Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Waking up
A Guide to Spirituality Without Religion
ISBN : 978-2-35118-355-7
Spiritualité
La recherche du bonheur
Bien sûr, il est vrai que certains mystiques juifs, chrétiens et musulmans
ont eu des expériences similaires à celles qui inspirent le bouddhisme et
l’advaita vedanta, mais ces idées contemplatives ne sont pas significatives de
leur foi. Ce sont plutôt des anomalies que les mystiques occidentaux ont
toujours eu du mal à comprendre et à honorer, souvent en prenant des risques
personnels considérables. Étant donné leur puissance particulière, ces
expériences produisent des hétérodoxies à cause desquelles des juifs, des
chrétiens et des musulmans ont été régulièrement exilés ou tués.
Comme Huxley, tous ceux qui sont déterminés à trouver une heureuse
synthèse entre des traditions spirituelles noteront que le mystique chrétien
Maître Eckhart (1260 - 1327) s’est souvent exprimé d’une façon très proche
de celle d’un bouddhiste : « Le connaisseur et le connu sont un. Les
personnes simples imaginent qu'elles doivent voir Dieu, comme s'Il se tenait
là et elles ici. Il n'en est pas ainsi. Dieu et moi, nous sommes un dans la
connaissance. » Mais il était un homme promis à être excommunié par son
Église – et c’est ce qu’il a été. Si Eckhart avait vécu un petit peu plus
longtemps, il paraît certain qu’il aurait été traîné à la rue et brûlé vif pour ses
idées. Il y a une différence frappante entre le christianisme et le bouddhisme.
Dans la même veine, il est faux de tenir le mystique soufi Al-Hallaj (858–
922) pour un représentant de l’islam. Il était musulman, oui, mais il a souffert
de la mort la plus effroyable qu’on puisse imaginer aux mains de ses
coreligionnaires pour avoir affirmé qu’il était un avec Dieu. Eckhart et Al-
Hallaj ont tous les deux exprimé une expérience de transcendance du moi
dont tout être humain peut, en principe, jouir. Cependant, leurs thèses
n’étaient pas en cohérence avec les enseignements centraux de leurs
religions.
La tradition indienne ne pâtit pas de problèmes de ce genre. Bien que les
enseignements du bouddhisme et de l’advaita vedanta soient inclus dans des
religions plus ou moins conventionnelles, ils contiennent des idées
empiriques concernant la nature de la conscience qui ne dépendent pas de la
foi. On peut pratiquer la plupart des techniques de méditation bouddhiste, ou
la méthode d’auto-investigation de l’advaita vedanta, et faire l’expérience des
changements annoncés dans sa propre conscience sans croire à la loi du
karma ni aux miracles attribués aux mystiques indiens. Pour devenir chrétien,
cependant, on doit d’abord accepter une douzaine de choses invraisemblables
concernant la vie de Jésus et les origines de la Bible – et on peut dire la même
chose, moins quelques détails sans importance, à propos du judaïsme et de
l’islam. En découvrant que le sentiment d’être une âme individuelle est une
illusion, on devient coupable de blasphème partout à l’ouest de l’Indus.
Il est indubitable que de nombreuses disciplines religieuses peuvent
produire des expériences intéressantes dans les esprits appropriés. Il doit être
clair, cependant, que s’engager dans une pratique basée sur la foi
(probablement illusoire), quels que soient ses effets, ne saurait être comparé à
une enquête sur la nature de son propre esprit en dehors de toute hypothèse
doctrinaire. De telles déclarations peuvent paraître violemment hostiles aux
religions abrahamiques, mais elles demeurent néanmoins vraies : on peut
parler du bouddhisme sans ses miracles et ses hypothèses irrationnelles : on
ne peut pas dire la même chose du christianisme ou de l’islam 3.
La rencontre de l’Occident avec la spiritualité orientale remonte au moins
à la campagne d’Alexandre en Inde, quand le jeune conquérant et ses amis
philosophes rencontrèrent des ascètes nus qu’ils appelèrent
« gymnosophistes ». On a souvent dit que la pensée de ces yogis a
grandement influencé le philosophe Pyrrhon, le père du scepticisme grec.
Cela semble crédible, parce que les enseignements de Pyrrhon ont beaucoup
en commun avec le bouddhisme. Mais ses intuitions contemplatives et ses
méthodes n’ont jamais fait partie d’un système quelconque de pensée en
Occident.
Une étude sérieuse de la pensée orientale par des étrangers n’a pas
commencé avant la fin du XVIIIe siècle. La première traduction d’un texte
sanskrit en une langue occidentale paraît avoir été celle de la Bhagavad Gita
en anglais par Sir Charles Wilkins, en 1785. Il faudra attendre encore cent ans
pour que le canon bouddhiste attire l’attention des érudits occidentaux 4.
Le dialogue entre l’Orient et l’Occident a commencé sérieusement, mais
de manière néfaste, avec la naissance de la société théosophique, ce golem
fabriqué par la famine spirituelle et par l’illusion, créé en ce monde par
l’incomparable Madame Helena Petrovna Blavatsky, presque sans l’aide de
personne, en 1875. Tout ce qui concerne Madame Blavatsky semble défier la
logique terrestre : c’était une femme extrêmement grosse dont on disait
qu’elle avait voyagé seule pendant sept ans dans les montagnes du Tibet, sans
avoir été remarquée. On pensait aussi qu’elle avait survécu à des naufrages, à
des blessures par balles, et à des combats à l’épée. De façon encore moins
convaincante, elle déclarait être en contact psychique avec des membres de la
« Grande Fraternité Blanche » de maîtres ascensionnés – une collection
d’immortels responsables de l’évolution et du maintien du cosmos en son
entier. Leur dirigeant était originaire de la planète Vénus mais vivait dans le
royaume mythique de Shambala, que Madame Blavatsky plaçait quelque part
au voisinage du désert de Gobi. Affublé du nom suspect et bureaucratique de
« Seigneur du monde », il supervisait le travail des autres adeptes, y compris
le Bouddha, Maitreya, Maha Chohan, et un certain Koot Hoomi, qui semble
n’avoir rien eu de mieux à faire de la part du cosmos que de transmettre ses
secrets à Madame Blavatsky 5.
C’est toujours surprenant quand une personne attire des légions de
disciples et construit une vaste organisation sur leurs largesses tout en
colportant une mythologie de comptoir de cette sorte. Mais peut-être que cela
était moins étonnant à une époque où même les gens les mieux éduqués
avaient encore du mal à comprendre l'électricité, l'évolution et l'existence
d'autres planètes. Nous oublions trop facilement combien le monde s’est
soudain rétréci et le cosmos s’est étendu au moment où le XIXe siècle s’est
achevé. Les barrières géographiques entre des cultures distantes ont été
supprimées par le commerce et la conquête (on peut maintenant commander
un gin-tonic presque partout sur terre), et cependant la réalité des forces
invisibles et des mondes étrangers était un sujet constant d’intérêt quotidien
pour la recherche scientifique la plus rigoureuse. Inévitablement, des
découvertes interculturelles et des découvertes scientifiques se mélangeaient,
dans l’imagination populaire, au dogme religieux et à l’occultisme
traditionnel. En fait, cela s’était déjà produit au plus haut niveau de la pensée
humaine pendant plus d’un siècle : il est toujours instructif de se rappeler que
le père de la physique moderne, Isaac Newton, a gaspillé une portion
considérable de son génie à l’étude de la théologie, de la prophétie biblique et
de l’alchimie.
L’incapacité à distinguer l’étrange mais vrai du simplement étrange était
assez commune à l’époque de Madame Blavatsky – comme cela l’est à la
nôtre. Le contemporain de Madame Blavatsky, Joseph Smith III, un escroc
libidineux et cinglé, fut capable de fonder une nouvelle religion sur la
déclaration qu’il avait déterré les révélations finales de Dieu dans la
circonscription sacrée de Manchester, État de New York, écrites en
« égyptien réformé » sur des plaques d’or. Il décoda ce texte avec l’aide de
« pierres de vision » magiques qui lui permirent de produire une version
anglaise de la parole de Dieu qui est un pastiche embarrassant composé de
plagiats de la Bible et de mensonges idiots concernant la vie de Jésus en
Amérique. Et cependant l’édifice d’absurdités et de tabous qui en résulta
survit jusqu’à maintenant.
Pleine conscience
C’est toujours maintenant. Ceci peut sembler banal, mais c’est la vérité.
Ce n’est pas tout à fait vrai au niveau neurologique, parce que notre esprit est
construit sur des couches de données qui ont des temporalités différentes 11.
Mais c’est vrai au niveau de l’expérience consciente. La réalité de votre vie
est toujours maintenant. Et le réaliser, nous le verrons, est libérateur. En fait,
je pense qu’il n’y a rien de plus important à comprendre si vous voulez être
heureux dans ce monde.
Or, nous passons la plus grande partie de nos vies à oublier cette vérité –
en l’ignorant, en la fuyant, en la répudiant. Et l’horreur, c’est que nous y
réussissons. Nous réussissons à éviter d’être heureux tout en nous efforçant
de devenir heureux, en satisfaisant un désir après l’autre, en rejetant nos
peurs, en cherchant à saisir le plaisir, en reculant devant la douleur – et en
pensant, continuellement, à la manière dont nous pourrions faire que tout cela
fonctionne. En ainsi, nous passons notre existence à être bien moins contents
que nous pourrions l’être autrement. Nous échouons souvent à apprécier ce
que nous avons, jusqu’à ce que nous le perdions. Nous sommes affamés
d’expériences, d’objets, de relations, puis nous nous en lassons. Et cependant
ce désir ardent persiste. J’en parle d’expérience, bien sûr.
Comme solution à ce problème, de nombreux enseignements spirituels
nous demandent d’admettre des idées sans fondement concernant la nature de
la réalité – ou au moins de développer un goût pour l’iconographie et les
rituels d’une religion ou d’une autre. Mais tous les chemins ne traversent pas
le même terrain accidenté. Il y a des méthodes de méditation qui ne
demandent absolument aucun artifice, ni aucune hypothèse non prouvée.
Pour les débutants, je recommande habituellement une technique que l’on
appelle vipassana (un mot pali signifiant « vision profonde »), qui vient de la
tradition la plus ancienne du bouddhisme, le Theravada. Un des avantages de
vipassana est que cette méditation peut être enseignée d’une manière
entièrement non religieuse. Les experts dans cette pratique acquièrent
généralement leur formation dans un contexte bouddhiste, et la plupart des
centres de retraite aux États-Unis et en Europe enseignent la philosophie
bouddhiste qui lui est associée. Néanmoins, cette méthode d’introspection
peut être suivie dans un contexte séculier ou scientifique sans difficulté. (On
ne peut pas en dire autant pour la pratique qui consiste à chanter des hymnes
aux seigneurs Krishna en frappant sur un tambour.) C’est pourquoi vipassana
est maintenant largement étudié et adopté par des psychologues et des
neuroscientifiques.
La qualité d’esprit que l’on cultive pendant vipassana est appelée presque
toujours « pleine conscience VI », et la littérature sur ses bienfaits
psychologiques est maintenant importante. Il n’y a rien d’étrange concernant
la pleine conscience. C’est simplement un état d’attention claire, sans
jugement et sans distraction aux contenus de la conscience, qu’ils soient
plaisants ou déplaisants. On a montré que cultiver cette qualité d’esprit réduit
la douleur, l’anxiété et la dépression ; qu’elle améliore les fonctions
cognitives ; et même qu’elle produit des changements de densité dans la
matière grise dans des régions du cerveau reliées à l’apprentissage et à la
mémoire, à la régulation de l’émotion, et à la conscience de soi 12. Nous
observerons plus en détail la neurophysiologie de la pleine conscience dans
un chapitre ultérieur.
« Pleine conscience » est une traduction du mot pali sati. Le terme a
plusieurs sens dans la littérature bouddhiste, mais pour ce que nous visons, le
plus important est « conscience claire ». La pratique a été pour la première
fois décrite dans le Satipatthana Sutta 13, qui fait partie du canon pali. Comme
de nombreux textes bouddhistes, le Satipatthana Sutta est très répétitif et,
pour tout le monde, sauf pour un étudiant passionné du bouddhisme, il est
très ennuyeux à lire. Cependant, quand on compare des textes de cette sorte
avec la Bible ou le Coran, la différence saute aux yeux : le Satipatthana Sutta
n’est pas une collection de mythes anciens, de superstitions et de tabous ;
c’est un guide rigoureusement empirique pour libérer l’esprit de la
souffrance.
Le Bouddha a décrit quatre fondements de la pleine conscience, dont il a
parlé en tant que « chemin direct pour la purification des êtres, pour le
dépassement de la peine et des lamentations, pour la disparition de la douleur
et du chagrin, pour l’acquisition de la vraie voie, pour la réalisation du
Nibbana » (Nirvana en sanskrit). Les quatre fondements de la pleine
conscience sont le corps (la respiration, les changements de posture, les
activités), les sentiments (le sentiment de ce qui est plaisant, de ce qui est
déplaisant, et de ce qui est neutre), l’esprit (en particulier, ses modes et ses
attitudes), et les objets de l’esprit (qui comprennent les cinq sens mais aussi
d’autres états mentaux, tels que la volition, la tranquillité, l’extase,
l’équanimité et même la pleine conscience elle-même). C’est une liste
particulière, à la fois redondante et incomplète – un problème compliqué par
la nécessité de traduire la terminologie palie en français. Le message évident
du texte, cependant, c’est que la totalité de notre propre expérience peut
devenir le champ de notre contemplation. On donne simplement comme
instruction au méditant de prêter attention, « ardemment », d’être
« pleinement conscient » et « libéré de la convoitise et du souci pour le
monde ».
Il n’y a rien de passif dans la pleine conscience. On pourrait même dire
qu’elle exprime une espèce particulière de passion – une passion pour
discerner ce qui est subjectivement réel à chaque moment. C’est un mode de
connaissance qui est, par-dessus tout, dépourvu de distraction, dans
l’acceptation, et qui est (en définitive) non conceptuel. La pleine conscience
ne consiste pas à penser plus clairement à l’expérience ; c’est l’acte de faire
l’expérience de manière plus claire, y compris du surgissement des pensées
elles-mêmes. La pleine conscience est une conscience vive de tout ce qui
apparaît dans l’esprit ou le corps – les pensées, les sensations, les émotions –
sans s’accrocher à ce qui est plaisant ou fuir devant ce qui est déplaisant. Une
des grandes forces de cette technique de méditation, d’un point de vue laïc,
c’est qu’elle ne nous demande pas d’adopter des attitudes culturelles
quelconques, ni des croyances injustifiées. Elle demande simplement que
nous prêtions attention au flux de l’expérience à chaque moment.
Le principal ennemi de la pleine conscience – ou de toute pratique de
méditation – est notre habitude profondément conditionnée à être distrait par
les pensées. Le problème, ce ne sont pas les pensées en elles-mêmes mais le
fait de penser sans savoir que nous sommes en train de penser. En fait, tous
les types de pensée sont des objets parfaitement adéquats pour la pleine
conscience. Dans les premiers stades de la pratique, cependant, la survenue
des pensées sera plus ou moins synonyme de distraction – c’est-à-dire, d’un
échec à méditer. La plupart des gens qui croient qu’ils sont en train de
méditer sont simplement en train de penser les yeux clos. Par la pratique de la
pleine conscience, cependant, on peut s’éveiller du rêve de la pensée
discursive et commencer à voir chaque image, chaque idée ou chaque
élément de langage qui survient, s'évanouir sans laisser de traces. Ce qui reste
c’est la conscience elle-même, avec ses visions, ses sons, ses sensations, ses
pensées attenantes, qui apparaissent et qui changent à chaque moment.
Au début de la pratique de méditation, la différence entre l’expérience
ordinaire et ce qu’on en vient à considérer comme étant la « pleine
conscience » n’est pas très claire, et cela demande un certain entraînement
pour distinguer entre le fait d’être perdu dans la pensée et le fait de voir les
pensées pour ce qu’elles sont. En ce sens, apprendre à méditer ressemble au
fait d’acquérir n’importe quelle technique. Il faut des milliers de répétitions
pour réussir à envoyer une bonne droite à la boxe, ou amadouer les cordes
d’une guitare. Avec de la pratique, la pleine conscience devient une habitude
bien établie de l’attention, et la différence entre elle et la pensée ordinaire
deviendra de plus en plus claire. Finalement, vous commencerez à avoir
l’impression de vous éveiller de manière répétée d’un rêve pour vous
retrouver vous-même en sécurité dans un lit. Peu importe que ce rêve ait été
terrible, le soulagement est instantané. Et cependant il est difficile de rester
éveillé pendant plus de quelques secondes à la fois.
Mon ami Joseph Goldstein, un des meilleurs enseignants de vipassana que
je connaisse, comparait ce changement de conscience à l’expérience que l’on
peut vivre quand, après avoir été complètement immergé dans un film au
cinéma, on réalise soudainement que l’on est assis dans une salle en train de
regarder un simple jeu de lumières sur un écran. La perception est inchangée,
mais le charme est rompu. La plupart d’entre nous passons chaque moment
de notre état de veille perdus dans le film de nos vies. Et, jusqu’à ce que nous
comprenions qu’une alternative à cet enchantement existe, nous serons
entièrement à la merci des apparences. Encore une fois, il ne s’agit pas, dans
la différence que je suis en train de décrire, d’acquérir une nouvelle
compréhension conceptuelle ou d’adopter de nouvelles croyances concernant
la nature de la réalité. Ce changement se produit quand nous faisons
l’expérience du moment présent avant le surgissement de la pensée.
Le Bouddha a enseigné que la pleine conscience était la réponse
appropriée à la vérité de dukkha, que l’on traduit habituellement du pali,
quelquefois de façon trompeuse, par le mot de « souffrance ». Une meilleure
traduction serait « insatisfaction ». La souffrance peut ne pas être inhérente à
la vie, mais l’insatisfaction l’est. Nous aspirons à un bonheur durable au sein
du changement : notre corps vieillit, les objets que nous aimons se brisent, les
plaisirs s’évanouissent, les relations finissent par échouer. Notre attachement
aux bonnes choses de la vie et notre aversion envers les mauvaises
constituent un déni de ces réalités, et cela conduit inévitablement à des
sentiments d’insatisfaction. La pleine conscience est une technique pour
découvrir une équanimité dans ce flux, en nous permettant d’être simplement
conscients de la qualité de l’expérience à chaque moment, qu’elle soit
plaisante ou déplaisante. Cela peut ressembler à une recette conduisant à
l’indifférence, mais ça ne l’est pas. Il est en réalité possible d’être vraiment
conscient – et, de ce fait, d’être en paix avec le moment présent – même
lorsqu’on travaille à changer le monde pour l’améliorer.
La méditation de pleine conscience est extraordinairement simple à
décrire, mais elle n’est pas facile à maîtriser. Sa totale maîtrise peut demander
un talent spécial et une vie entière consacrée à cette tâche, et cependant une
transformation authentique dans la perception que l’on a du monde est à la
portée de la plupart d’entre nous. La pratique est la seule chose qui conduit au
succès. Les instructions simples données dans l’encadré suivant sont
analogues aux instructions concernant la manière de marcher sur un fil – ce
qui, je présume, doit ressembler à quelque chose de ce genre :
Comment méditer
1. Asseyez-vous confortablement, la colonne verté- brale droite, sur une chaise ou
les jambes croisées sur un coussin.
2. Fermez les yeux, respirez profondément plusieurs fois, et ressentez les points de
contact entre le corps et la chaise, ou le plancher. Notez les sensations associées
au fait d’être assis – des sensations de pression, de chaleur, de picotement, de
vibration, etc.
3. Devenez graduellement conscient du processus de la respiration. Prêtez attention
là où vous ressentez la respiration le plus distinctement – que ce soit dans les
narines, ou dans la montée et la retombée de l’abdomen.
4. Permettez à votre attention de reposer dans la simple sensation de la respiration.
(Vous n’avez pas à contrôler votre respiration. Laissez-la simplement aller et venir
naturellement.)
5. À chaque fois que l’esprit se perd dans la pensée, revenez doucement à la
respiration.
6. Pendant que vous vous concentrez sur le processus de la respiration, vous allez
aussi percevoir des sons, des sensations corporelles, ou des émotions. Observez
simplement ces phénomènes tels qu’ils apparaissent dans la conscience et ensuite
revenez à la respiration.
7. Quand vous notez que vous êtes perdu dans la pensée, observez la pensée en tant
qu’objet de la conscience. Puis ramenez l’attention à la respiration – ou à
n’importe quel son, ou sensation, qui survient dans le moment suivant.
8. Continuez ainsi jusqu’à ce que vous puissiez être simplement témoin de tous les
objets de la conscience – les perceptions visuelles, les sons, les sensations, les
émotions, et même les pensées – dès qu’ils surviennent, changent, et s’en vont.
Ceux qui sont nouveaux dans cette pratique trouvent qu’il est généralement utile
d’entendre ces instructions prononcées à voix haute pendant le cours d’une session de
I
méditation. J’ai posté des méditations guidées de longueurs variées sur mon site Internet .
La vérité de la souffrance
L’illumination
Dans Le Paysage moral XII, j’ai défendu la thèse que nous avons tendance
à être inutilement troublés par les différences d’opinions concernant le bien-
être humain. Il n’y a pas de doute que certaines personnes peuvent tirer un
plaisir mental – et même faire l’expérience d’une extase authentique – d'un
comportement qui produit d’immenses souffrances chez les autres. Mais nous
savons que ces états sont anormaux – ou, du moins, pas tenables – parce que
nous dépendons les uns des autres pour à peu près tout. Quels que soient les
plaisirs qui leur sont associés, le viol et le pillage ne peuvent être une
stratégie solide pour trouver le bonheur dans ce monde. Étant donné nos
besoins sociaux, nous savons que les formes les plus profondes et les plus
durables du bien-être doivent être compatibles avec le souci moral pour les
autres – même pour ceux qui nous sont complètement étrangers – autrement,
des conflits violents deviennent inévitables. Nous savons aussi qu’il y a
certaines formes de bonheur qui ne sont pas disponibles à des personnes
même si, comme Gengis Khan, elles sont victorieuses à chaque siège.
Certains plaisirs sont intrinsèquement moraux – des sentiments comme
l’amour, la gratitude, la dévotion et la compassion. Demeurer dans ces états
d’esprit, c’est, par définition, s’harmoniser avec les autres.
Selon moi, le but réaliste qu’on peut espérer atteindre par la pratique
spirituelle n’est pas un état d’illumination permanent ne nécessitant plus
aucun effort supplémentaire, mais une capacité à être libre en cet instant, au
milieu du monde. Si vous pouvez faire cela, vous avez déjà résolu la plupart
des problèmes que vous rencontrerez dans la vie.
I. https://www.samharris.org/
II. Shiloh : lieu de bataille célèbre de la guerre de Sécession ; Gallipoli : lieu d'affrontement entre
les forces alliées anglaises et françaises, contre l'Empire turc pendant la Première Guerre mondiale.
N.d.T.
III. Joseph Smith (1805 - 1844) est le fondateur de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers
Jours ou mormonisme. N.d.T.
IV. Jeu de mots en anglais : selfish signifie égoïste et selfless désintéressé, ou sans ego.
V. Un mile fait 1603 mètres. N.d.T.
VI. « Mindfulness » signifie « attention » et est généralement traduit par « pleine conscience »,
N.d.T.
VII. Sam Harris cite Jeopardy qui est un jeu télévisé très populaire aux Etats-Unis. N.d.T.
VIII. Kurt Gödel (1906-1978) logicien et mathématicien austro-américain. N.d.T.
IX. Alan Turing (1912-1954) mathématicien et cryptologue britannique, dont les travaux sont aux
fondements de l’informatique. N.d.T.
X. John von Neumann (1903-1957), mathématicien et physicien américano-hongrois. N.d.T.
XI. Claude Shannon (1916-2001), mathématicien et père de la théorie de l’information. N.d.T.
XII. The Moral Landscape, livre de Sam Harris, non traduit en français et paru en 2010. N.d.T.
CHAPITRE II
Le mystère de la conscience
L’esprit divisé
Le cerveau humain (tout ce qui est au-dessus du tronc cérébral) est divisé
en hémisphères gauche et droit. La raison n’en est pas encore claire, mais il
ne semble pas complètement étrange que l’asymétrie gauche droite de nos
corps puisse se refléter dans notre système nerveux central. Cette structure se
trouve avoir des conséquences surprenantes.
Les hémisphères droit et gauche de tous les cerveaux des vertébrés sont
reliées par plusieurs fibres nerveuses que l’on appelle commissures, dont la
fonction, nous le savons maintenant, est de transmettre l’information aller et
retour entre eux. La principale commissure dans les cerveaux des
mammifères placentaires, comme nous, est le corpus callosum (le corps
calleux), dont les fibres relient des régions similaires du cortex dans les
hémisphères.
L’histoire évolutive de cette structure est encore un sujet de discussion,
mais chez les êtres humains elle représente un système de connexions plus
vaste que la somme de toutes les fibres qui relient le cortex au reste du
système nerveux 44. Comme nous allons le voir, l’unité de chaque esprit
humain dépend du fonctionnement normal de ces connexions. Sans elles,
notre cerveau – et notre esprit – est divisé.
Certaines personnes ont eu leurs commissures du cerveau frontal coupées
au moyen de la chirurgie. On opère en général ainsi dans le traitement d’une
épilepsie sévère, bien que d’autres opérations chirurgicales demandent à
l’occasion que certaines de ces fibres soient coupées. Comme traitement de
l’épilepsie, les patients subissent d’habitude une callosotomie, c’est-à-dire
une procédure par laquelle la plus grande partie ou même la totalité du corps
calleux est coupée, pour empêcher que les orages locaux d’activités non
régulées ne s’étendent dans tout le cerveau et ne produisent ainsi une attaque
d’épilepsie 45.
L’attention du public a été attirée sur le cerveau divisé il y a un demi-
siècle, par Roger W. Sperry et ses collègues 46. Sperry a reçu le prix Nobel en
1981 pour ce travail, qui a inspiré une littérature qui maintenant s’étend aux
neurosciences, à la psychologie, à la linguistique, à la psychiatrie et à la
philosophie. Avant que Sperry ne commence sa recherche, il était apparu que
diviser les cerveaux de ces patients calmait leurs crises d’épilepsie (ce qui
était après tout le but) sans produire d’autres changements dans leur
comportement. Cela semblait accréditer la théorie ancienne selon laquelle le
corps calleux ne faisait rien de plus que de maintenir ensemble les deux
hémisphères du cerveau.
