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Afin de respecter la confidentialité des propos des patients tenus en séance, leurs noms ont été

remplacés par des pseudonymes et leurs situations personnelles transformées.

Tous droits réservés.


© Éditions Albin Michel, 2020
ISBN numérique : 978-2-226-45390-7
N’acceptez aucune vérité que vous ne puissiez vérifier par
vous-même.
(À commencer par celle-ci !)
Préambule

J
’ai un souvenir vivant de l’événement qui a fait basculer ma vie. Un
après-midi d’avril 2008, en vacances au Japon, j’attendais désœuvré, à
la gare de Tokyo, un train rapide pour Kyoto. Assis sur un banc, je
décidais, pour faire passer le temps, de consulter mes e-mails sur mon
téléphone portable. Je n’imaginais pas à cet instant que deux des messages
reçus allaient avoir sur moi un effet dévastateur.

Le premier venait du directeur de la société de marketing pour laquelle je


travaillais à l’époque et que j’avais rejointe à Londres un an plus tôt. Il nous
informait sans ménagement, mes collègues et moi-même, que notre bureau
allait fermer dans quelques mois, le propriétaire ayant décidé d’investir
dans une compagnie concurrente. Le second message, lui, était envoyé par
une amie londonienne, qui m’alertait : la personne qui partageait ma vie, et
vis-à-vis de laquelle j’étais maladivement jaloux et possessif, profitait
certainement de mon absence pour aller voir ailleurs.

En quelques secondes, ma vie personnelle et professionnelle se voyait


complètement bouleversée. Je restais fixé sur mon téléphone pour tenter de
comprendre ce qui m’arrivait, mais mon cerveau était comme paralysé,
comme si un fusible interne venait brusquement de sauter. Autour de moi
tout devint silencieux, cotonneux, comme fonctionnant au ralenti. Je me
souviens d’un bourdonnement sourd dans mes oreilles et d’une sensation
d’engourdissement et de lourdeur dans mon corps. J’étais en état de
sidération. Cet état suspendu dura quelques secondes, qui me parurent de
longues minutes. Puis, soudain, je fus comme percuté par une lame de
couteau au niveau de la poitrine. Était-ce dû à l’effet de surprise ? Jamais
auparavant, je n’avais connu de douleur si intense, accompagnée en plus
d’une sensation d’angoisse qui partait du ventre et remontait vers ma tête.
Mon cœur se mit à battre de plus en plus vite. Ma respiration était coupée.
J’avais l’impression d’avoir entièrement perdu le contrôle de moi-même. Je
me mis à penser que je faisais certainement une crise cardiaque et que
j’allais mourir. Je traversais en fait, pour la première fois de ma vie, une
attaque de panique. Une expérience qui m’était alors inconnue, moi qui
avais été jusque-là un ultra-rationnel dans l’hyper-maîtrise de soi. Cette
vague incontrôlable dura quelques minutes, puis, heureusement, l’ami qui
m’accompagnait, voyant ce qui m’arrivait, réussit à trouver des paroles
réconfortantes qui m’aidèrent à m’apaiser et à regagner un semblant de
calme.

J’aime bien dire que c’est l’accident qui m’a fait tomber de cheval.
Aujourd’hui, avec le recul, je peux lui être reconnaissant, car c’est grâce à
lui que débuta pour moi un voyage passionnant, au cœur de mon intériorité.

Suite à cet événement, j’ai voulu comprendre ce qui s’était passé en moi. Je
sentais bien aussi que mes fondations intérieures avaient été profondément
ébranlées et que mon rapport au monde était bouleversé. À l’époque, je me
connaissais très mal. Mon intelligence émotionnelle et relationnelle était
quasi nulle. En rentrant à Londres, j’allai donc consulter un
psychothérapeute pour tenter de comprendre ce que j’avais vécu, avec aussi
l’espoir de retrouver ma stabilité intérieure. J’imaginais alors que lui serait
capable de me sauver de ma souffrance émotionnelle, qui restait intense et
contre laquelle mon intelligence rationnelle était complètement démunie.
Grâce à mes rencontres avec cet homme, j’ai retrouvé peu à peu mon
équilibre et j’ai pu lentement entrevoir ce qui avait été activé en moi dans
cette gare. Mais, plus important encore, de nos séances jaillit une passion.
La passion d’explorer ma vie psychique interne, d’examiner mon monde
intérieur. Je me souviens de l’excitation que je ressentais à l’époque,
comme un enfant qui découvre un nouveau terrain de jeu. Cette passion de
l’introspection ne m’a depuis jamais quitté. Elle m’a conduit à explorer les
différentes écoles de psychothérapie mais aussi ce que la philosophie, la
neurobiologie et les traditions spirituelles d’Orient et d’Occident
proposaient comme réponse face à la souffrance humaine.

Quelques années plus tard, je décidai de faire de cette passion mon métier,
avec l’envie d’accompagner d’autres personnes dans ce voyage
d’introspection. Ce que j’ai la joie de vivre depuis bientôt dix ans, en
séances individuelles ou en groupe. Et c’est cette même passion qui
aujourd’hui me pousse à écrire ce livre. Un livre que j’aurais aimé lire à
vingt ans pour me sentir moins démuni le jour où la vie me fit chanceler.

Ce livre n’a qu’un seul but : proposer des outils simples et pratiques pour
aller, à son rythme, à la découverte de son monde intérieur et
particulièrement de ses zones de souffrances. Car c’est uniquement en allant
voir là où « ça brûle » en nous, là où « ça chauffe » que nous pouvons nous
transformer et que peut émerger avec le temps du réconfort et,
progressivement, un apaisement intérieur.

Je vous souhaite que cette plongée en vous-même soit, comme elle l’a été et
comme elle l’est toujours pour moi, formidablement riche en rencontres
inattendues et abondante en trésors cachés.
Introduction
« La sortie se trouve à l’intérieur. »
(The way out is in.)
Thich Nhat Hanh

S
ans exception, les personnes que je rencontre pour la première fois
dans mon cabinet sont en souffrance. Que ce soit à cause d’un deuil,
de problèmes de couple, d’un licenciement, d’une dépression,
d’addictions, de pensées envahissantes ou de crises de panique… ces
personnes vivent une situation douloureuse et elles sont à la recherche
d’une aide pour apaiser leur souffrance. Ma première tâche alors est de leur
expliquer comment nous allons pouvoir travailler ensemble.

Souvent, ces personnes sont venues me voir un peu par hasard : parce
qu’une connaissance m’a recommandé, parce que l’emplacement du cabinet
les arrange ou bien encore parce qu’elles ont trouvé ma tête sympathique
sur mon site Internet. Mais elles ne connaissent pas réellement les
différences fondamentales qui existent entre les écoles de psychothérapie.

En aparté, je veux insister sur le fait que je ne souhaite pas participer ici aux
guerres de chapelles entre ces différentes écoles. J’ai eu la chance d’être
formé en Angleterre dans une école dite « intégrative », c’est-à-dire ayant
une approche sans dogme, ouverte, réunissant les différentes variantes du
monde de la psychothérapie. Ce modèle m’a permis de voir les forces et les
limites de chaque approche et il est, à mon avis, dangereux et absurde de
croire que l’on détient la vérité. Et j’observe d’ailleurs que la vie se charge
constamment de bousculer chacune de mes certitudes lorsqu’elles
deviennent trop rigides.

Pour autant, il est vital pour un thérapeute – et j’en suis convaincu aussi
pour une personne qui consulte ou bien engagée dans une démarche de
développement personnel – de connaître les différences majeures qui
existent dans le monde de la psychothérapie. Pour moi, les deux questions
majeures sont les suivantes : Quelle est ma représentation des symptômes
qui se manifestent ? Que signifient-ils pour moi ?

Le modèle dominant en Occident est le modèle médical. Une maladie est


décrite par un ensemble de symptômes, on parle des critères diagnostiques.
Par exemple, pour la dépression on évaluera : l’humeur dépressive,
l’évolution du poids, la qualité du sommeil, la capacité de concentration, les
pensées suicidaires… À partir de ces symptômes, le médecin ou le
thérapeute établit un diagnostic et cherche des solutions pour les faire
disparaître. Ici, le symptôme est vu comme un problème à résoudre. Une
personne dite « saine » ne manifestera pas ou plus de symptômes.

Si cette approche semble logique et intuitive, il existe pourtant une autre


façon d’appréhender les symptômes : ne pas les voir comme des problèmes
mais comme des alliés. Pour l’expliquer, j’utilise en séance l’image de
l’alarme à incendie. Lorsqu’un feu se déclare dans une maison, l’alarme à
incendie retentit. Elle produit un son strident très désagréable : c’est un
symptôme. Ce bruit assourdissant, nous le trouvons pénible, pour autant la
priorité n’est pas de l’atténuer ou de le supprimer mais plutôt de trouver
l’origine de l’incendie. Nous devons d’abord réagir à la situation en
fonction du feu et non de l’alarme. En schématisant, le modèle médical, lui,
veut éteindre l’alarme. Il dispose d’une multitude d’anxiolytiques et
d’antidépresseurs capables d’atténuer le symptôme, d’offrir un réconfort
temporaire, à la façon d’une sourdine posée sur notre alarme interne. De
même, les thérapies brèves concentrent leur intervention sur la disparition
des symptômes. Si ces approches sont utiles lorsque l’intensité de la
souffrance devient insupportable, j’observe que le soulagement qu’elles
offrent n’est que passager.

Faisons le parallèle avec la souffrance physique. Si je m’écorche la cheville,


je vais ressentir de la douleur. La douleur est le symptôme déclenché par la
coupure. Un antidouleur m’apaisera sur le moment, mais, pour me soigner,
je dois m’occuper de la plaie et non du symptôme (la douleur). La douleur
est en réalité mon alliée : elle m’oriente en direction de la blessure et me dit
« Regarde, il y a une plaie, prends-en soin ».

Longtemps, j’ai espéré moi aussi qu’il soit possible d’échapper à ma


souffrance et j’ai cherché partout des solutions pour m’apaiser rapidement.
Et il existe pour cela un grand nombre de stratégies et de techniques qui
vont calmer nos symptômes, comme la méthode Pilates, la pensée positive,
l’acupuncture, la méditation, l’hypnose… ou encore des stratégies de fuite
comme l’évasion dans le travail, le sport ou l’alcool. Tout cela ne
fonctionne que temporairement et ne nous apporte jamais l’apaisement
durable que nous espérons. Car, en restant focalisé sur la disparition du
symptôme, nous n’accédons pas à la racine de notre mal-être.

L’ambition de ce livre est donc de proposer des chemins pour explorer en


profondeur les sources de notre souffrance psychique. Pour nous aider, les
symptômes seront nos guides vers le ou les incendies qui brûlent en nous et
nous consument. Peut-être penserez-vous alors : « C’est bien gentil de
rencontrer ma souffrance interne mais pour en faire quoi ? Moi, ce que je
veux, c’est ne plus souffrir ». Je vous répondrai d’abord que
malheureusement il n’y a pas d’autre choix, que c’est la seule voie possible.
The way out is in, comme le dit le moine zen Thich Nath Hanh. Ensuite,
pour donner une explication rationnelle à cette démarche, je vous dirai
qu’en plongeant au cœur de nos souffrances, nous nous rencontrons
pleinement. De cette rencontre se dévoilent l’ensemble de nos conflits
intérieurs incessants, nos guerres intérieures permanentes. Par exemple, je
vais voir comment ma tête (le rationnel) et le cœur (l’émotionnel) sont
continuellement en lutte ou comment les événements extérieurs soufflent
sur les braises de mes feux internes. Plus j’observerai ces phénomènes, plus
je prendrai conscience de la façon dont ces aspects de moi-même
fonctionnent et interagissent entre eux. Puis, petit à petit, cette
connaissance, cette vision de mon intériorité me conduira à une
réconciliation interne, à l’affaiblissement de la guerre interne. En
m’accordant avec ce que je suis, les symptômes s’apaiseront.

Alors quels sont ces feux profonds à l’origine des symptômes de notre
souffrance psychique ? Mon expérience et ma pratique de thérapeute m’ont
permis de répertorier six grands ensembles de feux internes. Ils sont
présentés ci-dessous succinctement ; un chapitre de cet ouvrage sera
consacré à chacun de ces feux.

Le manque d’amour de soi


Le premier feu est celui du manque d’amour de soi. Bien connu des
cabinets de psychothérapie, ce feu correspond à l’évaluation défaillante que
je fais de ma propre valeur. Rencontrer ce feu, c’est se demander :
– est-ce que je m’aime vraiment ?
– suis-je toujours mon(ma) meilleur(e) ami(e) ?
– quel type de compagnon/compagne suis-je pour moi-même ?
– est-ce que je me juge, me critique et me mets la pression ou bien est-ce
que je m’encourage, me pardonne et m’estime ?
– qu’est-ce qui fait obstacle au véritable amour de soi finalement ?
Le cas de Ludivine (inspiré de plusieurs situations réelles de patients)
illustre cette problématique. Cette jeune maman consulte pour la
première fois car elle en a assez de ne pas s’aimer. Malgré les
compliments de son mari, elle trouve toujours quelque chose à redire
sur son physique, son nez, ses cuisses, ses seins… et cela depuis
l’adolescence. Le matin, elle évite de se regarder dans le miroir. Dans
la rue, elle imagine toujours que si on la regarde, c’est pour la juger.
Elle se compare sans cesse aux autres femmes et ne se trouve jamais à
la hauteur. Elle a peur de transmettre son mal-être à sa fille. Lors de
notre première rencontre, je ressens facilement de l’empathie pour
Ludivine, son manque d’estime de soi me donne envie de prendre soin
d’elle, d’être pour elle un miroir positif (à l’opposé du psy que l’on
représente parfois, froid et distant ne dévoilant rien de son humanité).
J’imagine que c’est ce dont enfant elle a dû manquer le plus : une
bienveillance et un amour inconditionnel.

Des relations difficiles


Le deuxième feu est celui des relations aux autres difficiles. Il nous invite
à explorer notre style relationnel avec notre environnement :
– est-ce que j’ai peur d’aller vers les autres ?
– est-ce que je suis capable de dévoiler ma vulnérabilité ?
– est-ce que je me trouve dépendant(e) dans ma vie affective ou trop
seul(e) ?

Dans le chapitre dédié à ce feu, nous explorerons en particulier notre


capacité à nous ouvrir aux autres et à donner et recevoir au sein de la
relation. Nous regarderons de quelle manière nous créons du lien avec les
autres, comment nous nourrissons ce lien mais aussi comment le coupons.
Pour rencontrer ce feu, nous utiliserons particulièrement les outils de la
Gestalt-thérapie car cette école de thérapie a au cœur de sa pratique ce
qu’elle nomme le contact, la relation entre l’individu et son environnement.

Ce feu est particulièrement actif chez Yannick. Cet homme de 35 ans


arrive en thérapie après une nouvelle dispute avec sa compagne. C’est
elle qui le pousse à consulter car elle n’en peut plus de ses colères et de
ses crises de jalousie. Elle pense au divorce. Il explique qu’il a besoin
d’aide pour maîtriser ses explosions d’agressivité et la peur que sa
compagne le trompe. Il est déprimé par cette situation et aussi inquiet
car il boit et fume du cannabis de plus en plus pour fuir ses émotions.
Dans son entourage, il me dit qu’il n’a personne à qui parler de son
mal-être. Avec Yannick, le contact se noue facilement. Pourtant, au
fond de moi, je ressens un peu de peur. Cette peur me donne envie de
reculer, de ne pas trop m’approcher de lui, comme si trop de proximité
me mettrait en danger. Cela m’amène à penser que le thème de
l’intimité, de la connexion et du danger de créer du lien avec l’autre
sera au cœur de notre exploration.

Le manque de confiance en soi


Le troisième feu est celui du manque de confiance en soi. Il est la
manifestation d’un manque d’assurance, d’une difficulté à se sentir puissant
et capable. Aller à la rencontre de ce feu, c’est se demander :
– dans quelles situations est-il difficile pour moi de m’affirmer ?
– suis-je toujours capable de dire non ?
– est-ce que parfois j’ai peur de déranger, de prendre trop de place ?
– quels sont mes comportements d’évitement face aux obstacles et aux
confrontations ?
C’est le cas de Louna, que ses difficultés à s’affirmer dans son travail
ont poussée à consulter. Elle souhaite se sentir plus à l’aise pour
prendre la parole en réunion et apprendre à confronter son manager qui
la noie sous les dossiers. Physiquement et psychiquement, elle se dit
proche du burn-out. Face à moi, je vois quelqu’un qui fait plus petit
que sa taille, comme si elle cherchait à prendre le moins de place
possible. J’oscille entre l’envie de la protéger comme un oiseau fragile
mais je sens également que je pourrais avoir envie de la secouer, de la
bousculer, ce qui, lorsque j’en prends conscience, me fait aussitôt peur
de la blesser. Je devine que Louna devra certainement recontacter et
autoriser son agressivité et sa peur de blesser les autres afin de
retrouver sa puissance et de prendre pleinement sa place.

Une réalisation de soi insuffisante


Le quatrième feu est celui du manque de réalisation de soi, il est relié à
notre aptitude à identifier nos désirs profonds et à faire des choix de vie qui
leur correspondent. Se réaliser signifie trouver sa place dans le monde. Ce
feu nous pousse donc à nous interroger :
– Suis-je satisfait(e) de ce que j’accomplis dans ma vie ?
– Ai-je le sentiment de subir plus que d’être acteur/actrice ?
– Suis-je en manque de sens ou bien en contradiction avec mes valeurs ?
– Suis-je souvent empreint(e) d’ennui, de cynisme ou de pessimisme ?

Fabien est un chef d’entreprise à qui tout semble réussir. Bel homme
de 45 ans, marié, trois enfants, il explique qu’il a tout pour être
heureux, comme son entourage le lui rappelle souvent. Mais, depuis
peu, il se sent déprimé, sans énergie et fait régulièrement des crises de
panique au milieu de la nuit. Le poids de ses responsabilités lui donne
souvent envie de tout quitter. Il est effrayé de se voir parfois espérer
mourir dans un accident d’avion, pour échapper à la pression du
quotidien. Face à Fabien, je perçois une sensation de vide, comme si je
flottais dans les airs. J’ai l’impression d’être déconnecté de mon corps
qui me paraît anesthésié. Cela crée chez moi une forme d’apathie et de
mélancolie. L’image d’un enfant qui regarde, par la fenêtre, ses amis
jouer dehors dans la cour surgit dans mon esprit. Cette image et ces
sensations me font supposer que Fabien est déconnecté de son corps et
ainsi de ce qui le rend vraiment vivant. Il a perdu la capacité
d’émerveillement et la spontanéité joyeuse de son enfant intérieur.

