggère
l’existence d’un lien permanent entre l’Incarnation et les images
faites de main d’homme. L’auteur rapporte qu’une image de saint
Syméon, exposée par une femme qui voulait montrer sa grati-
tude envers le saint qui l’avait délivrée des assauts d’un démon,
accomplissait des miracles « parce que l’Esprit saint qui habitait
Syméon la couvrait de son ombre [i. e. l’image] »261. Comme Léonce
de Néapolis (dont il était peut-être le contemporain, mais légè-
rement plus jeune), l’auteur distingue deux étapes : la première
mène de Dieu au saint ; la seconde, du saint à son image. Mais
plus clairement que Léonce, il décrit ces deux étapes comme des
émanations de l’Esprit saint se manifestant dans une séquence
dégressive. Dans la première phase, l’auteur, comme Léonce, voit
une « installation ». Il décrit la seconde comme une « adombration »,

72 Le Culte des images avant l’iconoclasme


allusion évidente aux mots adressés par l’archange à la Vierge
Marie : « L’Esprit saint surviendra sur toi, la puissance du Très-
Haut te couvrira » (Luc 1, 35). Il s’agit donc d’un acte divin, iden-
tique à l’Incarnation du Logos dans la Vierge Marie, qui accorde
à l’image un pouvoir miraculeux262. Et l’image, dans ce cas, n’est
pas un acheiropoieton, mais un artefact ordinaire, de fabrication
récente, dépeignant non pas le Christ, mais un saint local. L’image
devient alors un véhicule permanent et sacré de l’Incarnation.
Il faut noter que certains des textes cités jusqu’ici affirment
plus que d’autres le caractère concret ou intime attribué à la rela-
tion entre image et prototype. Du point de vue de la concrétion,
le degré ultime est atteint dans ces légendes qui assignent l’origine
de l’image à un contact physique direct du personnage divin
avec la surface matérielle de la pierre ou de la toile. Mais plus
importants encore sont les textes qui, au lieu d’un contact physique
isolé, supposent un flux continu d’énergie divine passant du
prototype à l’image. De tels énoncés s’émancipent de la concep-
tion de l’image comme reflet purement statique et inerte pour
accéder à une région spéculative et notionnelle où à l’image sont
attribués une forme de vie et une puissance animistes.
C’était là le problème le plus épineux et le plus délicat,
mais aussi le plus urgent auquel se trouvèrent confrontés les
apologètes de l’ère post-justinienne. Nous avons vu avec quelle
ampleur et quelle force élémentaire les croyances et les pratiques
magiques se trouvent, à cette époque, projetées sur le devant
de la scène. Pour l’homme du commun, en tout cas, le Christ et
les saints agissent à travers leurs images. Dans les faits, l’image
chrétienne ne se distingue plus de l’idole païenne. Les défen-
seurs du culte des images devaient savoir jusqu’à quel point ils
pouvaient admettre ces tendances animistes et comment les
incorporer à leurs apologies.
L’idée d’un pouvoir surnaturel travaillant et traversant
les images est implicitement à l’œuvre dans toutes les histoires
qui évoquent des icônes accomplissant des miracles. Dans la

73
mesure où des histoires de ce type, si fréquentes dans les textes
de l’époque, étaient composées et mises en circulation à des fins
apologétiques, elles manifestent une adhésion très large à des
idées animistes naïves. Mais d’ordinaire, cette adhésion reste impli-
cite. Le lecteur ne sait pas comment ni pourquoi l’icône a acquis
sa puissance. Il existe pourtant des témoignages littéraires qui
montrent une certaine sensibilité à ce problème. Certains auteurs
parlent du pouvoir surnaturel de l’image en des termes expli-
cites, suivant ainsi un chemin balisé bien des siècles auparavant
par certains apologètes du culte païen des images263. Alors que
certains auteurs pensent en termes de substance divine, de force
ou d’énergie s’écoulant du prototype dans l’image, d’autres vont
plus loin et affirment que celui-ci demeure en acte dans celle-là.
Nous avons déjà cité les énoncés, appartenant à la
première catégorie, qui s’en tiennent au cadre délimité par les
« précédents » scripturaires et reconnaissent, dans la force qui
s’écoule du prototype vers l’image, l’opération du Saint-Esprit.
On attendait évidemment de tels énoncés qu’ils apportent une
justification théologique aux croyances et aux pratiques populaires
de l’époque. Il semble qu’ils aient été suscités par un désir de
sublimer les idées naïves et animistes des masses, de les élever
à un niveau où elles devenaient théologiquement acceptables
en substituant, à la primitivité magique, l’idée du miraculeux
comme acte divin pré-ordonné dans l’Écriture264. En ce sens, il n’est
pas inutile de noter que Léonce de Néapolis, qui admet au moins
la descente du Saint-Esprit dans l’image, fut, autant qu’on le sache,
le premier auteur à faire état, dans une apologie des images
chrétiennes, de la certitude qu’elles accomplissent des miracles265.
Dans la Vie de saint Syméon le Jeune, le lien causal entre pra-
tique populaire et formule théologique est absolument évident.
L’auteur introduit une allusion à l’Incarnation pour expliquer
un miracle opéré par une image (et non l’inverse, qui consisterait
à introduire un miracle afin de défendre l’Incarnation)266. Il est
vrai que le clergé avait pu soutenir, épisodiquement et à des fins

74 Le Culte des images avant l’iconoclasme


dogmatiques, la croyance au pouvoir miraculeux de telle ou telle
image267. Mais lorsqu’il s’agit de donner à ces croyances une
formulation et une justification théoriques, les théologiens, loin
de montrer la voie, semblent plutôt avoir abdiqué.
L’intensité du mouvement iconophile fut telle qu’il
conduisit finalement à des énoncés et des formules qui n’étaient
plus compatibles avec la lettre de l’Écriture, bien qu’ils corres-
pondissent franchement aux tendances animistes qui s’expri-
maient dans le peuple. Un certain nombre d’auteurs de l’ère
post-justinienne caressent l’idée que l’image puisse être la demeure
réelle de la personne portraiturée. Nous savons que l’on s’appro-
chait de certaines images « comme si » leur sujet était présent en
elles268, un concept familier, hérité du culte du portrait du sou-
verain269. Avec un sens évident des effets rhétoriques, Photinus,
le biographe de Jean le Jeûneur, se détourne au dernier moment
des abîmes de l’animisme absolu lorsqu’il clôt son récit d’une
icône miraculeuse de la Vierge avec une référence à l’image
comme οͨ τόπος, οͨ τύπος δὲ μα̑λλον τη̑ς παρϴένου μητρός (le lieu,
ou plutôt le type de la Vierge-Mère)270. Il est clair que Photinus
était conscient de toucher un point de controverse sensible.
La même chose est vraie d’un autre auteur qui, cependant, par
choix délibéré, adopte une position extrême et produit peut-
être l’un des énoncés les plus radicaux sur les images de toute
la littérature byzantine. Dans un miracle déjà cité des saints
Côme et Damien, où une femme malade se guérit en absorbant
un breuvage préparé avec du plâtre qu’elle est allé racler sur une
fresque représentant les deux saints, le geste de boire le plâtre
est simplement décrit comme « la pénétration des saints en elle271 ».
Ce texte frôle l’identification complète de la peinture et du proto-
type. L’auteur précise plus nettement sa position dans une autre
histoire, elle aussi déjà citée, où l’image des saints, au cours d’un
voyage, sert d’instrument pour guérir la femme du voyageur.
La légende se distingue d’une foule d’autres récits similaires par
le fait que les bénéficiaires du miracle, non seulement ne font

75
aucun effort, par leurs prières ou par leurs actes, pour s’assurer
de l’assistance divine à travers l’icône, mais qu’ils ne sont même
pas conscients de la présence de cette icône, du moins lorsqu’elle
commence à opérer à côté d’eux. L’histoire met en scène le pouvoir
objectif d’une icône dont l’efficacité, selon l’auteur, ne dépend pas
de la conscience du croyant. Le thème qui donne la clef de ce récit
est ainsi la présence réelle des saints dans l’image. La femme
malade voit d’abord les deux saints médecins dans un rêve au cours
duquel ils l’assurent qu’ils sont auprès d’elle. On comprend que ces
paroles proviennent de l’icône lorsqu’au cours d’un second rêve,
après que celle-ci ait été découverte, les saints prennent à nou-
veau la parole : « Ne t’avions-nous pas dit que nous étions ici avec
toi ? » C’est là le point essentiel de l’histoire. Dans sa conclusion,
l’auteur insiste à nouveau sur la présence réelle des saints et la
distingue de la simple manifestation de leur pouvoir272. Il est
néanmoins possible qu’il ait été conduit à adopter cette position
extrême sous l’effet de la furieuse poussée de l’iconoclasme au
VIIIe siècle. Il n’existe pas de preuve définitive que ces miracles
aient été écrits avant le déclenchement de la controverse273.
Notre survol des textes concernant la nature et la fonction
des images religieuses qui sont parvenus jusqu’à nous depuis les
temps pré-iconoclastes touche à son terme. En vérité ces textes
se réduisent à une simple collection d’aphorismes. Du point de vue
de l’élaboration, de la profondeur et de la lucidité, ils ne peuvent
se comparer aux grandes apologies systématiques édifiées ulté-
rieurement sous la pression d’une opposition structurée. Mais
les contours généraux des théories futures y apparaissent déjà274.
Du point de vue de leur intensité, en tout cas, les conceptions
de l’image du VIe siècle tardif et du VIIe siècle ne sont pas très
éloignées de celles que devaient élaborer ultérieurement les
penseurs orthodoxes et vont parfois au-delà de ces dernières.
Cela donne la mesure de l’importance qu’acquièrent les icônes,
en théorie aussi bien qu’en pratique, au cours des générations
qui suivirent le règne de Justinien.

76 Le Culte des images avant l’iconoclasme


VI. Conclusions

L’ensemble des faits examinés dans cette étude révèlent une


révolution profonde dans la sphère de l’art sacré. Cette révolution
touche d’abord l’usage quotidien des images religieuses, l’exten-
sion et l’intensité avec lesquelles elles sont employées d’abord
par les individus particuliers, puis par le clergé ou les autorités
séculières. Elles ne sont pas uniquement utilisées dans les pratiques
dévotionnelles, mais aussi afin d’obtenir des résultats concrets
et bien spécifiés. À la racine de ce mouvement, il y a un désir exa-
cerbé de rendre la présence de la divinité et des saints et le secours
que l’on pouvait attendre d’eux visuels et palpables. Soutenu
activement par les autorités séculières et cléricales, ce désir menait
inévitablement à un effondrement de la distinction entre l’image
et son prototype : et de fait, pour des raisons pratiques, ils ten-
dirent à s’identifier toujours plus complètement l’un à l’autre.
Dans le sillage de cette évolution, qui souleva des oppositions
et des critiques, y compris avant le déclenchement officiel de
l’iconoclasme sous Léon III, la pensée chrétienne connut, dans
la question des images, d’importantes avancées. Deux dévelop-
pements intervenus dans le champ de la théorie apologétique
sont particulièrement significatifs : une préoccupation croissante
pour les relations de l’image avec son prototype (plutôt qu’avec
son spectateur) et une croyance renforcée dans la capacité de
l’image à véhiculer la puissance divine.
Pour l’historien de l’art, ces faits sont du plus grand
intérêt. Il est à peine concevable que l’importance des nouvelles
fonctions que les images étaient appelées à remplir, l’intensité
de l’adoration qu’elles recevaient, et surtout les qualités magiques
dont, de plus en plus, on les croyait douées ou les concepts théo-
riques qui servaient à justifier ces croyances n’aient pu trouver
la moindre expression dans les images effectivement produites
à cette époque. Il suffit d’imaginer la confrontation d’un apologète
et d’un artiste de ce temps pour réaliser avec quelle force ce der-

77
nier a dû ressentir les effets de ce développement. Pour la pre-
mière fois, l’apologète exempte l’artiste chrétien de la nécessité
de justifier son œuvre par la valeur pédagogique ou éducative
qu’elle devait revêtir aux yeux du spectateur comme il l’exempte
de s’adresser directement à ses émotions. L’image n’a pas besoin
de raconter ou même de véhiculer un message, pas plus que
l’artiste ne doit se proposer, comme premier objectif, d’éveiller
parmi le public un état d’esprit particulier : peur ou déférence,
piété ou compassion. En revanche, l’artiste doit créer une image
intemporelle et déliée, relevant du ciel plus que de l’humanité,
capable de refléter, comme par réfraction directe, son prototype
divin ou sanctifié et de servir de véhicule aux puissances divines,
de réceptacle à la substance transcendante. Auto-suffisante
face au spectateur, l’image doit en même temps être « ouverte »
en direction du ciel. Ce que l’artiste est requis de créer est une
coquille, fragile et dénuée, en elle-même, de signification, prête
à recevoir d’en haut la puissance et la vie : l’Esprit saint qui viendra
la couvrir de son ombre, des personnages divins qui viendront
élire demeure en elle.
Ces idées étaient clairement destinées à affecter l’œuvre
des artistes. Il n’est cependant pas nécessaire de supposer que
les peintres et les sculpteurs aient été réellement au fait de la
littérature apologétique de leur temps. Comme on l’a vu, il existe,
à cette époque, une conjonction intime entre énoncés théoriques
et pratiques quotidiennes. Les premiers ne sont par essence que
les réflexions et les sublimations de croyances qui s’expriment
avec une vigoureuse spontanéité dans les secondes. Les artistes
pouvaient bien ne pas être familiers des discussions littéraires
consacrées aux images, ils savaient l’usage auquel leur œuvre
serait affectée, la fonction qu’on attendait qu’elle remplisse.
Il faudrait donc qu’à cette étude fasse suite un examen
des monuments de la période qui s’étend de Justinien à l’icono-
clasme, et que cet examen soit mené à la lumière des résultats
que nous avons dégagé. Nous rencontrons ici une opportunité

78 Le Culte des images avant l’iconoclasme


rare de faire se rejoindre histoire de l’art et histoire intellectuelle
et sociale : celles-ci offrent, en effet, un ensemble de données
relativement riche – du moins selon les critères documentaires
propres à l’historiographie du Haut Moyen Âge – et particulière-
ment appropriées à la première. Toute expression relevant de la
sphère de l’art où l’on peut déceler une réalisation caractéristique
de l’époque a de grandes chances d’être intrinsèquement liée
aux nouvelles fonctions sociales et religieuses que les images
avaient alors acquises. Mais il s’agit là d’une terre encore incon-
nue275. Aussi, pour peu qu’elle soit parvenue à présenter, avec
une certaine présomption d’exhaustivité, les preuves textuelles
d’une intensification du culte des images dans l’ère qui suivit
le règne de Justinien, cette étude aura atteint son but.

79
Notes

80
1 S. Der Nersessian, « Une apologie des images du septième
siècle », Byzantion, XVII (1944-1945), pp. 58 sq. N. H. Baynes, « The
Icons before Iconoclasm », The Harvard Theological Review, XLIV
(1951), pp. 93 sq. [À l’appui de la thèse selon laquelle les racines de
la querelle iconoclaste doivent être recherchées au sein même de
la chrétienté, Ernst Kitzinger mentionne (in The Art of Byzantium
and the Medieval West, op. cit., p. 390) l’article fécond de P. Brown,
« A dark Age Crisis: Aspects of the Iconoclastic Controversy »,
The English Historical Review 88 (1973). Traduit et augmenté in La
Société et le Sacré dans l’Antiquité tardive, Paris,
Le Seuil, 1985 ; voir aussi les commentaires prudents que S. Gero
consacre à cet article in « Notes on the Byzantine Iconoclasm
in the Eighth Century », Byzantion 44(1974), pp. 38 sq. et l’étude
magistrale de P. Lemerle, Le Premier Humanisme byzantin, Paris, PUF,
1971. Lemerle adopte, sans restriction, le point de vue soutenu ici
selon lequel le culte des images se serait intensifié de manière
extraordinaire entre le règne de Justinien et le VIIIe siècle.]

2 G. Florovsky, « Origen, Eusebius and the Iconoclastic


Controversy, » Church History, XIX (1950), pp. 77 sq. Ces liens sont
également soulignés dans la monographie du Professeur
P. J. Alexander sur le patriarche Nicéphore, The Patriarch Nicephorus
of Constantinople: Ecclesiastical Policy and Image Worship in the
Byzantine Empire, Oxford, Clarendon Press, 1958. [Le chapitre 1
(« Religious Images Practice and Opposition »), pp. 1 sq. et le
chapitre II (« Religious Images: Theory and Counter-Theory »),
pp. 23 sq. intéressent directement notre sujet.]

3 Voir supra, pp. 45 et sq.

4 Signalons l’exception importante du canon 82 du Concile


de 692 où les théologiens prennent l’initiative de l’attaque en
faveur des images en termes explicites. Sur ce point, voir supra,
pp. 46 et 69.

81
5 Les références à des représentations chrétiennes d’ordre
religieux dans la littérature de cette période se limitent à quelques
remarques de Tertullien à propos des images du Bon Pasteur
sur les calices (H. Koch, Die altchristliche Bilderfrage nach den lite-
rarischen Quellen, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1917, p. 9
et W. Elliger, Die Stellung der alten Christen zu den Bildern in der
ersten vier Jahrhunderten, Leipzig, 1930, p. 28) et à la liste dressée
par Clément d’Alexandrie des sujets symboliques susceptibles
d’être représentés sur les sceaux. Ce passage est en légère contra-
diction avec l’attitude hostile de Clément envers l’imagerie
religieuse en général (cf. Koch, pp. 14 sq. ; Elliger, pp. 38 sq.) et
illustre la dichotomie qui commençait à se manifester, au début
du IIIe siècle, entre théorie et pratique. [Sur Tertullien et Clément,
voir aussi P. Prigent, « Du bon usage de l’image dans l’Église
ancienne », Revue d’histoire et de philosophie religieuse 71 (1991),
pp. 61 sq. et, plus généralement, M. Restle, « Zur Entstehung der
Bilder in der Alten Kirche », Orthodoxes Forum 1 (1987), pp. 181 sq.
Sur Tertullien et l’image du Bon Pasteur en particulier, voir
V. Buchheit, « Tertullian und die Anfänge der Christlichen Kunst »,
Römische Quartalschrift 69 (1974), pp. 133 sq. Sur l’attitude nuancée
adoptée par Clément relativement aux représentations qu’il
convient aux chrétiens d’adopter, en particulier pour les sceaux
privés, voir L. Eizenhöfer, « Die Siegelbildvorschläge des Clemens
von Alexandrien und die älteste christliche Literatur », Jahrbuch
für Antike und Christentum 3 (1960), pp. 51 sq. et les remarques
subsidiaires du même auteur dans « Zum Satz des Clemens
von Alexandrien über das Siegelbild des Fischers », Jahrbuch für
Antike und Christentum 6 (1963), pp. 173-174 ; voir également
H.-D. Altendorf, « Die Siegelbildvorschläge des Clemens von
Alexandrien », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 58
(1967), pp. 129 sq. et la contribution de P. C. Finney aux Mélanges
offerts au Professeur Kitzinger (« Images on Finger Rings in Early
Christian Art », Dumbarton Oaks Papers 41 (1987), pp. 181 sq.).]

82 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


6 Le concile d’Elvire (H. Koch, Die altchristliche Bilderfrage…,
op. cit., pp. 31 sq. ; W. Elliger, Die Stellung der alten Christen…, op. cit.,
pp. 34 sq.). La lettre d’Eusèbe à l’impératrice Constantia (Koch,
pp. 42 sq. ; Elliger, pp. 47 sq. ; sur celle-ci, voir infra, note 28.
[Sur la législation du concile d’Elvire concernant les picturae
in ecclesia, voir R. Grigg, « Aniconic Worship and the Apologetic
Tradition; A Note on Canon 36 of the Council of Elvira », Church
History 45 (1976), pp. 428 sq. et E. Reichert, Die Canones der Synode
von Elvira (Dissertation, Hambourg, 1990), pp. 141-143.]

7 Cf. Les Pères cappadociens cités par H. Koch, Die altchrist-


liche Bilderfrage…, op. cit., pp. 69 sq. et W. Elliger, Die Stellung der
alten Christen…, op. cit., pp. 60 sq. [Pour une tentative ambitieuse,
mais complètement erronée, pour expliquer in toto l’ensemble
des assertions négatives des Pères sur les images, voir Sœur
Ch. Murray, « Art and the Early Church », The Journal of Theological
Studies, n. s. 28 (1977), pp. 303-345. L’auteur se trouve à plusieurs
reprises en contradiction ouverte avec l’interprétation que Ernst
Kitzinger donne des mêmes documents. Depuis 1977, Sœur
Murray est revenue sur l’une de ses positions les plus radicales
(voir infra, note 28).]

8 Voir supra, pp. 16 sq.

9 K. Schwarzlose, Der Bilderstreit, Gotha, 1890, p. 19 ; E. von


Dobschütz, Christusbilder. Texte und Untersuchungen zur Geschichte
der altchristlichen Literatur, Leipzig, Hinrichs, 1899, t. I, passim,
spécialement p. 35 ; et également A. Grabar, Martyrium, II, Paris,
Collège de France, 1946, pp. 343 sq. [Voir à présent la seconde
édition augmentée de l’ouvrage classique d’A. Grabar, L’Icono-
clasme byzantin : le dossier archéologique [1957], Paris, Flammarion,
1984, ch. I-V ; l’importance de la présente étude est mentionnée
par Grabar à plusieurs reprises (pp. 17, 29 etc.).]

83
10 Je veux remercier, pour l’aide qu’ils m’ont apportée
dans ce travail, mes collègues de Dumbarton Oaks, en particulier
A. M. Friend Jr., S. Der Nersessian et C. A. Mango qui ont lu
cette étude à l’état de manuscrit et y ont apporté de nombreuses
suggestions et additions. Le Professeur Friend m’a également
opposé certaines critiques de fond qui m’ont incité à introduire
quelques changements majeurs dans le texte et m’ont aidé à
clarifier mon propre point de vue. Tout en reconnaissant avec
gratitude les bienfaits d’une critique constructive, je ne puis
pour autant décliner ma responsabilité sur les points litigieux
que cette étude est susceptible de soulever. Le manuscrit a été
achevé au mois d’août 1953 [et révisé par Stephen Gero et par
l’auteur au printemps 1992].

11 Minucius Felix, Octavius, 32, 1-3, Paris, 1964, pp. 54-55.

12 J. Maurice, Numismatique Constantinienne, II, Paris, Leroux,


1911, pp. 506 sq. et pl. XV, 7. L’histoire, rapportée dans la Vita
Constantini, qui explique l’origine du célèbre étendard par une
vision que Constantin aurait eue avant la bataille du pont Milvius,
a été un grand sujet de controverse durant de nombreuses
années. Certains spécialistes considèrent cette histoire comme
une invention tardive (Cf. en particulier H. Grégoire, « La vision
de Constantin ‹ liquidée › », in Byzantion, XIV, 1939, pp. 341 sq. ; voir
aussi H. Grégoire, Byzantion, XIII, 1938, pp. 568 et 578 et G. Downey,
Dumbarton Oaks Papers, VI, 1951, p. 64). D’autres soutiennent qu’elle
a un fondement authentique, mais avancent, avec le Professeur
Alföldi, que Constantin eut la vision d’un monogramme du Christ
plutôt que d’une croix (A. Alföldi, « Hoc signo victor eris. Beiträge
zur Geschichte der Bekehrung Konstantins des Grossen », Pisciculi.
Studien zur Religion und Kultur des Altertums Franz Joseph Dölger zum
60. Geburtstage dargeboten, Münster, Aschendorff, 1939, pp. 1 sq.,
partic. pp. 6 sq. ; A. Alföldi, The Conversion of Constantine and Pagan
Rome, Oxford, Clarendon Press, 1948, pp. 16 sq. ; voir aussi J. Vogt,

84 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


« Berichte über Kreuzeserscheinungen aus dem 4. Jahrhundert
n. Chr. », Université libre de Bruxelles. Annuaire de l’Institut de Philo-
logie et d’Histoire orientales et slaves, IX, 1949, pp. 593 sq.

13 Asterius d’Amasée, Homilia XI in laudem S. Stephani, (J.-P.


Migne, Patrologia Graeca [dorénavant PG] 40, col. 337BC ; H. Koch,
Die altchristliche Bilderfrage…, op. cit. p. 67).

14 Catechesis IV, 10 et X, 19 ; Epistola ad imperatorem, c. 3


(PG 33, cols. 469A, 685B-688A, 1168B).

15 C. I. Neumann, Iuliani Imperatoris librorum contra


Christianos quae supersunt, Leipzig, Teubner, 1880, pp. 196, 225.
C. I. Neumann, Kaiser Julians Bücher gegen die Christen, Leipzig,
Teubner, 1880, pp. 25, 43.

16 Voir supra, pp. 40 sq.

17 Jean Malalas, Chronographia, XIII, (éd. Bonn, p. 322).


Un paragraphe de la Patria Constantinopoleos (II, 42) semble faire
référence au même rite, bien que certains détails soient différents.
Selon ce texte, les solennités comprenaient un couronnement
de la statue (Scriptores Originum Constantinopolitanarum, éd. Th.
Präger, fasc. 2, Leipzig, Teubner, 1907, p. 172). Je dois cette réfé-
rence à C. A. Mango.

18 A. Alföldi, in Römische Mitteilungen, XIX (1934), p. 77.


H. Kruse, Studien zur offiziellen Geltung des Kaiserbildes im römischen
Reiche, Paderborn, 1934, pp. 34 sq. K. M. Setton, Christian Attitude
towards the Emperor in the Fourth Century, New York, Columbia
University Press, 1941, pp. 196 sq. Voir aussi supra, pp. 47 sq.

19 PG 32, col. 149 C. Voir infra, note 260.

85
20 Ambroise, Hexaemeron, VI, 9 (J.-P. Migne, Patrologia Latina
[dorénavant PL] 14, col. 281 D) ; citations dans Jean Damascène,
De Imaginibus oratio III, attribuées à St. Jean Chrysostome et
Severianus de Gabala (PG 94, cols. 1408 C, 1409 A ; cf. H. Kruse,
Studien zur offiziellen Geltung…, op. cit., pp. 35 note 2 et 36 note 1 ;
voir aussi infra, note 260). On trouve même une référence à
l’image impériale dans la période antérieure au triomphe du
christianisme : dans son Traité sur la Résurrection, dirigé contre
Origène, Methodius d’Olympos (mort en 311 ap. J.-C.) illustre sa
croyance en la résurrection corporelle de l’homme d’une réfé-
rence aux « images des rois (...) qui sont honorées de tous, sans
considération de la matière dont elles sont faites. Elles doivent
toutes être honorées ici en raison de la forme qui se trouve en
elles » (G. N. Bonwetsch, Methodius, in Die Griechischen christlichen
Schriftsteller der ersten drei Jahrhunderte, XXVII, Leipzig, 1917, p. 379).

21 Pour une protestation contre ce point de vue, voir le


commentaire de saint Jérôme sur le Livre de Daniel, c. 3 (PL 25,
col. 507 C). En 425, Théodose II tenta de tempérer, au moyen
d’un édit, les excès de ce type d’adoration : cod. Théodos. 15, 4, 1.

22 Contra Julianum I, 80 (PG 35, col. 605 C). Pour « L’honneur


réel rendu au souverain », voir I, 81 (ibid. col. 608 A).

23 J. Bidez, Philostorgius Kirchengeschichte, in Die grieschichen


christlichen Schriftsteller, XXI, Leipzig, 1913, p. 28 note 17.

24 Ibid. p. 78. Voir aussi supra, p. 64.

25 De moribus ecclesiae catholicae, I, 34 (PL 32, col. 1342).


Euodius, évêque d’Uzala, (mort en 424 ap. J.-C.) raconte, selon
le témoignage d’un auteur anonyme, l’apparition quasi mira-
culeuse d’un velum représentant un miracle accompli le jour
précédent par les reliques de saint Étienne conservées dans la

86 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


ville (PL 41, col. 850 ; E. von Dobschütz, Christusbilder, op. cit.,
pp. 35 sq. et pp. 115* sq. ; voir aussi supra, p. 37 [et infra p. 208, texte 32
du florilège]). On peut considérer cette histoire comme un témoi-
gnage supplémentaire sur la pratique de l’adoration des images
dans le monde de saint Augustin. L’auteur parle d’une foule exa-
minant et admirant cette image, mais – malgré l’avis contraire
de Dobschütz – ne décrit aucun acte d’adoration accompli devant
elle. La phrase... tam divinitus pridie gestum salutis beneficium
recolebatur, quam postea in veli imagine advertebatur [« (la foule)
se souvenait comme d’une chose tellement divine des bienfaits
qu’elle avait tirés la veille de ses gestes de salut que, plus tard,
elle se tourna vers l’image imprimée sur le voile »], désigne
l’adoration du miracle plutôt que celle de l’image. Cette dernière
joue le rôle d’un sermon muet faisant naître stupor... amor, admiratio
et gratulatio : elle possède ainsi la même fonction didactique et
édifiante que celle que les Pères cappadociens accordent aux
images dans leurs écrits. Et de fait, le chapitre se termine par un
bref discours adressé aux citoyens d’Uzala et présenté comme
Dei... quaedam allocutio in velo tacite significantis quodammodo
et dicentis : etc. [« Une sorte d’allocution divine s’exprimant en
quelque sorte sur le voile en une parole silencieuse... ».]

26 Voir supra, note 6.

27 K. Holl, « Die Schriften des Epiphanius gegen die Bilder-


verehrung », in Sitzungsberichte der Königlich Preussischen Akademie
der Wissenschaften, 1916, no XXXV, réimprimé in K. Holl, Gesam-
melte Aufsätze zur Kirchengeschichte, II, Tübingen, J. C. B. Mohr, 1928,
pp. 351 sq., partic. p. 384.

28 G. Ostrogorsky, Studien zur Geschichte des byzantinischen


Bilderstreites, Breslau, Marcus, 1929, pp. 68, no 3 (in K. Holl,
Gesammelte Aufsätze…, op. cit., p. 356, no 1) et no 5 et 6 ; p. 69, no 9
(Holl, p. 358, no 7) ; p. 70, no 19 (Holl, p. 359, no 16) ; p. 71, no 22 (Holl,

87
p. 360, no 19). Le problème de l’authenticité des textes d’Épiphane
est trop complexe et trop technique pour être traité par des non-
spécialistes. Après avoir été attribués à Épiphane (à l’exception
du Testament) par Holl (Ostrogorsky, pp. 67 sq. ; Holl, p. 363), ils
ont été rejetés par Ostrogorsky (pp. 61 sq.), mais ses arguments
n’ont pourtant pas emporté la conviction d’autres grands
byzantinologues (cf. F. Dölger, in Göttingische Gelehrte Anzeigen
(1929), pp. 353 sq. ; H. Grégoire, Byzantion, IV (1929), pp. 769 sq. ;
V. Grumel, in Échos d’Orient, XXIX (1930), pp. 95 sq. Cf. aussi, pour
la lettre à Jean de Jérusalem, P. Maas, in Byzantinische Zeitschrift,
XXX (1929-1930), pp. 279 sq., partic. p. 286).
Il semble que la question ne soit pas définitivement
close. Mais il faut souligner que cette attitude d’hostilité vigou-
reuse et démonstrative à l’égard des images, qu’il est nécessaire
d’accepter si l’on admet l’authenticité de tous les passages
controversés ou de la plupart d’entre eux, apparaît comme un
phénomène parfaitement logique à la fin du IVe siècle. De plus,
l’argument qui forme le cœur véritable de la thèse d’Ostrogorsky
est très peu convaincant. Il est troublé par le fait que certains
arguments, en particulier son no 16 (Holl no 13), prennent en
compte, et tentent de réfuter, une défense des images fondée
sur l’affirmation que le Christ peut être dépeint parce qu’il est
devenu homme. Ce type de raisonnement, selon Ostrogorsky,
est caractéristique des défenseurs des images de la période
iconoclaste. Il avance que si les écrivains du IVe siècle avaient
réellement utilisé l’argument christologique, ils auraient certai-
nement été cités par le concile de 787. Aussi, le traité dans lequel
cet argument se trouve réfuté ne peut-il être d’Épiphane.
Mais le fait, pour la défense des images, de s’appuyer
sur l’Incarnation est, après tout, une chose évidente et qui
se trouve déjà anticipée dans la lettre d’Eusèbe à l’impératrice
Constantia, dans laquelle il refuse d’accéder à sa demande et de
lui envoyer une image du Christ (PG 20, cols. 1545 sq. J. D. Mansi,
Sacrorum Conciliorum nova et amplissima collectio [dorénavant Mansi],

88 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


XIII, 1767, col. 313. Cf. supra, note 6). À la lumière de cette lettre,
on ne peut en aucun cas maintenir, comme le fait Ostrogorsky
(p. 79), que le problème des images et la christologie ne sont pas
entrés en rapport avant l’époque de Jean de Salonique (qui, inci-
demment, écrivait circa 600, et non circa 680 ; voir supra, p. 69).
De fait, la manière, et parfois même la terminologie employées
par Eusèbe dans sa réfutation de l’argument christologique
anticipent sur les fragments problématiques d’Épiphane : cf. en
particulier Ostrogorsky, p. 70, no 15 (Holl p. 359, no 12) et Migne,
PG 20, col. 1548 AB. À partir de là, on ne voit plus de difficulté
à admettre l’authenticité des fragments.
Que le parti orthodoxe, en 787, n’ait fait état d’aucune
autorité du IVe siècle dans sa défense de l’argument christologique
ne doit pas nous étonner. À cette époque, une défense vraiment
articulée des images chrétiennes n’avait pas encore pris corps,
autrement que sous une forme purement utilitaire. Comme
on l’a montré supra (pp. 8 sq.), la défense des images était en
retard sur l’attaque. Le fragment problématique d’Épiphane,
au demeurant, n’a pas besoin de constituer une réponse à une
défense articulée des images du Christ par des autorités reconnues.
Tout ce qu’il soutient, c’est que « certains disent » (phasin tines)
que le Christ est représenté comme un homme parce qu’il est
né de la Vierge Marie (Ostrogorsky no 16 ; Holl no 13). Il excède
à peine les positions d’Eusèbe qui traite le même argument
comme une objection susceptible de lui être opposée par sa
correspondante impériale.
[Sur l’authenticité des écrits d’Épiphane contre les
images, voir à présent H. G. Thümmel, « Die Bilderfeindlichen
Schriften des Epiphanios von Salamis », Byzantinoslavica 47 (1986),
pp. 169-188 et P. Maraval, « Épiphane, ‹ docteur des iconoclastes › »,
in F. Boespflug et N. Lossky (éd.), Nicée II, 787-1987. Douze siècles
d’images religieuses, Paris, Le Cerf, 1987, pp. 51 sq. ; mais sur ce
point, Ernst Kitzinger fait justement remarquer que « le dernier
mot n’a certainement pas été dit ». Par contre, la lettre d’Eusèbe

89
à Constantia, dont Sœur Murray a contesté l’authenticité (« Art
and the Early Church », art. cit., pp. 326 sq.), est certainement
authentique ; voir S. Gero « The True Image of Christ: Eusebius’
Letter to Constantia Reconsidered », The Journal of Theological
Studies, n. s. 32 (1981), pp. 460 sq. et H. G. Thümmel « Eusebios’
Brief an Kaiserin Konstantia », Klio 66 (1984), pp. 210 sq. Sœur
Murray reconnaît à présent, semble-t-il, la pertinence des argu-
ments en faveur de l’authenticité (voir ses commentaires dans
« Artistic Idiom and Doctrinal Development », in R. Williams
(éd.), The Making of Orthodoxy. Essays in Honour of Henry Chadwick,
Cambridge, Cambridge University Press, 1989, p. 296 et dans
« Le problème de l’iconophobie et les premiers siècles chrétiens »,
Nicée II, pp. 44-46. Elle s’efforce néanmoins, sans emporter la
conviction, de minimiser l’importance des positions d’Eusèbe
en les réduisant à de prétendues affinités ariennes ; sur ce dernier
point, voir l’analyse précoce de H. von Campenhausen, « The
Theological Problem of Images in the Early Church » dans son
livre The Tradition and Life in the Church, Londres, Collins, 1968,
p. 177. La reprise de l’ancienne hypothèse selon laquelle l’auteur
serait l’évêque arien Eusèbe de Nicomédie, un homonyme
contemporain de l’historien de l’Église (K. Schäferdiek, « Zur
Verfasserschaft und Situation der epistula ad Constantiam de
imagine Christi », Zeitschrift für Kirchengeschichte 91 (1980), pp. 177
sq.), peut être révoquée sans hésitation. Pour le contexte de la
théologie d’Eusèbe qui permet une interprétation plus détaillée
de la lettre, voir à présent C. Schönborn, Die Christus-Ikone,
Schaffhouse, Novalis, 1984, pp. 67 sq., trad. fr. L’Icône du Christ,
Paris, Le Cerf, 1986, pp. 55 sq.]

29 G. Ostrogorsky, Studien zur Geschichte des byzantinischen


Bilderstreites, op. cit., pp. 75, 95, 110.

90 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


30 Stèsantes... tas eikonas ta tôn ethnôn ethè loipon poiousi.
(Panarion haer., 27, 6, 10, in Die griechischen christlichen Schriftsteller,
XXV, éd. K. Holl [Leipzig, 1915] 311). Pour la conjonction entre
l’opposition d’Épiphane aux images et sa christologie, voir
K. Holl, Gesammelte Aufsätze…, op. cit., pp. 378 et 386 ; W. Elliger,
Die Stellung der alten Christen…, op. cit., pp. 57 sq.

31 Eusebii ecclesiasticae historiae liber VII, 18, 2. L’édition


de E. Schwartz et Th. Mommsen (Die grieschichen christlichen
Schriftsteller, IX, 2e vol., Leipzig, J. C. Hinrichs, 1908) présente
les textes d’Eusèbe et de Rufinus en regard (p. 672). Cf. aussi
E. von Dobschütz, Christusbilder, op. cit., p. 201 et pp. 252*, 256*.

32 Théodoret, Religiosa Historia, c. 26 (PG 82, col. 1473 A) ;


cf. aussi H. Lietzmann, Das Leben des heiligen Symeon Stylites, in
Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur,
série 3, vol. 2, fasc. 3, Leipzig, 1908, pp. 8, 253. Pour la date du texte,
voir ibid., p. 237 ainsi que P. Peeters, in Analecta Bollandiana, LXI
(1943), pp. 30 sq. Sur une survivance possible du culte primitif
de saint Siméon à Rome, cf. H. Delehaye in Atti del IIo Congresso
Internazionale di Archeologia Cristiana tenuto in Roma nell’Aprile
1900 (Rome, 1902), pp. 101 sq. Pour la théorie de Holl selon laquelle
les saints stylites avaient beaucoup à voir avec la montée de
l’adoration des images, voir supra, p. 42.

33 [Voir infra, p. 221, texte 39 du florilège.] F. Diekamp,


« Analecta Patristica », in Orientalia Christiana Analecta, 117 (Rome,
1938), pp. 127 sq. N. H. Baynes, « The Icons before Iconoclasm »,
op. cit., pp. 93 sq. P. J. Alexander, « Hypatios of Ephesus: A Note
on Image Worship in the Sixth Century », The Harvard Theological
Review, XLV (1952), pp. 177 sq. Hypatios cite, ou paraphrase ces
paroles de Julien : « Proskunètas epi tôn ierôn eômen einai graphais,
epi xulou de kai lithou pollakis oi ta tès gluphès apagoreuontes oude
touto aplèmmelès eômen, all’epi tès turas » [« Nous admettons que

91
l’on adore dans les sanctuaires les images tracées sur le bois
ou la pierre, mais nous n’acceptons pas la présence des images
sculptées, excepté sur les portes »] (Diekamp, p. 127). Le Profes-
seur Alexander (p. 179, note 16) a clarifié la signification de cet
énoncé en montrant qu’il trace une distinction entre peinture
et sculpture et que Julien s’oppose seulement à ces dernières,
à l’exception de celles qui se trouvent sur les portes (sur ce point,
voir supra, p. 57).
Je voudrais néanmoins corriger légèrement la version
du Professeur Alexander pour la première partie de l’énoncé.
Au lieu de dire : « Nous laissons adorer les peintures dans les
sanctuaires... », je propose de traduire : « Nous laissons dans les
sanctuaires les peintures qui sont adorées... », ou même : « Toutes
adorées qu’elles soient, nous laissons les peintures dans les
sanctuaires... ». Julien envisage pour le clergé trois attitudes
possibles envers les images : tolérer leur adoration ; admettre
leur existence ; les détruire. Pour les peintures, il adopte les deux
premières (en insistant sur la seconde) et, pour la sculpture,
il est enclin à soutenir la troisième, ce qui fait précisément l’objet
de la question qu’il adresse à l’évêque d’Éphèse (cf. le premier
paragraphe de la lettre d’Hypatios). La concession majeure (eômen
einai) que fait Julien porte sur l’existence des peintures. Le einai
n’apparaît pas dans la traduction du Professeur Alexander et
le oude touto dans la seconde partie de l’énoncé est interprété
comme s’il se référait à ta tès gluphès, ce qui est grammaticalement
impossible. Il doit se référer à l’antécédent einai et signifie ainsi
que, en ce qui concerne les sculptures, Julien ne veut « pas même »
admettre leur existence. Dès lors, l’affirmation selon laquelle
l’attitude de Julien traduit une approbation officielle de l’adoration
des peintures me semble exagérée. On peut simplement dire
que Julien est conscient qu’elles reçoivent effectivement la pros-
kynesis, mais qu’il consent à les admettre puisque les Écritures
se contentent de prohiber spécifiquement la sculpture. Pour
l’importance de la réponse d’Hypatios, voir supra, p. 65.

92 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


[Pour une nouvelle édition et une nouvelle traduction
satisfaisantes de la lettre d’Hypatios, voir H. G. Thümmel,
« Hypatios von Ephesos und Iulianos von Atramytion zur Bilder-
frage », Byzantinoslavica 44 (1983), pp. 161 sq. L’hypothèse de
P. Speck datant la lettre du VIIIe siècle (« Γραφαϊς ή γλυφούς.
Zu dem Fragment des Hypatios von Ephesos über die Bilder »,
in R. J. Lilie et P. Speck, Varia, Bonn, 1984, pp. 213 sq.), en dépit
de suggestions potentiellement utiles pour interpréter certains
détails de ce texte difficile, n’est pas entièrement convaincante
et peut-être abandonnée avec certitude dans les recherches
futures. Voir infra, les commentaires de la note 239.]