Quand les patients se rétablissent de cette opération chirurgicale, ils
paraissent généralement tout à fait normaux, même à l’examen
neurologique 47. Sous les conditions expérimentales que Sperry et ses
collègues conçurent, cependant, d’abord chez les chats et des singes 48, et
ensuite chez les êtres humains 49 – deux découvertes principales furent faites.
D’abord, les hémisphères droit et gauche du cerveau présentent un haut degré
de spécialisation fonctionnelle. Cette découverte n’était pas entièrement
nouvelle, parce que l’on savait depuis au moins un siècle que des dommages
causés à l’hémisphère gauche pouvaient empêcher l’usage du langage. Mais
l’expérience du cerveau divisé permit aux scientifiques de tester chaque
hémisphère indépendamment, sur une variété de tâches, révélant une série de
capacités distinctes. La seconde découverte fut que, quand les commissures
du cerveau frontal sont coupées, les hémisphères montrent une indépendance
fonctionnelle très étonnante, comprenant des souvenirs, des processus
d’apprentissage, des intentions comportementales, et – cela est quasiment
certain – des centres d’expérience consciente séparés.
L’indépendance des hémisphères chez un patient au cerveau divisé
survient parce que la plupart des fibres nerveuses qui rentrent dans le cortex
et en sortent sont divisées, en côté droit et côté gauche. Tout ce qui arrive
dans le champ visuel gauche de chaque œil, par exemple, est projeté sur
l’hémisphère droit du cerveau, et tout ce qui arrive dans le champ visuel droit
est projeté dans l’hémisphère gauche. Le même schéma est valable à la fois
pour la sensation et le contrôle moteur subtil de nos extrémités. Ainsi, chaque
hémisphère s’appuie sur des commissures intactes pour recevoir
l’information de son propre côté du monde. Alors qu’il peut rarement parler,
parce que le discours est d’habitude confiné à l’hémisphère gauche,
l’hémisphère droit peut répondre à des questions, en pointant vers des mots
écrits et des objets avec la main gauche.
La démonstration classique de l’indépendance des hémisphères chez un
patient au cerveau divisé se déroule de la façon suivante : on montre à
l’hémisphère droit un mot – par exemple le mot « œuf » – en le présentant
brièvement par éclairs à la moitié gauche du champ visuel, et le sujet (qui
parle à partir de son hémisphère gauche où domine le langage) déclarera
n’avoir rien vu du tout. Demandez à ce patient d’aller derrière la cloison et de
choisir avec sa main gauche (qui est contrôlée principalement par
l’hémisphère droit), la chose qu’il « n’avait pas vue », et il réussira à prendre
un œuf parmi une multitude d’objets. Si on lui demande de nommer l’objet
qu’il tient maintenant dans sa main gauche sans permettre à l’hémisphère
gauche de le regarder, il sera incapable de répondre. Si on lui montre l’œuf et
qu’on lui demande pourquoi il l’a choisi parmi tous les objets disponibles, il
inventera probablement une réponse (encore une fois, avec son hémisphère
gauche où domine le langage), en disant quelque chose comme : « Oh, je l’ai
pris parce que j’ai eu des œufs au petit-déjeuner hier. » C’est un phénomène
étrange.
Quand la latéralisation des données entrant dans le cerveau est exploitée
de cette manière, il devient difficile de dire que la personne dont le cerveau a
été divisé est un sujet unique, car tout son comportement laisse penser qu’une
intelligence silencieuse se cache dans son hémisphère droit, dont
l’hémisphère gauche doué de paroles ne sait rien. La dualité de l’esprit est de
plus démontrée par le fait que ces patients peuvent accomplir simultanément
des tâches manuelles séparées. Par exemple, une personne dont le cerveau
fonctionne normalement verra qu’il lui est impossible de dessiner
simultanément des figures incompatibles avec les mains gauche et droite ; les
cerveaux divisés accomplissent cette tâche facilement, comme deux artistes
travaillant en parallèle. Dans la phase aiguë après l’opération chirurgicale, les
mains gauche et droite des patients s’engagent parfois dans une lutte acharnée
concernant un objet, ou bien elles se sabotent le travail mutuellement.
L’hémisphère gauche peut parler de son état et même comprendre les détails
anatomiques de l’opération qui l’a causée, cependant il reste
remarquablement naïf concernant l’expérience de son voisin de droite. Même
de nombreuses années après l’opération chirurgicale, l’hémisphère gauche de
ces sujets exprime de la surprise ou de l’irritation quand leur hémisphère
droit répond aux instructions de l’expérimentateur 50. Demander à
l’hémisphère gauche ce que cela fait de ne pas connaître ce que l’hémisphère
droit pense, c’est comme demander à un sujet normal ce que cela fait de ne
pas connaître ce qu’une autre personne pense : il ne sait tout simplement pas
ce que l’autre personne est en train de penser (ou même, peut-être, qu’elle
existe).
Ce qui est le plus surprenant concernant le phénomène du cerveau divisé
est que nous avons toutes les raisons de croire que l’hémisphère droit séparé
est conscient de manière indépendante. Il est vrai que certains scientifiques et
philosophes ont résisté à cette conclusion 51, mais aucun ne l’a fait de manière
crédible. Si le langage complexe était nécessaire à la conscience, alors tous
les animaux non humains et les enfants humains seraient dépourvus en
principe de conscience. Si les personnes dont les hémisphères gauches ont été
supprimés par la chirurgie sont considérées comme conscientes – et elles le
sont – comment la simple présence d’un hémisphère gauche en
fonctionnement déroberait-elle à l’hémisphère droit sa subjectivité dans le cas
d’un patient au cerveau divisé ? 52
La conscience de l’hémisphère droit est particulièrement difficile à nier
quand le sujet possède une capacité linguistique des deux côtés du cerveau,
parce que, dans de tels cas, les hémisphères divisés expriment souvent des
intentions différentes. Dans un exemple célèbre, on a demandé à un jeune
patient ce qu’il voulait devenir quand il serait grand : son cerveau gauche
répondit : « dessinateur », tandis que son hémisphère droit utilisait des cartes
où étaient inscrites des lettres pour épeler le mot « pilote de course » 53. Les
hémisphères divisés semblent même parfois s’adresser l’un à l’autre
directement, sous la forme d’une discussion interhémisphérique verbalisée 54.
Dans de tels cas, chaque hémisphère pourrait bien avoir ses propres
croyances. Réfléchissons aux conséquences concernant le dogme – auquel
croient largement le christianisme et l’islam –, selon lequel le salut d’une
personne dépend du fait qu’elle a la bonne croyance concernant Dieu. Si
l’hémisphère gauche d’un patient au cerveau divisé accepte la divinité de
Jésus, mais que l’hémisphère droit ne le fait pas, devons-nous imaginer que
cette personne héberge maintenant deux âmes immortelles, l’une destinée à la
compagnie des anges et l’autre vouée à une éternité dans le feu de l’enfer ?
On ne doit répondre à la question de savoir si « cela fait quelque chose »
d’être l’hémisphère droit d’un patient au cerveau divisé que de la seule
manière dont on répond en sciences : nous pouvons simplement observer que
son comportement et la neurologie sous-jacente sont suffisamment similaires
à ceux que nous savons être corrélés à la conscience dans notre propre cas.
C’est très simple à voir pour un patient au cerveau divisé normal qui a encore
l’utilisation de sa main gauche. En fait, la conscience de l’hémisphère droit
déconnecté est plus facile à établir que chez la plupart des bambins. La
question de savoir si l’hémisphère droit est conscient est en réalité un pseudo-
mystère que l’on utilise pour barrer la porte à un mystère plus grand : le fait
troublant que l’esprit humain peut être divisé avec un scalpel.
Structure et fonction
Roger Sperry et ses collègues ont démontré dans les années 50 que le
corps calleux ne peut pas permettre un transfert complet de la connaissance
entre les hémisphères cérébraux 61. Après avoir coupé le chiasme optique chez
des chats (et confinant ainsi les données entrantes provenant de chaque œil à
un seul hémisphère), ils ont découvert que seule une connaissance simple
acquise par l’intermédiaire d’un œil unique pouvait se transférer à l’autre côté
du cerveau. Étant donné l’immense traitement de l’information qui a lieu
dans chaque hémisphère, il semble certain que même un cerveau humain
normal fonctionnera de manière divisée à un degré ou à un autre. Deux cents
millions de fibres nerveuses semblent insuffisantes pour intégrer l’activité
simultanée de vingt milliards de neurones dans le cortex cérébral, chacun
d’entre eux créant des centaines ou des milliers (et parfois des dizaines de
milliers) de connexions avec ses voisins 62. Étant donné ce partitionnement de
l’information, comment notre cerveau pourrait-il ne pas abriter d’ores et déjà
des centres multiples de conscience ?
Le philosophe Roland Puccetti a fait remarquer que l’existence de
domaines de conscience séparés dans le cerveau normal expliquerait une des
caractéristiques les plus déroutantes de la recherche sur le cerveau divisé :
pourquoi se fait-il que l’hémisphère droit soit en général désireux d’être le
témoin silencieux des erreurs et des bavardages du gauche ? Se pourrait-il
que l’hémisphère droit y soit habitué ?
« Une réponse cohérente avec l'hypothèse de la dualité mentale dans le
cerveau humain normal s’impose d’elle-même. L'hémisphère muet a compris
la situation réelle dès un âge très tendre. Il l'a comprise parce que, à l'âge de
deux ou trois ans, il a entendu un discours émanant du corps commun qui, à
mesure que le développement du langage du cerveau s'effectuait, est devenu
trop complexe grammaticalement et syntaxiquement pour qu’il croie qu’il le
générait ; la même chose est bien sûr vraie pour ce qu’il observait : une main
écrivant à l’école au fil des ans. Après l’opération chirurgicale, peu de choses
ont changé pour l’hémisphère muet (en dehors d’une perte d’information
sensorielle concernant la moitié ipsilatérale III de l’espace corporel).… Étant
habitué à ce statut d’hilote IV cérébral, il a continué. Une coopération ingrate
peut devenir une manière de vivre » 63.
Prenons un moment pour réaliser combien cette possibilité est bizarre. Le
point de vue à partir duquel vous êtes en train de lire consciemment ces mots
n’est peut-être pas le seul point de vue conscient qu’on puisse trouver dans
votre cerveau. C’est une chose de dire que vous êtes inconscient d’une vaste
quantité d’activités dans votre cerveau, c’en est une autre de dire qu’une
partie de cette activité est consciente d’elle-même et observe tous vos
mouvements.
Il doit y avoir une raison pour laquelle l’intégrité structurale du corps
calleux crée une unité fonctionnelle de l’esprit (dans la mesure où elle le fait),
et c’est peut-être seulement la division du corps calleux qui a pour effet de
créer des régions de conscience séparées dans le cerveau humain. Mais quelle
que soit la leçon finale du cerveau divisé, elle viole complètement nos
intuitions communes concernant la nature de notre subjectivité.
L’expérience du monde qu’a une personne, tout en étant apparemment
unifiée dans un cerveau normal, peut être physiquement divisée. Le problème
que ce fait pose pour l’étude de la conscience s’avère peut-être
insurmontable. Si je devais interroger mon cerveau avec l’aide d’un collègue
– une personne qui serait d’accord pour mettre à nu mon cortex et
commencer à le sonder avec une microélectrode –, ni mon collègue ni moi ne
saurions quoi faire d’une région qui échoue à influencer le contenu de « ma »
conscience. Le phénomène du cerveau divisé montre que tout ce que je serais
capable de dire, c’est si « moi » (peut-être en tant que le seul parmi d’autres
nombreux centres de conscience que l’on puisse trouver dans mon cerveau),
j’ai senti quelque chose quand mon ami a appliqué le courant. Ne ressentant
rien, je ne pourrai dire si les neurones en question constituent une région de
conscience par eux-mêmes – pour la simple raison que je pourrais être
comme un patient au cerveau divisé qui se demanderait étonné, avec son
hémisphère gauche parlant, si oui ou non son hémisphère droit est conscient.
Il l’est certainement, et cependant aucune preuve expérimentale de sa part ne
peut mettre en évidence les faits pertinents. Tant que nous devons corréler
des changements dans le cerveau – ou de tout autre système physique – avec
des comptes rendus provenant d’une première personne, tous les systèmes
physiques qui sont fonctionnellement muets peuvent se révéler être
conscients, mais notre tentative de comprendre les causes de la conscience
échouera à les prendre en compte.
Les cerveaux – et les personnes – peuvent être divisés à un degré ou à un
autre. Il est possible que chacun de nous vive, d’ores et déjà, dans un état
fluide de subjectivité divisée et imbriquée. Que ceci vous semble plausible ou
pas n’a peut-être pas d’intérêt. Une autre partie de votre cerveau peut voir les
choses différemment.
I
L’énigme du moi
Une chose que chacun de nous tient pour certaine est que la réalité
dépasse largement la conscience que nous en avons. Je suis, par exemple,
assis à mon bureau, en train de boire un café. La gravité me tient en place, et
la manière dont ceci s’accomplit nous échappe à ce jour. L’intégrité de ma
chaise est le résultat de forces électriques entre les atomes – des entités que je
n’ai jamais vues mais qui existent que j’en sois conscient ou pas. La chaleur
du café se dissipe à une vitesse qui pourrait être calculée avec précision, et la
deuxième loi de la thermodynamique décrète qu’il est, dans l'ensemble, en
train de perdre sa chaleur à chaque moment plutôt qu’en train d’en recevoir à
partir de la tasse, ou de l’air environnant. Rien de tout cela n’est cependant
évident pour moi à partir de l’expérience directe. Les forces de la digestion et
du métabolisme sont à l’œuvre en moi complètement au-delà de ma
perception ou de mon contrôle. La plupart de mes organes internes pourraient
très bien ne pas exister pour ce que j’en sais d’eux directement, et cependant
je peux être raisonnablement certain qu'ils existent comme n’importe quel
livre de médecine me l’apprend. Le goût du café, le plaisir que je prends à
son odeur, le sentiment de la tasse chaude dans ma main – bien que ce soient
des faits immédiats auxquels je suis habitué, s’appuient sur une contrée
sauvage de phénomènes que je n’arriverai jamais à connaître. J’ai des
neurones qui forment de nouvelles connexions dans mon cerveau à chaque
instant, ces événements déterminant la nature de mon expérience. Mais je ne
sais rien directement de l’activité électrochimique de mon cerveau – et
cependant ce miracle humide produit un calcul qui paraît être en train de
fonctionner actuellement et d’engendrer une vision du monde.
Plus je persiste dans cette ligne de pensée, plus il devient clair que je ne
perçois qu’une étincelle de tout ce qui existe et qui pourrait être connu. Je
peux, par exemple, aller saisir ma tasse de café, ou la reposer, apparemment
comme il me plaît. Ce sont des actions intentionnelles, et je les accomplis.
Mais si je vais à la recherche de ce qui se tient sous ces mouvements – les
neurones moteurs, les fibres musculaires, les neurotransmetteurs – je ne peux
rien ressentir, ni voir. Et comment est-ce que je fais pour commencer ce
mouvement ? Je n’en ai aucune idée. En quel sens, alors, est-ce que je le
commence ? C’est difficile à dire. Le sentiment que j’avais l’intention de
faire ce que j’ai fait, paraît n’être que ça : le sentiment d’une certaine
signature interne, peut-être le résultat du fait que mon cerveau s’est formé un
modèle prédictif des actions qui s’en sont suivies. Le classer comme
sentiment n’est peut-être pas la meilleure façon de faire, mais il est certain
que c’est quelque chose. Sinon, comment aurais-je pu remarquer la différence
entre un comportement volontaire et involontaire ? Sans cette impression
d’être acteur, j’aurais le sentiment que mes actions sont automatiques ou
qu’elles échappent à mon contrôle.
Des questions se posent : Où suis-je pour avoir une vision si pauvre des
choses ? Et quelle sorte de chose suis-je pour que, à la fois, mon extérieur et
mon intérieur soient si obscurs ? Et l’extérieur et l’intérieur de quoi ? De ma
peau ? Suis-je identique à ma peau ? Si c’est non – et la réponse est
clairement non – pourquoi la frontière entre mon extérieur et mon intérieur
devrait-elle être fixée à la peau ? Si ce n’est pas à la peau, alors où l’extérieur
de mon moi s’arrête-t-il et où l’intérieur commence-t-il ? À mon crâne ? Suis-
je mon crâne ? Suis-je à l'intérieur de mon crâne ? Disons oui pour un
moment, parce que nous allons vite manquer d’endroits où je pourrais me
cacher. Où pourrais-je être à l’intérieur de mon crâne ? Et si je suis là-haut
dans ma tête, comment est le reste de mon moi (sans parler de l’intérieur de
moi) ?
Quand nous voyons une personne marcher dans la rue en se parlant à elle-
même, nous supposons généralement qu’elle est mentalement dérangée (à
condition qu’elle ne porte pas de casque). Or, nous nous parlons tous à nous-
mêmes constamment – la plupart d’entre nous ont simplement le bon sens de
garder la bouche fermée. Nous répétons les conversations passées – en
pensant à ce que nous avons dit, à ce que nous n’avons pas dit, à ce que nous
aurions dû dire. Nous anticipons le futur, en produisant une chaîne
continuelle de mots et d’images qui nous remplissent d’espoir, ou de peur.
Nous nous racontons à nous-mêmes l’histoire de ce qui se passe maintenant,
comme si un aveugle était à l’intérieur de nos têtes en train de demander une
narration continuelle pour connaître ce qui arrive : « Ouaouh, quel beau
bureau ! Je me demande quelle sorte de bois c'est. Oh, mais il n'a pas de
tiroirs. Ils n'ont pas mis de tiroirs dans cette chose ? Comment peut-on avoir
un bureau sans au moins un tiroir ? » À qui parlons-nous ? Personne d’autre
n’est là. Et nous imaginons que continuer ce monologue intérieur avec nous-
mêmes est parfaitement compatible avec la santé mentale. Mais peut-être que
ça ne l’est pas.
Pendant que je travaillais à la fin de ce livre, il y a eu une série de fuites
d’eau dans notre maison. La première apparut au plafond de la pièce de
rangement. Nous avons eu de la chance de l’avoir remarquée, parce que
c’était une pièce où nous pouvons ne pas aller pendant des mois. Un plombier
arriva quelques heures après, ouvrit le mur, et répara la fuite. Un plâtrier vint
le jour suivant, répara le plafond, et le peignit. Ce genre de choses arrive en
fait dans toutes les maisons, me dis-je, et mon sentiment dominant fut celui
de gratitude. La civilisation est une chose merveilleuse.
Puis une fuite semblable apparut dans la pièce adjacente quelques jours
plus tard. L’information pour contacter à la fois le plombier, le plâtrier était à
portée de mes doigts. Mais là, je ne ressentais que de l’agacement et de
l’appréhension.
Un mois plus tard, le film d’horreur commença sérieusement : un tuyau
éclata, noyant 55 m² de plafond. Cette fois la réparation prit deux semaines et
provoqua une immense quantité de poussières ; deux équipes de nettoyage
furent nécessaires pour faire face aux conséquences – évacuer des centaines
de livres, sécher et shampouiner la moquette, etc. Pendant tout ce temps, nous
fûmes forcés de vivre sans chauffage, car autrement la poussière provenant
des réparations aurait été aspirée dans les conduites et nous l’aurions respirée
dans chaque pièce de la maison. Finalement, cependant, le problème fut
réparé. Nous n’aurions plus de fuites.
Puis, la nuit dernière, à peine un mois après la réparation précédente, nous
avons entendu le son familier de l’eau tombant sur la moquette. Au moment
où j’entendis les premières gouttes, je fus transformé en homme malheureux,
paumé, enragé, courant dans l’escalier. Je suis sûr que je me serais comporté
avec plus de dignité si j’avais été sur la scène d’un meurtre. Un regard sur le
plafond ballonné me dit tout ce que j’avais besoin de savoir concernant les
semaines qui allaient venir : notre foyer allait redevenir un chantier de
construction.
Bien sûr, une maison est un objet physique qui se conforme aux lois de la
nature – et elle ne va pas se réparer d’elle-même. À partir du moment où ma
femme et moi allâmes chercher des seaux et des saladiers pour recueillir l’eau
qui tombait, nous répondîmes aux coups inéluctables de la réalité physique.
Mais ma souffrance était entièrement le produit de mes pensées. Quelles
qu’aient été les nécessités du moment, j’avais le choix : je pouvais faire ce
qui était demandé calmement, avec patience et attentivement, ou être en état
de panique. Chaque moment de la journée – en fait, chaque moment de notre
vie entière – offre l’occasion d’être détendu, réactif ou au contraire de
souffrir sans nécessité.
Nous pouvons traiter cette souffrance mentale de deux façons au moins.
Nous pouvons utiliser les pensées elles-mêmes en tant qu’antidote, ou nous
pouvons être complètement libérés des pensées. La première technique ne
demande aucune expérience de la méditation, et elle peut faire des merveilles
si l’on développe les habitudes d’esprit appropriées. De nombreuses
personnes font cela tout à fait naturellement ; ça s'appelle « regarder le bon
côté des choses ».
Par exemple, alors que je commençais à m’emporter comme le roi Lear
dans la tempête, ma femme me fit remarquer que nous devrions être remplis
de reconnaissance car c’était de l’eau pure qui coulait de notre plafond et non
des eaux usées. Je trouvai la pensée immédiatement frappante : je pouvais
ressentir dans ma chair à quel point en effet c'était plus agréable d’éponger de
l’eau propre à ce moment-là plutôt que d’être noyé jusqu’aux chevilles par de
l’eau sale. Quel soulagement ! J’utilise souvent ce genre de pensées comme
des leviers pour sortir mon esprit de toutes les ornières où il tombe dans les
champs des souffrances inutiles. Si j’avais observé de l’eau d’égout en train
de se répandre par notre plafond, combien aurais-je payé pour la transformer
en eau pure ? Énormément !
Je ne défends pas l’idée que nous devrions être irrationnellement détachés
de la réalité de nos vies. Si un problème a besoin d’être résolu, nous devons
le résoudre. Mais faut-il que nous soyons malheureux tout en accomplissant
des choses justes et nécessaires ? Et si, comme de nombreuses personnes,
vous avez tendance à être vaguement malheureux la plupart du temps, il
pourrait être très utile que vous vous fabriquiez un sentiment de gratitude en
contemplant simplement toutes les choses terribles qui ne vous sont pas
arrivées, ou en pensant que de nombreuses personnes aimeraient vivre
comme vous le faites maintenant. Le simple fait que vous ayez le loisir de lire
ce livre fait de vous un privilégié. La plupart des gens sur terre en ce moment
ne peuvent même pas imaginer la liberté que vous considérez pour acquise.
Les effets de la pratique consciente de la gratitude ont été étudiés :
comparé au fait de simplement penser aux événements significatifs de la vie,
de contempler les tracas du quotidien, ou de se comparer soi-même
favorablement aux autres, la pensée de la gratitude accroît les sentiments de
bien-être, la motivation et les perspectives positives concernant l’avenir 78.
On n’a pas besoin de savoir quoi que ce soit à propos de la méditation
pour remarquer combien la pensée gouverne notre propre état mental. Ce
matin, par exemple, je me suis éveillé dans un état de bonheur insouciant. Et
puis, je me suis souvenu de la fuite… La plupart des lecteurs sont familiers
avec cette expérience : quelque chose de pénible est arrivé dans votre vie –
quelqu’un est mort, une relation s’est terminée, vous avez perdu votre travail
– mais il y a un bref intervalle après le réveil juste avant que la mémoire
n’impose son emprise. Cela prend souvent un instant ou deux avant que les
raisons d’être malheureux ne surviennent. Ayant passé des années à observer
mon esprit en méditation, je trouve que ces transitions soudaines qui me font
passer du bonheur à la souffrance sont à la fois fascinantes et plutôt
amusantes – le fait d’en être simplement témoin fait beaucoup pour favoriser
mon équanimité. Mon esprit commence à ressembler à un jeu vidéo : je peux
soit y jouer intelligemment, en apprenant davantage à chaque niveau, ou je
peux être tué dans le même endroit par le même monstre, encore et encore.
Une fois, lors d’un séjour dans un hôtel particulièrement déprimant à
Katmandou, je fus éveillé au milieu de la nuit par l’impression que des griffes
grattaient mon pied. Je me réveillais terrorisé, convaincu qu’il y avait un rat
dans mon lit. J’avais récemment appris que les lépreux que j’avais vus au
cours de mes voyages en Asie perdaient leurs doigts et leurs orteils, non à
cause de la maladie elle-même, mais parce qu’ils ne ressentaient plus la
douleur. Ce qui entraînait des brûlures et d’autres blessures. Pire, des rats
rongeaient souvent leurs extrémités alors qu’ils dormaient.
Cependant, l’obscurité de la pièce était parfaitement tranquille. Cela
n’avait été qu’un rêve. Et aussi soudainement qu’il était venu, le sentiment de
terreur disparut. Mon esprit et mon corps étaient maintenant soulagés. « Quel
rêve étrange », pensai-je. « J’ai vraiment ressenti des griffes sur ma peau –
mais il n’y avait rien. L’esprit est étonnant » – et puis soudainement survint le
bruit manifeste de quelque chose qui se ruait vers moi sous les draps.
Je sautai du lit avec l’agilité d’un acrobate chinois. Après quelques
moments interminables passés à tâtonner à l’aveuglette dans l’obscurité d’une
pièce qui ne m’était pas familière, j’allumai les lumières, et tout fut à
nouveau silencieux. Alors que j’observais le fouillis des couvertures sur le lit,
j’espérais vraiment avoir perdu ma santé d’esprit plutôt qu'on ait violé mon
intimité. Je fis voler les couvertures – et là, au milieu du matelas, un gros rat
brun était assis. La créature m’observait avec une franchise et une intensité à
rendre malade ; il apparaissait là, campant sur ses positions, déplorant sans
nul doute la perte d’une si vaste source de protéines. Je feignis une attaque en
hurlant, avec de brusques mouvements en avant – moitié singe, moitié
ménagère de dessins animés – la bête traversa les draps, sauta sur le plancher,
et disparut derrière le buffet 79.
En l’espace de quelques secondes, mon esprit était passé par tous les
extrêmes de l’émotion humaine, balançant de la terreur à un soulagement
exquis puis revenant à la terreur – entièrement sur les ailes de la pensée :
La pensée nous est indispensable. Elle est essentielle pour la formation des
croyances, pour la prévision, pour l’apprentissage explicite, pour le
raisonnement moral, et pour de nombreuses autres capacités qui nous rendent
humains. La pensée est la base de toutes nos relations sociales et de nos
institutions culturelles. Elle est aussi le fondement de la science. Mais notre
identification habituelle à la pensée – c'est-à-dire, notre échec à reconnaître
les pensées en tant que pensées, en tant qu'apparences se produisant dans la
conscience – est une source primordiale de souffrance humaine. Elle est aussi
la source de l’illusion qu’un moi séparé vit à l’intérieur de la tête.