La relation à la mort
L’avant-dernier feu est celui de la relation à la mort. Ce feu est très
puissant parce que le sujet est tabou dans notre société. Il est rare qu’à un
dîner on demande : « Et toi, quelle relation as-tu avec la mort ? » Ce feu
nous oblige à faire face à ce qui nous fait probablement le plus peur :
l’angoisse de notre disparition. Aussi, nous aborderons avec précaution
cette question de la finitude, de l’impermanence de toute chose et en
particulier la mort de nos proches et celle de notre corps, à venir.

Steve a développé depuis quelques mois des comportements


obsessionnels qui deviennent invivables pour lui et son entourage.
Avant de partir de chez lui, il doit débrancher tous les appareils
électriques par peur d’un départ de feu. Puis, de façon répétitive, il
revient vérifier plusieurs fois pour se rassurer. Steve souffre de TOC
(troubles obsessionnels compulsifs). L’idée que son appartement
puisse disparaître sous les flammes le terrifie. Du coup, il ne part plus
en weekend et voit de moins en moins ses amis. Il ne comprend pas ce
qui lui arrive. Il n’en peut plus de vivre avec ces angoisses. Avec
Steve, je ressens une pression désagréable. Comme si je devais lui
prouver que je suis un thérapeute compétent. Il me questionne en détail
sur mes diplômes, mon expérience et sur la façon dont je vais pouvoir
l’aider avec certitude à résoudre ses problèmes. Il me met sous
pression et j’ai du mal à respirer. Cela me donne envie de ralentir, de
me poser et de regarder ce qui se passe en ce moment entre nous. Les
angoisses de Steve nous conduiront à explorer ses difficultés à se
laisser aller dans l’ici et maintenant et à accepter de ne pas pouvoir
tout contrôler, en particulier les pertes et les deuils que la vie lui
impose.

Notre relation à la souffrance


Enfin, le dernier feu est celui de notre relation à la souffrance. Il est pour
moi le plus important de tous. Car c’est celui qui souvent n’est pas vu,
puisqu’il agit comme une deuxième couche de souffrance qui vient se
superposer à la souffrance initiale. On a tendance à confondre la souffrance
causée par une situation avec la souffrance causée par le refus de cette
situation. Par exemple, je m’énerve contre mon enfant qui n’est pas sage et
par-dessus je m’énerve contre moi-même parce que je suis énervé. Ou je
suis triste d’être triste. Nous allons donc nous demander dans ce chapitre :
– quelle est ma capacité à tolérer et accueillir l’inconfort lié à une situation
de souffrance ?
– est-ce que je souffre de souffrir ?
– puis-je supporter que mon enfant soit triste ?
– ma colère m’agace-t-elle ?
– est-ce que je combats mon stress ?
– comment puis-je vivre avec mes souffrances ou avec celles des gens que
j’aime ?
Virginie est une jeune femme dynamique qui aime être occupée. Mais,
depuis quelques mois, des douleurs au niveau des cervicales
l’empêchent de dormir et de vivre sa vie à cent à l’heure. Elle vient me
voir, car après une batterie d’analyses, les médecins ne trouvent pas de
cause physiologique à ses douleurs et elle se sent peu à peu plonger
dans la dépression. Elle qui aime tout contrôler dans sa vie ne supporte
pas de se voir affaiblie et se sent complètement démunie. Lorsque
Virginie me parle de sa souffrance, je suis surpris d’avoir du mal à
ressentir de la compassion. Je vois qu’elle souffre, mais cela sonne
faux. Comme si elle n’était pas totalement authentique. Elle s’accroche
à une forme de positivisme qui lui fait dire : « Non, mais ça va au
fond, ce n’est pas si grave, je gère ». Elle porte un masque de
protection qui m’empêche d’accéder pleinement à sa vulnérabilité, à
son sentiment d’impuissance et à son désespoir que je pressens en
arrière-plan. J’ai l’intuition que s’autoriser à aller mal, à se sentir
fragile et oser dire son impuissance seront certainement des axes
importants dans nos échanges.

Voici un court résumé de ces feux psychologiques illustrés par quelques cas.
Pour nous aider dans notre voyage intérieur, nous pouvons les placer sur
une carte (voir ici). Cette carte a deux axes, le premier est dirigé d’un côté
vers la dimension de l’Être (ce que je suis) et de l’autre vers la dimension
de l’Agir (ce que je fais). Le second axe correspond d’un côté à notre vie
intérieure et de l’autre à nos relations avec le monde extérieur.
Quelques remarques importantes sont à faire à propos de cette carte. Tout
d’abord vous pouvez noter que les lignes sont tracées en pointillés. Cela
signifie que les feux ne sont pas indépendants et séparés : ils interagissent
entre eux. Par exemple, si je ne m’aime pas, j’aurai du mal à m’affirmer ou
à être épanoui dans ma relation avec les autres. Ou bien, moins je me sens
en accord avec ma vie, plus j’ai peur de de la mort. En outre, certains
événements activeront plusieurs feux en même temps, parfois même les six.
Le fait de perdre son travail, par exemple, peut attiser à la fois le manque de
confiance, le manque d’estime, la peur de l’isolement, la perte de sens et
générer une souffrance extrême.

Il est donc important de bien différencier l’événement déclencheur (la


situation) du feu psychologique. Par exemple, si je perds mon travail, ce
n’est pas forcément le fait de me retrouver sans emploi qui est la cause de
ma souffrance, mais la façon dont je vis la situation. Je peux la vivre de
façon optimiste, si je vois la perte de mon travail comme une opportunité de
changer de vie. Mais si j’en souffre, c’est qu’intérieurement cet événement
souffle sur les braises d’un ou de plusieurs feux intérieurs. Nous verrons
dans le chapitre suivant la multitude d’effets que peuvent produire les feux
psychologiques. Il y a en effet des symptômes comportementaux (les
actions), des symptômes émotionnels (les affects), des symptômes cognitifs
(les pensées) et des symptômes somatiques (les sensations physiques,
corporelles). Ils seront détaillés dans le prochain chapitre.

Attention aussi à ne pas confondre la carte et le réel. Cette représentation,


comme toutes les cartes, ne décrit qu’une vérité partielle. Vous pouvez
partir en randonnée avec une carte topographique, une carte de la végétation
ou une carte géologique, ces trois documents contiennent des informations
pertinentes, cependant l’expérience vivante de la balade est bien loin d’y
être contenue. Les cartes sont de bons guides, mais elles doivent toujours
être utilisées avec discernement et être validées par votre propre expérience.
C’est pour cette raison que des exercices exploratoires vous sont proposés
dans chaque chapitre. Ils ont beaucoup plus d’intérêt que tous les modèles
théoriques, qui ne sont que des outils pointant en direction d’une réalité qui
vous est propre et qui n’est accessible que par vous-même. Soyez comme
saint Thomas, ne croyez qu’en ce que vous pouvez observer par vous-
même.
Ce livre ne vous propose donc pas uniquement une rencontre intellectuelle
de la souffrance mais une rencontre « expérientielle ». Pour saisir la
différence, pensez à une part de gâteau au chocolat. La rencontre
intellectuelle revient à lire la recette, la liste des ingrédients, les livres
d’histoire de la pâtisserie, la notice du four… en résumé, c’est se plonger
mentalement dans de l’information qui vient du passé et qui est
potentiellement infinie. Alors que la rencontre expérientielle, elle, invite à
croquer dans le gâteau à pleines dents, sentir les effets produits dans
l’instant et observer ce que l’on éprouve dans la situation. Nous reviendrons
sur ce point très important car pour que nos feux intérieurs s’apaisent, la
compréhension intellectuelle ne suffit pas.

Dans ce livre, nous ne chercherons pas non plus une explication au vécu
interne, nous n’essaierons pas de répondre à « pourquoi » ce feu est là. Car
finalement il existe toujours une infinité de réponses.
Pourquoi y a-t-il un feu de forêt ?
À cause des orages parce que nous sommes en août.
À cause des pins parce que le sol est acide.
À cause de la sécheresse et du réchauffement climatique.
À cause de l’absence de chèvres, qui ne débroussaillent plus parce qu’il n’y
a plus de paysans dans la région, à cause de l’exode rural…

Certains types de thérapie se focalisent beaucoup sur le passé et sur le


pourquoi. Parfois il peut être intéressant de mettre en lumière les causes
majeures à la source de notre souffrance mais, le plus souvent, ce n’est pas
suffisant. Par exemple, je peux comprendre que j’ai du mal à m’aimer parce
ma mère dépressive n’était pas assez émotionnellement présente pour moi
quand j’étais enfant et que mon entourage n’a pas su me valoriser. Très
bien, j’ai une explication sur l’origine de mes difficultés, mais que faire
avec ? Il y a alors un risque de simplement nourrir un ressentiment envers le
passé et de se placer en position de victime. Pour qu’il y ait une réelle
transformation de notre quotidien, il nous faut rencontrer physiquement et
émotionnellement notre blessure, la ressentir dans notre chair afin que se
remettent en mouvement les émotions bloquées en nous et qu’un réel
apaisement se produise. Cela revient à sauter à pieds joints dans le feu de
notre souffrance. Ce qui nous demande beaucoup de courage.

La démarche proposée ici demande non seulement du courage mais aussi un


peu de patience. Il n’y a pas baguette magique ou de clé magique qui fera
que d’un coup tout s’ouvre et se libère en vous. La connaissance de soi
prend du temps et se fait pas à pas. Mais si vous êtes curieux de vous-même
et de votre fonctionnement, cette rencontre deviendra une aventure
passionnante.
Lors de notre voyage, en plus du courage et de la patience, une troisième
qualité sera essentielle pour cette exploration. C’est la sincérité. Il est vital
d’être complètement honnête avec vous-même, de ne pas vous dissimuler
derrière des excuses et des justifications. Même si dévoiler vos stratégies
d’évitement et de dissimulation fera aussi partie du chemin.
Enfin, un allié précieux est l’humour. S’il n’est bien sûr pas toujours aisé de
rire de soi lorsque l’on souffre trop, l’humour, en nous renvoyant
humblement à la modestie et à la fragilité de notre condition humaine, nous
permet de ne pas nous prendre trop au sérieux, ce qui rend notre voyage
plus léger.

Les 6 territoires
de la souffrance psychique
En résumé
C’est en plongeant au cœur de nos souffrances que nous découvrirons
l’ensemble de nos conflits intérieurs. De cette exploration patiente et
bienveillante jailliront peu à peu une réconciliation avec soi et un
apaisement.
Les symptômes
de notre souffrance

R
amana Maharashi, l’un des grands sages de l’Inde moderne (1879-
1950), était connu pour inviter toute personne en quête
d’introspection à focaliser son attention sur une question unique.
Cette question si simple en apparence et pourtant si complexe était : « Qui
suis-je ? ».

S’interroger sur « qui je suis » ne signifie pas, comme nous en avons


l’habitude, répondre par une étiquette ou une quelconque identification
comme : « Je suis Jacques », « Je suis Sylvie », « Je suis infirmier » ou
encore « Je suis breton », mais c’est se demander « Qu’est-ce que je suis,
qu’est-ce qui me constitue ? ». Cela nous conduit à discerner quatre univers
qui composent ce que nous sommes :
– le premier est le monde du mental, avec l’ensemble des phénomènes qui
jaillissent dans notre tête, c’est l’univers des pensées ;
– le deuxième est le monde de l’affect, composé de la multitude de formes
que prennent les émotions ;
– le troisième est le monde de la corporalité où s’expriment nos cinq sens
(vue, ouïe, odorat, goût et toucher) ainsi que nos élans vitaux (respirer,
manger, parler, bouger, se reproduire) ;
– enfin, le quatrième élément qui nous définit en tant qu’être est notre
champ de conscience, notre capacité à voir l’ensemble de ces phénomènes
dans notre tête, notre cœur et notre corps.

Le schéma de la page 51 récapitule ces différents mondes qui nous


composent. Il faut le comprendre de façon dynamique : d’instant en instant
nous sommes un ensemble de pensées, d’émotions et de sensations en
mouvement au sein de notre espace conscient.

À la question « Qui suis-je ? » ou « Qu’est-ce que moi ? », nous pourrions


donc répondre que nous sommes une combinaison de pensées, d’émotions
et de sensations en mouvement au sein de notre conscience. C’est cette
représentation de l’être humain que nous utiliserons dans ce livre. C’est
celle qui pour moi est la plus simple et la plus directe à observer. Il en existe
d’autres pourtant. Les psychanalystes, par exemple, ont une représentation
fondée sur le couple conscient-inconscient ; les croyants y ajouteront la
dimension de l’âme peut-être. Je le répète, les cartes présentées ici ne
prétendent pas détenir une vérité absolue. Elles nous serviront simplement à
nous orienter dans notre exploration.

Le monde du mental
« Je pense donc je suis » écrivait Descartes 1. Mais au lieu d’entrer dans une
discussion philosophique et de mettre nos cerveaux en ébullition autour de
cette affirmation, arrêtons-nous et demandons-nous plutôt
pragmatiquement : « De quoi est constitué ce monde des pensées ? »

En regardant attentivement, nous constatons qu’il existe deux types de


pensées. D’une part les pensées « auditives », qui forment une voix en nous
et, d’autre part, les pensées « visuelles », qui sont en image et qui créent un
petit film interne. Pour les différencier nous pourrions dire que dans notre
tête nous avons à la fois une radio et un écran de cinéma (il semble que cela
se passe dans notre tête même si nous pouvons aussi questionner la
localisation exacte des pensées : derrière les yeux ? entre les oreilles ? dans
le lobe frontal du cerveau ?).

Les pensées auditives, sonores, verbales

Les pensées de nature auditive sont celles qui créent dans notre tête une
narration, un dialogue intérieur, à la façon d’une radio interne dont la voix
parle sans interruption. Une voix ou plusieurs voix parfois qui débattent les
unes avec les autres et qui génèrent une sorte de ping-pong, de flipper
mental, une idée allant rebondir sur une autre, puis une autre, et ainsi de
suite, sans que d’ordinaire nous en soyons pleinement conscients. Ces voix
sont souvent représentées dans les films ou les dessins animés par un petit
ange et un petit démon posés sur chaque épaule du personnage, s’adressant
à lui avec plus ou moins de gentillesse.

Pour les entendre, faites un petit pas de côté intérieur, placez-vous en


position d’auditeur et écoutez la voix qui parle dans votre tête.

Lisez lentement les questions posées dans l’exercice suivant en faisant une
pause entre chaque question.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Prenez un temps pour écouter vos pensées auditives, la voix qui parle dans votre tête.
• L’intonation est-elle familière ?
• Est-ce une voix douce, chaleureuse, bienveillante ou bien une voix dure et
autoritaire ?
• Est-ce une voix fébrile, inquiète ou bien une voix mature et assurée ?
• Est-elle plutôt calme ou bien insatisfaite ?
• Dans quelles situations cette voix est-elle plus aimante ou plus exigeante ? Prenez
quelques notes sur ce que vous avez observé :
Qu’avez-vous remarqué ? En séance, des personnes me disent souvent
qu’elles sont tellement habituées à se parler avec sévérité qu’elles ne
l’entendent plus, que cette forme de maltraitance interne est devenue
ordinaire. Pour éclairer davantage la relation que nous avons nouée avec
nous-même, nous pouvons aussi nous demander quel genre de petit nom
nous nous attribuons intérieurement : est-ce « mon chéri », « ma douce »,
« mon pote » ou bien « gros nul » et « bon à rien » ? Si mon estime de moi
est basse (le feu), ma voix intérieure sera intolérante envers moi-même (le
symptôme). Pour avoir suffisamment confiance en moi, j’ai besoin d’un
coach interne qui soit solide et bienveillant. Nous reviendrons donc en
détail sur nos voix intérieures dans les chapitres consacrés à l’estime de soi
(le feu 1) et à la confiance en soi (le feu 3), car la façon dont je me parle
intérieurement a un impact énorme sur mon habilité à m’aimer et à me
sentir capable et puissant(e).

Les pensées visuelles

Les pensées visuelles forment comme un film projeté sur un écran virtuel
au fond de notre esprit. Prenez un moment pour examiner ce film. Placez-
vous en arrière-plan de vous-même et lisez lentement les instructions de
l’exercice suivant.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Pensez à un souvenir de vacances heureux. Puis prenez le temps d’observer l’image


qui se forme dans votre esprit. Regardez-la en détail.
• L’image est-elle en couleur ?
• Les couleurs sont-elles chaudes, froides ?
• Y a-t-il beaucoup de contrastes ?
• Regardez les contours de l’image : sont-ils nets ou flous ?
• Cette image interne est-elle proche ou lointaine ?

Prenez quelques notes sur ce que vous avez observé :

Cet exercice a pour but de vous décoller de votre film interne. Grâce à cette
prise de recul, vous pouvez discerner la variété de films qui passent dans
votre cinéma intérieur et constater qu’il fonctionne comme une machine à
voyager dans le temps et dans l’espace. Un peu comme la voiture du film
Retour vers le Futur. Parfois nous voyageons dans nos souvenirs, parfois
dans le futur proche ou lointain, d’autres fois encore dans un monde rêvé.

J’imagine que chacun de nous a vécu des moments où on rejoue en boucle


des scènes du passé dans sa tête. Se demandant : « Est-ce que j’ai bien
réagi ? Aurais-je dû répondre ceci ou cela ? » Cela peut même parfois
devenir obsessionnel. Un patient, par exemple, dont la femme avait eu une
aventure extraconjugale me racontait comment il ne pouvait s’empêcher de
visualiser sans cesse sa femme à l’hôtel faisant l’amour avec son amant
(une image du « passé », mais issue de son imagination).

Nous en avons tous fait l’expérience, c’est une caractéristique


particulièrement désagréable de ces images, elles sont envahissantes.
Comme au cinéma, nous sommes absorbés, collés, identifiés à ce film
interne. Et nous avons sur ce film un pouvoir de contrôle très limité. Si je
vous dis : « Ne visualisez surtout pas un éléphant rose », l’image apparaît
dans votre esprit, à votre insu. Plus je résiste, plus je refuse cette image et
plus je l’alimente, plus elle demeure. En revanche, si je vous dis :
« Remplacez cette image par un éléphant bleu », c’est alors possible. Donc
nous pouvons orienter ce film, mais nous ne pouvons en aucun cas le
diriger.

Un autre effet que ce cinéma de téléportation a sur nous est qu’en nous
projetant dans le passé ou le futur, nous nous déconnectons du moment
présent, de ce qui qui est vivant ici et maintenant autour de nous. Lorsque
notre attention est concentrée sur un ailleurs imaginaire, avant ou après,
nous ne sommes pas ou peu disponibles aux émotions, aux sensations
corporelles et à notre environnement, que ce soit un beau paysage ou bien
les attentes de nos enfants.