34 A. Grabar, Martyrium, II, op. cit., pp. 343 sq.

35 T. Tobler, Itinera et descriptiones terrae sanctae, I, Genève,


Fick, 1877, p. 104. E. von Dobschütz, Christusbilder, op. cit., p. 99*,
fait état d’un texte qui paraît plus fiable et provient de l’édition
de Gildemeister. [Voir infra, p. 160, texte 1 du florilège.]

36 T. Tobler, Itinera et descriptiones, op. cit., p. 116. E. von


Dobschütz, Christusbilder, op. cit., p. 135*. [Voir infra, p. 160, texte 2
du florilège.]

37 T. Tobler, Itinera et descriptiones, op. cit., p. 156. E. von


Dobschütz, Christusbilder, op. cit., p. 109*. [Voir infra, p. 161, texte 3
du florilège.]

38 Jean Moschus, Pratum Spirituale, c. 180 (PG 87 ter, col. 3052).


L’histoire est citée au concile de 787 : Mansi XIII, cols. 193e – 196c.
[Voir infra, p. 162, texte 4 du florilège.]

39 K. Krumbacher, Geschichte der byzantinischen Literatur,


Munich, Beck, 1897 (2e éd.), p. 187. Th. Nissen, « Unbekannte
Erzählungen aus dem Pratum spirituale », Byzantinische Zeitschrift,

93
XXXVIII (1938), pp. 351 sq., partic. p. 353. E. Mioni, « Il Pratum
Spirituale di Giovanni Mosco », Orientalia Christiana Periodica,
XVII (1951), pp. 61 sq., partic. p. 81. [Sur quelques problèmes posés
par le texte du Pré spirituel de Jean Moschus, voir Ph. Pattenden,
« the Text of the Pratum Spirituale », The Journal of Theological
Studies, n. s. 26 (1975), pp. 38 sq. Une édition critique de ce texte
manque encore.]

40 Sur cette Vie et son attribution à Arcadius, évêque de


Chypre, voir H. Delehaye, Les Saints Stylites (Subsidia Hagiographica
14), Bruxelles/Paris, 1923, pp. LIX sq. [Pour une édition critique
de la Vita de saint Syméon Stylite le Jeune, voir P. Van den Ven,
La Vie ancienne de S. Syméon Stylite le Jeune (521-592), t. I. Introduction
et texte grec, Bruxelles, Sté des Bollandistes, 1962.]

41 Cité par Jean Damascène (PG 94, col. 1393 D) et par le


concile de 787 (Mansi XIII, col. 76 DE). [Voir infra, p. 163, texte 5
du florilège.] [Cette histoire, tirée de la Vita Symeonis (c. 158, éd.
Van den Ven, pp. 139-141) figure dans le florilège de Jean Damascène
consacré à l’adoration des images et composé au VIIIe siècle ;
voir B. Kotter (éd.), Die Schriften des Johannes von Damaskos, vol. III,
Berlin/New York, 1975, p. 185. L’attribution isolée de la Vita ano-
nyme à Arcadius de Chypre (VIIe siècle) dans ce florilège (p. 185,
ligne 2) est, très probablement, sans fondement ; voir P. Van den
Ven, La Vie ancienne…, op. cit., t. II, pp. 101-102.]

42 E. von Dobschütz, Christusbilder, op. cit., p. 17** ; pour


la date du texte, p. 27**. [Voir infra, p. 164, texte 6 du florilège.]

43 Voir supra, p. 15. Dans l’un des récits de miracles des


saints Cyr et Jean consignés dans l’Encomium (l’Éloge) de Sophronius
figure, comme un accessoire, une lampe à huile brûlant devant
une image du Christ dans le Tetrapylon d’Alexandrie. L’épisode
où cette lampe apparaît est peut-être interpolé. Sur ce récit

94 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


et pour un épisode similaire dans l’encomium copte de saint
Ménas, voir supra, pp. 30 sq.

44 Cf. par ex. supra, p. 17 (les images de saint Syméon


l’Ancien) ; voir aussi un passage fréquemment cité de l’encomium
de saint Jean Chrysostome par Meletius (PG 50, col. 516).

45 Cf. la remarque générale par laquelle Grégoire de Tours


introduit l’histoire d’un miracle accompli par une image du
Christ (in De gloria martyrum, c. 22 ; PL 71, col. 724 A), et, pour des
occurrences spécifiques d’images religieuses dans des contextes
domestiques, voir les textes suivants : Photinus, Vie de Jean le
Jeûneur (mort en 593), citée au concile de 787 (Mansi XIII, col. 85 B ;
voir aussi supra, pp. 31 sq.) ; Jean Moschus, Pratum spirituale, c. 45
(PG 87 ter, col. 2900 B-D ; sur cette œuvre, voir supra, note 39) ; Vie
de saint Syméon le jeune (voir supra note 40) citée au concile de 787
(Mansi XIII, col. 76 B et DE) ; le second passage se trouve égale-
ment dans Jean Damascène, Trois Discours... : PG 94, col. 1393 D) ;
Arculfi relatio De locis sanctis, III, p. 5 (T. Tobler, Itinera et descrip-
tiones, op. cit., p. 200) ; Vie de saint Jean Chrysostome, citée par Jean
Damascène (PG 94, col. 1277 C) et par des auteurs postérieurs
(pour ce texte, attribué à Georges d’Alexandrie, voir C. Baur, in
Byzantinische Zeitschrift, XVII (1927), pp. 1 sq., partic. 5, 6 et 9 :
l’épisode qui nous intéresse semble être une invention de l’auteur,
actif entre 680 et 725). On peut ajouter quelques exemples dont
l’origine pré-iconoclaste est moins certaine : Vies des saints Côme
et Damien, Miracle 15 (L. Deubner, Kosmas und Damian, Leipzig/
Berlin, Teubner, 1907, pp. 137 et 82 [voir infra, p. 191, texte 22 du
florilège] ; Mansi XIII, col. 68 B et apparemment Delehaye, Analecta
Bollandiana, 43 (1925), pp. 8 sq., considèrent que ce texte appartient
à la période pré-iconoclaste) ; l’histoire d’une image du Christ
à Beyrouth est mentionnée au concile de 787 (Mansi XIII, col. 25
B) ; et une histoire connexe dans un sermon copte sur la Vierge
(W. H. Worrell, The Coptic Manuscripts in the Freer Collection,

95
New York, Macmillan, 1923, p. 329 ; pour les dates des deux derniers
textes mentionnés, voir infra, note 59.

46 Voir supra, p. 31.

47 Jean Moschus, épisode cité supra, note 45 ; Vie de saint


Syméon le Jeune (cf. supra, note 40) citée par Jean Damascène (PG 94,
col. 1396 B) et au concile de 787 (Mansi XIII, col. 77 B) ; Vie de
saint Théodore de Sykeon (mort en 613) par son élève Georges, c. 13
(Th. Ioannes, Mnemeia Hagiologika, Venise, 1884, p. 372 ; Mansi
XIII, col. 92 AB) ; Arculfi relatio De locis sanctis, III, 4 (T. Tobler,
Itinera et descriptiones, op. cit. 198). Pour un passage, peut-être
interpolé, dans l’Encomium des saints Cyr et Jean par Sophronius
dans lequel les deux saints sont vus en rêve se prosternant
devant une image du Christ, cf. supra, p. 30 ; il est possible que
les deux saints fassent eux-mêmes partie d’une image.

48 W. H. Worrell, The Coptic Manuscripts…, op. cit., p. 370 ;


cf. pour la date, infra, note 59.

49 S. Maximi Confessoris Acta, II, 18 et 26 (PG 90, cols. 156 AB,


164 AB) ; cité par Jean Damascène (PG 94, cols. 1316 BC, 1413 B)
et au concile de 787 (Mansi XIII, cols. 37E – 40B). Pour la date de
la controverse, cf. V. Grumel, in Échos d’Orient, XXVI (1927), p. 31 ;
pour les Actes, cf. Krumbacher, Geschichte der byzantinischen
Literatur, op. cit., p. 64 ; pour bebaiôsis, voir supra, p. 48.

50 Jean Chrysostome, Homiliae de statuis, XV, 5 (PG 49,


col. 160, dernier paragraphe) ; cf. Codex Iustinianus, 2, 58, 2 ; 3, 1,
14, 4 ; 7, 72, 10, 3. Voir aussi E. Seidl, Der Eid im römisch-ægyptischen
Provinzialrecht, II, Munich, 1935, pp. 48 sq. ; Ibid. p. 49, peut-être
une autre occurrence de serments rendus devant des images de
saints (Papyrus Londres, 1674 : « avant 570 ap. J.-C. »). Voir aussi
Jean Damascène, De imaginibus oratio II, 21 (PG 94, 1308 C).

96 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


51 [Voir infra, p. 167, texte 7 du florilège.] E. von Dobschütz,
Christusbilder, op. cit., p. 6** (il utilise, avec quelques changements
mineurs, la traduction de Nöldeke publiée par R. A. Lipsius,
« Zur edessenischen Abgarsage », Jahrbücher für protestantische
Theologie, VII (1881), pp. 189 sq.) ; F. J. Hamilton et E. W. Brooks,
The Syriac Chronicle Known as That of Zacharias of Mytilene Translated
into English, Londres, Methuen, 1899, p. 321 ; K. Ahrens et G. Krüger,
Die sogenannte Kirchengeschichte des Zacharias Rhetor, Leipzig,
Teubner, 1899, p. 248. Pour la date de ce texte, cf. Hamilton et
Brooks, p. 5 ; Ahrens et Krüger, p. XVI ; A. Baumstark, Geschichte
der syrischen Literatur, Bonn, 1922, p. 184.
[Pour l’édition critique du texte syriaque du Pseudo-
Zacharias décrivant la procession de l’image de Camuliana,
voir E. W. Brooks (éd.), Historia ecclesiastica Zachariae Rhetori
vulgo adscripta II (Corpus scriptorum christianorum orientalium,
Scriptores syri, series tertiae, tomus VI, textus Louvain [1919]
1953, p. 198, lignes 14 sq. ; traduction latine dans le tomus VI,
versio, Louvain [1924] 1953, pp. 134-135.]

52 Cf. supra, pp. 13 sq. et p. 47. Cf. aussi les processions


dans Rome au cours desquelles l’acheiropoïète [l’image non faite
de main d’homme] du Latran était solennellement promenée ;
les antécédents impériaux de ces processions sont mis en évidence
par W. F. Volbach (« Il Cristo di Sutri e la venerazione del SS.
Salvatore nel Lazio », Rendiconti della Pontifica Accademia di Archeo-
logia, XVII (1940-1941), pp. 97 sq., partic. p. 124. Je dois cette
référence au Professeur André Grabar). Nous n’avons aucune
preuve, cependant, que les processions romaines avec images
aient été instituées dès les temps pré-iconoclastes.

53 Tous les traducteurs cités supra, note 51, reconnaissent


que c’est bien la signification générale du passage, même s’ils
divergent dans l’interprétation des détails.

97
54 E. von Dobschütz, Christusbilder, op. cit., p. 8**.

55 Voir supra, pp. 16 sq.

56 Grégoire de Tours, De gloria martyrum, c. 23 (PL 71, cols.


724 sq.). [Voir infra, p. 169, texte 8 du florilège.]

57 [Voir infra, p. 170, texte 9 du florilège.] L’histoire a été


publiée par Th. Nissen, in Byzantinische Zeitschrift, XXXVIII (1938),
p. 367, no 12, d’après le codex de Vienne du Pratum spirituale de
Jean Moschus (Cod. hist. gr. 42). Sur cette œuvre, voir supra note 39.

58 Grégoire de Tours, De gloria martyrum, c. 22 (PL 71, col.


724). [Voir infra, p. 171, texte 10 du florilège.]

59 [Voir infra, p. 172, texte 11 du florilège.] PG 94, col. 1393 AC ;


sur l’auteur, voir Krumbacher, Geschichte der byzantinischen Literatur,
op. cit., pp. 64 sq. Ce sont les premiers exemples d’une série de
légendes qui traversent la littérature byzantine et médiévale.
La plus célèbre est l’histoire de l’icône du Christ à Beyrouth
rapportée au concile de 787 (Mansi XIII, col. 24 sq.), et reprise
fréquemment par la suite (cf. E. von Dobschütz, Christusbilder,
op. cit., pp. 280** sq.). Dans la légende de Beyrouth, l’icône répète
tous les épisodes de la Passion du Christ aux mains des juifs et,
très logiquement, laisse couler de l’eau et du sang lorsqu’on la
perce : cette légende est tellement plus élaborée que le simple récit
rapporté par Grégoire de Tours que l’on est enclin à lui assigner
une date plus tardive. Il pourrait s’agir, en fait, de l’invention
d’un apologiste de l’orthodoxie pendant la première période
iconoclaste (726-787). Dans la chronique tardive de Sigebert, au
XIIe siècle, les événements évoqués dans le récit sont situés en
765 (PL cols. 160, 145). Un sermon copte (dont l’auteur, selon une
attribution erronée qui se trouve dans le texte lui-même, serait
Théophile, évêque d’Alexandrie) rapporte l’histoire d’une icône

98 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


de la Vierge qui recoupe, par de nombreux traits, la légende de
Beyrouth. Mais le texte présente une cohérence bien moindre :
il est donc probable qu’il s’agit d’une dérivation de la légende
précitée (Worrell, The Coptic Manuscripts…, op. cit., pp. 367 sq. ; pour
d’autres textes dérivés, voir E. von Dobschütz, Christusbilder,
op. cit., p. 281**, note 3). La date du VIIe siècle suggérée pour cette
œuvre par E. H. Kantorowicz (in Varia Variorum : Festgabe für Karl
Reinhardt, Münster et Cologne, 1952, p. 188, note 36) paraît donc
trop précoce. Le seul terminus ante quem que l’on puisse avancer
avec certitude correspond à la date du manuscrit, qui remonte
à 975 (Worrell, The Coptic Manuscripts…, op. cit., p. 125).
[Sur le miracle de l’image de saint Théodore « le reclus »
attribuée à Anastase le Sinaïte, voir Kotter, Die Schriften des Johannes
von Damaskos, op. cit., vol. III, p. 184. L’histoire figure également
dans une collection d’anecdotes pieuses attribuées à Anastase ;
F. Nau, « Le texte grec des récits utiles à l’âme d’Anastase (le
Sinaïte) », Oriens Christianus 3 (1903), pp. 64-65 (no 44). Dans un
manuscrit en partie perdu, cependant, il est apparemment indiqué
que ce texte faisait partie du Pratum spirituale (Taurin. 140 (saec.
XI-XII), fol. 30-32) ; voir A. Ehrhardt, Überlieferung und Bestand
der hagiographischen und homelitischen Literatur der grieschischen
Kirche, III/2, Leipzig, Hinrichs, 1937, p. 900.]

60 Voir les références supra, note 41 [et voir infra, p. 163,


texte 5 du florilège].

61 Arculfi relatio De locis sanctis, III, 4 (T. Tobler, Itinera


et descriptiones, op. cit., pp. 195 sq.). [Voir infra, p. 173, texte 12
du florilège.]

62 Cf. l’histoire d’Arculf évoquant une image de la Vierge qui


exsude une huile miraculeuse après avoir été sauvée de la pro-
fanation (Relatio, III, 5 ; T. Tobler, Itinera et descriptiones, op. cit.,
p. 200). Cf. aussi les miracles accomplis par l’image de Beyrouth

99
(Mansi XIII, col. 29 AB) et le motif symétrique dans la légende
copte afférente (Worrell, The Coptic Manuscripts…, op. cit., p. 372).

63 Cf. le rêve de l’empereur Maurice (mort en 602), dans


lequel l’image du Christ qui se trouvait sur la porte de la Chalkè
[l’entrée principale du palais impérial à Constantinople] lui
promet qu’il expiera ses péchés durant son existence terrestre.
Bien que le récit se réfère à des événements qui se sont déroulés
au commencement du VIIe siècle, il ne faut peut-être pas l’inclure
parmi les légendes de la période pré-iconoclaste dans la mesure
où il n’apparaît que dans des sources plus tardives (Théophane,
Chronographie ; éd. Bonn, p. 439. Zonaras, Epit. Hist., XIV, 13, pp. 30
sq. ; éd. Bonn, III, p. 194. Nicéphore Callistès, Eccl. Hist., XVIII, 42 ;
PG cols. 147, 413). Mais l’hypothèse d’une origine précoce n’est
pas absolument écartée.
Je dois à la thèse de C. A. Mango sur la Chalkè, The Brazen
House. A study of the Vestibule of the Imperial Palace of Constantinople
(in Arkeol. Kunsthist. Medd. Dan. Vid. Selsk. IV, 4, Copenhague,
1959), la connaissance d’un extrait d’une chronique remontant
au commencement du VIIe siècle, attribuée à Jean d’Antioche,
et qui semble constituer une partie de la version originale de cette
histoire (Excerpta historica iussu imperatoris Constantini Porphyrogeniti
confecta, III : Excerpta de insidiis, C. de Boor (éd.), Berlin, 1905, p. 148,
no 108). Dans ce texte, il n’est pas fait spécifiquement mention
du Christ ou de l’image du Christ ; mais la vision de Maurice
se situe à la Chalkè et il est difficile de donner un sens à l’histoire
sans rejoindre l’explication que donne Théophane, au commen-
cement du IXe siècle. La supposition selon laquelle la version des
Excerpta serait incomplète est renforcée par le fait que la formule
« expier plutôt maintenant que plus tard » correspondait en fait à
une requête que Maurice adressait au Christ, d’après Théophilakte
Simokkata, un autre auteur presque contemporain (Historiae,
VIII, 11, 6, de Boor (éd.), Leipzig, 1887, p. 305). [Sur la vision
de Maurice, voir C. Mango, The Brazen House, op. cit., pp. 107 sq.]

100 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


Si ce raisonnement est correct, il prouve, incidemment,
que la fameuse image du Christ de la Chalkè existait bien dans
les années 600. Comme le souligne Mango, cette image était
réellement connue sous le nom de antiphonetès (« interlocuteur »)
et semble avoir été l’archétype d’icônes plus tardives qui devaient
porter la même épithète. Ducange avait déjà suggéré (Historia
byzantina, t. II, Paris, 1680, p. 116) que les deux textes dans lesquels
apparaît, pour la première fois, l’image Antiphônétès, se réfèrent
l’un et l’autre à l’image de la Chalkè, bien qu’ils la localisent
dans la Chalkoprateia [un marché de Byzance situé aux abords
de l’Église Sainte-Sophie].
L’un de ces textes est une lettre, probablement apo-
cryphe, du pape Grégoire II à l’empereur Léon III (I. Héfélé
et H. Leclercq, Histoire des Conciles, t. III, vol. 2, Paris, Letouzey
et Ané, 1910, p. 608) ; l’autre, relatant l’histoire bien connue
du juif Abraham et de son débiteur chrétien, donne l’exemple
le plus élaboré d’une icône qui non seulement fait une promesse,
mais aussi l’accomplit (Fr. Combefis, Historia haeresis mono-
thelitarum, Paris, 1648, cols. 611 sq.). Alors que le premier texte
cité n’est évidemment pas d’origine pré-iconoclaste, le second
a peut-être un noyau ancien. Il contient un passage intéressant
sur « l’argenterie à cinq poinçons » (ibid. col. 641 A), qui a fourni
la clef permettant d’identifier l’ensemble des poinçons sur les
objets d’argent byzantins du VIe et VIIe siècle (E. Guikshank Dodd,
Byzantine Silver Stamps, Washington, 1961, pp. 26 sq.). En ce sens,
l’affirmation selon laquelle les événements décrits dans l’histoire
auraient eu lieu au temps d’Héraclius (Combefis, col. 616 B) pré-
sente une concordance frappante avec les preuves archéologiques.

64 Arculfi relatio De locis sanctis, III, 4 (T. Tobler, Itinera et


descriptiones, op. cit., p. 197).

65 [Voir infra, p. 205, texte 30 du florilège.] E. von Dobschütz,


Christusbilder, op. cit., pp. 68** sq. [Sur le mandylion, voir J. B. Segal,

101
Edessa, the Blessed City, Oxford, Clarendon Press, 1970, pp. 77 sq.
et Averil Cameron, « The History of the Image of Edessa: the
Telling of a Story », Harvard Ukrainian Studies 7 (1983), pp. 80 sq.]

66 E. von Dobschütz, Christusbilder, op. cit., pp. 117** sq.

67 S. Runciman, « Some Remarks on the Image of Edessa »,


The Cambridge Historical Journal, III (1931), pp. 228 sq., partic. p. 244.

68 Procope, Histoire des guerres, II, 12, 26 (Loeb éd., I, pp. 368
sq.) [Voir infra, p. 207, texte 31 du florilège].

69 Ibid., II, 12, pp. 6 sq., partic. 30 (pp. 364 sq., 370).

70 E. von Dobschütz, Christusbilder, op. cit., p. 113 et p. 171*


(Doctrina Addaï).

71 Ibid., p. 70**, lignes 35 sq.

72 Procope, Histoire des guerres, op. cit., II, 27, 14 (Loeb éd., I,
p. 506).

73 K. Holl, « Der Anteil der Styliten am Aufkommen


der Bilderverehrung », repris in Gesammelte Aufsätze zur Kirchen-
geschichte, II, Tübingen, Mohr, 1928, pp. 388 sq., partic. p. 396 ;
cf. aussi Nicéphore Uranos, Vita S. Symeonis Iunioris, c. 7 (PG 86
bus, col. 3037 D).

74 Voir supra, p. 44.

75 [Voir infra, p. 175, texte 13 du florilège.] E. von Dobschütz,


Christusbilder, op. cit., p. 139*, d’après Gildemeister ; le texte dans
T. Tobler, Itinera et descriptiones, op. cit., p. 103, est fautif, comme
le souligne Dobschütz.

102 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


76 T. Tobler, Itinera et descriptiones, op. cit., p. 65.

77 Voir supra, pp. 40-41.

78 T. Tobler, Itinera et descriptiones, op. cit., p. 104. [Voir infra,


p. 160, texte 1 du florilège.]

79 E. von Dobschütz, Christusbilder, op. cit., p. 139*.

80 Thesaurus linguae latinae, VIII, 5 (Leipzig, 1949) col. 762,


lignes 61-64 (s. v. mensura).

81 R. Krautheimer, « Introduction to an ‘Iconography


of medieval Architecture’ », Journal of the Warburg and Courtauld
Institutes, V (1942), pp. 1 sq., partic. pp. 4 et 12.

82 Pour les mesures comme « parties expressives et repré-


sentatives » d’un point de vue général, cf. Reallexikon für Antike
und Christentum, Th. Klauser (éd.), fasc. 1, Stuttgart, 1950, col. 17
(s. v. Abmessen).

83 [Voir infra, p. 175, texte 14 du florilège.] Voir supra, pp. 16-17.

84 [Voir infra, p. 177, texte 15 du florilège.] Vie de saint Théodore


de Sykeon, c. 8 ; Ioannes, Mnemeia Hagiologika, op cit., p. 368.
[A. J. Festugière (éd.), Vie de Théodore de Sikéon, I. Texte grec,
Bruxelles, Société des Bollandistes, 1970, p. 7.] L’icône se trouvait
« epanôthen... autou en tô staurodochô », i. e. au-dessus de lui – ou
peut-être, plus probablement, au-dessus de l’autel – dans un
réceptacle destiné [à une relique] de la Sainte Croix : la notation
est importante au regard d’autres occurrences où les icônes
paraissent tenir leurs pouvoirs miraculeux de leur association
à des reliques (voir supra, pp. 40-41). E. Dawes et N. H. Baynes,
Three Byzantine Saints, Oxford, 1948, p. 91, traduisent : «...au-dessus

103
de lui, là où se trouvait la croix, l’icône était accrochée... », mais
ils ne sont pas satisfaits de leur propre traduction (ibid., p. 187).
L’interprétation de Holl selon laquelle ce passage révèle l’exis-
tence d’une icône au-dessus de la balustrade du chancel est sans
fondement dans le texte grec (« Die Entstehung der Bilderwand
in der griechischen Kirche », repris in Gesammelte Aufsätze zur
Kirchengeschichte, II, pp. 225 sq., partic. 230).
[Du terme problématique de staurodochos (un hapax
legomenon ?), le Patristic Greek Lexicon de Lampe donne une
définition assez crédible : « Socket supporting a cross » (p. 1252).
Festugière (Vie de Théodore, vol. II, p. 10), opte pour une interpré-
tation similaire (« l’endroit où est plantée la croix »), quoique,
de manière assez inconséquente, il traduise staurodochos dans
l’index s. v. par « iconostase ».]

85 c. 13 ; Ioannes, Mnemeia Hagiologika, op. cit., 372. [Voir


infra, p. 177, texte 16 du florilège.]

86 Sophronius, SS. Cyri et Ioannis Miracula, c. 36 (PG 87 ter,


cols. 3548 sq., partic. col. 3560 CD). [Voir infra, p. 178, texte 17 du
florilège. Un meilleur texte grec des Miracula est à présent dispo-
nible dans N. Fernandez Marcos, Los « Thaumata » de Sofronio, Madrid,
1975, pp. 241 sq, traduit par J. Gascou in Sophrone de Jérusalem :
Miracles des saints Cyr et Jean, Paris, De Boccard, 2006, pp. 125-136.
Sur le style rhétorique cultivé par Sophronius dans cette œuvre,
voir J. Duffy, « Observations on Sophronius’ Miracles of Cyrus and
John » The Journal of Theological Studies, n. s. 35 (1985), pp. 71 sq.]
Au commencement de ce récit long et complexe, l’auteur
parle des pouvoirs curatifs de l’huile prélevée des lampes qui
brûlent devant les reliquaires des martyrs (3553 C) et il semblerait
que, dans le développement final, il assigne résolument à l’image
du Christ un rôle analogue en reconnaissant en elle la source
du pouvoir bénéfique de l’huile. L’image et la relique paraissent
ainsi placées délibérément sur le même plan.

104 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


Mais il n’est pas certain que ce texte soit réellement une
composition unique et cohérente. Déjà, dans le passage précédant
l’épisode de la guérison, un statut éminent est accordé à une
image : le patient (un hérétique, que les deux saints viennent
d’essayer de convertir à l’orthodoxie en employant la force et
les menaces) fait un rêve dans lequel il est emmené par les saints
dans une église merveilleuse et immense. À l’intérieur, il voit une
gigantesque peinture représentant le Christ entouré de la Vierge,
de saint Jean, de plusieurs autres apôtres, de prophètes et de
martyrs. Parmi ces derniers se trouvent les saints Cyr et Jean.
Les deux saints – on ne sait pas exactement si ce sont les « origi-
naux » qui l’ont transporté dans l’église ou leurs représentations
peintes – se prosternent alors devant le Christ et lui demandent
de leur ordonner de guérir le patient. Après deux tentatives restées
vaines, le Christ consent enfin. Le patient est incité à se rendre
au Tetrapylon d’Alexandrie où, après avoir jeûné et dormi, il doit
prélever un peu d’huile dans la lampe qui brûle devant le portrait
du Christ. Il doit rapporter cette huile aux saints qui, en la lui
appliquant, pourront le guérir. Il se réveille, agit conformément
aux instructions, et se trouve guéri.
Il faut noter qu’une partie de ce récit a pu être interpolée.
On ne peut affirmer avec certitude que la grande composition
représentant le Christ et les saints, ni que l’image du Christ dans
le Tetrapylon, aient figuré dans la version originale du récit, dès
lors que, sitôt après l’introduction de la première de ces images,
la narration bascule brusquement de la troisième à la première
personne. On peut au moins émettre l’hypothèse que, dans sa
forme originale, l’histoire ne mentionnait aucune image. D’un
autre côté, cette inconsistance grammaticale pourrait simple-
ment être due à la méthode singulière avec laquelle Sophronius
compose ses textes (cf. H. Delehaye, Analecta Bollandiana, 43 (1925),
pp. 20 sq.), et, puisque cette histoire était connue, dans sa forme
actuelle, de Jean Damascène qui la cite dans son troisième discours
(PG 94, cols. 1413 sq.), elle ne peut être postérieure aux premières

105
années de l’iconoclasme. Le texte est cité également au concile
de 787 (Mansi XIII, cols. 57D – 60B). Pour l’importance de la compo-
sition décrite dans le rêve et pour la relation qu’elle entretient
avec l’iconographie de la « Déesis », voir E. H. Kantorowicz, Laudes
Regiae, Berkeley/Los Angeles, University of California Press, 1946,
p. 50, note 129 (avec des références plus complètes).

87 [Voir infra, p. 186, texte 18 du florilège.] La mère du saint,


affligée par sa stérilité, prie une image de la Vierge, trempe un
doigt dans l’huile de la lampe brûlant devant l’image et entend
alors une voix sortant de la bouche du Christ-enfant que la Vierge
tient entre ses bras dire « Amen ». La nuit suivante, elle conçoit
un enfant. Cf. J. Drescher, Apa Mena, Le Caire, Société d’archéo-
logie copte, 1946, p. 133 ; pour la date, ibid., p. 127. Voir aussi infra,
note 138. L’idée selon laquelle une icône exerce son pouvoir
miraculeux à travers une substance intermédiaire joue également
un rôle dans l’histoire de l’image du Christ de Beyrouth où le
sang et l’eau exsudant de l’image accomplissent des guérisons
(Mansi XIII, col. 29 AB ; cf. supra, notes 52 et 62).

88 [Voir infra, p. 187, texte 19 du florilège.] Jean Moschus,


Pratum spirituale, c. 81 (PG 87 ter, col. 2940 AB) ; cité au concile
de 787 (Mansi XIII, col. 193 DE). Pour la date de cette œuvre,
voir supra, note 39.

89 [Voir infra, p. 188, texte 20 du florilège.] A. Papadopoulos-


Kerameus, in Zapiski of the Hist. -Phil. Faculty of the Imperial Uni-
versity of St. Petersbourg, XCV (1909), p. 16 ; pour la date, ibid., p. II ;
cf. aussi P. Maas, in Byzantinisch-Neugriechische Jahrbücher, I (1920),
pp. 377 sq. ; H. Delehaye, in Analecta Bollandiana, XLIII (1925), pp. 32
sq. Dans le miracle no 13 des saints Côme et Damien, l’application
d’une onction de cire kèrôté est prescrite par les saints comme
traitement prophylactique (L. Deubner, Kosmas und Damian, op. cit.,
p. 134, lignes 50 sq.). D’après le contexte, il semblerait que kèrôtè

106 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


soit identique à une image des saints mentionnée plus haut dans
le récit, sous la forme d’une amulette acquise par le mari de la
patiente (ibid., p. 132, lignes 4 sq. ; p. 133, lignes 13 sq. et 33 sq. ; sur
ce point, voir supra, pp. 75-76 [et infra, p. 189, texte 21 du florilège]).
En d’autres termes, il apparaît qu’il s’agit d’un objet
similaire à celui qui figure dans le miracle de saint Artémius.
Cependant, le terme kèrôtè n’implique pas toujours l’existence
d’une image ; cf. d’autres miracles des saints Côme et Damien
où la kérôtè apparaît simplement sous la forme d’une onction
appliquée aux malades dans le sanctuaire des saints (ibid., p. 232,
s. v. Kèrôtè ; voir aussi Delehaye, p. 13 ; Maas, p. 380). La substance
matérielle de l’image est employée de manière explicite à des
fins médicales dans le miracle no 15 des saints Côme et Damien :
une patiente mélange à de l’eau le plâtre d’une fresque repré-
sentant les deux saints-médecins et boit cette mixture avec des
effets salutaires (L. Deubner, Kosmas und Damian, op. cit., p. 137,
lignes 17 sq. ; cf. aussi supra, pp. 75 sq. [et infra, p. 191, texte 22
du florilège]). Pour la date de ces miracles, voir supra, note 45.

90 Voir supra, p. 21.

91 Acta Thaddei, c. 4 (C. Tischendorf, Acta Apostolorum


Apocrypha, Leipzig, 1851, p. 262. E. von Dobschütz, Christusbilder,
op. cit., p. 182*, no 24 ; pour la date, ibid., p. 121 et p. 31**).

92 Vita S. Mariae Aegyptiae, c. 3 (PG 87 ter, col. 3712) [voir infra,


p. 193, texte 23 du florilège] ; cité au concile de 787 (Mansi XIII, cols.
85D – 89A). Krumbacher attribue le texte à Sophronius (Geschichte
der byzantinischen Literatur, op. cit., p. 189), O. Bardenhewer met
cette attribution en doute (Geschichte der altchristlichen Literatur,
V, Fribourg, Herder, 1932, p. 38) à cause du style de la narration.
[H.-G. Beck dément formellement cette attribution : voir Kirche
und theologische Literatur im byzantinischen Reich, Munich, C. H.
Beck, 1959, p. 435.]

107
93 [Voir infra, p. 195, texte 24 du florilège.] H. Usener,
Acta Martyris Anastasii Persae, Bonn, 1894, p. 22. [B. Flusin,
Saint Anastase le Perse I, Paris, CNRS, 1992, pp. 131-132.]

94 Mansi XIII, col. 21C – 24C.

95 H. Usener, Acta Martyris Anastasii Persae, op. cit., p. V ;


Krumbacher, Geschichte der byzantinischen Literatur, op. cit., p. 192,
no 8.

96 Mansi XIII, cols. 80E – 85C [voir infra, p. 197, texte 25 du


florilège] ; cf. Krumbacher, Geschichte der byzantinischen Literatur,
op. cit., p. 187, no 4.

97 Vie de saint Syméon le Thaumaturge, c. 118 (A. Papadopoulos-


Kerameus, in Vizantiskii Vremennik, I (1894), p. 606) ; cité au concile
de 787 (Mansi XIII, cols. 73C – 76C). Voir aussi supra, pp. 71 sq.
[et infra, p. 202, texte 26 du florilège]. Pour l’attribution du texte,
voir supra, note 40.

98 La coutume de placer des images tois tôn ergasteriôn


propulaiois (« sur les portes des boutiques »), que Théodoret
mentionne à propos de l’usage apotropaïque des portraits
de saint Syméon l’Ancien (supra, note 32), se trouve à nouveau
décrite, en des termes à peu près identiques, dans la Vie de saint
Syméon le Jeune, à propos de l’histoire d’un habitant d’Antioche
qui souhaitait montrer sa reconnaissance au saint (pour les réfé-
rences, voir supra, note 41) [voir infra, p. 163, texte 5 du florilège].
Ce parallélisme a été scrupuleusement relevé par H. Delehaye,
Les Saints Stylites, op. cit., p. LXXI. Cf. également supra, note 89
et infra, p. 175 pour le miracle no 13 des saints Côme et Damien,
où une image des deux saints, portée en guise d’amulette sous
l’aisselle (sic !), joue un rôle essentiel [voir infra, p. 189, texte 21
du florilège].

108 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


99 E. von Dobschütz, Christusbilder, op. cit., pp. 50 sq. A. Grabar,
Martyrium, II, op. cit., p. 352.

100 L. Duschesne, « L’iconographie byzantine dans un


document grec du IXe siècle », Roma e l’Oriente, V (1912-1913),
pp. 222 sq., 273 sq., 349 sq., partic. 279.

101 E. von Dobschütz, Christusbilder, op. cit., pp. 110 sq. et


pp. 39* sq. [voir infra, p. 211, texte 33 du florilège]. L’auteur suggère
(p. 112 et p. 98**) que l’histoire de la redécouverte de l’image
pourrait dériver d’une tradition locale d’Édesse. Selon la théorie
de Dobschütz, la mention que fait le pseudo-Grégoire de l’image
de Camuliana remonterait au VIIe siècle et aurait été influencée
par cette tradition. Si cette théorie est juste, l’histoire pourrait
remonter à la fin du VIe ou au commencement du VIIe siècle
(cf. p. 24**). Comme nous allons le voir, c’est à cette époque que
les images religieuses semblent avoir fait réellement leur appa-
rition sur les portes des villes.

102 Voir supra, notes 32 et 98.

103 Voir supra, note 86. L’image, qui a survécu à la première


période iconoclaste, existait encore en 787 ; cf. Mansi XIII, col. 60 C.

104 H. Usener, Acta Martyris Anastasii Persae, op. cit., p. 23.

105 Cette image figure dans l’histoire mentionnée supra,


note 57. Sur la localité nommée Cherubim et sa position par
rapport au mur de la ville, plus particulièrement par rapport
à la porte, voir G. Downey, in Jewish Quarterly Review, 29 (1938),
pp. 167 sq.

106 Voir supra, note 63.

109
107 T. Simokkata, Historiae, II, 3, 4 sq., de Boor (éd.), Leipzig,
1887, p. 73 [voir infra, p. 204, texte 27 du florilège] ; cf. E. von
Dobschütz, Christusbilder, op. cit., p. 51 et p. 127*.

108 Georges Pisidès, Heraclias, II, 13 sq. ; éd. Bonn, p. 79.


Cf. A. Frolow, « La dédicace de Constantinople dans la tradition
byzantine », Revue d’Histoire des Religions, CXXVII (1944), pp. 61 sq.,
partic. p. 104. De manière assez surprenante, Dobschütz (Christus-
bilder, op. cit., p. 52, note 2 et p. 128*) ignore ce passage et se montre
surpris du fait que Théophane, selon lui le plus ancien témoin,
mentionne Georges comme étant sa source. Théophane prolonge
le commentaire de Georges et parle d’autels (kibôtia) et d’icônes
de la Vierge placés sur les mats des vaisseaux d’Héraclius (éd.
Bonn, I, p. 459).
[Les plus longs poèmes de Georges Pisidès qui présentent
une valeur historique sont désormais disponibles dans une
nouvelle édition critique par A. Pertusi (Giorgio di Pisidia. Poemi I.
Panegirici epici, Ettal, Kunstverlag Ettal, 1959). Ce passage, Heraclias
II, 13 sq., éd. Pertusi, p. 252, lignes 13 sq.]

109 [Voir infra, pp. 204-205, textes 28 et 29 du florilège.]


Georges Pisidès, De expeditione persica, I, 139 sq. ; [in éd. Pertusi,
p. 91, lignes 139 sq. Dans le commentaire qu’il consacre à ce
passage (pp. 142-143), Pertusi donne une liste commentée très
utile des références à des images accomplissant des miracles
dans le corpus poétique et des textes apparentés] voir aussi II,
86 sq. (éd. Bonn, 9, 17). Cf. E. von Dobschütz, Christusbilder, op. cit.,
p. 53 et p. 129*.

110 De obsidione Constantinopolitana sub Heraclio Imp ; A. Mai,


Nova Patrum Bibliotheca, VI, Rome, 1853, pt. 2, pp. 423 sq.

111 V. Vasilievsky, in Vizantiiskii Vremennik, III (1896), p. 91.


Cette attribution a été acceptée par les spécialistes modernes :

110 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


cf. Frolow, « La dédicace de Constantinople… », op. cit., p. 95 ;
A. A. Vasiliev, The Russian Attack on Constantinople in 860, Cambridge
(Mass.), Mediaeval Academy of America, 1946, p. 106 ; L. Bréhier,
Le Monde byzantin, vol. I, Vie et Mort de Byzance, Paris, Albin Michel,
1947, pp. 51, 545 (no CCXLV). Dans la seconde édition de Krumbacher,
le texte est encore recensé sans nom d’auteur et sans date (Geschi-
chte der byzantinischen Literatur, op. cit., p. 251, no 4, avec une citation
erronée des pages de l’édition de Mai). Dobschütz considérait
qu’il s’agissait d’une paraphrase du sermon sur l’hymne Akathistos,
composé après 717 (Christusbilder, op. cit., p. 132*).
[La meilleure édition du poème de Théodore le Syncelle
sur le siège de 626 est celle de L. Sternbach, « Analecta Avarica »
in Rozprawy akademii umiejetnsci. Wydziat filologiczny. Serya II.
Tom. XV, Cracovie, 1900, pp. 298 sq. Le texte de Sternbach est repro-
duit anastatiquement dans un appendice à F. Makk, « Traduction
et commentaire de l’homélie écrite probablement par Théodore
le Syncelle sur le siège de Constantinople en 626 », Acta univer-
sitatis de Attila Jozsef nominatae. Acta Antiqua et Archeologica XIX,
Szeged, 1975.]

112 A. Mai, Nova Patrum Bibliotheca, op. cit., p. 427.

113 Ibid., p. 428.

114 Georges Pisidès, Bellum avaricum, pp. 370 sq. (éd. Bonn,
p. 61). Cf. Frolow, « La dédicace de Constantinople… », op. cit., p. 95.
Ce passage est omis par Dobschütz, Christusbilder, op. cit., pp. 131* sq.

115 Oratio historica in festum tes akathistou (F. Combefis,


Historia haeresis monothelitarum, cols. 805 sq., partic. 818 C, in PG
92, col. 1365 C).
[Sur les comptes rendus hagiographiques de miracles
accomplis par des icônes de la Vierge pendant le siège de 717,
voir S. Gero, Byzantine Iconoclasm during the Reign of Leo III, with

111
Particular Attention to the Oriental Sources, Louvain, Peeters, 1973,
pp. 181 sq. Pour la réédition de l’un de ces textes, auparavant édité
par S. Lampros, voir C. Hatzidimitriou, « Synaxarium Constan-
tinopolitanum (August 16th) and the Arab Siege of Constantinople
in 717 A. D. », Byzantina 12 (1983), pp. 183 sq. J. Darrouzès a édité,
à partir du Mosquensis Mus. hist. 265 un nouveau texte assez
court, extrait d’un sermon attribué au patriarche Germain, sur
le siège par les Arabes ; le texte souligne, de façon remarquable,
le rôle direct joué par une icône de la Vierge placée sur la porte
de la ville, qui repousse le chef des Arabes monté sur un cheval
(« Deux textes inédits du patriarche Germain », Revue des études
byzantines 45 (1987), pp. 10-13.]

116 Pour un exemple, dans la littérature hagiographique,


de l’image d’un saint servant de palladium, voir infra, note 138
(encomium copte de saint Ménas, qui, toutefois, ne doit pas
remonter à la période pré-iconoclaste).

117 E. von Dobschütz, Christusbilder, op. cit., t. I, passim, partic.


p. 35 : A. Grabar, Martyrium, II, op. cit., p. 347. Pour les implications
apologétiques du terme d’άχειροποίητος, voir supra, p. 71.