Voyez si vous pouvez arrêter la pensée pendant les six prochaines
secondes. Vous pouvez prendre note de votre respiration, écouter les oiseaux,
mais ne laissez pas votre attention être emportée par la pensée, par n’importe
quelle pensée, même pour un instant. Posez ce livre, et essayez.
Certains d’entre vous sont tellement distraits par la pensée que vous
imaginerez avoir réussi. En fait, les débutants en méditation pensent souvent
qu’ils sont capables de se concentrer sur un seul objet, comme la respiration,
pendant plusieurs minutes, pour ensuite faire l’expérience, après des jours ou
des semaines de pratique intensive, que leur attention est désormais emportée
par la pensée à chaque seconde. C’est en réalité un progrès. Il faut un certain
degré de concentration pour remarquer combien nous sommes distraits.
Même si votre vie en dépendait, vous ne pourriez pas passer une minute
complète libre de la pensée.
C’est un fait remarquable concernant l’esprit humain. Nous sommes
capables de prouesses étonnantes en ce qui concerne la compréhension et la
créativité. Nous pouvons endurer presque tous les tourments. Mais il n’est
pas dans notre pouvoir de nous arrêter simplement de nous parler à nous-
mêmes, quels que soient les enjeux. Il n’est même pas dans notre pouvoir de
reconnaître les pensées qui apparaissent dans la conscience sans être distrait à
chaque seconde par l’une d’entre elles. Sans un entraînement sérieux à la
méditation, rester conscient – de n’importe quoi – pendant une minute
complète n’est tout simplement pas dans nos cordes.
Nous passons notre vie à être perdus dans la pensée. La question est : Que
devons-nous faire de cette réalité ? En Occident, la réponse a été : « pas
grand-chose ». En Orient, spécialement dans les traditions contemplatives
comme celles du bouddhisme, le fait d’être distrait par la pensée est considéré
comme étant la source même de la souffrance humaine.
Du point de vue contemplatif, être perdu dans des pensées de toutes sortes,
plaisantes ou déplaisantes, peut se comparer au fait d’être endormi ou de
rêver. C’est une façon de ne pas connaître ce qui se passe réellement dans le
moment présent. C’est en fait une forme de psychose. Les pensées elles-
mêmes ne sont pas un problème, mais le fait d’être identifié avec la pensée
l’est. Se prendre soi-même pour le penseur de ses pensées – c’est-à-dire ne
pas reconnaître que la pensée présente n’est qu’une apparence transitoire dans
la conscience – est une illusion qui produit presque tous les conflits et les
malheurs humains. Peu importe que votre esprit vagabonde dans des
problèmes relatifs à la théorie des ensembles ou à la recherche sur le cancer,
si vous êtes en train de penser sans savoir que vous êtes en train de penser,
vous êtes dans la confusion vous concernant et concernant ce que vous êtes.
La pratique de la méditation est une méthode pour rompre le sortilège de
la pensée. Cependant, au début, il est probable que vous ne comprendrez pas
combien ce changement de l’attention peut être transformateur. Vous
passerez la plupart de votre temps à essayer de méditer ou à imaginer que
vous êtes en train de méditer (en vous concentrant sur votre respiration ou sur
quelque chose d'autre) et à échouer pendant des minutes ou des heures. Le
premier signe de progrès sera de noter combien vous êtes distrait. Mais si
vous persistez dans votre pratique, vous finirez par avoir finalement un goût
de la concentration réelle et vous commencerez à voir les pensées elles-
mêmes comme de simples apparences jaillissant dans un champ de
conscience plus vaste.
Vimalamitra, un bouddhiste du VIIIe siècle, a décrit trois stades dans la
maîtrise de la méditation et la manière dont la pensée apparaît à chaque stade.
Le premier stade ressemble à la rencontre d’une personne que vous
connaissez déjà ; vous reconnaissez chaque pensée telle qu’elle apparaît dans
la conscience, sans confusion. Le deuxième stade ressemble au nœud
formé par un serpent : chaque pensée, quel que soit son contenu, se défait
simplement d’elle-même. Dans le troisième stade, les pensées sont comme
des voleurs qui rentrent dans une maison vide ; même la possibilité d’être
distrait a disparu 80.
Bien avant d’atteindre cette stabilité dans la méditation, on peut
néanmoins découvrir que le sentiment du moi – le sentiment qu’il y a un
penseur derrière ses propres pensées, quelqu’un qui fait l’expérience au
milieu du flot de l’expérience – est une illusion. Le sentiment que nous
appelons « Je » est lui-même le produit de la pensée. Avoir un ego, c’est ce
qui est ressenti quand on pense sans savoir qu’on est en train de penser.
Considérez le train de pensées suivant (dont une version peut déjà avoir
traversé votre esprit) :
Mais qu’est-ce que raconte Harris? Je sais que je suis en train de penser.
Je suis en train de penser en ce moment même. Et alors ? Je suis en train de
penser, et je le sais. En quoi est-ce un problème ? Où est-ce que je me
trompe ? Je peux penser à tout ce que je veux– regardez, je me représente la
tour Eiffel dans mon esprit, juste maintenant. La voilà. Je l’ai fait. En quel
sens ne suis-je pas le penseur de ces pensées ?
Ainsi est noué le nœud du moi. Il n’est pas suffisant de savoir, de manière
abstraite, que des pensées se produisent continuellement, ni que l’on pense en
ce moment, car une telle connaissance est elle-même obtenue par
l’intermédiaire de pensées qui surviennent mais ne sont pas reconnues. C’est
l’identification avec ces pensées – c’est-à-dire l’échec à les reconnaître telles
qu’elles se produisent spontanément dans la conscience – qui produit le
sentiment du « Je ». On doit être capable d’y faire attention d’assez près pour
saisir à quoi la conscience ressemble entre les pensées – c’est-à-dire, avant la
survenue de la pensée suivante. La conscience n’est pas ressentie comme un
moi. Dès qu’on le réalise, la nature des pensées elles-mêmes, en tant
qu’expressions transitoires de la conscience, peut être saisie.
De quoi sommes-nous conscients ? Nous sommes conscients du monde ;
nous sommes conscients de notre corps dans le monde, et nous imaginons
aussi que nous sommes conscients de notre moi dans notre corps. Après tout,
la plupart d’entre nous ne nous sentons pas simplement identiques à notre
corps. Nous avons l’impression de nous déplacer dans le monde en étant à
l'intérieur de notre corps. Nous nous ressentons comme un sujet intérieur
pouvant utiliser le corps comme une sorte d’objet. Cette dernière impression
est une illusion qui peut être dissipée.
L’absence de moi de la conscience est manifeste à chaque instant – et
cependant, cela reste difficile à voir. Ce n’est pas un paradoxe. De
nombreuses choses dans notre expérience sont directement visibles, mais
elles demandent un certain entraînement, ou une technique, pour être
observées. Pensez à la tache aveugle de l’œil : le nerf optique passe au travers
de la rétine de chaque œil, en créant une petite région dans chaque champ
visuel où nous sommes effectivement aveugles. La plupart d’entre nous
avons appris enfants à percevoir les conséquences subjectives de cette
anatomie imparfaite en dessinant un petit cercle sur un morceau de papier, en
fermant un œil, et ensuite en déplaçant le papier vers une position où le cercle
devient invisible. Et cependant, cette tâche est toujours là, directement à la
surface de notre expérience.
De même, on peut aussi remarquer l’absence du moi. Comme dans
l’exemple de la tache aveugle de l’œil, la preuve n’est pas très loin ou cachée
profondément à l’intérieur ; elle est plutôt presque trop près pour être
observée. Pour la plupart des gens, faire l’expérience de l’absence intrinsèque
du moi de la conscience demande un entraînement considérable. Il est
pourtant possible de remarquer que la conscience – cela en vous qui est
conscient de votre expérience en ce moment – ne se ressent pas comme un
« moi ». Elle ne se ressent pas comme un « Je ». Ce que vous appelez « Je »
est un sentiment qui apparaît parmi les contenus de la conscience. La
conscience lui est antérieure, en est un simple témoin, et, de ce fait, en est
libre par principe.
V
LA RECONNAISSANCE DE SOI
Imaginez que vous vous réveillez d’un lourd sommeil pour vous retrouver
emprisonné dans une pièce qui ne vous est pas familière et qui est sans
fenêtres. Où êtes-vous ? Vous n’en avez pas la moindre idée. Un miroir vous
a été fourni cependant, et vous regardez dedans. Que voyez-vous ? On a peint
un point rouge sur votre front, mais pour une certaine raison vous ne le
remarquez pas. En fait, vous perdez vite tout intérêt pour ce reflet et
commencez à rechercher de la nourriture dans la pièce. Vous êtes, après tout,
un gorille, et ne ressentez absolument aucun intérêt pour votre apparence.
En relisant la littérature sur le moi, on s’aperçoit que beaucoup de
réflexions ont été produites sur le fait que certaines créatures portent attention
à leur reflet dans un miroir, avec toute la vanité d’une demoiselle d’honneur
du XVIIIe siècle, alors que d’autres y répondent comme elles le feraient pour
un membre de leur espèce 84. Le « test du miroir » a été un élément de base de
la recherche sur le développement des primates et des enfants depuis de
nombreuses décennies, et il a fait ressembler cet appareil de laboratoire, le
plus simple de tous, – le miroir – à un bâton de sourcier destiné à la recherche
du moi. On croit en effet que seules les créatures qui se comportent avec le
narcissisme requis en face de la glace, possèdent une « connaissance de
soi VI » ou même (et ici on nous favorise d’un usage erroné et spécialement
déprimant du terme) une « conscience VII ». Alors que la reconnaissance de
soi à l’aide d’un miroir et l’usage du pronom personnel semblent émerger à
peu près à la même époque dans le développement humain (de 15 à 24 mois),
il y a de nombreuses raisons de croire que la reconnaissance de soi VIII et
l’individualité IX sont des stades distincts de l’esprit – et, de ce fait, qu’ils
diffèrent également au niveau du cerveau 85.
La reconnaissance de soi dépend du contexte. Il y a des patients souffrant
de troubles neurologiques qui ne peuvent pas se reconnaître dans un miroir
(un symptôme que l’on appelle « illusion du signe du miroir X ») mais qui
peuvent reconnaître leur visage dans un ensemble de photographies 86, et ces
sujets ne semblent pas avoir perdu une chose qui ressemblerait à un moi ou sa
connaissance. Donc quelle est la relation entre la reconnaissance de soi-même
et le sentiment que nous appelons « Je » ? Le fait que le mot soi soit
généralement utilisé en références à ces phénomènes ne signifie pas qu’une
relation profonde existe entre les deux. Il semble tout à fait possible, par
exemple, qu’une personne qui ne peut pas reconnaître son propre visage,
puisse posséder un sentiment pleinement intact du moi, tout comme votre
sentiment du moi resterait inaffecté par la vue d’un parfait étranger. Il n’y a
simplement rien dans le fait de ne pas reconnaître un visage, même si c’est le
nôtre, qui laisse croire à une privation du moi, ou quelque chose de ce genre.
THÉORIE DE L’ESPRIT
Une des choses les plus importantes que nous faisons avec notre esprit est
d’attribuer des états mentaux aux autres personnes, une faculté qui a été
diversement décrite sous le nom de « théorie de l’esprit », « mentalisation »,
« vision de l’esprit », « lecture d’esprit », et « position intentionnelle » 87. La
capacité à reconnaître et à interpréter l’activité mentale d’autres personnes est
essentielle pour un développement cognitif et social normal. Et des déficits
dans ce domaine sont causes de nombreux désordres mentaux, y compris
l’autisme. Mais quelle est la relation entre la conscience des autres et la
conscience de soi-même ? De nombreux scientifiques et philosophes ont
suggéré que les deux doivent être profondément connectées 88. S’il en est
ainsi, il semble naturel que la recherche sur la théorie de l’esprit (TDE XI)
puisse jeter une certaine lumière sur la structure du moi. Malheureusement, le
modèle de la TDE avec lequel les chercheurs travaillent généralement échoue
à le faire. Considérons le texte suivant, qui a pour but d’évoquer le processus
de la TDE chez des sujets expérimentaux :
« Un cambrioleur qui vient juste d’effectuer un vol dans une boutique
prend la fuite. Alors même qu’il court vers chez lui, un policier faisant sa
ronde le voit laisser tomber un gant. Il ne sait pas que l’homme est un
cambrioleur, il veut juste lui dire qu’il a laissé tomber son gant. Mais quand
le policier crie au voleur : « Eh, vous ! Arrêtez ! » Le cambrioleur se tourne,
voit le policier et lève les bras. Il met ses mains en l’air et admet qu’il a fait
le casse dans la boutique au coin de la rue.
Question : Pourquoi le cambrioleur a-t-il fait cela ? » 89
La réponse est évidente, à moins que l’on soit un jeune enfant ou une
personne souffrant d’autisme. Si l’on ne peut pas adopter le point de vue du
cambrioleur dans cette histoire, il est impossible de savoir pourquoi il s’est
comporté comme il l’a fait. Les stimuli expérimentaux de ce genre sont
essentiels à la recherche de la TDE, mais ils ont très peu à voir avec la plus
élémentaire attribution d’un esprit aux autres. Bien que nous utilisions nos
pouvoirs d’inférence pour attribuer des états mentaux complexes à d’autres
personnes, et que l’expression « théorie de l’esprit » en capture le sens, il
semble que nous fassions d’abord une attribution beaucoup plus
fondamentale : nous reconnaissons que d’autres personnes sont (ou peuvent
être) conscientes de nous. Expliquer le comportement du cambrioleur
demande un niveau de cognition plus élevé qu’il n’est nécessaire pour
comprendre simplement que l’on est en présence d’une autre personne
consciente. Et le sentiment qu’une autre personne peut me voir ou
m’entendre est tout à fait distinct du fait que je puisse avoir une
compréhension quelconque de ses croyances ou de ses désirs. Ce jugement
plus primitif semblerait correspondre à une TDE à son niveau le plus
élémentaire. Il pourrait aussi avoir une profonde connexion avec notre
sentiment de nous-même.
Le philosophe Jean-Paul Sartre croyait que nos rencontres avec d’autres
personnes constituent la circonstance première de la formation XII de soi 90.
D’après lui, chacun de nous est perpétuellement en position d’un voyeur qui,
tout en regardant l’objet de sa convoitise, entend soudain le bruit de
quelqu’un arrivant derrière lui. À chaque fois, nous sommes éjectés de la
sécurité et de la solitude de la pure subjectivité par la connaissance que nous
sommes devenus des objets dans le monde pour d’autres personnes.
Je crois que Sartre tenait là quelque chose. L’impression primitive qu’une
autre créature est consciente de nous semble être l’élément de la TDE qui
permet d’expliquer le sentiment de soi. Si vous en doutez, je vous
recommande l’exercice suivant : allez dans un lieu public, choisissez une
personne au hasard, et fixez son visage jusqu’à ce qu’elle vous regarde aussi.
Pour faire de ceci davantage qu’une provocation sans intérêt, observez les
changements qui se produisent en vous au moment où le contact des yeux
s’établit. Quel est ce sentiment qui vous oblige à regarder immédiatement
ailleurs ou à commencer à parler ? Il semble incontestable que cette forme de
la TDE possède la caractéristique d’engendrer d’elle-même des ramifications,
car sans l’attribution d’une conscience à d’autres personnes, vous n’avez
aucune impression d’être observé en premier lieu. Il y a une différence dans
le ressenti ici – être regardé est un sentiment différent de ne pas être regardé –
et la différence peut être décrite, en tout cas c’est ce que je soutiens, comme
une amplification du sentiment que nous appelons « Je ». Il semble
indiscutable que la conscience de soi et cette forme plus fondamentale de
TDE soient étroitement reliées 91. Le neurologue V. S. Ramachandran semble
avoir pensé dans cette direction quand il écrit : « Ce n’est sans doute pas une
coïncidence si [vous] utilisez des expressions comme “embarrassé, gêné
(self-conscious)” quand vous voulez dire que vous êtes conscient (conscious)
que d’autres sont conscients de vous » 92.
Pour mieux comprendre la distinction entre la TDE fondamentale et la
TDE courante dans la littérature scientifique, pensez à ce qui arrive quand
nous regardons un film. L’expérience d’être assis dans une salle de cinéma
obscure en regardant des personnes interagir l’une avec l’autre sur l’écran est
une espèce de rencontre sociale – mais c’est une rencontre dont nous sommes
complètement absents, en tant que participants. Ceci explique très
vraisemblablement pourquoi la plupart d’entre nous trouvons les films et la
télévision si intéressants. Dès que nous tournons nos yeux vers l’écran, nous
sommes dans une situation sociale que nos gènes d’hominidés ne pouvaient
pas avoir prévue : nous pouvons voir les actions des autres, en même temps
que les détails de leurs expressions faciales – au point même d’avoir un
contact visuel avec eux – sans le moindre risque d’être observés nous-mêmes.
Les films et la télévision transforment magiquement le contexte fondamental
des rencontres face à face, qui ont toujours soumis les êtres humains à des
leçons sociales angoissantes, en nous permettant, pour la première fois, de
nous consacrer nous-mêmes complètement à l’acte d’observer d’autres
personnes. C’est une sorte de voyeurisme transcendantal. Quoiqu’on puisse
dire d’autre sur cette expérience de regarder un film, elle distingue
entièrement la TDE (Théorie de l'Esprit) fondamentale de la TDE standard,
car il n’y a pas de doute que nous attribuons des états mentaux aux acteurs
sur l’écran. Nous faisons tous les jugements que le concept standard de la
TDE demande, mais cela ne permet pas de comprendre notre sentiment de
nous-mêmes. En fait, il est difficile de trouver une situation où nous sommes
moins embarrassés XIII que celle où nous sommes assis dans un cinéma obscur
en train de regarder un film, et cependant, nous sommes en train de
contempler les croyances, les intentions et les désirs d’autres personnes
pendant tout ce temps.
Ramachandran et d’autres ont noté que la découverte des « neurones
miroirs » offre un certain appui à l’idée que les sentiments du moi et de
l’autre peuvent émerger des mêmes circuits du cerveau. Certaines personnes
croient que les neurones miroirs sont aussi le centre de notre capacité à
rentrer en empathie avec les autres et qu’ils peuvent même rendre compte de
l’émergence de la communication gestuelle et du langage parlé. Nous savons
que certains neurones accroissent leur taux d’activation quand nous
accomplissons avec nos mains des actions orientées sur des objets (saisir,
manipuler) et des actions de communication ou d’ingestion avec nos bouches.
Ces neurones s’activent aussi, quoique moins rapidement, dès que nous
sommes témoins des mêmes actions accomplies par d’autres personnes. La
recherche sur des singes montre que ces neurones encodent les intentions
derrière une action observée (telle que prendre une pomme dans le but de la
manger et non simplement pour la déplacer) plutôt que les mouvements
physiques eux-mêmes. Dans ces expériences, le cerveau d’un singe semble se
représenter le comportement intentionnel des autres comme s’il s’engageait
lui-même dans ce comportement. Des résultats semblables ont été obtenus
dans des expériences de neuro-imagerie faites sur des humains 93.
Certains scientifiques croient que les neurones miroirs fournissent une
base physiologique au développement de l’imitation et des relations sociales
dès la petite enfance ainsi que, par la suite, à la compréhension des autres
esprits 94. Et il est intéressant de remarquer que des enfants atteints d’autisme
ont une baisse de l’activité des neurones miroirs proportionnelle à la sévérité
de leurs symptômes 95. On sait aujourd’hui que les personnes souffrant
d’autisme tendent à éprouver un déficit dans leur perception de la vie mentale
des autres personnes. Inversement, une étude sur la longueur de la méditation
de compassion a montré un accroissement significatif de l’empathie chez les
sujets pendant un cours de huit semaines, et cette méditation s’est trouvée
accroître l’activité d’une des régions qui contiennent – croit-on – les neurones
miroirs 96.
Il est possible qu’une conscience des autres esprits soit une condition
nécessaire pour la conscience de son propre esprit. Bien sûr, ceci ne veut pas
dire que le sentiment que nous appelons « Je » disparaisse quand nous
sommes seuls. Si notre connaissance de soi et de l’autre sont vraiment
indivisibles, notre conscience des autres doit s’être intériorisée très tôt dans
notre vie. En termes psychologiques, cela semble certainement être une
manière plausible de décrire la structure de notre subjectivité. Tous les
parents ont vu leurs enfants utiliser leurs pouvoirs discursifs grandissants en
monologuant avec eux-mêmes. Ces monologues se poursuivent dans
l’existence comme s’ils étaient, en fait, des dialogues. La conversation qui en
résulte semble à la fois étrange et sans nécessité. Pourquoi devrions-nous
vivre en relation avec nous-mêmes plutôt que simplement en tant que nous-
mêmes ? Pourquoi un « je » et un « moi » devraient-ils se tenir compagnie
l’un l’autre ?
Imaginez que vous ayez perdu vos lunettes de soleil. Vous fouillez la
maison de haut en bas, et finalement vous les localisez, elles sont sur une
table, là où vous les aviez laissées la veille. Vous pensez aussitôt : « Les
voilà ! » en traversant la pièce pour les retrouver. Mais à qui êtes-vous en
train de communiquer cette pensée ? Vous avez peut-être même prononcé la
phrase à voix haute : « Les voilà ! » mais qui avait besoin d’être informé de
cette manière ? Vous les avez déjà vues. Y a-t-il quelqu’un d’autre dans votre
groupe de recherches ?
Imaginez que vous soyez dans un lieu public et que vous voyez une
personne étrangère retrouver ses lunettes qu’elle venait de perdre. Elle
s’exclame, comme vous pourriez le faire : « Les voilà ! » et elle s’en empare
sur la table. Un léger embarras gène un peu tout le monde dans de tels
moments, mais quand les mots se limitent à une phrase courte et qu’elle est
occasionnée par un événement aussi anodin, celui qui parle n’a rien fait
d’extraordinaire et ceux qui sont là ne sont pas saisis par la peur. Imaginez,
cependant, que cette personne continue à s’adresser à elle-même à voix haute
et dise : « Où pensais- tu qu'elles étaient, idiot ? Tu as cherché dans tout ce
bâtiment pendant dix minutes. Maintenant je vais être en retard pour mon
déjeuner avec Julie, et elle est toujours à l'heure ! » L’homme n’a pas besoin
de dire autre chose pour que nous ayons désormais des doutes définitifs quant
à ses facultés mentales. Et cependant l’état de cette personne n’est en rien
différent du nôtre – ce sont précisément des pensées que nous pourrions
penser dans l’intimité de notre esprit.
Nous avons vu que le sentiment du moi est logiquement et empiriquement
distinct de nombreuses autres caractéristiques de l’esprit avec lesquelles il est
souvent associé. C’est pourquoi, pour le comprendre au niveau du cerveau,
nous avons besoin d’étudier des gens qui n’en font plus l’expérience. Comme
nous le verrons, certaines pratiques de méditation sont très bien adaptées à
une recherche de cette sorte.
Pénétrer l’illusion
Le sentiment que nous sommes un sujet unifié est une fiction, produite par
une multitude de processus séparés et de structures dont nous ne sommes pas
conscients et sur lesquels nous n’exerçons aucun contrôle conscient. Mais en
plus, beaucoup de ces processus peuvent être perturbés de manière
indépendante, en produisant des déficits qui sembleraient impossibles si on
ne les observait pas aussi souvent. Certaines personnes, par exemple, sont
capables de voir parfaitement mais sont incapables de détecter le mouvement.
D’autres sont capables de voir des objets et leur mouvement mais sont
incapables de les situer dans l’espace. La manière dont l’esprit dépend du
cerveau, et la manière dont ses pouvoirs peuvent être perturbés, défient le bon
sens. Ici, comme ailleurs en science, la façon dont les choses apparaissent est
souvent un guide insuffisant pour connaître la manière dont elles sont
réellement.
L’affirmation que nous pouvons faire l’expérience de la conscience sans le
sentiment habituel du moi – c’est-à-dire qu’il n’y a pas de cavalier sur le
cheval – s’appuie sur un sol solide du point de vue neurologique. Quelle que
soit la cause qui amène le cerveau à produire la fausse notion qu’il y a un
penseur logé quelque part à l’intérieur de ma tête, il est logique de penser
qu’il puisse aussi arrêter de la produire. Et dès qu’il le fait, notre vie
intérieure devient plus fidèle aux faits.
Comment pouvons-nous savoir que le sentiment habituel du moi est une
illusion ? Quand nous le regardons de près, il s’évanouit. C’est frappant, de
la même manière que l’est la disparition d’une illusion quelconque : vous
pensiez qu’une chose était là, mais après une inspection plus serrée, vous
voyez qu’elle n’y est pas. Ce qui ne survit pas à un examen minutieux ne peut
pas être réel.
L’exemple classique tiré de la tradition indienne est celui d’une corde
enroulée, que l’on confond avec un serpent : imaginez que vous aperceviez
un serpent dans le coin d’une pièce ; vous voilà immédiatement saisi par la
peur. Mais vous remarquez que le serpent ne bouge pas. Vous regardez de
plus près et vous voyez qu’il paraît ne pas avoir de tête – et soudain vous
remarquez les cordons de fibres enroulées que vous avez confondus avec des
écailles. Vous vous rapprochez encore et vous voyez maintenant clairement
que c’est une corde. Un sceptique pourrait se demander : « Comment savez-
vous que la corde est réelle et que le serpent est une illusion ? » Cette
question peut sembler raisonnable, mais uniquement à une personne qui n’a
pas vécu cette expérience de regarder un serpent de près et de le voir
disparaître. Étant donné que le serpent disparaît toujours pour devenir une
corde, et que ce n’est pas le contraire qui arrive, il n’y a simplement pas de
base empirique pour se former un tel doute.
La méditation
Au-delà de la dualité
Pensez à quelque chose de plaisant dans votre vie personnelle – visualisez le moment où
vous avez accompli quelque chose dont vous êtes fier ou lorsque vous avez ri de bon cœur
avec un ami. Prenez une minute pour le faire. Notez la manière dont la simple pensée du
passé fait naître un sentiment au présent. Mais est-ce que la conscience elle-même se sent
heureuse ? Est-elle véritablement changée ou colorée par ce qu’elle connaît ?
Dans les enseignements dzogchen, on dit souvent que les pensées et les émotions
surviennent dans la conscience à la manière dont les reflets apparaissent à la surface d’un
miroir. C’est seulement une métaphore, mais elle éclaire bien l’idée que l’on peut se faire de
la nature de l’esprit. Est-ce qu’un miroir est amélioré par de beaux reflets ? Non. On peut dire
la même chose de la conscience.