Aussi, pour revenir à l’instant présent et nous décoller de l’histoire qui


passe dans notre tête, nous devons faire un petit pas intérieur de côté
intérieur et constater encore et toujours que finalement ce film n’est qu’une
construction de notre imaginaire, une usurpation du réel, une illusion.
L’histoire dont je suis le héros que je me raconte dans la tête est une pure
fiction. Le problème n’étant pas que cette fiction existe – c’est beau de
rêver –, mais que nous la prenions pour vraie. Pour bien comprendre ce
point, il nous faut clairement distinguer la nature de la pensée du contenu de
la pensée. Une pensée en tant que pensée n’est jamais réelle car c’est une
construction mentale, un film. Ce que j’appelle réel est ce qui est palpable
ici et maintenant. Ce livre dans vos mains est réel car vous en faites
l’expérience vivante concrète dans l’instant. En revanche, si apparaît en
vous la pensée « La Terre est ronde », cette pensée en tant que pensée n’a
pas de réalité vivante dans l’instant (même si l’affirmation contenue dans
cette pensée est vraie). C’est une image ou un son fabriqué par le mental qui
jaillit dans votre esprit. C’est une information issue de votre mémoire qui,
dans l’instant, est impossible à vérifier. La nature d’une pensée est comme
un arc-en-ciel. Elle existe, mais elle n’a pas de substance réelle. En être
conscient permet de moins croire aux pensées et d’être ainsi moins collé à
elles, moins attrapé par elles, ce qui aura pour effet, on y reviendra, de
calmer les feux psychologiques.

Le monde des émotions


Étrangement, avant l’âge de 30 ans, je n’avais jamais réellement prêté
attention à mon vécu émotionnel. Un peu comme si ce monde n’existait pas
ou comme s’il avait peu d’importance, parce qu’on ne m’en avait jamais
parlé. Je pense aujourd’hui qu’il faudrait que l’on dispense des cours
d’éducation émotionnelle aux enfants, comme cela existe déjà pour
l’éducation sexuelle. Ce savoir, j’en suis convaincu, nous est autant utile
adulte que toutes les connaissances intellectuelles que nous avons
accumulées depuis l’enfance. Notre société en prend d’ailleurs conscience,
je crois, comme le montre le film d’animation Vice-Versa des studios Pixar
(2014) qui offre une touchante représentation des émotions sous la forme de
petits enfants internes.

Communiquer sur les émotions demande néanmoins de prendre quelques


précautions, parce qu’en nommant une manifestation interne, on lui appose
une étiquette, ce qui a immédiatement pour conséquence de l’enfermer dans
un concept. Si par exemple je sens monter une envie de pleurer et si je suis
trop rapide à la nommer « tristesse », je ne vais pas voir qu’il peut aussi
s’agir d’une manifestation de joie ou d’autre chose. De plus, lorsque je pose
une étiquette comme « tristesse » sur un phénomène, s’y ajoutent toutes
mes représentations autour de la tristesse. Par exemple, « La tristesse est
une émotion négative » ou « Cela fait de moi une personne triste » ou bien
encore « Les gens n’aiment pas la compagnie des personnes tristes ». Nous
devons donc être très attentifs à ce que le mot n’enferme pas le mouvement
émotionnel dans une représentation rigide.
L’étymologie du mot émotion exprime bien d’ailleurs la dimension
dynamique de ces phénomènes. Il vient du latin e-motio, « en mouvement »
– une émotion est donc simplement une énergie en mouvement.

Sans trop nous attacher aux mots ni aux concepts, parmi ces énergies en
mouvement, nous pouvons identifier cinq grandes familles d’émotions. Ce
sont la peur, la colère, la joie, la tristesse et le dégoût, avec dans chaque
famille, différents niveaux d’intensité.

LES ÉMOTIONS ET LEURS NIVEAUX D’INTENSITÉ

EXERCICE EXPLORATOIRE

• Prenez chaque famille d’émotions une à une et regardez dans quelle mesure elles
vous sont familières.

• Quelles manifestations physiques génèrent-elles d’ordinaire dans votre corps ?

• À quelles occasions ces familles d’émotions se déclenchent-elles le plus souvent en


vous ?

Une croyance forte que j’entends souvent en séance est qu’il y aurait des
émotions « positives » et des émotions « négatives ». Je crois qu’il serait
plus juste de dire que certaines émotions semblent plaisantes et d’autres
moins. Nous pourrions alors ranger les émotions agréables d’un côté, les
émotions désagréables de l’autre et les émotions neutres au milieu.

Mais si la peur et la tristesse sont désagréables, pourquoi aimons-nous


pleurer ou frissonner au cinéma ? Et qu’est-ce qui nous pousse sur les
montagnes russes des parcs d’attraction ?

En les étudiant de plus près, nous pouvons voir que les émotions ne sont ni
agréables ni désagréables intrinsèquement. C’est notre relation avec elles
qui leur donne leur couleur affective. C’est lorsque nous refusons notre
émotion qu’elle devient douloureuse. Au cinéma, ma peur ne me pose pas
de problèmes, ma tristesse non plus : au contraire, ces sensations me
donnent du plaisir car je les connais, je les attends, je sais d’où elles
viennent et je sais qu’elles auront une durée limitée.

Ce que nous refusons donc n’est pas le ressenti émotionnel en lui-même,


mais le fait de ne pas avoir le contrôle sur celui-ci. Nous voulons contrôler
nos émotions car nous croyons qu’elles nous font souffrir. Nous
examinerons ce point important dans le chapitre sur le refus de la souffrance
(le feu 6) en nous interrogeant : « Finalement, est-ce que je souffre à cause
de ma blessure ou bien parce que je refuse ma blessure ? » Si je suis
déprimé, par exemple, est-ce que je souffre plus de mon manque d’entrain
ou bien parce que je n’accepte pas la situation ?

Si notre corps a besoin d’énergie, une chute de glycémie dans le sang


déclenche dans notre estomac une sensation de faim. Lorsque cela se
produit, nous écoutons ce signal qui nous invite à nous nourrir. De la même
façon, l’émotion est le messager d’un feu psychologique qui est activé par
une situation (l’alarme intérieure). Chaque émotion est comme un coursier
qui vient frapper à notre porte avec un message. Mais si nous ne lisons pas
ce courrier qui nous est adressé, nous ne verrons pas que l’émotion est notre
alliée et qu’elle est une énergie à notre service, l’expression d’un besoin
vital :
• La peur est une énergie de protection, de survie. Elle indique un danger,
elle invite à la vigilance. Le besoin vital qui lui est associé est un besoin
de sécurité, de survie. La peur est là pour nous protéger d’un risque
potentiel.
• La tristesse a une fonction de soulagement, de libération des tensions.
C’est une énergie de décompression en réponse à un choc ou un trauma.
Le besoin vital qui lui est associé est un besoin de réconfort et
d’apaisement. Elle joue aussi un rôle social en appelant à recevoir le
soutien d’autrui. La tristesse nous aide donc à traverser les situations où
un bouleversement a lieu dans notre vie. C’est le cas, par exemple, lorsque
nous vivons un deuil.
• La colère a une fonction de défense. Elle est mobilisatrice de force face à
l’adversité. Le besoin vital qui lui est associé est un besoin de respect et
d’intégrité. La colère est mal considérée dans notre société alors que pour
avoir confiance en soi, il faut être capable de mobiliser cette énergie de
l’action afin de prendre soin de soi-même.
• Le dégoût a une fonction de sélection. Il agit comme un filtre, un guide
qui indique ce qui est sain, que ce soit un aliment ou un comportement. Le
besoin vital qui lui est associé est un besoin d’hygiène, de santé (physique
et psychique) et un besoin d’éthique. Cette émotion est une alliée
formidable pour prendre des décisions, faire des choix.
• La joie témoigne que nos besoins sont satisfaits. Le besoin vital qui lui est
associé est un besoin d’harmonie, de détente et de paix. Si cette émotion
est plaisante parce qu’elle nous dit : « Tout va bien », nous devons être
vigilants à ne pas nous accrocher à elle et du coup rejeter toutes les autres
belles énergies à notre service.

Un moyen précieux pour en apprendre davantage sur les émotions est


d’observer des enfants en train de jouer. Les enfants sont sans filtre et ne
censurent pas leurs émotions. Grâce à eux, il est facile de voir comment le
mouvement naturel de l’énergie émotionnelle opère comme une vague. Par
exemple, lorsque son jouet se casse, l’enfant est triste et se met à pleurer
jusqu’à ce que l’énergie de la tristesse se dissipe, puis il retourne jouer,
insouciant. Il ne réprime pas ni se complaît dans cette vague de chagrin, il
la vit, c’est tout. Il laisse l’énergie émotionnelle monter en lui puis se
dissiper.

Cela semble d’une banalité ordinaire. Mais en grandissant, nous avons


appris à bloquer ces vagues d’énergie. Nos parents ou notre environnement
nous ont inculqué un rejet ou une méfiance vis-à-vis de celles-ci. On nous a
dit : « Ne sois pas triste », « Ne te mets pas en colère », « Tu dois maîtriser
ta peur » et pour nous faire accepter, nous avons obéi.

Mais si nous ne laissons pas le mouvement naturel de ces vagues


émotionnelles s’écouler en nous, l’énergie reste stockée dans notre corps et
forme des nœuds émotionnels. L’accumulation de ces nœuds crée au fil du
temps des tensions internes qui feront que nous ne nous sentirons jamais
complètement détendus corporellement et psychiquement. Comme nous le
verrons dans les chapitres suivants, ce sont ces nœuds qui, en s’accumulant,
sont la source profonde des feux psychologiques.

Beaucoup de personnes viennent en thérapie avec le désir d’apprendre à


gérer leurs émotions. Je leur explique que s’il est possible d’apprendre à
gérer nos comportements, en revanche, en aucun cas nous pouvons gérer les
émotions qui nous traversent. Lorsque, par exemple, je suis en colère contre
mon voisin qui fait du tapage à quatre heures du matin, la colère me dit que
je ne me sens pas respecté, que mon espace privé est envahi. Si, en réaction,
je le traite de tous les noms, mon comportement n’est peut-être pas le plus
adapté. Donc ce n’est pas l’émotion que je dois maîtriser mais l’action qui
en découle. Toute émotion est légitime mais non tous les comportements
induits. D’ailleurs, la perte de contrôle sur le comportement est souvent liée
à un trop fort contrôle de l’énergie émotionnelle. C’est l’effet Cocotte-
Minute : lorsque je réprime trop longtemps la vague d’énergie en moi, à un
moment inattendu les vannes s’ouvrent et l’énergie explose avec violence.

Parfois c’est l’inverse qui se produit. Au lieu de réprimer l’émotion, nous


nous attachons à elle. C’est ce qui se passe par exemple lorsque nous
sommes bloqués dans une situation de deuil sans fin. Une patiente qui
s’était séparée de son petit ami dix ans plus tôt me disait ne toujours pas
réussir à accepter cette rupture et se voyait ressasser encore et encore des
scènes du passé. Elle arrivait toujours dans mon cabinet, abattue, portant
fixé sur le visage un masque de tristesse. Avec le temps, elle a pris
conscience du fait que rester avec ce chagrin lui permettait finalement de
continuer à vivre avec son ex-compagnon, de le garder près d’elle. Laisser
partir la tristesse aurait signifié laisser partir son ex-compagnon et clore leur
histoire, ce qu’elle se refusait à faire jusque-là. Nous reviendrons sur ce
thème du deuil et de la séparation plus en détail dans le chapitre sur le refus
de la mort (le feu 5).

Pour conclure cette introduction sur les émotions, notez que la description
du monde des émotions que je donne ici, à partir de cinq émotions
primaires, est une représentation simplifiée. Il y aurait en réalité beaucoup
plus de nuances et de complexité à apporter. Tout d’abord parce que les
émotions interagissent entre elles et se mélangent. Par exemple, si je me
mets en colère contre mon enfant qui a traversé un passage piéton en
courant sans regarder, c’est d’abord parce que j’ai eu peur. Dans cette
situation, peur et colère sont superposées. De plus, une émotion peut être
induite par une autre émotion, c’est ce qui se passe lorsque je suis triste
d’être triste ou bien frustré d’être énervé, c’est l’effet boule de neige
émotionnel.
Il n’y a pas seulement cinq types d’émotions. Il existe des émotions dites
secondaires, comme la jalousie, la culpabilité, la pitié, la confusion, la honte
ou la haine, qui sont une combinaison du monde de l’affect et du mental.
On trouve également des affects qui s’expriment sur le long terme comme
le sentiment amoureux ou les humeurs. Des émotions peuvent aussi
apparaître par résonance avec autrui, c’est le cas de la compassion et de
l’empathie. Enfin, des affects naissent d’automatismes, de
conditionnements et de traumas enfouis dans notre subconscient, comme les
phobies (peur des serpents, peur du vide…).

Vous voyez la grande diversité que peut prendre l’énergie émotionnelle. À


vous d’aller à votre rythme à la rencontre de votre monde intérieur dans
toute sa complexité et sa beauté aussi. Pour identifier ce qui vit en vous,
votre alliée la plus puissante, de mon point de vue, est l’écoute de votre
corps.

Le monde de la corporalité
En séance, j’aime repérer dans le discours de mes patients les expressions
de la langue française qui montrent comment le corps est le support
indéfectible de notre affect : « J’en ai plein le dos », « Je suis mal dans ma
peau », « Je me fais du mauvais sang » ; « J’ai un nœud au cerveau / une
épine dans le pied / des fourmis dans les jambes… » ; « Je serre les
fesses » ; « Il me sort par les yeux / me tape sur les nerfs » ; « J’ai le cœur
lourd / la gorge serrée / une boule au ventre… ».

Ces expressions le montrent : le monde de la corporalité est une formidable


porte vers la connaissance de soi. Il regroupe nos sensations physiques :
notre capacité à voir, entendre, sentir, goûter et toucher. Mais aussi nos
élans vitaux : respirer, manger, bouger, faire l’amour, parler, rire, bâiller,
éternuer, frissonner…

Le premier avantage du corps est qu’il ne ment jamais. Si je ressens de la


tension dans mon ventre, c’est qu’il y a une tension. Si j’éprouve une
sensation de détente agréable, c’est qu’il y a de la détente. L’information
que je reçois est sans filtre, elle est en prise directe avec ce que je vis dans
l’instant car elle n’est soumise à aucune interprétation du mental. Si ma
gorge se serre, que je sens une envie de pleurer, c’est encore à partir d’une
sensation corporelle que je reçois l’information sur mon état émotionnel.

Nos symptômes physiques sont de ce fait des guides irremplaçables pour


reconnaître les feux psychologiques qui brûlent en nous.

L’autre atout du corps est qu’il est toujours disponible. Où que je sois, quel
que soit le moment, je peux poser mon regard sur mes sensations
corporelles et observer comment je me sens. Ainsi j’apprends sur moi-
même et sur la façon dont je suis impacté par les situations que je vis.

Enfin, cette écoute m’aide à m’ancrer dans le moment présent. Lorsque je


suis attentif à mon corps, je suis dans l’instant, ici et maintenant, alors que
lorsque j’écoute ma tête, on l’a vu, je suis dans un ailleurs, avant ou après.
Le premier exercice que je propose en séance pour développer l’écoute
corporelle est de poser son regard sur sa respiration.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Pour écouter votre respiration, imaginez que vos poumons sont comme un enfant qui
dort à vos côtés. Vous êtes l’adulte qui veille sur cet enfant et vous allez être attentif à
sa façon de respirer.
Faites une pause entre chaque question pour prendre le temps de ressentir.

• La respiration est-elle lente ou bien rapide ?


• Y a-t-il des apnées entre l’inspiration et l’expiration ?
• La respiration est-elle saccadée, discontinue, interrompue ?
• Est-ce que l’inspiration demande plus d’effort que l’expiration ?
• La cage thoracique est-elle pleinement déployée à l’inspiration ou bien reste-t-elle
contractée ?
• Portez votre attention sur la partie basse des poumons, celle en contact avec le
diaphragme : y a-t-il une sensation de lourdeur ou bien de légèreté ?
• Remontez votre attention sur la partie haute des poumons et sentez si cette zone est
pleinement déployée ou bien contractée. Ressentez-vous l’espace autour des
clavicules ?
• Puis orientez votre regard vers l’œsophage et sentez la caresse de l’air qui entre et
qui sort, la fraîcheur de l’air inhalé et la chaleur de l’air exhalé. La sensation est-elle
agréable, fluide ?

Faites cet exercice sans aucune intention de changer quoi que ce soit. Si vous
ressentez une contraction, pensez au bébé qui dort, vous êtes à ses côtés et vous
observez, c’est tout. En revanche, vous constaterez peut-être qu’en posant votre
regard sur votre respiration des choses bougent. La respiration peut s’allonger, la cage
thoracique se détendre, mais cela se produit sans que vous interveniez.

Prenez quelques notes sur ce que vous avez pu observer :

Il est très important d’intégrer que l’écoute doit se faire sans intention. Si
j’écoute mon corps avec l’intention de le détendre, je crée une tension
interne. Toute intention est tension. La détente se fait d’elle-même
justement lorsque je n’interviens plus. L’état naturel du corps est la détente.
On entend souvent parler de lâcher-prise, mais le lâcher-prise n’est pas une
action à réaliser. C’est en réalité un relâchement, un effondrement qui se fait
lorsque nous n’intervenons plus. C’est ce qui, je pense, est le plus difficile à
appréhender dans l’observation de soi : constater comment, en permanence,
on se crée des tensions en cherchant à changer ce qu’on est en train de
vivre. Il est même assez ironique de découvrir que c’est justement lorsque
nous ne cherchons plus à contrôler ce que nous vivons que le changement
que nous désirons se produit. C’est aussi pour cela que je préfère parler
d’écoute plutôt que de méditation, car le mot méditation induit l’idée
d’action et qu’il y aurait quelque chose à faire, à réaliser, à obtenir.