118 Pour les références, voir supra, note 25 ; [Voir aussi infra,
p. 208, texte 32 du florilège].

119 Voir supra, note 76.

120 Voir supra, note 75.

121 Pour les références, voir supra, note 36 ; voir aussi E. von
Dobschütz, Christusbilder, op. cit., pp. 61 sq.

122 Voir supra, pp. 26 sq. [Voir aussi infra, p. 205, texte 30
du florilège.]

112 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


123 L’histoire apparaît pour la première fois dans un texte
grec, les Acta Thaddaei, c. 3 (pour les réf., voir supra, note 91).
Runciman (« Some Remarks on the Image of Edessa », op. cit.,
pp. 240, 245) ignore ce texte et cite Jean Damascène comme le
premier auteur à rapporter la légende. D’un autre côté, Runciman
affirme (p. 242) qu’une reproduction miraculeuse du visage
du Christ sur un tissu apparaît dans la littérature à une date bien
antérieure à propos de la légende de la Véronique. Mais la « Mort
de Pilate » qu’il cite à l’appui de sa thèse ne date certainement
pas du IVe siècle. Runciman ignore le raisonnement élaboré
de Dobschütz selon lequel l’épisode de l’image produite miracu-
leusement constitue une addition médiévale au cycle de Pilate,
addition dont la « Mort de Pilate » n’est même pas l’exemple le
plus précoce (E. von Dobschütz, Christusbilder, op. cit., pp. 248 sq. ;
pp. 278* note 8 et 301* note 49).

124 « tèn theoteukton eikona èn anthropôn men cheires ouk eirgasan-


to » [voir infra, p. 205, texte 30 du florilège] ; cf. E. von Dobschütz,
Christusbilder, op. cit., p. 70** et p. 118. Après Évagre, les textes les
plus anciens évoquant l’image et laissant supposer son existence
actuelle semblent être un traité arménien sur les images attribué
à Vrt’anes K’ert’ogh (S. Der Nersessian, « Une apologie des images
du septième siècle », op. cit., p. 60) et le sougitha syriaque sur la
cathédrale d’Édesse (A. Dupont Sommer, in Cahiers Archéologiques, II
(1947), pp. 31, 35 ; A. Grabar, ibid., p. 52 et, pour la date du texte, p. 58.
[Pour un commentaire fiable sur l’allusion à « l’image non
(faite) de main d’homme » dans l’hymne syriaque sur la cathé-
drale d’Édesse, voir Kathleen E. Mc Vey, « The Domed Church as
Microcosm: Literary Roots of an Architectural Symbol », Dumbarton
Oaks Papers 37 (1983), pp. 100-101. Voir également L. Rodney,
« The architecture of the Church of Edessa », en appendice à A.
Palmer, « The inauguration anthem of Hagia Sophia in Edessa... »
Byzantine and Modern Greek Studies 12 (1988), p. 160.]

113
125 Georgius Cedrenus, Hist. Comp., éd. Bonn, I, p. 685.

126 [Voir infra, p. 167, texte 7 du florilège.] Pour les références,


voir supra, note 51.

127 Il s’agit probablement de l’emploi le plus ancien


du terme appliqué à une image chrétienne que l’on connaisse.
Voir également supra, p. 71.

128 E. von Dobschütz, Christusbilder, op. cit., pp. 9** sq., partic.
p. 16**. [Voir infra, pp. 164 et 211, textes 6 et 33 du florilège.]

129 Le seul autre acheiropoïète à figurer dans un texte datant


avec certitude de la période pré-iconoclaste est une image de
saint Georges sur une colonne située à Lydda, en Palestine, qu’Arculf
mentionne dans sa Relatio, III, 4 (T. Tobler, Itinera et descriptiones,
op. cit., pp. 195 sq. ; cf. supra, notes 47, 61, 64) ; Arculf ne prétend
pas avoir vu cette image de ses yeux, comme l’avance Dobschütz
(Christusbilder, op. cit., p. 90), mais seulement qu’il en a entendu
parler à Constantinople. Pour la relation de cette image avec
la colonne de la Flagellation du Christ et avec les traditions ulté-
rieures concernant une image miraculeuse de la Vierge, elle
aussi conservée à Lydda, voir Dobschütz, pp. 79 sq. et 91 sq. Peut-
être le compte rendu d’Arculf sur un linge tissé par la Vierge
doit-il être à nouveau mentionné ici, puisqu’il se réfère à une
image dont on considère qu’elle n’a pas été fabriquée par un
simple mortel (voir supra, note 37). Les images réputées peintes
par saint Luc n’apparurent probablement pas avant la période
iconoclaste (Dobschütz, pp. 269 sq.). L’acheiropoïète romain est
mentionné pour la première fois sous le Pape Étienne II (752-757) ;
cf. L. Duchesne, Le Liber Pontificalis, I (Paris, 1886), p. 443.

130 A. Grabar, Martyrium, II, pp. 343 sq.

114 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


131 A. M. Schneider, in F. Dölger et A. M. Schneider, Byzanz,
Berne, A. Francke, 1952, p. 289.

132 Voir supra, pp. 41 sq.

133 A. Grabar, Martyrium, II, op. cit., p. 357, et supra, p. 44.

134 [Voir infra, p. 217, texte 34 du florilège] PG 46, col. 740 AB.

135 Sur la poussière comme substance intermédiaire, voir


K. Holl, « Der Anteil der Styliten… », op. cit., p. 397.

136 A. Grabar, Martyrium, II, op. cit., p. 346.

137 Voir supra, note 36 (Memphis) ; 37 (tapisserie de Jérusalem) ;


42 et 51 (Camuliana) ; 61 et 64 (Lydda) ; 65 et 91 (Édesse) ; 75 (colonne
de la Flagellation).

138 Voir supra, note 35 (prétoire de Pilate) ; 84 (Théodore


de Sykéon) ; 89 (saint Artémius) ; 93 (saint Anastase le Perse).
L’encomium copte de saint Ménas nous fournit un exemple
particulièrement frappant de l’association d’une image et d’une
relique : il contient une histoire destinée à concilier la présence
du corps du saint en Égypte à celle de son martyrium en Phrygie.
Le commandant d’un régiment phrygien, qui avait enlevé le
corps du saint de sa sépulture originelle située en Phrygie afin
qu’il serve de palladium à l’armée pendant une expédition en
Lybie, se trouva incapable de déplacer les reliques sacrées de
l’emplacement où elles avaient été déposées, dans le Maryut.
Cependant, il disposait d’une image du saint peinte sur une
tablette de bois : « il plaça l’image sur les restes du saint afin que
sa bénédiction et sa puissance demeurent dans l’image, qu’il
puisse l’emporter avec lui et qu’elle l’assiste, sur la mer et partout
où il irait, comme une arme invincible. » Ici, l’image sert à

115
l’évidence de substitut aux reliques ; elle est délibérément mise
en contact avec elles, à la manière d’un brandeum, afin de capter
leur puissance magique. Cependant, avec une légère incohérence,
l’auteur nous dit alors que le commandant laissa l’image sur les
restes du saint pour en prendre une autre « identique à la première »
(Drescher, Apa Mena, pp. 140 sq.). L’histoire est reprise – sans
modifications – dans la version éthiopienne de la Passion de
saint Ménas (C. M. Kaufmann, Ikonographie der Menas-Ampullen,
Le Caire, 1910, p. 42 ; E. A. W. Budge, Texts relating to Saint Mena
of Egypt and Canons of Nicaea in a Nubian Dialect, Londres, 1909,
pp. 54 sq.). La légende pourrait être un produit de la période au
cours de laquelle les images commencèrent à acquérir un statut
égal à celui des reliques et se trouvaient toujours plus souvent
utilisées comme palladia militaires. Mais les seules limites
chronologiques certaines sont « après 640 » et « avant 892/3 »
(Drescher, p. 127).

139 Voir supra, note 88 (l’abbé Théodore) et, pour les stylites,
p. 43 et infra, notes 143 sq.

140 K. Holl, « Der Anteil der Styliten… », op. cit.

141 Voir supra, note 32 (Théodoret). Il faut cependant rappeler


que cette pratique est mentionnée à Rome et que les Occidentaux
ont peut-être agi avec une plus grande innocence sur ce plan
(voir également supra, p. 16, pour la version de l’histoire de
la statue de Panéas par Rufinus). Holl a peut-être eu tendance
à surestimer le rôle de la Syrie, des stylites en particulier, dans
la promotion des pratiques magiques. L’autre exemple qu’il cite
est tiré de la Vie de saint Syméon le jeune (« Der Anteil der Styliten… »,
op. cit., pp. 390 sq. no 3b et 3c ; voir infra, note 144) ; à l’époque où
ce texte était écrit, toutes sortes d’autres images étaient réputées
posséder des pouvoirs miraculeux, y compris des images qui
ne s’y prêtaient pas particulièrement, comme nous allons le voir

116 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


dès à présent. Pour un compte rendu critique de l’article de Holl,
voir H. Delehaye in Analecta Bollandiana, 27 (1908), pp. 443 sq.

142 A. Grabar, Martyrium, II, op. cit., pp. 348 sq.

143 K. Holl, « Der Anteil der Styliten… », op. cit., p. 391.

144 Il est vrai qu’à propos de saint Syméon le Jeune, nous


voyons des portraits du saint rapportés par des visiteurs en guise
d’eulogiai (Cf. K. Holl, « Der Anteil der Styliten… », op. cit., p. 390,
note 3a). Mais dans les deux passages de sa Vie où les images
jouent un rôle dans l’accomplissement d’un miracle, il est dit
que ces images sont exposées en signe de gratitude par ceux qui
reviennent chez eux après avoir visité le saint avec succès. Rien
n’indique que ces portraits aient dû être bénis, ou seulement
regardés ou touchés par celui-ci ; pour ces miracles, voir supra
pp. 25 sq., 33.

145 K. Holl, « Der Anteil der Styliten… », op. cit., pp. 108 sq.

146 Voir supra, notes 56, 58 (Grégoire de Tours).

147 Voir supra notes 38 (Jean Moschus) ; 57 (ibid.) ; 59 (Anastase


le Sinaïte) ; 62 (Arculf) ; 85 (Théodore de Sykéon) ; 86 (Sophronius) ;
92 (ibid.). On admet que la date des textes respectivement attri-
bués à Jean Moschus et à Sophronius, (le VIIe siècle), n’est pas
certaine. Autres exemples : les miracles 13 et 15 des saints Cosme
et Damien (supra, note 89) et la légende de Beyrouth avec les
récits coptes qui s’y rapportent (supra, note 59), mais, comme
nous l’avons vu, aucun de ces textes ne peut être tenu de manière
certaine pour un document pré-iconoclaste.

148 Voir supra, notes 86 (Tetrapylon d’Alexandrie) ; 57 et 105


(Cherubim à Antioche) ; 63 (Chalkè à Constantinople). Les épisodes

117
militaires cités dans les notes 108, 112 et 115 concernent aussi des
images ordinaires.

149 Voir supra, pp. 28 sq. Pour le rôle des substances et des
objets intermédiaires dans le culte des reliques, voir F. Cabrol et
H. Leclercq, Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, II, 1,
cols. 1132 sq., s. v. « Brandeum » ; XIV, 2, cols. 2313 sq., s. v. « Reliques
et Reliquaires » ; voir également supra, p. 41 (la poussière
comme substance intermédiaire).

150 Voir supra, notes 86 et 87.

151 Voir supra, note 86 ; il faut cependant remarquer que ce


texte pourrait être d’origine composite et que les rôles analogues
attribués à l’huile en deux lieux différents pourraient relever
d’un ajout postérieur.

152 K. Holl, « Der Anteil der Styliten… », op. cit., p. 388.

153 Voir supra, pp. 26 sq.

154 Voir supra, p. 65, Hypatius d’Éphèse. Cf. également


les remarques très pertinentes de Holl sur le rôle de la théologie
dans le développement du culte des images (in « Der Anteil der
Styliten… », op. cit., p. 389).

155 Voir supra, p. 70.

156 E. von Dobschütz, Christusbilder, op. cit., pp. 119 sq.

157 S. Runciman, « Some Remarks on the Image of Edessa »,


op. cit., pp. 242 sq.

158 Voir supra, p. 57 (Philoxène).

118 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


159 E. von Dobschütz, Christusbilder, op. cit., pp. 141 sq.

160 E. von Dobschütz trouve un faible soutien à sa thèse


« chalcédonienne » dans le fait que des légendes orthodoxes
tardives attribuent la découverte de l’icône à un évêque portant
le nom grec d’Eulalios, un personnage par ailleurs inconnu
(Christusbilder, op. cit., p. 119, pp. 64** sq.). Or ce nom apparaît déjà
dans la version de la légende donnée par les patriarches d’Orient
dans leur lettre à l’Empereur Théophile (L. Duschesne, « L’icono-
graphie byzantine… », op. cit., p. 280), mais il ne figure pas dans
le texte de cette lettre édité par Combéfis, que Dobschütz a utilisé
(p. 68**).

161 Georges Pisidès, De expeditione persica, I, pp. 145 sq.


(éd. Bonn, p. 9).

162 E. von Dobschütz, Christusbilder, op. cit., pp. 55 sq.,


pp. 12** sq.

163 Mansi XI, cols. 977E – 980B. [Pour le texte du canon 82


du concile in Trullo, voir à présent l’édition critique de P.-P.
Joannou, Discipline générale antique (II-IXe s.), t. I, 1, Les canons des
conciles œcuméniques, Grottaferrata, Libreria ed. Vaticana, 1962,
p. 218, lignes 16 sq. Pour une étude générale du canon, qui n’est
cependant pas convaincante dans tous ses détails, voir à présent
H. J. Vogt, « Der Streit um das Lamm. Das Trullanum und die
Bilder », Annuarium Historiae Conciliorum 20 (1988), pp. 137 sq.]

164 Voir supra, pp. 13 sq.

165 Voir pourtant supra, pp. 14 sq. et note 23.

166 Voir supra, pp. 13 sq. ainsi que la note 17 et le texte cité
par H. Kruse, Studien zur offiziellen Geltung…, op. cit., p. 35, note 2

119
(attribué à saint Jean Chrysostome) et p. 36, note 1 (probablement
de Severianus de Gabala : cf. S. Der Nersessian, « Une apologie
des images du septième siècle », op. cit., p. 61) ; Setton, Christian
Attitude towards the Emperor…, op. cit., p. 200.

167 Voir supra, pp. 14 sq., ainsi que la note 23. Pour les illus-
trations picturales de cette pratique, voir l’édition de la Notitia
Dignitatum de H. Omont (Paris, Ms lat. 9661, publié par la Biblio-
thèque Nationale, Département des Manuscrits, Paris, s. d.),
pls. 17, 62 (H. Kruse, Studien zur offiziellen Geltung…, op. cit., p. 100).

168 H. Kruse, Studien zur offiziellen Geltung…, op. cit., pp. 23 sq.

169 Ibid., pp. 79 sq.

170 ina bebaiôtai ta ginomena ; cf. Severianus de Gabala,


De mundi creatione oratio VI, 5 (PG 56, col. 489 ; cité par H. Kruse,
Studien zur offiziellen Geltung…, op. cit., p. 79 note 3). Severianus
utilise l’expression que l’auteur des Actes de Maxime le Confesseur
devait employer deux-cent cinquante années plus tard pour
décrire la fonction des icônes du Christ et de la Vierge lors de
la résolution de la dispute des clercs à Bizya (voir supra, p. 23 et
la note 49). Mais il ne semble pas exister de preuve de la réalité
d’un serment passé sur une image impériale.

171 H. Kruse, Studien zur offiziellen Geltung…, op. cit., pp. 64 sq.

172 Ibid., pp. 89 sq. Voir aussi le résumé donné par A. Grabar,
L’Empereur dans l’art byzantin, Paris, Les Belles Lettres, 1936, pp. 4 sq.

173 Reallexikon für Antike und Christentum, Th. Klauser (éd.),


fasc. 6, Leipzig, 1943, cols. 839 sq. (s. v. Asylrecht).

174 Cod. Theod., 9, 44, 1.

120 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


175 Cod. Iust. I, 25, 1. Dig. 47, 10, 38 ; 48, 19, 28, 7.

176 Traité attribué à Vrt’anes K’ert’ogh (S. Der Nersessian,


« Une apologie des images du septième siècle », op. cit., p. 60) ;
Jean Damascène, Sacra Parallela (PG 96, col. 17 A) [voir infra, p. 217,
texte 35 du florilège].

177 Cf. le passage de Severianus de Gabala cité supra, note


170 ; voir aussi un propos d’Anastase, patriarche d’Antioche à la
fin du VIe siècle, cité par Jean Damascène (PG 94, cols. 1316 CD,
1412 B) et par le concile de 787 (Mansi XIII, col. 56 E). La même
opinion apparaît dans la littérature juive et chrétienne primitive
comme explication de l’origine de l’idolâtrie ; cf. E. Bevan, Holy
images, Londres, Allen & Unwin, 1940, pp. 68 sq.

178 Cf. A. Alföldi, Römische Mitteilungen, op. cit., pp. 70 sq.

179 P. Martin, Chronique de Josué le Stylite écrite vers l’an 515,


Leipzig, Brockhaus, 1876, p. XXVI ; E. von Dobschütz, Christusbilder,
op. cit., p. 177* [voir infra, pp. 218-219, textes 36 et 37 du florilège].

180 Voir supra, pp. 23 sq.

180’ Hamilton et Brooks (The Syriac Chronicle, op. cit., p. 321


et note 10) ont déchiffré, dans le terme en question, une forme
syrienne du grec lauraton. D’autres éditeurs du texte ont inter-
prété le terme différemment – Noeldeke, dont la leçon a été
utilisée par Dobschütz dans son Christusbilder, a proposé oratès –,
mais la lecture d’Hamilton et Brooks paraît la plus satisfaisante.
C. Moss, du département des Manuscrits orientaux du British
Museum, qui a eu l’obligeance de regarder le texte original dans
Add. Ms. 17202, m’a fait savoir que d’un point de vue paléogra-
phique, le mot litigieux ne présente pas de difficultés. La question
est simplement de savoir si la lettre lamed au commencement

121
du mot fait partie de la racine ou s’il s’agit d’une préposition.
Puisque le mot est coordonné à son antécédent immédiat, qui
est sans préposition, Moss conclut que le lamed doit faire partie
de la racine et par suite, est favorable à la lecture de Brooks.
Je suis très reconnaissant à C. Moss de m’avoir fait bénéficier
de son regard d’expert en la matière. Pour lauraton comme terme
servant à désigner l’image du souverain, voir H. Kruse, Studien
zur offiziellen Geltung…, op. cit., pp. 47 sq.
[L’édition du texte syriaque désormais généralement citée
(voir supra, le commentaire à la note 51) évoque « l’image et le l’wrt’
du roi et maître de ce qui est là-haut et ici-bas » (Pseudo-Zacharias,
éd. Brooks, p. 200, lignes 1-2). Le mot l’wrt’’est en fait, très proba-
blement, une transcription de lauraton ; la présente occurrence
constitue apparemment un hapax legomenon en syriaque.]

181 Saint Syméon le Jeune, Lettre à Justin II (Mansi XIII,


col. 161 AB ; voir également supra, p. 56). Traité attribué à Vrt’anes
K’ert’ogh (S. Der Nersessian, « Une apologie des images du sep-
tième siècle », op. cit., p. 61) ; L’auteur donne son opinion en citant
un passage de Severianus de Gabala. Mais la version plus complète
du passage que donne Jean Damascène (PG 94, col. 1408 sq.) révèle
de façon évidente que Severianus parlait de l’honneur rendu à
l’image impériale comme d’un précédent non de l’adoration des
images du Christ, mais de l’adoration de la Croix. Si le passage
en question permet un tel malentendu, c’est que Severianus, pour
les besoins de l’analogie, avait décrit la Croix comme athanatou
basileôs eikôn, l’image de l’Empereur immortel. C’est l’un des
nombreux exemples de la manière dont, au VIIe et au VIIIe siècle,
les défenseurs de l’adoration des images font un usage littéral
des passages de la patristique où le terme eikôn est employé
figurativement.

182 Cf. l’usage que fait Jean Damascène du passage tiré de


Severianus (voir la note précédente) et son propre commentaire

122 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


sur la même question (PG 94, col. 1357 AB). Cf. aussi Nicéphore
(PG 100, col. 485 AB).

183 P. Lucas Koch, « Christusbild-Kaiserbild », Benediktische


Monatsschrift (1939), pp. 85 sq. ; partic. pp. 88 sq., 103 sq.

184 W. H. Worrell, The Coptic Manuscripts…, op. cit., p. 375.

185 Pour les références, voir supra, note 51.

186 Voir supra, note 125.

187 Voir supra, pp. 33 sq.

188 H. Kruse, Studien zur offiziellen Geltung…, op. cit., pp. 64 sq.

189 Voir supra, note 63.

190 Vita Constantini, Livre III, 3 (Die grieschischen christlichen


Schriftsteller, VII (Eusebius Werke), I, éd. I. A. Heikel, Leipzig, 1902,
p. 78).

191 On ne connaît cette image qu’à travers des sources


postérieures à l’iconoclasme : elles concernent la nouvelle
décoration de la pièce par Michel III, mais l’une de ces sources
indique explicitement que « le Christ peint une nouvelle fois
resplendit au-dessus du trône impérial » (Greek Anthology, I, 106 ;
éd. Loeb I, 46). Dans la mesure où la pièce fut décorée pour la
première fois sous Tibère II (Léon le Grammairien, Chronographia,
éd. Bonn, pp. 137 sq.), il n’est pas excessif de soutenir que cette
décoration comprenait déjà une image du Christ placée dans
l’abside. Cf. S. Der Nersessian, « Le décor des églises du IXe siècle »,
in Actes du VIe Congrès International d’Études Byzantines, II, Paris,
1951, pp. 315 sq., partic. p. 320.

123
192 A. Grabar, L’Empereur dans l’art byzantin, op. cit., pp. 24 sq.

193 Cf. en particulier le « Type 2 » dans W. Wroth, Catalogue


of the Imperial Byzantine Coins in the British Museum, II, Londres,
1908, pp. 331 sq. et pl. XXXVIII, no 15, 16, 20, 21, 24 ; pl. XXXIX, no 3.
A. Grabar, L’Empereur dans l’art byzantin, op. cit., pp. 164 sq.

194 Cf. en particulier Cedrenus, Hist. Comp., éd. Bonn, I,


pp. 680 sq.

195 Peut-être est-ce là le signe d’un usage des représentations


religieuses excédant très largement celui que Justinien – quelle
qu’en soit la raison – avait bien voulu admettre dans les églises.
Il serait certainement fructueux d’examiner, à la lumière de ce
que nous avons dit plus haut, la remarque que Théophane place
au commencement de son récit du règne de Justin II : « Cet
homme, à cause de sa piété, décora les églises édifiées par Justi-
nien ; la grande église des Apôtres, d’autres églises encore et
des monastères » (éd. Bonn, I, p. 373). Ce passage semble indiquer
un changement de politique plutôt que le simple achèvement,
par Justin II, de la tâche entreprise par son prédécesseur, comme
Heisenberg l’a suggéré (« Die alten Mosaïken der Apostelkirche
und der Hagia Sophia », in Xenia, Hommage international à l’Uni-
versité nationale de Grèce à l’occasion du 75e anniversaire de sa fondation,
Athènes, 1912, pp. 121 sq., partic. pp. 140, 145). Il est vrai que
Théophane ne mentionne pas explicitement de représentations
figuratives, mais nous savons, au moins dans le cas de Sainte-
Sophie, qu’il existait de telles représentations avant la période
iconoclaste, dans la mesure où les Empereurs post-iconoclastes
décrivaient leur œuvre comme une renaissance (S. G. Mercati,
« Sulle iscrizioni di Santa Sofia », Bessarione, XXVI (1922), pp. 200
sq., partic. 204). Comme dans le cas du Chrysotriclinium (supra,
note 191), il est logique de rapporter les travaux originaux à
un souverain auquel on attribue effectivement la responsabilité

124 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


de la décoration de l’édifice. C’est le cas de Justin II, même si
l’on néglige le poème de Corippus et quelques autres textes peu
sûrs ajoutés par Heisenberg. Mais le problème de la première
décoration figurative de Sainte-Sophie et de l’église des Saints-
Apôtres est très complexe et ne peut se résoudre par une simple
référence à un courant massif d’« iconophilie » enthousiaste
et agressif qui se serait manifesté sous le règne des successeurs
de Justinien. Cf. également S. Der Nersessian, « Le décor des
églises du IXe siècle », op. cit.

196 Voir supra, p. 24 et note 54.

197 A. Grabar, L’Empereur dans l’art byzantin, pp. 163 sq. Pour
un excellent résumé de la signification générale de la période,
qui inaugure ce que l’on peut appeler la phase médiévale de
l’histoire byzantine, voir G. Ostrogorsky, Geschichte des byzantini-
schen Staates, Munich, 1952 (2e éd.), pp. 65 sq. [Trad. fr. J. Gouillard,
Histoire de l’État byzantin, Paris, 1983, pp. 117 sq.]

198 A. Grabar, L’Empereur dans l’art byzantin, op. cit., pp. 169
sq. P Lucas Koch, « Christusbild-Kaiserbild », op. cit. G. B. Ladner,
« Origin and Significance of the Byzantine Iconoclastic Contro-
versy », Mediaeval Studies (publié par l’Institut pontifical d’Études
médiévales de Toronto) II, (1940), pp. 127 sq., partic. pp. 133 sq.

199 Cf. les interprétations « anachroniques » de l’iconoclasme


byzantin que Ladner (op. cit., pp. 133, 136) attribue au rationalisme
du XIXe siècle et au protestantisme du XVIe siècle et ses propres
allusions (Ibid. pp. 138, 140) aux événements contemporains.

200 A. Grabar, L’Empereur dans l’art byzantin, op. cit., pp. 166 sq.

201 Pour la critique de cette approche de l’iconoclasme,


avec des références particulières à l’article du Professeur

125
Ladner, voir M. V. Anastos, « Church and State during the First
Iconoclastic Controversy » Ricerche di Storia Religiosa 1 (1954-1957),
pp. 279 sq. En insistant sur la légitimité de l’absolutisme byzantin,
le professeur Anastos n’écarte pas en fait la possibilité d’un
changement d’accent provisoire dans la conception de l’Empereur
comme mandataire du Christ, conception que nous avons exposée
plus haut. En rédigeant ce chapitre, je reçois un mot du profes-
seur Grabar à qui j’avais soumis, dans une lettre, certaines des
conclusions de la présente étude. Il m’apprend qu’il travaille à
présent dans une direction exactement parallèle et qu’il prépare
une monographie sur l’iconoclasme [L’Iconoclasme byzantin. Dossier
archéologique, Paris, Collège de France, 1957 (rééd. Flammarion,
1998)]. Bien qu’il maintienne l’idée que le culte des images dérive
du culte des reliques, idée qu’il avait déjà exposée dans Martyrium,
il attache à présent lui aussi une grande importance au précédent
créé par la tolérance de l’Église à l’égard du culte du portrait du
souverain et à la politique délibérée des successeurs de Justinien,
qui favorisèrent activement l’adoration des images du Christ
et des Saints.

201’ [Ernst Kitzinger mentionne (The Art of Byzantium, op. cit.,


p. 391) la révision non autorisée de développements entiers
contenus dans ce chapitre de son étude par L. W. Barnard, d’abord
dans un article (« The Emperor Cult and the Origins of the Icono-
clastic Controversy », Byzantion 43 (1973), pp. 13 sq.) puis dans
la monographie qui en est issue, The Graeco-Roman and Oriental
Background of the Iconoclastic Controversy, Leiden, Brill, 1974,
pp. 65 sq. Pour de plus amples informations, voir le recensement
du livre de Barnard par S. Gero dans Byzantinische Zeitschrift 69
(1976), pp. 103-105.]

202 Voir supra, pp. 25 sq. Dans le texte cité dans les notes
60 et 61, les attaquants sont décrits comme étant des infidèles.
L’histoire d’Anastase le Sinaïte (note 59) traite de l’attentat contre

126 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


une image par des Sarrasins. Des juifs figurent dans les attentats
relatés par Grégoire de Tours (note 58) et Arculf (note 62) ainsi
que dans la légende de Beyrouth et ses variantes coptes (note 59).

203 Voir supra, p. 60.

204 Cette remarque pose un problème intéressant et encore


non résolu qui concerne l’époque à laquelle les juifs abandon-
nèrent les représentations figurées et les raisons de cette attitude.
Selon J. B. Frey (« La question des images chez les Juifs à la lumière
des récentes découvertes », Biblica, XV (1934), pp. 265 sq., partic. 298),
les juifs en revinrent à une interprétation littérale de la loi édictée
contre les images taillées à la fin du Ve et au VIe siècle. Les limites
chronologiques de ce phénomène peuvent être quelque peu – ou
peut-être considérablement – resserrées, au regard d’un ensemble
de mosaïques de pavement qui se trouvent dans les synagogues
palestiniennes et qui comportent des représentations de sujets
animés ; cf. M. Avi-Yonah, « Mosaic Pavements in Palestine »,
The Quarterly of the Department of Antiquities in Palestine, II (1933),
pp. 136 sq., 163 sq. ; III (1934), pp. 26 sq., 49 sq. : no 22 (Beit Alfa) ;
69 (‘Ein Duk) ; 86 (El Hammeh) ; 345 (Esfia ; voir aussi Ibid., III (1934),
pp. 118 sq.). Si l’on excepte le no 86 (qui ne semble pas avoir fait
l’objet d’une publication), ces mosaïques forment un groupe
cohérent : si l’on s’appuie sur le fait qu’un empereur nommé
Justin se trouve mentionné dans l’une des inscriptions tracées
sur le pavement de Beit Alfa, ce groupe doit être daté au VIe siècle.
E. Sukenik (The Ancient Synagogue of Beth Alpha, Jérusalem/Londres,
Oxford University Press, 1932, pp. 57 sq.) était enclin à identifier
l’empereur mentionné dans l’inscription avec Justin 1er (518-527),
mais il admettait sans réticences qu’il puisse s’agir de Justin II,
auquel cas des sujets animés auraient été encore représentés
par les juifs dans les années 560 et 570. Leur polémique contre
l’idolâtrie chrétienne prit son essor peu après cette époque.
Il y eut à l’évidence un retour soudain au rigorisme au sein des

127
communautés juives. Cette réaction fut-elle causée par le spec-
tacle de la diffusion massive de l’adoration des images parmi
les chrétiens, diffusion que les juifs pouvaient espérer exploiter
plus efficacement à des fins polémiques si toutefois ils pouvaient
eux-mêmes se targuer d’une stricte observance de la loi biblique ?
[Sur l’évolution de la position des juifs face aux images
durant la période considérée, voir par exemple J. M. Baumgarten,
« Art in the Synagogue. Some Talmudic Views », Judaism 19 (1970),
pp. 196 sq. et G. Blidstein, « Nullification of Idolatry in Rabbinic
Law », Proceedings of the American Academy for Jewish Research 41-42
(1973-1974), pp. 1 sq.]

205 PG 86 bis, col. 3215 sq. Mansi XIII, cols. 160D – 161E. Voir
H. Delehaye, Les Saints Stylites, op. cit., p. LXXV.

206 N. H. Baynes, « The Icons before Iconoclasm », op. cit.,


p. 96. Cf. supra, p. 61.

207 Voir supra, p. 103.

208 Voir supra, pp. 8 sq. et 16 sq.

209 Cf. l’extrait de l’Histoire ecclésiastique de Jean


Diakrinomenos lu au concile de 787 (Mansi XIII, cols. 180E – 181B)
[voir infra, p. 220, texte 38 du florilège]. Pour cet extrait, voir
Pauly-Wissowa, Real-Encyclopaedie der Klassischen Altertumswissen-
schaft, vol. II, V, Stuttgart, 1934, col. 1879 sq., s. v. Theodoros
Anagnostes. Je dois cette référence au professeur P. J. Alexander
qui a également attiré mon attention sur le fait que les références
à l’iconoclasme de Philoxène qui se trouvent dans la Chronique
de Théophane (éd. Bonn, I, p. 207) paraissent inexactes. Selon
Théophane, Philoxène refusait les images du Christ et des saints,
mais il s’agit probablement d’une simple erreur, le mot agiôn
ayant été lu pour aggelôn.

128 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


[Sur les hypothétiques pratiques iconoclastes
du monophysite Philoxène, voir S. Brock, « Iconoclasm and
the Monophysites », in A. Bryer et J. Herrin (éd.), Iconoclasm,
Birmingham, Centre for Byzantine Studies, 1977, pp. 53-54
et A. de Halleux, Philoxène de Mabbug, Louvain, Imprimerie
orientaliste, 1963, pp. 88-89.]

210 Mansi XIII, col. 184 A.

211 Voir supra, p. 17 et note 33 [voir aussi infra, p. 221, texte
39 du florilège]. Pourquoi Julien fait-il une exception pour les
sculptures placées sur les portes ? Il est difficile de répondre à cette
question. Entendait-il par là la porte principale de l’église située
sur la rue où l’on pouvait déceler immédiatement toute forme
d’abus ? En tous cas, la distinction que Julien trace entre les
peintures et la sculpture est d’un grand intérêt au regard de la
position dominante que la peinture occupa en fait tout au long
de l’histoire du christianisme primitif et de l’art byzantin.
La sculpture – et particulièrement la sculpture en ronde-bosse – 
représentait l’idole par excellence contre laquelle, depuis le
commencement, l’opposition chrétienne – et pré-chrétienne – 
était dirigée : cf. en particulier les références à l’ignominie
des matériaux de la sculpture qui constituent un lieu commun
polémique contre l’idolâtrie païenne pour les premiers chrétiens,
mais aussi pour les juifs et les païens (pour les références, voir
J. Geffcken, Zwei griechische Apologeten, Leipzig/Berlin, Teubner,
1907, p. XXI, note 1 et p. XXVI ; ibid. pp. 102, 146, 188 note 3, 223,
pour l’usage, par les apologètes, de l’histoire rapportée par Hérodote
de la bassine d’Amasis. Cf. également J. Geffcken, « Der Bilders-
treit des heidnischen Altertums » Archiv für Religionswissenschaft,
XIX (1916-1919), pp. 286 sq., partic. 288 sq.). Pour les écrits rabbini-
ques refusant spécifiquement les images en ronde-bosse,
voir E. Bevan, Holy Images, op. cit., pp. 53 sq. Par ailleurs, lorsque
l’opposition à l’art chrétien prit, pour la première fois, une forme

129
articulée, elle se concentra exclusivement sur la peinture : cf.
concile d’Elvire (supra, note 6) ; la lettre d’Eusèbe à l’Impératrice
Constantia (supra, notes 6 et 28 ; voir en partic. PG 20, col. 1545 C) ;
Augustin (supra, note 25). Les fragments attribués à Épiphane
montrent également une préoccupation constante et bien struc-
turée pour la peinture : cf. G. Ostrogorsky, Studien zur Geschichte
des byzantinischen Bilderstreites, op. cit., pp. 67 sq., no 3, 5, 6, 14, 15,
17, 22-25, 27, 31 ou K. Holl, Gesammelte Aufsätze…, op. cit., pp. 356 sq.,
no 1, 5, 12, 14, 21-26, 29, 30, 34. Si Épiphane se concentre sur la
peinture, ce n’est certainement pas qu’il considérait la sculpture
comme une chose plus acceptable, mais qu’elle était au contraire
exclue d’emblée (cf. Holl, p. 377 et note 5 ; E. Bevan, Holy images,
op. cit., pp. 51 sq., avec des citations d’Épiphane). Julien, en limi-
tant son opposition à la sculpture, faisait décidément preuve
de modération, et, en un sens, ses attaques constituaient une
défense efficace des images peintes. Dans la seconde moitié
du VIe siècle, des opposants plus radicaux aux images religieuses
devaient reprendre les attaques contre la peinture. Ils devaient
même adapter l’ancien argument dirigé contre la bassesse du
matériau du sculpteur pour l’adapter aux pigments dont se sert
le peintre : cf. S. Der Nersessian, « Une apologie des images du
septième siècle », op. cit., pp. 68, 76.

212 Ch. Diehl semble avoir été le premier à ajouter aux deux
exemples d’iconoclasme attestés au VIe siècle que nous allons
citer une « véritable rébellion » contre les images qui eut lieu à
Antioche (Manuel d’art byzantin, Paris, Picard, 1910, p. 335 ; même
remarque dans la seconde édition, I (1925), p. 361). Cette rébellion
est mentionnée depuis comme un événement authentique dans
toute la littérature usuelle. Ne pourrait-il s’agir d’une référence
emphatique à un raid perpétré par un groupe d’infidèles contre
une image de saint Syméon le Jeune qui, selon la Vie du saint,
se trouvait à Antioche (supra, note 60) ? [Voir infra, p. 163, texte 5
du florilège.]

130 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


213 PL. 77, cols. 1027 sq., 1128 sq. [Voir infra, pp. 225-227,
textes 40 et 41 du florilège].

214 S. Der Nersessian, « Une apologie des images du septième


siècle », op. cit., pp. 70 sq. Voir également P. J. Alexander « An ascetic
sect of Iconoclasts in seventh-Century Armenia », in Late Classical
and Medieval Studies in Honor of A. M. Friend Jr., Princeton, Prince-
ton University Press, 1955, pp. 151 sq. [Sur le problème historique
de l’iconoclasme arménien et plus généralement, sur l’attitude
des Arméniens face aux images, voir à présent l’ouvrage en grec
du Père Y. Petrosian, Athènes, Faculté de théologie, 1987, plus
particulièrement pp. 63 sq., 140 sq.]

215 S. Der Nersessian, « Une apologie des images du septième


siècle », op. cit., pp. 73 sq.

216 Voir supra, notes 28, 30 (Eusèbe, Épiphane).

217 S. Der Nersessian, « Une apologie des images du septième


siècle », op. cit., p. 72. Cf. ibid., pp. 85 sq., note 131, sur la question
des affiliations sectaires de ces iconoclastes.

218 Ibid., pp. 58 sq., 72, 78.

219 Voir supra, pp. 53-54.

220 Mansi XIII, cols. 197A – 200B. Dans la traduction de


K. A. C. Creswell (Ars Islamica, XI-XII (1946), p. 164) une remarque
importante (Mansi XIII, col. 197 DE) est omise. Durant les derniers
mois de sa vie, le professeur A. A. Vasiliev préparait une nouvelle
étude de l’édit de Yazid. [A. Vasiliev, « The Iconoclastic Edict of
the Caliph Yazid II, A. D. 721 », Dumbarton Oaks Papers 9-10 (1956),
pp. 23 sq. Sur l’édit de Yazid, voir également S. Gero, Byzantine
Iconoclasm during the Reign of Leo III, pp. 59 sq. et G. R. D. King,

131
« Islam, Iconoclasm and the Declaration of Doctrine », Bulletin
of the School of Oriental and African Studies 48 (1985), pp. 267 sq.
Sur le contexte musulman, voir à présent D. van Reenen, « The
Bilderverbot, a New Survey », Der Islam, 67 (1990), pp. 27 sq.].

220’ Je me cantonne aux énoncés qui concernent les images


réelles. Sur « l’image » comme concept théorique dans la littérature
patristique, voir G. B. Ladner, « The Concept of the Image in the
Greek Fathers and the Byzantine Iconoclastic Controversy »,
Dumbarton Oaks Papers, VII (1953), pp. 1-34. Le professeur Ladner
retrace les influences de ce concept sur la défense des images
religieuses pendant l’iconoclasme et ne traite que de manière
incidente de la défense des images chrétiennes réelles dans les
temps préiconoclastes, qui fait l’objet de notre propos.

221 Voir supra, note 7.

222 Voir supra, p. 17 et note 33 ; p. 57 et note 211 et p. 65.

223 Entre autres, par Léonce de Néapolis (voir supra, pp. 68 sq.) ;
cf. S. Der Nersessian, « Une apologie des images du septième
siècle », op. cit., pp. 79 sq. et N. H. Baynes, « The Icons before
Iconoclasm », op. cit., pp. 97 sq. ; Ibid. p. 103, la suggestion selon
laquelle certaines de ces apologies étaient réellement conçues
pour le bénéfice des chrétiens. [Pour une réaffirmation convain-
cante de l’authenticité de cette œuvre attribuée à Léontios et
assignée au VIIe siècle, voir V. Déroche, « L’authenticité de L’Apo-
logie contre les Juifs de Léontios de Néapolis », Bulletin de
correspondance hellénique 110 (1986), pp. 655 sq. L’auteur dispose
des arguments mis en évidence par P. Speck, dans un appendice
à sa discussion du texte d’Hypatios (cf. supra, le commentaire
sur la note 33)].

132 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


224 S. Der Nersessian, « Une apologie des images du septième
siècle », op. cit., p. 82 (Jean de Salonique ; homélie attribuée à saint
Syméon le Jeune ; Constantin Cartophylax). Cf. N. H. Baynes,
« The Icons before Iconoclasm », op. cit., pp. 95 sq.

225 Traité attribué à Vrt’anes K’ert’ogh (S. Der Nersessian,


« Une apologie des images du septième siècle », op. cit., pp. 58 sq.).

226 Grégoire de Nysse, Oratio laudatoria Sancti ac Magni


Martyris Theodori (PG 46, col. 757 D). Cf. également l’emploi
d’expressions similaires par des auteurs d’Afrique du Nord
au commencement du Ve siècle (supra, note 25).

227 Le même argument avait été utilisé auparavant par


les apologistes de l’adoration des images païennes ; cf. Ch. Clerc,
Les Théories relatives au culte des images chez les auteurs grecs du
IIe siècle après J.-C, Paris, Fontemoing, 1915, p. 234.

228 W. Elliger, Die Stellung der alten Christen…, op. cit., pp. 85
sq. (Paulin de Nole).

229 Ibid., pp. 61 sq. (Basile), 65 (Grégoire de Nysse), 77 sq. (Nil).

230 Voir supra, note 213 [et infra, pp. 225-227, textes 40 et 41


du florilège].

231 Oratio de deitate filii et spiritus sancti (PG 46, col. 572 C)
[voir infra, p. 227, texte 42 du florilège].

232 Ch. Clerc, Les Théories relatives au culte des images, op. cit.,
pp. 95 (Platon), 206 sq. (Dion Chrysostome), 225 (Olympiodore) ;
J. Geffcken, « Der Bilderstreit des heidnischen Altertums », op. cit.,
p. 306 (Porphyre).

133
233 Voir supra, p. 14.