Maintenant pensez à quelque chose de déplaisant : peut-être avez-vous été récemment
dans l’embarras ou avez-vous reçu une mauvaise nouvelle. Peut-être y a-t-il un événement
futur qui vous rend anxieux ? Notez les sentiments qui surviennent à la suite de ces pensées.
Ce sont aussi des apparences dans la conscience. Ont-ils le pouvoir de changer ce que la
conscience est en elle-même ?
On peut trouver une liberté réellement de cette façon, mais il sera peu vraisemblable que
vous la trouviez sans regarder soigneusement dans la nature de la conscience, encore et
encore. Notez la manière dont les pensées continuent à survenir. Même en lisant cette page
votre attention a sûrement été détournée plusieurs fois. De tels vagabondages de l’esprit sont
l’obstacle premier à la méditation. La méditation n’exige pas la suppression de telles pensées,
mais elle demande que nous soyons conscients des pensées dès qu’elles émergent et que nous
les reconnaissions comme des apparences transitoires dans la conscience. En termes
subjectifs, vous êtes la conscience elle-même – vous n’êtes pas la prochaine image
évanescente, ni la chaîne de mots qui apparaissent dans votre esprit. Mais si vous ne voyez
pas survenir la prochaine pensée, vous aurez l’impression qu’elle est devenue ce que vous
êtes.
Mais comment pourriez-vous être vraiment une pensée ? Quel que soit leur contenu, les
pensées s’évanouissent presque à l’instant où elles apparaissent. Elles sont comme des sons,
ou des sensations fugaces dans votre corps. Comment la pensée pourrait-elle définir
véritablement votre subjectivité ?
Il faut des années pour observer les contenus de la conscience – ou peut-être seulement
quelques moments – mais il est tout à fait possible de réaliser que la conscience elle-même
est libre, quel que soit ce qui se produit en elle. La méditation est une pratique pour découvrir
cette liberté directement, en brisant l’identification avec la pensée et en permettant au
continuum de l’expérience, plaisant ou déplaisant, d’être simplement tel qu’il est. Il y a de
nombreuses techniques traditionnelles pour le faire. Mais il est important de réaliser que la
véritable méditation n’est pas un effort pour produire un certain état d’esprit – comme la
béatitude, des images visuelles inhabituelles, ou un amour pour tous les êtres sensibles. De
telles méthodes existent aussi, mais elles servent une fonction plus limitée. L’objectif plus
profond de la méditation est de reconnaître ce qui est commun à tous les états d’expérience,
qu’ils soient plaisants ou déplaisants. Le but est de réaliser à chaque instant les qualités
intrinsèques de la conscience, quel que ce soit ce qui apparaît en elle.
Quand vous êtes capable de vous reposer naturellement en étant simplement témoin de la
totalité de l’expérience, et quand les pensées elles-mêmes ont la possibilité de survenir et de
disparaître comme elles le veulent, vous reconnaissez que la conscience est intrinsèquement
indivise. Avec cette réalisation, vous serez complètement libéré du sentiment que vous
appelez « Je ». Vous continuerez à lire ce livre, bien sûr, mais il sera une apparence dans la
conscience, inséparable de la conscience elle-même – et le sentiment que vous êtes derrière
vos yeux, en train de lire, n'existera plus.
Un tel changement de perception ne consiste pas à penser de nouvelles pensées. Il est
assez facile de penser que ce livre n’est qu’une apparence dans la conscience. C’est une autre
affaire de le reconnaître comme tel, avant la survenue de la pensée.
Le geste qui déclenche cette réalisation pour la plupart des gens est une tentative pour
retourner la conscience sur elle-même – pour regarder ce qui est en train de regarder – et
pour constater, à l’instant même où vous vous cherchez vous-même, ce qui arrive à
l’apparente division entre le sujet et l’objet. Est-ce que vous avez encore l’impression que
vous êtes là, derrière vos yeux, en train de regarder un monde d’objets ?
Il est réellement possible de chercher le sentiment que vous appelez «Je » et d’échouer à
le trouver, d’une manière concluante.
Douglas Harding fut un architecte britannique qui, plus tard dans sa vie,
devint célèbre dans les cercles New Age pour avoir ouvert une nouvelle porte
sur l’expérience de l’absence du moi. Élevé chez les Frères Exclusifs de
Plymouth, une secte très stricte de chrétiens fondamentalistes, Harding
exprima de manière publique ses doutes avec une ferveur suffisante pour se
retrouver excommunié pour apostasie. Il déménagea plus tard avec sa famille
en Inde, où il passa des années, entreprenant un voyage vers la découverte du
moi, voyage qui culmina en une vision qu’il décrivit comme étant l’état
« d’absence de tête ». Je n’ai jamais rencontré Harding, mais après avoir lu
ses livres, j’ai peu de doute quant au fait qu’il tentait d’introduire ses
étudiants à la même compréhension que celle qui est la base de la pratique du
dzogchen.
Harding fut conduit à cette vision après avoir vu un autoportrait du
physicien et philosophe autrichien Ernst Mach, qui eut l’idée brillante de faire
un dessin de lui-même tel qu’il apparaissait à partir du point de vue de la
première personne V : « Si, par exemple, je suis allongé sur un canapé et
ferme l’oeil droit, l’image représentée par l’illustration suivante s’offrira à
mon œil gauche. Dans le cadre formé par le bord de mon sourcil, par mon
nez et par ma moustache, apparaît une partie de mon corps, la seule qui me
soit visible, et son environnement. » 116 Harding écrivit plus tard plusieurs
livres à propos de son expérience, y compris un petit volume très utile intitulé
Vivre sans tête. Il est à la fois amusant et instructif de noter que ses
enseignements ont été choisis comme objet de dérision par le scientifique
Douglas Hofstadter (en collaboration avec mon ami Daniel Dennett), un
homme d’un grand savoir et d’une grande intelligence qui, apparemment,
n’avait pas compris ce que disait Harding.
Voici un extrait du texte de Harding que Hofstadter a critiquée :
« Il m’arriva une chose incroyablement simple, pas spectaculaire le moins
du monde : je m’arrêtai de penser. Un état étrange, à la fois alerte et
engourdi, m’envahit. La raison, l’imagination et tout bavardage mental
prirent fin.
Pour la première fois les mots me firent réellement défaut. Le passé et
l’avenir s’évanouirent. J’oubliais qui j’étais, ce que j’étais, mon nom, ma
nature humaine, animale, tout ce que je pouvais appeler mien. C’était comme
si à cet instant je venais de naître, flambant neuf, sans pensée, pur de tout
souvenir. Seul existait le Maintenant, ce moment présent et ce qu’il me
révélait en toute clarté. Voir, cela suffisait. Et voir quoi ? Deux jambes de
pantalon couleur kaki aboutissant à une paire de bottines brunes, des
manches kaki amenant de part et d’autre à une paire de mains roses, et un
plastron kaki débouchant en haut sur… absolument rien ! Certainement pas
une tête.
Je découvris instantanément que ce rien, ce trou où aurait dû se trouver
une tête, n’était pas une vacuité ordinaire, un simple néant. Au contraire, ce
vide était très habité. C’était un vide énorme, rempli à profusion, un vide qui
faisait place à tout – au gazon, aux arbres, aux lointaines collines ombragées
et, bien au-delà d’elles, aux cimes enneigées semblables à une rangée de
nuages anguleux parcourant le bleu du ciel. J’avais perdu une tête et gagné
un monde. Tout cela me coupait littéralement le souffle. Il me semblait
d’ailleurs que j’avais cessé de respirer, absorbé par Ce-qui-m’était-donné :
ce paysage superbe, intensément rayonnant dans la clarté de l’air, solitaire
et sans soutien, mystérieusement suspendu dans le vide, et (en cela résidaient
le vrai miracle, la merveille et le ravissement) totalement exempt de « moi »,
indépendant de tout observateur. Sa présence totale était mon absence totale,
de corps et d’esprit. Plus léger que l’air, plus translucide que le verre,
entièrement détaché de moi-même, je n’étais nulle part à la ronde. (…) En
dehors de l’expérience elle-même ne surgissait aucune question, aucune
référence, seulement la paix, la joie sereine, et la sensation d’avoir laissé
tomber un insupportable fardeau. (…) J’avais été aveugle à cette réalité
unique et toujours présente – sans laquelle il est vrai que je suis aveugle – à
ce qui remplace si avantageusement ma tête, cette clarté illimitée, ce vide
lumineux d’une pureté absolue. Et ce vide EST toutes choses, plus qu’il ne les
contient. Car j’ai beau observer avec un maximum d’attention, je n’arrive
même pas à trouver ici le moindre écran sur lequel se projetteraient ces
montagnes, et ce soleil, et ce ciel, pas même un miroir parfait les reflétant, ni
une lentille transparente, ni un orifice au travers duquel je les verrais –
encore moins une âme ou un esprit à qui elles seraient présentées, ou un
observateur (fût-ce une ombre) qui puisse se distinguer de la chose observée.
Absolument rien ne vient s’interposer, pas même cet obstacle déconcertant et
trompeur appelé distance : le ciel immense et bleu, les neiges et leur
blancheur ourlée de rose, le vert intense de l’herbe - comment les percevrais-
je avec une impression de distance ? En l’absence d’observateur, il n’y a rien
ni personne qui puisse les reléguer à distance. Ici, ce vide-sans-tête échappe
à toute défintion et à toute localisation : il n’est pas rond, ni étriqué, ni vaste,
ni même ici, un ici différent d’un là-bas. » 117.
L’affirmation de Harding selon laquelle il n’avait pas de tête doit
s’entendre du point de vue de la première personne ; il ne voulait pas dire
qu’il avait été littéralement décapité. Du point de vue de la première
personne, son insistance sur l'absence de tête est un coup de génie qui offre
une description inhabituellement claire de ce à quoi ressemble la vision de la
non-dualité de la conscience.
Voici les « réflexions » de Hofstadter sur le texte de Harding : « On nous
présente ici une charmante vision infantile et mystique de la condition
humaine. C'est quelque chose qui, au niveau intellectuel, nous irrite et nous
consterne : est-ce que quelqu'un peut sincèrement envisager de telles idées
sans en être gêné ? Cependant, à un certain niveau primitif en nous, cela a
du sens. C’est le niveau où nous ne pouvons pas accepter l’idée de notre
propre mort. » 118 Ayant exprimé sa pitié pour ce vieux timbré de Harding,
Hofstadter continue d’interpréter ses intuitions comme une négation
solipsiste de la mortalité – une perpétuation de l’illusion infantile que « je
suis un ingrédient nécessaire de l’univers ». Cependant, l’idée de Harding
était que le «Je » n’est même pas un ingrédient, nécessaire ou pas, de son
propre esprit. Ce que Hofstadter échoue à réaliser c’est que le compte rendu
de Harding contient une instruction précise et empirique : recherchez ce que
vous appelez « Je » sans être distrait par le courant souterrain très subtil de la
pensée – et notez ce qui arrive au moment où vous retournez la conscience
sur elle-même.
Ceci illustre un phénomène très commun dans les milieux scientifiques et
laïques : nous avons ici un contemplatif comme Harding qui, aux yeux de
tous ceux qui sont familiers avec l’expérience de la transcendance du moi, l’a
décrite d’une manière presque parfaite et nous avons d’autre part un érudit
comme Hofstadter, célèbre pour sa contribution à notre compréhension
moderne de l’esprit, qui le méprise en le prenant pour un enfant.
Avant de rejeter le compte rendu de Harding comme étant simplement
idiot, vous devriez faire cette expérience par vous-même.
Une fois encore, l’état sans moi n’est pas une caractéristique « profonde »
de la conscience. Il est directement là, à la surface. Et cependant des gens
peuvent méditer pendant des années sans le reconnaître. Après avoir été
introduit à la pratique dzogchen, j’ai réalisé que la plupart du temps que
j’avais passé à méditer avait été une manière active d’ignorer la vision même
que je recherchais.
Comment une chose peut-elle être directement à la surface de l’expérience
et cependant être difficile à voir ? J’ai déjà évoqué une analogie avec la tache
aveugle. Mais d’autres analogies peuvent donner un sentiment plus clair du
changement subtil d’attention qui est demandé pour voir ce qui est
directement devant les yeux.
Nous avons tous fait l’expérience de regarder au travers d’une fenêtre et
de remarquer soudain notre propre reflet dans la vitre. À ce moment-là, nous
avons le choix : utiliser la fenêtre en tant que fenêtre et voir le monde au-delà,
ou l’utiliser en tant que miroir. Il est extraordinairement facile de passer
d’une façon de voir à l’autre, mais il est impossible de se concentrer
véritablement sur les deux simultanément. Ce changement offre une très
bonne analogie à la fois de ce à quoi ressemble la reconnaissance de l’illusion
du moi pour la première fois et de la raison pour laquelle cela prend si
longtemps pour la voir.
Imaginez que vous vouliez montrer à une autre personne comment une
fenêtre peut aussi fonctionner comme un miroir. Il se trouve que votre ami
n’a jamais vu cet effet et qu’il est tout à fait sceptique concernant ce que vous
dites. Vous dirigez son attention sur la fenêtre la plus large de votre maison,
et bien que les conditions soient parfaites pour qu’il voie son reflet, il est
immédiatement captivé par le monde qu’il y a à l’extérieur. Quelle belle vue !
Qui sont tes voisins ? C’est un sequoia ou un sapin de Douglas ? Vous
commencez à lui dire qu’il y a deux visions et que le reflet de votre ami est
devant lui à l’instant même, mais il ne remarque que le chien du voisin qui
vient de se glisser par la porte de devant et qui fonce maintenant sur le
trottoir. À chaque instant, il est clair pour vous que votre ami regarde
directement au travers de son reflet sans le voir.
Bien sûr, vous pourriez aisément diriger son attention vers la surface du
miroir en touchant la vitre avec votre main. Cela ressemblerait assez à
« l’introduction à la nature de l’esprit » du dzogchen. Cependant, voilà où
l’analogie commence à perdre sa validité. Il est très difficile d’imaginer que
quelqu’un puisse ne pas voir son reflet dans une fenêtre après avoir regardé
pendant des années – mais c’est ce qui arrive pourtant quand quelqu’un
commence une pratique spirituelle. La majorité des techniques de méditation
sont, en fait, des manières élaborées pour regarder au travers de la fenêtre
dans l’espoir que, si l’on voit un jour le monde en plus grand détail, une
image de son visage originel apparaîtra enfin. Imaginez un enseignement
comme celui-ci : si vous vous concentrez sur les arbres qui bougent en
dehors de la fenêtre sans distraction, vous verrez votre visage originel. Une
instruction de ce genre serait indubitablement un obstacle pour voir ce qui
sans elle pourrait être vu directement. Presque tout ce qui a été dit ou écrit
concernant la pratique spirituelle, et même la plupart des enseignements que
l’on trouve dans le bouddhisme, conduisent une personne à regarder le
monde au-delà de la vitre, et donc en obscurcissant les choses depuis le
début.
Mais il faut bien commencer quelque part. Et la vérité c’est que la plupart
des gens sont trop distraits par leurs pensées pour que l’absence du moi de la
conscience puisse être pointée directement. Et même s’ils sont prêts à la voir,
ils ne comprendront vraisemblablement pas sa signification. Harding avouait
que la plupart de ses étudiants reconnaissaient l’état « sans tête » mais
demandaient aussitôt : « Et alors ? ». Il est en fait très difficile de répondre à
ce « Et alors ? ». C’est pourquoi certaines traditions, comme le dzogchen,
considèrent que les enseignements concernant la non-dualité intrinsèque de la
conscience doivent rester secrets, et réservés aux étudiants qui ont passé un
temps considérable à pratiquer d’autres formes de méditation. À un certain
niveau, l'exigence de maîtriser d’autres pratiques préliminaires est purement
pragmatique – car à moins qu’on ait la concentration demandée et la pleine
présence d’esprit nécessaire pour réellement suivre les instructions de
l’enseignant, on aura tendance à se perdre dans la pensée et à ne rien
comprendre du tout. Mais il y a une autre raison pour différer ces
enseignements non duels : à moins qu’on ait passé un certain temps à
rechercher de manière dualiste à transcender le moi, on ne reconnaîtra sans
doute pas que le bref aperçu sur l’absence du moi qu’on vient d’avoir est en
réalité la réponse à notre recherche. Si à ce moment-là on demande « Et
alors ? » face à ces enseignements les plus élevés, il n'y a rien d'autre à faire
que de continuer dans son erreur.
Le paradoxe de l’acceptation
Il semblerait que très peu de bonnes choses dans la vie puissent venir de
notre acceptation du moment présent tel qu’il est. Pour être éduqués, par
exemple, nous devons être motivés par le fait d’apprendre. Maîtriser un sport
demande que nous améliorions continuellement nos performances et que
nous dépassions notre résistance à l’épuisement physique. Pour devenir une
meilleure épouse, ou un meilleur parent, nous devons souvent faire un effort
délibéré pour nous changer nous-mêmes. Le fait d’accepter que nous soyons
paresseux, distraits, mesquins, facilement portés à la colère, et enclins à
gaspiller notre temps d’une manière que nous regretterons plus tard, n’est pas
un chemin vers le bonheur.
Et cependant, il est vrai que la méditation demande une acceptation totale
de ce qui est donné dans le moment présent. Si vous êtes blessé et que vous
souffrez, le chemin vers la paix mentale peut être franchi en un instant :
acceptez simplement la douleur telle qu’elle arrive, tout en faisant tout ce
qu’il est nécessaire de faire pour aider le corps à guérir. Si vous êtes stressé
avant de prononcer un discours, décidez de ressentir pleinement cette anxiété,
de sorte qu’elle devienne une configuration d’énergie anodine dans votre
esprit et dans votre corps. Embrasser les contenus de la conscience à tout
moment est une manière très puissante de s’entraîner à répondre
différemment à l’adversité. Cependant, il est important de distinguer entre le
fait d’accepter des sensations déplaisantes et des émotions comme une
stratégie – tout en espérant en secret qu’elles s’en iront – et véritablement les
accepter en tant qu’apparences transitoires dans la conscience. Seul ce dernier
geste ouvre la porte à la sagesse et à un changement durable. Le paradoxe est
que nous pouvons devenir plus sages, être davantage compatissants et vivre
des vies plus satisfaisantes en refusant d’être celui que nous avons eu
tendance à être dans le passé. Mais nous devons aussi nous détendre, en
acceptant les choses telles qu’elles sont dans le présent, tout en nous efforçant
de nous changer nous-mêmes.
Cette pratique peut être combinée avec les autres techniques décrites dans ce livre, et en
particulier avec l’attention à la respiration et la méthode de « La vision Sans Tête » de
Douglas Harding.
On n’a pas besoin de voyager bien loin dans les cercles spirituels pour
rencontrer des gens qui sont fascinés par l’« expérience de mort imminente »
(EMI). Le phénomène a été décrit de la façon suivante :
« Les caractéristiques qui reviennent fréquemment comprennent des
sentiments de paix et de joie ; une impression d'être en dehors de son corps et
d'observer les événements qui se passent autour de son propre corps et,
parfois, à partir d'un point de vue distant spatialement ; une cessation de la
douleur ; la vision d'un tunnel vide et noir ; le fait de voir une lumière
inhabituellement brillante, parfois vécue comme un « être de lumière » qui
rayonne d'amour et qui peut parler, ou du moins communiquer avec la
personne ; la rencontre d’autres êtres, souvent des personnes décédées, que
celui qui fait l’expérience reconnaît ; l’expérience de revivre des souvenirs,
et même une vision complète de sa vie passée, parfois accompagnés de
sentiments de jugement ; la vision « d’autres royaumes », souvent d’une
grande beauté ; la sensation qu’il y a une barrière ou une limite au-delà de
laquelle la personne ne peut aller ; et le retour dans le corps, souvent à
contrecœur ». 129
De tels compte-rendus ont conduit de nombreuses personnes à croire que
la conscience est indépendante du cerveau. Cependant, ces expériences
varient d’une culture à l’autre, et aucune caractéristique singulière n’est
commune à elles toutes. On pourrait penser que si un domaine non physique
était véritablement étudié, des caractéristiques universelles seraient mises en
évidence. Les hindouistes et les chrétiens ne se trouveraient pas
substantiellement en désaccord – et on ne s’attendrait certainement pas que
l’état après la mort chez les Indiens du Sud diverge de celui des Indiens du
Nord, comme cela a pu être rapporté 130. De même, le fait que seulement 10 à
20 % des personnes qui ont approché une mort clinique se rappellent avoir
vraiment eu des expériences devrait aussi troubler les enthousiastes des
EMI 131.
Mais le problème le plus délicat dans le fait de tirer des conclusions
catégoriques à partir des EMI est que ceux qui en ont fait l'expérience et qui
en ont parlé ensuite ne sont pas morts. En fait, nombre de ces personnes
paraissent n’avoir pas été en réel danger de mort. Et celles qui ont rapporté
avoir quitté leur corps pendant une urgence médicale véritable – après un
arrêt cardiaque, par exemple – n’ont pas souffert d’une perte complète de
l’activité cérébrale. Même dans les cas où le cerveau est supposé s'être arrêté,
son activité est revenue puisque le sujet a survécu et a décrit son expérience.
Dans de tels cas, il n’y a absolument aucune manière de vérifier que l’EMI
s’est produite pendant que le cerveau était débranché.
Beaucoup de ceux qui ont étudié les EMI déclarent que certaines
personnes ont quitté leur corps et ont perçu l’agitation provoquée par leur
décès : les efforts des équipes hospitalières pour les ressusciter, le travail
chirurgical, la peine des membres de la famille. Certains sujets ont même dit,
alors même qu’ils voyageaient au-delà de leur corps, qu’ils avaient appris des
faits qui auraient été autrement impossibles à connaître – par exemple, un
secret raconté par un parent décédé, dont la vérité a été plus tard confirmée.
De tels témoignages peuvent être facilement dus à l’illusion, ou même à des
mensonges délibérés. Il y a un autre problème, cependant : même s’ils sont
vrais, de tels phénomènes pourraient juste indiquer que l’esprit humain
possède des pouvoirs de perception extrasensorielle (la clairvoyance ou la
télépathie, par exemple). Ce serait certes une découverte étonnante, mais elle
ne démontrerait pas la survie après la mort. Pourquoi ? Parce que, à moins
que l’on puisse savoir que le cerveau du sujet ne fonctionnait pas quand les
impressions se sont formées, on doit présumer l’implication du cerveau 132.
Pour établir l’indépendance de l’esprit par rapport au cerveau, il faudrait
nécessairement présenter le cas d’une personne qui a eu une expérience –
quelle qu’elle soit – n’étant pas associée à une activité du cerveau. De temps
en temps, une personne déclare qu’une EMI spécifique respecte ce critère. Un
des cas les plus célèbres dans la littérature est celui d’une femme, Pam
Reynolds, qui a été opérée grâce à une technique connue sous le nom
d’« arrêt cardiaque hypothermique », au cours duquel la température de son
corps a été amenée au-dessous de 16 ° C, son cœur s’est arrêté, et la
circulation sanguine dans son cerveau a été suspendue de sorte qu’un
important anévrisme de l’artère basilaire a pu être réparé. Reynolds rapporte
avoir eu une EMI classique, complète, avec la conscience des détails de son
opération chirurgicale.
Son récit présente cependant plusieurs problèmes. Les événements dont
Reynolds déclare avoir été témoin pendant son EMI se sont produits avant
qu’elle fût « cliniquement morte » ou après que la circulation sanguine eût été
restaurée dans son cerveau. Autrement dit, en dépit des extraordinaires détails
de la procédure, nous avons toutes les raisons de croire que le cerveau de
Reynolds était en fonctionnement pendant qu’elle avait ces expériences. Son
cas n’a été publié que plusieurs années après qu’il se soit produit, et son
auteur, le Docteur Michael Sabom, est un chrétien évangélique qui a travaillé
pendant des décennies à justifier les significations transcendantes des EMI.
La possibilité que les préjugés de l’expérimentateur, la subordination des
témoins (bien qu’inconsciente), les faux souvenirs se soient immiscés dans ce
qui est considéré comme le meilleur de tous les cas enregistrés, est
malheureusement évidente.
La dernière EMI à avoir rencontré une large audience est apparue sur la
couverture du magazine Newsweek : « Le ciel est réel : l’expérience de
l’après-vie faite par un docteur ». La grande nouveauté de ce cas est que son
sujet, Eben Alexander, est un neurochirurgien qui, nous pouvons en faire
l’hypothèse, se trouvait compétent pour juger de la signification scientifique
de son expérience. Alexander a aussi écrit un livre : La Preuve du paradis :
voyage d’un neurochirurgien dans l’au-delà (2013, Editions Trédaniel), qui
est devenu instantanément un best-seller. D’ailleurs, il a surpassé un des
livres les mieux vendus de la décennie passée : Le Ciel, ça existe pour de vrai
, de Todd Burpo (2012, Editions Trésor Caché), un autre compte-rendu sur
l’au-delà, basé sur les aventures proches de la mort d’un enfant de quatre ans,
fils d’un pasteur. Sans que ce soit une surprise, les deux livres offrent des
vues incompatibles de ce qui nous attend au-delà de la prison du cerveau.
(Bien que son compte rendu soit très coloré, Alexander néglige de nous dire
que Jésus chevauche un cheval aux couleurs de l’arc-en-ciel ou que les âmes
des enfants morts doivent continuer à faire leurs devoirs au ciel). Au moment
où j’écris ces pages, le livre d’Alexander est classé numéro un sur la liste des
best-sellers du New York Times, et il figure sur cette liste depuis 56 semaines.
Le psychologue Raymond Moody, qui a inventé l’expression « expérience de
mort imminente (EMI) » a qualifié le témoignage d’Alexander comme étant
« le plus étonnant dont j'ai entendu parler en plus de quatre décennies
d'études de ce phénomène. [Il] est la preuve vivante de l’au-delà. » 133 Eh
bien, préparons-nous alors à être étonnés.