Pour aller un peu plus loin dans cette écoute, nous pouvons l’étendre à
l’ensemble du corps.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Le body scan
Vous allez utiliser votre attention comme un scanner passant en revue votre corps,
de la plante des pieds jusqu’au sommet de votre tête 2.
• Choisissez la position qui vous convient le mieux : debout, assis, allongé. Je trouve
que la position debout permet de ressentir davantage les effets de la pesanteur sur le
corps.
• Imaginez qu’un scanner projette une lumière blanche qui se déplace lentement en
remontant le long de votre corps. Respirez naturellement, explorez la sensation
physique à l’intérieur et à l’extérieur de votre corps, ainsi que des différentes couches
solides (os, muscles, tendons et peau) et liquides (sang et lymphe).
• Remarquez s’il y a des tensions, s’il y a du mouvement, si la température est chaude
ou froide. Posez votre attention au moins cinq secondes sur chaque élément : plante
des pieds, orteils, talons, pieds (os, muscles et peau), chevilles, mollets, tibias,
genoux, cuisses, hanches, fesses, organes génitaux, anus, côlon, abdominaux,
intestin, nombril, foie, estomac, reins, plexus, cœur, poumons, cage thoracique,
omoplates, colonne vertébrale, dos, poitrine, tétons, gorge, épaules, aisselles, biceps,
triceps, coudes, avant-bras, poignets, mains, doigts, ongles… Puis revenez sur : le
cou, la nuque, les cervicales, la glotte, la mâchoire, la langue, le palais, les narines,
les globes oculaires, les tempes, le front, le visage dans son ensemble, les oreilles,
l’arrière du crâne, le cerveau, et enfin le sommet de la tête.

Prenez quelques notes sur ce que vous avez pu observer :


Grâce à cette écoute, vous allez découvrir que certaines zones du corps sont
le réceptacle privilégié des nœuds émotionnels enfouis en vous. Il est
intéressant de prendre le temps de s’arrêter un peu plus longtemps sur ces
zones.

La première est la partie basse de la tête, celle qui comprend la mâchoire, la


nuque, le cou, le nez, les oreilles internes et les cervicales. Cette zone a
tendance à se contracter chez les personnes qui sont habituées à retenir leurs
mots ou leurs émotions. Un exercice simple de visualisation guidée permet
de voir si cette zone est tendue.

EXERCICE EXPLORATOIRE

• Imaginez que cette partie du corps est comme une éponge toute sèche, en forme de
sphère.
• Ensuite, imaginez de l’eau en train de couler sur cette éponge desséchée. Petit à
petit, elle s’humidifie et commence à se déployer. Elle grossit lentement, jusqu’à sortir
de votre corps et devenir immensément grande.
• Voyez si cette simple visualisation crée du mouvement ou des sensations
particulières dans cette zone. Si vous ressentez des picotements, de petites
vibrations ou un relâchement, certainement cette zone a tendance à être sous
tension.
• Vous pouvez alors vous poser la question : « Ai-je tendance à ravaler mes larmes, à
serrer les dents ou à ne souvent pas dire aux autres ce que je pense réellement ? »

Cette visualisation de la zone asséchée que l’on hydrate comme une éponge
sphérique peut être appliquée à d’autres parties du corps qui stockent nos
émotions :
– chez les personnes qui ont beaucoup de responsabilités, qui « portent »
beaucoup, la zone du dos, des épaules et des trapèzes sera spécialement
vulnérable ;
– chez les personnes très rationnelles, très « mentales », ce sera la zone
cœur/plexus/nombril, là où se dépose l’énergie des nœuds émotionnels liés
à la colère, la peur et la tristesse ;
– enfin la vasque formée par notre bassin, qui est le réceptacle du côlon, de
l’anus et des organes sexuels, est une zone souvent sensible chez les
personnes ayant vécu des traumatismes durant l’enfance car cette zone se
tend, se serre lorsqu’on est stressé ou angoissé.

En entraînant notre capacité à sentir l’ensemble de notre corps et ses


mouvements internes, nous allons repérer tous les nœuds et les blocages en
nous. Prenons l’exemple d’une personne qui réalise que la partie haute de
son dos est très tendue. On peut se demander ce que cette personne a
l’impression de porter dans sa vie, le poids de ses responsabilités. Cette
observation nous conduira à regarder ensuite comment ses choix de vie sont
ou pas en adéquation avec ses désirs profonds, mais aussi la façon dont elle
interagit avec son entourage. Porte-t-elle pour les autres parce qu’elle n’ose
pas dire non, ou parce qu’elle se sent responsable du bonheur des autres, le
« syndrome du sauveur » ?

Une autre personne qui voit que son plexus solaire se contracte dès le matin
au réveil et qui observe que cette sensation provoque une fermeture en elle,
un sentiment d’être sur la défensive, pourra se demander de quoi,
finalement, elle a besoin de se protéger ? Est-ce qu’elle vit le monde
extérieur comme un agresseur potentiel ? Si c’est le cas, est-ce qu’elle se
sent capable de se défendre, de faire face ? A-t-elle peur de la
confrontation ? Ou bien encore, est-ce qu’elle porte en elle des agressions
du passé qui n’ont pas été digérées ? Nos sensations corporelles nous
orientent immanquablement vers les zones de souffrance en nous.

Mais pour les percevoir, on doit se mettre en recul de soi-même, faire un


pas en arrière. Ce qui est possible grâce au moi conscient.
Le champ de conscience
Dans les magazines de psychologie, on parle beaucoup aujourd’hui de
« pleine conscience », mindfullness, parfois voire d’awareness. Je préfère
utiliser l’expression « champ de conscience » ou « espace conscient » car, à
mes yeux, ce n’est pas une pratique ou une technique que l’on doit cultiver
mais un aspect de nous-même, une caractéristique de notre être qui est déjà
là, déjà présente en nous. Mais comment la voir, comment la rencontrer ?
Observer notre capacité d’observation semble par nature impossible. C’est
un peu comme demander à une caméra de se filmer elle-même. Pour cette
raison, différentes écoles et traditions utilisent souvent des métaphores pour
orienter notre regard vers ce champ de conscience. On peut dire, par
exemple, que le champ de conscience est comme un ciel traversé par des
nuages que sont les pensées, les émotions et les sensations ou comme un
océan dont les vagues sont les pensées, les émotions et les sensations. Ou
bien encore une page blanche sur laquelle s’inscrivent des mots ou une
portée de musique silencieuse sur laquelle se posent des notes. Les
métaphores sont infinies. Mais, même si elles sont parlantes, finalement
seule l’expérimentation en direct nous permet de goûter à ce champ de
conscience.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Assis au fond de l’espace conscient


• Prenez un instant pour pressentir ce champ de conscience. De la même façon que,
assis(e) sur la plage, vous regardez passer les nuages, les oiseaux, les avions…
paisiblement, silencieusement, sans intervenir, conscient(e) de l’agitation qui se
présente devant vous, contemplez ce qui se passe en vous, maintenant, à l’instant.
• Faites un pas en arrière intérieurement et observez simplement ce qui apparaît dans
ce champ de conscience : pensées, émotions, sensations… Vous êtes le ciel qui voit
passer les nuages :
– je suis conscient(e) de voir l’environnement autour de moi, le livre que j’ai dans les
mains ;
– je suis conscient(e) de percevoir les sons autour de moi ;
– je suis conscient(e) de sentir les odeurs à cet instant et le goût dans ma bouche ;
– je suis conscient(e) des sensations dans mon corps ;
– je suis conscient(e) des pensées dans ma tête ;
– je suis conscient(e) de mon état émotionnel.

• Puis lisez les phrases suivantes pour ressentir encore un peu plus ce champ de
conscience :
– les pensées visuelles et verbales, les mots et les images apparaissent puis
disparaissent en moi. Je vois ce mouvement en moi.
– les vagues émotionnelles et les variations d’humeur naissent puis se dissipent en
moi. Je vois ce mouvement en moi.
– les sensations, les désirs, les élans vitaux, l’inspiration, l’expiration émergent puis
s’évanouissent en moi. Je vois ce mouvement en moi.
– j’observe ce foisonnement continu de pensées, d’émotions et de sensations
apparaître puis s’évanouir.
– la seule chose stable et paisible en moi est la lumière de mon champ de conscience,
le silence qui soutient les sons, la lumière qui forme les images, une attention
consciente. Je m’y allonge paisiblement, silencieusement, les yeux grands ouverts sur
mon monde intérieur.

Qu’avez-vous observé ? Avez-vous pressenti cette lumière consciente ?


Avez-vous goûté à une forme de légèreté intérieure lorsque les
manifestations internes sont libres de leur mouvement, sans notre
intervention ?

En prenant l’habitude de simplement nous asseoir dans cet espace


conscient, nous observerons l’ensemble des mouvements psychiques et
physiques vivant en nous. Cela nous orientera vers les feux psychologiques,
les zones de blocage en nous et nous offrira avec le temps un apaisement,
une détente car cet espace ne colle à rien, ne s’attache à aucun objet mental,
émotionnel ou sensoriel. Tout peut arriver, notre champ de conscience n’en
sera jamais affecté. L’observation de soi à partir du champ de conscience est
toujours neutre, ouverte, détendue, paisible et reposante. Et c’est à partir de
cet espace que les nœuds psychiques et émotionnels accumulés en nous se
dénoueront d’eux-mêmes.

Soyons clair, néanmoins, sur le fait que nous ne cherchons pas à atteindre
un état particulier. Notamment, un état où nous serions constamment en
paix, calme, sans tensions. Car, comme nous l’avons vu, en cherchant à
nous détendre, nous nous tendons davantage. Cette approche nous invite
donc à une détente avec ce qui est présent en nous, dans l’instant, quel qu’il
soit. Comme l’affirmait déjà le philosophe Sénèque il y a deux mille ans :
« La vie ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre
comment danser sous la pluie ». Et le ciel est paisible par nature, il n’est pas
affecté par les nuages, que ce soit de petits cumulus ou bien une violente
tempête.

Notre voyage d’exploration est donc simplement une invitation à nous


rencontrer en profondeur (et en hauteur aussi, en explorant nos idéaux et
nos plus nobles aspirations), en examinant les nuages mentaux, émotionnels
et corporels de notre ciel intérieur. Nous serons particulièrement attentifs à
ceux qui posent problèmes, ceux auxquels nous nous agrippons, que nous
ne voulons pas laisser partir et ceux que nous combattons farouchement qui
nous maintiennent dans une lutte sans fin et alimentent nos feux intérieurs.

Les mondes qui nous composent


Le monde du mental
Pensées visuelles et verbales
Le monde des émotions
Peur, colère, joie, tristesse, dégoût…
Le monde du corps
Sensations, élans vitaux (alimentation, respiration, reproduction et mouvements) et
actions.
Le champ de conscience
Dans lequel se situent et s’entrecroisent les trois mondes précédents.
Notes
1. « Cogito, ergo sum » (Je pense, donc je suis), Discours de la méthode, 1637.
2. Vous trouverez une version audio de cet exercice sur le site ghislainrubiodeteran.com.
Premier Feu
Le manque d’amour de soi

J
e repense régulièrement à Annie, une patiente qui m’a
particulièrement marqué. Âgée d’une trentaine d’années, au physique
agréable, heureuse dans sa vie de couple, elle m’a laissé en mémoire
l’expression saisissante de dégoût que je lisais sur son visage chaque fois
que cette jeune femme me parlait d’elle-même. Si j’osais, en plus, lui faire
un compliment sur sa tenue ou sa nouvelle coiffure, elle me répliquait avec
une sincérité touchante : « C’est gentil, mais je n’y crois pas, je sais que je
suis dégueulasse ».

Il est étrange de constater à quel point l’estime de soi est répartie de façon
inégale et injuste parmi nous, quelles que soient nos caractéristiques
individuelles. Les recherches sur l’amour-propre montrent d’ailleurs
comment les différences s’installent dès le collège, avec par exemple, une
moyenne déjà plus basse pour les filles que pour les garçons à 13 ans. Vous
avez certainement aussi remarqué dans votre entourage comment certaines
personnes semblent naturellement bien dans leurs baskets alors que d’autres
sont mal à l’aise et n’arrêtent pas de s’excuser ou de se justifier.

Ce qui différencie ces personnes, au fond, c’est le type de relation qu’elles


ont nouée avec elle-même, le type d’amour qu’elles ont pour elles-mêmes.
Les premières s’aiment sans conditions alors que les autres ne s’aiment que
sous certaines conditions. Car il existe deux types d’amour, deux façons
distinctes de s’aimer en définitive :
– l’amour conditionnel, celui que nous nous accordons si, et seulement si,
certaines conditions sont réunies ;
– l’amour inconditionnel qui est invariable quelle que soit la situation.

L’amour conditionnel est lié à l’évaluation que nous faisons de nous-même


ou de notre réussite sociale. Par exemple, s’aimer quand on réussit un
examen ou lorsqu’on se sent aimé(e) par son conjoint ou bien encore
lorsque l’on se trouve beau ou belle. Le problème avec cet amour est qu’il
ne nous satisfera jamais durablement, car il dépend de facteurs qui sont hors
de notre contrôle. Un jour nous recevons un compliment, et donc nous nous
aimons, mais le lendemain, à la première critique, tout est à refaire. Donc le
véritable amour de soi, celui qui peut nous nourrir durablement, est l’amour
inconditionnel, parce que lui seul est inaltérable. Mais pourquoi alors nous
est-il si difficile de nous l’accorder ?

Il est plus intéressant d’inverser cette question en nous demandant plutôt :


« Pourquoi finalement ai-je besoin de remplir certaines conditions pour
m’aimer ? D’où cela vient-il ? » Ou encore « Comment ce système de
valeurs construit sur des conditions à remplir fonctionne-t-il en moi ? » Car
c’est ce système de conditionnement qui fait obstacle à l’amour
inconditionnel. L’amour inconditionnel n’est pas quelque chose que nous
pouvons acquérir ou obtenir, c’est un état, un vécu qui justement émerge
lorsque les conditionnements que nous nous imposons s’estompent. C’est
un peu comme laver ses carreaux : normalement, une vitre est propre et
laisse passer la lumière ; c’est la saleté collée (le conditionnement) qui fait
obstacle à la transparence, c’est donc elle qu’il nous faut repérer. Tant que
nous attendons ou espérons que certaines conditions soient remplies pour
enfin nous autoriser à nous aimer pleinement, jamais nous ne serons
satisfaits.
EXERCICE EXPLORATOIRE

Lisez lentement les phrases suivantes à voix haute et notez ce qui se passe en vous.
Sur le plan mental : quelles pensées, commentaires, réactions jaillissent ?
Dans le domaine de l’affect, la charge émotionnelle pour chaque phrase est-elle
neutre, agréable, désagréable ?
Sur le plan physique : le corps se crispe-il ou bien reste-il détendu ? Ressentez en
particulier les zones du visage, des mains et du ventre.

• Je suis intelligent(e).
• Je suis séduisant(e).
• Je mérite de recevoir ce que la vie m’offre en abondance.
• Je suis beau ou belle.
• Je suis quelqu’un de bien.
• Je suis digne d’être aimé(e).
• Je suis mon(ma) meilleur(e) ami(e).
• Je suis merveilleux ou merveilleuse.
• Je suis important(e).
• J’ai ma place dans l’univers.

Notez les mots qui ont eu un impact sur vous et la nature de cet impact :

Qu’avez-vous remarqué ? Quels mots vous ont fait réagir ? Est-ce un grand
« oui » pour chaque phrase ? Ou bien, votre mental a-t-il émis des
objections, du type « Oui, mais personne n’est merveilleux » ou « C’est
prétentieux et égocentrique de se croire important ». Si c’est le cas, votre
amour pour vous-même n’est probablement pas libre de tout
conditionnement.

Pour voir plus clairement comment s’organisent en nous ces


conditionnements, ces injonctions à être comme ceci ou comme cela, nous
pouvons nous inspirer du triangle dramatique du psychiatre Stephen
Karpman et distinguer trois aspects de notre psychisme en interaction :
– le moi victime, celui qui subit les injonctions, le manque d’amour
inconditionnel ;
– le moi sauveur, celui qui tente de sauver le moi victime de sa souffrance
avec des stratégies de protection en réponse à ces injonctions ;
– le moi oppresseur, celui qui tente d’imposer les conditions extérieures
supposément attendues de nous.

Pour répondre à un commentaire que l’on me fait parfois en thérapie, le fait


de parler de différents aspects de nous-même ne signifie pas que nous
sommes schizophrènes ou bien atteints d’un trouble du dédoublement de la
personnalité. Cette division nous permet simplement de distinguer plus
facilement nos dynamiques internes.

Le moi oppresseur
L’autre nom que l’on peut donner au moi oppresseur est « le critique
interne » ou « le juge ». C’est cette voix intérieure, jamais satisfaite, qui
nous répète sans cesse que tant que certaines conditions ne sont pas
remplies, nous ne sommes pas autorisés à nous aimer pleinement. Il est le
porteur de tous nos conditionnements. Comme un juge ou un gendarme, il
cherche à nous imposer sa loi.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Pour entendre la voix du moi oppresseur, un exercice simple est de se mettre nu(e)
devant une glace et d’écouter ce qui se passe dans votre tête. Si vous entendez des
commentaires désobligeants du type « Ton nez est trop gros », « Tu n’es pas assez
maigre » ou « Tu as trop de rides », il s’agit du moi oppresseur.
Soyez attentif ou attentive au ton de sa voix, plein de reproches et d’amour
conditionnel. Lors d’un dîner avec des amis, si votre voix intérieure vous dit : « C’est
idiot ce que tu as dit, tes amis vont penser que tu es ridicule », c’est encore lui qui vous
parle.

Prenez un temps pour identifier les moments de votre vie où le moi oppresseur se fait
le plus souvent entendre :

Vous avez peut-être constaté comment le moi oppresseur aime se comparer


aux autres. Vous avez pu l’entendre vous dire : « Regarde, lui il y arrive, tu
devrais faire comme lui ou comme elle ou être plus comme lui ou comme
elle ». C’est pour cela que nous sommes fascinés par les stars de cinéma (ou
stars d’autres domaines : du sport, de l’économie, de la politique…). Le moi
oppresseur se compare en permanence à ses modèles et nous dit « Si tu étais
comme lui ou elle, enfin tu serais aimé(e) de tous ».

Sans cesse, donc il s’auto-évalue et se place sur une échelle de valeurs. Les
échelles principales qu’il utilise sont les compétences intellectuelles,
artistiques, manuelles ou sportives, l’aspect physique, la popularité, le statut
social et les possessions matérielles et/ou culturelles. Tout ceci crée un
ensemble de messages qui nous disent : « Tu es trop ceci » ou « Tu n’es pas
assez cela » qui se transforment en une myriade de « Tu devrais » et « Il
faudrait ». En anglais, on parle de la tyrannie des should :

Pour t’aimer et être aimé(e), tu devrais être plus altruiste.


Pour t’aimer et être aimé(e), il te faudrait être plus cultivé(e).
Pour t’aimer et être aimé(e), tu dois être un bon parent.
Pour t’aimer et être aimé(e), il te faudrait maîtriser ta colère.
Pour t’aimer et être aimé(e), il te faudrait un corps plus harmonieux.
Pour t’aimer et être aimé(e), il te faudrait être en couple.
Pour t’aimer et être aimé(e), tu devrais être plus compétent(e).
Pour t’aimer et être aimé(e), il te faudrait être plus sage
spirituellement.
Pour t’aimer et être aimé(e), tu devrais avoir des amis.
Pour t’aimer et être aimé(e), il faudrait que tu sois une belle personne.
Pour t’aimer et être aimé(e), tu devrais être plus à l’écoute des autres.
Pour t’aimer et être aimé(e), il faudrait que tu sois moins lunatique.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Explorez le système de valeurs de votre moi oppresseur. Faites la liste de tous les « il
faut » et « tu dois » que vous pensez devoir réaliser avant de pouvoir vous aimer
inconditionnellement.