234 Voir supra, p. 15 et note 24.

235 J. Bidez, Philostorgius Kirchengeschichte, op. cit., p. 78.

236 De ecclesiastica hierarchia, I, 2 (PG 3, col, 373 AB) [trad. fr.


M. de Gandillac, Œuvres complètes du Pseudo-Denys l’Aréopagite,
Paris, Aubier, 1980 (2e éd.), p. 247].

237 Voir supra, p. 17, note 33 et p. 57, note 211. [Sur les
apologètes païens des images, voir V. Fazzo, La giustificazione
delle immagini religiose dalla tarda antichità al cristianesimo, I.
La tarda antichità, Naples, Ed. Scientifiche italiana, 1977.]

238 ... kosmon ulikon eômen epi tôn ierôn... ôs ekastèn tôn pistôn
taxin oikeiôs eautè cheiragôgeisthai kai pros to theion anagesthai
sugchorouvtes, ôs tinôn kai apo toutôn epi tèn voètèn euprepeian
cheiragôgoumenôn kai apo tou kata ta iera pollou phôtos epi to noèton
kai aulon phôs (F. Diekamp, « Analecta Patristica », op. cit., p. 128)
[voir infra, p. 221, texte 39 du florilège].

239 De coelesti hierarchia, I, 2 (PG 3, col. 121 CD) trad. fr


Œuvres complètes du Pseudo-Denys l’Aréopagite, op. cit., pp. 186-187.
[Sur le problème général des affinités du mode d’argumentation
d’Hypatios avec le Pseudo-Dyonisisme, Ernst Kitzinger men-
tionne les contributions suivantes (in The Art of Byzantium, op. cit.,
p. 391) : J. Gouillard, « Hypatios d’Éphèse ou du Pseudo-Denys
à Théodore Studite », Revue des études byzantines 19 (1961), pp. 63-75
et S. Gero, « Hypatius of Ephesus on the Cult of Images », (in
Christianity, Judaism and Other Greco-Roman Cults: Studies for Morton
Smith at Sixty, II (Early Christianity), Leiden, Brill, 1975, pp. 208 sq.].

134 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


240 Hypatios, comme son correspondant, se préoccupe
surtout de justifier l’existence des images dans les églises (voir supra,
note 33 [voir aussi infra, p. 221, texte 39 du florilège]). Il laisse
ouverte la question du comportement que doit adopter le croyant.
Seule l’interprétation la plus littérale peut déceler dans ses
remarques une approbation de l’adoration des images : P. J.
Alexander, « Hypatios of Ephesus », op. cit., pp. 181 note 39 et 182.

241 Sur les dates d’Hypatios, voir F. Diekamp, « Analecta


Patristica », op. cit., pp. 109 sq.

242 Anthologie grecque, I, 33, 34 ; éd. Loeb, I (1916), pp. 20 sq.
Les dates de Nil ne sont pas connues. Le ton défensif est égale-
ment marqué dans une autre épigramme d’Agathias (I, 36).
Je suis très reconnaissant au professeur Der Nersessian d’avoir
attiré mon attention sur ces textes. [Sur les épigrammes de
Nil et d’Agathias sur les icônes des anges, voir H. G. Thümmel,
Bilderlehre und Bilderstreit, Würzburg, Augustinus Verlag, 1991,
pp. 158 sq.] Pour l’opposition aux représentations des anges,
voir certains fragments attribués à Épiphane : G. Ostrogorsky,
Studien zur Geschichte des byzantinischen Bilderstreites, op. cit.,
pp. 69 sq. no 8, 9, 13 ou K. Holl, Gesammelte Aufsätze…, op. cit.,
pp. 357 sq., no 4, 7, 11. Voir également supra, p. 57 et note 209
(Philoxène).

243 Jean de Salonique, qui admet que l’argument était éga-


lement utilisé par les païens (Mansi XIII, col. 164 CD) ; Léonce
de Néapolis, Sermo contra Iudaeos (PG 93, cols. 1600 C, 1604 C) ; traité
attribué à Vrt’anes K’ert’ogh (S. Der Nersessian, « Une apologie
des images du septième siècle », op. cit., pp. 66, 69) ; cf. égale-
ment le passage d’un sermon attribué à saint Syméon le Jeune
(A. Mai, Nova Patrum Bibliotheca, VIII, 3, Rome, 1871, p. 35, in PG
86bis, cols. 3220AB ; 94, 1409C – 1412A ; cf. H. Delehaye, Les Saints
stylites, op. cit., pp. LXXIV sq.). Cet auteur introduit, à côté de la

135
relation de l’image visible à son sujet invisible, l’idée d’une pré-
sence, au moins métaphorique, de la divinité dans l’icône ; sur
ce point, voir supra, p. 74. [Sur l’authenticité des écrits attribués
à Syméon, voir P. Van den Ven, « Les écrits de S. Syméon Stylite
le Jeune, avec trois sermons inédits », Le Muséon 70 (1957), pp. 1 sq.].

244 Ennéades, IV, 3, 11 (Plotini Enneades, éd. R. Volkmann, II,


Leipzig, Teubner, 1884, 23). Cf. Ch. Clerc, Les Théories relatives au
culte des images, op. cit., p. 252 ; J. Geffcken, « Der Bilderstreit des
heidnischen Altertums », op. cit., p. 304 ; E. Bevan, Holy Images,
op. cit., pp. 75 sq.

245 L’argument n’était pas limité au récit de la création dans


la Bible. Certains apologètes du culte païen des images avaient
déjà trouvé une justification aux représentations anthropomor-
phiques des dieux dans l’affirmation selon laquelle de telles
représentations symbolisaient la ressemblance même de l’homme
avec Dieu ; cf. Ch. Clerc, Les Théories relatives au culte des images,
op. cit., pp. 206, 212 (Dion Chrysostome), 220 sq. (Chrysippe), 235
(Maxime de Tyr), 255 (Païen de Macarius). Selon Geffcken,
« Der Bilderstreit des heidnischen Altertums », op. cit., pp. 295 sq.,
ce type d’argument remonte à Posidonius.

246 Cf. par exemple Clément d’Alexandrie, Cohortatio ad


gentes, 10 (PG 8, cols. 212C – 213A) ; ainsi que Minucius Felix dans
le passage cité supra, p. 12.

247 Voir à présent G. B. Ladner, Dumbarton Oaks Papers, VII,


pp. 10 sq. Il faut attirer l’attention sur le fait que même Épiphane,
certainement un opposant déclaré aux images religieuses, n’était
pas absolument hostile à l’idée que la ressemblance de l’homme
à Dieu, comme l’affirme la Genèse, puisse s’étendre à son corps ;
cf. Ancoratus, 55, pp. 4 sq. (K. Holl, Epiphanius, I, in Die grieschischen
christlichen Schrifsteller, XXV, Leipzig, Hinrichs, 1915, pp. 64 sq.) :

136 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


« Nous ne disons pas du corps ou de l’âme qu’ils ne sont pas fait
à l’image [i. e. de Dieu] ». Alors que cette remarque s’enracine
dans l’opposition d’Épiphane à Origène, ses positions relatives
aux images provenaient de sources entièrement différentes ;
voir supra, note 30.

248 eikôn tou theou estiv o’ kat’eikona tou theou gegonôs anthropos,
kai malista ek pneumatos agiou enoikèsin dexamenos. Dikaiôs oun tèn
eikona tôn tou theou doulôn timô kai proskunô, kai ton oikon tou agiou
Pneumatos doxazô (PG 93, col. 1604 CD).

249 Cette partie de l’argument n’est pas rapportée par Baynes,


« The Icons before Iconoclasm », op. cit., p. 102. D’après le contexte,
il est parfaitement clair que dans ce passage, Léonce s’attache
tout particulièrement à défendre l’adoration des images des saints.

250 Étienne de Bostra cite également Gen. 1, 27 pour défendre


les images faites de main d’homme, à nouveau dans un traité
adressé aux juifs. Jean Damascène le cite dans son troisième
Traité sur les images (PG 94, 1376 CD) et une version plus complète
de son argument est consignée dans un fragment conservé dans
un codex milanais publié par J. M. Mercati (Theologische Quartal-
schrift, LXXVII (1895), pp. 663 sq., partic. 666). Mais Étienne ne va
pas aussi loin que Léonce dans l’élaboration de la relation entre
image et prototype. On ne sait apparemment rien de cet auteur ;
voir A. L. Williams, Adversus Judaeos, Cambridge, Cambridge
University Press, 1935, p. 167. Cf. également G. B. Ladner, Dumbarton
Oaks papers, VII, pp. 14 sq. [Sur Étienne de Bostra, voir à présent
H. G. Thümmel, « Stephanos von Bostra und die Ikonenverehrung »,
Stimme der Orthodoxie 5 (1989), pp. 37 sq.].

251 Sur l’artiste comme menteur, cf. par ex. Clément


d’Alexandrie, Cohortatio ad gentes, 4 (PG 8, col. 136 A) ; Tertullien,
De spectaculis, 23 (éd. Loeb, p. 286) ; voir aussi E. Bevan, Holy Images,

137
op. cit., pp. 80 sq., 86 sq. La réévaluation de l’œuvre de l’artiste
comme extension de l’acte de création divine devait plus tard
jouer un rôle dans la défense des images, par Théodore Stoudite,
face aux Iconoclastes ; cf. G. B. Ladner, « Der Bilderstreit und die
Kunstlehren der byzantinischen und abendländischen Theologie »,
Zeitschrift für Kirchengeschichte, IIIe série, vol. I (1931), p. 10 ; G. B.
Ladner, « Origin and Significance of the Byzantine Iconoclastic
Controversy », op. cit., p. 144 et note 103. On trouve peut-être
une survivance du Christianisme primitif dans le culte des
acheiropoïètes qui n’impliquent pas de réévaluation du travail
de l’homme et de la facture ; voir infra, note 257 et, pour une
éventuelle anticipation aux temps du paganisme, E. Bevan, Holy
images, op. cit., pp. 78 sq.

252 Voir supra, note 28.

253 Mansi XIII, col. 164 DE [voir infra, p. 228, texte 43


du florilège].

254 Ibid., col. 188 A.

255 Voir supra, pp. 45 sq., 57.

256 Voir supra, notes 209 (Philoxène) et 210 (Severus).

257 E. von Dobschütz, Christusbilder, op. cit., p. 38. C. Cecchelli,


in Dedalo, VII, 2 (1926-1927), cite deux études de A. Pincherle
portant sur ce sujet (Gli Oracoli Sibillini Giudaici, Rome, 1922,
pp. 120 sq. et in Ricerche Religiose, II (1926), pp. 326 sq.). Cf. également
The Beginnings of Christianity. The Acts of the Apostles, F. J. Foakes
Jackson et K. Lake (éd.), t. IV, Londres, Macmillan, 1933, p. 81
(à propos de Actes 7, 48 : « Cela signifie que... les juifs basculaient
dans l’idolâtrie »). Dans un papyrus du Ier siècle, le mot cheiropoietos
paraît utilisé pour l’œuvre des artistes, sans aucun sous-entendu

138 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


péjoratif (F. G. Kenyon et H. I. Bell, Greek Papyri in the British
Museum, III, Londres, 1907, pp. 205 sq. no 854. De telle sorte que
acheiropoietos pourrait signifier non seulement « non idolâtre »,
mais encore « qui n’appartient pas au registre de l’art ». En ce sens,
le terme peut être utile pour promouvoir le culte des images tout
en maintenant les réserves du christianisme primitif vis-à-vis
de l’artiste et de ses œuvres (voir supra, note 251).

258 Voir supra, pp. 45 sq.

259 E. von Dobschütz, Christusbilder, op. cit., pp. 12** sq. ; pour
la date, p. 27** [; voir infra, p. 164, texte 6 du florilège]. Voir égale-
ment L. Koch, « Zur Theologie der Christusikone », Benediktinische
Monatsschrift (1937-1938) ; partic. 1938, pp. 437 sq. Une autre légende
met en scène la notion d’icône comme « ré-Incarnation » du Christ :
il s’agit de l’image de Beyrouth qui doit réitérer non seulement
les miracles du Christ, mais sa Passion entière. Cependant, on
ne peut affirmer de manière définitive que ce texte soit antérieur
à la période iconoclaste. Voir supra, notes 59, 62, 87.

260 L’apologiste arménien cite Grégoire l’Illuminateur,


l’apôtre d’Arménie, qui, dans une longue prière recueillie par
Agathangelos, son biographe, développe une opposition rhéto-
rique entre les idoles de bois adorées par les infidèles et la Croix
du Golgotha qui porte le corps du Christ mort, ce corps que,
pour les besoins de sa comparaison, il appelle une image (S. Der
Nersessian, « Une apologie des images du septième siècle », op. cit.,
p. 61 ; cf. Acta Sanctorum Septembris, VIII, pp. 337 sq. ; ce passage
a suscité une thèse contemporaine assez arbitraire selon laquelle
on a commencé à adorer les croix en Arménie dès le IIIe siècle ;
cf. R. Garrucci, Storia dell’arte cristiana, I, Prato, Gaetano Guasti,
1881, pp. 432 sq. et M. Sulzberger, in Byzantion, II (1925), p. 387).
[Sur ce passage de la Vita de Grégoire l’Illuminateur et son exploi-
tation ultérieure par les apologies iconophiles, voir S. Gero,

139
Byzantine Iconoclasm during the Reign of Constantine V, with Particular
Attention to the Oriental Sources, Louvain, Peeters, 1977, p. 98,
note 147 et A. Kazhdan et H. Maguire, « Byzantine Hagiographical
Texts as Sources on Art », Dumbarton Oaks Papers 45 (1991), p. 11.]
L’auteur arménien cite également Severianus de Gabala
qui – rhétoriquement de nouveau – avait parlé de la Croix comme
de « l’image du Roi immortel athanton basileos eikôn » pour lui
opposer les images des souverains terrestres et leur adoration
(S. Der Nersessian, « Une apologie des images du septième
siècle », op. cit., p. 61). Les mêmes passages devaient être utilisés
à nouveau par les défenseurs de l’orthodoxie pendant l’icono-
clasme : Severianus est cité par Jean Damascène (PG 94, col. 1408
sq.) et Grégoire par Nicéphore (J. B. Pitra, Spicilegium Solesmense,
vol. I, Paris, Didot, 1852, p. 501). À cette époque, cependant, ils
furent éclipsés par les textes célèbres de Basile (voir supra, note
19) et d’Athanase (Oratio III contra Arianos, 5 ; PG 26, col. 331 AB),
qui décrivaient les relations entre le Fils et le Père par analogie
avec l’adoration rendue au souverain à travers son image. Bien
que ces textes n’aient pas été conçus pour rendre compte des
images réelles du Christ, pas plus que ceux de Grégoire l’Illumi-
nateur et de Severianus de Gabala, ils servaient plus adéquate-
ment les fins des apologètes en ce qu’ils ne se rapportaient pas
simplement aux images du Christ et à leur adoration, mais qu’ils
appliquaient spécifiquement le concept d’image à la relation
Père-Fils et liaient ainsi plus solidement le culte des images
faites de main d’homme à la doctrine de l’Incarnation. Cf. G. B.
Ladner, in Dumbarton Oaks Papers, VII, p. 8.

261 episkiazontos autè tou enoikountos autô pneumatos agiou.


C’est le texte du ms. de Jérusalem (S. Sabas 108), publié par
A. Papadopoulos-Kerameus, Vizantiskii Vremennik, I, op. cit., p. 607.
K. Holl, « Der Anteil der Styliten… », op. cit., p. 390, le cite à partir
du cod. Monac. gr. 366, f. 155r, qui dit, de manière plus explicite :
episkiazontos tè eikoni tou enoikountos en tô agiô pneumatos agiou.

140 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


(« Et le Saint-Esprit, qui demeurait dans le saint, couvrait l’image
de son ombre »). Pour la date et l’auteur de la Vie, voir les réfé-
rences citées supra, note 40. [Pour ce passage, voir à présent l’édition
critique de la Vita par Van den Ven (La Vie ancienne…, op. cit.,
vol. I, lignes 45-46) ; voir aussi infra, p. 202, texte 26 du florilège.
Dans une note détaillée adjointe à la traduction de ce texte,
Van den Ven cite in extenso et sans réserve l’interprétation qu’en
donne l’auteur de la présente étude (La Vie ancienne, op. cit., vol. II,
Bruxelles, 1970, pp. 121-122, note 6)].

262 Pour l’usage ultérieur du même concept par Jean


Damascène, voir H. Menges, Die Bilderlehre des hl. Johannes von
Damaskus, Münster, Aschendorff, 1938, pp. 79, 92 sq. ; E. Bevan,
Holy Images, op. cit., pp. 144 sq.

263 Ch. Clerc, Les Théories relatives au culte des images, op. cit.,
pp. 182 (Plutarque), 252 (Plotin). J. Geffcken, « Der Bilderstreit
des heidnischen Altertums », op. cit., pp. 309 (Jamblique), 312
(Julien), 313 (Olympius). Cf également E. R. Dodds, « Theurgy
and its Relationship to Neoplatonism », Journal of Roman Studies,
XXXVII (1947), pp. 55 sq., partic. pp. 62 sq. (surtout pour les textes
du classicisme tardif concernant les statues que des actions
humaines spécifiques sont capables d’animer).

264 L’importance de cette distinction entre le « magique »


et le « miraculeux » m’a été suggérée par le Professeur Friend.

265 PG 93, col. 1601 CD. Cf. N. H. Baynes, « The Icons before
Iconoclasm », op. cit., p. 101.

266 Voir supra, pp. 72 sq. et note 261.

267 Voir spécialement supra, p. 45 (épisode d’Édesse).

141
268 Cf. le sermon de saint Syméon le Jeune (supra, note 243) :
Lorsque nous voyons l’Invisible à travers une peinture visible,
nous l’honorons comme s’il était présent (opôntes ton aoparton
dia tès orômenès graphès, ôs paronta doxazomen). Agathias, dans
une épigramme sur une image d’archange déjà citée, dit du
spectateur que « imprimant l’image en lui-même, il le craint [i. e.
l’archange] comme s’il était présent (en eautô ton tupon eggrapsas
ôs pareonta tremei) » ; Anthologie grecque, I, 34, cf. supra, note 242.
Anastase le Sinaïte, dans un passage cité par Jean Damascène dans
son troisième Traité, dit que l’image du Christ produit l’illusion
que celui-ci nous regarde réellement depuis le ciel (PG 94,
col. 1416 C). Arculf mentionne un homme parlant à une image
de saint Georges quasi ad presentem Georgium (Arculfi relatio De
locis sanctis, III, 4 ; T. Tobler, Itinera et descriptiones, op. cit., p. 197).

269 Voir supra, pp. 47 sq.

270 Mansi XIII, col. 85 C ; pour le miracle, voir supra, pp. 31 sq.

271 è tôn agiôn epiphoitesis ; L. Deubner, Kosmas und Damian,


op. cit., p. 138... cf. supra, notes 45, 89 [et voir infra, p. 191, texte 22
du florilège].

272 L. Deubner, Kosmas und Damian, op. cit., pp. 132 sq. ;
cf. supra, notes 89, 98 [et voir infra, p. 189, texte 21 du florilège].

273 Voir supra, note 45 avec les références aux opinions


de Deubner et de Delehaye. L’identité réelle du saint et de son
image est également présupposée dans une histoire où la figure
de saint Mercure s’absente momentanément d’une image
sur laquelle il était représenté avec la Vierge afin d’aller châtier
Julien l’Apostat, sur la requête de saint Basile. L’apparition de
cette histoire peut être située dans des limites chronologiques
assez précises. Dans la mesure où elle procède à l’évidence du

142 Le Culte des images avant l’iconoclasme – notes


récit d’un rêve de saint Basile consigné par Malalas (Chronographia,
XIII ; éd. Bonn, pp. 333 sq.), elle doit être postérieure au VIe siècle.
Mais dans la mesure où elle apparaît dans le premier Traité sur
les images de Jean Damascène (PG 94, col. 1277 B), écrit, selon
toutes probabilités, autour de 726 ou peu après (H. Menges,
Die Bilderlehre…, op. cit., p. 6), il semble bien qu’elle soit antérieure
au déclanchement de l’iconoclasme et non contemporaine
de celui-ci, comme le suggère Binon (S. Binon, Essai sur le cycle
de Saint Mercure, Paris, Ernest Leroux, 1937, p. 23, note 5). Dans
ce texte, cependant, attribué au disciple de Basile, Helladius, la
présence du saint dans son image n’est pas stipulée aussi expli-
citement que dans les miracles supra mentionnés des saints
Côme et Damien.

274 Elles préfigurent en particulier certaines notions élabo-


rées ultérieurement par Jean Damascène et Théodore Stoudite.
Sur ces auteurs, voir les études de G. B. Ladner, « Der Bilders-
treit und die Kunstlehren », op. cit., L. Koch, « Zur Theologie der
Christusikone », op. cit. et H. Menges, Die Bilderlehre, op. cit.

275 Dans un article à paraître dans un volume de mélanges


dédié au Professeur A. M. Friend Jr., j’ai traité de certains aspects
de l’art du VIIe siècle qui me semblaient significatifs à la lumière
des conclusions que les pages précédentes nous avaient permis
de rejoindre [« On some Icons of the Seventh Century », in Late
Classical and Mediaeval Studies in Honor of Albert Mathias Friend Jr.,
K. Weitzmann (éd.), Princeton, University Press, 1955, pp. 132-150.]

143
Postface

L’adoration des surfaces


Philippe-Alain Michaud

1 Théophane Chronographie I, 443 ; Nicéphore, Antirrhétique III, 493 D.

144
Dans son étude publiée pour la première fois en 1954 dans les
Dumbarton Oaks Papers et qui reste aujourd’hui une référence
incontournable dans le champ des études byzantines et de la
théorie de l’art, Ernst Kitzinger expose la manière dont l’inflation
de l’adoration des images qui s’observe tout autour du bassin
méditerranéen entre le IVe et le VIIe siècle allait produire au
VIIIe siècle la réaction iconoclaste qui à son tour générerait, par
contrecoup, l’institution d’une adoration des images de type
tempérée. De la pratique dévotionnelle des images à la résistance
à cette pratique jusqu’à la constitution d’une apologétique
aux VIIIe et IXe siècles, à travers notamment les textes de Jean
Damascène, de Nicéphore le patriarche et de Théodore Stoudite,
l’étude de Kitzinger se développe selon un schéma rigoureuse-
ment dialectique, schéma d’inspiration moins hégélienne que
marxiste au demeurant, puisque la pratique des images précède
et conditionne la justification théorique de leur culte. Par ailleurs,
à la faveur de ce schéma dialectique, le phénomène observé
par Kitzinger dans les siècles qui précèdent la crise iconoclaste
apparaît comme un phénomène endogène, l’adoption, le rejet
et la justification des images de culte correspondant aux différentes
phases d’un développement interne à la culture chrétienne dont
la linéarité ne doit pas masquer que des courants iconoclastes
endémiques, d’inspiration judéo-chrétienne, se manifestent
sporadiquement dans l’Empire byzantin bien avant la grande crise
des VIIIe et IXe siècles. De l’étude de Kitzinger, il ressort enfin
que les positions iconoclastes correspondaient moins au refus
de toute image ou du fait figuratif en tant que tel, comme les
historiens de l’iconoclasme l’avaient trop souvent considéré
jusqu’alors, qu’au rejet de leur adoration – ce dont témoigne la tolé-
rance pour les programmes iconographiques profanes dont feront
preuve les empereurs iconoclastes, Léon III puis Constantin V,
ce dernier étant accusé par exemple par les défenseurs du culte
des images d’avoir transformé les églises en écuries et en volières1,
ce qui signifiait simplement qu’il avait fait remplacer les pro-

145
grammes iconographiques sacrés par des scènes d’inspiration
profane. Ainsi se dessine, en filigrane de l’analyse historique
de Kitzinger, une opposition entre une conception substantielle
de l’image soutenue par les iconophiles qui associe la figure à
son modèle jusqu’à l’identifier à celle-ci, à une conception icono-
claste qui définit l’image par un faisceau de relations l’articulant
de façon non substantielle à son modèle, mais aussi au lieu où
elle s’expose, à la matière dont elle est faite, au sujet qui la produit
et à celui qui la regarde. Au terme de la crise iconoclaste, si le
culte des icônes s’institutionalise au sein de l’Empire d’Orient,
c’est en Occident que les positions iconoclastes, transmises à tra-
vers les livres carolins rédigés au commencement du IXe siècle
par les théologiens de l’entourage de Charlemagne, ont parado-
xalement essaimé : au prix d’un malentendu sur la compréhension
du terme d’adoration dans la réception des actes du concile de
Nicée II qui, en 787, marquait le triomphe définitif de l’orthodoxie
et le rétablissement du culte des images, les théologiens caro-
lins interprétèrent le concept d’adoration relative (doulia) que les
théologiens d’Orient réservaient aux images sacrées comme s’il
s’agissait d’adoration absolue (latreia) et rejetèrent les conclusions
du concile, considéré comme idolâtre2. Même si ce point de
traduction n’est probablement qu’un symptôme d’une divergence
plus profonde, la crise iconoclaste apparaît néanmoins, à la
lumière de l’étude de Kitzinger, au-delà du schisme qui devait
définitivement séparer les Églises d’Orient et d’Occident, comme
le ferment d’une nouvelle intelligibilité des images dont à terme
allait naître la définition de l’œuvre d’art au sens que la modernité
lui a donné3. C’est ainsi que Kitzinger, au demeurant peu enclin
à l’emphase, décrit l’iconoclasme dans sa préface comme « une

2 Ann Freeman (éd.), Opus Caroli regis contra synodum (Libri Carolini),
in Monumenta Germaniæ Historica (MGH) Concilia, II, suppl. I, Hanovre, 1998.
3 Hans Belting, Image et Culte. Une histoire de l’image avant l’époque
de l’art, Paris, Cerf, 1998.

146 Postface
explosion volcanique dont l’importance se mesure presque à
l’échelle de l’histoire du monde ».
Le christianisme n’a pas inventé le culte des images,
mais un type singulier de relation entre adoration et bidimen-
sionnalité reposant sur une équivalence entre corps et surface.
Si les chrétiens, à partir du IIIe siècle, adoptent les images taillées
(« peut-être l’événement le plus décisif de toute l’histoire de l’art
européen », écrit Kitzinger en préambule de son étude), la grande
montée de l’adoration des images qui touche l’ensemble du monde
chrétien entre le IVe et le VIIe siècles, portée par une critique
de l’idolâtrie païenne, se concentre sur les images bidimension-
nelles – icônes, peintures murales ou mosaïques. On les retrouve
partout, dans les églises, mais aussi dans les espaces publics et
les demeures privées : au commencement du Ve siècle, Théodoret,
évêque de Cyr en Syrie du Nord, évoque ainsi les portraits de
Syméon stylite accrochés partout dans Rome à l’entrée des
boutiques par les commerçants soucieux de s’assurer fortune et
protection4. Si l’effigie tridimensionnelle vénérée par les païens
est le substitut ou le réceptacle du dieu auquel elle reste associée
par une sorte d’analogie corporelle, l’image de surface entre-
tient avec son référent une relation plus complexe. En celle-ci,
le processus d’apparition est intrinsèquement lié à la disparition
d’un corps : la figure est figure de décorporation. La dématéria-
lisation du visible, qui fait le pivot de la figurabilité chrétienne
n’est pas, bien au contraire, incompatible avec l’adoration des
images : dessinant l’économie de la transformation du corps en
figure, elle ne fait que prolonger, en les renversant, les préjugés
substantialistes de l’animisme païen.
La conceptualisation chrétienne de l’image suppose en
celle-ci un moment de réification intime dont elle tient sa stabi-
lité en même temps que sa puissance. Dans la littérature épique
et la tragédie grecque, on trouve d’innombrables exemples de

4 Voir supra, p. 17 et infra, texte 17 du florilège, p. 178.

147
corps abandonnés aux oiseaux et aux chiens qui ne trouvent pas
le repos tant qu’ils n’ont pas été ensevelis. Les païens voyaient
dans l’exposition du corps une forme de malédiction, elle devient
pour les chrétiens une occasion d’adoration5. La suspension
de l’ensevelissement transforme le corps en figure et la présence
en visibilité. L’image se construit sur un reste dont elle tient
sa stabilité en même temps que son efficace : en cela, son statut
s’apparente à celui des reliques dont Kitzinger montre que leur
culte a précédé et conditionné celui des images plates. La trans-
formation du corps en surface est la forme idéalisée d’un contact,
la transformation en métaphore d’une métonymie originelle
qui reconduit, en dernière instance, à la déposition du défunt.
Dans la relation que le croyant entretient avec la relique, la rela-
tion tactile est première : de même, avant de solliciter le regard,
les images de culte sont offertes à l’imploration, aux gestes
invocatoires ou aux procédures rituelles – prosternation, baisers,
voire ingestion : en 787, les Pères du concile de Nicée II citent,
au titre de la justification des représentations sacrées, l’exemple
d’une femme qui, pour guérir de ses douleurs, avait absorbé
des particules d’une fresque représentant Côme et Damien, les
saints guérisseurs qu’elle avait fait peindre sur les murs de sa
maison : « … Elle se redressa, gratta quelque peu de l’enduit, jeta
cette raclure dans de l’eau et but le mélange. Aussitôt, elle fut
guérie, les douleurs qui étaient en elle prirent fin par la visitation
des saints6. » L’aspect visible de la chose est la dérivation de
son aspect tangible, et l’appréhension optique des images doit
se comprendre comme l’élaboration d’un transfert de propriétés
entre l’ordre réel et celui de la représentation. L’image de culte
n’entretient pas un lien de ressemblance avec son modèle mais,
comme la relique, un lien de similitude avec son origine. Les

5 John Wortley, « The Origins of Christian Veneration of Body


Parts », Revue de l’histoire des religions, Paris, PUF, 2006, pp. 5-28.
6 Voir infra, p. 191, texte 22 du florilège.

148 Postface
figures dans les images sont d’obscurs équivalents des corps
ou des fragments de corps conservés dans les sanctuaires dont
la présence compte davantage que la visibilité : l’icône est la
dérivation d’un indice. La figure s’inscrit sur le subjectile de bois,
le parchemin, le métal ou la cire comme le corps est déposé
dans le tombeau et les procédures d’activation de la puissance
des reliques (par fermentation, par distillation, par impressions
démultipliées…) conditionnent la circulation des icônes et leur
efficace. C’est ainsi qu’au VIIe siècle, sur le modèle du commerce
des reliques, les images des stylites ne sont plus simplement
exposées, mais commencent à circuler dans tout l’Orient chrétien
sous forme d’eulogies, ces plaques de cire et de terre où se trouve
imprimée l’effigie du saint à laquelle parfois quelques poils ou
des cheveux sont amalgamés : si la reproductibilité de ces objets
ne diminue en rien leur valeur prophylactique ou propitiatoire,
c’est parce qu’ils recueillent une substance plus qu’ils ne trans-
mettent une apparence. Ce qui fait la puissance de l’image, c’est
sa dimension documentaire, soit l’ensemble des traces d’exis-
tence qui se sont accumulées en elle et que la reproductibilité
ne dissout pas, mais au contraire répand.
Au commencement du VIIIe siècle, à l’aube de la première
crise iconoclaste, dans les trois traités qu’il consacre à la défense
des images saintes, Jean Damascène donne une légitimation
christologique à l’adoration des images : avant l’incarnation,
le dieu était sans apparence. Après qu’il s’est fait homme, il est
devenu représentable sous des traits humains. La rupture de
l’interdit figuratif n’implique pas que soit brisé le lien entre
l’Ancienne et la Nouvelle Alliance : elle garantit au contraire le
passage de l’une à l’autre en même temps que la notion d’image
vient s’inscrire au cœur de l’anthropologie chrétienne sous la
forme d’un récit de négativité7. Car du battement entre surgisse-

7 Jean Damascène, Contra imaginum calumniatores orationes tres,


Bonifatius Kotter (éd.), Berlin/New York, Walter de Gruyter, 1975.

149
ment de la figure et disparition du corps dont procède la définition
spécifiquement chrétienne de la figurabilité, la représentation
du Christ est la manifestation dramatisée : elle se constitue en
mythe figuratif qui domine l’histoire du culte des images jusque
dans ses avatars profanes et ses altérations lointaines, jusqu’à
contaminer de manière diffuse le régime des images contempo-
raines et l’économie de la reproductibilité.
La diffusion des images acheiropoïètes (les images non
faites de main d’homme), qui se répandent au VIe siècle dans tout
l’Orient chrétien avant de gagner l’Occident, permet de com-
prendre comment le basculement des pratiques cultuelles vers
les représentations de surface a pu trouver dans la christologie
sa légitimité. Le portrait du Christ envoyé au roi Abgar d’Édesse,
en Mésopotamie, reste l’archétype de ces images dont, au IXe siècle,
l’empereur Constantin Porphyrogénète donne le récit d’invention
le plus circonstancié8 : les traits du Christ, décalqués et fixés sur
un linge, guérissent le roi de la lèpre, maladie de la défiguration
qui, effaçant son visage, l’arrachait progressivement à l’ordre de
la ressemblance. Abgar fait alors enlever une idole qui se trouvait
au-dessus de l’une des portes de la ville pour y placer la sainte
image, signant ainsi de manière symbolique la substitution aux
images tridimensionnelles des images bidimensionnelles dans
l’économie du culte. La suite de la légende n’est pas moins édifiante :
lorsque trois générations plus tard, l’arrière-petit-fils d’Abgar,
revenu au paganisme, voulut détruire l’image sacrée, l’évêque
de la ville la fit murer après avoir placé devant elle, à l’intérieur
de la niche, une lampe allumée. Avec le temps, la cachette fut
oubliée, puis redécouverte en 544, au moment où le roi des Perses,
Chosroès, assiégeait la ville. La lampe était toujours allumée
devant l’image. Non seulement celle-ci était intacte, mais elle
s’était imprimée sur la face interne de la tuile qui la masquait.
En mémoire de ce transfert, il existe deux types de sainte Face :

8 Voir supra, p. 27 et infra, p. 211, texte 33 du florilège.

150 Postface
l’une où le visage du Seigneur est représenté sur un linge (le
mandylion), l’autre, sans linge, où le visage est représenté tel qu’il
s’était imprimé sur la tuile (le keramion). La première image,
réalisée par impression directe, donne un modèle non mimétique
de la production des figures ; la seconde, par report indirect, ouvre
la possibilité de sa reproduction sérielle indéfinie. Qu’elle soit
réalisée par impression ou par émanation, l’image acheiropoïète
relève d’une puissance non mimétique. Simultanément issue
d’un passé reculé et produite en un instant, elle est douée d’une
force magique. Son aspect compte moins que son origine, ou que
la matière dont elle est faite. Elle est parfois entièrement recou-
verte, gardée dans le secret d’un sanctuaire ou dans la partie
privée d’une habitation, enfermée dans un coffre ou dans un étui
dont il n’est pas nécessaire de la tirer pour qu’elle agisse ou se
manifeste. En revanche, le récit de son invention ou de sa produc-
tion est nécessaire à son action. Et cette action doit être pensée
comme une réponse à des pratiques rituelles qui sollicitent ses
pouvoirs. L’image non faite de main d’homme retient les traits
du Christ par l’effet d’une production spontanée, directe ou
indirecte, mais toujours sans agent : c’est donc qu’il existe un
parallèle entre la production des acheiropoïètes et le mouvement
de l’incarnation. En se donnant une enveloppe corporelle, le Christ
est devenu image : modélisant cette opération, l’acheiropoïète
montre qu’il y a quelque chose de divin dans toute production
iconique. Et c’est autour de ce noyau christologique érigé en mythe
figuratif que l’anthropologie chrétienne, un instant compromise
par l’entreprise iconoclaste, a construit sa spécificité.

Mais ce n’est pas tout. Si la description minutieuse des pratiques


idolâtres à laquelle se livre Kitzinger garde aujourd’hui tout son
intérêt historique et anthropologique, c’est aussi parce qu’elle
entre, étrangement, en résonance avec les nouveaux régimes
d’images générés par la révolution numérique, ce qui fait de ce
texte érudit, écrit il y a plus d’un demi-siècle et consacré aux

151
premiers temps du christianisme un texte d’actualité. Car l’accé-
lération technologique qui a marqué, au seuil du XXIe siècle,
la fin de l’ère analogique, s’est accompagnée, par un chiasme
épistémologique dont il reste à mesurer précisément les enjeux,
d’un mouvement de retour vers une conception pré-moderne
des artefacts visuels. Nous vivons au milieu des nouvelles images
comme les Byzantins vivaient au milieu des leurs : elles se dupli-
quent à l’infini, migrent d’un support à un autre ou s’en éman-
cipent, au point d’introduire une confusion entre les corps et les
figures. Tactiles, flexibles, capables de répondre aux injonctions
de la vue ou du toucher, interconnectées, les images sont proté-
ennes : elles se fragmentent et se démultiplient, occupent tous les
supports à toutes les échelles, envahissent les espaces publics
et privés, menaçant la distinction usuelle entre intérieur et exté-
rieur, réel et virtuel, mental et matériel. Elles ne témoignent plus
que « quelque chose a eu lieu », comme Roland Barthes le notait
à propos de la photographie analogique ; elles deviennent des
systèmes à la fois clos et ouverts, mais toujours autosuffisants.
Il n’y a plus d’impression ni d’inscription, mais un signal qui
ne cesse, comme une émanation, de balayer les écrans d’un flux
de données visuelles. Sans origine et sans limites, les images sont
désormais aussi sans objet. Les écrans ne sont plus des fenêtres
transparentes ouvrant sur une profondeur fictive comme ils
l’étaient lorsqu’ils étaient gouvernés par une économie du plan,
mais des surfaces opaques sans épaisseur, imbriquées ou feuille-
tées partout dans un monde dont nous faisons toujours davantage
une expérience indirecte. Par un renversement ontologique dont
nous n’avons sans doute pas fini de mesurer les conséquences,
le visible n’est plus, comme il l’était encore du temps de l’analo-
gique, indexé sur le réel, c’est le réel qui s’indexe sur le visible.
Avec l’avènement du numérique, les catégories spatio-temporelles
qui avaient jusqu’ici conditionné notre présence au monde sont
modifiées : nous circulons dans des espaces instables, juxtaposés
et connectés. La production, la communication et la transmission

152 Postface
des images ne sont plus soumises à la linéarité du temps. Toute
différence entre image en mouvement et image fixe est abolie,
remplacée par une différenciation purement algébrique qui ne
suppose aucune relation analogique avec les propriétés physiques
de l’objet. La cohésion entre les composantes de l’image disparaît :
l’idée de la vision comme événement est remplacée par l’idée
de la vision comme construction. Les nouvelles images sont
des hétérotopies, pour reprendre le concept élaboré par Michel
Foucault, des contre-lieux où l’espace réel n’est plus représenté
mais transformé9. L’hétérotopie ouvre le monde dans lequel nous
vivons à des situations qui excèdent la normalité quotidienne :
les nouvelles images ont le pouvoir de juxtaposer et de fusionner
plusieurs espaces apparemment incompatibles et de les organiser
en réseaux, produisant le concept d’une expérience détachée
de la réalité, ou d’une expérience devenue elle-même irréelle10.
C’est donc pour comprendre ce monde d’images non
fixées (littéralement, des icônes) et d’écrans virtuels et flottants
dans lequel nous vivons qu’il faut revenir à la manière dont les
Byzantins concevaient et manipulaient leurs propres images.
Comme pour nous les écrans, les icônes pour les Byzantins sont
des lieux de transformation du corps en figure et inversement
des figures en corps ; dans l’Empire byzantin comme aujourd’hui,
les images agissent et sont partout : elles occupent les murs, le
mobilier et les vêtements, sont reproduites sur tous les supports.
Elles sont exposées au-dessus des portes des boutiques et circulent
sous forme de talismans portés par les croyants sur différentes
parties de leurs corps à titre prophylactique ou propitiatoire.
Le corps supporte les images, mais aussi s’en enveloppe : Asterius
d’Amasée, au commencement du Ve siècle, s’élevant contre

9 Michel Foucault « Des espaces autres » [1967], Dits et Écrits IV,


Paris, Gallimard, Bibliothèque des histoires, 1994, pp. 752-762.
10 Parmi d’innombrables références, voir Lev Manovich, Le Langage
des nouveaux media, Paris, Les presses du réel, 2010, synthèse à la fois histo-
rique et théorique sur l’impact de la culture numérique.

153
l’usage d’étoffes de soie teintes en pourpre et décorées de formes
animales, de figures humaines ou de représentations végétales
ridiculise ainsi les païens, mais aussi les chrétiens, qui se trans-
forment en subjectiles vivants : « [Les idolâtres] ont inventé
un genre de tissage vain et étrange qui [...] imite la qualité de la
peinture et représente, sur les vêtements, l’apparence de tous
les êtres vivants : ainsi ils conçoivent pour eux-mêmes, pour leurs
femmes et leurs enfants, des vêtements aux couleurs gaies
décorés de milliers de figures... Lorsqu’ils sortent en public vêtus
de cette façon, ils apparaissent comme des murs peints à ceux
qui les croisent. Ils sont entourés d’enfants qui rient entre eux
et montrent du doigt la peinture sur leurs vêtements11. » L’image
n’est pas conçue comme purement décorative, mais devient une
signature anthropologique. Dans les temps byzantins comme
aujourd’hui, de même que la frontière entre corps et image est
brouillée, images fixes et images mobiles ne sont pas clairement
différenciées. Les figures peuvent brusquement prendre vie
et s’animer, ou sortir de leur cadre et s’émanciper de la surface
sur laquelle elles sont peintes, imprimées ou gravées. Elles
peuvent s’adresser à leurs regardeurs, leur répondre, négocier
et interagir avec eux. Elles ne sont pas soumises à une saisie
strictement optique, mais répondent aux sollicitations du toucher.
Les images produites par émanation, comme les données numé-
riques stockées dans les nuages, sont simultanément partout et
nulle part – c’est-à-dire sans origine. Sur le modèle de l’acheiro-
poïète, les images sont indéfiniment reproductibles et peuvent se
dupliquer sans perte de définition ou de puissance. Enfin, l’icône
n’est pas seulement une image mobile, ou même une image vivante,
c’est une image intemporelle, qui échappe au cycle de la génération
et de la corruption. Elle ne se dégrade pas, elle est anhistorique,
c’est-à-dire sans patine : sur un mode binaire qui détermine
encore le régime de l’image numérique, elle est, ou elle n’est pas.

11 Asterius d’Amasée, Homélie I, PG 40, 165 sq.

154 Postface
C’est ainsi que la question des images telle qu’elle s’élabore
dans la sphère du christianisme byzantin s’éclaire de la théorie
moderne des media, et que celle-ci à son tour gagnera une
nouvelle intelligibilité en s’ouvrant à la byzantinologie.