Il était une fois un neurochirurgien du nom d’Eben Alexander, qui
contracta une mauvaise méningite bactérienne et tomba dans le coma. Alors
qu’il était immobile sur son lit d’hôpital, il fit l’expérience de visions d’une
beauté si intense qu’elles changèrent tout – non seulement pour lui mais
également pour nous tous, et pour la science en totalité. Selon Alexander, son
expérience prouve que la conscience est indépendante du cerveau, que la
mort est une illusion et que le ciel existe – ajoutez à cela les anges habituels,
ses nuages, les parents qui sont décédés mais aussi des papillons et de belles
filles en costume paysan. Notre compréhension actuelle de l’esprit « gît
maintenant en morceaux à nos pieds », car, Alexander le déclare : « ce qui
m'est arrivé a détruit tout cela, et j'ai l'intention de passer le reste de ma vie
à enquêter sur la véritable nature de la conscience et à rendre aussi clair que
je le peux, à la fois pour mes collègues scientifiques et pour le public le fait
que nous sommes plus, bien plus, que nos cerveaux physiques. » 134
Comme les chapitres précédents de ce livre le montrent clairement, je
reste, à la différence de nombreux scientifiques et philosophes, agnostique
concernant la question de savoir comment la conscience est reliée au monde
physique. Il y a de bonnes raisons de croire que c’est une propriété émergente
de l’activité cérébrale, tout comme le reste de l’esprit humain. Mais nous ne
savons rien de la manière dont un miracle de ce genre peut se produire. Et si
la conscience était irréductible au cerveau – et même séparable du cerveau
d’une manière qui aurait réconforté Saint-Augustin – ma vision du monde
n’en serait pas bouleversée. Je sais que nous ne comprenons absolument pas
la conscience, et rien de ce que je pense connaître à propos du cosmos ou à
propos de la fausseté évidente de la plupart des croyances religieuses, me
demande de le nier. Donc, bien que je sois un athée dont on peut attendre
qu’il soit critique des dogmes religieux, je ne suis pas par réflexe hostile à des
déclarations du genre de celles qu’a faites Alexander. En principe, mon esprit
est ouvert. (Il l’est réellement.)
Cependant, presque rien dans le compte rendu d’Alexander ne résiste à
l’examen – et ce point est particulièrement pernicieux, étant donné qu’il
déclare être scientifique. Beaucoup de ses erreurs sont flagrantes mais
négligeables. Dans son livre, par exemple, il minore le nombre estimé de
neurones dans le cerveau humain d’un facteur de 10. D’autres sont tout à fait
accablantes pour son cas. Quelles que soient ses qualifications sur le papier,
l’évangélisation qu’Alexander fait de son expérience dans le coma est si
dépourvue de sobriété intellectuelle, pour ne rien dire de son absence de
rigueur, que je ne vois aucune raison de m’engager dans un dialogue avec lui
– sinon en raison du fait que son livre a été lu et cru par des millions de
personnes. Un des plus grands obstacles que je vois pour la construction
d’une approche rationnelle de la spiritualité, ce sont les superstitions
religieuses et les mascarades illusoires considérées comme de la science. De
ce fait, cela vaut la peine de considérer le cas d’Alexander en détails.
Premièrement, il y a des signes troublants que le bon docteur n’est
simplement qu’une autre victime du christianisme américain, car s’il déclare
avoir été incroyant avant son aventure dans le coma, il nous offre
l’autoportrait suivant :
« Bien que je me considérasse comme un bon chrétien, c’était bien plus un
nom qu’une foi véritable. Je n’en voulais plus à ceux qui désiraient croire
que Jésus était davantage que simplement un homme bon qui avait souffert
dans le monde. Je sympathisais profondément avec ceux qui désiraient croire
qu’il y a un Dieu quelque part là-bas qui nous aime inconditionnellement. En
fait, j’enviais de telles personnes pour la sécurité que ces croyances leur
fournissaient sûrement. Mais, en tant que scientifique, j’en savais trop pour y
croire moi-même. »
Ce que signifie être un « bon chrétien » sans « foi véritable » n’est pas
clairement explicité, mais peu de non-croyants seront surpris de constater que
le scepticisme scientifique de notre héros ne pourra rien contre son
conditionnement religieux. La plupart d’entre nous ont assez d’expérience
pour savoir que nombre « d’anciens athées », comme Francis Collins III, ayant
passé tant de temps au bord de la foi et ayant désiré ses consolations
émotionnelles avec une telle intensité vampirique, tombent directement dans
l’abîme à la moindre brise. Pour Collins, souvenez-vous, la seule chose qu’il
lui a fallu pour établir la divinité de Jésus et la résurrection future des morts a
été de regarder une cascade gelée. Comme nous le verrons, Alexander semble
avoir eu besoin d’une chevauchée sur un papillon psychédélique. Dans
chaque cas, ce n’est pas la perception de la beauté que nous devons contester,
mais l’absence définitive de sérieux intellectuel avec lequel l’auteur
l’interprète.
Tout dans le compte rendu d’Alexander repose sur son assertion répétée et
non prouvée que ses visions du paradis se sont produites alors que son cortex
cérébral était « éteint », « inactivé », « complètement débranché »,
« totalement court-circuité », et « choqué jusqu’à être complètement inactif ».
Il prétend que l’arrêt de l’activité corticale était « évident en raison de la
gravité et de la durée de sa méningite, et en raison de l’implication corticale
globale attestée par des scans TDM IV et des examens neurologiques ». Pour
ses éditeurs, tout cela ressemblait à de la science.
Malheureusement, la preuve qu’Alexander offre – dans l’article, et lors
d’une réponse qu’il fit par la suite à ma critique publique, dans son livre, et
dans de multiples interviews – montre qu’il ne comprend pas ce qui
constituerait une preuve irréfutable de son affirmation d’une inactivité
corticale. La preuve qu’il donne est soit fallacieuse (les scans TDM ne
mesurent pas l’activité cérébrale) soit inappropriée (cela n’a aucune
importance, même légère, que sa forme de méningite ait été
« astronomiquement rare ») – et aucune combinaison d’erreurs et
d’inconséquences n’ajoute quoi que ce soit à la science réelle. Alexander ne
fait pas référence à des données fonctionnelles qui pourraient avoir été
acquises par IRM V, TEP VI et EEG VII – et il ne semble pas prendre conscience
non plus que c’est le genre de preuves nécessaires pour démontrer son cas.
Ce qui empêche de prendre les allégations d’Alexander au sérieux peut être
simplement formulé ainsi : Il n’y a aucune raison de croire que son cortex
cérébral était inactif au moment où il a fait son expérience de l’au-delà. Le
fait qu’Alexander pense qu’il a démontré la chose d’une autre façon – en
soulignant continuellement combien il était malade, la rareté des cas de
méningite par E. Coli, et la laideur de son scan TDM initial – témoigne d’un
mépris délibéré pour les interprétations plus probables de son expérience.
Apparemment, le cortex d’Alexander fonctionne aujourd’hui – il a, après
tout, écrit un livre – donc quels que soient les dommages structurels apparus
sur le scan, ils ne peuvent pas avoir été « globaux ». Dans le cas contraire, il
aurait alors fait la déclaration complètement folle que son cortex entier avait
été détruit et ensuite reconstitué. Le coma n’est pas associé à la cessation
complète de l’activité corticale de toute façon. En fait, les études par neuro-
imagerie montrent que les patients dans le coma (comme les patients sous
anesthésie générale) ont 50 à 70 % du niveau normal d’activité corticale 135.
Et, à ma connaissance, presque personne ne pense que la conscience dépend
simplement de ce qui se passe dans le cortex.
Pourquoi Alexander refuse-t-il de reconnaître ces éléments ? C’est, après
tout, un neurochirurgien qui prétend bouleverser la vision scientifique du
monde sur la base du fait que son cortex était en total repos au moment précis
où il jouissait de la meilleure journée de sa vie en compagnie d’anges. Même
si la totalité de son cortex était vraiment éteinte (et c’est là à nouveau une
déclaration incroyable), comment peut-il savoir que ses visions ne se sont pas
produites dans les minutes ou les heures qui ont suivies le retour des
fonctions du cerveau ? Le fait même qu’Alexander se rappelle son EMI
laisse penser que les structures corticales et subcorticales nécessaires à la
formation des souvenirs étaient actives à ce moment-là. Comment sinon
aurait-il pu se rappeler l’expérience ?
Non seulement Alexander apparaît bien ignorant de la science, mais il ne
réalise pas le nombre de personnes qui ont vécu des visions similaires à la
sienne alors qu’elles étaient sous l’influence de produits psychédéliques
comme la DMT VIII ou d’anesthésiques comme la kétamine. En fait, il affirme
même que l’effet de telles substances sur le cerveau et son expérience « ne
sont pas du tout comparables ». Mais voici la description que fait Alexander
de l’au-delà (telle qu’elle est racontée dans une interview) :
« J'étais une poussière sur une belle aile de papillon ; des millions
d'autres papillons volaient autour de nous. Nous étions en train de voler
parmi les fleurs, les bourgeons sur les arbres, et les fleurs s’ouvraient toutes
alors que nous volions à travers elles… (Il y avait) des cascades, des piscines
d’eau, des couleurs indescriptibles, et au-dessus il y avait des arcs de lumière
argentée et dorée et des hymnes magnifiques qui en descendaient. Des
hymnes indescriptiblement beaux. J’en vins plus tard à les qualifier
« d’anges », ces arcs de lumière dans le ciel. Je pense que ce mot est
probablement assez précis…
Puis nous sommes sortis de cet univers. Je me rappelle simplement avoir
vu toutes les choses qui reculaient et au début j’ai eu l’impression que ma
conscience était dans un vide noir et infini. C’était très confortable mais je
pouvais ressentir l’étendue de l’infini et ce qu’il était, et c’était, comme vous
pouvez vous y attendre, impossible à mettre en mots. J’étais là dans cette
présence divine qui n’est pas quelque chose que je pouvais complètement
voir et décrire, et avec une orbe de lumière brillante…
Ils dirent qu’il y avait de nombreuses choses qu’ils voulaient me montrer,
et ils ont continué à le faire. En fait, la totalité de cet univers aux dimensions
plus élevées était cette boule ondulée, incroyablement complexe, et tous ces
enseignements à son sujet pénétraient en moi. Une partie des enseignements
nécessitait que je devienne ce qu’on me montrait. C’était indescriptible. » 136
« Ne sont même pas comparables » ? Son expérience ressemble tellement
à un trip par DMT que nous sommes non seulement dans le même domaine,
mais nous parlons exactement des mêmes choses. Tout ce qu’Alexander
décrit concernant son expérience, y compris les parties que j’ai laissées de
côté, a été rapporté par des consommateurs de DMT. La similarité est
troublante. Voici comment Terence McKenna IX a décrit la transe typique
obtenue avec la DMT :
« Sous l'influence de la DMT le monde devient un labyrinthe arabe, un
palais, un joyau de Mars, vaste avec des motifs qui remplissent l’esprit
ouvert d’un flot d’admiration complexe et inexprimable. La couleur et le
sentiment de débloquer un secret de la réalité envahissent l’expérience. On a
le sentiment de vivre d’autres temporalités, et on a le sentiment de sa propre
enfance, et on a un sentiment d’étonnement, d’étonnement et encore
d’étonnement. C’est une rencontre avec un nonce extraterrestre. Au milieu de
cette expérience, apparemment à la fin de l’histoire humaine, gardant des
portes qui semblent sûrement s’ouvrir sur un inexprimable maelström de vide
hurlant entre les étoiles, il y a l’Aeon.
L’Aeon, comme Héraclite l’a observé avec prescience, est un enfant qui
joue avec des balles colorées. De nombreux petits êtres sont présents là – des
mômes, des elfes de la machine autotransformatrice de l’hyperespace. Sont-
ils les enfants destinés à être le père de l’homme ? On a l’impression d’entrer
dans une écologie d’âmes se trouvant au-delà des portails de ce que nous
appelons naïvement la mort. Je ne sais pas. Sont-ils l’incarnation
synesthésique de nous-mêmes en tant que l’Autre, ou de l’Autre en tant que
nous-mêmes ? Sont-ce là les elfes perdus de vue depuis l’évanouissement de
la lumière magique de l’enfance ? Il y a ici quelque chose de formidable et
d’à peine discernable, une épiphanie au-delà de nos rêves les plus fous. Voici
le royaume de ce qui est plus étranger que nous ne pouvions le supposer.
Voici les mystères, vivants, indemnes, encore nouveaux pour nous et tels que
nos ancêtres les ont vécus, il y a quinze mille étés. Les entités tryptaminiques
nous offrent le don d’un nouveau langage, elles chantent en voix perlées qui
pleuvent comme des pétales colorés, et s’écoulent dans l’air comme un métal
chaud pour devenir des jouets et des cadeaux tels que les dieux en
donneraient à leurs enfants. Le sentiment de connexion émotionnelle est
terrifiant et intense. Les mystères révélés sont réels et s’ils étaient pleinement
racontés ne laisseraient aucune pierre tenir debout dans ce petit monde où
nous sommes devenus si malades.
Ce n’est pas le monde mercuriel des ovnis, que l’on invoque sur des
collines solitaires ; ce n’est pas le chant des sirènes de l’Atlantide perdue,
gémissant dans le village de mobile homes de l’Amérique rendue folle par le
crack. La DMT n’est pas une de nos illusions irrationnelles. Je crois que ce
dont nous faisons l’expérience avec la DMT, ce sont des informations réelles.
C’est une dimension proche – effrayante, transformante, et au-delà de notre
pouvoir d’imagination, et qui reste cependant à être explorée d’une façon
normale. Nous devons y envoyer des experts intrépides, quoi que cela puisse
signifier, pour qu’ils l’explorent et nous en ramènent ce qu’ils y auront
trouvé ». 137
Alexander croit que son cerveau ne pourrait pas avoir produit ses visions
parce qu’elles étaient trop « intenses », trop « réelles », trop « belles », trop
« interactives », et trop baignées de signification pour qu’elles aient été
produites par un cerveau. Il pense aussi que ses visions n’auraient pas pu se
produire pendant les minutes ou les heures où son cortex (qui ne s’était
sûrement pas éteint) s’est rallumé. Mais il a simplement ignoré ce que des
personnes avec des cerveaux qui fonctionnent expérimentent sous l’influence
de produits psychédéliques. Il ne paraît pas savoir que les visions que
McKenna décrit, bien qu’elles puissent sembler durer des ères entières, ne
demandent qu’une brève durée de temps biologique. À la différence du LSD
et d’autres produits psychédéliques qui agissent longuement, la DMT n’altère
la conscience que pendant quelques minutes. Alexander aurait eu largement
le temps de faire l’expérience d’une extase visionnaire alors qu’il sortait de
son coma (que son cortex fût ou non en train de se remettre en marche).
Alexander sait que la DMT existe déjà dans le cerveau en tant que
neurotransmetteur. Est-ce que son cerveau a fait l’expérience d’une poussée
de libération de DMT pendant son coma ? Dans son livre, il rejette cette
possibilité en réitérant une déclaration non fondée sur laquelle l’ensemble de
son compte rendu repose : la DMT demanderait un cortex en fonctionnement
sur lequel agir, tandis que son cortex « n'était pas disponible pour être
affecté ». Des expériences semblables peuvent être obtenues avec la
kétamine, un anesthésique chirurgical que l’on utilise à l’occasion pour
protéger un cerveau traumatisé. Alexander a-t-il reçu par hasard de la
kétamine alors qu’il était à l’hôpital ? A-t-il reçu un autre anesthésiant qui
pourrait produire un spectre semblable à des doses faibles ? Pense-t-il que
cela serait significatif s’il en avait reçu ? Son affirmation qu’un produit
psychédélique comme la DMT, ou d’un anesthésiant comme la kétamine, ne
peut pas « expliquer la sorte de clarté, la riche interactivité, les nombreuses
couches de compréhension » dont il a fait l’expérience, est peut-être la chose
la plus étonnante qu’il ait dite depuis qu’il est revenu du paradis. On sait
universellement que de telles substances produisent ces résultats. Et la plupart
des scientifiques croient que les effets certains des produits psychédéliques
indiquent que le cerveau est au moins impliqué dans la production d’états
visionnaires de la sorte dont parle Alexander.
La connaissance de l’au-delà qu’Alexander déclare posséder dépend aussi
de certaines méthodes de vérification extraordinairement douteuses. Bien
qu’il ait été dans le coma, il a vu une belle fille qui chevauchait à côté de lui
sur les ailes d’un papillon. Nous apprenons dans son livre qu’il a élaboré le
souvenir de cette expérience sur une période de plusieurs mois – en écrivant
dessus, en y pensant, et en l’approfondissant à la recherche de nouveaux
détails. Il serait difficile d’imaginer une meilleure manière de fabriquer une
distorsion des souvenirs.
Alexander nous dit aussi qu’il a eu une sœur biologique qu’il n’a jamais
rencontrée, morte quelques années avant son coma. En voyant sa
photographie pour la première fois après avoir recouvré la santé, il a décidé
que cette femme était la fille qui l’avait rejoint pour ce voyage en papillon. Il
a cherché d’autres confirmations en parlant avec sa famille biologique, par
laquelle il a appris que sa sœur décédée, avait toujours été, en fait, « très
aimante ». CQFD.
Comme je l’ai dit partout dans ce livre, j’ai passé la plus grande partie de
ma vie à étudier et à faire des recherches sur les expériences du genre de
celles qu’Alexander décrit. Je n’ai pas contracté de méningite, grâce à Dieu,
et je n’ai pas eu non plus d’EMI, mais j’ai fait l’expérience de nombreux
phénomènes qui ont souvent mené des gens à croire au surnaturel. Par
exemple, j’ai eu une fois la chance d’étudier avec le grand lama tibétain
Dilgo Khyentsé Rinpoche au Népal. Avant de faire le voyage, j’avais fait un
rêve dans lequel il semblait me donner des enseignements sur la nature de
l’esprit. Le rêve était intéressant pour deux raisons : les enseignements que
j’avais reçus étaient nouveaux, utiles et convergeaient avec ce que j’ai
compris plus tard être vrai ; je n’avais jamais rencontré Khyentsé Rinpoche,
et je n’étais pas non plus conscient d’avoir vu des photographies de lui. (Cela
a eu lieu cinq ans au moins avant que j’accède à Internet, de sorte que la
croyance que je n’avais jamais vu son portrait est plus plausible qu’elle ne le
serait aujourd’hui). Je me rappelle aussi que je n’avais pas de moyens faciles
pour me procurer des photographies de lui afin de me permettre une
comparaison. Mais comme j’étais sur le point de rencontrer l’homme lui-
même, je me dis que je serais capable de confirmer si c’était vraiment lui que
j’avais vu en rêve.
D’abord, les enseignements : dans mon rêve, le lama commença par me
demander qui j’étais. Je lui répondis en lui disant mon nom. Apparemment,
ce n’était pas la réponse qu’il attendait.
« Qui es-tu ? » dit-il encore. Il regardait maintenant fixement dans mes
yeux et pointait vers mon visage, un doigt dressé. Je ne savais pas quoi dire.
« Qui es-tu ? » dit-il encore une fois, en continuant de pointer.
« Qui es-tu ? » dit-il une dernière fois, mais ici la direction de son regard
changea soudain ainsi que celle de son doigt pointeur, comme s’il était
maintenant en train de s’adresser à quelqu’un qui était juste à ma gauche.
L’effet fut tout à fait étonnant, parce que je savais (dans la mesure où l’on
peut dire que l’on sait quelque chose dans un rêve) que nous étions seuls. Le
lama pointait vers quelqu’un qui n’était pas là, et je remarquais soudain ce
que j’allais comprendre plus tard être une vérité importante concernant la
nature de l’esprit : subjectivement parlant, il n’y a que la conscience et ses
contenus ; il n’y a pas un moi intérieur qui est conscient. Le sentiment de
regarder au-dessus de sa propre épaule, pour ainsi dire, est une illusion. Le
lama dans mon rêve semblait disséquer ce sentiment même d’être un moi et,
pendant un bref moment, le supprima de mon esprit. Je m’éveillai convaincu
que j’avais saisi quelque chose de tout à fait profond.
Après avoir fait le voyage au Népal et rencontré la figure saisissante de
Khyentsé Rinpoche en train d’instruire des centaines de moines au sommet
d’un trône recouvert de brocart, je fus frappé par le sentiment qu’il
ressemblait vraiment réellement à l’homme de mon rêve. Ce qui était encore
plus évident, cependant, c’était le fait que je ne pouvais pas savoir si cette
impression était véridique. Pas de doute, il aurait été beaucoup plus amusant
de croire que quelque chose de magique s’était produit et que j’avais été
choisi pour une certaine sorte d’initiation trans-personnelle – mais l’aspect
séduisant de cette croyance montrait plutôt qu’il fallait chercher des preuves
plus solides pour en tester la vérité. Et même si je n’avais pas de formation
scientifique à ce moment-là, je savais que la mémoire humaine n’est pas
fiable dans des situations de ce genre. Combien pouvais-je parier sur ce
sentiment de familiarité ? Étais-je vraiment en train de me rappeler le visage
d’un homme que j’avais rencontré dans un rêve, ou étais-je en train de le
reconstruire de manière imaginaire ? À tout le moins, l’expérience de déjà-vu
prouve que le sentiment d’avoir vécu quelque chose auparavant peut tromper
la mémoire. Mes connaissances des cercles spirituels m’avaient aussi mis en
contact avec de nombreuses personnes qui semblaient toutes trop désireuses
de s’illusionner à propos d’expériences de ce genre, et je ne voulais pas les
imiter. Étant donné ces considérations, je n’ai pas cru que Khyentsé Rinpoche
était réellement apparu dans mon rêve. Et je n’aurais jamais été certainement
tenté d’utiliser cette expérience comme preuve concluante du surnaturel.
J’invite le lecteur à comparer cette attitude avec celle que le docteur Eben
Alexander va probablement exhiber devant des foules de gens crédules
pendant le reste de sa vie. La structure de nos expériences était semblable.
Nous avions chacun l’occasion de comparer un visage que nous nous
rappelions à partir d’un rêve – ou d’une vision – avec une personne (ou une
photo) dans le monde réel. Je réalisais que la tâche était sans espoir.
Alexander croit qu’il a fait la plus grande découverte de l’histoire des
sciences.
Encore une fois, on ne peut rien dire contre l’expérience d’Alexander. Et
de telles extases nous apprennent quelque chose à propos du sentiment de
bien-être que l’esprit humain peut éprouver. Le problème est que les
conclusions qu’Alexander a tirées de son expérience – en tant que
scientifique, nous rappelle-t-il continuellement – sont basées sur des erreurs
flagrantes de raisonnement et des incompréhensions de la science en
question.
La réception enthousiaste dont Alexander a joui montre aussi une
confusion générale concernant la nature de l’autorité scientifique. La plupart
des critiques que j’ai reçues pour avoir rejeté son compte rendu se
concentrent sur ses références scientifiques apparemment impeccables.
Cependant, quand on débat de la validité des preuves et des arguments,
l’essentiel est que jamais les références d’une personne ne l’emportent sur
celles d’une autre. Les références offrent simplement une indication brute de
ce qu’une personne va vraisemblablement savoir – ou devrait savoir. Si
Alexander tirait des conclusions scientifiques raisonnables de son expérience,
il n’aurait pas besoin d’être neuroscientifique pour être pris au sérieux, il
pourrait être philosophe – ou mineur de charbon. Mais il ne pense
simplement pas comme un scientifique, et ainsi même une cohorte de prix
Nobel ne le protégerait pas de la critique 138.
Tel est le problème constant qu’on a avec des comptes-rendus de cette
sorte. Certaines personnes veulent si désespérément interpréter les EMI
comme une preuve de l’au-delà que même celles dont on attendrait qu’elles
aient un engagement fort envers le raisonnement scientifique balancent leurs
meilleures capacités de jugement par la fenêtre. La vérité est que, quoi qu’il
puisse arriver après la mort, il est possible de justifier une vie de pratique
spirituelle et de transcendance du moi, sans prétendre connaître des choses
que nous ne connaissons pas.
Lors de mon premier voyage au Népal, je pris un bateau sur le lac Phewa à
Pokhara, qui offre une vision étonnante sur la chaîne de l’Annapurna. C’était
tôt le matin, et j’étais seul. Alors que le soleil se levait sur l’eau, j’ai ingéré
400 microgrammes de LSD. J’avais vingt ans et j’avais pris cette drogue au
moins dix fois auparavant. Que pouvait-il se passer de mal ?
Tout, en fait. Bon, pas tout – je ne me suis pas noyé. J’ai un vague
souvenir d’avoir dérivé vers le rivage et d’avoir été entouré par un groupe de
soldats népalais. Après m’avoir observé pendant un moment, et comme je les
reluquais par-dessus le bord du bateau comme un fou, ils semblèrent sur le
point de décider quoi faire de moi. Après quelques mots polis dits en
espéranto et quelques coups de rame en folie, je fus sur le rivage et je
sombrai dans l’oubli. Je suppose que cela aurait pu se terminer différemment.
Car vite il n’y eut plus ni lac, ni montagnes, ni bateau – et si j’étais tombé
dans l’eau, je suis tout à fait sûr qu’il n’y aurait eu personne pour nager.
Pendant les heures suivantes, mon esprit devint l’instrument de ma propre
torture. Tout ce que je vécus alors fut un fracas et une terreur ininterrompus
pour lesquels je n’ai pas de mots.
Une expérience comme celle-là vous arrache quelque chose. Même si le
LSD et des drogues semblables sont biologiquement sans danger, elles ont le
pouvoir de produire des expériences extrêmement déplaisantes et
déstabilisantes. Je crois que j’ai été positivement affecté par mes bonnes
expériences, et négativement affecté par les mauvais trips, pendant des
semaines et des mois.
La méditation peut ouvrir l’esprit à une série similaire d’états de
conscience, mais de manière bien moins hasardeuse. Si le LSD ressemble au
fait d’être attaché à une fusée, apprendre à méditer est comme lever une voile
de bateau en douceur. Certes, il est possible, même en étant guidé, de voguer
vers certains endroits terrifiants, et certaines personnes ne devraient
probablement pas passer de longues périodes dans une pratique intensive de
méditation. Mais en général, le résultat d’un entraînement à la méditation est
d’être mieux dans sa peau et d’y souffrir moins.
Comme j’en ai discuté dans La Fin de la foi, je considère la plupart des
expériences psychédéliques comme étant potentiellement trompeuses. Les
produits psychédéliques ne garantissent pas la sagesse ni une claire
reconnaissance de la nature sans moi de la conscience. Ils garantissent
simplement que les contenus de la conscience changeront. De telles
expériences visionnaires, considérées dans leur totalité, m’apparaissent
comme étant éthiquement neutres. Par conséquent, il semble nécessaire de
diriger avec une autre règle les extases psychédéliques si on veut qu’elles
tendent vers notre bien-être personnel et collectif. Comme Daniel Pinchbeck
l’a souligné dans son livre extrêmement intéressant Breaking open the Head,
le fait que, les Mayas et les Aztèques, utilisèrent des produits psychédéliques,
tout en étant des pratiquants enthousiastes des sacrifices humains, rend
terriblement naïve toute connexion idéaliste entre le chamanisme basé sur les
plantes et une société éveillée.