Ces injonctions peuvent aussi être formulées par des phrases commençant par « Si
seulement… ». Par exemple :
• Si seulement j’avais plus confiance en moi
• Si seulement je me mettais moins en colère
• Si seulement mon corps était différent
• Si seulement j’étais plus jeune…
Complétez la liste de tous ces espoirs, de ces attentes qui remettent à plus tard
l’amour de soi inconditionnel.

Peut-être une objection se soulève-t-elle en vous : « Oui, mais quand je me


dis, je dois être altruiste, j’ai raison ». Je vous répondrais que : « Oui, vous
avez raison, c’est bien d’être altruiste », mais la question que j’aurais envie
de vous poser ensuite est la suivante : « Pouvez-vous aussi vous autoriser à
ne pas l’être ? S’il existe de l’altruisme en nous, il existe aussi de l’égoïsme.
Pouvez-vous également aimer la polarité opposée ? » Pour nous aimer sans
conditions nous devons tolérer toutes nos polarités : la peur comme le
courage, la générosité comme l’avarice, l’intelligence comme la bêtise, la
force comme la faiblesse, la beauté comme la laideur. Dans le chapitre sur
nos relations aux autres, nous verrons aussi comment les polarités que nous
n’acceptons pas en nous, nous ne les acceptons pas non plus chez les autres.
L’autre va donc nous aider à identifier nos conditionnements et tout ce que
nous n’acceptons pas de nous-même.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Voici quelques exemples de polarités. Voyez sur lesquelles votre moi oppresseur se
focalise et entourez-les.
Puis prenez un moment pour imaginer de quelle manière votre vie serait différente si
vous pouviez accueillir cette polarité qui est rejetée.
Agilité/Maladresse
Générosité/Avarice
Douceur/Rigidité
Intelligence/Bêtise
Courage/Lâcheté
Beauté/Laideur
Force/Fragilité
Richesse/Pauvreté
Introversion/Extraversion
Tolérance/Fermeture
Gentillesse/Cruauté
Féminité/Masculinité
Humilité/Arrogance
Fainéantise/Détermination
Honnêteté/Dissimulation

Un moyen de nous sentir moins prisonniers des « Il faut » et des « Tu dois »


est de les remplacer par « Je peux si je veux ». Et de l’appliquer aussi à la
polarité opposée. Par exemple, pour l’affirmation « Je dois être une belle
personne » : oui, je peux l’être si je veux. Si je veux, je peux aussi accueillir
la polarité opposée, je peux quand je veux être une personne désagréable.

Matthieu, un jeune homme de 25 ans, m’explique qu’il a du mal à


s’aimer car il ne se trouve pas assez masculin. Son moi oppresseur lui
reproche d’avoir un visage trop enfantin, avec une barbe pas assez
développée, d’être trop souvent maladroit, pas très habile de ses mains
et totalement incompétent en bricolage et en cuisine. À ses yeux, cela
le rend moins séduisant que d’autres hommes plus « virils » que lui.
En explorant ensemble ces croyances et les injonctions du moi
oppresseur, Matthieu prend conscience que le ton de la voix du moi
oppresseur est le même que celui de son père, professeur de tennis qui
lui mettait une pression énorme lorsqu’il était enfant pour être le
meilleur sur les courts, le critiquant et le comparant toujours à ses
camarades plus performants que lui.
Grâce à cette prise de conscience, Matthieu peut commencer à se dire à
lui-même : « J’ai le droit d’être maladroit si je veux et je peux aussi
être agile si j’en ai envie, ces deux aspects peuvent coexister en moi ».
Cette acceptation le conduit à un moment de transformation important,
le jour où il réalise qu’il est tout à fait capable de monter une étagère
tout seul. Il découvre aussi que si son visage est plutôt imberbe, son
sourire et sa voix grave sont de belles armes de séduction. En
explorant les injonctions de son moi oppresseur, Matthieu se libère
petit à petit des constructions mentales limitantes héritées de son
enfance et peut recréer son propre système de valeurs.

Enfant, vous êtes-vous déjà amusé(e) à contempler votre silhouette devant


un miroir déformant dans une fête foraine ? Avez-vous remarqué l’étrange
fascination qu’exerce sur nous l’image comique qu’il renvoie ? C’est drôle
de se voir avec une grosse tête, des jambes raccourcies ou une grande
bouche. Ou bien – comme c’est possible aujourd’hui –, avez-vous joué à
cela avec l’application d’un téléphone portable ? Et bien le moi oppresseur
a le même effet sur nous. Comme si nous portions des lunettes qui
modifient la réalité. Et, le plus souvent, il voit le verre à moitié vide plutôt
que le verre à moitié plein. Il exagère, il grossit comme une loupe ce qui
pour lui représente des défauts. Dans sa représentation de notre intelligence,
de notre réussite sociale, de notre capacité de séduction par exemple, il est
féroce, focalisant son attention sur les détails qui ne lui conviennent pas.
Pour Matthieu, c’était sa capacité à bricoler et son visage glabre. Pour une
autre patiente, c’était la forme de ses narines qui était si disgracieuse de son
point de vue qu’elle dû avoir recours à la chirurgie esthétique pour enfin se
réconcilier avec son nez et faire taire son moi oppresseur.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Sur quels aspects de vous le moi oppresseur se focalise-t-il ?

Mais pourquoi donc la nature nous a-t-elle doté d’un tyran intérieur ? Le
moi oppresseur cherche en réalité à nous protéger. En réponse à la
souffrance émotionnelle du moi victime, il a développé une stratégie de
défense qui se résume ainsi : « Je vais me conformer parfaitement à ce que
le monde extérieur semble attendre de moi, cela me donnera la sécurité
permanente et l’amour dont j’ai besoin ». Enfant, ce mécanisme nous a été
utile pour nous ajuster aux demandes de nos parents et de notre
environnement, tous les « Sois sage », « Sois poli(e) », « Travaille bien à
l’école », « Sois courageux / courageuse », « Ne sois pas triste », « Sois un
bon garçon », « Sois une gentille grande sœur »… Mais, adulte, ce système
d’adaptation et ses conditionnements sont devenus notre prison.

Un de mes formateurs – et cela m’avait surpris à l’époque – m’avait


recommandé d’aménager chez moi un petit autel consacré à cette prison.
Pour lui rendre hommage, pour la remercier. Je compris plus tard sa
démarche, car le piège dans lequel j’étais tombé, est qu’en prenant
conscience de plus en plus de cette oppression interne, je cherchais à m’en
débarrasser, à la détruire. Mais en la combattant frontalement, je ne faisais
qu’ajouter un conflit interne à ce qui est déjà un conflit interne. En quelque
sorte, je mettais du bois dans le feu du non-amour.

Le moi oppresseur fait partie de nous, et si nous ne l’aimons pas, c’est


encore du non-amour. Faites la même chose chez vous, édifiez un petit autel
pour le moi oppresseur en remerciement des services rendus. Vous pouvez y
disposer une bougie, des fleurs, des photos ou encore des objets dont la
symbolique vous parle, laissez s’exprimer librement votre créativité.

Car finalement, le problème avec le moi oppresseur n’est pas qu’il existe
mais que nous croyons, que nous adhérons à ce qu’il nous raconte. Comme
de l’encre dans du papier buvard, ses paroles et sa représentation déformée
du monde s’imprègnent en nous. On dit en psychologie que nous sommes
« identifiés » à cette voix. Elle devient notre identité. Si le moi oppresseur
nous dit : « Tu n’es pas assez charismatique », si nous y croyons, nous nous
vivons comme une personne manquant de charisme et cette croyance
devient alors notre identité : « Je suis quelqu’un qui manque de charisme, et
j’en souffre parce que je pense que c’est un problème ». Mais si nous nous
décollons de cette croyance et que nous accueillons la polarité non-
charismatique de notre personnalité, le conflit interne s’apaise.

La désidentification / Le laisser-être
L’objectif du travail sur soi n’est pas de détruire le moi oppresseur mais de s’en
désidentifier. Ce qui veut dire créer de l’espace entre lui et moi, me décoller de lui
pour moins adhérer à ce qu’il me raconte et ainsi en être libre. Mais la
désidentification n’est pas quelque chose que je peux réaliser grâce à la volonté. Car
la volonté demande une intention et toute intention crée une nouvelle tension. La
désidentification se produit d’elle-même à la lumière de la conscience.

Voici la démarche qui permet que la désidentification se produise d’elle-même :


Je me pose dans mon champ de conscience et j’observe le moi oppresseur. Je suis
dans une position d’observation neutre indifférenciée et je laisse être tout ce qui
est présent. Cela revient à se mettre en arrière de soi-même, comme si je devenais
l’écran de cinéma sur lequel sont projetées les pensées, les émotions et les
sensations (pour vous aider vous pouvez reprendre l’exercice « Assis au fond de
l’espace conscient », p. 48).

Je vais m’apercevoir en premier lieu, lorsque je commence à distinguer le moi


oppresseur, que je lutte en permanence contre lui. C’est d’accord. Le champ de
conscience peut accueillir le moi oppresseur et le refus du moi oppresseur, il n’y a
rien à rejeter ou à changer.

Puis mon exploration me permet d’observer l’ensemble des pensées, émotions et


sensations corporelles associées au moi oppresseur.

Mentalement le moi oppresseur est une combinaison de représentations déformées


de soi et du monde, de comparaisons compulsives, d’injonctions à changer et de
croyances limitantes.
Nous allons discerner les polarités que le moi oppresseur refuse. Ainsi, lorsque je
l’entendrai me dire quelque chose de désagréable, je pourrai lui sourire
intérieurement sans adhérer à son discours.
Puis je descends dans mon ressenti corporel. Pour sentir l’impact du moi oppresseur,
imaginez que vous vous levez un matin et que vous constatez que votre moi
oppresseur est devenu votre plus grand fan, votre meilleur ami. Au réveil vous
l’entendez vous dire : « T’es super, je t’adore, c’est top d’être toi, tout ce que tu es est
le bienvenu ! ». Essayez d’imaginer la sensation dans le corps : probablement de la
légèreté, de l’énergie retrouvée, une impression d’ouverture. Car le moi oppresseur
crée une pesanteur en nous, il nous opprime, donc il pèse sur notre corps et restreint
notre énergie de vie. Prenez le temps de goûter à cette légèreté dans votre corps
pendant au moins une minute.

Ce processus de désidentification, de mise à distance s’accomplit petit à


petit avec le temps. Il peut donc être bénéfique de répéter cet exercice
chaque fois que l’on sent en soi un conflit interne qui génère des tensions.
Mais, de nouveau, il faut être vigilant car il y a un risque d’être identifié au
désir de se désidentifier, une forme de perfectionnisme du laisser-être. Le
moi oppresseur recycle tout et vous risquez de vous l’entendre vous dire :
« Tu dois te désidentifier de ton moi oppresseur ». Mais attention, c’est
encore lui qui vous parle et tente d’imposer sa loi.

La désidentification est, selon mon expérience, un processus sans fin : je


découvre régulièrement de nouvelles identifications à des croyances mais
leur poids est de plus en plus léger. Accueillir nos identifications avec
bienveillance fait pleinement partie du processus de réconciliation avec soi.
Le plus important est de retenir que cela ne demande aucun effort, car tout
effort signifie qu’il y a un désir de changement et donc qu’il y a refus d’un
aspect de moi. C’est pour cela que plutôt que parler de lâcher-prise, je
préfère dire laisser-être, car cela se fait sans intervention de notre part. Le
lâcher-prise se fait de lui-même lorsque tout ce qui existe en moi a le droit
d’être, sans condition, sans coller à rien, ni rien rejeter.

Le moi sauveur
Si le moi oppresseur est le juge, le critique interne, le moi sauveur est
comme le pompier qui cherche à éteindre l’incendie provoqué par le moi
oppresseur.

Prenons l’exemple d’Alain, 55 ans, expert-comptable, marié. Il


m’explique qu’il a l’impression de vivre avec une caméra derrière la
tête qui le surveille en permanence. Que chacun de ses gestes est épié,
évalué et commenté par son critique interne. Ce qui fait qu’il ne se sent
jamais complètement détendu et ce particulièrement dans les situations
où il rencontre de nouvelles personnes. Il se demande alors toujours ce
que l’on pense de lui, si les gens s’ennuient avec lui. Le soir, avant de
se coucher, il se repasse le film de sa journée et rejoue les situations en
se critiquant sur la façon dont il a réagi. En séance avec moi, je sens
qu’il a du mal à soutenir mon regard. Lorsque je le lui fais remarquer,
il m’explique qu’il imagine que moi aussi je dois m’ennuyer avec lui,
qu’il ne doit pas être un bon patient. Peu à peu, en mettant en lumière
ces manifestations, Alain prend progressivement conscience de la
pression continue que son moi oppresseur exerce sur lui.
Nous explorons ensuite ensemble la stratégie d’adaptation principale
qu’il a mise en place face aux assauts du moi oppresseur. Cette
stratégie de survie première est celle du « Bon Garçon » que l’on
nomme aussi le Pleaser en anglais, celui qui se soumet aux
injonctions, qui cherche en permanence à faire plaisir aux autres avant
de penser à lui. La croyance profonde du Pleaser est que pour se faire
aimer, il doit se conformer aux attentes d’autrui. Cette croyance est
renforcée par un fort sentiment de culpabilité qui apparaît lorsqu’il
transgresse l’autorité. Ainsi, Alain a tendance à s’effacer et à oublier
ses propres besoins. Il a du mal à dire non. Cette stratégie peut
fonctionner un temps, mais elle crée généralement des tensions sur le
long terme, car en mettant ses besoins de côté, le Pleaser se coupe de
lui-même et de ce qui le rend réellement heureux. De cette
compréhension émergera chez Alain l’envie de se remettre au centre
de lui-même, de se re-prioriser, en prenant notamment davantage soin
de lui, en osant dire non dans les situations qui ne lui conviennent
vraiment pas, en ignorant son sentiment de culpabilité hérité de
l’enfance – renforcé par le moi oppresseur – et en acceptant de créer
potentiellement de la frustration chez les autres.

Nous avons tous une partie Pleaser en nous qui est bien utile pour
fonctionner en société. C’est lorsque qu’elle devient notre unique modalité
d’être que cela pose problème : lorsque nous sommes identifiés à cette
personnalité, que nous sommes bloqués dans ce schéma rigide et que donc
nous ne sommes pas libres de pouvoir agir différemment en vivant les
polarités opposées.

Outre le Pleaser, le moi sauveur peut adopter une grande variété de


stratégies. Comme dans le monde animal, on parle des comportements de
défense fight, fly, freeze (attaque, fuite et paralysie), auxquels s’ajoutent
d’autres comportements possibles chez les animaux sociaux, comme la
soumission au mâle dominant ou la ruse (dont notre mental est expert).
Chaque stratégie de défense se comporte alors comme une petite structure
psychique indépendante et semi-autonome, ayant ses propres croyances,
émotions et comportements. Le psychiatre italien Roberto Assagioli les a
nommées les sub-personnalités. Chacune d’elles est comme un masque ou
une carapace que nous portons ou un personnage que nous jouons qui a
pour but de mettre à distance et de protéger notre vulnérabilité et nos
blessures (le moi victime). Voici quelques exemples de ces sub-
personnalités que vous reconnaîtrez peut-être chez vous ou chez vos
proches qui sont chacune différentes formes prises par le moi sauveur.

Le « pauvre de moi », le Calimero, la victime


Nadine est une jeune femme célibataire particulièrement identifiée à la sub-
personnalité « pauvre de moi ». Elle se place continuellement dans une
posture de plainte, de victime, qui lui permet de ne jamais se remettre en
question et de projeter ses frustrations sur les autres. Elle est souvent en
conflit au travail, mais elle reporte toujours la faute sur autrui. Elle ne peut
pas assumer ses échecs professionnels et amoureux car ce serait pour elle
trop insécurisant : elle serait alors obligée de se confronter à ses limites et à
la douleur de ne pas se trouver beaucoup de valeur. En séance, si je sens que
les plaintes de Nadine ont besoin d’être entendues, je vois aussi comment
cette carapace m’empêche de me sentir réellement proche d’elle car j’ai
peur moi aussi que ces critiques soient dirigées contre moi si jamais j’ose ne
pas adhérer complètement à sa victimisation.

Le petit roi, la petite reine

Jacques vient en thérapie « pour voir » comme il dit, mais il ne croit pas
vraiment que je puisse l’aider. Le mode « petit roi » est très présent. Je sens
chez lui une envie de me dominer. Il porte un masque d’arrogance qui me le
rend assez antipathique, même si j’imagine que cette confiance en soi
affichée peut séduire. J’ai besoin de visualiser son enfant intérieur
vulnérable pour garder un lien empathique avec lui (lorsque j’ai du mal à
me sentir en connexion avec un patient, j’ai besoin de me rappeler que plus
il y a de défense, plus il y a au-dessous de souffrance à protéger). Sa
carapace me dit : « Je n’ai pas besoin de toi, je suis au-dessus de toi, ne
m’approche pas ». Mais je sais que derrière son besoin de supériorité,
Jacques protège sa peur de se montrer faible et vulnérable et que son moi
victime craint certainement de créer un lien véritable d’intimité avec moi.

Le rationnel, l’intellectuel
Magalie est une ultra-rationnelle. Elle attend de nos rencontres que l’on
identifie la source de son mal-être pour définir ensuite une stratégie pour
l’éradiquer. Comme si nous cherchions une solution à une équation
mathématique. Ne pas savoir est insupportable pour elle. Elle aime que tout
soit sous contrôle dans sa vie et elle pense que chaque problème a sa
solution. Si je lui demande ce qui se passe dans son corps dans l’instant,
elle intellectualise aussitôt et me répond par une question : « Oui, mais
comment sait-on ce qu’on ressent ? » ou « À quoi ça sert de sentir mon
corps ? ». Elle est peu à l’écoute de ses émotions et de sa sensibilité, ce qui
l’empêche (et la protège aussi) de contacter réellement dans sa chair les
sensations physiques de son vécu émotionnel douloureux. C’est justement
ce voyage de descente dans le ressenti, dans la sensibilité que nous devons
faire ensemble pour que mental, émotions et corporalité se rééquilibrent.