155
Florilège de textes

156
160 1. L’image du Christ dans le prétoire de Pilate
Antonin de Piacenza, Itinerarium
160 2. L’image du Christ à Memphis
Antonin de Piacenza, Itinerarium
161 3. Le linge tissé par la Vierge
Arculf, Relatio de locis sanctis
162 4. Le cierge devant l’image
Jean Moschus, Pratum spirituale
163 5. L’image de saint Syméon dans une boutique
La vie ancienne de saint Syméon Stylite le jeune
164 6. Le Christ de Camuliana
167 7. La procession d’une icône
Chronique de Zacharias de Mytilène
169 8. Le Christ de Narbonne
Grégoire de Tours, De gloria martyrum
170 9. L’image portant des vêtements de mendiant
Jean Moschus, Pratum spirituale
171 10. L’image transpercée par un juif
Grégoire de Tours, De gloria martyrum
172 11. L’image transpercée par un Sarrasin
Anastase le Sinaïte (attribué à)
173 12. L’empreinte de saint Georges sur la colonne
Arculf, Relatio de locis sanctis
175 13. Une image miraculeuse dans l’église de Sion
Antonin de Piacenza, Itinerarium
175 14. La statue du Christ de Panéas
Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique
177 15. L’image exsudant de la rosée
Vie de saint Théodore de Sykéon
177 16. L’image qui dispensait un goût de miel
Vie de saint Théodore de Sykéon
178 17. L’huile miraculeuse (1)
Sophronius de Jérusalem, SS. Cyri et Joannis miracula

157
186 18. L’huile miraculeuse (2)
Encomium de saint Menas
187 19. L’image descendue dans le puits
Jean Moschus, Pratum spirituale
188 20. Le sceau miraculeux
Miracles de saint Artemius
189 21. L’image guérissant une malade à son insu
Miraculae SS. Cosmae et Damiani
191 22. L’ingestion d’une image
Miraculae SS. Cosmae et Damiani
193 23. Marie l’Égyptienne écartée de l’église par
la puissance d’une image
Vita S. Mariae Egyptiae
195 24. La femme incrédule à Césarée
Saint Anastase le Perse
197 25. Une image chasse les démons d’une maison
Photinus, Vie de Jean le Jeûneur
202 26. La guérison d’une hémorroïsse
La vie ancienne de saint Syméon stylite le Jeune
204 27. Le siège d’Arzamon sous Philippicus
Théophylakte Simokkata, Histoires
204 28. L’expédition de 622 contre les Perses (1)
Georges Pisidès, De expeditione Persica
205 29. L’expédition de 622 contre les Perses (2)
Théophane, Chronographie
205 30. Le siège d’Édesse par Chosroès
Évagre, Histoire ecclésiastique
207 31. La lettre du Christ sur la porte d’Édesse
Procope de Césarée, Histoire des guerres
208 32. L’apparition miraculeuse d’un velum
De miraculis S. Stephanis protomartyris
211 33. L’image d’Édesse
Constantin Porphyrogénète, Narratio de imagine edessena

158 Florilège
217 34. Adoration d’une relique
Grégoire de Nysse, Encomium de saint Théodore
217 35. Les statues des empereurs
Jean Chrysostome
218 36. Le miracle de la statue de Constantin en l’an 496
Chronique de Josué le Stylite
219 37. Image triomphale de l’empereur
Eusèbe, Histoire ecclésiastique
220 38. Résistances monophysites aux représentations
anthropomorphes
Jean Diakrinomenos, Histoire ecclésiastique
221 39. Défense orthodoxe des images
Lettre d’Hypatios d’Éphèse à Julien d’Atramytion
225 40. Lettre de Grégoire à Serenus, évêque de Marseille (XIII)
227 41. Lettre de Grégoire à Serenus, évêque de Marseille (CV)
227 42. Une représentation du sacrifice d’Isaac
Grégoire de Nysse, Oratio de Deitate Filii et Spiritus Sancti
228 43. Justification christologique de l’image
Jean de Thessalonique

159
1. L’image du Christ dans le prétoire de Pilate

Antonin de Piacenza, Itinerarium [circa 570], c. 23, A. J. Gildemeister


(éd.), Berlin, H. Reuthers, 1889, pp. 17-18, repris in Ernst von
Dobschütz, Christusbilder. Texte und Untersuchungen zur Geschichte
der altchristlichen Literatur, Leipzig, Hinrichs, 1899, p. 99* (voir
supra, p. 21).

… Puis, nous avons prié dans le prétoire où le Seigneur fut entendu,


là où est maintenant la basilique Sainte-Sophie, devant les ruines
du temple de Salomon, sous le plateau qui court vers la fontaine
de Siloé, le long du portique de Salomon. Dans la basilique elle-
même se trouve le siège où s’est assis Pilate, lorsqu’il entendit le
Seigneur. Il reste aussi la pierre carrée qui se trouvait au milieu du
prétoire, et qui servait d’estrade à l’accusé qui était entendu, pour
que tout le monde puisse l’écouter et le voir ; pierre qui servit aussi
d’estrade au Seigneur, quand il fut entendu par Pilate, comme en
témoignent encore les empreintes de ses pieds – des pieds d’une
taille raisonnable, beaux et fins. II était en effet de taille normale,
avec un beau visage, des cheveux bouclés, de belles mains, des doigts
longs, à en croire le portrait qui le représente et qui a été exécuté de
son vivant, avant d’être placé à l’intérieur-même du prétoire.
Et sur cette pierre, où il s’est tenu debout, s’accomplissent
[aujourd’hui] de nombreux miracles : on voit des gens prendre
les mesures des empreintes de ses pieds, se les attacher pour
telle ou telle maladie, et ils guérissent. La pierre elle-même est
ornée d’or et d’argent.

2. L’image du Christ à Memphis

Antonin de Piacenza, Itinerarium [circa 570], c. 44, J. Gildemeister


(éd.), Berlin, H. Reuthers, 1889, p. 32, repris in Ernst von Dobschütz,
Christusbilder. Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchrist-
lichen Literatur, Leipzig, Hinrichs, 1899, p. 134* (voir supra, p. 21).

160 Florilège
Il y avait à Memphis un temple, qui aujourd’hui est une église.
La porte principale de ce temple se ferma devant notre Seigneur,
quand il était dans cette ville avec la Vierge Marie, et depuis lors,
on ne peut plus l’ouvrir. On peut voir en ce lieu une pièce de tissu
(pallium) à l’effigie du Christ ; manteau dans lequel, paraît-il, le
Christ, à l’époque, s’essuya le visage, et son image s’y imprima ;
cette image est devenue objet d’adoration pour l’éternité. Nous
l’avons aussi adorée, mais son éclat était tel que nous n’avons pas
pu la regarder : en fait, à mesure qu’on la regardait, elle changeait
d’aspect sous nos yeux.

3. Le linge tissé par la Vierge

Arculf, Relatio de locis sanctis, [circa 680], c. 12, in Ernst von Dobschütz,
Christusbilder. Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchrist-
lichen Literatur, Leipzig, Hinrichs, 1899, p. 109* (voir supra, p. 21).

Dans la même ville de Jérusalem, Arculf vit un autre tissu, plus


grand, qui, paraît-il, fut tissé par sainte Marie, et que, pour cette
raison, tout le peuple vénère avec grand respect dans l’église où
il se trouve. En effet, sur ce linge, les formes1 des douze apôtres
ont été tissées, et l’image du Seigneur lui-même y est figurée ;
une partie de ce linge est colorée en rouge, et l’autre, de l’autre
côté, est en vert.

1 Formulae : terme difficile à traduire. Il désigne dans le vocabulaire


technique les formes de cordonniers et les moules qui servent à fabriquer
les fromages. Le terme renvoie également souvent à l’écriture et désigne alors
les inscriptions qui sont apposées sur les monuments. Ici, comme dans le
texte 12, nous avons cru préférable de traduire de manière la plus indétermi-
née possible par formes (formulae étant pris comme le diminutif de formae).

161
4. Le cierge devant l’image

Jean Moschus, Pratum spirituale, cap. 180, PG 87 ter, col. 3052.


[Trad. S. J. Rouët de Journel légèrement modifiée, Le Pré spirituel,
in Les Sources chrétiennes, 12, Paris, Cerf, 1946, pp. 236-237] (voir
supra, p. 21).

Le très saint Denys, prêtre et gardien des vases sacrés de la sainte


église d’Ascalon, nous parlait de l’abbé Jean, l’anachorète. Il disait :
« En vérité, ce fut, parmi la génération actuelle, un homme
vraiment grand selon Dieu. » Et, comme preuve de ses mérites
devant Dieu, il raconta ce prodige. « L’ermite, dit-il, habitait dans
une grotte du côté du domaine de Socho2, à vingt milles environ
de Jérusalem. L’ermite avait dans sa grotte une image de notre
maîtresse la très sainte Marie la très pure. Mère de Dieu et toujours
vierge, portant dans ses bras notre Dieu. Chaque fois qu’il voulait
s’en aller en quelque lieu, soit dans le vaste désert, soit à Jérusalem
pour vénérer la sainte croix et les lieux consacrés, ou encore
au mont Sinaï pour prier, ou aux tombeaux des martyrs, même
très éloignés de Jérusalem (car l’ermite était dévot aux martyrs,
et il s’en allait vénérer tantôt saint Jean à Éphèse, tantôt saint
Théodore à Euchaïte, tantôt saint Thècle à Séleucie d’Isaurie,
tantôt saint Serge à Saphas [Rusafa], et il allait une fois à l’autre
de ces saints), il préparait une lampe à huile, il l’allumait comme
il en avait l’habitude, et après s’être mis debout pour prier et
supplier Dieu de le diriger en chemin, il disait à la Maîtresse
en se tournant vers son image : Maîtresse sainte, Mère de Dieu,
puisque je vais faire un long voyage, qui va durer bien des jours,
veille toi-même sur ton cierge, et comme je le désire, prends
garde qu’il ne s’éteigne ; car moi, je pars avec ton secours qui
m’accompagne ». Et ayant dit cela devant l’image, il s’en allait.

2 Localité de la tribu de Juda, sur la voie romaine d’Eleutheropolis,


l’actuel Bet-Djibrin.

162 Florilège
Quand il avait fait le voyage projeté, il revenait, tantôt après un
mois, tantôt après deux ou trois, parfois même après cinq ou six ;
et il trouvait le cierge allumé et dans l’état où il l’avait laissé en
partant en voyage ; et jamais il ne le vit s’éteignant de lui-même,
ni quand il se levait après son sommeil, ni quand il revenait de
voyage, ni quand il allait du désert dans sa grotte.

5. L’image de saint Syméon dans une boutique

La vie ancienne de saint Syméon stylite le Jeune (521-592), c. 158, éd.


et trad. P. Van den Ven, Subsidia hagiographica 32, Bruxelles, 1970,
pp. 164 sq. (voir supra, p. 21).

En ces jours-là, il arriva qu’un artisan d’Antioche, par le fait d’un


démon pervers, souffrait d’une terrible oppression et était gra-
vement incommodé à certains moments, au point que l’homme
étouffait à cause de lui, par suite de la contraction de ses poumons.
Cet homme monta auprès du saint et trouva la guérison grâce
aux prières de celui-ci. Rétabli comme s’il n’avait souffert d’aucun
mal et rentré chez lui, il éleva au saint, par reconnaissance, une
image dans un endroit public et bien en vue de la ville, au-dessus
de l’entrée de son atelier. Lorsqu’ils virent cette image honorée
et glorifiée à l’aide de lumières et de tentures, certains des incroy-
ants, pleins de haine, excitèrent des hommes épris de désordre,
leurs pareils, si bien que la foule s’assembla et se mit à pousser
des cris séditieux : « Qu’on enlève la vie à celui qui a fait cela et
que l’image soit jetée à bas. »
Il arriva, suivant une disposition divine, que l’homme
ne se trouvait point chez lui à ce moment-là ; on projetait, en effet,
de le tuer, et tous poussaient des cris divers, car leur méchanceté
vis à vis de Dieu était extrême et leur jalousie sans limite. Poussés
par celle-ci, ils s’étaient réunis dans ce dessein, croyant trouver
l’occasion de s’opposer au saint et de l’outrager, parce qu’il avait,
à maintes reprises, réfuté la croyance erronée des païens qui se

163
trouvaient parmi eux. Comme donc ils ne pouvaient supporter
une pareille folie, ils enjoignirent à un des soldats présents de
monter à l’échelle et de jeter à bas l’image. L’homme monta, et
comme il étendait les mains pour exécuter l’ordre, il fut aussitôt
précipité de haut en bas sur le sol. Et il y eut un grand tumulte
dans la foule, et, s’y reprenant, dans leur excitation ils firent
monter un deuxième homme, qui lui aussi étendit les mains pour
tirer à bas l’image et qui, pareillement, fut précipité à terre. Devant
ce fait, tous, pris de crainte, commencèrent à se marquer du signe
de la croix. Mais, rendus encore plus furieux, les incroyants dont
il a été parlé recommencèrent et firent monter un troisième
homme dans le même dessein, et quand il étendit les mains, lui
aussi, pour jeter bas l’image, il fut, lui aussi, précipité à terre. Alors
une grande crainte saisit tous les fidèles présents. Effrayés de
l’endurcissement et de l’audace de ces hommes incrédules et sacri-
lèges, ils se prosternèrent, en priant, devant l’image et s’en allèrent.

6. Le Christ de Camuliana

Cité in Ernst von Dobschütz, Christusbilder. Texte und Untersuchungen


zur Geschichte der altchristlichen Literatur, Leipzig, Hinrichs, 1899,
pp. 12** sq. (voir supra, pp. 22).

La découverte de l’image de Camuliana, acheiropoïète et divine, rédigée


par notre saint père Grégoire l’évêque de Nysse3.
Notre Seigneur Jésus Christ [...] ; image identique du Père
né du Père avant les siècles de manière invisible et, dans le temps
actuels, né d’une mère vierge, il a daigné apparaître ici de nouveau
dans une image sainte à cause de sa bonté et de sa miséricorde
sans limites. Autrefois il guidait les mages sur la route au moyen
d’une étoile, maintenant il emmène ceux qui ont un cœur d’enfant

3 L’attribution du texte est erronée : il a été composé entre 600


et 750. Cf. E. von Dobschütz, Christusbilder, op. cit., p. 43.

164 Florilège
vers la connaissance parfaite qui est en lui. [...] En vérité c’est
un miracle étrange et admirable que le créateur nous donne à voir
ses traits immatériels, à nous qui sommes d’argile. Engendré
d’une vierge il est apparu comme un homme nouveau ; sous cette
forme il a consenti à être vénéré dans son image matérielle.
Ô miracle plus étrange encore que les miracles ; encore une fois
la condescendance du maître bienveillant envers ses serviteurs
s’est manifestée.
Venez donc, frères et pères, écoutez : à vous tous qui
craignez le Seigneur je vais raconter ce qui s’est passé dans
la nouvelle Bethléem de Camuliana, et moi, l’humble Grégoire,
je vous exposerai l’histoire de la vénérable image et de la bien-
heureuse Vassa, nommée plus tard Akylina, et comment l’Esprit
saint les a fait apparaître à mon indignité. La bienheureuse était
grecque [i. e. païenne]. Son mari aussi était païen, il se nommait
Camulos. Il était toparque d’une province et persécutait les
chrétiens, suivant l’ordonnance de Dioclétien4. Illuminée par
la grâce divine, elle cherchait à s’écarter de son époux et de sa
religion. Elle cherchait à confier son esprit et sa pensée au seul
Seigneur de vie et Roi, mais elle gardait cela secret à cause de la
peur qu’elle avait de cet homme injuste. Elle suppliait sans cesse
le Seigneur de lui accorder le baptême, elle passait ses nuits
en prières et jeûnait chaque jour, conservant la pureté de son âme
et de son corps : pour cela, elle fut jugée digne de la révélation
du Saint-Esprit.
Alors qu’elle priait notre Seigneur Jésus-Christ en pleurant
et le cœur plongé dans l’humilité, Dieu, qui exauce les vœux de
ceux qui le craignent, écouta sa prière après avoir mesuré sa foi
et dit : « Comme je suis descendu dans le monde pour le salut des
hommes par l’intermédiaire de l’Esprit saint et de Marie la Vierge,
maintenant aussi je viens à toi parce que j’ai pitié de tes larmes,

4 En 303, l’empereur Dioclétien (284-305) déclencha contre les


chrétiens une grande persécution qui devait durer dix ans.

165
prépare donc [une table] propre et pose sur elle un voile blanc
et un vase intact et transparent rempli d’eau. Installe cela dans
une pièce décorée. Jette-toi au sol à l’extérieur de la pièce et
ma main droite te couvrira et je t’apparaîtrai selon ma volonté.
La bienheureuse Akylina se jeta donc au sol, ainsi que le lui avait
ordonné la voix divine. Et le Seigneur Christ descendit vers elle,
Ô étrange et terrible mystère, lui qui est présent toujours et
partout, qui n’abandonne jamais ceux qui placent leur espoir
en lui, l’invoquent à haute voix et le désirent. Ô condescendance
et bienveillance indicible, car il jugea ses esclaves dignes d’une
telle gratification ! Et avec lui vinrent toutes les puissances du ciel
autour de la cinquième heure de la nuit en chantant ces paroles :
« Saint, saint, saint, le Seigneur Sabbaoth ! » Et celui qui avait lavé
les pieds de ses disciples et les avait essuyés avec le linge qu’il
portait autour de la taille, prit de l’eau dans ses mains et lava son
visage et, Ô miracle, après s’être lavé, il essuya dans le voile propre
son visage sans tache et insaisissable. Aussitôt apparut l’empreinte
(tupos) à la fois divine et humaine de son visage (charakter) saint
et véritable, tel qu’à nous tous elle apparaît aujourd’hui. Et de
même qu’autrefois dans sa bienveillance et sa condescendance
il a opéré sa propre incarnation, de même à présent, il montre
cette incarnation à la bienheureuse et vénérable Akylina.
Après que tout cela fut accompli, la femme remercia
le Seigneur et ne se rassasiait pas de remerciements. Elle scella
la sainte empreinte à l’intérieur d’un pilier ( ?) de sa maison car
elle craignait son époux et lui rendait tous les honneurs.
Lorsqu’elle pressentit qu’elle allait mourir, elle s’occupa
avec sollicitude de la sainte image acheiropoïète et non peinte,
et après avoir écrit ce qui s’était passé, elle déposa l’image et le
texte dans un endroit sûr. Après sa mort, l’image se révéla à moi,
l’humble Grégoire, à Camuliana, dans sa maison, par l’interven-
tion du Saint-Esprit. Après être allé à l’endroit qui m’avait été
indiqué, je creusai le mur et trouvai un étui dans lequel était la
sainte empreinte de la lumière du Père. J’allumai la chandelle que

166 Florilège
la bienheureuse femme avait suspendu il y a bien longtemps et
Ô miracle ! un petit encensoir qui répandait le parfum de l’encens.
Ce fut le premier et le plus grand des miracles que je vis de mes
yeux, moi qui ne suis qu’un humble évêque. Je le révélai à tous
et décidai en même temps d’exposer [l’acheiropoïète] dans l’église
métropolite de Césarée. Elle accomplit un grand nombre de
guérisons, comme du temps de l’Incarnation : des aveugles, des
boiteux, des possédés, des paralytiques furent guéris aussitôt,
afin que l’accomplissement de la grâce et la générosité du Saint-
Esprit deviennent manifestes. Car le Logos incarné du Père éternel
vit, exerce sa puissance, règne et demeure pour les siècles et les
siècles des siècles.
Cela se passait à Camuliana. L’image très pure et achei-
ropoïète fut inventée et cachée sous le règne de Dioclétien. Elle
fut retrouvée et effectua des miracles sous le règne de Théodose
le Grand5.

7. La procession d’une icône

Chronique de Zacharias de Mytilène. Historia ecclesiastica Zachariae


Rhetori vulgo adscripta II. Corpus scriptorum orientalium, Scriptores
syri, series tertiae, t. VI (Textus) Louvain, Secrétariat du Corpus
SCO [1919] 1953, p. 198, (texte original en syriaque traduit de
l’anglais). (voir supra, p. 23)

[...] Il l’admonesta sévèrement de se comporter de manière vile


et de faire du tort à son âme au regard du jugement à venir.
Et elle lui dit : « Comment puis-je l’adorer, puisqu’il n’est pas visible
et que je ne le connais pas ? » Et le lendemain, alors qu’elle se
trouvait dans son jardin (paradeisos) et que toutes ces choses
étaient dans son esprit, dans une fontaine d’eau qui se trouvait

5 Théodose (379-395). C’est sous son règne que le christianisme


devient religion d’État.

167
dans le jardin, elle vit un portrait de Jésus notre Seigneur, peint
sur une pièce de lin et qui se trouvait dans l’eau. En la sortant,
elle fut surprise de trouver qu’elle n’était pas humide. Et pour
montrer sa vénération pour cet objet, elle le cacha sous le voile
qui recouvrait sa tête (phaskolion), l’emporta et le montra à l’homme
qui l’instruisait ; et sur le voile s’était imprimée une copie exacte
du portrait qui avait été sorti de l’eau.
Une autre image parvint à Césarée quelque temps après
la Passion de notre Seigneur et l’autre image fut conservée dans
le village de Camuliana, et un temple fut construit en son honneur
par Hypatia, qui devint chrétienne. Mais quelque temps après, une
autre femme, originaire du village de Dibudin que nous avons déjà
mentionné6, dans la juridiction d’Amasia, lorsqu’elle apprit ces faits,
fut transportée d’enthousiasme et, d’une manière ou d’une autre,
fit transférer une copie de l’image de Camuliana dans son propre
village : et dans ce pays, les habitants l’appellent « acheiropoietos »,
c’est à dire non fait de main d’homme et surtout, elle construisit
également un temple en son honneur. C’est assez sur ce point.
Dans la vingt-septième année du règne de Justinien,
durant la troisième indiction [554-555], une bande de barbares en
maraude s’empara du village de Dibudin, le brûla avec le temple
et emmena la population en captivité. Quelques hommes scru-
puleux, natifs de ce lieu, informèrent le Roi sérénissime de ces
événements, et le supplièrent de verser une contribution afin
que le temple et le village puissent être restaurés et la rançon
de la population payée. Et il donna ce qu’on lui demandait. Mais
un personnage du palais, de la suite du Roi, avisa celui-ci qu’il
fallait faire transporter l’image de notre Seigneur en cercle autour
de la ville par les prêtres et qu’il fallait collecter une somme
suffisante pour reconstruire le temple et le village. Et voyez ! De
la troisième jusqu’à la neuvième année [561], ils se sont consacrés
à cette tâche. Et je crois que ces faits se sont déroulés sous la

6 Dans le début perdu du chapitre ?

168 Florilège
direction de la providence, parce qu’il y a deux venues du Christ
selon l’enseignement des Écritures, l’une d’humilité, qui advint
cinq cent soixante-deux ans avant cette neuvième année, qui
est aussi la trente troisième du règne de Justinien, et une venue
future et glorieuse que nous attendons. Et c’est aussi le type
[i. e. l’image] de la procession circulaire du mystère, du portrait
et de l’image couronnée du Roi et Seigneur qui règne là haut
et ici-bas, qui sera bientôt révélé. C’est pourquoi je m’admoneste,
moi comme mes frères, puisque nous craignons l’instant où
nous tomberons entre les mains de Dieu, que chaque homme
se consacre à l’affliction et à la pénitence, car il sera exaucé dans
ses souhaits ; car la venue de notre Dieu, le juge rigoureux est
pour bientôt ; gloire à lui, à son Père et au Saint-Esprit. Amen.

8. Le Christ de Narbonne

Grégoire de Tours, De gloria martyrum, c. 23. PL 71, col. 724 sq.


(voir supra, p. 25).

Il y a aussi, dans la ville de Narbonne, dans la plus ancienne église,


qui s’enorgueillit de posséder les reliques du bienheureux
martyr Génésius, une peinture montrant Notre Seigneur crucifié
comme s’il était couvert d’un simple linge. Comme le peuple
contemplait cette image avec assiduité, un personnage effrayant
apparut en songe à un prêtre nommé Basilos, et lui dit : « Vous
portez tous des vêtements variés, et vous me voyez nu, sans
cesse. Dépêche-toi, trouve-moi un vêtement. » Mais le prêtre,
ne comprenant pas la vision, ne s’en souvint plus lorsque le jour
fut levé. À nouveau il lui apparut ; mais l’autre ne lui prêta pas
plus d’attention. Alors, trois jours après la seconde vision, après
l’avoir violemment frappé, il dit au prêtre : « Ne t’avais-je pas
demandé de me trouver un vêtement pour qu’on ne me voie pas
nu ? Et cela, est-ce que tu l’as fait ? Va, dit-il, et couvre d’un linge
cette peinture sur laquelle j’apparais crucifié, si tu ne veux pas

169
mourir subitement. » Et l’autre, bouleversé et plein de crainte,
raconta cela à l’évêque, qui ordonna aussitôt que l’on tende un
voile sur la peinture et c’est ainsi recouverte qu’on la voit main-
tenant. On soulève le voile pour contempler la peinture, puis
on le laisse aussitôt retomber afin de la cacher.

9. L’image portant des vêtements de mendiant

Jean Moschus, Pratum spirituale, in Th. Nissen, « Unbekannte


Erzählungen aus dem Pratum spirituale », Byzantinische
Zeitschrift 38 (1938), no 12, pp. 367 sq. (voir supra, p. 25).

Dans la grande Antioche, en Syrie, il y a une multitude d’aumô-


neries. L’une d’entre elles était dirigée par un homme qui aimait
le Christ. Il avait pour habitude de fournir aux indigents ce dont
chacun avait besoin. Il achetait donc ce qu’il fallait pour cela.
Entre autre, il se procurait des tissus de lin de qualité inférieure
importés d’Égypte et fournissait aux pauvres des vêtements
fabriqués avec ces tissus. Il appliquait ainsi la parole du Seigneur :
« J’étais nu et vous m’avez habillé ». Alors qu’il distribuait des
vêtements, comme on l’a dit, un chrétien vint et reçut du linge
non pas une fois, mais deux, et même trois. Lorsque l’ami du
Christ se rendit compte que cet homme revenait une deuxième,
puis une troisième fois, il songea à lui toucher un mot à ce sujet.
Comme l’autre revenait pour la quatrième fois, prenant la défense
des autres pauvres, il lui parla en ces termes : « Voilà que tu as
reçu des vêtements trois et quatre fois, et tu n’as entendu aucun
reproche de ma part. Désormais, ne fais plus cela, car d’autres sont
dans la détresse et ont besoin de la charité. » Le pauvre homme
partit couvert de honte et la nuit suivante, le responsable de
l’aumônerie se vit transporté en rêve au lieu nommé Cherubim.
C’est un lieu sacré et ceux qui savent disent qu’une image très
admirable y est exposée qui porte l’effigie de notre sauveur Jésus-
Christ. Alors qu’il restait là, debout et pensif, il voit le Sauveur

170 Florilège
descendre de l’image et venir vers lui en le blâmant au sujet des
quatre vêtements que le pauvre avait reçus. Comme l’autre restait
silencieux lui aussi, ouvrant la tunique qu’il portait, le Christ
lui montre les vêtements qu’il porte dessous et les compte :
« En voilà un, en voilà deux, en voilà trois, en voilà quatre. N’aie
pas peur de donner ; sois sûr que, dès lors que tu les as donnés au
pauvre, ils sont devenus des vêtements pour moi. » En recon-
naissant ce vêtement, l’autre se jeta aux pieds du Christ en disant :
« Pardonne ma pusillanimité, Seigneur, j’ai raisonné comme
un homme. » En se réveillant, il remercia Dieu de lui avoir donné
cette assurance et désormais, il donna avec générosité et joie à
tous ceux qui lui demandaient.

10. L’image transpercée par un juif

Grégoire de Tours, De gloria martyrum, c. 22. PL 71, col. 724 (voir


supra, p. 25).

Du juif qui déroba une image du Christ et qui la transperça.


Jusqu’à présent, l’amour qu’on a porté au Christ était soutenu
par une piété telle que le peuple des croyants, qui conserve sa
loi gravée sur les tablettes de son cœur, suspend aussi, dans les
églises et dans les maisons, son image peinte sur des tableaux
visibles afin de commémorer sa puissance : mais là aussi, l’ennemi
qui combat sans relâche le genre humain veille. Un juif, qui voyait
souvent dans une église une image de ce genre peinte sur une
tablette et fixée au mur, dit : « Voilà le séducteur qui nous a humiliés,
nous et notre race. » Alors, venant pendant la nuit, il frappe
l’image d’un instrument acéré, l’arrache du mur, l’emporte sous
son manteau dans sa maison et s’apprête à la jeter dans les
flammes. Mais une chose étrange se produisit dont on ne pouvait
douter qu’elle relevait de la puissance de Dieu. Car de la plaie,
là où l’image avait été transpercée, le sang s’était mis à couler,
ce dont le meurtrier sauvage, aveuglé par la fureur, ne s’était pas

171
aperçu. Mais lorsqu’à travers les ténèbres de la nuit obscure il fut
rentré dans sa maison, il apporta de la lumière et vit qu’il était
tout couvert de sang. Craignant que son crime ne soit découvert,
rejetant le tableau loin de lui, il le cacha dans l’obscurité, n’osant
pas toucher plus longtemps ce qu’il avait osé voler sans scrupules.
Lorsqu’au matin les chrétiens pénètrent dans la maison
de Dieu, ils ne trouvent pas l’icône, ils s’étonnent, se demandent
ce qui s’est passé et découvrent les traces de sang. En les sui-
vant, ils parviennent à la maison du juif. Après l’avoir interrogé
sur le tableau, ils ne savent rien de certain. Ils le cherchent
alors partout et le trouvent au fond de la maison du juif, dans
un coin d’une petite pièce. Après l’avoir rapportée dans l’église,
ils lapidèrent le voleur.

11. L’image transpercée par un Sarrasin

Texte attribué à Anastase le Sinaïte et cité par Jean Damascène,


Orationes tres... PG 94, col. 1393 AC (voir supra, p. 25).

À une distance de quatre milles de Damas se trouve le village


de Karsatas. Il y a dans ce village une église consacrée à saint
Théodore. Dans cette église vinrent des Sarrasins ; ils occupèrent
les lieux et y répandirent toutes sortes d’ordures de femmes,
d’enfants et d’animaux. Un jour, plusieurs étaient assis et conver-
saient quand l’un d’entre eux décocha une flèche contre l’image
de saint Théodore : elle lui frappa l’épaule droite. Aussitôt, le sang
jaillit et coula jusqu’au bas de l’image et tous pouvaient voir le
phénomène qui se déroulait, la flèche plantée dans l’épaule du saint
et le sang qui continuait de couler. Et pourtant, en contemplant
ce miracle insolite, ils ne comprirent pas. Celui qui avait tiré la
flèche ne se repentit pas, aucun d’entre eux ne fut troublé, ils ne
se retirèrent pas du temple et ne cessèrent pas de le souiller.
C’est ainsi qu’ils se sont donné le châtiment extrême.
Car les vingt-quatre familles auxquelles appartenaient les

172 Florilège
habitants du temple, en quelques jours, périrent toutes d’une
mort misérable. Car aucun ne périt dans son propre pays, hormis
ceux qui avaient vécu dans le temple. Et l’image transpercée
subsiste encore, portant la blessure de la flèche et la trace de sang.
Nombreux ceux qui ont assisté au prodige, lorsqu’il se produisit,
et qui sont encore vivants. Moi-même, j’ai pu contempler cette
image et après l’avoir vue, j’ai écrit ce que j’ai vu.

12. L’empreinte de saint Georges sur la colonne

Arculf, Relatio de locis sanctis, III, 4, cité in T. Tobler, Itinera et


descriptiones terrae sanctae, I, Genève, Fick, 1877, pp. 195 sq. (voir
supra, pp. 25-26).

Dans la ville de Diospolis7 était érigée, dans la maison du confes-


seur Georges, une colonne de marbre, contre laquelle il avait été
ligoté et flagellé au temps de la persécution ; une forme8 y était
imprimée. Or, après avoir été flagellé, le confesseur fut détaché
de ses liens et vécut encore de nombreuses années9. Mais un jour
vint un méchant homme, incrédule et au cœur dur, qui entra à
cheval dans la maison. Voyant la colonne de marbre, il interrogea
ceux qui se trouvaient là et leur dit : « Que représente cette image
tracée sur la colonne de marbre ? » Ils lui répondirent en ces
termes : « Ce sont les traits du confesseur Georges, qui fut attaché
et fouetté sur cette colonne. »
À ces mots, cet homoncule, qui était aussi très stupide, fut
pris d’une grande colère à l’encontre de cette chose insensible
et, inspiré par le diable, il frappa de sa lance la forme du Saint
confesseur. Mais la lance, arrivant de face, de façon miraculeuse,
y pénétra apparemment facilement, comme dans un amas de neige

7 Ancien nom de Laodicée, ville de Phrygie.


8 Formula : voir supra, note 1.
9 Construction peu claire.

173
molle, et réussit à perforer la surface de la colonne de pierre ; le fer
de la lance resta fiché à l’intérieur, et jamais, par aucun moyen,
on ne put l’en retirer. Quant à la hampe du javelot, elle se brisa
sous le choc en venant heurter la surface de la forme du Saint
confesseur. Le cheval qui servait de monture à ce misérable, au
même moment, tomba sous son maître et mourut sur le pave-
ment de la maison. Enfin, l’homme, tombant à terre en même
temps, lança sa main contre la colonne, et ses doigts, y entrant
comme dans de la farine ou du limon, vinrent adhérer à la colonne
et s’y imprimer. À cette vue, le malheureux, qui ne pouvait
plus récupérer les dix doigts de ses deux mains – ils étaient liés
ensemble et insérés dans le marbre, adhérant à l’inscription du
Saint confesseur – invoque le nom de Dieu éternel et du confes-
seur, fait acte de repentir, et afin d’être libéré de ses liens, verse
des larmes et se répand en prières. Voyant son repentir et ses
pleurs, le Seigneur miséricordieux, qui ne veut pas la mort du
pécheur, mais souhaite qu’il vive et se convertisse, non seulement
le délivra de ce lien visible qui le retenait au marbre, mais, dans
sa miséricorde, le libéra aussi des liens invisibles du péché, en
venant le sauver par la foi.
Cet épisode montre clairement quelle était l’estime dans
laquelle Dieu tenait Georges, qui conserva sa foi sous la torture,
et combien cette estime était grande ; son buste, façonné dans
une matière qui par nature est impénétrable (impenetrabilis), le
repentir l’a rendu pénétrable (penetrabilis), la lance de l’adversaire,
tout aussi impuissante à pénétrer (impenetrabilis), il l’a rendue
miraculeusement pénétrante (penetrabilis), et les doigts infirmes
de ce méchant homme, de même nature impuissante à pénétrer,
il les a, eux aussi, rendus pénétrants. Ces doigts étaient enchaînés
au marbre, et l’homme, dans sa dureté, n’avait pu d’abord les
retirer. Mais, bientôt, empli de crainte, il commença à s’adoucir,
s’est repenti, et, Dieu le prenant en pitié, il put les retirer.
C’est là une chose incroyable à dire : jusqu’à ce jour, les
traces de ces dix doigts enfoncés profondément dans la colonne

174 Florilège
de marbre sont encore apparentes. Saint Arculf est venu dans
ce même lieu insérer ses dix doigts, et eux aussi s’y enfoncèrent
jusqu’à la racine. Quant au cheval de l’homme, qui fit une chute
mortelle sur le sol et se brisa la croupe en deux parties, personne
ne put laver ou effacer son sang ; il fit une tache indélébile qui,
de nos jours encore, demeure sur le sol de la maison.

13. Une image miraculeuse dans l’église de Sion

Antonin de Piacenza, Itinerarium [circa 570], c. 22, cité in Ernst


von Dobschütz, Christusbilder. Texte und Untersuchungen zur Geschichte
der altchristlichen Literatur, Leipzig, Hinrichs, 1899, p. 139* (voir
supra, p. 28).

Dans l’église même (Sion), il y a une colonne, contre laquelle


le Seigneur a été fouetté ; sur cette colonne, il y a cette marque
(signum) : lorsqu’il la tenait embrassée, sa poitrine s’imprima sur
le marbre et ses deux mains, avec les doigts et les paumes, appa-
raissent à même la pierre, si bien qu’on en prend les mesures
pour telle ou telle maladie ; ensuite, on porte ces mesures autour
du cou et l’on guérit.

14. La statue du Christ de Panéas

Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique VII, 18, trad. G. Bardy,


Sources chrétiennes 41, 1967, pp. 191-192 (voir supra, p. 30).

Mais puisque j’ai évoqué le souvenir de cette ville10, je ne crois


pas juste d’omettre un récit digne d’être rappelé même à ceux

10 Panéas-Césarée. Sur le christianisme dans cette ville fortement


hellénisée, voir A. von Harnack, Die Mission und Ausbreitung des Christen-
tums in den ersten drei Jahrhunderten, Leipzig, Hinrichs, 1923-1924, t. II,
pp. 636 et 658.

175
qui seront après nous11. En effet, l’hémorroïsse qui, les saints
Évangiles sacrés nous l’ont appris, trouva auprès du Seigneur
la guérison de ses souffrances12, était, dit-on, originaire de là :
on montre sa maison dans la ville, et il subsiste d’admirables
monuments de la bienfaisance du Sauveur à son égard.
En effet, sur une pierre élevée, devant les portes de sa
maison, se dresse une statue féminine en airain : elle fléchit le
genou et, les mains tendues en avant, elle ressemble à une sup-
pliante. En face d’elle est une autre image de la même matière,
la représentation d’un homme debout, drapé d’un manteau
et tendant la main à la femme ; à ses pieds, sur la stèle même,
semble pousser une plante étrange qui s’élève jusqu’à la frange
du manteau d’airain ; c’est l’antidote de maladies de toutes sortes.
On disait que cette statue reproduisait les traits de Jésus ; elle a
subsisté encore jusqu’à nous, de sorte que nous l’avons vue nous-
même, lorsque nous sommes allés dans cette ville. Et il n’y a
rien d’étonnant à ce que des païens d’autrefois, qui avaient reçu
des bienfaits de la part de notre Sauveur, aient fait cela, alors
que nous avons appris que les images des apôtres Pierre et Paul
et du Christ lui-même ont été conservées, par le moyen des cou-
leurs, dans des tableaux : c’était naturel, car les anciens avaient
coutume de les honorer de cette manière sans arrière-pensée,
comme des sauveurs, selon l’usage païen qui existait chez eux.

11 Le récit suivant a trouvé grand crédit dans l’Antiquité chrétienne.


Il a été reproduit en particulier par Jean Damascène. De imaginibus III. On a
soutenu que le monument décrit par Eusèbe représentait réellement le Christ
et que Julien l’Apostat le fit détruire (Sozomène, Hist. eccl. V XXI ; Philostorgius
Hist. eccl. VII, III, éd. Bidez, pp. 79-80). Il est probable qu’en réalité cette statue
représentait Esculape. A. von Harnack, Die Mission und Ausbreitung…, op. cit.,
t. I, pp. 145-146.
12 Cf. Matth., IX, 20 et sq. ; Mc. V, 25 ; Le., VIII, 43.

176 Florilège
15. L’image exsudant de la rosée

Vie de saint Théodore de Sykéon, c. 8, trad. André-Jean Festugière,


Subsidia Hagiographica 48, 1970, Bruxelles, pp. 7 sq. (voir supra,
p. 30).

Alors qu’il [Théodore] avait environs douze ans, il y eut en ce


village une peste par suite d’enflure des glandes, si bien qu’il
tomba lui aussi malade et fut près de mourir. On le porta à la
chapelle de saint Jean Baptiste, qui était proche du village, et on
l’étendit à l’entrée du sanctuaire. Au-dessus de lui, à l’endroit
où est plantée la croix, se dressait une icône de notre Sauveur
Jésus-Christ. Or, tandis qu’il souffrait grandement des bubons,
soudain, de l’icône, tombèrent sur lui des gouttes de rosée,
et aussitôt, par la grâce de Dieu, délivré de sa peine, il fut remis
en santé et rentra chez lui.

16. L’image qui dispensait un goût de miel

Vie de Théodore de Sykéon, c. 13, trad. A. Festugière, Subsidia


Hagiographica 48, 1970, Bruxelles, pp. 14 sq. (voir supra, p. 30).

Il voulut donc imiter David dans le saint chant des hymnes


et se mit à apprendre le psautier. Mais cela lui donnait beaucoup
de peine, et quand il fut arrivé à grande fatigue jusqu’au seizième
psaume, il ne put apprendre par cœur le dix-septième. Comme
donc il s’exerçait dans l’oratoire du saint martyr Christophe, qui
était proche du village, et qu’il ne pouvait apprendre, il se jeta
sur sa face, suppliant Dieu de lui donner facilité pour la récitation
des psaumes. Le Dieu ami des hommes, qui a dit : « Demandez
et il vous sera donné » (Mt. 7, 7), lui accorda sa demande. Il est sûr
en tout cas que, lorsqu’il se fut relevé du sol, qu’il se fut approché
de l’icône du Sauveur et l’eut prié, il sentit qu’une saveur plus
douce que le miel lui avait été versée dans la bouche. Il reconnut

177
la faveur de Dieu, goûta cette douce saveur et remercia le Christ,
et de cette heure apprit aisément et facilement par cœur le
psautier qu’il retint tout entier en peu de jours. Et ainsi, il se mit
à parcourir à la ronde toutes les églises, « célébrant et louant
le Seigneur en psaumes, hymnes et chants spirituels. » (Col. 3, 16)

17. L’huile miraculeuse (1)

Sophronius de Jérusalem, SS. Cyri et Joannis miracula (miracle


36), PG 87 ter, 3548 sq, trad. J. Gascou, in Sophrone de Jérusalem :
Miracles des saints Cyr et Jean, Paris, De Boccard, 2006, pp. 125-136
(voir supra, p. 30).

Sur le sous-diacre Théodôros qui avait de la goutte.