La forme de transcendance qui semble s’associer directement au
comportement éthique et au bien-être humain est celle qui se produit au
milieu de la vie de l’état de veille ordinaire. C’est en cessant de nous
accrocher aux contenus de la conscience – à nos pensées, à nos humeurs et à
nos désirs – que nous faisons des progrès. Ce projet ne demande pas en
principe que nous fassions l’expérience de davantage de contenus. La
libération du moi, qui est à la fois le but et le fondement de la vie spirituelle,
coïncide avec la perception normale et la cognition normale – bien que,
comme je l’ai déjà dit, cela puisse être difficile à réaliser 143.
Les produits psychédéliques ont, cependant, la force de révéler souvent,
en l’espace de quelques heures, des profondeurs d’étonnement et de
compréhension qui pourraient autrement nous échapper pendant une vie
entière. William James a dit à ce propos des choses intéressantes : 144
« Une conclusion s'est imposée à mon esprit à cette époque-là, et mon
impression de sa vérité est restée depuis lors inébranlable. C'est que notre
conscience normale de l'état de veille, notre conscience rationnelle comme
nous l'appelons, n'est qu'un type spécial de conscience, alors qu’il y a tout
autour d’elle, séparées d’elle par le plus mince des écrans, des formes
potentielles de conscience entièrement différentes. Nous pouvons traverser la
vie sans soupçonner leurs existences ; mais exercez le stimulus requis, et des
types définis de mentalité sont là, à portée de main, dans leur totalité, et qui
ont probablement ailleurs leur champ d’application et d’adaptation. Aucun
compte rendu de l’univers dans sa totalité ne peut être complet s’il laisse de
côté ces autres formes de conscience. Comment les comprendre ? Telle est la
question – tellement elles sont séparées de la conscience ordinaire.
Cependant, elles peuvent déterminer des attitudes, bien qu’elles ne puissent
fournir des formules, et elles peuvent ouvrir une région bien qu’elles
échouent à en fournir la carte. Quoi qu’il en soit, elles interdisent de clore
prématurément notre explication de la réalité ». 145
Je crois que les produits psychédéliques sont indispensables à certaines
personnes – et spécialement pour celles qui, comme moi, ont au début le
besoin d’être convaincues que des changements profonds dans la conscience
sont possibles. Mais ensuite, il semble prudent de trouver des manières de
pratiquer qui ne présentent pas le même risque. Heureusement, de telles
méthodes sont largement à notre disposition.
Ce chapitre nous a emmenés au bord d’un précipice. Il est certain que des
expériences nouvelles et intenses – qu’elles aient lieu en compagnie d’un
gourou, au seuil de la mort, ou en ayant recours à certaines drogues – peuvent
nous faire tomber en vrille dans l’illusion. Mais elles peuvent aussi élargir
notre vision des choses.
Les buts de la spiritualité ne sont pas exactement ceux de la science, mais
ils ne sont pas non plus non scientifiques. Investiguez votre esprit, ou prêtez
attention aux conversations que vous avez avec d’autres personnes, et vous
allez découvrir qu’il n’y a pas de limite réelle entre la science et toutes les
autres disciplines qui tentent de défendre des points de vue valables
concernant le monde sur la base de preuves logiques. Quand de telles thèses
et leurs méthodes de vérification se basent sur des expériences et/ou des
descriptions mathématiques, nous avons tendance à dire que nos
préoccupations sont « scientifiques » ; quand elles portent sur des choses plus
abstraites, ou sur la cohérence de notre pensée elle-même, nous disons
souvent que nous devenons « philosophes » ; quand nous voulons simplement
savoir comment des gens se sont comportés dans le passé, nous qualifions
nos intérêts d’« historiques » ou de « journalistiques » ; et quand le rapport
d’une personne envers les preuves et la logique devient dangereusement
évanescent ou simplement disparaît sous le fardeau de la peur, de la pensée
magique, du tribalisme, ou de l’extase, nous disons qu’elle est « religieuse ».
Les séparations entre les véritables disciplines intellectuelles ne sont
généralement justifiées que par des budgets et des bâtiments universitaires.
Le suaire de Turin est-il une contrefaçon médiévale ? C’est une question
d’histoire, bien sûr, et d’archéologie, mais les techniques de datation au
radiocarbone en font également une question de chimie et de physique. Ce
qui est important – et dont l’observation est la condition sine qua non d’une
attitude scientifique – c'est d'exiger des raisons valables pour ce que l'on croit
et non de se satisfaire de mauvaises raisons. La spiritualité demande le même
engagement d’honnêteté intellectuelle.
Une fois que l’on a reconnu l’absence d’un moi dans la conscience, la
pratique de la méditation devient juste un moyen de devenir plus familier
avec cette découverte. Le but, ensuite, est de cesser de négliger ce qui est déjà
là. Paradoxalement, cela demande encore de la discipline, et dégager du
temps pour la méditation est indispensable. Mais la véritable discipline
consiste à s’engager, pendant toute sa vie, à s’éveiller du rêve du moi. Nous
n’avons pas besoin de nous baser sur la foi pour cela. En fait, l’autre
alternative c’est de rester dans la confusion concernant la nature de notre
esprit.
La conscience est à la fois le fondement d’une vie qu’on examine et d’une
vie qu’on n’examine pas. Elle est tout ce qui peut être vu et ce qui effectue la
vision. Peu importe jusqu’où vous avez voyagé depuis le lieu de votre
naissance, et peu importe la quantité de choses que vous comprenez
maintenant à propos du monde, vous avez exploré la conscience et ses
changements. Pourquoi ne pas le faire directement ?
I. Les Navy SEALs sont la principale force spéciale de la marine de guerre des Etats-Unis. N.d.T.
II. L’auteur cite le jeu War of the Warlocks, N.d.T.
III. Collins est un médecin généticien américain, chrétien évangélique, auteur d’un livre intitulé De
la génétique à Dieu, paru en 2006 et publié en français en 2010 (Presses de la Renaissance).N.d.T.
IV. TDM : tomodensitomètre, CT scan en anglais, c’est-à-dire analyse par scanner, N.d.T.
V. IRM: Imagerie par Résonance Magnétique, N.d.T.
VI. TEP : Tomographie par Émission de Positron, N.d.T.
VII. EEG : Electro-Encéphalo-Gramme, N.d.T.
VIII. La DMT, diméthyltryptamine (N,N-diméthyltryptamine), est un psychotrope puissant, N.d.T.
IX. Dans La nourriture des dieux en quête de l’arbre de la connaissance originelle, Georg
Editeur,1999
X. L’ecstasy ou MDMA (pour 3,4-méthylènedioxy-méthamphétamine) est une molécule
psychotrope de la classe des amphétamines, N.d.T.
XI. L’oxycodone, dihydrohydroxycodéinone, ou dihydro-oxycodéinone, est un analgésique
stupéfiant très puissant dérivé de la thébaïne. Il appartient à la famille des opioïdes. N.d.T.
XII. « Mind at Large », N.d.T.
XIII. Le dualisme est la thèse que l’esprit et le corps forment deux substances séparées, et donc
que l’esprit n’est pas – en totalité ou en partie – produit par le cerveau. N.d.T.
XIV. L’acide γ-aminobutyrique, souvent abrégé en GABA, est le principal neurotransmetteur
inhibiteur du système nerveux central chez les mammifères et les oiseaux. N.d.T.
XV. « Set and settings » N.d.T.
XVI. « Ces termes font référence à des substances qui semblent imiter ou causer les symptômes de
la psychose » (Note de Sam Harris)
Conclusion
1. Feu mon ami Christopher Hitchens – qui n’était pas ennemi du lexicographe – ne les partageait
pas non plus. Hitch croyait que le mot spirituel était un terme dont il était impossible de se passer.
Il est vrai qu’il ne pensait pas à la spiritualité précisément à la manière dont je le fais. Il parlait au
lieu de cela des plaisirs spirituels produits par certaines œuvres de poésie, de musique et d’art. La
symétrie et la beauté du Parthénon incarnaient l’extrême du bonheur pour lui – sans qu’il y ait eu
besoin d’admettre l’existence de la déesse Athéna, et encore moins de nous consacrer à son
adoration. Hitch utilisait aussi les termes de numineux et de transcendant pour signaler des
événements d’une grande beauté ou d’une grande signification, et pour lui le télescope Hubble
était un exemple des deux. (Je suis sûr qu’il était conscient que les excursions pédantes dans
l’OED, Oxford English Dictionnary, auraient produit des embarras étymologiques concernant ces
mots également.) Carl Sagan utilisait aussi librement le terme spirituel de cette manière. (Voir C.
Sagan, 1995, The Demon-Haunted World, New York : Random House, p. 29.) Je n’ai rien contre
l’usage général fait par Hitch et Sagan du terme spirituel pour signifier quelque chose comme
« beauté, ou signification qui provoque l’admiration », mais je crois que nous pouvons aussi
l’utiliser dans un sens plus étroit et, de fait, susceptible de plus nous transformer personnellement.
2. A. Huxley. [1945] 2009. The Perennial Philosophy : An Interpretation of the Great Mystics,
East and West. New York : Harper Perennial, p. vii. Traduction française, La philosophie
éternelle.
3. On peut parler du judaïsme sans ses mythes et ses miracles – et même sans Dieu – mais cela ne
fait pas du judaïsme l’équivalent du bouddhisme. Le bouddhisme, privé de ses éléments sans
preuve, est essentiellement une science de la première personne. Le judaïsme séculier ne l’est pas.
4. A. Rawlinson. 1997. The Book of Enlightened Masters. Chicago : Open Court, p. 38.
5. Pour un compte rendu amusant de la carrière de Blavatsky, voir P. Washington, 1993, Madame
Blavatsky’s Baboon, New York : Schocken.
6. On se demande comment il a été possible pour un charlatan comme L. Ron Hubbard d’avoir des
disciples, parce que chaque histoire le concernant est plus ridicule et embarrassante que la
précédente. Par exemple, Hubbard déclarait avoir retiré un de ses premiers livres de la publication
« parce que les six premières personnes qui l’ont lu ont été si anéanties par ses révélations qu’elles
en ont perdu l’esprit. » (L. Wright, 2013, Going Clear : Scientology, Hollywood and the Prison of
Belief, New York : Knopf). D’après Hubbard, quand il livra ce « texte dangereux à son éditeur :
“Le lecteur apporta le manuscrit dans la pièce, le posa sur le bureau de l’éditeur, puis sauta du
gratte-ciel par la fenêtre”. »
On pourrait se moquer encore bien davantage aux dépens de Hubbard. Cependant, plusieurs
lecteurs qui ont vu la version originelle de cette note l’ont trouvée si amusante qu’ils ont dû être
hospitalisés. Et c’est regrettable, j’ai été forcé de rectifier le texte par souci de la santé de mes
lecteurs.
7. A. Koestler, 1960, The Lotus and the Robot, New York : Harper & Row, p. 285. (en français, Le
Lotus et le Robot, Calmann-Lévy, 1961)
Koestler était aussi moins qu’impressionné par l’efficacité spirituelle des produits psychédéliques.
Voir A. Koestler. 1968. “Return Trip to Nirvana.” In Drinkers of Infinity : Essays 1955-1967.
London : Hutchinson, pp. 201-12.
8. C. Hitchens, 1998. “His Material Highness.” Salon.com
9. Les puristes insisteront sur des différences importantes entre les diverses écoles du bouddhisme,
et entre le bouddhisme et la tradition de l’advaita vedanta développée par Shankara (788-820).
Bien que j’évoque certaines de ces distinctions, je ne m’appesantis pas dessus. Je considère que ces
différences sont en général une question d’accentuation, de sémantique et de métaphysique (sans
pertinence) – et qu’elles sont trop ésotériques pour intéresser le lecteur moyen.
10. Les recherches sur les réponses pathologiques à la méditation sont tout à fait rares.
Traditionnellement, on croit que certains stades sur le chemin de la contemplation sont par nature
déplaisants et que certaines formes de douleur mentale devraient de ce fait être considérées comme
des signes de progrès. Il semble clair, cependant, que la méditation peut aussi accélérer ou
démasquer des maladies psychologiques. Comme avec tant d’autres entreprises, distinguer l’aide
du dommage dans chaque cas peut être difficile. Pour autant que je le sache, Willoughby Britton
est le premier scientifique à étudier ce problème systématiquement.
11. Considérez la sensation consistant à toucher votre nez avec votre doigt. Nous faisons
l’expérience du contact comme étant simultané, mais nous savons qu’il ne peut pas être simultané
au niveau du cerveau, parce qu’il faut plus de temps aux impulsions nerveuses pour voyager vers
le cortex sensoriel à partir du bout de votre doigt qu’il ne leur en faut à partir de votre nez – et ceci
est vrai peu importe que vos bras soient courts ou que votre nez soit long. Nos cerveaux corrigent
la divergence de temps en gardant ces impulsions en mémoire et ensuite en livrant le résultat à la
conscience. Ainsi, votre expérience du moment présent est le produit de souvenirs superposés.
12. F. Zeidan et al., 2011, “Brain Mechanisms Supporting the Modulation of Pain by Mindfulness
Meditation.” Pain 31: 5540-48 ; B. K. Holzel et al., 2011, “How Does Mindfulness Meditation
Work ? Proposing Mechanisms of Action from a Conceptual and Neural Perspective.”
Perspectives on Psychological Science 6 : 537-59 ; B. Kim et al., 2010, “Effectiveness of a
Mindfulness-Based Cognitive Therapy Program as an Adjunct to Pharmacotherapy in Patients with
Panic Disorder.” J. Anxiety Disord 24(6) : 590-95; K. A. Godfrin and C. van Heeri ngen. 2010.
“The Effects of Mindfulness-Based Cognitive Therapy on Recurrence of Depressive Episodes,
Mental Health and Quality of Life : A Randomized Controlled Study .” Behav. Res. Ther. 48(8) :
738-46; F . Zeidan, S. K. Johnson, B. J. Diamond, Z. David, and P. Goolkasian, 2010.
“Mindfulness Meditation Improves Cognition : Evidence of Brief Mental Training.” Conscious
Cogn. 19(2) : 597-605 ; B. K. Hölzel et al., 2011, “Mindfulness Practice Leads to Increases in
Regional Brain Gray Matter Density.” Psychiatry Res. 191(1) : 36-43.
13. Nanamoli, traduction originale, et Bodhi, traduction et édition 1995. The Middle Length
Discourses of the Buddha : A New Translation of the Majjhima Nikaya. Boston : Wisdom
Publications.
14. Quelle que soit la manière dont on limite le concept d’illumination, on ne peut pas échapper au
fait que la plupart des comptes rendus traditionnels la concernant, qu’ils soient bouddhistes ou
autres, attribuent une diversité de pouvoirs supranormaux aux adeptes spirituels. Y a-t-il une
preuve quelconque que les êtres humains puissent acquérir des capacités comme la clairvoyance et
la télékinésie ? En dehors d’anecdotes présentées par des personnes désespérées de croire à de tels
pouvoirs, nous pouvons dire que les preuves impressionnent par leur minceur. Traditionnellement,
les gourous et leurs dévots ont cherché à les découvrir de deux manières : le gourou va faire preuve
de divers siddhis (sanskrit : « pouvoirs ») pour divertir et persuader les fidèles – mais jamais d’une
manière telle qu’il satisfera les tests de véritables sceptiques. On nous dit invariablement que
produire des miracles à la demande serait un mauvais et grossier usage de la fonction d’un gourou.
Le dharma (sanskrit : « voie » ou « vérité »), est, après tout, plus précieux et plus profond que les
pouvoirs relatifs à ce monde. Il n’y a pas de doute qu’il l’est. Mais cela n’arrête pas la plupart des
gourous de s’en attribuer le mérite, ni les dévots de le leur accorder, dès que des coïncidences
aléatoires se produisent.
15. M. Ricard. 2007, Happiness : A Guide to Developing Life’s Most Important Skill, New York :
Little, Brown, p. 19. Version française : Plaidoyer pour le bonheur.
16. T. Nagel. 1974. “ What Is It Like to Be a Bat ?” Philosophical Review 83.
17. On pourrait défendre l’idée que cette notion « de changement de places » est pleine de
confusion, mais l’idée de Nagel selon laquelle la conscience est identique à l’expérience subjective
ne l’est pas.
18. Il est vrai que certains philosophes et neuroscientifiques refuseront d’aller plus loin ici. Daniel
Dennett, avec qui je suis d’accord sur de nombreuses choses, me dit que si je ne peux pas imaginer
la fausseté d’une déclaration comme « soit les lumières sont allumées, soit elles ne le sont pas »,
c’est que je ne fais pas assez d’efforts. Cependant, à propos d’une question aussi rudimentaire que
l’ontologie de la conscience, le débat se ramène souvent à des intuitions irréconciliables. Alors que
j’essaie de faire de mon mieux pour aller contre mon intuition que l’affirmation ci-dessus ne peut
être fausse, à un certain point une personne doit admettre qu’elle ne peut pas comprendre ce dont
ses opposants parlent.
19. L’image ne change pas (beaucoup) si vous êtes un dualiste qui croit que les cerveaux sont
conscients uniquement parce que la conscience est d’une certaine manière insérée en eux. Il y a de
nombreux problèmes avec le dualisme, mais même un dualiste doit convenir que la conscience
paraît être associée uniquement à des organismes d’une complexité suffisante. Que l’on soit ou pas
dualiste, on n’a pas de raison évidente de penser que cela fait quelque chose d’être une tomate.
20. Dire qu’une créature est consciente ce n’est pas faire une hypothèse concernant son
comportement ou son utilisation du langage, parce que nous pouvons trouver des exemples à la
fois de comportement et de langage sans conscience (un robot primitif) et d’une conscience sans
les deux (une personne souffrant du « lock-in syndrome »). Bien sûr, il est possible que certains
robots soient conscients – et si la conscience est le genre de chose qui se produit en vertu d’un
traitement de l’information, alors nos téléphones cellulaires et nos machines à café peuvent être
conscients. Mais peu de gens pensent que cela fait quelque chose d’être un ordinateur, même le
plus avancé. Quelle que soit sa relation avec le traitement de l’information, la conscience est une
réalité interne qui ne peut être comprise à partir de l’extérieur et qui n’a pas besoin d’être associée
à un comportement, ou une manière de répondre à des stimuli. Si vous en doutez, lisez The Diving
Bell and the Butterfly (en français Le Scaphandre et le Papillon) (1997), qui est le compte rendu
déchirant et étonnant de Jean-Dominique Bauby à propos de son propre «lock-in syndrome », qu’il
a dicté en le transmettant à une infirmière avec sa paupière gauche. Essayez ensuite d’imaginer son
problème si même ce degré de contrôle moteur lui avait été refusé.
21. Descartes est probablement le premier philosophe occidental à soutenir ce point, mais d’autres
ont continué à mettre l’accent dessus, et particulièrement les philosophes John Searle et David
Chalmers. Je ne suis pas d’accord avec le dualisme de Descartes ni avec certaines des choses que
Searle et Chalmers ont dites concernant la nature de la conscience, mais je suis d’accord sur le fait
que sa réalité subjective est à la fois première et indiscutable. Ceci n’écarte pas la possibilité que la
conscience soit, en fait, identique à certains processus cérébraux.
Encore une fois, je dois dire que certains philosophes, tels que Daniel Dennett et Paul Churchland,
ne l’acceptent pas. Mais je ne comprends pas pourquoi. Mon incapacité à voir que la conscience
puisse être une illusion me conduit à ne pas comprendre qu’ils (ou n’importe qui d’autre) puissent
penser que c’en est une. Je suis d’accord avec l’idée que nous puissions être profondément dans
l’erreur concernant la conscience – à propos de la manière dont elle survient, à propos de sa
connexion avec le cerveau, à propos précisément de ce dont nous sommes conscients et quand.
Mais ce n’est pas la même chose que de dire que la conscience elle-même puisse être illusoire. Le
fait d’être complètement dans la confusion concernant la nature de la conscience est en soi une
démonstration de la conscience.
22. « La substance du monde est la substance de l’esprit. » A. S. Eddington. 1928. The Nature of
the Physical World, Cambridge, UK : Cambridge University Press, p. 276.
« L'ancien dualisme de l'esprit et de la matière… semble vraisemblablement être amené à
disparaître… par le fait que l’essence de la matière se résout elle-même en une création et une
manifestation de l’esprit. » J. Jeans, 1930, The Mysterious Universe. Cambridge, UK : Cambridge
University Press, p. 158.
« Le seul point de vue acceptable paraît être celui qui reconnaît à la fois les deux côtés de la réalité
– le côté quantitatif et le côté qualitatif, le côté physique et le côté psychique – comme étant
mutuellement compatibles, et il peut les embrasser simultanément. » W. Pauli, C. P. Enz and K. v.
Meyenn. [1955] 1994. Writings on Physics and Philosophy. New York : Springer-Verlag, p. 259.
« La conception de la réalité objective des particules élémentaires s'est ainsi évaporée non par
l'usage d'une sorte de concept obscur d'une nouvelle réalité, mais par la clarté transparente d'une
mathématique qui ne représente plus le comportement d'une particule mais plutôt notre
connaissance de ce comportement. » W. Heisenberg, 1958, “The Representation of Nature in
Contemporary Physics.” Daedalus 87 (Summer) : 100.
« Nous ne pouvons pas comprendre comment les événements matériels peuvent être transformés
en sensations et en pensées, et cependant de nombreux manuels… continuent à dire des absurdités
sur le sujet. » E. Schrödinger, 1964, My View of the World, trad. C. Hastings, Cambridge, UK :
Cambridge University Press, pp. 61-62.
23. F. Dyson, 2002, “The Conscience of Physics.” Nature 420 (December 12) : 607-8.
24. Je suis reconnaissant à mon ami, le physicien Lawrence Krauss, d’avoir clarifié plusieurs de
ces points.
25. Si nous cherchons la conscience dans le monde physique, nous ne trouvons que des systèmes
complexes qui donnent naissance à des comportements complexes – qui peuvent ou pas être
observés par la conscience. Le fait que le comportement des êtres humains qui nous sont proches
nous persuade qu’ils sont conscients (plus ou moins) ne nous permet pas d’associer la conscience
avec des événements physiques. Est-ce qu’une étoile de mer est consciente ? Il semble clair que
nous ne ferons aucun progrès sur cette question en tirant des analogies entre le comportement de
l’étoile de mer et le nôtre. C’est seulement en présence d’animaux qui nous ressemblent
suffisamment que nos intuitions à propos de la conscience (et de son attribution) commencent à se
cristalliser. Est-ce que cela fait quelque chose d’être un cocker ? Est-ce qu’il ressent ses douleurs et
ses plaisirs ? C’est sûr que oui. Comment le savons-nous ? Par le comportement et l’analogie.
Certains scientifiques et philosophes se sont formés l’impression erronée que c’est toujours plus
économe de nier la conscience des animaux inférieurs que de leur en attribuer une. J’ai défendu
l’idée ailleurs que ce n’est pas le cas (S. Harris, 2004, The End of Faith : Religion, Terror, and the
Future of Reason. New York : Norton, pp. 276-77). Nier la conscience chez les chimpanzés, par
exemple, c’est devoir expliquer alors pourquoi leur similarité génétique, neuro-anatomique et
comportementale avec nous est une base insuffisante pour elle. (Bonne chance.)
26. L’idée que la conscience est identique (ou a émergé) d’une certaine classe d’événements
physiques non conscients semble impossible à concevoir correctement – ce qui veut dire que nous
pouvons penser que nous sommes en train de penser cela, mais nous sommes probablement dans
l’erreur. Nous pouvons prononcer les mots corrects : « La conscience émerge d’un traitement
inconscient de l’information. » Nous pouvons aussi dire : « Certains carrés sont aussi ronds que
des cercles » et « 2 plus 2 égal 7 ». Mais est-ce que nous pensons réellement ces choses ? Je ne le
crois pas.
27. J. Levine, 1983. “Materialism and Qualia : The Explanatory Gap.” Pacific Philosophical
Quarterly 64.
28. D. J. Chalmers, 1996, The Conscious Mind : In Search of a Fundamental Theory. New York :
Oxford University Press.
29. Cette manœuvre a ses antécédents dans le « monisme neutre » (si bien adoubé par Russell) de
James et de Mach. C’est une opinion avec laquelle je suis substantiellement d’accord. Voici ce que
dit Nagel à ce sujet :
« Quel sera le point de vue, pour ainsi dire, d'une théorie de ce genre ? Si nous pouvions y arriver,
cela rendrait transparente la relation entre le mental et le physique, non pas directement, mais grâce
à la transparence de leur relation commune à quelque chose qui n'est simplement ni l'une ni l'autre.
Ni le point de vue mental ni le point de vue physique ne rempliront ce but. Le point de vue mental
ne marchera pas parce qu’il met simplement de côté la physiologie, et qu’il n’a pas de place pour
elle. Le point de vue physique ne marchera pas parce que bien qu’il comprenne les manifestations
comportementales et fonctionnelles du mental, cela ne lui permet pas, compte tenu de la fausseté
du réductionnisme conceptuel, d’atteindre les concepts mentaux eux-mêmes… La difficulté est
qu’un tel point de vue ne peut pas être construit par la simple conjonction du mental et du
physique. Il doit avoir quelque chose d’authentiquement nouveau, autrement il ne possédera pas
l’unité nécessaire… Il faudra créer une telle conception ; nous ne la trouverons pas quelque part.
Tous les grands succès réducteurs dans l’histoire des sciences ont dépendu de concepts théoriques,
et non de concepts naturels – des concepts dont la justification globale est qu’ils nous permettent
de remplacer des corrélations brutes par des explications réductrices. Pour le moment, une telle
solution au problème esprit-corps est littéralement inimaginable, mais elle pourrait ne pas être
impossible. » (T. Nagel, 1998, “Conceiving the Impossible and the Mind-Body Problem.”
Philosophy 73[285] : pp. 337-2.)
30. J. R. Searle, 1992,The Rediscovery of the Mind. Cambridge, MA MIT Press, 1992 ; J. R.
Searle, 2007. “Dualism Revisited.” J. Physiol. Paris 101 (4-6) ; J. R. Searle, 1998. “How to Study
Consciousness Scientifically.” Philos. Trans. R. Soc. Lond. B Biol. Sci, 353 (1377).
31. J. Kim, 1993, “The Myth of Nonreductive Materialism.” In Supervenience and Mind.
Cambridge, UK : Cambridge University Press.
32. 17. C. McGinn, 1989, “Can We Solve the Mind-Body Problem ?” Mind 98 ; C. McGinn, 1999,
The Mysterious Flame : Conscious Minds in a Material World. New York : Basic Books. Steven
Pinker se rallie aussi à McGinn : S. Pinker, 1997, How the Mind Works. New York : Norton, pp.
558-65. C’est plus ou moins là où Thomas Nagel se révèle, bien qu’il se considère moins
pessimiste que McGinn : Nagel, “Conceiving the Impossible and the Mind-Body Problem.”