L’addict, l’autodestructeur

Julien est en thérapie à cause d’une addiction au cannabis. Âgé de 35 ans, il


vit seul et ne sait toujours pas ce qu’il veut faire de sa vie. Sa stratégie de
fuite permanente dans les addictions ou la procrastination le maintient dans
un cercle vicieux, de perte de motivation, d’envie et de désir. Afin que cette
sub-personnalité d’autodestruction s’estompe, il nous faudra avec Julien se
confronter à sa peur de l’engagement et de la responsabilité, ainsi qu’une
profonde peur de l’échec qu’il porte en lui depuis l’adolescence. Le travail
avec Julien sera long, et souvent frustrant car il retombera à maintes
reprises dans ce cercle vicieux de l’addiction qui lui offre un refuge, un
réconfort temporaire lorsque la souffrance et les frustrations deviennent
insupportables.

Le clown, le gai luron


Pour Erwan, rien n’est vraiment important. Il aime rire de tout et ne pas se
prendre au sérieux. Il explique qu’il vient en thérapie pour mieux se
connaître, mais il ne sait pas très bien ce qu’il vient chercher. Il adore le
second degré, pour lui tout est source de cynisme et de sarcasme. Son côté
pince-sans-rire est distrayant, mais il me fait me sentir loin de lui. Lorsqu’il
me raconte un événement triste de son histoire par exemple, il ne quitte pas
son sourire et se sent obligé de faire une blague ensuite pour alléger
l’atmosphère. Cette superficialité peut apparaître comme un manque
d’authenticité, mais je devine que son humour sarcastique est sa façon de
mettre à distance ce qui est douloureux en lui.

Le maladroit, l’étourdi

Éva est identifiée à la sub-personnalité « incapable ». Elle se vit comme


« pas très adroite » et « pas très intelligente ». Sa façon de s’installer dans le
canapé de mon cabinet est un peu gauche, sa posture n’est pas très assurée.
Très vite, j’ai le sentiment qu’elle me place en position d’autorité, je me
sens un peu comme un professeur devant une élève. J’imagine que se vivre
comme peu capable permet à Éva de ne pas se mettre en danger et de ne pas
se confronter à sa peur de l’échec si jamais elle osait se sentir compétente et
si elle commençait à croire en son potentiel. Dans son exploration d’elle-
même, Éva devra comprendre comment cette stratégie s’est installée en
elle, comment elle lui a été utile dans le passé et comment elle est limitante
aujourd’hui dans sa vie d’adulte.

Souvent une sub-personnalité prend le dessus sur les autres. On peut dire
que le moi sauveur a une stratégie de sauvetage favorite, mais il en existe de
nombreuses qui cohabitent en nous. Voici quelques exemples des
différentes formes que peuvent prendre les sub-personnalités du moi
sauveur :
Pour le Pleaser
La Sainte : elle vit dans le sacrifice.
Le Perfectionniste : il cherche à tout contrôler en détail.
Le Jovial : en toutes circonstances il conserve son sourire d’apparat.

Pour le Calimero
• La Militante : elle est toujours en lutte pour des causes à défendre.
• Le Râleur : il est en opposition permanente avec ce qu’il vit.
• L’Histrion, la Drama Queen : il en fait des tonnes pour attirer l’attention et
qu’on prenne soin de lui.

Pour le petit roi, la petite reine


• La Séductrice : elle domine grâce à son pouvoir de séduction.
• La Brute : elle fait régner la peur autour d’elle.
• Le Roc : rien ne l’atteint, il est désensibilisé de ses émotions.

Pour le rationnel
• La Scientifique : elle est continuellement dans l’analyse et la recherche.
• Le Donneur de leçons : il croit savoir tout mieux que les autres.

Pour l’addict
• La Bourreau de Travail : elle s’oublie dans sa vie professionnelle.
• Le Saboteur : il s’organise inconsciemment pour vivre d’échec en échec.

Pour le clown
• La Rêveuse : elle passe sa vie perchée dans un monde imaginaire.
• Le Mystique : détaché du monde terrestre, il vit dans la spiritualité.
• Le Menteur : la dissimulation lui sert de bouclier de protection.

Pour le maladroit
• L’Ado Éternelle : comme Peter Pan elle ne veut pas grandir.
• Le Bouc Émissaire : il se laisse maltraiter par les autres.
• Le Solitaire : il s’isole pour ne pas se mettre en danger.

EXERCICE EXPLORATOIRE

En reprenant ces exemples de sub-personnalités qui protègent le moi victime, voyez si


certaines vous sont familières ou bien si vous les reconnaissez chez vos proches.
Puis interrogez-vous : quand suis-je le plus souvent identifié(e) à cette sub-
personnalité ? Avec qui, dans quelles circonstances ? En quoi ces attitudes, ces
masques, me sont-ils utiles ? En quoi sont-ils limitants aussi ?

Un autre moyen d’identifier les sub-personnalités en nous est de nous demander :


dans la situation que je suis en train de vivre, si j’étais un animal, lequel serait-ce ?
Est-ce que je me sens comme une petite souris, comme un oiseau haut dans les airs,
comme un crocodile prêt à mordre, comme un lion paisible, comme un insecte, comme
un singe moqueur, comme un bernard-l’hermite dans sa coquille… ? Regardez ce que
cela indique sur la façon dont vous protégez votre vulnérabilité : est-ce le plus souvent
par la fuite, la soumission, le camouflage ou bien l’attaque ?

Nous restons prisonniers de nos sub-personnalités tant qu’elles sont


inconscientes. D’autant plus si elles nous offrent une réussite sociale qui
renforce cette identification. Il est difficile, par exemple, pour le mannequin
de se désidentifier de son pouvoir de séduction, pour le philosophe de son
intellect ou pour le P-DG de son autorité. Même si s’attacher à ces identités
n’est qu’une protection de sa sensibilité et de sa vulnérabilité (c’est la
même chose pour le thérapeute, il est aisé et très tentant de dissimuler ses
insécurités sous sa casquette de psy tout-puissant).
Lorsque nous sommes identifiés fortement à une sub-personnalité et qu’elle
domine, généralement à un moment de notre vie des tensions vont
apparaître. On le voit dans le cas des burn-out par exemple. La majorité des
victimes de burn-out sont des personnes identifiées à une sub-personnalité
de contrôle fort. La polarité opposée qui cherche de la spontanéité et du
relâchement se fait entendre en étouffant l’énergie du corps. L’apparition de
douleurs somatiques inexplicables, de comportements compulsifs
incontrôlables ou de phobies soudaines sont aussi généralement
l’expression d’une demande de rééquilibrage de notre psychisme. Lorsque
nous sommes cristallisés, enfermés dans un schéma rigide, nos alarmes
internes retentissent pour nous aider à nous en libérer.

Mais d’où viennent les sub-personnalités ? Comme pour le moi oppresseur,


ces mécanismes sont apparus petit à petit pendant l’enfance et
l’adolescence. Elles sont des stratégies créatives d’adaptation de notre
psychisme face à notre environnement, dans le but d’alléger les souffrances
du moi victime. Nous pouvons donc elles aussi les remercier d’avoir été là
pour nous protéger. Là encore, l’objectif ne sera pas de les détruire mais
simplement de les observer en action pour que la désidentification se
produise et pour être plus libre.
De plus, chaque sub-personnalité porte en elle des qualités précieuses. Le
Pleaser, par exemple, est très empathique car il est particulièrement attentif
aux autres. Le Petit Roi, lui, a à sa disposition beaucoup de courage et de
détermination.

En résumé, voici comment se produit la désidentification de nos sub-


personnalités :
• J’identifie chez moi un comportement de fuite, d’attaque ou de
camouflage qui m’oriente vers une sub-personnalité en action. Je lui
donne un nom et j’étudie son univers : ses croyances, ses émotions, son
mode relationnel…
• Je l’autorise à être là. Elle est légitime à mes côtés (si en moi émerge un
refus de la sub-personnalité, je l’autorise aussi, c’est la partie de moi qui
cherche à tout régir et contrôler, elle a sa place aussi).
• Je prends le temps de ressentir dans mon corps comment je me sens quand
vit en moi cette sub-personnalité (se visualiser comme un animal peut être
utile pour descendre plus profondément dans le ressenti corporel).
• Je prends le temps d’imaginer mon ressenti corporel en me plaçant dans la
polarité opposée :
Si je me sens petit(e) → me sentir grand(e)
Si je me sens soumis(e) → me sentir dominant(e)
Si je me sens agressif(ive) → me sentir conciliant(e)
Si je me sens fermé(e) → me sentir ouvert(e)
Si je me sens faible(e) → me sentir puissant(e)
Si je me sens caché(e) → me dévoiler
Si je me sens dans le contrôle → oser la spontanéité

• Je constate ainsi que j’ai à ma disposition une multitude de ressources et
que je peux choisir la polarité la mieux adaptée à chaque situation. La sub-
personnalité trouve alors sa place à mes côtés.

Exemples de sub-personnalités
SUB-
PENSÉES CROYANCES ÉMOTIONS STRATÉGIE COMPORTEMENTS
PERSONNALITÉ
Pour être aimé(e),
Le pleaser
accepté(e), Peur de la confrontation Comportements
Le bon garçon La Soumission
je dois faire ce que Culpabilité de séduction
gentille fille
l’on me demande.
Le « pauvre Sentimentalisme
Tristesse
de moi », Le monde est injuste, Apitoiement
Mélancolie Fuite
le Calimero il m’en veut. Passivité
Peur de ses limitations
Projection
SUB-
PENSÉES CROYANCES ÉMOTIONS COMPORTEMENTS
PERSONNALITÉ
Je n’ai pas besoin des
Domination
Le petit roi, autres. Peur d’être faible, Combat
Isolement
la petite reine Je suis au-dessus des d’enlever le masque Attaque
Narcissisme
autres.
Intellectualisation
Le rationnel, Je peux trouver une Peur de l’inconnu et de la Combat
Identification au
l’intellectuel solution. sensibilité Attaque
mental
Addiction
L’addict, l’auto- Procrastination
Tout peut attendre. Refus de la souffrance Fuite
destructeur Gratification
immédiate
Rien n’est important
Superficialité
Le clown, et sérieux. Peur de l’engagement et Fuite
Procrastination
le gai luron Au final il vaut de la responsabilité Camouflage
Cynisme
mieux en rire.
Le maladroit, Apathie Étourderies
Je ne suis pas Paralysie
l’étourdi, État dépressif Engourdissement
capable. Renoncement
l’incapable Colère réprimée psychomoteur

Le moi victime
Derrière le moi oppresseur et le moi sauveur se dissimule, on l’a vu, le moi
victime. C’est la partie de nous la plus fragile et la plus vulnérable. On peut
aussi l’appeler notre enfant intérieur. Et pour beaucoup d’entre nous
malheureusement, cet enfant souffre en silence. D’abord parce qu’il subit
les attaques continues du moi oppresseur qui lui rappelle sans cesse qu’il ne
remplit pas toutes les conditions nécessaires pour mériter de s’aimer. Mais
aussi parce qu’il porte en lui la mémoire de moments qui lui ont fait
internaliser du désamour. Il a vécu des situations où il s’est senti rejeté,
critiqué, humilié ou ignoré, situations qui ont créé une charge émotionnelle
qui est toujours vivante, toujours active en lui. Le mot souffrir vient du latin
sufferre, fero « porter » accompagné du préfixe sub- « sous », souffrir, c’est
donc porter en soi du lourd, du douloureux.
Afin de découvrir cette partie si sensible, nous devons avancer avec
précaution, car c’est l’aspect de nous que nous cherchons à protéger le plus,
parce que c’est l’endroit où nous avons le plus mal.

La première difficulté que nous rencontrons pour accéder à cet enfant


intérieur est sa tendance à se cacher, car il porte de la honte de ne pas se
sentir à la hauteur des demandes du moi oppresseur. J’entends souvent en
séance des personnes déprimées, par exemple, me dire qu’elles ont honte de
parler à leurs proches de leur état mélancolique.

La honte est un sentiment qui apparaît en nous pendant l’enfance et qui se


renforce à l’adolescence. À l’époque du collège notamment, où notre
identité est en pleine construction et où il nous est difficile de supporter des
moments de ridicule ou d’humiliation. La honte nous fait nous sentir
comme tout nu au milieu de la cour d’école, des doigts pointés en notre
direction, assailli de rires moqueurs. Elle nous donne envie de nous faire
tout petit, de nous dissimiler et de disparaître. Cependant, c’est au contraire
en l’exposant au grand jour qu’elle se dissout.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Cet exercice a pour but de dévoiler les hontes de notre enfant intérieur. Lisez ces
phrases et voyez comment elles résonnent en vous, cochez celles qui vous
correspondent. Puis complétez éventuellement cette liste avec des hontes qui vous
sont propres, en étant le plus spécifique possible, par exemple : « J’ai honte d’avoir
raté trois fois mon permis de conduire ».

□ J’ai honte de ne pas avoir fait de grandes études.


□ J’ai honte de mon manque de culture.
□ J’ai honte de me mettre en colère.
□ J’ai honte d’être souvent déprimé(e).
□ J’ai honte de ne pas savoir danser.
□ J’ai honte de certains de mes comportements.
□ J’ai honte de ma fainéantise.
□ J’ai honte de ne pas avoir un corps harmonieux.
□ J’ai honte de mon manque de charisme.
□ J’ai honte de ne pas avoir assez d’amis, d’être célibataire.
□ J’ai honte de ne pas être populaire, branché(e).
□ J’ai honte de ne pas être agile physiquement, sportif / sportive, d’être maladroit(e).
□ J’ai honte d’avoir souvent peur.
□ J’ai honte de mes origines sociales.
□ J’ai honte d’être timide et introverti(e).
□ J’ai honte de mon manque de virilité / féminité.
□ J’ai honte de ma sexualité.
□ J’ai honte de ma vulnérabilité…
□ Autres :

Lorsque vous avez terminé, prononcez à voix haute la phrase suivante en reprenant
les éléments de votre liste : « J’ai honte de… j’accueille cette honte, je ne la cache
pas, je la dévoile sans peur, je n’ai pas honte de ma honte, ma honte a sa place à mes
côtés ». Sentez l’effet que cela a dans votre corps. Ressentez-vous une détente, un
soulagement corporel ? La honte, pour se dissoudre et être assimilée, doit être
traversée par la lumière du jour.

Pour que cet exercice soit encore plus efficace, je recommande de le faire à
deux ou à plusieurs. Les thérapeutes savent bien que partager sa honte en
public peut être extrêmement libérateur : car en exposant nos hontes en
groupe, nous constatons que nous portons tous une part de honte et que
finalement nous n’avons pas besoin de la cacher.

Je me souviens d’une séance de groupe pendant laquelle un patient osa


partager son addiction à la pornographie. Il put constater que les
participants furent touchés par sa sincérité et son désarroi, que personne
n’avait envie de le juger, ce qui eut pour effet immédiat de calmer son moi
oppresseur. Cela permit à d’autres membres de se dévoiler. Une personne
évoqua sa honte de venir d’un milieu social défavorisé, une autre parla de
ses problèmes avec l’alcool, ce qui eut comme impact de renforcer la
cohésion du groupe et la capacité des participants à être authentiques entre
eux et à nouer des liens d’intimité et d’entraide.

Notre enfant intérieur ne ressent pas seulement de la honte mais une


multitude d’autres émotions enfouies en lui. Plonger dans ce vécu
émotionnel demande du courage car cela revient à sauter à pieds joints dans
nos pires zones d’inconfort. Et cette rencontre prend du temps. Toutes ces
émotions accumulées ne peuvent être assimilées, digérées d’un seul coup,
que ce soit des peurs, des chagrins, un sentiment d’impuissance, de la
solitude, du vide, de la haine, de la colère… Tout cela forme un gros gâteau
qu’il nous faut manger par petites bouchées pour nous laisser le temps d’en
absorber tous les éléments.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Retrouvez des photos de vous à 3 ans, 7 ans, 10 ans, 14 ans, 17 ans et 22 ans.
Prenez le temps de les observer, puis replongez-vous à cette époque et demandez-
vous : quelles émotions étaient majoritairement présentes dans ma vie en ce temps-
là ? De la joie et de l’insouciance ou plutôt de l’anxiété, de la mélancolie, de l’apathie,
de la solitude ou de la colère… ?
Comment me sentais-je dans mon corps à cette époque à la maison, à l’école ou dans
ma chambre le soir ?
Replongez-vous dans l’histoire de votre enfant intérieur et prenez quelques notes sur
ce que vous avez ressenti :

Cet exercice vous aide à recontacter votre vulnérabilité. Aller dans le passé
a pour seul intérêt de percevoir le vécu émotionnel enfoui qui est toujours
vivant en nous, ce qui est toujours actif aujourd’hui dans notre vie d’adulte.
Les blessures émotionnelles du moi enfant ne sont d’ailleurs pas seulement
liées à des événements traumatisants majeurs de notre histoire comme une
agression physique, une rupture amoureuse, ou la violence émotionnelle
d’un proche. Si nos parents portent en eux ce désamour intérieur, ils ne
sauront pas non plus nous transmettre l’amour inconditionnel dont nous
avons besoin, on parlera plutôt de carence affective dans ce cas. Parfois
aussi, la simple répétition de petites agressions peut être tout aussi
puissante. Les publicités et leurs messages récurrents du type : « Es-tu bien
certain d’être assez séduisant(e) ? D’être assez populaire ? D’être assez
performant(e) ? » sont pareillement destructrices. Notre société occidentale
exerce un puissant harcèlement psychologique sur notre enfant intérieur.

Pour rencontrer le vécu émotionnel de notre enfant intérieur, un exercice


intéressant consiste à utiliser les techniques de visualisation qui permettent
de créer un dialogue vivant avec lui.

EXERCICE EXPLORATOIRE

• Asseyez-vous et visualisez votre enfant assis en face de vous ou sur vos genoux.
• Prenez le temps de noter son âge, les vêtements qu’il porte, sa posture, souvenez-
vous de ce qu’il entend de la part du moi oppresseur : « Tu es moins bien que les
autres… ».
• Quelle expression pouvez-vous lire sur son visage ?
• Comment se sent cet enfant vulnérable ?
• Qu’attend-il de vous ?
• Ensuite, observez ce qui se passe en vous. Comment vous sentez vous vis-à-vis de
lui ? Aimant(e), chaleureux/chaleureuse, distant(e), mal à l’aise, maladroit(e),
agressif/agressive… ?