(...) Que brille donc à la première place, dans les miracles
en faveur d’Égyptiens comme de Libyens, Théodôros de Thennèsos
(c’est une cité d’Égypte). Auparavant, il était au nombre des laïcs
et de ceux qui sont séparés de l’Église catholique. Aujourd’hui,
par la grâce de Dieu, l’illumination et le décret des martyrs, il est
compté parmi ses enfants et, après qu’il ait obtenu le grade
clérical qui vient au-dessous du diaconat, sert comme sous-diacre
dans la vénérable demeure des saints.
Ce Théodôros, dit-on, tomba, en sa prime jeunesse, dans
cette maladie de pied que les médecins appellent goutte [podagra],
à juste titre, à mon avis, du fait de la grande férocité [agriotès] de
ce mal13 [...].
Tombé dans cet état, comme nous l’avons dit, en sa
prime jeunesse, Théodôros avait un mal qui, en se développant,
devenait insupportable. À l’exemple des petits des animaux et
des rejetons des plantes et des arbres qui, dès le début, montrent
tout de suite leur valeur et leur qualité propres et, aux yeux
de ceux qui savent voir, mettent précocement en lumière, dès

13 Jeu de mot sur agrios, sauvage, et pous, podos, le pied.

178 Florilège
la matrice et la naissance, la vigueur qu’ils auront par la suite,
ce mal annonça lui aussi sa grandeur dès son apparition, si bien
que de vilaines fistules se diffusaient sur les pieds et les mains,
du fait de la violence des douleurs et de l’humeur qui s’écoulait
comme un flux incessant.
En effet, sans avoir encore atteint leur croissance complète,
ses doigts avaient pris la difformité des pierres. Les extrémités
de ses pieds ressemblaient à des mottes de terre. Peut-être ses
pieds et, avec eux, ses mains, auraient-ils pris cet aspect, renié
leur forme propre et changé complètement d’apparence, si
Théodôros, pour combattre la maladie, n’avait trouvé Cyr ainsi
que son compagnon, le martyr Jean. En effet, il se confia d’abord
aux médecins, mais, comme il vit que la maladie était plus forte
qu’eux et dépassait manifestement leur art, avant qu’elle ne le
défît aussi lui-même, il s’en remit aux saints, convaincu qu’eux
seuls après Dieu pouvaient, s’ils le voulaient, apaiser le mal,
en lui tendant un frein divin et non réalisé par un art humain.
Une fois donc parvenu à leur temple, il leur adressait
des suppliques pour obtenir les mêmes soins que tout le monde,
mais les compatissants martyrs, qui l’approchèrent à plusieurs
reprises pendant son sommeil, lui ordonnaient de communier
avec l’Église catholique. Ils lui juraient qui s’il obéissait aux conseils
d’orthodoxie qu’ils lui donnaient, ils lui accorderaient aussi la
santé, lui procureraient des présents utiles à la vie d’ici-bas et
l’estimeraient digne des ordres cléricaux, car il était de l’hérésie
de Julien d’Halicarnasse14.

14 Julien, évêque d’Halicarnasse, était monophysite (il ne reconnais-


sait dans le Christ qu’une nature divine, contre le dogme de Chalcédoine
(énoncé en 454) posant l’unicité de la personne et la dualité des natures).
En 518, il fut exilé en Égypte où il fonda la secte aphthartodocète ou julianiste,
variante de monophysisme qui reconnaît l’engendrement du Christ mais
soutient son incorruptibilité (cf. H.-G. Beck, Kirche und theologische Litteratur
im byzantinischen Reich, Munich, C. H. Beck, 1959, pp. 388-390).

179
Mais après qu’il eut entendu tout ce qu’ils lui juraient,
il n’en demeura pas moins défiant et ne changea pas. Comme
ils ne le persuadaient pas avec des paroles, les martyrs essayaient
en conséquence les fouets de la maladie. Même ainsi, ils ne
persuadèrent pas notre homme. Ils décident alors de lui faire
voir la grandeur de son infirmité, afin que, de la sorte, craignant
pour l’avenir, il se rende traitable. Ils se manifestèrent tous deux
dans un songe, [où] ils lui prescrivirent de monter avec eux sur
le toit du temple. Debout au sommet du toit, ils lui montraient
la mer sereine et lui demandaient s’il pouvait en compter les
vagues. Lui de répondre qu’il les compterait, et très aisément.
Les martyrs lui disaient de compter. Il commença son
dénombrement, indiquant sans difficulté les nombres correspon-
dant aux vagues, mais comme elles devenaient peu à peu plus
serrées, puis déferlaient sans arrêt sur le rivage, nombreuses
et en rangs continus, elles l’emportaient invinciblement sur
Théodôros qui avait dit qu’il pouvait les compter, et le contrai-
gnaient à admettra la défaite. Vaincu par le grand nombre
des vagues, il se prosterna sur le visage. Tout en avouant son
incapacité, il demandait pardon aux saints.
Ils le relevèrent, et lui disent : « Vois-tu ces vagues
incessantes et sans nombre ? » Lui de répondre : « Oui, très glorieux
martyrs. » Les saints reprennent la parole : « De même que
personne ne peut dénombrer ces vagues ni les maîtriser, excepté
Dieu leur Créateur, de même pour les humeurs liées à ton infir-
mité. Si tu te rangeais donc à ce que nous n’arrêtons pas de
te recommander et adoptais nos opinions sur la foi, nous aussi
nous t’écouterions et prierions pour toi le Christ, notre Dieu
et Sauveur. Nous sommes sûrs qu’il ne manquerait pas de te
donner la guérison. En effet, comment intercéderons-nous pour
toi auprès de lui, si tu continues à ne pas nous obéir ? » Notre
homme écouta cela, et bien d’autres choses, mais ne changea
nullement d’idée, mais comme il repoussa aussi cette exhortation
qu’ils lui adressaient, ils se manifestent, non plus pour admonester

180 Florilège
avec bienveillance, mais pour menacer avec sévérité. En effet,
quelques jours après ladite vision, il voyait encore les martyrs
en rêve. Ils ne l’exhortaient plus avec des mots d’encouragement,
mais lui donnaient des ordres assortis d’effrayantes menaces,
car, dit-on, ils siégeaient sur des chaires. À leurs côtés, pendant
qu’ils siégeaient, se tenaient les troupes et les fonctionnaires
civils. Certains d’entre eux, comme dépêchés par ordre des martyrs,
se saisirent de Théodôros (c’est ce qu’il se figurait en rêve),
lui ramenèrent les mains derrière le dos, le forcèrent à pencher
la nuque vers le sol, selon la posture que les exécuteurs font
prendre aux criminels […].
[… ] Revenu à lui après le songe, encore tremblant de peur,
il réfléchissait à ce qu’il avait vu en rêve. Il n’était pas encore
convaincu, mais avait atteint le point où il avait l’âme indécise
et l’esprit oscillant d’une position à l’autre. Pendant qu’il réflé-
chissait à cela, avant qu’il n’eût apprécié son intérêt et arrêté
fermement le parti à prendre, il se rendormit. Il revoit les martyrs
sous l’aspect et l’habit du diacre Joulianos, qui, à cette époque,
avait été chargé de surveiller le temple. Ils étaient auprès de lui
et lui disaient : « Eh ! Allons prier au tombeau des saints. »
Ils lui tenaient ces propos pour vérifier s’il était converti
et leur était devenu docile après une telle vision. De fait, ils se
rendent à leur précieux cercueil, accompagnés de Théodôros.
Quand ils se furent trouvés en face du phôtistèrion, où sont
déposés les vivifiants mystères du Christ, ils l’invitent à entrer
et communier, lui disant : « Entre avec nous et participe aussi
aux saints mystères du Christ. »
Lui de répondre : « Non ! Je n’entre pas, car je suis d’une
autre opinion que la doctrine de l’Église. J’attends aujourd’hui
ma mère qui doit m’apporter les offrandes de la communion.
Mais laisse-moi à présent, dit-il à notre diacre, afin que, pendant
que les grilles du tombeau sont ouvertes, j’entre y prendre
l’huile de la lampe », car beaucoup de ceux qui sont hors de notre
communion agissent ainsi, prenant de l’huile qui brûle dans

181
la lampe des saints à la place du saint corps et du sang du Christ,
notre Dieu et Sauveur commun. À mon avis, ils ne savent pas
ce qu’ils font, et ignorent qu’ils ont grand tort.
En effet (je le confesse aussi), l’huile de la lampe des martyrs
a été sanctifiée, mais qu’est-ce que cela en regard de celui qui
a sanctifié les saints eux-mêmes ? Nous admettons aussi que cette
huile a du pouvoir contre les maladies, mais qu’est-ce que cela
en regard du Christ, Sagesse et Puissance de Dieu, qui attribue
aussi aux martyrs eux-mêmes les charismes des pouvoirs ? Elle
est digne d’honneur (je l’avoue aussi) en tant qu’elle brûle au-
dessus du tombeau, mais qu’est-ce que cela en regard de celui
qui trône sur les chérubins ? Et pourquoi mettons-nous en avant
l’huile de la lampe des saints plutôt que les saints eux-mêmes,
qui sanctifient l’huile de la lampe ?
[...] Mais reprenons la suite de notre histoire.
Ayant donc entendu qu’il voulait prendre de l’huile
de leur lampe, les martyrs, qui avaient adopté auprès du malade
l’apparence du diacre Joulianos, se dressent sur le seuil qui précède
les grilles du tombeau. Debout face à lui, ils lui en interdisaient
l’entrée. Quand il s’y dirigeait, ils couraient à sa rencontre en
changeant de direction, tantôt à gauche, tantôt à droite, et lui
barraient l’entrée avec leur corps. Comme, après bien des va-et-
vient, ils ne l’avaient pas convaincu de se rendre à leur phôtis-
tèrion pour y participer aux mystères du Christ, ils le laissèrent
emprunter l’accès à leur châsse.
Quand Théodôros l’eut traversé et fut entré dans le
vestibule, avant qu’il ne fût arrivé aux grilles et n’eût pris l’huile,
ils saisirent son habit par derrière et le firent se retourner vers
eux. Ils l’exhortaient de nouveau à les écouter et les suivre, plutôt
que les chefs de file de son hérésie. Comme ils voyaient que même
ainsi il ne leur obéissait pas, ils le laissèrent aller à leur tombe.
Théodôros se retourna et voit fermées les grilles du tombeau.
Ne sachant plus comment prendre l’huile de la lampe, il s’en alla
triste et chagriné, mais les compatissants martyrs ne se décou-

182 Florilège
ragèrent pas. Ils attendirent devant le phôtistèrion. Alors qu’il
sortait du tombeau, ils l’invitaient et l’exhortaient de nouveau
par des instructions et de nombreux conseils.
Le voyant si opiniâtre et désobéissant, ils [le] renvoyèrent
sur ce discours assorti d’un serment terrifiant : « Par le Christ,
Fils de Dieu le Père, Seigneur et Dieu de l’univers qui règne sur
l’armée des martyrs et nous donne la grâce des guérisons, si tu
ne nous écoutes pas et ne t’associes pas d’un cœur pur et sans
tache à son Église catholique, qui est la seule, et aux mystères qui
s’y célèbrent, tu quitteras cet endroit malade comme tu es venu,
sans avoir rien gagné de nous. » Cela fut dit et intervint en songe,
mais au matin, il allait prier au tombeau des saints, lorsqu’il voit
devant le tombeau un nommé Paschasios, dérangé par un esprit
malin. À la vue de Théodôros, il lui déclara ce qui suit, d’une voix
stridente, en lui lançant des regards effrayants et en grinçant des
dents, comme s’il parlait au nom des saints : « Va vite éclairer ton
âme, sinon, par la puissance qui habite ces lieux, de même que
tu es venu ici sous l’emprise d’une goutte furieuse, de même tu
te retireras sans obtenir la guérison. Ce sont les saints martyrs
qui m’ordonnent de te le dire. » Après qu’il eut entendu les mots
du possédé, Théodôros fut saisi de crainte. Ce qu’il avait vu en rêve
lui revint aussi à l’esprit, du fait de l’analogie des menaces profé-
rées. Il s’en alla tout de suite au phôtistèrion participer aux mys-
tères du Christ et, en participant aux mystères, illumina son âme.
Sous l’influence du démon, il tomba après sa communion
dans un profond abattement, se mit affligé au lit et s’endormit sans
tarder du fait de sa tristesse. Il voit les martyrs, qui avaient repris
l’apparence du diacre Joulianos, s’enquérir auprès de lui de la
cause de son inquiétude. Il dit : « C’est parce que les saints m’ont
forcé à communier. » Il [le diacre] répond : « Cela doit-il absolu-
ment t’affliger ou te chagriner ? Tu devrais plutôt être content
et te réjouir, vu l’avantage qui en résulte pour ton âme et l’espoir
de voir guérir ta maladie, et, bien évidemment, parce que cela,
c’est la volonté de Dieu, sans laquelle les saints n’opèrent rien. »

183
Après qu’ils l’eurent réconforté par ces paroles, les
martyrs se retirèrent. Théodôros repris ses sens. Il s’inquiétait
de l’arrivée de sa mère, surtout parce qu’elle devait apporter des
restes de sa propre secte. Elle arriva de bonne heure, sans rien
apporter de ce qui l’avait incitée à accomplir sa visite. Elle avait
eu un accès d’oubli, par un plan manifeste des martyrs. Quand
Théodôros s’en fut aperçu, il commença par se réjouir puis
raconta à sa mère tout ce que les martyrs avaient fait à son sujet
et comment ils l’avaient forcé à rejoindre l’Église. Voici donc
comment il rejoignit l’Église.
Parlons enfin aussi, en peu de mots, de sa santé corporelle.
Quelques jours plus tard, il dormait encore, lorsqu’il voit à ses
côtés les martyrs qui lui ordonnaient de les accompagner. Il les
suivit, dit-il, avec grand empressement, car il savait que suivre les
saints ne lui serait pas sans profit. « Nous arrivâmes donc à un
temple parfait, d’apparence formidable et éclatante. Il était si
haut qu’il touchait aux cieux eux-mêmes. Quand nous y eûmes
pénétré, nous voyions une très grande et merveilleuse icône.
Au centre, elle représentait en couleurs le Seigneur Christ.
À la gauche du Christ, il y avait Notre Dame Marie Mère de Dieu,
toujours Vierge, et, à sa droite, Jean, Baptiste et Précurseur du
Sauveur lui-même, lui qui dans la matrice l’a annoncé par ses
tressaillements (en effet, même s’il avait parlé, comme il y était
enfermé, on ne l’aurait pas entendu). Il y avait aussi une partie
du chœur glorieux des apôtres, des prophètes et de la troupe des
martyrs. Parmi eux se trouvaient les martyrs Cyr et Jean eux-
mêmes. Ces derniers, se tenant devant l’icône, se prosternaient
aux pieds du Seigneur, genoux fléchis et la tête posée sur le sol,
intercédant pour que le jeune homme fût guéri.
L’intercession était en ces termes : « Seigneur bienveillant,
veux-tu que nous donnions aussi la guérison à cet homme ? »
Ils se prosternèrent maintes fois et lui adressèrent à maintes
reprises leurs paroles de supplication, mais, comme le Seigneur
Christ n’acquiesçait pas, ils cessèrent d’intercéder. Tristes et

184 Florilège
affligés, dit-il, ils s’approchent de moi qui me tenait près de l’icône.
Lorsqu’ils furent à mes côtés, ils disent : « Comme tu le vois,
le Seigneur refuse de t’accorder la guérison, mais ne t’inquiète
nullement, car il est évident qu’il sera bon avec toi, comme il l’est
avec tous. » Ils s’absentèrent pendant environ une demi-heure,
revinrent supplier et s’en retournèrent de nouveau sans résultat,
attristés comme auparavant, car le Seigneur refusait. Revenus
près de moi, ils me redirent la même chose.
À leur troisième déplacement, ils me disent : « Courage,
car cette fois, nous sommes sûrs d’obtenir la grâce, mais viens
aussi avec nous supplier le Seigneur, comme tu nous le vois faire. »
Ils s’approchèrent de l’icône pour la troisième fois, usant des
mêmes attitudes et paroles que les précédentes. Après qu’ils eurent
supplié un bon moment, en se prosternant et criant sans cesse :
« Veux-tu, Seigneur ? », le Christ, touché jusqu’au fond du cœur,
fit un signe de miséricorde et prononça depuis l’icône : « Donnez-
la lui. » Les martyrs se relevèrent. Ils remerciaient d’abord le Christ,
notre Dieu, d’avoir agréé leur requête, puis me disent, remplis
de joie et d’allégresse : « Voici que Dieu a accordé la grâce. Va donc
à Alexandrie ; dors à jeun dans le grand Tétrapyle et prends dans
une fiole un peu d’huile de la lampe suspendue devant l’icône
du Sauveur, puis, toujours sans avoir mangé, reviens ici et, quand
tu t’en seras enduit les pieds, tu seras gratifié de la santé. »
Après le songe, Théodôros se rend à Alexandrie. Il dormait
au Tétrapyle, quand il voit un énorme serpent sortir en rampant
de ses pieds, puis, après sa sortie, retourner vers lui. Mais les saints
apparurent subitement et l’empêchèrent de rentrer. Avec un
bâton, ils écrasèrent la tête du serpent et signifièrent à Théodôros
de se rassurer et de ne plus craindre la maladie qui lui affectait
les deux pieds et les deux mains. Il se leva après son somme.
Il prend l’huile de la lampe et se rend au sanctuaire des saints.
Une fois arrivé, comme on le lui avait ordonné, il s’oignit les
mains et les pieds, se défit sur le champ de la maladie et recouvra
la santé.

185
Après cette très belle et plaisante guérison, il fut aussi jugé
digne des récompenses qu’ils lui avaient promises s’il obéissait.
Plein de reconnaissance pour tout cela, il sert avec zèle les martyrs.

18. L’huile miraculeuse (2)

Encomium de saint Menas, in J. Drescher, Apa Mena, Le Caire, 1946,


pp. 132-133 (texte original en copte traduit de l’anglais) (voir
supra, p. 30).

Mais Euphémia, sa femme15, était stérile et n’avait pas d’enfant.


Et ils se lamentaient, disant : « Qui sera notre héritier ? » Et
Euphémia qui aimait Dieu avait coutume de jeûner chaque jour
jusqu’au soir et de faire des aumônes généreuses aux étrangers,
aux veuves et aux orphelins et à adresser de fréquentes prières
et des suppliques à cause de cela.
Or, lorsque la fête de la Sainte Vierge, la mère de Dieu,
Marie, eût lieu autour du vingt et unième Tobé, le peuple entier
de la ville, hommes et femmes, mirent leurs (plus beaux) vête-
ments et se rendirent à l’église dans la joie et l’allégresse. Euphémia
aussi, la mère du saint abbé Ménas vint se placer devant le pilier
où était peinte l’image de la sainte mère de Dieu, Marie. Elle pria
et supplia Dieu en pleurant, voyant toutes les femmes couvertes
d’or, d’argent et de pierres précieuses qui portaient leur enfant.
Mais elle n’avait pas de parure d’or ou d’argent, à cause de la peine
qui était dans son cœur ; et pour cela, elle était emplie d’un désir
lancinant. Or, pendant qu’elle était en prière et suppliait la sainte
mère de Dieu, Marie, elle tendit la main afin de tremper le doigt
dans l’huile de la lampe brûlant devant celle-là. Elle leva les yeux
et entendit une voix sortant de la bouche du Christ notre Seigneur,
que Marie tenait entre ses bras et qui disait : « Amen. » Alors une

15 La mère de saint Ménas et femme d’Eudoxius nommé gouverneur


de Phrygie.

186 Florilège
grande crainte l’assaillit. Cependant, il advint que lorsque l’office
des mystères fut achevé, alors que le peuple se retirait, elle dit
à Eudoxius son mari ce qu’elle avait entendu et il fut rempli
d’une grande joie par le Saint-Esprit et il dit à sa femme : « Ayons
confiance en Dieu, il en sera comme tu l’as entendu, car Amen
signifie ‹ Ainsi soit-il ›. »Et la nuit même, Eudoxius eut commerce
avec sa femme, elle conçut, une grande joie descendit sur la mai-
son. Et Eudoxia, en femme très chaste et très prudente, lorsqu’elle
sut qu’elle avait conçu, prit garde de se conserver pure, elle et son
mari avec elle, jusqu’à ce qu’elle puisse mettre au monde l’enfant.
Et le jour venu, elle le mit au monde, remplie par la grâce et faisant
allégeance au Seigneur. Alors ils souhaitèrent lui donner le nom
de son grand-père, Ploudanios, mais sa mère refusa, se souvenant
du mot qu’elle avait entendu : ‹ Amen ›. Et elle lui donna pour
nom Mena, disant : « Si l’on place le a devant, on a Amen ; si on
le place après, on obtient le nom de Mena. »

19. L’image descendue dans le puits

Jean Moschus, Pratum spirituale, c. 81. PG 87 ter, col. 2940 (voir


supra, p. 31).

Les mêmes Pères nous racontèrent ceci. Ils nous dirent qu’en ces
temps-là une femme qui aimait le Christ creusa un puits dans
la région d’Apamée. Après avoir beaucoup dépensé et être arrivée
à une grande profondeur, elle ne trouva pas d’eau. Elle était dans
un grand découragement, à cause de sa peine et de sa dépense.
Or un jour, la femme voit quelqu’un qui lui dit : « Envoie chercher
l’image (omoioma) de l’abbé Théodose à Scopélos, et par lui
Dieu te donnera de l’eau. » La femme ayant aussitôt envoyé deux
hommes prit l’image du saint et la fit descendre dans le puits.
Et sur-le-champ l’eau jaillit, au point de remplir la moitié de
la cavité. Ceux qui tirèrent l’image de l’eau nous en apportèrent ;
nous en avons bu et tous, nous avons glorifié Dieu.

187
20. Le sceau miraculeux

Miracles de saint Artemius (miracle 16), in A. Papadopoulos-


Kerameus, Varia Graeca sacra, Saint-Pétersbourg, 1909, pp. 16 sq.
(voir supra, p. 31).

Un homme nommé Serge, originaire d’Alexandrie, gardien


du grenier du Kaisareion16, également nommé Lamia, à l’âge
de soixante ans, souffrait des testicules. Il fréquentait l’église
du martyr et l’implorait en disant ceci : « Saint Artème, toi qui
étais dux et augustalios dans mon pays, à Alexandrie, guéris-moi
comme tu l’as fait pour beaucoup d’autres. Tu sais que je suis
vieux et que je ne peux pas quitter mon poste et rester auprès
de toi, car, si je le quitte, on y nommera un autre et moi je serai
privé de mon abri et de ma nourriture, et cela alors que je ne peux
plus travailler. » Il prononçait ces paroles et d’autres semblables,
chaque fois qu’il allait prier le saint.
Une nuit, alors qu’il dormait dans son grenier, le saint
lui apparut ; le vieux croyait qu’il voyait le responsable des
greniers17. S’étant approché, le saint lui dit : « Tu dors beaucoup
et tu négliges le grenier. Surveille et fais attention, afin que
les denrées ne soient pas pillées. » Il lui donna alors une pièce
de monnaie et lui dit : « Prends-cela, pour boire. » Mais la pièce
de monnaie était en cire (kèrotè)18. Le vieux, après s’être réveillé,
se réjouit de la pièce qui lui avait été donnée : encore alourdi
par le sommeil, il pensait qu’il tenait réellement une pièce de
monnaie. Mais quand il ouvrit la paume et les doigts et y trouva
un petit sceau de cire portant l’effigie (ektupoma) du saint, il

16 À Constantinople.
17 Le komès tôn horriôn. Ce texte, qui date de la seconde moitié du
VIIe siècle, constitue une des dernières références à cette fonction (voir
J. Haldon, « Comes Horrorum-Komes tes Lamias », Byzantine and Modern Greek
Studies 10 (1986), pp. 203-209).
18 Voir texte 21.

188 Florilège
revint à lui, s’aperçut du miracle accompli pour lui et comprit
que celui qui lui était apparu était saint Artémius. Sur-le-champ
il amollit le sceau, en oignit ses organes génitaux et aussitôt
que la cire amollie du sceau entra en contact avec lui, il guérit
et glorifia Dieu et le saint martyr.

21. L’image guérissant une malade à son insu

Miraculae SS. Cosmae et Damiani (miracle 13), in L. Deubner, Kosmas


und Damian, Leipzig, Teubner, 1907, pp. 132 sq. ; cité dans les Actes
du VIIe concile œcuménique, Mansi XIII, col. 64-65. ; trad. A. J.
Festugière, Paris, Picard, 1971, pp. 125 sq. (voir supra, p. 31).

Il arriva qu’un individu qui avait poste à l’armée, du nom de


Constantin, homme très croyant et qui ne cessait pas de visiter
assidûment les saints, quitta cette ville impériale amie du Christ
à cause de son service à l’armée. Or, en quelque lieu qu’il se trouvât
à l’étranger, il portait sur lui avec foi, pour sa sécurité, la repré-
sentation (ektupoma) des saints sur une image (eikonidion). S’étant
fixé à Laodicée, qu’on appelle Trimitaria, « celle qui fabrique des
trimita »19, et y ayant fait un assez long séjour en raison de l’office
dont il était chargé, il y épousa une femme en mariage légitime.
Or, au bout de quelques jours, celle qui s’était donnée à lui
en mariage tomba malade ; il lui poussa un abcès à la mâchoire
gauche, et, comme elle était cruellement éprouvée par la douleur,
cela causait un profond chagrin à son mari. Il avait grande fami-
liarité avec les saints, bien qu’il eût oublié, que, selon son habitude,
il les portât sur lui sur une image peinte, et il dit donc à son
épouse, pour la consoler : « Comment t’aider ? Je suis à l’étranger.
Car si j’étais dans ma ville, j’aurais pris de la kèrotè20 de mes maîtres,
les saints Côme et Damien, et aussitôt ils auraient fait cesser

19 Le trimitos, ou trimiton (trilia) est une étoffe à triple tissu, telle


qu’on en fabriquait à Laodicée du Lycus en Phrygie, ville réputée pour sa laine.

189
tes douleurs et auraient guéri ta maladie. » La femme, qui était
croyante, prise d’admiration pour la rapidité des guérisons
que procurent les saints, pria d’être jugée digne, après leur retour,
de porter son adoration (proskunesis) dans leur glorieuse et illustre
maison, car rien qu’à entendre parler d’eux, elle avait été pénétrée
du désir de les approcher. La voilà apaisée. La nuit suivante,
tandis qu’elle était profondément endormie, elle voit ces grands
et merveilleux médecins serviteurs du Christ Côme et Damien
se tenir près de son lit sous l’aspect sous lequel on les représente :
ils lui disent : « Qu’as-tu ? Pourquoi cette agitation ? Pourquoi
causer des tourments à ton mari ? Nous sommes ici avec vous,
ne t’inquiète de rien. » Ceci dit, ils s’en allèrent. Une fois réveillée,
elle interroge son mari, voulant apprendre quelle est la figure
des glorieux saints Côme et Damien, comment on les représente,
dans quel état ils viennent visiter les malades. Alors que son mari
lui décrivait la figure des saints et lui exposait leurs charismes,
elle s’accordait avec lui en ce qui regarde les figures, et se mit
à lui raconter ce qui, du reste, lui avait été dit par les saints dans
sa vision. Alors le mari, du fait de ce récit, se rappela qu’il avait
dans un portefeuille sous l’aisselle la représentation des saints
sur une image. Il tire aussitôt le portefeuille et le montre à la
femme. Celle-ci, à cette vue, baisa l’image, et elle reconnut que
les saints habitaient réellement avec eux, comme ils le lui avaient
dit. La nuit suivante, les même serviteurs du Christ lui apparurent
sous le même aspect et lui disent : « Ne t’avions-nous pas dit
que nous sommes ici avec vous ? De quoi souffres-tu ? » Quand
elle leur eut indiqué, comme si, de vrai, ils l’avaient ignoré, les
souffrances de sa mâchoire, elle entendit cette réponse : « Tu n’as

20 Mélange de cire et d’huile. Le miracle 16 (op. cit., pp. 131 sq.), évoque
la kèrotè de la lampe (luknou) du candélabre et il est dit que l’aliment usuel
de la lampe est de l’huile. Dans ce miracle, la kèrotè est bue, mêlée à de l’eau.
Or, une femme, ayant refusé de la boire, les saints lui font avaler la stoupta,
l’étoupe qui sert de mèche à la lampe. L’usage de boire de l’huile de la lampe
des saints est d’ailleurs bien connue (cf. supra, texte 17 et 20 ainsi que note 89).

190 Florilège
rien de grave. Ouvre seulement la bouche. » Alors l’un d’eux
lui enfonça le doigt dans la bouche et, par le secours de Dieu
et la grâce des saints Côme et Damien, il sortit de la joue un flot
énorme de sang corrompu. D’un mot, ayant évacué par la bouche
tout le liquide malodorant, elle fut remise en santé, en sorte
que, le matin venu, son mari en se levant, la trouva toute joyeuse,
débarrassée de tout mal. Cependant, après sa guérison, les saints
voulurent non seulement lui mettre sous les yeux la foi de son
mari, mais encore confirmer cette foi, et la nuit suivante, ils lui
dirent : « Tu as sous ton oreiller une portion de keroté, fais t’en
une onction chaque soir au moment de dormir, et tu ne seras plus
troublée en rien par tes douleurs. »
Vous avez vu, amis du Christ, comment, se conformant
à la foi de ceux qui les invoquent, ces très sages saints se trouvent
partout, non seulement par leurs activités, mais aussi par leur
présence même. Dès lors, quand la femme, avec son mari, fut
arrivée à cette ville-ci amie du Christ et toute bienheureuse, elle
vint en grande reconnaissance à cette demeure guérisseuse des
glorieux saints, louant notre Seigneur Jésus-Christ, qui manifeste
en abondance au genre humain les traits de sa miséricorde
par l’entremise de ses admirables serviteurs Côme et Damien.

22. L’ingestion d’une image

Miraculae SS. Cosmae et Damiani (miracle 15), in L. Deubner, Kosmas


und Damian, Leipzig, Teubner, 1907, pp. 137 sq. ; cité dans les
Actes du VIIe concile œcuménique, Mansi XIII, col. 68. ; trad.
A. J. Festugière, Paris, Picard, 1971, pp. 130-131 (voir supra, p. 31).

C’est à juste titre que le très sage Paul, le pilier et docteur de


l’Église, clame que « l’espérance ne nous laisse pas sombrer dans
la honte, parce que l’amour de Dieu pour nous s’est répandu
à flots dans nos cœurs21. » Cette espérance, une pieuse femme
la possédait, elle qui avait été délivrée de plusieurs maladies

191
graves par l’entremise des illustres saints Côme et Damien. Elle
ne cessait de se rappeler la reconnaissance qu’elle leur devait,
se rendant souvent à leur admirable demeure et s’acquittant
de sa dette de vénération à leur égard. D’un mot, chaque jour,
elle gardait en pensée le souvenir des grands et admirables
saints Côme et Damien et n’en était jamais rassasiée. Bien plus,
elle les avait fait peindre sur tout le mur de sa maison et ne se
rassasiait point de leur vue : c’est pour cela que, dans son amour
extrême, elle les avait fait peindre. [...]
Il arriva que cette femme, atteinte dans ses organes
internes, fut prise chez elle de douleurs sans rémission. Elle se
roulait sur son grabat, sa souffrance n’avait pas de cesse, il n’y
avait en elle nulle suspension de ses peines. Dans ces circons-
tances, il advint qu’elle eut été pour un moment laissée seule.
Comme elle se voyait en danger, elle se traîna hors de son lit,
gagna le lieu où étaient peints sur le mur ces très sages saints,
et, se servant de sa foi comme de bâton, elle se redressa, gratta
de ses ongles quelque peu de l’enduit, jeta cette raclure dans
de l’eau et but le mélange. Aussitôt elle fut guérie, les douleurs
qui étaient en elle prirent fin par la visitation des saints. Après
sa guérison, elle vint dans cet auguste temple, remerciant notre
maître le Christ qui a donné de si grands charismes à ses saints,
et elle raconta à tous la guérison qui lui était advenue, par l’entre-
mise des saints, au cours du geste qu’elle avait fait.
Tu vois comme la pieuse femme trouva rapidement
les fruits de son espérance. Vous avez reconnu, amis du Christ,
comme la foi prête secours aux œuvres et comme à l’aide des
œuvres la foi atteint sa perfection (Jac. 2, 22). Et que nul ne se figure
qu’il y ait eu dans ce prodige une innovation de la part des saints,
ou que la malade ait simplement obtenu la guérison parce qu’elle
avait bu cette potion. Car c’est une parole du Seigneur à tous
ses saints apôtres qui dit : « Les œuvres que je fais, vous les ferez

21 Rom. 5,5.

192 Florilège
vous aussi, et de plus grandes encore. » (Jo., 14, 12). D’où vient
que, alors que l’ombre du Maître lui-même n’a jamais produit
de miracles, l’ombre du prince des apôtres Pierre a brisé la mort
et chassé les maladies. Eh bien, ces miracles aussi, notre Seigneur
les accomplit par l’entremise de ses saints.

23. Marie l’Égyptienne écartée de l’église


par la puissance d’une image

Vita S. Mariae Egyptiae, c. 3, PG 87 ter, col. 3712 (voir supra, p. 31).

Lorsqu’arriva la sainte fête de l’exaltation de la croix, j’étais comme


à mon habitude occupée à captiver l’âme des jeunes gens. Je voyais
au petit jour la foule accourir à l’église et moi aussi je me mis à
courir avec tous ceux qui couraient. J’arrivai avec eux sur le parvis
de l’église et lorsque vint l’heure de la sainte exaltation, poussant
et étant poussée à mon tour je me frayais un chemin, m’efforçant
d’avancer en même temps que la foule. Et moi la misérable,
avec beaucoup de peine et de difficultés, je m’approchais jusqu’à
la porte par laquelle on pénètre dans l’église principale où était
exposé le bois vivifiant. Or, lorsque je marchai sur le seuil de la
porte, tandis tous les autres entrèrent sans difficulté, moi, une
force divine m’empêcha de pénétrer et m’interdit l’entrée. Alors
de nouveau je me jetais en avant, et de nouveau j’étais repoussée.
Je me retrouvais seule sur le parvis. Pensant que cela était dû à
ma faiblesse de femme, une nouvelle fois je me mêlais aux autres
et m’efforçais autant que je le pouvais, en repoussant les autres
aux coudes, de me pousser vers l’intérieur, mais je me fatiguais
en vain. Car aussitôt que mon pied misérable touchait le seuil
de la porte, alors que l’église ne repoussait pas tous les autres,
moi la malheureuse, elle ne m’acceptait pas ; comme si une foule
de soldats avait reçu l’ordre de m’interdire l’entrée, ainsi une
puissance cachée me retenait, et je me retrouvais de nouveau
sur le parvis.

193
Après avoir essayé et subi cela trois ou quatre fois, acca-
blée de fatigue et n’ayant plus le courage de pousser et d’être
repoussée, (mon corps était meurtri par la violence de l’effort),
je renonçai enfin et me retirai, et je restais dans un coin de la
cour de l’église. Or, peu à peu, je parvins à comprendre la cause
qui m’empêchait de voir le bois vivifiant. Une pensée salutaire
m’ouvrit les yeux de l’âme et me montra que c’était la bassesse
de mes actes qui me fermait l’entrée. Je me mis à pleurer, à gémir
et à me frapper la poitrine et je poussais des soupirs du plus
profond de mon cœur. Pendant que je pleure, je vois au-dessus
de l’endroit où je me tenais une image de la Théotokos toute
sainte et je m’adresse à elle en la regardant fixement : « Ô Vierge
maîtresse qui a enfanté selon la chair le Dieu-Verbe, je sais, oui
je sais qu’il n’est pas convenable ni raisonnable qu’une femme
aussi souillée que je le suis ose lever les yeux sur ton image de
Vierge éternelle, toi l’intègre, toi dont l’âme et le corps sont purs
et sans tache. Il est juste que ta pureté me rejette et maudisse
la prodigue. Cependant, puisque c’est à cette fin que le Dieu que
tu as engendré s’est fait homme, comme je l’ai entendu, pour
qu’il appelle les pécheurs au repentir, aide celle qui est seule et
qui n’a personne pour la secourir. Ordonne qu’on me permette
d’entrer moi aussi dans l’église ; ne me prive pas de la vue du bois
où le Dieu que tu as engendré, cloué selon la chair a donné en
gage son sang pour moi. Ordonne, maîtresse, qu’on m’ouvre les
portes de la sainte vénération de la croix divine, et je jure, en
prenant pour garant le Dieu que tu as enfanté, que plus jamais
je ne déshonorerai ce corps en le livrant à une quelconque union
honteuse. Mais lorsque je contemplerai le bois de la croix de ton
fils je renoncerai immédiatement au monde et à tout ce qui est
dans le monde, et je partirai à l’heure même à l’endroit que toi,
le garant de mon salut, tu m’indiqueras et où tu me conduiras. »
Sur ces mots, ayant trouvé une certaine consolation
dans l’ardeur de ma foi, pleine de confiance en la miséricorde
de la Théotokos, je m’écarte de ce lieu où, debout, j’avais fait

194 Florilège
ma prière. Je m’avance une nouvelle fois et me mêle à ceux qui
se rendaient à l’église, et personne ne me repousse plus ni ne se
trouve repoussé par moi et personne ne m’empêche d’approcher
des portes par lesquelles on entrait dans l’église. Alors, je fus prise
de terreur et de stupeur et, tout ébranlée et tremblante, ayant
atteint la porte qui jusqu’alors m’était fermée, comme si toute
cette force qui auparavant me repoussait, à présent me facilitait
l’entrée, j’entrais sans difficulté. Je parvins à l’intérieur du sanc-
tuaire et je pus jouir de la vision vivifiante de la croix. Je vis
les mystères de Dieu qui est toujours prêt à accepter le repentir.

24. La femme incrédule à Césarée

Saint Anastase le Perse, I, éd. et trad. B. Flusin, Paris, CNRS, 1992,


pp. 131-132 (voir supra, p. 32).

Allons donc, racontons aussi comme nous le pouvons ce qu’a fait


le saint à Césarée de Palestine. Comme la sainte relique approchait
de la ville sainte, toute la ville en eut connaissance. Et tous, remplis
d’une grande joie, se levant et faisant sonner les simandres sacrées,
se rassemblèrent dans le très vénérable sanctuaire de la Mère de
Dieu qu’on appelle la Néa. Et de là, avec des croix, en procession, ils
vinrent à la rencontre de la sainte relique, la glorifiant dans la joie
et l’allégresse. Et ils refleurirent, pour ainsi dire, ou mieux, ils s’em-
brasèrent de nouveau à l’occasion de la présence du martyr, qui
leur fournit un puissant réconfort contre le mortel assoupissement
où ils étaient du fait de leur manque de foi et d’autres calamités.
Tandis qu’ils priaient, qu’ils embrassaient le cercueil
en l’entourant et qu’ils rendaient à la relique et à la mémoire du
saint l’honneur qui leur était dû, une femme, qui faisait préten-
dument partie des gens en vue de Césarée – mais faut-il bien dire
cela, et non pas plutôt autre chose, ainsi que l’événement même
l’a montré ? – qui avait pour nom Arétè (Vertu), mais dont le
caractère était tout le contraire de la vertu, s’étant mise à douter,

195
disait : « Moi, je n’adore pas une relique qui vient de Perse. » Pauvre
âme ignorante ! N’avait-elle pas entendu, cette malheureuse, le
psalmiste sacré, David, s’en prendre aux déréglés audacieux en
disant : « Que ta langue cesse de dire le mal, tes lèvres de prononcer
des paroles de ruse » ? Que fait donc à son propos le Dieu qui glori-
fie ceux qui le glorifient ? C’est ce que je vais dire tout de suite.
Comme la sainte relique était entrée dans la ville,
les citoyens de cette même ville, après commune délibération,
entreprirent de construire au saint un oratoire près du Tétrapyle
qui est au milieu de la ville, et ils y mirent aussi son icône. Alors
qu’on construisait encore le sanctuaire, le martyr, apparaissant
à cette malheureuse en rêve sous l’apparence d’un moine, lui
dit : « Tu as mal aux reins ? » Elle lui répondit : « Non, Seigneur,
je n’ai aucun mal. Je suis en bonne santé. » En disant cela, elle
se réveilla, ressentit un violent accès de douleur, et se mit à crier,
à gémir, à être immobilisée de telle sorte qu’elle ne pouvait plus
du tout lever la tête à cause de la douleur insupportable qu’elle
éprouvait : c’était afin que, se recueillant, elle réfléchit et cherchât
en elle-même quel était ce mal soudain et quelle en était la cause.
Et cet état persista quatre jours.
À l’aube du cinquième jour, elle voit le saint lui apparaître
derechef et lui dire : « Descends au Tétrapyle, invoque saint
Anastase, et tu seras guérie. » Elle se leva donc, se remémorant
les paroles malsonnantes qu’elle avait prononcées à son propre
détriment, appela ses serviteurs et leur dit : « Emmenez-moi,
emmenez-moi ! Allons au Tétrapyle de saint Anastase ! Je sais
maintenant en effet, pour l’avoir appris, qu’il faut adorer et
honorer une relique même quand elle vient de Perse, et non
pas profaner ce que Dieu a purifié. »
Les serviteurs donc, la portant sur une litière, quittèrent
la maison. Comme ils approchaient de l’endroit, de loin, levant
les yeux et voyant l’icône du saint22, elle se mit à crier à haute
22 L’icône de saint Anastase était sans doute sur la façade du sanc-
tuaire.

196 Florilège
voix en versant des larmes : « C’est vraiment lui que j’ai vu en
rêve me prédire les maux qui m’accablent. » Et, après qu’elle se fut
jetée sur le sol, qu’elle eut pleuré d’abondance et imploré le saint,
elle se releva guérie. Et celle qui, il y a peu, avait été transportée
par d’autres et avait couru les pires dangers, s’en alla chez elle
debout sur ses propres jambes ; et, en chœur, avec les autres,
elle chantait et glorifiait Dieu, et magnifiait le martyr.

25. Une image chasse les démons d’une maison

Photinus, Vie de Jean le Jeûneur, Mansi XIII 80E – 85C (voir supra,


p. 32).

Ne laissons pas ce miracle plus longtemps ignoré et ne nous


alignons pas sur l’admirable père23 qui a tout fait pour le cacher.
C’était la nuit et nous marchions avec la protection divine pour
rejoindre l’empereur Maurice [582-602] sur la rive d’en face.
Maurice, qui déjà de son vivant était très juste et très bon et qui
maintenant est aussi un martyr24 ; voilà ce que le tyran, le
dragon abominable lui a accordé, même sans le vouloir25. Nous
marchions donc dans la hâte.