33. Quelle que soit sa relation au monde physique, la conscience semble être conceptuellement
irréductible, parce que toute tentative pour définir la conscience ou ses substituts (la sensibilité, la
présence, la subjectivité) nous conduit à tourner en cercle du point de vue lexical. Un des plus
grands obstacles à la compréhension de la conscience se cache probablement ici : si une définition
adéquate, non circulaire de la conscience existe, personne ne l’a trouvée. On peut dire la même
chose à propos de toute idée vraiment fondamentale de notre pensée. Le lecteur est invité à essayer
de définir le mot causalité en termes non circulaires. Par conséquent, de nombreux philosophes et
scientifiques changent de sujet dès que la discussion en vient aux questions de la conscience – en
la ramenant à l’attention, à la conscience de soi, à l’état de veille, à la capacité de répondre aux
stimuli, ou à un autre aspect de la cognition plus facile à traiter et moins fondamental. Ces
digressions sont souvent faites par inadvertance et ont rarement pour but une définition réductrice
de la « conscience ». Et là où elles le font, comme dans le cas du béhaviorisme (analytique), elles
semblent invariablement fausses et sont en fait des pétitions de principes.
34. Que ce soit « l’activité cohérente à 40 Hz dans les chemins thalamocorticaux » (R. Llinas,
2001, I of the Vortex : From Neurons to Self. Cambridge, MA : MIT Press ; R. Llinas et al., 1998 ;
« La base neuronale de la conscience. » Philos. Trans. R. Soc. Lond. B. Biol. Sci. 353[1377]); «
Les intégrations régionales croisées de l’activité neurale » impliquant la formation réticulaire du
tronc cérébral, le thalamus, et les cortex somatosensoriel et cingulaire (A. Damasio, 1999, The
Feeling of What Happens : Body and Emotion in the Making of Consciousness. New York :
Harcourt Brace) ; « L’activité sélective réentrante des groupes de neurones dans le centre
(thalamocortical) » (G. M. Edelman, 2006, Second Nature : Brain Science and H uman
Knowledge. New Haven, CT : Yale University Press); « Les oscillations cohérentes quantiques
dans les microtubules » (R. Penrose, 1994, Shadows of the Mind. Oxford : Oxford University
Press); « Les interactions de composants modulaires spécialisés dans un réseau neural distribué »
(J. W. Cooney et M. S. Gazzaniga, 2003.), « Les désordres neurologiques et la structure de la
conscience humaine » Trends Cogn. Sci. 7[4]); ou un autre état physique ou fonctionnel.
35. Pour voir l’impasse plus clairement, il pourrait être utile de considérer un compte rendu
neuroscientifique à propos de la conscience qui procède avec le mépris habituel et enjoué pour ce
terrain philosophique. Les neuroscientifiques Gerald Edelman et Giulio Tononi déclarent que c’est
« l’intégration » intrinsèque, ou l’unité de la conscience, qui fournit la meilleure indication de son
caractère physique. D’après eux, la conscience est un « processus neural unifié » né de « signaux
en cours, récursifs et hautement parallèles dans les zones cérébrales et en leur sein. » (Gerald M.
Edelman and Giulio Tononi, 2002, A Universe of Consciousness : How Matter Becomes
Imagination. New York : Basic Books ; G. Tononi and G. M. Edelman, 1998. “Consciousness and
Complexity.” Science 282[5395].) Rendant compte de la raison pour laquelle les activités
hautement synchrones des épilepsies généralisées et du sommeil à ondes lentes ne suffisent pas
pour qu’il y ait conscience, les auteurs fournissent un autre critère : le « répertoire des états
neuraux différenciés » doit être vaste plutôt qu’étroit. La conscience, de ce fait, est intrinsèquement
« intégrée » et « différenciée ». Le fait que l’on puisse dire que, sur une assez longue échelle
temporelle, le cerveau entier exprime de telles caractéristiques soulève une autre difficulté – parce
que le cerveau entier ne peut pas être le foyer de la conscience. Ainsi, les auteurs déclarent qu’une
intégration et une différenciation de ce genre doivent se produire dans une fenêtre de quelques
centaines de millisecondes. Ces critères constituent ensemble leur « hypothèse dynamique
centrale ».
Tononi et Edelman ont ainsi fabriqué une neuroscience fascinante, mais leurs recherches
démontrent combien tous les résultats empiriques paraissent vains quand on les confronte au
mystère de la conscience. Le problème est qu’un tel travail ne permet en rien de rendre
l’émergence de la conscience compréhensible. Bien que Tononi et Edelman soient probablement
au courant de ce fait, ils annoncent néanmoins, les poings sur les hanches, qu’une « explication
scientifique de la conscience devient de plus en plus faisable ». (G. Tononi and G. M. Edelman,
1998, p.1850.)
Pourquoi la différence entre la conscience et l’inconscient devrait-elle être une question de
« processus neuraux distribués qui sont à la fois hautement intégrés et hautement différenciés » ?
Et pourquoi la durée temporelle d’une telle intégration serait de quelques centaines de
millisecondes ? Qu’en serait-il si cela était quelques centaines d’années ? Qu’en serait-il si des
processus géologiques distribués donnaient naissance à la conscience ? Disons simplement, par
égard pour l’argument, qu’ils le font. Cela n’expliquerait pas comment la conscience émerge. Ce
serait véritablement une sorte de miracle que la simple intégration et la différenciation parmi les
processus de la terre suffisent à rendre la planète consciente. Est-ce que le lien entre la synchronie
neurale et la conscience est plus intelligible ? Non – en dehors du fait que nous savons déjà que
nous sommes conscients.
Considérons d’autres possibilités pour l’émergence : disons que cela fait quelque chose d’être un
récif corallien battu par des vagues de précisément 0,5 Hz ; que cela fait quelque chose d’être des
rafales de vent allant à 150 miles par heure faisant des ravages dans un parc de caravanes (mais
seulement si ces caravanes sont entièrement faites d’aluminium) ; que cela fait quelque chose
d’être la somme totale des résolutions du nouvel an qui restent insatisfaites. Comment des
« cerveaux » divers de ce genre pourraient-ils donner naissance à la conscience ? Nous n’en avons
aucune idée. Et cependant, si nous stipulons qu’ils le font, leurs pouvoirs ne sont pas moins
compréhensibles que ceux des cerveaux que nous avons dans nos têtes. Mais ils ne sont pas
compréhensibles du tout, bien sûr – et c’est cela le problème de la conscience.
36. Cité dans C. Sagan, 1995, The Demon-Haunted World : Science as a Candle in the Dark. New
York : Random House, p. 272.
37. Cette distinction était évidente pour de nombreux penseurs avant même que le vitalisme soit
discrédité. C. D. Broad (1925) a résumé cela avec une précision admirable : « La seule et unique
sorte de preuve que nous avons pour croire qu’une chose est vivante est qu’elle se comporte selon
certaines manières caractéristiques. Par exemple, elle se meut spontanément, elle mange, elle boit,
elle digère, elle grandit, elle se reproduit, etc. Or toutes ces choses sont simplement des actions
d’un corps sur d’autres corps. Il semble qu’il n’y ait pas de raison quelle qu’elle soit de supposer
”qu’être vivant“ signifie rien de plus qu’exhiber ces diverses formes de comportement corporel…
Mais la position concernant la conscience semble certainement très différente. Il est parfaitement
vrai qu’une partie essentielle de nos preuves pour croire que d’autres choses que nous-mêmes ont
un esprit et telles ou telles expériences est qu’elles accomplissent certains mouvements corporels
caractéristiques dans certaines situations… Mais il est évident que notre observation du
comportement de corps externes n’est pas notre seul terrain ni non plus notre terrain premier pour
affirmer l’existence des esprits et des processus mentaux. Et il me semble également évident qu’en
disant “avoir un esprit”, nous ne voulons pas juste dire “se comporter de telles et telles manières”.
(Cité dans A. Beckermann, 2000, “The Reductive Explainability of Phenomenal Consciousness.”
In Neural Correlates of Consciousness : Empirical and Conceptual Questions, ed. T. Metzinger.
Cambridge, MA : MIT Press, p. 49).
38. Une autre manière d’établir la question est que si, comme tous les matérialistes le croient, il y a
une connexion nécessaire entre le physique et le phénoménal, nous ne devrions pas nous attendre à
en voir une preuve – en dehors de la fiabilité de la corrélation elle-même. Si on nous dit qu’un état
phénoménal X est réellement un état cérébral Y, nous devons demander : « En vertu de quoi cette
identité est-elle vraie ? » La réponse doit être qu’on ne peut pas trouver X sans Y ni Y sans X.
Mais ceci conduit à l’apparition de deux autres faits : une telle identité ne peut être établie qu’en
vertu de corrélations empiriques, et le terme phénoménal n’est d’aucune manière subordonné, eu
égard à la définition de ce qu’est un état, à son correspondant physique. Comme Donald Davidson
l’a dit : « Si certains événements mentaux sont des événements physiques, cela ne les rend pas plus
physiques que mentaux. L’identité est une relation symétrique. » (D. Davidson, 1987, “Knowing
One’s Own Mind.” Proceedings and Addresses of the American Philosophical Association 61.)
Le problème est de plus compliqué par le fait que les correspondants neuronaux des états
conscients semblent susceptibles d’être une classe d’événements bien plus hétérogènes que je ne
l’ai indiqué. Ceci soulève la question de la réalisabilité multiple : la possibilité que différents états
physiques puissent être capables de produire la conscience. Trouver un état de ce genre (ou une
classe d’états) qui soit corrélé de manière fiable à la conscience ne révélerait pas nécessairement
quoi que ce soit concernant les possibilités de la conscience dans d’autres systèmes physiques. La
réalisabilité multiple est spécialement problématique pour toute théorie qui cherche à réduire la
conscience à un type spécifique d’état cérébral (par exemple, toute théorie de la conscience
« d’identité type-type »). En termes neuro-anatomiques, nous savons qu’une forme limitée de
réalisabilité multiple doit être vraie, parce que différentes espèces d’oiseaux et de mammifères
accomplissent beaucoup d’opérations cognitives identiques avec des architectures neuronales
présentant d’importantes différences. Bien sûr, il est concevable que seuls les êtres humains soient
conscients, ou que la conscience puisse être générée par exactement les mêmes circuits neuronaux
dans des cerveaux dissemblables – mais ces deux propositions me semblent extrêmement
douteuses.
Quelle que soit l’inclination ontologique que l’on ait, la signification de la corrélation dépend de la
croyance qu’un lien causal (si ce n’est pas une identité) existe entre des états physiques et une
expérience subjective. Et cependant, la corrélation est elle-même la seule base pour établir ce lien.
Ceci n’est pas simplement un cas d’angoisse existentielle à la Hume face à la causalité : nous
sommes aveugles aux causes physiques des événements phénoménaux à un plus grand degré que
nous ne le sommes des causes physiques d’événements physiques. En fait, le scepticisme de Hume
concernant notre connaissance de la causalité n’a pas très bien vieilli. Même des rats paraissent
avoir l’intuition de connexions causales au-delà de simples corrélations. On peut aussi défendre
l’idée que notre capacité à saisir des événements individuels en une séquence temporelle, ou à
grouper des événements en catégories, est le produit d’un raisonnement causal. (Voir M. R.
Waldmann, Y. Hagmayer, and A. P. Blaisdell, 2006, “ Beyond the Information Given : Causal
Models in Learning and Reasoning.” Current Directions in Psychological Science 15[6] ;
M. J. Buehner and P. W. Cheng, 2005, “Causal Learning.” In The Cambridge Handbook of
Thinking and Reasoning, ed. K. J. Holyoak and R. G. Morrison. New York : Cambridge University
Press.) Quand je casse un crayon, la force appliquée à ce crayon par mes doigts et le fait qu’il se
casse par la suite sont corrélés, mais pas aussi simplement. Il y a beaucoup à dire concernant la
microstructure des crayons qui produit leur friabilité, et rend de ce fait la corrélation observée,
intelligible. Avec la conscience, cependant, le lien apparaît brutal. Comme Chalmers et d’autres
l’ont noté, la question subsiste : pourquoi de tels événements dans le cerveau devraient-ils être
expérimentés? (D. J. Chalmers, 1995, “The Puzzle of Conscious Experience.” Sci. Am. 273[6] ;
Chalmers, The Conscious Mind ; D. J. Chalmers, 1997, “Moving Forward on the Problem of
Consciousness.” Journal of Consciousness Studies 4[1].) Mais ceci n’empêche pas les
neuroscientifiques et les philosophes d’essayer d’imposer des analogies explicatives qui ne
conviennent pas tout à fait.
39. W. Singer. 1999. « Neuronal Synchrony : AVersatile Code for the Defintion of Relations ? »
Neuron 24(1).
40. Pour des doutes sur ce point, voir M. N. Shadlen and J. A. Movshon, 1999, “Synchrony
Unbound : A Critical Evaluation of the Temporal Binding Hypothesis.” Neuron 24(1).
41. Prinz observe aussi que liaison et conscience sont complètement dissociables. J. Prinz, 2001.
“Functionalism, Dualism and Consciousness.” In Philosophy and the Neurosciences, ed. W.
Bechtel et al. Oxford : Blackwell.
42. A. Polonsky et al., 2000. “Neuronal Activity in Human Primary Visual Cortex Correlates with
Perception During Binocular Rivalry.” Nat. Neurosci. 3(11) ; G. Rees, G. Kreiman, and C. Koch,
2002, “Neural Correlates of Consciousness in Humans.” Nat. Rev. Neurosci. 3(4) ; F. Crick and C.
Koch, 1998, “Consciousness and Neuroscience.” Cerebral Cortex 8 ; F. Crick and C. Koch, 1999,
“The Unconscious Humunculus.” In The Neural Correlates of Consciousness, ed. T. Metzi nger.
Cambridge, MA : MIT Press ; F. Crick and C. Koch, 2003, “A Framework for Consciousness.”
Nat. Neurosci. 6(2) ; J. D. Haynes, 2009, “Decoding Visual Consciousness from Human Brain
Signal s.” Trends Cogn. Sci.13(5).
43. Statistiques disponibles sur www.gallup.com.
44. G. M. Bogen and J. E. Bogen, 1986, “On the Relationship of Cerebral Duality to Creativity.”
Bull. Clin. Neurosci. 51.
45. J. E. Bogen, R. W. Sperry, and P. J. Vogel, 1969. “Addendum : Commissural Section and
Propagation of Seizures.” In Basic Mechanisms of the Epilepsies, ed. Jasper et al. Boston : Little,
Brown; E. Zaidel, M. Iacoboni, D. Zaidel, and J. E. Bogen, 2003, “The Callosal Syndromes.” In
Clinical Neuropsychology. Oxford : Oxford University Press ; E. Zaidel, D. W. Zaidel, and J.
Bogen. Undated. “The Split Brain.” www.its.caltech.edu/~jbogen/text/ref130.htm.
46. M. S. Gazzaniga, J. E. Bogen, and R. W. Sperry, 1965, “Observations on Visual Perception
after Disconnexion of the Cerebral Hemispheres in Man.” Brain 88(2) ; R. W. Sperry, 1961,
“Cerebral Organization and Behavior : The Split Brain Behaves in Many Respects Like Two
Separate Brains, Providing New Research Possibilities.” Science 133(3466) ; R. W. Sperry, 1968,
“Hemisphere Deconnection and Unity in Conscious Awareness.” Am. Psychol. 23(10) ; R. W.
Sperry, E. Zaidel, and D. Zaidel, 1979, “Self Recognition and Social Awareness in the
Deconnected Minor Hemisphere.” Neuropsychologia 17(2).
47. 32. R. Sperry, 1982, “Some Effects of Disconnecting the Cerebral Hemispheres. Nobel
Lecture, 8 December 1981.” Biosci. Rep. 2(5).
48. R. E. Myers and R. W. Sperry, 1958, “Interhemispheric Communication through the Corpus
Callosum : Mnemonic Carryover between the Hemispheres.” AMA Arch. Neurol. Psychiatry 80(3)
; Sperry, “Cerebral Organization and Behavior.”
49. M. S. Gazzaniga, J. E. Bogen, and R. W. Sperry, 1962, “Some Functional Effects of Sectioning
the Cerebral Commissures in Man.” Proc. Natl. Acad. Sci. USA 48.
50. Zaidel et al., “The Callosal Syndromes” ; Zaidel, Zaidel, and Bogen, “The Split Brain.”
51. K. R. Popper and J. C. Eccles. [1977] 1993. The Self and Its Brain. London : Routledge.
52. Voir C. E. Marks, 1980, Commissurotomy, Consciousness, and the Unity of Mind.
Montgomery, VT : Bradford Books ; J. E. Bogen, 1997, “Does Cognition in the Disconnected
Right Hemisphere Require Right Hemisphere Possession of Language ?” Brain Lang. 57(1).
53. T. Nørretranders, 1998, The User Illusion : Cutting Consciousness Down to Size. New York :
Viking.
54. V. Mark, 1996, “Conflicting Communicative Behavior in a Split-Brain Patient : Support for
Dual Consciousness.” In Toward a Science of Consciousness : The First Tucson Discussions and
Debates, ed. S. Hameroff, A. W. Kaszniak, and A. C.Scott. Cambridge, MA : MIT Press.
55. Sperry, “Some Effects of Disconnecting the Cerebral Hemispheres.”
56. J. J. Schmitt, W. Hartje, and K. Willmes, 1997, “Hemispheric Asymmetry in the Recognition
of Emotional Attitude Conveyed by Facial Expression, Prosody and Propositional Speech.” Cortex
33(1).
57. J. Blair, D. R. Mitchell, and K. Blair, 2005, The Psychopath : Emotion and the Brain. Malden,
MA : Blackwell.
58. La plupart des études impliquées se sont fiées au test Wada, dans lequel de l’amobarbital de
sodium est injecté dans l’artère carotide droite ou gauche, en anesthésiant temporairement
l’hémisphère du même côté. Des chercheurs ont découvert que l’anesthésie de l’hémisphère
gauche est souvent associée à de la dépression, tandis que l’anesthésie de l’hémisphère droit peut
conduire à l’euphorie. La littérature sur les attaques a tendu à soutenir cette latéralisation de
l’humeur, en corrélant les attaques sur l’hémisphère gauche à de la dépression, mais certaines
études ont remis cette interprétation en question. Voir A. J. Carson et aln 2000, “Depression after
Stroke and Lesion Location : A Systematic Review.” Lancet 356(9224) ; D. W. Desmond et al,
2003, “Ischemic Stroke and Depression.” J. Int. Neuropsychol. Soc. 9(3)
La recherche sur les cerveaux normaux a montré que les émotions négatives telles que le dégoût,
l’anxiété et la tristesse tendent à être associées à une activité de l’hémisphère droit, tandis que le
bonheur est associé à l’activité de l’hémisphère gauche. Cependant, il serait plus judicieux de
penser à cette asymétrie émotionnelle en termes « d’approche » et de « retrait », parce que la
colère, une émotion classiquement négative, est aussi été corrélée à une activité dans l’hémisphère
gauche. (E. Harmon-Jones, P. A. Gable, and C. K. Peterson, 2010, “The Role of Asymmetric
Frontal Cortical Activity in Emotion-Related Phenomena : A Review and Update.” Biol. Psychol.
84[3] : 451-62.)
La présentation latéralisée de films suggère que l’hémisphère droit répond mieux à leur contenu
émotionnel, particulièrement si celui-ci est négatif. (W. Wittling and R. Roschmann, 1993,
“Emotion-Related Hemisphere Asymmetry : Subjective Emotional Responses to Laterally
Presented Films.” Cortex 29[3]). Il est aussi plus rapide que le gauche pour reconnaître la charge
émotionnelle des mots individuels (stupide, beau), et chez des gens souffrant de dépression, il
montre, dans ses performances, une tendance vers les mots négatifs. (R. A. Atchley, S. S. Ilardi,
and A. Enloe, 2003, “Hemispheric Asymmetry in the Processing of Emotional Content in Word
Meanings : The Effect of Current and Past Depression.” Brain Lang. 84[1].) Le fait que des
primates manquent de connexions directes entre les amygdales droite et gauche (des régions des
lobes temporaux qui sont spécialement sensibles à des événements émotionnellement significatifs)
suggère une base anatomique pour les différences latérales d’humeur. (R. W. Doty, 1998, “The
Five Mysteries of the Mind, and Their Consequences.” Neuropsychologia 36[10].) Le rôle des
amygdales dans nos vies émotionnelles, eu égard particulièrement à la peur, est très bien établi.
(Joseph E. LeDoux, 2002, Synaptic Self : How Our Brains Become Who We Are. New York :
Viking.)
59. Popper and Eccles, The Self and Its Brain.
60. Zaidel, Zaidel, and Bogen, “The Split Brain.”
61. Myers and Sperry, “Interhemispheric Communication through the Corpus Callosum.”
62. Bogen, “On the Relationship of Cerebral Duality to Creativity.”
63. R. Puccetti, 1981, “The Case for Mental Duality : Evidence from Split-Brain Data and Other
Considerations.” Behavioral and Brain Sciences 4 : 93–123.
64. W. James. 1950 [1890]. The Principles of Psychology (Vol . I). Dover Publications, p. 251.
65. Cependant, comme Dennett l’indique, il peut être difficile (ou impossible) de distinguer ce qui
a été expérimenté puis ensuite oublié, de ce qui n’a jamais été expérimenté d’abord. Voir sa
discussion pénétrante des processus de la cognition orwelliens opposé aux processus de la
cognition staliniens : D. C. Dennett, 1991, Consciousness Explained. Boston : Little, Brown, pp.
116-25. Cette ambiguïté est largement attribuable au fait que les contenus de la conscience doivent
être intégrés dans le temps – aux environs de 100 à 200 ms. (Crick and Koch, “A Framework for
Consciousness.”) Cette période d’intégration permet à la sensation de contact avec un objet et à la
perception visuelle associée – qui arrivent objectivement au cortex à différents moments – d’être
expérimentées, comme si elles étaient simultanées. La conscience, de ce fait, dépend de ce que l’on
connaît généralement sous le nom de « mémoire de travail ».
De nombreux chercheurs ont esquissé ce lien : J. M. Fuster, 2003, Cortex and Mind : Unifying
Cognition. Oxford : Oxford University Press ; P. Thagard and B. Aubie, 2008, “Emotional
Consciousness : A Neural Model of How Cognitive Appraisal and Somatic Perception Interact to
Produce Qualitative Experience.” Conscious Cogn. 17(3) ; B. J. Baars and S. Franklin, 2003,
“How Conscious Experience and Working Memory Interact.” Trends Cogn. Sci. 7(4). Et le
principe a été un peu plus vaguement saisi par la notion de conscience d’Edelman en tant que
« présent remémoré » : G. M. Edelman, 1989, The Remembered Present : A Biological Theory of
Consciousness. New York : Basic Books.
66. L. Naccache and S. Dehaene, 2001, “Unconscious Semantic Priming Extends to Novel Unseen
Stimuli.” Cognition 80(3). Bien que plusieurs études indiquent que l’on doive s’occuper au moins
du processus d’amorçage : M. Finkbeiner and K. I. Forster, 2008, “Attention, Intention and
Domain-Specific Processing.” Trends Cogn. Sci. 12(2).
67. M. Pessiglione et al., 2007, “How the Brain Translates Money into Force : A Neuroimaging
Study of Subliminal Motivation.” Science 316 (5826).
68. P. J. Whalen et al., 1998, “Masked Presentations of Emotional Facial Expressions Modulate
Amygdala Activity without Explicit Knowledge.” J. Neurosci. 18(1) ; L. Naccache et al., 2005, “A
Direct Intracranial Record of Emotions Evoked by Subliminal Words.” Proc. Natl. Acad. Sci. USA
102(21).
69. D. L. Schacter, 1987, “Implicit Expressions of Memory in Organic Amnesia : Learning of New
Facts and Associations.” Hum. Neurobiol. 6(2).
70. L. R. Squire and R. McKee, 1992, “Influence of Prior Events on Cognitive Judgments in
Amnesia.” J. Exp. Psychol. Learn. Mem. Cogn. 18(1).
71. M. M. Keane et al., 1997, “Intact and Impaired Conceptual Memory Processes in Amnesia.”
Neuropsychology 11(1).
72. D’autres phénomènes distinguent la conscience de nos vies mentales inconscientes. Par
exemple, certaines personnes souffrent d’une condition que l’on appelle « aveuglement », qui
résulte d’un endommagement de leur cortex visuel primaire. Dans leur expérience consciente, ils
sont aveugles (ou aveugles dans une région de leur champ visuel), et cependant ils peuvent décrire
avec précision les propriétés visuelles d’objets. Ils en font l’expérience comme étant purement une
question d’hypothèses – après tout, ils n’ont pas d’expérience de la vision– mais ils réussissent à
« deviner » avec une précision presque parfaite. Ils voient sans savoir qu’ils voient. (L.
Weiskrantz, 1996, “Blindsight Revisited.” Curr. Opin. Neurobiol. 6[2]; L. Weiskrantz, 2002,
“Prime-Sight and Blindsight.” Conscious Cogn. 1 1[4]; L. Weiskrantz, 2008, “Is Blindsight Just
Degraded Normal Vision ?” Exp. Brain Res. 192[3].)
73. S. Harris, 2004, The End of Faith, New York : Norton, pp. 173-75, 275-77; S. Harris, 2010,
The Moral Landscape. New York : Free Press.
74. Nanamoli, 1995, Majjhima Nikaya : Culamalunkya Sutta. Boston : Wisdom Publications. p.
534.
75. On dit parfois que la pratique spirituelle conduit à l’expérience de la « béatitude » et que la
conscience elle-même est intrinsèquement pleine de béatitude. Comment devons-nous comprendre
ceci ? Le terme de béatitude n’est pas très utilisé dans le discours occidental – et si on devait
jamais avoir l’occasion de le prononcer, il mettrait ceux qui nous écoutent immédiatement sur leurs
gardes. Même en référence au sexe, le mot sent la grandiloquence, comme si on était en train
d’affirmer quelque chose d’unique à propos de sa capacité au plaisir. Un contemplatif qui parle de
« béatitude spirituelle » semble déclarer qu’il a éprouvé un plaisir inhabituel, et qu’il est en train de
se livrer à d’obscurs frémissements du système nerveux, et une telle confession ne suscite nulle
part de respect sauf parmi ceux qui s’en prévalent de manière semblable. Celui qui passerait des
heures chaque jour absorbé dans la béatitude de la méditation ressemblerait plutôt à un drogué à
l’héroïne ou à un onaniste qui aurait transcendé l’utilisation de ses mains. Trouver une fontaine de
béatitude quelque part dans son propre système nerveux est juste indigne.