Lorsqu’on fait cet exercice pour la première fois, visualiser l’enfant est souvent difficile.
Si c’est le cas prenez un peu de temps, ou bien consultez de vieilles photos de famille.
Il est courant également de ressentir de la haine et du rejet envers cet enfant faible et
fragile : la partie adulte en nous peut avoir du mal à tolérer ce qui est vulnérable et
sensible en nous. Si c’est le cas ne forcez rien, imaginez-vous exprimer ce que vous
ressentez à votre enfant intérieur. Continuez ce dialogue et observez ce qu’il vous fait
vivre. Ce qui est important dans cet exercice est d’être sincère, de ne pas tricher. Le
but est d’entrer en contact avec la souffrance de l’enfant intérieur mais aussi de voir les
résistances qui nous tiennent à distance de lui. Pouvoir entrer en contact avec le moi
victime et l’accueillir pleinement prend du temps. Il est souvent nécessaire de répéter
cet exercice et de rencontrer notre enfant intérieur aux différents âges où ont eu lieu
les blessures émotionnelles ou les carences affectives.

Pour les personnes pour qui les mots sont plus évocateurs que les images, il est
possible de dialoguer avec son enfant intérieur en lui écrivant une lettre et d’imaginer
la lettre qu’il nous ferait en retour.

Cher enfant intérieur, je me demande comment tu vas en ce moment…

Cher toi adulte, voilà ce que je vis : …

J’accompagne Carine dans sa rencontre avec son enfant intérieur. En


face d’elle, posée sur une chaise, se trouve une poupée qu’elle a choisi
pour la symboliser. Elle se visualise avec une jolie jupe fleurie à l’âge
de 7 ans, l’âge auquel ses parents ont divorcé. Au début Carine ne veut
pas l’approcher. Elle m’explique qu’intellectuellement elle voudrait
bien aimer son enfant intérieur mais qu’au fond elle éprouve de la
rancœur et du dégoût pour cette partie d’elle qui n’est que sensiblerie
et qui la maintient dans des schémas répétitifs (elle tombe amoureuse
puis devient complètement dépendante dans son couple, ce qui la mène
ensuite à la séparation). Elle en a marre de se sentir toujours triste et
d’attendre qu’on vienne la sauver. Elle voudrait que son enfant
intérieur grandisse. J’encourage Carine à accueillir son vécu sans le
juger.
Le silence s’installe…
J’invite ensuite Carine à prendre la place de la poupée pour explorer le
ressenti de son enfant intérieur. En s’asseyant sur le fauteuil, Carine
contacte en un instant le vécu profond de cet enfant, je vois dans ses
yeux des larmes monter. Elle ressent dans sa chair la solitude que vit
son enfant intérieur rejeté par elle-même. Elle voit qu’elle reproduit le
sentiment d’abandon qu’elle a vécu enfant. Son enfant intérieur ne se
sent pas vu, pas pris en compte, seul avec son besoin d’intimité.
La séance se poursuit et le dialogue s’amorce entre Carine adulte et
son enfant intérieur. Carine passant d’une chaise à l’autre. La partie
adulte demande à la partie enfant ce qu’elle attend d’elle, ce dont elle a
besoin. Celle-ci lui répond qu’elle attend que Carine adulte ne lui
demande plus de changer et qu’elle reste simplement à ses côtés pour
la protéger et la conforter. En retour, Carine adulte demande à l’enfant
intérieur de ne plus se cacher et lui affirme qu’elle veut apprendre à
être à son écoute.
Je vois sur le visage de Carine une détente et un sourire que je ne lui
connaissais pas. Nous renouvellerons cet exercice exploratoire à
plusieurs reprises, à différents âges de son enfant intérieur.

Cet exemple est une illustration de ce qui peut se passer pour que notre
enfant intérieur s’apaise, se console et se rassure. De nouveau, nous ne
pouvons cependant rien forcer grâce à la volonté. Je peux me mettre devant
un miroir et me dire : « Je m’aime » un million de fois, cela n’apportera
aucune transformation si au fond de moi je n’y crois pas.
Imaginez que vous rencontrez dans la rue un enfant égaré, apeuré et en
larmes, spontanément vous allez ressentir de la compassion pour lui. Vous
allez lui prendre la main, lui parler et le rassurer. Bien, nous avons la
possibilité de faire la même chose pour nous-même. Mais pour cela, nous
devons retrouver et accueillir avec tendresse notre enfant intérieur qui ne se
croit pas inconditionnellement digne d’amour. Lorsque vous l’aurez
rencontré pleinement, la guérison se fera spontanément sans aucune
intervention de votre part. Il n’y a rien à faire. Si vous ressentez pleinement
le chagrin, la peur, la solitude ou la colère de votre enfant intérieur, sans le
juger, sans désir de le changer, l’amour et de la compassion jailliront de
vous-même spontanément. Mais cette rencontre doit être une rencontre
expérientielle, ressentie dans le corps, et pas seulement intellectuelle, sinon
cela ne produira aucune transformation.

Lorsque cette sensibilité blessée, cachée retrouve le droit d’exister et


reprend sa juste place, nous découvrons alors, avec bonheur, que cette partie
vulnérable de nous est aussi une source illimitée de spontanéité, de
créativité, d’énergie, d’émerveillement et de joie de vivre et un formidable
allié pour orienter nos choix de vie.

Nous aimer sans conditions nous demande donc d’accepter tout de nous :
dire oui à toute notre humanité, avec nos forces mais aussi avec nos limites,
nos évitements, nos égoïsmes, nos blessures, nos carences… Cela requiert
de se placer dans la position du moi conscient, une position de neutralité
bienveillante, indifférenciée, qui met en lumière la diversité et la complexité
des interactions entre le moi oppresseur, le moi sauveur et le moi victime
qui sont ainsi accueillis sans combat, ni jugement ou attachement,
simplement… amoureusement.

En résumé
Le moi oppresseur à la recherche de solutions recycle toute nouvelle
information pour en faire un « tu dois… ».

L’observation neutre et bienveillante, sans effort, est l’unique qualité à


développer pour se réconcilier avec soi-même.

En rencontrant pleinement le ressenti de l’enfant blessé ou carencé, l’amour


inconditionnel jaillit spontanément.
Deuxième Feu
Des relations difficiles
« Ennemi de soi-même, comment aimer les autres ? Étranger
à soi-même, étranger pour les autres. »
Étienne Daho

« Les relations sont le miroir dans lequel on se découvre soi-


même. »
Jiddu Krishnamurti

S
i j’ai beaucoup de plaisir à recevoir mes patients en séance
individuelle, j’ai un goût tout particulier pour les séances de thérapie
à plusieurs. Que ce soit avec un couple, une famille ou un groupe,
j’observe que ce type de thérapie possède une puissance de transformation
inégalable.

Nos blessures et carences sont nées de relations défaillantes ou


insuffisamment nourrissantes de notre passé. C’est donc aussi de la
rencontre avec un(e) autre que ces souffrances peuvent s’apaiser. Lorsque je
me sens vu(e), compris(e), accueilli(e) tel que je suis, avec mes joies et mes
peines, par un ou plusieurs autres, je peux alors moi aussi faire ce chemin
de réconciliation avec moi-même. Les thérapies de groupe nous donnent
l’occasion de vivre cela : nous sentir acceptés pour qui nous sommes, sans
masque, ni artifice, dans toute notre humanité.
De plus, les autres agissent comme un miroir, ou une loupe, qui nous révèle
immanquablement les aspects de nous-même que nous ignorons ou que
nous préférons ne pas voir : nos insécurités, nos dépendances, nos
intolérances, nos désirs secrets, nos stratégies de camouflage ou de
séduction… comme l’affirme le penseur indien Jiddu Krishnamurti : « Les
relations sont le miroir dans lequel on se découvre soi-même ».

Alors dans ce miroir qu’est l’autre en face de moi, qu’est-ce que je vais
découvrir ?

La première chose facile à observer est que bien souvent, je souffre car
l’autre n’est pas comme je voudrais qu’il soit. Que ce soit mon conjoint,
mes parents, mes enfants, mes amis, mes collègues, mes voisins ou mes
concitoyens, l’autre est rarement comme nous aimerions. Nous le trouvons
trop égoïste, trop indépendant, trop borné, trop sensible, trop collant, trop
bruyant, pas assez fidèle, pas assez à l’écoute de nos besoins… une infinité
de défauts que nous souhaiterions corriger, en pensant bien entendu avoir
bien raison de désirer ce changement. La tentation est forte alors d’attendre
que l’autre se conforme à ce que nous espérons de lui. Mais ceci ne
fonctionne pas évidement, d’autant moins que lui aussi attend de nous la
même chose. Voici une première cause de souffrance : je n’accepte pas que
l’autre ne se conforme pas à mon désir.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Quelles sont les personnes de votre entourage que vous souhaiteriez voir changer ?
Quels comportements ou quels traits de personnalité avez-vous du mal à supporter ?
Puis demandez-vous ce que cela dit de vous (voir l’exemple ci-dessous).
Prenons l’exemple de Christine, qui se plaint que son mari ne s’ouvre pas
assez à elle émotionnellement, ce qui chez elle crée de l’agacement et
nourrit silencieusement un fort ressentiment. Qu’est-ce que cette situation
nous apprend sur Christine ? Tout d’abord qu’elle a un besoin vital
d’intimité et de partage émotionnel. De plus, il semble que sa manière
d’exprimer ses besoins soit inefficace. Nous pouvons aussi nous interroger
sur la capacité de Christine à tolérer que son mari ait un style relationnel
différent du sien et des besoins distincts. Voici les pistes que nous allons
explorer pour identifier les zones de souffrance dans nos relations : Quels
sont mes besoins vis-à-vis des autres ? Quel est mon style relationnel
prédominant ? Comment est-ce que je m’ouvre ou pas à l’autre ? Qu’est-ce
que j’ai du mal à accepter chez les autres ?

Meilleur ou supérieur ?
Débutons notre plongée dans l’univers des relations en allant à la rencontre
de nos intolérances. Souvent, nous dissimulons l’aspect de nous-même qui
est le moins agréable à voir. Mais faisons-le sans nous flageller ou nous
culpabiliser, souvenez-vous que tout ce qui est vivant en nous a sa raison
d’être.

Dans le chapitre précédent, nous avons vu comment le moi oppresseur tente


sans cesse de nous imposer ses conditionnements. De la même façon, ce
qu’il exige de nous, il l’exige également des autres.
Il se comporte alors comme un petit juge qui ne peut s’empêcher d’évaluer
les personnes que nous rencontrons. Il nous compare à elles et nous place
sur son échelle de valeurs. Repensez à vos années de collège, de lycée, une
période de la vie où cette comparaison était très active. Voici quelques
exemples de critères sur lesquels le juge intérieur aime se mesurer.

Est-ce que je trouve cette personne :


– plus belle que moi ?
– plus populaire que moi ?
– plus cultivée que moi ?
– plus cool que moi ?
– plus sympathique que moi ?
– plus séduisante que moi ?
– plus élégante que moi ?
– plus intelligente que moi ?
– plus charismatique que moi ?
– plus accomplie dans sa vie que moi ?

EXERCICE EXPLORATOIRE

Voyez sur quels critères vous vous comparez aux autres le plus souvent.
Puis pensez aux personnes importantes de votre vie et demandez-vous : comment
estimez-vous votre valeur vis-à-vis d’elles ? Vous sentez-vous supérieur(e), inférieur(e)
ou égal(e) ?

Nom de la personne : Comment je me sens par rapport à elle :

Ne trichez pas, voyez aussi si le mental cherche à dissimuler ou rationaliser un


sentiment d’infériorité ou de supériorité. Si ma vérité de l’instant est que je me sens
inférieur(e) intellectuellement à mon collègue de travail ou à mon conjoint, ou
supérieur(e) culturellement à mon père ou à ma sœur, c’est ma vérité de l’instant, je
peux l’accueillir simplement sans honte, rejet ou jugement (je peux également accueillir
la honte, le rejet ou le jugement, s’ils sont présents).
Le problème, avec ce juge interne et son échelle de valeurs, est qu’il
confond « meilleur » et « supérieur ». Pour lui, une personne meilleure dans
un domaine a une valeur supérieure à une autre. Pourtant, une personne
peut être meilleure que moi en mathématiques, être plus cultivée, plus riche
ou avoir un physique plus harmonieux que le mien, mais cela ne signifie
pas que cette personne a pas plus de valeur que moi. Est-ce qu’un chêne a
plus de valeur qu’un roseau ? Est-ce qu’un vieux chêne malade a moins de
valeur qu’un jeune arbre ? La réponse est « oui » pour le monde marchand,
mais pour la vie je ne le crois pas. Et si cette croyance est la vôtre, regardez
quel effet elle a sur votre existence : elle vous condamne à une course sans
fin à la performance qui ne sera jamais satisfaite. Car même, si par miracle,
tous les critères du juge étaient remplis un jour, cela ne serait pas tenable
dans le temps : je vais vieillir, perdre une belle situation, vivre des échecs,
être malade… Donc finalement, en nous imposant son système de valeurs et
sa comparaison compulsive, ce juge interne nous maintient dans
l’insatisfaction et la souffrance.

Comme avec le moi oppresseur, pour que ce juge ait moins de pouvoir sur
nous, il nous faut saisir dans l’instant ce mécanisme intérieur et observer
l’effet nuisible qu’il a sur notre vie. Avec le temps, plus nous prendrons
conscience de l’insatisfaction dans laquelle il nous maintient et son inutilité,
moins nous adhérerons à ses injonctions. Alors seulement, la pression qu’il
nous impose continuellement s’estompera.

Ce que je suis versus ce que je fais


Un autre aspect particulièrement négatif de ce juge interne est le fait qu’il
mélange l’Être et l’Agir. Au lieu de penser : « Je n’aime pas tel
comportement chez cette personne », il généralise : « Je n’aime pas cette
personne ». La personne est réduite à ce qu’elle fait ou à ce qu’elle pense :
le juge l’enferme dans un ensemble au lieu de juger un comportement
spécifique.

Pensez aux exemples suivants et interrogez-vous : est-ce que je condamne


la personne ou bien son comportement ? Cette personne est-elle digne de
compassion malgré ses actes, paroles ou écrits ? Vous est-il possible de
l’accueillir avec humanité, tout en étant très clair(e) également sur le
caractère inacceptable de certains de ses comportements ?
Un chauffard. Une personne violente. Un dictateur. Un meurtrier. Un
menteur. Un fanatique. Un pollueur. Un tricheur.

J’ai conscience que cela peut choquer. Mais attention, je ne dis pas ici qu’il
faut se forcer à avoir de la bienveillance envers son agresseur. En particulier
si, enfant, vous avez été victime de violence physique ou d’agression
sexuelle. D’aucune façon vous ne pouvez, ni vous ne devez vous forcer à
quoi que ce soit. Cette acceptation du passé ne viendra de toute façon pas
par un effort ou par le biais de notre volonté. Elle naîtra d’elle-même en
temps voulu (ou pas) et ne sera possible que si votre colère, votre haine,
votre besoin de justice et de reconnaissance sont entendus et validés. C’est
seulement lorsque que le vécu traumatique est apaisé qu’il est peut-être
possible d’accepter un autre imparfait. C’est aussi en tolérant nos propres
imperfections que nous accepterons celles des autres.

Prenons un exemple. Imaginons que vous ne supportiez pas la bêtise.


Qu’est-ce que cela dit de vous ? Tout d’abord que si vous refusez la bêtise
des autres, par effet miroir, vous refusez aussi certainement votre propre
bêtise. Mais alors, qu’est-ce qui fait que vous refusez votre bêtise ? S’il y a
de l’intelligence en vous, il y a également de la bêtise (la polarité opposée) :
nous avons tous des moments d’étourderie, nous faisons tous des erreurs de
logique, nous avons tous des capacités intellectuelles limitées qui déclinent
avec le temps. D’où vient ce refus alors ? En allant encore plus
profondément à sa rencontre, vous verrez qu’il a une origine extérieure à
vous. Pendant l’enfance ou l’adolescence, on s’est certainement moqué de
votre bêtise, on l’a critiquée, on l’a jugée. Voyez comment, si vous pouviez
accueillir votre bêtise autant que votre intelligence, il n’y aurait plus de
conflit interne. Vous pourriez alors vivre sans problèmes la bêtise des
autres, aussi bien que la vôtre. Bien entendu, cela ne vous empêche pas de
vouloir cultiver votre intelligence si vous en sentez le besoin et l’envie,
mais votre action naîtrait alors d’une motivation authentique et non d’une
réaction à un conflit interne. Nous reviendrons sur la question de motivation
dans le chapitre sur la réalisation de soi, mais nous pouvons déjà constater
que nombreuses de nos actions jaillissent de conditionnements plutôt que
d’un élan libre, naturel et spontané.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Dans la liste suivante 1, entourez les traits de personnalité que vous avez du mal à
supporter chez les autres. Demandez-vous alors : qu’est-ce que cela dit de moi ?

Coureur, réactionnaire, vindicatif, dépendant, colérique, drogué, peureux, méchant,


alcoolique, idiot, obèse, machiste, efféminé, manipulateur, timide, égocentrique, tête en
l’air, déloyal, jaloux, soumis, faible, critique, fainéant, vicieux, narcissique, malhonnête,
violent, arrogant, menteur, capricieux, lunatique, infidèle, mesquin, avare, bobo,
branché, libertin, agressif, raciste, gros, maigre, radin, prétentieux, beauf, vulgaire,
tricheur, fragile, paresseux, égoïste, moche, rancunier, pollueur, sale, dépressif, triste,
obtus, mou, pervers narcissique, suffisant, passif agressif, vieux, immature, infantile,
compétiteur, bruyant, extravagant…

Nos intolérances s’appliquent non seulement aux comportements mais


également aux idées, aux opinions et aux croyances. Nous est-il possible
d’être bienveillant envers une personne xénophobe, machiste, homophobe,
intégriste, une personne de droite ou de gauche, religieuse ou athée, ascète
ou hédoniste, réactionnaire ou libérale ? Si ce n’est pas le cas, si l’autre doit
remplir certaines conditions pour mériter notre amour, par effet miroir, il est
vraisemblable que nous appliquions à nous-même la même règle.

Pardon de me répéter, mais c’est un point d’une grande importance. Surtout


ne soyons pas intolérant envers notre intolérance, ne jugeons pas notre juge
et ne refusons pas nos refus. On l’observe parfois chez certaines personnes
qui tentent honnêtement de développer leur compassion mais qui n’ont
aucune compassion pour leur manque de compassion. La première étape de
la transformation impose de se réconcilier avec ce qui est présent en nous,
dans l’instant.