23 Le patriarche de Constantinople, Jean le Jeûneur. « Cette affectation


d’ascèse, qui lui fit donner le surnom de Jean le Jeûneur, fut probablement
due au désir d’affirmer la valeur du jeûne et des pénitences corporelles face
à un empereur messalien qui n’accordait d’efficacité qu’à la seule prière
assidue. » J. Jarry, Hérésies et factions dans l’empire byzantin du IVe au VIIe siècle,
Le Caire, IFAO, 1968, p. 447.
24 Il existe une « Légende de saint Maurice empereur des
romains », Patrologie orientale, T. V. Cf. N. Adontz, « Les légendes de Maurice
et de Constantin V, empereurs de Byzance », Mélanges Bidez, t. I, pp. 1 sq.
25 « Maurice, à cause de son caractère trop dur et trop sévère, périt
misérablement avec toute sa famille. Son armée se souleva contre lui, sous
le commandement de Phocas, qui veut dire ‹ feu ›, qui le tua et qui régna
à sa place. » Légende de Kirakos de Gandzak, cité in N. Adontz, « Les légendes
de Maurice et de Constantin V… », op. cit. Phocas règna de 602 à 610 avant
d’être à son tour renversé par Héraclius.

197
Je vis alors de loin une femme très belle, non seulement
dans ses vêtements, mais aussi dans son physique et dans son
âme, qui était fort riche mais n’en avait pas l’apparence, à cause
du malheur qui l’habitait ; elle se confondait dans la foule de
nos pauvres frères. Refoulée par ceux qui sont désignés à cette
tâche, elle ne s’y résignait pas, mais, bien que sa nature pudique
l’incita à pleurer, la nécessité la poussait à déranger les autres
sans pudeur.
Voyant cela, je quittai la place que l’on m’avait assignée,
je m’approchai de la femme et lui demandai ce qu’elle voulait.
Elle répondit : « mon mari est possédé par un démon depuis
trois ans ; après l’avoir emmené, le malheureux, à dix mille lieux
saints et hommes pieux pour ainsi dire, je n’ai rien obtenu.
Je viens ici en dernier recours après m’être rendue au désert.
Parmi les saints qui s’y trouvent, celui qui accomplit des miracles
dont témoignent presque tous les faiseurs de miracles de ce lieu,
après avoir, lui aussi, renoncé à le guérir, m’a dit : ‹ va vers Jean
le grand patriarche et obtiens une icône de la Vierge Mère de Dieu
bénie par l’archiprêtre de Dieu Pantocrator. Tu l’emporteras
et tu l’emmèneras dans la maison que tu habites dans ton pays,
tu y enverras tout de suite ton mari et tu l’installeras dans ta
demeure ; et il ne verra point la grande ville du basileus26 et ne
s’y rendra pas maintenant. Tu lèveras et suspendras l’image
(omoioma) et la sainteté se fera dans ta maison. Et il sera de telle
sorte que toute personne y séjournant soit bénie ; le [mauvais]
esprit se retirera en fuyant et se détachera [de ton mari] et
il n’approchera plus, car le Seigneur sera proche et sa gloire
[demeurera] dans le siècle, amen › ».
Suite à ce qu’elle me dit, j’emmenai [la femme] le jour
suivant au patriarche, au moment où celui-ci faisait son entrée
habituelle du vendredi dans l’église toute proche de la Théotokos.
Je lui rapportai alors les péripéties de l’affaire, tantôt avec beau-

26 Constantinople.

198 Florilège
coup d’emportement et d’ornements, tantôt avec douceur et en
gémissant. Et je me réjouissais, croyant que j’allais le convaincre
et espérant en même temps être félicité de m’occuper de ques-
tions pieuses. En plus, je me permettais de lui donner des leçons
en disant : « C’est inspiré par Dieu, maître, que l’ermite a dit :
‹ tu vas chasser le malin › ». Il interrompit alors mes paroles et
bouillonnant de colère : « ‹ Oui, maître, oui, seigneur ›... L’ermite
a levé la voix et a crié pour que moi, le maître, fasse sortir le démon ; pour
que je dise ‹ je parle à toi, l’impur, sors de cette créature, pars d’ici et va
dans les ténèbres ›. Tu demandes de telles choses pour que je bavarde
à tort et à travers en homme impur et en pécheur. Si tu fais des
miracles, fais donc sortir mon esprit [mauvais] ; tu as besoin de
beaucoup de prières, frère Photinus, mais de prières de saints ».
Ainsi humilié contre toute attente, je partis rouge de
confusion et m’étant lentement éloigné, j’errai ici et là, bousculant
ceux que je rencontrais comme si j’étais ivre. Avec peine j’atteignis
une extrémité du sanctuaire ; j’étais animé par la colère – car la plus
grande partie de ma détresse s’était alors changée en colère – pour
ne pas avoir trouvé grâce auprès du grand archiprêtre de Dieu ;
en mon fort intérieur, je me reprochais bien des choses : il n’était
plus possible à aucun de mes agneaux d’espérer, puisque leur
berger même s’était changé et avait pris l’allure d’un loup.
Pendant que je méditais ces choses, j’eus une impulsion ;
envoyant quelqu’un de ma suite à la maison, je fis apporter
une des nombreuses icônes qui y étaient suspendues, une très
belle icône de notre Maîtresse. Je combinai bien la chose de sorte
qu’il soit possible de voir et de croire que j’avais reçu l’icône
de l’illustre Père, qui aurait cédé [à mes prières]. En remettant
l’icône à la femme, je lui recommandai de s’en aller joyeuse,
de prier pour moi et de rendre beaucoup de grâces au Patriarche.
La femme partit sous peu, contente et sans savoir ce qui
s’était [véritablement] passé. Nous semblions partager la même
joie. Mais moi, tout en paraissant content, je ne me réjouissais
pas ; tandis qu’elle, paraissait contente et elle l’était [effectivement].

199
Cependant, la fin de cette histoire ne s’était pas encore
révélée. Car, au moment où je croyais avoir apaisé le malaise qui
m’avait saisi, un autre vint m’accabler : je reconsidérais la chose
et me demandais qui, quand, où, pour quelle raison, comment
et par quel moyen j’avais été trompé pour induire en erreur une
pauvre femme, malheureuse et pitoyable, qui m’avait confié ses
plus chers espoirs. Et je me tourmentais d’autant plus que [je
savais] la femme dépouillée de la protection des plus vertueux,
et des services, dont elle avait besoin, d’un autre Père versé dans
ces choses. En plus, je songeais que, à cause de cette tromperie,
le [mauvais] esprit allait crier, parler et lutter, et que, contre [ma
volonté], j’allais assurer et confirmer la possession de l’homme
par le démon. J’allais devenir pour lui matière et prétexte à
de justes accusations, dirigées non seulement contre moi, mais
contre tous les autres chrétiens à commencer par les prêtres.
On dirait que le prêtre en mentant avait nuit à la femme par
une seconde tromperie, un autre démon, ce qui revient à vouloir
faire sortir les démons au nom du Belzébul.
Ces choses et d’autres semblables, me venaient inlassa-
blement à l’esprit, bouleversaient mon âme, la troublaient et
la brouillaient, et laissaient présager de grands maux pour les
hommes et pour Dieu même. Toutefois, je trouvais un prétexte
à me consoler en pensant que c’est à Dieu de pourvoir à l’avenir.
En attendant, peut-être la pauvre femme mourrait-elle, ou bien
son mari ou quelqu’un d’autre encore ; je mourrai éventuellement
moi-même, et la détresse cesserait. Alors, me croyant délivré
des choses désagréables au sujet de la pauvre femme, je me pensais
libéré de l’embarras.
Trois ans plus tard – je crois –, je m’avançais vers les
mêmes portes sacrées de la Grande Église. Et voilà une femme
qui, me voyant, leva les sourcils, et parlant et respirant avec force
et tension, demanda à sa voisine : « Est-ce donc lui ? » L’autre
répondit : « Oui, c’est bien lui. » Alors elle s’avança en courant
et se jeta à genoux à mes pieds ; en se précipitant vers le sol,

200 Florilège
elle heurta mes chevilles et, gisant à terre, les embrassa et les
couvrit de baisers. Pendant tout ce temps, moi, je me réjouissais
et regardais de part et d’autre dans la foule en prenant des airs,
laissant l’assistance la voir gisante et montrant par là que moi-
même j’étais de ceux qui ont un grand pouvoir.
[La femme], outre les paroles habituelles de sollicitation
dit à plusieurs reprises ; « Je vénère le maître » – car il était là.
Puis, m’enlaçant très fort, elle me fit tomber sur son dos ; tombé,
je gisais par terre, sous le grand rire de l’assistance qui se trou-
vait là. Me levant, rouge de confusion, je la giflai, j’appelai les
gardes et demandai que l’on conduise cette impie en prison.
Mais quand je la regardai en face, je commençai à réaliser
qu’elle était [la femme] d’autrefois, ce que confirmèrent [ses
paroles] : « Que Dieu te rende, seigneur, le bienfait de ma maison. »
Alors je reconsidérai tout et, rempli en même temps de joie
et d’angoisse, je demandais seulement ceci : « Es-tu guérie » et
« comment es-tu guérie ». Me prenant à part, elle me raconta son
arrivée dans son pays et l’installation de l’icône dans sa maison ;
[comment] celle-ci fut suspendue en hauteur et posée sur le mur
de la pièce avec révérence et décence ; [comment] le [mauvais]
esprit devant l’icône, ayant pendant un certain temps lutté, dansé
et troublé un peu l’homme, finit par s’en aller. Et, dit-elle, « Notre
profonde souffrance d’autrefois est devenue pour nous source
de guérison, car le lieu, ou plutôt l’image (tupos) de la Vierge Mère
guérit tous ceux qui souffrent de choses semblables ». Voilà donc
la fin de cette histoire.

201
26. La guérison d’une hémorroïsse

La vie ancienne de saint Syméon stylite le Jeune (521-592), c. 118, trad.


P. Van den Ven, Subsidia Hagiographica 32, Bruxelles, 1970, pp. 119
sq. (voir supra, p. 33).

Une femme de Rosopolis en Cilicie, nommée Théotecna, qui avait


habité avec son mari pendant vingt ans, n’avait pas d’enfant. Il se
fit aussi qu’elle était maltraitée par le démon depuis son enfance
et qu’elle se mâchait la langue. Son mari, ne pouvant supporter
plus longtemps l’épreuve que son chagrin était pour lui, la renvoya
de sa maison, sans avoir de commerce avec une autre femme
pendant quatre ans. Cette femme, donc, ayant trouvé des com-
pagnons de route, se réfugia auprès du saint. Quand le démon
aperçut celui-ci, il grinça des dents et il était torturé devant lui,
en voyant, avec la femme, l’image spirituelle du saint qui disait
d’une voix humaine : « Je te sépare d’elle, esprit mauvais et impur,
et elle retournera auprès de son mari, et il leur naîtra l’année
prochaine un enfant. » Le démon bouleversé vociféra sauvage-
ment : « Ô violence de ta part, il ne t’appartient pas de séparer
des époux. Pourquoi aussi leur donnes-tu un enfant, alors qu’elle
n’en fait pas de moi ? Quel mal t’ai-je fait ? En quoi ai-je péché
devant toi, pour que tu me sépares de ma femme ? Si tu m’avais
acheté comme esclave, peut-être même me livrerais-tu en ser-
vitude aux hommes. » Syméon lui répondit : « Tu es un mauvais
serviteur ; connais-toi toi-même, misérable ; va-t’en, toi que
la flamme du feu dévore, et apporte de l’eau et ramasse du bois. »
Aussitôt, rapide comme le vent et en versant force larmes,
le démon, agissant par la femme, prit la cruche à eau et partit ;
et lorsqu’il eut rempli la cruche et amassé du bois de la forêt,
il l’apporta en criant et disant : « Malheur à moi, malheur à moi
le mauvais serviteur et l’inventeur des maux. Que m’est-il arrivé
là ? Car saint Syméon me sépare de ma femme, et que vais-je
faire de mon malheur, je ne sais. » Il disait cela en présence de la

202 Florilège
foule réunie. Après avoir exécuté la tache commandée, il cria très
fort, disant : « Je sors ! » Et voyant un éclair de feu qui se dirigeait
sur lui, il courut en rond, dans la femme, autour de la colonne
du saint, en proie à un grand et douloureux tourment, et ainsi
il sortit aussitôt et la femme revint à son état normal, et Syméon
la renvoya guérie, en lui disant : « Va-t’en dans ta maison, femme,
et habite avec ton mari, car voici que Dieu a disposé son cœur
de manière à ce qu’il te reçoive avec une grande joie. »Il en fut
ainsi, elle retourna chez elle et aussitôt le cœur de son mari fut
disposé à l’aimer, il eut commerce avec elle et, sur-le-champ,
elle conçut.
L’année écoulée, ils conduisirent l’enfant au serviteur
de Dieu, louant et glorifiant Dieu. Après avoir achevé leur prière
et être revenus chez eux, la femme, poussée par sa foi, éleva
l’image du saint à l’intérieur de sa maison, et cette image faisait
des miracles, parce que l’Esprit saint qui habitait Syméon la cou-
vrait de son ombre, et les démoniaques étaient purifiés en ce lieu,
et les malades atteints d’affections variées étaient guéris. Parmi
eux, il y avait aussi une femme qui perdait sans arrêt du sang
depuis quinze ans. Elle s’en vint avec confiance voir l’image, et
aussitôt le flux de sang s’arrêta, car elle s’était dit en elle-même :
« Si seulement je vois son image (omoiosis), je serai sauvée. »
Constatant que la source de sang était tarie, elle courut aussitôt
auprès du serviteur de Dieu et se prosterna devant lui, célébrant
et glorifiant Dieu, et proclamant le merveilleux miracle qui
s’était produit en elle.

203
27. Le siège d’Arzamon sous Philippicus

Théophylakte Simokkata, Histoires, II, 3, 4-6, éd. C. de Boor


(mise à jour P. Wirth), Leipzig, 1972 (voir supra, p. 35).

L’armée ennemie apparut au travers d’un nuage de poussière.


Philippicus apporta l’image du Dieu-Homme (theandrikon eikasma)
dont une tradition ancienne, et qui persiste aujourd’hui, dit qu’elle
fut figurée par la sagesse divine, et qu’elle ne fut pas travaillée
par les mains d’un tisserand, ni ornementée par les couleurs
d’un peintre. Elle est vénérée par les Romains [i. e. les Byzantins]
comme acheiropoïète et elle est jugée des mêmes honneurs qu’un
Dieu. Car les Romains vénèrent en elle un archétype intouchable.
Le stratège, après l’avoir débarrassée des vénérables voiles
qui la couvraient, parcourait les rangs des soldats, transmettant
à l’armée un grand courage et la rendant invincible. Quand il
parvint au milieu de la troupe, il versait sans discontinuer des
larmes à cause de l’inquiétude qui s’était emparée de lui devant
la situation critique, mais il adressait à l’armée des paroles encou-
rageantes. La nature de ces paroles pouvait augmenter l’élan
des vaillants et exciter le zèle des insouciants et des nonchalants.
Les trompettes sonnèrent le départ et lorsqu’elles cessèrent,
l’armée était excitée au combat.

28. L’expédition de 622 contre les Perses (1)

Georges Pisidès, De expeditione Persica, I, 139 sq. éd. Bonn, p. 9,


cité in Ernst von Dobschütz, Christusbilder. Texte und Untersuchungen
zur Geschichte der altchristlichen Literatur, Leipzig, Hinrichs, 1899,
p. 129* (voir supra, p. 36).

Alors il prit la divine et vénérable forme (morphè), inscription


du non-inscriptible, que nulle main n’a tracée, mais que le Logos
qui forme et qui modèle toutes choses a figuré sans inscription,

204 Florilège
comme il a été enfanté, on le sait, sans fécondation. Car il devait,
comme jadis sans fécondation, se manifester de nouveau sans
inscription, afin que par l’une et l’autre manifestation du Logos
figuré, la foi en l’Incarnation demeure, cette foi qui réfute l’erreur
des phantasiastes27. Encouragé par ce signe divin, il le plaça
en tête de l’armée comme une chose sacrée : car il convenait que
le Logos protecteur apparaisse aux yeux de tous, alors que la
justice se mettait en mouvement.

29. L’expédition de 622 contre les Perses (2)

Théophane, Chronographie, éd. de Boor I, p. 303, 17-23 (voir supra,


p. 36).

L’empereur [Héraclius] prit entre ses mains la figure du Dieu-


Homme (theandrikè) qui ne fut pas tracée de main humaine mais
qui fut portée sur l’image par le Logos qui forme et modèle tout sans
traits, comme une grossesse sans ensemencement. Il commen-
ça le combat en se confiant à la figure tracée par Dieu après avoir
juré à son armée de se battre avec elle jusqu’à la mort et de rester
solidaire de ses soldats, comme s’ils étaient ses propres enfants.

30. Le siège d’Édesse par Chosroès

Évagre, Histoire ecclésiastique, IV, 27, trad. A. J. Festugière, Byzantion


XLV, 1975, pp. 387-388 (voir supra, p. 36).

Chosroès avait donné ordre à ses troupes de tirer de la forêt voisine


et de rassembler une masse énorme de bois en vue du siège.
Quand ce bois eut été rassemblé plus vite encore qu’il n’avait été
ordonné, le roi, ayant fait ranger les poutres en cercle, fit jeter

27 Monophysites qui assimilent l’Incarnation à une illusion (de


phantasia, imagination).

205
de la terre dans le milieu, et ainsi il s’avançait de front vers la ville.
De la sorte, tandis qu’il continuait de faire construction sur
construction au moyen des poutres et de la terre et qu’il s’appro-
chait de la ville, il éleva le remblai à une telle hauteur et dépassa
à ce point les remparts que, d’une position dominante, les soldats
lançaient leurs traits contre ceux qui se risquaient sur le mur
pour la défense de la ville.
Comme donc les assiégés voyaient l’amoncellement
de terre progresser vers eux comme une montagne en marche
et qu’il y avait toute apparence que l’ennemi dut entrer dans
la ville à pied, à l’aube ils imaginent en face du remblai – lequel
est appelé agesta par les Romains –, de creuser une tranchée
souterraine et d’envoyer par là du feu, en sorte que, les poutres
étant consumées par la flamme, tout le remblai s’écroulât. Ils
réussirent bien à creuser la tranchée, mais après avoir allumé
des matières combustibles, ils échouèrent dans leur entreprise,
parce que le feu n’avait pas d’issue par où, parvenu à l’air, il pût
se communiquer au bois.
Comme donc ils en étaient réduits à une totale impuis-
sance, ils apportent l’image faite par Dieu, que des mains humaines
n’avaient pas peinte, mais que le Christ Dieu avait envoyée à
Abgar parce qu’il désirait le voir. Cette très sainte image donc,
ils l’apportèrent à l’entrée de la tranchée qu’ils avaient creusée
et, l’ayant aspergée d’eau, ils envoyèrent à partir d’elle le feu
contre les matières combustibles. Et sur-le-champ, la puissance
divine étant descendue au secours de la foi de ceux qui avaient
agi ainsi, ce qui était impossible l’instant d’avant s’accomplit :
aussitôt, en effet, les poutres prirent feu, et, comme elles avaient
été réduites en charbon plus vite qu’on ne peut le dire, elles
transmirent la flamme aux parties les plus hautes, le feu enve-
loppant toute la construction.
Dès que ceux qui subissaient les rigueurs du siège eurent
vu que la fumée jaillissait, ils imaginèrent le stratagème que
voici. Ils apportèrent de toutes petites bouteilles, les remplirent

206 Florilège
de soufre, d’étoupe et d’autres matières combustibles et les
lancèrent avec des frondes contre le remblai qu’on nomme agesta.
Ces petites bouteilles dégageaient de la fumée, car le feu s’y était
allumé par suite de la force du lancement, et empêchaient qu’on
s’aperçut de la fumée jaillie du remblai : si bien que tous ceux
qui n’étaient pas au courant supposaient que la fumée venait
des petites bouteilles et non d’une autre cause. Mais le troisième
jour après celui-là, on vit, jaillissant de la terre, de petites langues
de feu, et les Perses qui combattaient sur le remblai comprirent
le degré de malheur où ils étaient parvenus. Chosroès, comme
si la puissance divine elle-même s’opposait à lui, fit détourner
contre le bûcher l’eau des aqueducs situés devant la ville, essayant
ainsi de l’éteindre. Mais ce bûcher réagit à cette eau plutôt comme
à de l’huile ou du soufre ou quelque autre matière inflammable
et fit jaillir plus haut encore sa flamme jusqu’à ce qu’il eût fait
s’écrouler tout le remblai et eût complètement réduit en cendres
l’agesta. Alors, Chosroès abandonna tous ses espoirs et reconnut
par les faits qu’il s’était exposé à un grand déshonneur en conjec-
turant qu’il l’emporterait sur le Dieu que nous honorons et il se
retira sans gloire dans son pays28.

31. La lettre du Christ sur la porte d’Édesse

Procope de Césarée, Histoire des guerres, II, XII, 20-27, éd. Loeb, I,
pp. 366-370 (voir supra, p. 36).

Quelque temps plus tard, alors qu’Abgar était très avancé en âge,
il fut pris d’une insupportable attaque de goutte. Accablé par la
douleur et dans l’incapacité de se déplacer à cause de la maladie,
il confia son cas aux médecins et du pays tout entier il faisait
venir tous ceux qui avaient des lumières en ces matières. Mais
peu après, il révoqua ces gens (ils n’avaient pas été capables de

28 La retraite eut lieu à la fin de 543.

207
découvrir un remède à son mal), et, se trouvant sans secours, il
déplora le destin qui s’acharnait sur lui.
En ce temps-là, Jésus le fils de Dieu, s’étant incarné, vivait
parmi le peuple de Palestine ; en ne commettant jamais le péché,
et surtout en accomplissant au vu de tous des choses impossibles,
il manifestait qu’il était véritablement le fils de Dieu. Il rappelait
les morts et les faisait lever comme s’ils s’éveillaient ; il ouvrait
les yeux de ceux qui étaient nés aveugles, purifiait le corps de ceux
qui étaient couverts de lèpre, délivrait les pieds de leur para-
lysie et guérissait toutes les autres maladies que les médecins
consi-dèrent comme incurables. Lorsque ces événements furent
rapportés à Abgar par les voyageurs qui venaient à Édesse de
Palestine, le roi reprit courage et écrivit une lettre à Jésus, le sup-
pliant de quitter la Judée et sa population d’ingrats pour venir
dorénavant vivre auprès de lui. Lorsque le Christ vit ce message,
il répondit à Abgar en lui signifiant clairement qu’il ne viendrait
pas, mais il lui promettait la guérison dans sa lettre. Et l’on dit qu’il
ajouta que jamais sa ville ne pourrait être prise par les barbares.
La dernière partie de cette lettre est restée complè-
tement ignorée de ceux qui ont écrit l’histoire de la période ;
ils n’en font mention nulle part. Mais les gens d’Édesse disent
que cette prédiction se trouvait dans la lettre, et que par suite,
ils avaient fait inscrire la lettre sous cette forme sur les portes
d’Édesse afin qu’elle assure, à elle seule, la défense de la ville29.

32. L’apparition miraculeuse d’un velum

De miraculis S. Stephanis protomartyris 1, 2, c. 4, in PL 41, col. 850


(voir supra, p. 37).

C’était, dans notre cité, jour de marché ; il était déjà presque


midi lorsque l’atmosphère sereine d’un ciel sans nuages fut

29 Voir texte 33.

208 Florilège
brusquement troublée par une noire et ténébreuse rafale ora-
geuse. On aperçut alors, venant d’en haut, plein de flammes
et d’une taille démesurée, un dragon, la tête sortant des nuages.
Ce phénomène ne doit pas sembler si nouveau, ni insolite,
non seulement parce qu’il est connu du peuple, mais en raison
de l’autorité des Saintes Écritures qui, à propos des dragons,
rappellent ceci : « louez l’Éternel du bas de la terre, monstres
marins, et vous tous, abîmes... »30
Donc, envoyé, pour ainsi dire, par la providence divine,
et sortant des nuages, le dragon plein de flammes s’avance comme
s’il surgissait de l’abîme supérieur. Son mouvement déplaçait
les masses d’air, d’un côté et de l’autre, dans un ample tourbillon,
et tous ceux qui se trouvaient là, à attendre, frappés de stupeur
par la crainte, comprirent que d’un moment à l’autre il pouvait
s’abattre en plein milieu de la cité. La foule se mit alors à fuir
le lieu où elle était rassemblée et à courir de tous côtés ; chacun
allait comme il pouvait là où la terreur le menait. Finalement, le
marché fut totalement bouleversé et désagrégé. Tout commerce
terrestre avait été abandonné, les hommes n’ayant d’autre pré-
occupation que leur salut. Qui, en effet, dans un si grand péril,
chercherait à faire des bénéfices, au risque de perdre la vie ? Qui
penserait à se nourrir, lorsqu’il craint que soit venu le dernier
moment de sa vie ? Quel homme aurait encore envie d’un vête-
ment, quand la crainte de la mort lui fait perdre l’esprit ?
Alors, les gens se ruent en masse dans le giron de l’église
leur mère, se réfugient dans la miséricorde de Dieu leur père.
Tournés vers l’image sacrée de l’ami de Dieu, face contre terre,
tous se prosternaient, hommes et femmes de tous les âges. Enfin,
comme ils avaient, juste à temps, fait fuser leur prière vers le
Christ du maître Étienne, au milieu des pleurs, la clémence de Dieu
se manifesta : l’horrible dragon commença progressivement
à se soustraire à la vue des hommes et à se dissimuler dans la

30 Ps. 148.7 sq.

209
barrière de nuages. Les vents qui s’étaient engouffrés par là furent
aussi repoussés et chassés au loin, laissant de nouveau la place
à un ciel serein. Ainsi, les esprits furent ramenés à la vie, et d’une
grande tristesse passèrent à la joie ; on rendit de nombreuses
actions de grâce à Dieu et à son ami, en versant beaucoup de
larmes, tant ce signe de bienveillance était inespéré.
À ce miracle, s’ajouta quelque chose de plus étonnant
encore, pour que tout homme, dans sa faiblesse, n’ignore rien
des signes et des bienfaits divins, et qu’après avoir été enseigné
avec plus d’évidence et de clarté, il en demeure reconnaissant.
Car c’était un événement véritablement digne de mémoire.
Voici qu’un autre jour, selon l’injonction divine, un
commerçant, que l’on n’avait jamais vu dans notre région, au
lieu-dit Memblotutanum, se rendit de lui-même chez notre
sous-diacre, nommé Sennodus, le fit venir et lui demanda avec
insistance qui il était et d’où il venait. Puis, comme Sennodus
lui disait qu’il était sous-diacre de l’église d’Uzalis, il répondit
aussitôt que lui-même était un homme inconnu. Était-ce seule-
ment un homme ? Il semble plus crédible qu’il fût à la fois ange
et homme ; fait qui d’ailleurs n’a rien d’inouï ni d’absolument
inédit : dans la religion chrétienne ou dans l’histoire humaine,
de saints anges se sont souvent manifestés aux hommes en pre-
nant une apparence terrestre et des dehors visibles. Ce personnage
donc donna au sous-diacre dont j’ai parlé une toile (velum) peinte
de diverses couleurs. Voici comment se présentait cette peinture :
sur la partie droite de la toile, on voyait saint Étienne debout,
et portant la glorieuse croix qui reposait sur ses épaules ; et, avec
l’extrémité de cette croix, il semblait pousser violemment la porte
de la cité, dont on voyait sortir un effrayant dragon, mis mani-
festement en fuite par l’ami de Dieu. Mais la fuite ne suffisait pas
à protéger ce serpent nuisible, que l’on voyait écrasé et broyé sous
le pied triomphal du martyr.
Une telle peinture n’était donc pas totalement étrangère
au mystère de Dieu, lorsqu’elle fut apportée au sous-diacre, puis

210 Florilège
suspendue. Devant le souvenir (memoria) d’un si grand patron,
hommes et femmes de tous âges se mirent à regarder le spectacle
et à admirer sa beauté ; ils virent quel était l’auteur de la mise
à mort du dragon, le libérateur qui avait permis de vaincre
l’ennemi. Dans tous les esprits, cette confirmation renforçait la
foi dans les événements qui s’étaient déroulés le jour précédent.
Car plus on regardait avec attention ce qu’il y avait sur la toile,
plus on croyait à la réalité de ce qui s’était passé. La peinture
contribuait par la grâce à l’action divine qui, la veille, avait assuré
à tous le salut, et celui-ci était d’autant mieux assuré qu’il avait
été ensuite commémoré sur l’image de la toile.

33. L’image d’Édesse

Constantin Porphyrogénète, Narratio de imagine edessena, in PG


113, 425B – 432C (voir supra, p. 38).

Récit établi sur diverses enquêtes, relatant l’envoi à Abgar de cette divine
icône du Christ notre Dieu, qui ne fut pas l’œuvre de main d’homme.
Au temps où notre Seigneur et Dieu, Jésus Christ notre
Sauveur, se fut rendu auprès de nous pour la rédemption du genre
humain, il régnait sur terre une « abondance de paix », aux dires
du prophète, et la pluralité des pouvoirs était abolie, car tout lieu
habité était enserré dans cette ceinture unique du commande-
ment romain et relevait ainsi d’un seul chef. C’est pour cette raison
que se faisaient sans crainte toutes sortes de commerces de tous
avec tous, et que les hommes paraissaient habiter la terre sans
se l’être répartie, mais comme si elle n’était la propriété que d’un
seul maître, de même qu’elle est tout entière la création d’un
démiurge unique : et, tandis qu’auparavant ils baissaient la nuque
comme des esclaves, les hommes s’étaient fait la paix entre eux.
Ainsi donc, le gouverneur d’Édesse, Abgar, était ami du
prince d’Égypte et bien connu de lui, et d’ailleurs leurs ministres
respectifs se fréquentaient également les uns les autres. C’est

211
pourquoi à cette époque, où notre Seigneur et Dieu, accomplissant
le dessein paternel, exposait aux hommes sa doctrine salutaire, et
les convertissait à la foi en lui par le moyen de miracles étranges
et surnaturels, il s’est trouvé qu’un des ministres d’Abgar, un
homme dénommé Ananias, s’en allait vers l’Égypte en traversant
la Palestine. Allant son chemin, il fit par hasard la rencontre du
Christ, dont les discours arrachaient les peuples aux égarements
de l’errance, et qui accomplissait de merveilleux miracles.
Après quoi Ananias acheva son trajet jusqu’en Égypte, où il traita
les affaires qui lui étaient échues, et prit la voie du retour vers
son seigneur.
Ananias savait qu’Abgar était accablé d’une maladie
chronique des articulations, et qu’une lèpre noire l’épuisait ;
son maître souffrait d’un mal double, ou même d’une maladie
au multiples facettes, puisqu’elle l’oppressait de douleurs aux
articulations, et qu’elle l’exténuait des maux de la lèpre. À cela
s’ajoutait la honte de la déformation qui l’affligeait, à cause de
laquelle il osait à peine se présenter aux autres hommes. Ainsi,
non seulement il restait le plus clair de son temps alité, mais
se dissimulait même de honte aux amis qui lui rendaient visite.
Quand donc Ananias se trouva sur le chemin du retour,
il se préoccupa d’apprendre précisément les actions [du Christ],
pour être capable d’en informer son maître avec certitude, et
que celui-ci pût peut-être guérir par les vertus de sa médecine.
Il rencontra donc à nouveau le Seigneur dans des circonstances
comparables aux précédentes, ressuscitant les morts, donnant
la vue aux aveugles, redressant les boiteux, rendant enfin la santé
à tous, quels que fussent leur maux.
Quand [Ananias] fut instruit, étant certain que [tous
ces miracles] étaient manifestement accomplis par le Seigneur,
il retourna chez Abgar et lui en fit le récit, lui racontant tout ce
qu’il avait vu ou qu’il avait entendu de la bouche du plus grand
nombre. Ayant ainsi accompli bien plus qu’il ne lui avait été échu,
et annonçant à son maître des nouvelles heureuses et de bon

212 Florilège
augure, il fut jugé digne d’une réception convenable, et fut
reconnu comme un homme de valeur. Et comme la maladie fait
de la promesse une richesse (car le mythe et l’espoir flattent
l’homme), Abgar fut convaincu d’avoir à se lancer résolument
à la recherche de l’homme dont on lui parlait. Il se fit donc lever
pour écrire à cet homme qu’on disait capable de guérir de tous
les maux, et de le faire ainsi venir à lui. Et sur-le-champ il écrivit
cette lettre au Seigneur, qui a circulé partout, et qui contenait
ces propos :

Abgar gouverneur d’Édesse, à Jésus Christ, médecin excellent,


en la ville de Jérusalem, salut ! J’ai entendu évoquer tes
exploits, et les guérisons que tu as accomplies, sans remèdes
ni infusions. À ce qu’on dit, tu rends la vue aux aveugles, la
marche aux impotents, et tu purifies les lépreux, tu délivres les
hommes des esprits impurs et des démons, tu soignes ceux qui
souffrent de maladies longues, enfin tu ressuscites les morts.
Ayant donc appris tout cela à ton sujet, il m’est venu à l’esprit
la chose suivante : soit tu es Dieu, et, descendu du ciel, tu
accomplis tous ces miracles, soit pour agir comme tu fais, tu
es le Fils de Dieu. Ainsi donc je t’écris pour te prier et te déran-
ger afin que tu viennes à moi pour me délivrer du mal dont je
souffre. J’ai d’ailleurs entendu dire que les juifs murmurent
contre toi, et te veulent du mal. La cité que je commande est
très petite mais pieuse, et nous suffira à tous les deux pour
vivre en paix.

Comme Ananias donnait d’une part à son maître de réels


témoignages de bienveillance, et qu’il se trouvait d’autre part
connaître la route ; comme également il maîtrisait l’art de
peindre, c’est par son truchement qu’Abgar envoya cette lettre
à Jésus, comptant sur lui pour que, si la lettre ne réussissait pas
à convaincre le Christ de venir à lui, Ananias peignît au moins
un portrait fidèle de son apparence (trophè) physique et le lui

213
rapportât, en sorte qu’il fût édifié comme d’une ombre, et qu’il
appréciât non seulement par l’ouïe, mais aussi par la vue, qui était
l’auteur de si grands exploits.
Lors donc que l’envoyé d’Abgar fut parvenu en Judée,
il trouva le Christ en rase campagne, entretenant le peuple qui
affluait, et accomplissant les plus fabuleux miracles. Nombreuse
était la foule, et innombrables les raisons qui faisaient affluer
le monde, si bien qu’Ananias fut dans l’incapacité d’approcher
Jésus. Il réussit à ne pas se placer trop loin du lieu où discourait
le Seigneur, et s’assit sur une pierre qui émergeait du sol. Ainsi
le Sauveur lui fut parfaitement visible, et bien distinct parmi la
foule, dont il dépassait la plupart de la taille. Il fixa donc les yeux
sur lui et, la main sur la feuille, il entreprit de peindre l’image
(omoiotheta) de l’homme qu’il voyait31.
Jésus savait tout cela spirituellement, et appela Thomas :
« Va, dit-il, à cet endroit ; un homme est assis sur une pierre,
qui dessine ma forme, et fais-le venir à moi. Donne-moi la lettre
qu’il a apportée de son pays, afin qu’il puisse remplir la mission
de celui qui l’envoie. » Thomas alla donc, et reconnaissant Ananias
au signe qu’avait évoqué Jésus, [à savoir] qu’il le trouverait en train
de faire son portrait, il le conduisit à Lui. Avant même d’en rece-
voir la lettre, le Christ lui révéla la cause de sa présence devant
lui, et le contenu de la lettre. Puis la prenant et la parcourant,
il répondit à Abgar par une autre lettre dont voici le texte :

Tu es bien heureux, Abgar, de croire en moi, alors que tu ne


m’as jamais vu. C’est d’ailleurs ce qui a été écrit sur moi : que
ceux-là qui m’ont vu ne croient pas en moi, afin que pour leur
part ceux qui ne m’ont jamais vu croient et vivent. Or voici
que tu m’écris pour me faire venir auprès de toi ; mais il faut
que je m’acquitte de toutes les tâches pour lesquelles j’ai été

31 Dans les récits antérieurs, c’est l’incapacité d’Ananias à peindre


le portrait du Christ qui amène celui-ci à réaliser son propre portrait.

214 Florilège
envoyé en ce monde, et une fois ma mission accomplie, que je
remonte vers le Père qui m’a envoyé. Comme donc je vais être
rappelé, je vais t’envoyer l’un de mes disciples, qui soignera
ton mal et pourra vous procurer, à toi et aux tiens, la paix et
une vie éternelles, qui enfin accomplira pour ta ville ce qui
est nécessaire pour qu’aucun ennemi ne puisse la prendre de
force.

Le Christ donna donc cette lettre à Ananias, et comme il savait


par ailleurs son inquiétude, et la préoccupation qui était sienne
de mener à terme la seconde partie de la mission que lui avait
ordonnée son maître, à savoir de lui rapporter l’image de sa forme.
Le Sauveur lava d’eau son visage, puis l’essuya tandis qu’elle
ruisselait avec le voile qu’on lui tendait ; il venait ainsi, d’une
manière divine et ineffable, d’imprimer sur le tissu la forme
de son visage. Le donnant alors à Ananias, il lui ordonna
de le remettre à Abgar, afin qu’il satisfasse son désir de le voir
et remédiât à sa maladie.
Avec ce don, Ananias prit le chemin du retour, jusqu’à
parvenir en la place forte de Hiérapolis, qui dans la langue des
Sarrasins s’appelle Memmich, et Mabuc32 dans celle des Syriens.
Il fit donc halte devant cette cité, à côté d’un amoncellement
de tuiles nouvellement fabriquées, où Ananias cacha l’étoffe
sacrée qu’il détenait. Et vers le milieu de la nuit, un grand feu
parut qui encerclait l’endroit, et de l’intérieur de la cité, tout
alentour semblait se consumer de feu. Les habitants se mirent
à craindre pour leurs biens, et sortirent de chez eux pour enquê-
ter à propos du feu qu’ils voyaient. Ananias fut ainsi trouvé là, et
arrêté comme étant l’auteur du désastre. Poursuivant donc leur
examen, ils s’enquirent de savoir qui était cet Ananias,
où il allait et d’où il venait.

32 Ou encore Mabbug, la ville du monophysite Philoxène


(Xenaïas) ; voir texte 38.

215
Se demandant pourquoi cet interrogatoire étrange,
Ananias prit la peine d’expliquer où il se trouvait auparavant,
d’où il venait, et ce qu’il transportait, et déclara avoir déposé l’objet
qu’il détenait parmi les tuiles, d’où il semblait que s’élevaient
les flammes. Derechef eux, voulant s’assurer de la vérité de ses
paroles, examinèrent le lieu et découvrirent non seulement
l’étoffe qu’Ananias y avait déposée, mais également sur une des
tuiles qui la touchaient, une autre empreinte (ektupoma) de la
représentation (apeikonisma) qui provenait d’une reproduction
de la figure non peinte, elle-même exécutée sur le tesson d’une
manière étrange et qui dépasse la raison, copie sans copiage
de la forme [du dieu]. Devant ce spectacle, l’étonnement et la
stupeur les assaillirent, et pour ce qu’ils voyaient, et parce que
le feu se trouvait ne brûler de nulle part, mais plutôt la flamme
surgir de l’éclat qui émanait de la figure [du Christ].
Ainsi cette tuile qui aspirait en elle l’empreinte divine,
ils en prirent possession par devers eux, comme d’un bien sacré,
et d’un trésor d’inestimable valeur, conjecturant de ce qu’ils
voyaient qu’elle possédait une énergie divine. Craignant toutefois
d’en garder le prototype et de retenir l’émissaire, ils renvoyèrent
Ananias à Abgar.
Et de nos jours encore, la figure sur la tuile est conservée
et honorée par tous les habitants de cette petite ville, image non
peinte d’une figure non peinte, image non ouvrée d’une figure
qui ne fut pas ouvrée. Quant à Ananias, ayant fait le chemin
qu’il avait à faire, s’en vint faire le récit de ces événements à son
maître, à qui il remit également les symboles salutaires qu’il
avait apportés.

216 Florilège
34. Adoration d’une relique

Grégoire de Nysse, Encomium de saint Théodore, in PG 46, col. 740


AB (voir supra, p. 40).

Son regard repu des œuvres d’art sensibles, il désire s’approcher


de la châsse, avec la conviction que la sanctification et la béné-
diction viendraient de son contact. Celui à qui l’on donne de
prélever la poussière qui parsème la surface de la sépulture recevra
cette terre comme un don et la conservera comme un trésor.
Pour celui qui en a l’occasion, toucher la relique même – s’il a
cette chance –, accorde la puissance (ce qui est très enviable) et
la bénédiction qui vient d’en haut. Expérience que connaissent
bien ceux qui l’ont faite et ceux qui sont pris d’un tel désir.
C’est comme un corps vivant et épanoui que ceux qui
contemplent la relique embrassent des yeux, de la bouche et
des oreilles, convoquant tous les sens ; ensuite, ils versent des
larmes de piété ou d’émotion ; ils adressent au martyr, qui leur
apparaît intact, des prières d’intercession, le suppliant comme
le ministre du Dieu, en l’invoquant comme celui qui peut obtenir
les gratifications de Dieu comme il veut.

35. Les statues des empereurs

Jean Chrysostome, cité in Jean Damascène, Sacra Parallela, PG 96,


76 A (voir supra, p. 48).

Moïse dit : « Sacrifiez un agneau sans tache et aspergez les portes


de son sang. » « Que dis-tu ? Le sang d’un être non raisonnable
peut donc sauver des hommes raisonnables ? » « Il en est bien
ainsi, dit-il. Car de même que les statues des empereurs qui sont
inanimées et insensibles sont capables de sauver les hommes
animés et doués de sensation qui se réfugient auprès d’elles toutes
inanimées et insensibles qu’elles soient, non parce qu’elles sont

217
d’airain, mais parce qu’elles sont l’image de l’empereur, de même,
ce sang-là [le sang de l’agneau], inanimé et dépourvu de sens, a
sauvé des hommes qui possédaient une âme. Non parce qu’il était
sang, mais parce qu’il était l’image (tupos) de ce sang [i. e. le sang
du Christ]. Ayant vu le sang enduit sur les portes, il n’osa pas les
violer. À plus forte raison maintenant, si le diable te voit, enduit
non pas du sang du corps [de l’agneau] qui est sur les portes, mais
enduit du sang de la vérité, le sang du temple [corporel] qui portait
le Christ sur la bouche des fidèles, il ne te détiendra pas. Car si
l’ange [exterminateur], en voyant la figure (tupos) fut saisi de crainte,
à plus forte raison le diable s’enfuira-t-il en voyant la vérité.
Le soldat a ouvert son flanc et il a percé le mur du temple
saint, et moi, j’ai trouvé le trésor et suis devenu riche. Ainsi
en a-t-il été de l’agneau. Les juifs ont égorgé l’animal et moi, j’ai
recueilli le sacrifice, le sang et l’eau qui sont sortis du flanc.
De même que la mère nourrit son fils de sang et de lait, de même,
ceux que le Christ a engendrés, il les nourrit de son sang éternel.