Or il existe une affirmation empirique qu’on peut tester ici. Cette affirmation est que la conscience,
avant la représentation du moi, est intrinsèquement « bienheureuse ». Il ne s’agit pas d’un grossier
frémissement ou d’un sentiment constant de joie, mais il y a une coloration sentimentale de la
conscience, et dès qu’elle est réalisée, on peut la ressentir pénétrer tous les aspects de l’expérience.
C’est de cette manière que l’on peut dire dans les enseignements des bouddhistes et des tantras
hindous que le « désir se manifeste en tant que béatitude », car en fait il le peut – si le désir est
reconnu comme une simple inflexion de la conscience. Bien sûr, si le désir n’est pas reconnu mais
simplement ressenti, alors il survient en tant que problème à résoudre par l’acquisition de son
objet. C’est en ce sens que l’on décrit généralement le désir comme étant un obstacle à la
méditation.
76. D. Parfit, 1984, Reasons and Persons. Oxford : Clarendon Press, pp. 279-80.
77. Le philosophe écossais David Hume, par exemple, a vu le problème tout à fait clairement : « Il
y a certains philosophes qui imaginent que nous sommes à chaque moment intimement conscients
de ce que nous appelons notre moi ; que nous ressentons son existence et sa continuité dans
l'existence ; et ils sont certains, au-delà de la preuve d'une démonstration, à la fois de son identité
parfaite et de sa simplicité… Malheureusement, toutes ces affirmations positives sont contraires à
cette expérience même qu'elles invoquent ; et nous n’avons pas non plus une idée quelconque du
moi, conforme à la manière décrite ici. Car, de quelle impression cette idée pourrait-elle dériver ?
… Si une impression quelconque donnait naissance à l’idée du moi, cette impression devrait
continuer à être invariablement la même, au travers de la totalité de notre vie ; puisque le moi est
supposé exister de cette façon. Or il n’y a aucune impression constante et invariable. La douleur et
le plaisir, le chagrin et la joie, les passions et les sensations se succèdent les unes aux autres, et
n’existent jamais toutes au même moment. De ce fait, l’idée du moi ne peut dériver d’une de ces
impressions-là, ni d’aucune autre ; et en conséquence il n’y a pas d’idée de ce genre… Pour ma
part, quand j’entre le plus intimement dans ce que j’appelle moi-même, je tombe toujours sur une
perception particulière ou une autre, de chaleur ou de froid, de lumière ou d’ombre, d’amour ou de
haine, de douleur ou de plaisir. Je ne peux jamais me saisir moi-même à aucun moment sans une
perception, et je ne peux jamais observer autre chose que la perception. Quand mes perceptions
sont supprimées pour un certain temps, comme pendant le sommeil profond, je suis aussi
longtemps inconscient de moi-même, et on peut véritablement dire que je n’existe pas. Et si toutes
mes perceptions étaient supprimées par la mort, et que je ne puisse ni penser, ni ressentir, ni voir,
ni aimer, ni haïr après la dissolution de mon corps, je serais entièrement annihilé, et je ne conçois
pas ce qu’il faudrait de plus pour faire de moi une non-entité parfaite. Si quelqu’un, après une
réflexion sérieuse et sans préjugé, pense qu’il a une notion différente de lui-même, je dois
confesser que je ne peux plus raisonner avec lui. Tout ce que je peux lui permettre, c’est qu’il
puisse avoir raison aussi bien que moi, et que nous sommes alors essentiellement différents sur ce
point. Il peut, peut-être, percevoir quelque chose de simple et de continu, qu’il appelle lui-même ;
bien que je sois certain qu’il n’y a aucun principe de ce genre en moi ». (D. Hume. Traité de la
nature humaine, Livre 1, Section 6.)
78. R. A. Emmons and M. E. McCullough, 2003, “Counting Blessings Versus Burdens : An
Experimental Investigation of Gratitude and Subjective Well-Being in Daily Life.” Journal of
Personality and Social Psychology 84 (2) : 377-89.
79. Nul besoin de mentionner que j’ai fait mes bagages à l’aube et que j’ai trouvé un nouvel hôtel.
En m’inscrivant, j’ai décrit mon épreuve du matin à l’homme qui était au bureau de réception,
espérant l’amuser en lui faisant comprendre combien les choses étaient terribles sous le toit d’un
de ses concurrents : le rat n’était pas seulement dans ma chambre, il était dans le lit, sous les
couvertures. Il resta silencieux pendant un long moment, paraissant vaguement ennuyé. Je
commençais à me demander si je n’avais pas mal jugé de son anglais. « Nous avons des rats
aussi », me dit-il, en me tendant ma clé.
80. Tulku Urgyen Rinpoche, 2004, Rainbow Painting. Hong Kong : Rangjung Yeshe Publications,
p.53.
81. M. Botvinick and J. Cohen, 1998, “Rubber Hands ‘Feel ’ Touch That Eyes See.” Nature
391(6669) : 756.
82. V. I. Petkova and H. H. Ehrsson. 2008. “If I Were You : Perceptual Illusion of Body
Swapping.” PLoS ONE 3(12) : e3832.
83. L’insertion de pensée est le sentiment que des pensées ont été placées dans son esprit par
d’autres. L’illusion du contrôle est la croyance que les actions et les impulsions que l’on a sont
contrôlées par une force externe (comme une télévision ou des extraterrestres).
84. Charles Darwin semble avoir été le premier à réaliser un test de cette sorte, en exposant
simplement deux orang-outans à un miroir. La version moderne de ce test a été mise sur le devant
de la scène par le travail de Gordon Gallup dans les années 70.
85. Pour un argument connexe, voir A. Morin, 2002, “Right Hemispheric Self-Awareness : A
Critical Assessment.” Conscious Cogn. 11(3) : 396-401.
86. N. Breen, D. Caine, and M. Coltheart, 2001, “Mirrored-Self Misidentification : Two Cases of
Focal Onset Dementia.” Neurocase 7(3): 239-54.
87. D. Premack and G. Woodruff, 1978, “Chimpanzee Problem-Solving : A Test for
Comprehension.” Science 202(4367) : 532-35 ; C. D. Frith and U. Frith, 2006, “The Neural Basis
of Mentalizing.” Neuron 50(4) : 531-34 ; U. Frith, J. Morton, and A. M. Leslie, 1991, “The
Cognitive Basis of a Biological Disorder : Autism. Trends Neurosci. 14(10) : 433-38 ; S. Baron-
Cohen, 1995, Mindblindness : An Essay on Autism and Theory of Mind. Cambridge, MA : MIT
Press ; K. Vogeley et al., 2001, “Mind Reading : Neural Mechanisms of Theory of Mind and Self-
Perspective.” Neuroimage 14(1), Pt. 1 ; D. C. Dennett, 1987, The Intentional Stance. Cambridge,
MA : MIT Press.
88. J. Delacour, 1995, “An Introduction to the Biology of Consciousness.” Neuropsychologia
33(9) : 1061-74; E. Goldberg, 2001, The Executive Brain : Frontal Lobes and the Civilized Mind.
Oxford : Oxford University Press ; F. Happe, 2003, “Theory of Mind and the Self.” Ann. N. Y.
Acad. Sci. 1001 : 134-44 ; M. Iacoboni, 2008, Mirroring People : The New Science of How We
Connect with Others. New York : Farrar, Straus and Giroux ; M. Merleau-Ponty, 1964, The
Primacy of Perception, and Other Essays on Phenomenological Psychology, the Philosophy of Art,
History, and Politics. Northwestern University Studies in Phenomenology and Existential
Philosophy. Evanston, IL : Northwestern University Press (en français : Le primat de la perception
et ses conséquences philosophiques, Verdier) ; V. S. Ramachandran. “The Neurology of Self-
Awareness.” Undated. Edge.org; J.-P. Sartre. [1956] 1994, Being and Nothingness, trad. H. E.
Barnes. New York : Gramercy Books. (en français : L’Être et le Néant, Gallimard)
89. K. Vogeley et al., 1995. “Mind Reading : Neural Mechanisms of Theory of Mind and Self-
Perspective” et P. C. Fletcher et al., 1995, “Other Minds in the Brain : A Functional Imaging Study
of ‘Theory of Mind’ in Story Comprehension.” Cognition 57(2) utilise la même histoire en tant
que stimulus. Saxe et Knawisher prennent aussi la même approche fondamentale : R. Saxe and N.
Kanwisher, 2003, “People Thinking about Thinking People : The Role of the Temporo-parietal
Junction in ‘Theory of Mind.’ ” Neuroimage 19(4).
90. Sartre, L’Être et le Néant.
91. Il semble intuitivement évident qu’il y a une connexion nécessaire entre avoir le sentiment
d’un moi (sense of self) (en tant qu’opposé à une perception parfaitement non dualiste du monde)
et l’expérience sociale de « la conscience de soi » (self-consciousness). Ce dernier phénomène
paraît être une inflexion du premier – de la même manière que le fait de sentir la dureté d’un objet
est simplement un cas spécial du sentiment de sa solidité. Comme pour tant de choses qui nous
intéressent dans le monde, il semble y avoir peu de chances que nous prouvions cette connexion
d’une manière rigoureuse. Il échoit à tous ceux qui voudraient dissocier ces concepts de décrire un
cas de conscience de soi (self-consciousness) qui n’implique pas l’expérience du moi (selfhood), et
une expérience du moi (selfhood) qui n’admette pas la possibilité de la conscience de soi (self-
consciousness).
92. Ramachandran, « The Neurology of Self-Awareness ».
93. J. T. Kaplan and M. Iacoboni, 2006, “Getting a Grip on Other Minds : Mirror Neurons,
Intention Understanding, and Cognitive Empathy.” Soc. Neurosci. 1(3-4) : 175-83 ; I. Molnar-
Szakacs, J. Kaplan, P. M. Greenfield, and M. Iacoboni, 2006, “Observing Complex Action
Sequences : The Role of the Fronto-Parietal Mirror Neuron System.” Neuroimage 33(3) : 923-35.
94. Iacoboni, Mirroring People, pp. 132-45 ; M. Iacoboni and M. Dapretto, 2006, “The Mirror
Neuron System and the Consequences of Its Dysfunction.” Nat. Rev. Neurosci. 7(12) : 942-51.
95. M. Dapretto, M. S. Davies, J. H. Pfeifer, A. A. Scott, M. Sigman, S. Y. Bookheimer, and M.
Iacoboni, 2006, “Understanding Emotions in Others : Mirror Neuron Dysfunction in Children with
Autism Spectrum Disorders.” Nat. Neurosci. 9(1) : 28-30.
96. J. S. Mascaro et al., 2012, “Compassion Meditation Enhances Empathic Accuracy and Related
Neural Activity.” In Social Cognitive and Affective Neuroscience, September 5, doi :
10.1093/scan/nss095. Alors que des découvertes de cette sorte sont certainement intéressantes, on
s’interroge toujours sur la signification des neurones miroir. Et nous ne devrions pas oublier qu’en
dépit de la présence de neurones miroir dans leur cerveau, les singes n’ont pas de langage et de
théorie de l’esprit. Ils montrent aussi très peu d’empathie.
97. M. A. Killingsworth and D. T. Gilbert, 2010, “A Wandering Mind Is an Unhappy Mind.”
Science 330 : 932.
98. M. E. Raichle et al., 2001, “A Default Mode of Brain Function.” Proc. Natl. Acad. Sci. USA
98(2) : 676-82.
99. A. D’Argembeau et al., 2008, “Self-Reflection across Time : Cortical Midline Structures
Differentiate between Present and Past Selves.” Soc. Cogn. Affect Neurosci. 3(3) : 244-52 ; D. A.
Gusnard et al., 2001, “Medial Prefrontal Cortex and Self-Referential Mental Activity : Relation to
a Default Mode of Brain Function.” Proc. Natl. Acad. Sci. USA 98(7) : 4259-64 ; J. P. Mitchell, C.
N. Macrae, and M. R. Banaji, 2006, “Dissociable Medial Prefrontal Contributions to Judgments of
Similar and Dissimilar Others.” Neuron 50(4) : 655-63 ; J. M. Moran et al., 2006,
“Neuroanatomical Evidence for Disti nct Cognitive and Affective Components of Self.” J. Cogn.
Neurosci. 18(9) : 1586-94 ; G. Northoff et al., 2006, “Self-Referential Processing in Our Brain : A
Meta-Analysis of Imaging Studies on the Self ». Neuroimage 31(1) : 440-57 ; F. Schneider et al.,
2008, “The Resting Brain and Our Self : Self-Relatedness Modulates Resting State Neural Activity
in Cortical Midline Structures.” Neuroscience 157(1) : 120-31.
100. K. Vogel ey et al., 2004, “Neural Correlates of First-Person Perspective as One Constituent of
Human Self-Consciousness.” J. Cogn. Neurosci.16(5) : 817-27. Une étude a comparé les
différences occidentales et orientales dans la représentation de soi et ont trouvé que, bien que les
deux groupes aient montré plus d’activité médiane quand on appliquait davantage d’adjectifs
personnels au moi qu’à une autre personne, les sujets chinois montraient aussi le même effet
concernant les jugements à propos de leur mère. Les expérimentateurs l’ont interprété en
supposant que les Chinois entretiennent une conception plus collectiviste du « moi ». Y. Zhu et al.,
2007, “Neural Basis of Cultural Influence on Self-Representation.” Neuroimage 34(3) : 1310-16.
101. Y. I. Sheline et al., 2009, “The Default Mode Network and Self-Referential Processes in
Depression.” Proc. Natl. Acad. Sci. USA 106(6) : 1942-47.
102. J. A. Brewer et al., 2011, “Meditation Experience Is Associated with Differences in Default
Mode Network Activity and Connectivity.” Proc. Natl. Acad. Sci. USA 108(50) : 20254-59 ;
Véronique A. Taylor et al., 2011, “Impact of Mindfulness on the Neural Responses to Emotional
Pictures in Experienced and Beginner Meditators.” Neuroimage 57 : 1524-33. La psilocybine
réduit l’activité dans ces zones cérébrales également, et à un degré extraordinaire : Robin L.
Carhart-Harris et al, 2012, “Neural Correlates of the Psychedelic State as Determined by fMRI
Studies with Psilocybin.” Proceedings of the National Academy of Sciences, January 23.
103. E. Luders et al., 2012, “The Unique Brain Anatomy of Meditation Practitioners : Alterations
in Cortical Gyrification.”Frontiers in Human Neuroscience 6: 34 ; P. Vestergaard-Poulsen et al.,
2009, “Long-Term Meditation Is Associated with Increased Gray Matter Density in the Brain
Stem.” Neuroreport 20 : 170-74 ; S. W. Lazar et al., 2005, “Meditation Experience Is Associated
with Increased Cortical Thickness.” Neuroreport 16 : 1893-97 ; Eileen Luders et al., 2012, “Global
and Regional Alterations of Hippocampal Anatomy in Long-Term Meditation Practitioners.”
Human Brain Mapping 34(12) : 3369-75.
104. A. Lutz et al., 2012, “Altered Anterior Insula Activation During Anticipation and Experience
of Painful Stimuli in Expert Meditators.” Neuroimage 64 : 538-46.
105. F. Zeidan et al., 2011, “Brain Mechanisms Supporting the Modulation of Pain by Mindfulness
Meditation.” Pain 31 : 5540-48.
106. R. J. Davidson and B. S. McEwen, 2012, “Social Infl uences on Neuroplasticity : Stress and
Interventions to Promote Well Being.” Nature Neuroscience 15(5) : 689-95.
107. http://www.news.wisc.edu/22370.
108. C. A. Moyer et al., 2011, “Frontal Electroencephalographic Asymmetry Associated With
Positive Emotion Is Produced by Very Brief Meditation Training.” Psychological Science 22(10) :
1277-79.
109. S.-L. Keng, M. J. Smoski, and C. J. Robins, 2011, “Effects of Mindfulness on Psychological
Health : A Review of Empirical Studies.” Clinical Psychology Review 31 : 1041-56; B. K. Holzel
et al., 2011, “How Does Mindfulness Meditation Work ? Proposing Mechanisms of Action from a
Conceptual and Neural Perspective.” Perspectives on Psychological Science 6 : 537-59.
110. J. S. Mascaro et al., 2012, “Compassion Meditation Enhances Empathic Accuracy and
Related Neural Activity .” In Social Cognitive and Affective Neuroscience 8(1) : 48-55.
111. O. M. Klimecki et al., 1991, “Functional Neural Plasticity and Associated Changes in Positive
Affect after Compassion Training.” Cerebral Cortex 23(7) : 1552-61.
112. M. E. Kemeny et al., 2012, “Contemplative/Emotion Training Reduces Negative Emotional
Behavior and Promotes Prosocial Responses.” Emotion 12 : 338-50.
113. M. Sayadaw, 1957, Buddhist Meditation and Its Forty Subjects, trad. U Pe Thin. Buddha
Sasana Council Press ; M. Sayadaw, 1983, Thoughts on the Dhamma. Kandy, Sri Lanka : Buddhist
Publication Society ; M. Sayadaw, 1985, The Progress of Insight, trad. Nyanaponika Thera.
Kandy, Sri Lanka : Buddhist Publication Society.
114. R. Maharshi, 1984, Talks with Sri Ramana Maharshi. Tiruvanamallai : Sri Ramanashramam,
p. 314.
115. D. Godman, ed., 1985, Be as You Are : The Teachings of Sri Ramana Maharshi. New York :
Arkana, p. 55.
116. E. Mach, 1914, The Analysis of Sensations and the Relation of the Physical to the Psychical.
Chicago : Open Court, p. 19.
117. D. R. Hofstadter and D. C. Dennett, 1981, The Mind’s I : Fantasies and Reflections on Self
and Soul. New York : Basic Books, pp. 23-33. L’extrait provient de Vivre sans tête, Harding
Douglas, Le Courrier du Livre, 2009, p. 28.
118. Ibid., D. R. Hofstadter and D. C. Dennett, p. 30.
119. The Gateless Gate (Japanese : Mumonkan). http://www.sacred-
texts.com/bud/zen/mumonkan.htm. De nombreuses traductions françaises sont disponibles.
120. G. Feuerstein, 2006, Holy Madness : Spirituality, Crazy-Wise Teachers, and Enlightenment.
Rev. and expanded ed. Prescott, AZ : Hohm Press, p.108.
121. F. FitzGerald, 1981, Cities on a Hill. New York : Touchstone.
122. P. Marin, 1979, “Spiritual Obedience.” Harper’s (February), p. 44.
123. E. Weinberger, 1986, Works on Paper. New York : New Directions, p. 31.
124. C. Trungpa, 1987, Cutting Through Spiritual Materialism. Boston : Shambhala, pp. 173-74.
125. Par exemple, voir https://www.youtube.com/watch?v=otGQqO2TYMI.
Osho n’était vraiment pas le pire du pire que le New Age eut à offrir. Il est indubitable qu’il a fait
du mal à de nombreuses personnes à la fin – et peut-être même au début et au milieu – mais ce
n’était pas juste un fou ou un escroc. Osho était un homme très perspicace qui avait beaucoup à
enseigner, mais qui a été de plus en plus intoxiqué par le pouvoir lié à son rôle et qui est ensuite
devenu complètement cinglé à l’exercer. Quand vous passez vos journées à respirer de l’oxyde
nitreux, à demander que l’on vous fasse des fellations toutes les quarante-cinq minutes, à faire des
cadeaux sacrés de vos rognures d’ongles et à faire du shopping pour acheter une quatre-vingt-
quatorzième Rolls-Royce, vous pouvez vous demander si vous n’avez pas fait un pas ou deux en
dehors du chemin vers la libération.
126. Harris, The End of Faith, pp. 295-96.
127. G. D. Falk, 2009, Stripping the Gurus. Toronto : Million Monkeys Press.
128. Voir, par exemple, D. Radin, 1997, The Conscious Universe : The Scientific Truth of Psychic
Phenomena. New York : HarperEdge.
129. E. F. Kelly et al., 2007, Irreducible Mind : Toward a Psychology for the 21st Century. New
York : Rowman and Littlefield, p. 372.
130. Ibid., p. 374.
131. Ibid., p. 371.
132. Même les preuves supposées de réincarnation – comme quand une personne, d'habitude un
enfant, se rappelle de faits qui prouvent qu'il est la personnalité réincarnée d'une personne décédée
– semblent impossibles à débrouiller de la question des phénomènes psi.
133. E. Alexander, 2012, Proof of Heaven : A Neurosurgeon’s Journey into the Afterlife. New
York : Simon & Schuster, citation de couverture. (en français : La Preuve du Paradis, éd.
Trédaniel- La Maisnie)
134. E. Alexander, 2012, Heaven Is Real : A Doctor’s Experience of the Afterlife. Newsweek.
135. A. E. Cavanna et al., 2010, “The Neural Correlates of Impaired Consciousness in Coma and
Unresponsive States.” Discov. Med. 9(48) : 431-38.
136. Alex Tsakiris, 2011, “Neurosurgeon Dr. Eben Al exander’s Near-Death Experience Defies
Medical Model of Consciousness.” Skeptico. November 22. http://www.skeptiko.com/154-
neurosurgeon-dr-eben-alexander-near-deathexperience/.
137. Terence McKenna. 1992. Food of the Gods. New York : Bantam Books, pp. 258-59.(en
français : La Nourriture des dieux, éd. Georg)
138. Les différences générales entre les neurochirurgiens et les neuroscientifiques peuvent
expliquer certaines des erreurs d’Alexander. Distinguer les domaines d’expertises est très facile à
voir quand on est de l’autre côté : si on présentait à un neuroscientifique un foret, un scalpel et
qu’on lui disait d’opérer le cerveau d’une personne vivante, le résultat serait désastreux. D’un
point de vue scientifique, ce qu’a accompli Alexander n’est pas plus joli. Il a sûrement tué le
patient, mais il ne s’est pas arrêté de forer. En fait, il pourrait même avoir aidé à tuer Newsweek,
qui a annoncé immédiatement après son article qu’il ne publierait plus d’édition imprimée.
139. Une vaste littérature suggère maintenant que la MDMA peut endommager les neurones
producteurs de sérotonine et faire décroître les niveaux de sérotonine dans le cerveau. Des
déclarations crédibles affirment, cependant, que nombre de ces études ont utilisé d’assez mauvais
contrôles ou des dosages chez des animaux de laboratoire qui étaient trop élevés pour modéliser
l’utilisation humaine.
140. Robin L. Carhart-Harris et al., 2011, “Neural Correlates of the Psychedelic State as
Determined by fMRI Studies with Psilocybin.” Proc. Natl. Acad. Sci. USA. December 20.
http://www.pnas.org/content/early/2012/01/17/1119598109.
141. Terence McKenna est une personne que je regrette de ne pas avoir réussi à connaître.
Malheureusement, il est mort d’un cancer du cerveau en 2000, à l’âge de cinquante-trois ans. Ses
livres valent la peine d’être lus, mais c’était, par-dessus tout, un orateur étonnant. Il est vrai que
son éloquence l’a souvent conduit à adopter des positions qui ne peuvent être décrites
(charitablement) que comme « loufoques », mais il était indéniablement brillant et cela valait
toujours le coup de l'écouter.
142. Il est important de noter que la MDMA ne tend pas à avoir ces propriétés – et de nombreuses
personnes disent qu'elle ne devrait pas être du tout considérée comme un produit psychédélique.
Les termes empathogène et entatctogène ont été utilisés pour décrire la MDMA et d’autres
composés dont l’effet est d’abord émotionnel et favorisant les contacts sociaux.
143. Je dirai, cependant, qu’il y a des expériences psychédéliques que je n’ai pas vécues et qui
paraissent délivrer un message différent. Certaines personnes ont des expériences qui, plutôt que
d’être des états dans lesquels les limites du moi sont dissoutes, paraissent transporter le moi (sous
une forme quelconque) ailleurs. Ce phénomène est très commun avec la drogue DMT, et elle peut
conduire ses initiés à des conclusions étonnantes concernant la nature de la réalité. Plus que tout
autre, Terence McKenna a beaucoup contribué à montrer les aspects saillants de la
phénoménologie de la DMT.
La DMT est unique parmi les produits psychédéliques pour plusieurs raisons. Tous ceux qui l’ont
essayée semblent convenir du fait que c’est l’hallucinogène le plus puissant disponible quant à ses
effets. Il est aussi, paradoxalement, celui qui a l’action la plus courte. Tandis que les effets du LSD
peuvent durer dix heures, la transe par DMT s’apaise en moins d’une minute et disparaît en dix. La
raison d’une telle pharmacocinétique rapide semble être que ce composé existe déjà dans le
cerveau humain et qu’il est directement métabolisé par la monoamineoxydase. La DMT est dans la
même classe chimique que la psilocybine et que le neurotransmetteur sérotonine (mais, en dehors
d’avoir une affinité pour les récepteurs 5-HT2A, on a montré qu’elle se lie aux récepteurs sigma-1
et qu’elle module les canaux Na+). Sa fonction dans le corps humain reste inconnue. Au nombre
des nombreux mystères et affronts de la DMT, il faut compter le fait qu’elle se moque finalement
de nos lois antidrogue : non seulement nous avons criminalisé des substances qui se produisent
naturellement dans la nature comme le cannabis, mais nous avons criminalisé un de nos propres
neurotransmetteurs. De nombreux utilisateurs de la DMT rapportent avoir été conduits sous son
influence dans une réalité adjacente où ils ont rencontré des êtres étrangers (des extraterrestres) qui
paraissaient avoir l’intention de partager des informations sur des technologies impénétrables et
d’en démontrer l’usage. La convergence de centaines de rapports de ce genre, dont nombre d’entre
eux proviennent d’utilisateurs l’ayant essayé pour la première fois et à qui on n’avait pas dit à quoi
s’attendre, est certainement intéressante. Il est aussi intéressant de remarquer que ces comptes-
rendus sont presque entièrement dépourvus de toute imagerie religieuse. On paraît avoir bien plus
de chances de rencontrer des extraterrestres ou des elfes en prenant de la DMT que des saints ou
des anges traditionnels. Je n’ai pas essayé la DMT et n’ai pas eu d’expérience du genre de celles
que ces utilisateurs décrivent, donc je ne sais pas quoi en penser.
144. Bien sûr, James rapportait ses expériences avec l’oxyde nitreux, qui est un anesthésique.
D’autres anesthésiques, telles que l’hydrochlorure de kétamine et l’hydrochlorure de phencyclidine
(PCP) ont des effets similaires sur l’humeur et la cognition à dose faible. Cependant, ces drogues
diffèrent des produits psychédéliques classiques de maintes manières – l’une étant que des doses
élevées de ces derniers ne conduisent pas à une anesthésie générale.
145. W. James, 1958, The Varieties of Religious Experience. New York : New American Library.
p. 298. (en français : L’Expérience religieuse : essai de psychologie descriptive, éd.
Rarebooksclub.com)