36. Le miracle de la statue de Constantin en l’an 496

Chronique de Josué le Stylite, éd. W. Wright, 1882, c. 27. Cité in Ernst


von Dobschütz, Christusbilder. Texte und Untersuchungen zur
Geschichte der altchristlichen Literatur, Leipzig, Hinrichs, 1899,
p. 177* (voir supra, p. 49).

Pour les punir de leur méchanceté, Dieu fit un signe surnaturel :


précisément, le signe de la croix, que tenait dans sa main la statue
(andrias) du saint empereur Constantin, s’éloigna de la main
de la statue d’une aune environ et resta ainsi du vendredi au
dimanche jusqu’au soir. Mais le dimanche, les morceaux épars
du signe se rassemblèrent et vinrent reprendre leur place et la
statue le reprit dans sa main comme elle l’avait fait auparavant
et à travers ce signe les réprouvés comprirent qu’en faisant ce
qu’ils avaient fait ils s’étaient écarté de la volonté de Dieu.

218 Florilège
37. Image triomphale de l’empereur

Eusèbe, Histoire ecclésiastique IX, 9, 10, trad. G. Bardy, Sources


chrétiennes 55, 1967, pp. 63-64 (voir supra, p. 49).

(...) lorsqu’il est entré à Rome avec des hymnes triomphales, tous
en masse avec les petits enfants et les femmes, les membres du
Sénat, les Perfectissimes33, ainsi que tout le peuple des Romains
le recevaient avec des yeux joyeux, de tout leur cœur, comme
un libérateur, un sauveur, un bienfaiteur, parmi les acclamations
et une joie insatiable.
Mais lui, qui possédait comme naturellement la piété
envers Dieu, sans se laisser le moins du monde ébranler par les
cris ni exalter par les louanges, a tout à fait conscience du secours
venu de Dieu. Aussitôt il ordonne de placer le trophée de la passion
salutaire dans la main de sa propre statue, et tandis que les arti-
sans la dressent, tenant dans sa main droite le signe sauveur,
à l’endroit le plus fréquenté par les Romains, il ordonna de graver
cette inscription en propres termes, dans la langue des Romains :
« Par ce signe salutaire, par cette véritable preuve de courage, j’ai
délivré votre ville que j’ai sauvée du joug du tyran ; et j’ai rétabli
de plus le Sénat et le peuple des Romains dans leur ancienne
illustration et splendeur, après les avoir libérés. »

33 Le titre de perfectissime était donné à cette époque à certains


fonctionnaires de l’ordre équestre.

219
38. Résistances monophysites aux représentations
anthropomorphes

Extrait de l’Histoire ecclésiastique de Jean Diakrinomenos, lu au


concile de Nicée II (787), in Mansi XIII, col. 180 E sq. (voir supra,
p. 57).

Xenaias [i. e. Philoxène] affirmait qu’il était illégitime de faire


les anges corporels, alors qu’ils sont incorporels, et de les repré-
senter comme s’ils subsistaient corporellement dans une forme
humaine ; mais aussi qu’il ne fallait pas croire rendre honneur et
gloire au Christ en réalisant son image en peinture (dia graphès) ;
qu’il savait que seule lui était acceptable l’adoration en esprit
et en vérité. Et puis il dit savoir que c’est une pensée puérile que
de vouloir façonner dans un simulacre en forme de colombe
l’Esprit très saint et vénérable. D’autant plus qu’en aucun cas
les Évangiles qui nous sont transmis ne rapportent que le Saint-
Esprit s’est changé en colombe, mais qu’il a été vu autrefois sous
la forme d’une colombe. C’est donc par régulation (oikonomikon)
et non substantiellement qu’il a été vu ainsi une fois et donc
que les croyants ne sont pas habilités à le représenter dans un
simulacre corporel.
C’est ce qu’enseignait Philoxène, et ses actes étaient
conformes à sa doctrine. Il ordonna souvent, en effet, de déposer
et d’effacer des images d’anges, et celles qui représentaient le
Christ, il les dissimulait dans des lieux invisibles.

220 Florilège
39. Défense orthodoxe des images.
Lettre d’Hypatios d’Éphèse à Julien d’Atramyton

H. G. Thümmel, « Hypatios von Ephesos und Iulianos von


Atramytion zur Bilderfrage », Byzantinoslavica 44, 1983, pp. 161
sq. (voir supra, p. 61).

Extrait des diverses questions adressées par Hypatios, archevêque


d’Éphèse à Julien, l’évêque d’Atramytion, Premier Livre, Chapitre V,
à propos des objets disposés dans les lieux saints.
Tu dis que ceux qui déposent dans les lieux saints des
répliques (graphai) et des images taillées (gluphai) destinées à être
révérées ou vénérées bouleversent, une fois encore34, la tradition
divine. Et tu dis que tu comprends que les Écritures l’interdisent
explicitement ; c’est à dire qu’elles n’interdisent pas seulement
de les fabriquer, mais qu’elles ordonnent même de les détruire,
dans le temps de leur confection ou lorsqu’elles existent déjà.
Nous devons comprendre pourquoi les Écritures disent
cela, et considérer à quelle fin les objets sacrés sont façonnés
de la façon dont ils le sont. Car il y a eu des hommes pour penser,
l’Écriture divine nous l’apprend, que « la divinité est semblable
à l’or, à l’argent, ou à la pierre sculptée par l’art humain »35, et
qu’ils fabriquaient, conformément à leur croyance, des dieux
matériels et « adoraient ce qu’ils avaient créé à la place du créateur »
pour les besoins de leur culte, selon leur conviction, des dieux
matériels, et adoraient « la créature au lieu du Créateur36. » « Leurs
autels, est-il dit, vous les renverserez37 » et « les briserez38 », et « les
statues de leurs dieux, vous les détruirez par le feu39 », et « Veillez

34 Après les païens.


35 Actes, 17, 29.
36 Rom., 17, 25.
37 Deut., 7, 5.
38 Deut., 7, 25.
39 Deut., 7, 25.

221
attentivement sur vos âmes, puisque vous n’avez vu aucun
simulacre le jour où le Seigneur vous parla, à Horeb, dans la
montagne, au milieu du feu ; n’enfreignez point la loi, et ne vous
taillez point d’images idolâtres40 ». Il n’existe en effet aucun être
qui soit semblable, ou égal, ou identique à la Trinité bonne et
divine, qui est au-delà de tous les êtres, créateur et cause de tous
les êtres. « Qui donc est semblable à Toi ? », est-il dit41, et nous
entendons le Psaume divin42 : « Qui peut se rendre pareil à Toi ? »
Les choses étant ainsi, tu dis : toutes adorées qu’elles
soient, nous laissons dans les sanctuaires les images (graphas)
tracées sur le bois ou sur la pierre, mais nous n’admettons pas la
présence des images sculptées, même si elles sont exemptes du
péché, excepté sur les portes43.
Ô mais, esprit ami et saint ! Nous ne prétendons ni
n’écrivons que la substance divine, quelle qu’elle puisse être, soit
semblable, ou identique, ou similaire à quelque créature que
ce soit. Nous prescrivons que l’amour indicible et incompré-
hensible que Dieu nous porte ainsi que les exemples sacrés des
Saints soient célébrés dans les Écritures Saintes, car pour notre
part, nous ne prenons nul plaisir à la sculpture ou à la peinture.
Mais nous autorisons les gens simples, dans la mesure où ils sont
moins parfaits, à s’instruire et à s’initier à ces choses par la vue
qui est plus appropriée à leur développement naturel. Et nous
avons trouvé que les anciens et nouveaux écrits testamentaires,
souvent et en de nombreux endroits, s’abaissent au niveau des
créatures les plus faibles et de leur âme pour leur salut. Songe
bien que le hiérophante Moïse, qui établit ces lois sur l’injonction
de Dieu, déposa lui-même, dans le Saint des Saints, des images
ciselées en or qui représentent les chérubins44.

40 Deut., 4, 14-16.
41 Ps., 70, 19 (Septantes).
42 Ps., 82, 2 (Septantes).
43 Voir supra, p. 91, note 33.
44 Ex., 25, 18

222 Florilège
Et nous voyons qu’en beaucoup d’autres points, par
amour et pour le salut des hommes, la sagesse divine tempère
sa rigueur à l’égard des âmes qui ont besoin d’être guidées. C’est
en effet la raison pour laquelle il est dit que les Mages furent
conduits vers le Christ par une étoile céleste, lors de sa naissance
terrestre45. Si par ailleurs elle [l’Écriture] détourne Israël de
sacrifices idolâtres46, elle admet néanmoins qu’ils aient lieu pour
Dieu47. La parole divine évoque même une reine des cieux, bien
qu’il n’y ait d’autre roi que lui, qui règne sur les rois sur la terre
comme au ciel. Elle mentionne aussi les étoiles et utilise le langage
des grecs païens, lorsqu’elle nomme certaines d’entre elles
« Pléiade », « Arcturus », ou « Orion »48, bien qu’elle ne s’abaisse
jamais à reconnaître les mythes ou les histoires que les Grecs
rapportaient à propos des corps célestes ; elle reconnaît seulement
dans sa sagesse et célèbre celui qui « dénombre la foule des astres
et leur donne à tous un nom »49. Elle apprend à ceux qui ne peuvent
pas s’instruire par d’autres voix à connaître les astres à l’aide de
la nomenclature qu’ils connaissent et dont ils se servent.
C’est pourquoi, nous aussi, nous admettons les ornements
matériels dans les lieux saints, non parce que nous croyons que
Dieu considère que l’or, l’argent, les vêtements de soie et la vais-
selle incrustée de pierres soit vénérable ou sacrée, mais nous
permettons que chaque ordre de croyants adopte de lui-même
la conduite qui lui convient pour s’élever vers la divinité, parce
que nous pensons que certains peuvent ainsi être menés vers
la beauté intelligible, et passer de l’intense lumière qui baigne
les lieux saints à la lumière intelligible et immatérielle.

45 Mat., 2, 9.
46 Ex. 34, 13 et Lev. 1-7.
47 Ex., 22, 20.
48 Job 9, 9 ; 38, 31.
49 Ps. 146, 4 (Septantes).

223
En vérité, parmi ceux qui ont envisagé avec sagesse la vie
supérieure, certains ont pensé qu’on pouvait en tout lieu faire
à Dieu offrande de l’adoration en esprit, et que les âmes pures
sont les temples de Dieu50. Car on admet que les Écritures parlent
ainsi : « Je veux que les hommes prient en tout lieu, en élevant
des mains pures51. » Et encore : « Bénissez le Seigneur dans tous
les lieux de sa domination52. » Encore : « Le ciel, dit l’Écriture, est
mon trône, et la terre mon marchepied53. » Et puis, « Quelle maison
pourriez-vous me bâtir, dit le Seigneur54 ? » Et il ajoute : « N’est-ce
pas ma main qui a fait toutes ces choses55 ? » Et : « Le Très Haut
n’habite point dans des temples faits de main d’homme56. » Et
encore : « Sur qui porterai-je mes regards, sinon sur l’homme qui
est doux et placide, et qui craint mes paroles57 ? » Et encore : « Qui
m’aime gardera ma parole, et moi-même je l’aimerai en retour,
et nous viendrons, mon Père et moi, et nous ferons notre demeure
auprès de lui58. » Et Paul d’annoncer aux saints hommes : « Vous
êtes en effet le temple de Dieu, et l’esprit de Dieu habite en vous59. »
Ainsi, nous ne bouleversons pas les commandements
divins, pour ce qui est des lieux saints, mais nous tendons une
main plus indulgente aux hommes lorsqu’ils sont imparfaits. Ce
n’est pas que nous les laissions à l’ignorance de la connaissance
plus parfaite, mais nous voulons qu’eux aussi sachent que l’être
divin n’est en rien identique ou semblable ou similaire à une
chose existante quelle qu’elle soit.

50 Sur ce point, George Florovsky, « Origen, Euscbius and the


Iconoclastic Controversy », Church History XIX (1930), pp. 3-22, partic. 17 sq.
51 Tim., 2, 8.
52 Ps., 102, 22 (Septantes).
53 Is. 66, 1.
54 Is. 66, 1.
55 Actes 7, 49.
56 Actes, 17, 24.
57 Is, 66, 2.
58 Jean, 14, 23.
59 Cor. 13, 16.

224 Florilège
40. Lettre de Grégoire à Serenus, évêque de Marseille (XIII)
PL 77 col. 1027 sq. (voir supra, p. 63).

Il nous a donc été rapporté que, enflammé par un zèle inconsidé-


ré, tu avais brisé les images des saints, en invoquant le prétexte
qu’on ne devait pas les adorer. Et effectivement, nous t’avons
grandement loué d’avoir interdit qu’elles fussent adorées. Nous
te reprochons en revanche de les avoir brisées. Dis-moi, mon
frère, si tu as déjà entendu dire qu’un prêtre a déjà commis ce
que tu as fait. Si tu ne vois aucun autre exemple, ceci n’aurait-il
pas dû te rappeler que, en méprisant tous tes autres frères, tu as
cru être le seul à faire preuve de sagesse et de sainteté ? En effet,
une chose est d’adorer les images, une autre d’apprendre, à travers
le récit des images, ce qu’il faut adorer. Car, ce que représente
l’écriture pour les lecteurs, l’image le fait pour les spectateurs
illettrés, puisqu’à travers elle, les ignorants voient ce qu’ils doivent
chercher à atteindre ; à travers elle, lisent ceux qui ne savent pas
leurs lettres. De là, et surtout pour les petites gens, la peinture
fait office de lecture. Et c’est pourquoi, même si tu étais animé
d’un juste zèle, tu aurais dû veiller, toi qui habites parmi les petites
gens, à ne pas t’enflammer sans précaution, et à ne pas causer
le scandale, en proie à des sentiments féroces. Tu n’aurais en effet
pas dû briser ce qui, effectivement, n’a pas à être adoré dans les
églises, mais qui a été placé uniquement pour instruire les âmes
des ignorants. Et puisque dans les lieux vénérables des saints,
le temps a permis, non sans raisons, qu’on peigne des histoires,
si tu avais enfoui ton zèle, avec discernement, sans doute tu aurais
obtenu sans peine ce que tu voulais, et au lieu d’avoir éparpillé
le troupeau qui était réuni, tu aurais pu au contraire rassembler
ce qui était dispersé, de manière à mériter ce nom de pasteur
qui t’est donné, au lieu de te rendre coupable de dispersion.
Mais, en suivant imprudemment les mouvements de ton âme,
tu as provoqué le scandale parmi tes fils, de sorte que la plupart
d’entre eux se sont éloignés de toi. Quand ramèneras-tu donc

225
les brebis égarées vers leur maître, toi qui n’es même pas capable
de garder celles que tu as ? C’est pourquoi nous souhaitons
que tu veilles maintenant à être attentif, et que tu chasses de toi
toute présomption ; que tu apprennes à connaître les âmes
de ceux qui se sont séparés de ton unité, que tu réussisses à les
rappeler à toi par une douceur paternelle, en y consacrant tous
tes efforts, et tout ton zèle.
En effet, il faut rappeler les enfants dispersés de l’Église,
et leur montrer, à travers les témoignages de l’Écriture sacrée, qu’on
ne doit adorer aucun objet, puisqu’il est écrit : « Tu n’adoreras
que le Seigneur ton Dieu, et lui seul tu serviras. » (Luc IV.8). Et
il faut leur expliquer ensuite que les images ont été faites pour
l’édification du peuple ignorant – pour que ceux qui ignorent
les lettres et qui regardent cette histoire prennent connaissance
des événements du passé –, et que, lorsque tu as vu ces images
devenir objet d’adoration, tu as été bouleversé au point de les
prendre et de les briser. Et il faut leur dire : si c’est en vue de cette
instruction pour laquelle les images ont été faites, que vous voulez
en avoir dans votre église, je permets qu’il y en ait, de toutes
sortes. Signale aussi que ce qui t’a déplu, ce n’est pas la vision
elle-même de l’histoire qui était pendue sur la peinture-témoin,
mais cette adoration qui avait été exposée sur les images de façon
incompétente. Et, adoucissant par ces mots leurs esprits, rap-
pelle-les à ta concorde. Et si quelqu’un voulait faire des images,
ne l’en empêche pas ; interdis seulement que d’aucune manière,
les images soient adorées. Mais que mon frère fasse cet avertis-
sement : que de cette vision de l’histoire, ils tirent l’ardeur de la
compassion, et qu’ils se prosternent avec humilité dans la seule
adoration de la toute-puissance de la sainte Trinité.

226 Florilège
41. Lettre de Grégoire à Serenus, évêque de Marseille, (CV)
PL 77 col. 1128 sq. (voir supra, p. 63).

(...) Je vous signale en outre mon frère, qu’est parvenu jusqu’à


nous la nouvelle qu’en voyant un certain nombre d’adorateurs
d’images, vous aviez brisé les images qui étaient dans les églises
et que vous les aviez jetées. Et, de fait, nous louons le zèle que
vous avez déployé pour qu’on ne puisse plus adorer d’objets,
mais nous vous signalons que vous n’auriez pas dû briser ces
images. En effet, l’on met des peintures dans les églises pour que
ceux qui ne savent pas leurs lettres puissent lire en regardant
sur les murs ce qu’ils ne savent pas lire dans les livres. Donc,
mon frère, vous auriez dû les conserver, tout en interdisant
au peuple de les adorer ; ainsi, même les analphabètes avaient
le moyen d’apprendre l’histoire, et le peuple ne pouvait plus
pécher en adorant des peintures.

42. Une représentation du sacrifice d’Isaac

Grégoire de Nysse, Oratio de Deitate Filii et Spiritus Sancti, PG 46,


572C sq. (voir supra, p. 63).

(...) Alors le père [Abraham] attacha d’abord son fils avec des liens.
J’ai souvent vu la représentation de cette épreuve sur des pein-
tures et je n’ai pas pu la considérer sans pleurer tellement l’art
restituait l’histoire au regard avec vivacité (enargôs). Isaac, devant
son père, près de l’autel du sacrifice, est agenouillé, les mains
liées derrière le dos ; son père qui se tient derrière lui, pose le
pied dans le pli de ses genoux et de la main gauche, tire vers lui
la chevelure de l’enfant ; il incline le visage vers lui et le regarde
avec commisération, tandis que de la main droite, il lève son
épée pour le sacrifice. Et déjà la pointe de l’épée touche le corps
de l’enfant lorsqu’une voix divine parvient jusqu’à lui et retient
son geste.

227
43. Justification christologique de l’image

Jean de Thessalonique, cité au concile de Nicée II (787), in Mansi


XIII, col. 164 DE (voir supra, p. 69).

(...) le païen dit : « Est-ce que vous ne peignez pas, dans les églises,
des images pour vos saints et ne les vénérez-vous pas ? Et non
seulement des saints, mais de votre Dieu même ? Ainsi donc,
tu dois estimer aussi que nous qui accueillons les simulacres
(bretè), ce n’est pas ceci que nous vénérons, mais les puissances
que nous honorons par leur intermédiaire. » Et le saint répondit :
« Mais nous, nous faisons des images d’hommes engendrés,
de saints serviteurs de Dieu dotés d’un corps pour nous souvenir
d’eux et les honorer et nous ne faisons rien de mal en les peignant
tels qu’ils furent. Et nous ne les imaginons pas comme vous et
nous ne montrons pas les incorporels (charaktera) dans des traits
corporels ; de même, les vénérant, ce ne sont pas les images,
comme tu le reconnais toi aussi, mais ceux qui sont désignés
par la peinture que nous glorifions. Et cela non pas comme des
Dieux (vraiment pas) mais comme des serviteurs zélés et des
amis de Dieu qui peuvent s’ouvrir à lui sans détour afin d’inter-
céder pour nous. Et nous faisons l’image de Dieu, j’entends notre
Seigneur et sauveur Jésus-Christ, tel qu’il a été vu sur la terre
et tel qu’il s’est mêlé aux hommes, celui-là nous le peignons et
non pas le Dieu tel qu’il est connu dans sa nature.
Car quelle est l’image (omoiosis) et quelle est la forme
du Verbe du Père incorporel et sans forme ? Dieu est Esprit,
comme il est écrit, c’est à dire de la nature de la Trinité sainte
et consubstantielle. Mais puisque de la bienveillance de Dieu
le Père est descendu du ciel le Fils unique et le Logos divin, qu’il
s’est incarné pour notre salut du Saint-Esprit et de la Vierge
pure, Marie la Théotokos, nous peignons son humanité, non
sa divinité incorporelle. Et le païen reprit : « Soit, vous peignez
le Logos divin en tant qu’il s’est incarné ; mais que direz-vous

228 Florilège
des anges, que vous peignez aussi comme des hommes et que
vous vénérez, bien qu’ils ne soient pas des hommes, mais que
vous dites exister sous une forme spirituelle et incorporelle ?
Ainsi donc, tu dois considérer que nous, qui honorons nos Dieux
au moyen des statues, nous ne faisons rien de moins légitime
que vous lorsque vous peignez des anges. » Et le saint dit : « Aux
anges et aux archanges et aux puissances incorporelles qui sont
au-dessus d’eux, j’ajouterai encore nos âmes d’hommes : l’église
universelle les reconnaît comme étant intelligibles, mais pas
entièrement incorporels et invisibles comme vous, païens, vous
le prétendez : car ce sont des corps subtiles, aériens et ignés, ainsi
qu’il est écrit : ‹ Celui qui a changé les anges en esprit et ses
ministres en feu brûlant... › Et nous trouvons beaucoup parmi nos
saints Pères qui pensent ainsi : Basile le grand et saint Athanase,
le grand Méthode et leur cercle. En vérité donc, seule la divinité
est incorporelle et incirconscriptible, mais les créatures intel-
ligibles ne sont pas complètement incorporelles et invisibles,
comme le divin. C’est pourquoi elles sont dans le lieu et sont
circonscriptibles. Si quelque part tu trouves les anges, les démons
ou les âmes désignés comme incorporels, ils sont appelés ainsi
parce qu’ils ne procèdent pas du mélange des quatre éléments
matériels et ne sont pas des corps denses et solides comme ceux
qui nous entourent. En réalité, ils sont invisibles pour nous,
mais ils ont souvent été vus d’une manière sensible par une foule
de gens sous leur aspect corporel ordinaire. Ils ont été vus par
ceux dont le Dieu ouvrit les yeux et ont été circonscrits dans
le lieu ; ils se sont montrés non tout à fait incorporels, comme
l’est la nature divine. Et nous, nous ne péchons pas en peignant
et en vénérant les anges, non pas comme des Dieux, mais comme
des créatures intelligibles et des serviteurs de Dieu ; non pas
comme s’ils étaient essentiellement incorporels. Et nous les
représentons sous une forme humaine parce qu’ils sont souvent
apparus ainsi à ceux à qui le Dieu unique les avait envoyés.

229
Ernst Kitzinger par Hans Belting1

230
Il est impossible de commémorer la soutenance de thèse de
Ernst Kitzinger en passant sous silence les circonstances dans
lesquelles elle se déroula. Pour un étudiant issu d’une famille juive,
pouvoir passer un doctorat en Allemagne, le 29 novembre 1934,
presque deux ans après l’arrivée au pouvoir d’Hitler constituait
un coup de chance. Comme il était déjà engagé dans ses études
et n’avait donc plus de problème d’inscription à l’université, tout
avait dépendu du bon vouloir des enseignants. Avec son directeur
de recherche, Wilhelm Pinder, il avait convenu d’un sujet ayant
trait à l’art romain, qu’il pouvait traiter relativement vite ; et, sur-
tout, il put rédiger sa thèse en Italie, dans un climat moins pesant
que celui qui régnait dans l’Allemagne nazie. Le texte imprimé
de cette thèse, Römische Malerei vom Beginn des 7. bis zur Mitte
des 8. Jahrhunderts [La peinture romaine du début du VIIe siècle
jusqu’au milieu du VIIIe siècle], qui ne compte pourtant que
quarante pages, allait rapidement assurer la renommée du jeune
historien d’art de vingt-deux ans.
Son maître, Wilhelm Pinder [1878-1947], qui était de ceux
que la République de Weimar avait déçus et chez lesquels elle
avait alimenté un sentiment d’insécurité, pensa qu’avec l’arrivée
au pouvoir des nazis, le moment était venu pour lui de proclamer
sa germanité, sur le plan scientifique : il publia une foule de tra-
vaux – toujours d’un niveau élevé du point de vue de l’analyse
des œuvres – qui avaient pour thème, outre la définition de la
sculpture, la spécificité de l’art allemand. Son histoire de l’art du
Saint-Empire2 fut cependant attaquée, dès 1935, dans le mensuel

1 Extrait d’une allocution prononcée lors de l’hommage rendu


par l’université de Munich à Ernst Kitzinger, en juin 1985, à l’occasion
du cinquantenaire de sa promotion au grade de docteur de l’université ;
traduction de l’allemand par C. Hay-Schaeffer et Marielène Weber.
2 Wilhelm Pinder, Die Kunst der deutschen Kaizerzeit bis zum Ende
der staufischen Klassik. Geschichtliche Betrachtungen über Wesen und Werden
deutscher Formen [l’art de l’Empire germanique jusqu’à la fin de l’âge classique
des Staufen. Considérations historiques sur l’essence et le devenir des formes
allemandes], Leipzig, Seemann, 1935.

231
Völkische Kultur. Wilhelm Pinder, qui avait grandi avec l’expres-
sionnisme, adopta également une position « inopportune » dans
la polémique sur le prétendu art dégénéré, qui était alors à ses
débuts à Munich.
À cette date, en 1935, Ernst Kitzinger avait déjà quitté
l’Allemagne. Ses recherches ne portaient ni sur l’art allemand
ni sur la sculpture, les domaines de prédilection de Pinder. Il n’en
avait pas moins un regard entraîné à discerner des valeurs es-
thétiques et était rompu, conformément à la tradition allemande
de l’histoire de l’art, à l’analyse détaillée des qualités formelles.
Était-il possible de défendre cette dernière sans se faire le chantre
des valeurs « allemandes » et des idéaux artistiques « allemands »
pour le soutien desquels elle avait été requise ? Telles devaient
être les questions qui préoccupaient Ernst Kitzinger au moment
où il s’engageait dans la profession d’historien de l’art. Mais avant
de nous tourner vers ses travaux scientifiques, suivons sa bio-
graphie. Ernst Kitzinger est né à Munich le 27 décembre 1912.
Son père était avocat ; sa mère resta engagée jusqu’en 1939 dans
les œuvres sociales juives pour la protection de l’enfance et de
la jeunesse. Après avoir fréquenté le lycée, il entreprend, en 1931,
des études d’histoire de l’art, d’archéologie et de philosophie à
l’université de Munich. Le doctorat obtenu, il émigre en Angleterre,
via l’Italie, alors que ses parents attendront jusqu’en 1939 pour
émigrer en Palestine. À cause de son jeune âge, Ernst Kitzinger
dut affronter des difficultés que ne rencontraient pas ses collè-
gues à la renommée déjà assurée. Il vécut de travaux occasionnels
pour le Department of British and Medieval Antiquities du British
Museum, travaux muséographiques qui furent aussi décisifs pour
son évolution scientifique que l’avaient été ses études. Son talent
pour décrire et classer les œuvres ne passa pas inaperçu dans ce
cercle de chercheurs habitués à travailler plutôt en archéologues.
C’est ainsi qu’en 1938, il se vit confier une introduction à l’art de la
période de transition entre l’Antiquité tardive et l’époque romane,
illustrée d’exemples tirés des collections du musée. Ce petit

232 Ernst Kitzinger par Hans Belting


ouvrage, paru sous le titre Early Medieval Art in the British Museum
[L’art du début du Moyen Âge au British Museum] est devenu
un texte de référence pour l’analyse de l’art et a connu plusieurs
rééditions. Le sujet, quoique dicté par les circonstances, définit
avec une exactitude surprenante le champ dans lequel se déploie-
ra l’œuvre de Ernst Kitzinger : tout le domaine oriental et occi-
dental entre l’époque paléochrétienne et le haut Moyen Âge,
ce que l’on désignait en Angleterre du nom de Continental Art.
Le commencement de la guerre marqua un nouveau
bouleversement dans l’existence de Ernst Kitzinger : en 1941,
il émigre encore, aux États-Unis cette fois, via l’Australie.
À Washington, la propriété de Dumbarton Oaks venait d’être
léguée par les Bliss à l’université de Harvard. Aux collections
des légateurs fut rattaché un institut de recherches médiévales
et byzantines qui, pendant la première année de son existence,
fut placé sous la direction d’un autre émigré, Wilhelm Koehler,
professeur d’art médiéval à Harvard. Pour Ernst Kitzinger, ce
dernier allait devenir un nouveau mentor, d’autant plus qu’il était,
comme lui, d’origine allemande. Quatorze ans plus tard, ce fut
au tour de Ernst Kitzinger, devenu entre-temps professeur d’art
byzantin, d’assumer la direction scientifique de l’institut.
Ma première rencontre avec lui eut lieu peu après, mais
j’ignorais alors qu’il avait fait ses études à Munich. L’environne-
ment de Washington – où Ernst Kitzinger avait épousé en 1944
Susan Ranby, une jeune Anglaise – présentait à la fois des diffi-
cultés et des avantages pour le chercheur. Les difficultés venaient
de la gestion semi-privée de l’institut qui n’était pas sans créer
une certaine dépendance, notamment vis-à-vis des fondateurs,
et imposait des limites à la libre recherche traditionnelle dans
l’université. En revanche, la symbiose avec des philologues
et des historiens (de Frantisek Dvornik à Ernst H. Kantorowicz)
permettait un élargissement des perspectives et des méthodes
de travail, que Ernst Kitzinger favorisa. Ses travaux personnels
consacrés à l’histoire et à la philosophie de l’image – tel l’article,

233
paru en 1954, « The Cult of Images in the Age before Iconoclasm »
[Le culte des images avant l’iconoclasme], fondé entièrement
sur l’étude des sources littéraires – portent le sceau de ce nouvel
environnement, que lui-même ne tarda pas, en tant que directeur
scientifique, à marquer de son empreinte. Ces travaux sont éga-
lement l’expression d’une pluralité nouvelle des interrogations
face à l’œuvre d’art, sur laquelle j’aurai l’occasion de revenir.
En 1967, Ernst Kitzinger quitta Dumbarton Oaks pour enseigner
à Harvard même, où il fut le premier titulaire de la chaire
A. Kingsley Porter. Aujourd’hui, professeur émérite, il vit
à Oxford, aussi actif qu’autrefois.
Abordant l’œuvre de Ernst Kitzinger, je ne puis résister
à la tentation de mettre en lumière les relations entre cette
dernière et la personnalité de l’auteur, cachées sous la surface
des thèmes et de l’argumentation purement scientifique. Ce n’était
pas un hasard que, dès sa thèse de doctorat, Ernst Kitzinger ait
choisi de traiter d’une période qui était apparue pendant long-
temps comme un vide entre l’Antiquité et le Moyen Âge. D’après
ses propres dires, il l’avait découvert lorsque, jeune étudiant,
il visitait Rome. Les peintures murales romaines du début du
Moyen Âge résistent à toute assimilation à l’une des époques
artistiques traditionnelles du canon culturel européen. Dans sa
thèse de doctorat, Ernst Kitzinger aborde pour la première fois
un millénaire qui n’offre ni formules idéalistes toutes faites ni
définitions générales de l’art, un millénaire situé entre l’Antiquité
classique et le Gothique, qui n’a vu naître ni les archétypes de la
tradition humaniste ni les cathédrales d’un Moyen Âge romantique.
À Rome, selon les analyses de Ernst Kitzinger, la tradition
locale – qui en partie était épuisée et en partie suivait des voies
nouvelles, non antiques – réagissait alors à un style d’importation,
originaire de l’Orient grec, « encore riche de tout le naturel
antique ». C’est ce conflit entre Byzance et Rome, et non « l’éveil »
de quelque caractère national, qui serait à l’origine de l’art médié-
val. Le seul passage de son étude qu’un artifice typographique

234 Ernst Kitzinger par Hans Belting


souligne évoque le « fait historique unique qu’est la rencontre
de deux styles antagonistes ». Dans le contexte de la polémique
autour de la thèse d’un monopole stylistique alexandrin, avancée
par Myrtilla Avery, cette conception s’oppose à l’idée d’une
tradition « intemporelle et immuable ». L’argumentation historique
de Ernst Kitzinger, qui prend également en compte les ruptures
et les catastrophes, va à l’encontre des théories, très prisées à
l’époque par Wilhelm Pinder, qui rapportent les styles à des causes
d’ordre éthique, voire ethnique. Face au plaidoyer antilibéral
de Pinder pour un « nouveau Moyen Âge », et à son insistance
sur le fait qu’un style se mérite et reste indissociable « d’une
communauté et d’une foi », le langage de Ernst Kitzinger, qui
parle d’une genèse des styles déchiffrable dans les formes elles-
mêmes et due à des faits historiques, a quelque chose de libéra-
teur. Les styles sont susceptibles de migrer et peuvent donner
lieu à des malentendus productifs ; ils sont liés à la transmission
et à la réinterprétation de modèles.
Mais Ernst Kitzinger n’entend pas adopter une position
relativiste réduisant tout à un échange de formes entre ateliers
ou peintres. Pour cela il attache beaucoup trop d’importance à la
valeur de témoignage historique que présente la forme artistique.
Dans sa thèse de doctorat, Ernst Kitzinger s’était posé plus de
problèmes qu’il ne pouvait en résoudre à ce moment-là. Presque
vingt-cinq ans plus tard, en 1958, lors d’un congrès, il présentait
une étude qui replaçait le sujet de sa thèse dans un contexte
élargi. Il y envisage, du point de vue chronologique, l’ensemble
de l’époque charnière allant de Justinien à l’iconoclasme, et,
du point de vue géographique, tout le bassin méditerranéen.
La peinture murale romaine, en réalité, a part à un processus
général de mutations esthétiques, qu’on retrouve dans tous
les arts, et jusque dans l’artisanat et la frappe des monnaies. La
problématique devient ainsi plus intéressante, mais aussi plus
complexe. On ne peut plus se contenter de décrire le processus
comme autonome ou « inner directed » [dirigé de l’intérieur],

235
pour reprendre une expression que Ernst Kitzinger emploiera
plus tard. Ce processus est également soumis à des facteurs
externes, pour autant qu’on puisse parler de facteurs externes
en matière de vision du monde. Les contraintes qui s’exercent
sur l’image, en particulier lorsqu’elle est l’objet d’un culte,
augmentent. Par ailleurs, les fonctions des images deviennent
antagoniques, étant donné l’aggravation des conflits. Les icônes,
les représentations picturales de récits bibliques et les thèmes
païens qu’on trouve notamment sur des tissus et sur des coupes
en argent sont liés à des traditions et à des idéaux religieux
incompatibles. Dans une même image, les portraits de personnes
vivantes doivent se distinguer de la représentation d’êtres
célestes. L’idéal d’un style homogène se brise, d’autant que le style
est plus que l’expression d’un fait d’art. La fissure qui traverse
la conception de la réalité se retrouve dans le domaine de l’art.
De nouvelles tâches attendent l’interprète qui, lorsque l’unité
des événements représentés devient indistincte, aimerait au
moins expliquer les rapports qui peuvent exister entre les élé-
ments de la représentation. Ernst Kitzinger introduit la notion
de « modalités stylistiques » – qui n’a pas le même sens que chez
Poussin – pour rendre compte du fait qu’on pouvait désormais
choisir entre diverses conventions formelles, en fonction du
sujet traité ou afin de définir des réalités différentes. Ce concept
ne permettait pas encore d’intégrer dans l’analyse des formes
l’antagonisme entre normes anciennes et normes nouvelles
propre à cette époque. Mais un terme était mis à l’asservissement
de la forme stylistique.
Vingt autres années devaient s’écouler avant que Ernst
Kitzinger ne reprenne, en 1977, le sujet pour l’élargir cette fois
aux siècles antérieurs à l’époque charnière entre l’Antiquité
et le Moyen Âge, qui, de ce fait, apparaît sous un jour nouveau.
Son regard se porte à présent sur la préhistoire et la naissance
de l’art byzantin. Byzantine Art in the Making [La genèse de l’art
byzantin] se veut, comme l’indique son sous-titre, une présentation

236 Ernst Kitzinger par Hans Belting


synthétique des « grandes lignes du développement stylistique
de l’art méditerranéen entre le IIIe et le VIIe siècle ». Le destin
de la tradition hellénistique est donc au centre de ce livre où
l’herméneutique de la forme atteint une sûreté inédite. L’analyse
de la fonction sociale de l’image qui aurait risqué de briser
l’unité de la présentation sera esquissée ensuite dans « Christian
Imagery : Growth and Impact » [L’image chrétienne : croissance
et impact], texte d’une conférence prononcée à l’occasion de
l’exposition « The Age of Spirituality », qui se lit comme un com-
plément de Byzantine Art in the Making.
Si j’ai insisté sur cette polarité c’est qu’elle est devenue
un problème général dans la pratique de l’histoire de l’art.
Ernst Kitzinger est, cependant, une autorité également dans
d’autres domaines. Je me bornerai à mentionner les mosaïques
du XIIe siècle en Sicile normande. Dans sa monographie consa-
crée aux mosaïques de Monreale, il envisage encore les problèmes
fondamentaux de la transmission des formes artistiques. À Mon-
reale, comme on sait, iconographie occidentale et style byzantin
se rencontrent. La Chapelle Palatine de Palerme fournit des
modèles pour les scènes représentées mais non pour le style. Aussi,
pour rendre compte de la genèse des mosaïques, Ernst Kitzinger
distingue deux types de manuels, l’un qui donne des schémas
iconographiques, et un autre où sont répertoriées les formes
utilisées couramment par l’atelier. Au fond, il s’agit là encore
du point de jonction entre thème et forme, et de leur interaction.
Ces exemples devront suffire pour décrire les méthodes
de travail de Ernst Kitzinger. Ce qui le caractérise c’est autant
l’indépendance de son jugement critique par rapport à tout parti
pris méthodologique ou idéologique que la combinaison d’une
argumentation rigoureuse et quasi philologique avec une atti-
tude expérimentale dans l’interprétation de la forme artistique.
Cette dernière reste pour l’interprète un pôle de stabilité qu’il
ne veut pas mettre en question, quelles que soient les ruptures
biographiques et les transformations du monde qu’il affronte.

237
À ses yeux, l’intégrité scientifique est une exigence morale ; elle
n’admet aucun dilettantisme. L’absence de dogmatisme et le doute
méthodique font partie de la discipline intellectuelle comme
en fait partie le respect des opinions différentes. Son destin
personnel et l’environnement anglo-saxon ont favorisé, chez
Ernst Kitzinger, une attitude qui le met à l’abri de la tentation
prophétique, tentation que l’université allemande ne cesse de faire
renaître. Lorsque j’ai fait la connaissance de Ernst Kitzinger ce
fut cette modestie, la disposition au dialogue non moins que son
dévouement à la tâche et sa sévérité envers lui-même que j’ai
admirés.

238 Ernst Kitzinger par Hans Belting


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L’article original de Ernst Kitzinger, Impression et reliure :


Le Culte des images avant l’iconoclasme, Musumeci SpA, filiale du groupe SFF Arts
a été publié en 1954 par les Dumbarton Oaks Graphiques SA (SFF Arts Graphiques est
Papers sous le titre The Cult of Images un groupe suisse, dont le siège est à Pully,
in the Age before Iconoclasm. et qui comprend diverses filiales, tant en
Suisse qu’à l’étranger.)
© 1954 Dumbarton Oaks Research Library
and Collection, Trustees for Harvard Tous droits de traduction, de reproduction
University. Publié pour la première fois et d’adaptation réservés pour tous pays.
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tion du texte 17 du florilège, pp. 178-186. préalable et écrite de l’éditeur constitue
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and Collection, Trustees for Harvard propriété intellectuelle.
University pour le texte de Hans Belting.
Publié pour la première fois dans les ISBN : 978-2-86589-044-6
Dumbarton Oaks Papers 41. ISSN : 1159-4632

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Les Cabinets d’art et de merveilles Catalogue complet sur
de la Renaissance tardive www.editionsmacula.com
L’adoration des images avant l’iconoclasme
(IVe-VIIe siècles)

Le Culte des images avant l’iconoclasme, paru


en 1954 dans les prestigieux Dumbarton
Oaks Papers, n’avait encore jamais été traduit
en français, alors que ce texte fondateur
donna l’impulsion à bon nombre de tra-
vaux portant sur le sujet. Ernst Kitzinger
s’appuie sur les écrits de l’époque byzantine
pour saisir l’évolution de l’imagerie
chrétienne et pour montrer comment,
après les reliques des saints, les images
vont elles aussi être considérées comme
des objets sacrés. Il y est question de la
vertu curative de petits fragments d’une
fresque qui représente des saints, à
condition d’en avaler une décoction, ou
encore d’une icône produisant une rosée
qui soigne les bubons et rend la santé.
Nombreux aussi sont les textes mention-
nant les images « acheiropoïètes » (non
faites de la main de l’homme), comme
dans le cas des « impressions » du corps
du Christ sur des draps de lin ou sur la
colonne d’une église, qui toutes suscitent
une grande ferveur parmi les croyants.
En complément de l’article a été
ajouté un florilège de 43 extraits de textes
de la période byzantine, que Ernst Kitzinger
cite dans sa démonstration, pour la plupart
peu accessibles ou non traduits. Cette
édition française complétée d’une mise
à jour bibliographique de Stephen Gero,
spécialiste de l’iconoclasme et Professeur
à l’Université de Tübingen, a été traduite
de l’anglais et du grec par Philippe-Alain
Michaud. Ce dernier est aussi l’auteur
de la postface « L’adoration des surfaces »,
dans laquelle il témoigne de l’actualité Ernst Kitzinger (1912-2003) fut historien
de ce texte érudit qui entre en résonance de l’art, spécialiste de l’Antiquité tardive,
avec les nouveaux régimes d’images du Moyen Âge et de l’époque byzantine,
générés par la révolution numérique. professeur d’art et d’archéologie byzantins
à Dumbarton Oaks, dont il a fait un centre
internationalement renommé en matière
d’études byzantines.

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