Lorsque nous voyons pleinement ce qui nous fait refuser une polarité, nous
pouvons accepter ce refus sans conflit. Il est issu de notre histoire
personnelle, il nous a servi à nous adapter aux demandes de notre
environnement. Lorsqu’ils sont vus et accueillis, les refus tombent d’eux-
mêmes, sans intervenir. Comme le dit le philosophe Jean Klein : « Dans une
lucide présence, les anciens moules manquent d’aliment et meurent. »

Mes peurs, mes désirs et mes besoins


Personnellement, j’ai longtemps cultivé un fort ressentiment contre les
personnes extraverties, celles qui parlent fort, qui prennent beaucoup de
place dans les conversations, qui imposent leur présence aux autres, on
pourrait les appeler les « grandes gueules ». Je trouvais mon rejet justifié
par un alibi de générosité et de respect : « C’est malpoli de prendre trop de
place ». Mais en explorant davantage ce refus et en m’interrogeant sur ce
qu’il disait de moi, je pu voir comment, en réalité, il était lié à ma peur de
prendre pleinement ma place, d’oser être vu, de risquer de me mettre au
centre des regards.

À cette époque, je ne m’avouais pas qu’inconsciemment, moi aussi je


désirais être comme ces personnes libres d’occuper l’espace comme bon
leur semble, sans peur du jugement des autres.

Car derrière nos peurs et nos refus se cache toujours un désir. Peur et désir
sont comme les deux faces de la même médaille. Pour chaque peur, il existe
un désir associé. La peur de la mort, par exemple, est aussi l’expression
d’un désir de vie. Seulement, le refus est parfois tellement fort que nous ne
voyons plus le désir associé.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Voici quelques exemples de peurs et de désirs associés. Quels sont ceux qui sont le
plus actifs dans votre vie ? Cochez les propositions qui vous correspondent.

Peurs Désirs associés


□ Peur du rejet Désir d’appartenance
□ Peur de l’attachement Désir d’indépendance
□ Peur de déranger Désir de reconnaissance
□ Peur d’être faible Désir de puissance
□ Peur des groupes Désir de singularité
□ Peur de la solitude Désir d’intimité
□ Peur de se tromper Désir d’être estimé
□ Peur du ridicule Désir d’insouciance
□ Peur du conformisme Désir d’individualité
□ Peur de l’envahissement Désir d’intégrité
Salomé et Éva sont deux jeunes femmes d’une trentaine d’années.
Elles sont en couple depuis trois ans quand elles viennent consulter
pour la première fois. Elles m’expliquent que si elles se sentent
amoureuses, elles ont du mal à s’ajuster dans leur quotidien. Salomé
trouve Éva pas assez présente à la maison et trop occupée par son
travail et ses activités associatives. Éva, elle, se plaint d’avoir
l’impression de devoir rendre des comptes en permanence. Elle dit
qu’elle se sent « fliquée », ce qui déclenche entre elles des disputes
récurrentes. Toutes les deux sont d’accord pour vouloir sortir de ce
schéma répétitif mais ne savent pas comment faire.

Je suis spectateur de ce que l’on appelle « la bataille du tu qui tue ».


Une joute verbale, un ping-pong, où chacune renvoie sur l’autre la
cause de leurs difficultés en disant « tu » :
« Toi, tu n’es jamais là.
– Oui, mais toi tu veux toujours savoir où je suis.
– D’accord, mais toi aussi tu ne fais aucun effort.
– Mais non, parce que c’est toi d’abord qui… ».
Une escalade de « tu » contre un autre « tu », contre un autre « tu ».
Au final, les deux femmes s’énervent mais ne se rencontrent pas.

Outre leur mode de communication inefficace (« le tu qui tue ») sur lequel


nous reviendrons plus loin, le problème de Salomé et Éva est qu’elles ont
des besoins en opposition : Salomé a un besoin fort d’autonomie alors
qu’Éva cherche davantage de proximité et de lien affectif.

En thérapie de couple, j’utilise souvent l’image de la danse pour illustrer la


dynamique qui existe entre deux personnes. Être en couple, c’est un peu
comme danser, sachant qu’il est très rare que nous ayons les mêmes désirs
et les mêmes besoins au même moment. Par exemple, je peux avoir envie
d’une valse lente et sensuelle alors que mon partenaire préfère une salsa
déchaînée. Comment s’ajuster et co-créer une danse épanouissante pour
nous deux ?

Pour nous accorder, nous devons dans un premier temps comprendre et


accepter les différentes polarités des besoins qui existent en nous. Il y a
deux couples de polarités de besoins essentiels dans la relation qui sont
continuellement en mouvement en chacun de nous :
– le premier est le besoin de stabilité et de sécurité, qui s’oppose au besoin
de changement et de nouveauté. Il s’exprime par exemple dans le choix de
nos vacances : est-ce que comme tous les ans nous irons à la plage à
Quiberon ou bien choisirons-nous une destination insolite comme chaque
année ? ;
– l’autre couple est le besoin d’appartenance, de lien et d’intimité, qui
s’oppose au besoin d’autonomie, d’indépendance et de liberté. Cette
opposition existe certainement depuis la nuit des temps, car elle est le reflet
du clivage entre survie de l’espèce et survie individuelle, entre besoin de se
nourrir et besoin de se reproduire. C’est ce que vivent également Éva et
Salomé, l’une ayant plus besoin d’autonomie que l’autre.

Pour nous aider à accorder et harmoniser cette danse de la rencontre,


Marshall Rosenberg, un psychologue américain, a développé un outil
particulièrement efficace. Il s’agit de la communication non violente
(CNV). Cette approche nous invite à reconnaître les besoins cachés derrière
nos émotions et à les communiquer de telle sorte qu’ils puissent être
entendus. Elle nous encourage notamment à sortir du « tu qui tue » pour
dire « je ». Voici une courte illustration de cette approche.

Les 4 temps de la communication non violente


1. L’observation
La première étape consiste à décrire factuellement, sans jugement, ni généralisation,
la situation observée. Par exemple, plutôt que de reprocher à Éva : « Tu n’es jamais à
la maison », Salomé pourrait dire, en étant descriptive, sans jugement, ni
généralisation : « Cette semaine nous n’avons passé aucune soirée ensemble ».

2. Les sentiments
Ensuite, Salomé sera invitée à exprimer les sentiments que suscite chez elle cette
situation, en utilisant le « je ». Par exemple : « Cette semaine je me suis sentie seule
et ça me frustre ».

3. Les besoins
Après cela, Salomé reliera son émotion à un besoin précis, qu’elle nommera : « Je
suis frustrée car j’ai besoin que l’on passe plus de temps ensemble, pour avoir plus
de moments de complicité et d’intimité avec toi ».
Vous pouvez vous référer à la liste des besoins qui se trouve à la fin de ce chapitre
(voir ici).

4. La demande
Enfin, Salomé exprimera une demande concrète, précise et formulée de manière
positive à Éva : « Serais-tu d’accord pour qu’on réserve un soir par semaine rien que
pour nous deux ? »

Cet exemple est simpliste, car pratiquer la communication non violente


demande un entraînement de tous les jours. Si vous souhaitez approfondir
cette pratique, je vous recommande le livre de Thomas d’Ansembourg
Cessez d’être gentil, soyez vrai ! Il reprend de façon claire et pédagogique
la technique féconde de Marshall Rosenberg.

Les temps de la rencontre


Une autre approche de la danse de la relation est la Gestalt-thérapie, née
dans les années 1970. Cette école étudie les différents temps de la
rencontre, ce qu’elle appelle le contact : comment nous entrons en contact
avec l’autre ou avec l’environnement, quels échanges ont lieu pendant ce
contact, et finalement, comment nous sortons de ce contact. Elle nous
apprend que le niveau de satisfaction du contact dépend de notre capacité à
sentir nos désirs et nos besoins, à aller vers l’autre, à nous dévoiler
authentiquement, à échanger harmonieusement puis finalement à nous
séparer.

La Gestalt-thérapie décrit une rencontre en quatre temps :


• Temps un : c’est celui de la sensation, de l’envie. Je sens mon envie
d’aller vers quelqu’un. Exemple : je pense à un ami, j’ai envie de lui
parler.
• Temps deux : c’est le temps de la mobilisation, de l’action. Je me mets en
mouvement. Exemple : je compose le numéro de téléphone de mon ami.
• Temps trois : arrive ensuite la rencontre, le plein contact. Je vis un
échange authentique avec l’autre, sans masque. Exemple : je savoure notre
discussion téléphonique.
• Temps quatre : c’est l’heure du retrait, de la séparation. Je me retire, vers
une autre rencontre, un autre besoin. Exemple : nous nous disons au revoir
et je raccroche.

Dans un monde idéal, tout devrait se passer aussi simplement, mais la


réalité est beaucoup plus complexe car lors de chaque temps, des obstacles
viennent perturber le déroulement de la rencontre.

La sensation, l’envie

Prenons l’exemple de la rencontre amoureuse. Avant de nous mettre en


action, nous devons d’abord sentir dans notre corps une envie d’intimité et
d’affection ou bien simplement du désir sexuel. Mais certaines personnes,
du fait de leur histoire, sont désensibilisées. C’est-à-dire qu’elles ont peu ou
pas accès aux messages que leur envoie leur corps. L’illustration classique
de ce problème est une personne qui n’a pas de libido, dont l’énergie
sexuelle est éteinte 2.
En thérapie, nous inviterons cette personne à se questionner sur sa capacité
à sentir ses désirs dans sa chair. Nous l’inviterons par exemple à pratiquer
des exercices de conscientisation corporelle, comme le body scan (p. 44).
Ou bien, comme dans l’exercice suivant, simplement sentir ce qui est
présent corporellement dans l’instant.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Concentrez-vous un instant sur vos sensations corporelles et observez ce qui émerge.


Êtes-vous conscient(e) de ce qui se passe en vous ? Quels messages vous envoie
votre corps ?
Sentez-vous une envie de boire, de manger, d’uriner, de dormir, de faire l’amour, de
bouger, d’ajuster votre posture, de discuter, de changer de vêtement, avez-vous
chaud, froid… ?

Lorsque notre capacité à sentir est diminuée, nous ne sommes plus en


connexion avec nos désirs, nous perdons ce qui crée en nous de la
motivation et de la joie de vivre, ce qui mène souvent à la dépression. Nous
reviendrons sur ce fonctionnement dans le chapitre sur le refus de la
souffrance, car c’est pour moins souffrir que notre corps se désensibilise.

La mobilisation, l’action

Après le temps de la sensation, le deuxième temps de la rencontre est celui


de la mise en mouvement. Il est lié à notre capacité à mobiliser notre
énergie pour passer à l’action. Si je suis dans un café et que je vois une
personne séduisante, je dois oser l’aborder pour que la rencontre se fasse.
Cela demande de l’assurance et de la confiance en soi. Ce sera aussi le
thème d’un autre chapitre, dans lequel nous étudierons en détail les
obstacles qui refrènent nos élans naturels.

Vous pouvez néanmoins déjà vous poser les questions suivantes : « Lorsque
quelqu’un m’attire, par exemple, dans un bar ou une soirée d’amis, quel est
mon comportement habituel ? » ; « Est-ce que je suis mon impulsion
première ou bien est-ce que je me retiens de faire le premier pas ? » ;
« Dans quelles situations ose-je aller à la rencontre de l’autre et dans quelles
autres est-ce plus difficile ? »

La rencontre, le plein contact

Le troisième temps de la rencontre est donc celui de l’échange, c’est


l’instant où nous sommes en interaction avec l’autre, le moment où nous
pouvons donner et recevoir, que ce soit de la joie, de l’amour, du soutien,
des plaisirs sensuels, de l’intimité, du savoir, de l’humour… une infinité de
plaisirs de la vie. Mais pour que ces échanges soient épanouissants,
certaines conditions doivent être réunies, sans quoi un sentiment de solitude
et de frustration demeure.

Se montrer authentique, vulnérable, sans artifice

La première condition nécessaire pour pouvoir recevoir dans la relation est


de nous ouvrir à l’autre. Cela semble une évidence, mais ce n’est pourtant
pas si simple. Depuis l’enfance – on l’a vu avec le moi sauveur –, nous
avons mis en place des défenses, des protections, des masques pour éviter
d’être blessé et pour protéger notre vulnérabilité. Mais pour qu’un échange
harmonieux soit possible, nous devons baisser notre garde, mettre en veille
ces mécanismes de mise à distance de l’autre.

EXERCICE EXPLORATOIRE
Avec qui partagez-vous le plus souvent votre vulnérabilité, votre vie psychique intime ?
Dans quelles circonstances ? Lors d’un déjeuner avec un ami ? Avec votre conjoint(e)
au lit ? Avec votre médecin de famille ? Avec certains collègues au travail ?
Êtes-vous l’initiateur / l’initiatrice de ces moments de partage ?
Qu’est-ce que vous n’avez jamais dévoilé de vous-même à personne ? Qu’imaginez-
vous qu’il se passerait si un autre savait cela de vous ?
Avec qui pensez-vous pouvoir être totalement vous-même, sans filtre ? Qu’est-ce qui
fait que cela est possible ou pas ?

Dévoiler son intimité, sa vulnérabilité, c’est un peu comme inviter


quelqu’un chez soi. La question qui se pose alors est la suivante : « Est-ce
que je donne à voir uniquement un bel extérieur (mon jardin, la façade de la
maison…) ou bien mon invité a-t-il aussi accès à mon salon, à ma salle à
manger ou à des pièces encore plus intimes comme la chambre à coucher, la
cave ou le grenier… des lieux où souvent nous aimons garder nos
secrets ? »

Le but n’est pas forcément de donner accès à tout, à tous et à tout moment.
Par exemple, je n’ai pas forcément envie de dévoiler ma vie sexuelle à ma
boulangère. L’objectif est de pouvoir m’ouvrir en conscience à la personne
de mon choix. C’est l’expérience que nous faisons en thérapie lorsqu’en
partageant notre mal-être ou nos espoirs avec une personne de confiance, un
soulagement se produit. Car, finalement, c’est de nous sentir seul avec notre
souffrance qui est le plus pénible. Le fait d’exposer à un autre notre
vulnérabilité la plus intime et qu’elle soit vue et acceptée nous offre un
apaisement considérable.

Écouter avec empathie


L’autre condition nécessaire pour que la rencontre soit nourrissante est la
qualité de présence et d’écoute de la personne en face de moi. Si je viens
chez vous, que je commence par piétiner votre parterre de fleurs, puis que je
critique la décoration, notre rencontre ne sera pas très agréable. J’imagine
aussi que vous ne vous sentirez pas très enclin à vous ouvrir à moi et me
donner accès aux pièces privées de votre maison.

Le psychologue américain Carl Rogers, fondateur de l’approche centrée sur


la personne (Person-centered Approach), a révolutionné le monde de la
psychothérapie en affirmant que le lien humain est ce qui est le plus
réparateur en thérapie. Il définit quatre impératifs, quatre qualités
nécessaires, pour qu’une personne se sente en confiance et s’ouvre à une
autre. C’est ce qu’il nomme l’écoute empathique :
• L’accueil
Il s’agit d’accepter l’autre comme il est, de ne pas vouloir le changer. Pour
cela, Carl Rogers s’appuie sur ce qu’il appelle le curieux « paradoxe du
changement » qui affirme : « C’est lorsque je m’accepte moi-même tel que
je suis qu’alors je peux changer ». Nous pouvons compléter avec cette
phrase : « C’est seulement lorsque je me sens accueilli par l’autre tel que je
suis que des changements seront possibles ».

• Le vécu émotionnel
Carl Rogers nous invite à écouter avec le cœur plutôt qu’avec la tête. Cela
nous demande de mettre nos opinions, nos jugements et nos interprétations
de côté pour porter notre attention sur le vécu émotionnel d’une personne
plutôt que sur le contenu des événements qui nous sont racontés.

• Le respect
Il est indispensable de respecter l’autre dans sa différence, d’être ouvert à sa
manière de vivre et à ses valeurs, de ne pas projeter sur l’autre un modèle
qui nous appartient. C’est dire : « Je ne sais pas mieux que l’autre ce qui est
bon pour lui-même ou comment il devrait conduire sa vie ». Cette qualité
invite également à l’humilité.

• L’empathie
C’est tenter de comprendre le monde intérieur de l’autre, essayer de se
mettre à sa place. Comme dit le proverbe amérindien : « Ne juge aucun
homme avant d’avoir marché dans ses mocassins durant deux lunes ».

EXERCICE EXPLORATOIRE

Reprenez ces qualités nécessaires à l’écoute empathique et demandez-vous :


« Qu’est qui est le plus difficile pour moi ? »
Puis pensez à vos proches, vos parents ou votre conjoint(e). Vous sentez-vous
respecté(e) et compris(e) émotionnellement ? Avec quelle personne de votre
entourage ressentez-vous cette écoute empathique ?

Réagir en conscience

L’écoute empathique nous invite également à être vigilant quant à notre


façon de réagir à ce que l’autre nous confie. Nos interventions sont
déterminantes pour que l’autre se sente véritablement écouté et s’ouvre à
nous. Imaginons, par exemple, qu’un ami vous avoue : « Je me trouve
moche en ce moment ». Quelles sont les réactions possibles ?

« Moi, je ne te trouve pas moche du tout. Tu verras, ça ira mieux après tes
vacances ».
C’est le mode sauveur. Je réponds avec une solution et ce faisant j’infirme
le vécu de l’autre, j’essaie de le convaincre qu’il ne devrait pas vivre ce
qu’il vit. Cela peut être réconfortant, mais, en général, lorsqu’on nie le vécu
de l’autre, il reste seul avec sa souffrance.

« Ah oui, dis-moi ce qu’il y a de moche chez toi ? » ; « Quand est-ce que tu


ressens ça ? » ; « Ça vient d’où cette pensée ? ».
C’est le mode exploration. Je réponds avec une question. J’invite l’autre à
m’expliquer en détail ce qu’il vit. Il se sent alors mieux compris et écouté.

« Ça me fait de la peine que tu te trouves moche, j’ai envie de te


réconforter, mais je ne sais pas comment faire ».
C’est le mode résonance. J’indique à l’autre de quelle manière je reçois ce
qu’il vient de me dire. Il sent ainsi que je suis à ses côtés, en lien
empathique avec lui.

« Et ce n’est pas bien d’être moche ? » ; « Je crois qu’il y a du moche chez


moi aussi » ; « Est-ce que c’est vrai dans toutes les situations, il n’y a que
du moche en toi ? »
C’est le mode disruption. Sans invalider ce que vit l’autre, je l’invite à
ouvrir les champs des possibles sur d’autres visions du monde et se
désidentifier de son vécu.

« Moi, ça ne me pose pas de problème que tu te trouves moche. On peut


s’autoriser à être moches ensemble si tu veux. »
C’est le mode relation. Je mets l’accent sur le « nous », sur notre relation et
ce que nous vivons ensemble.

Cette variété de réponses n’est pas exhaustive bien sûr. Demandez-vous,


néanmoins, quel type de réaction prédomine chez vous lorsqu’une personne
vous fait part d’une difficulté dans sa vie. Savez-vous rester présent à ses
côtés dans ces moments ? C’est le mode sauveur qu’il faut éviter car même
s’il part d’un bon sentiment, il empêche la personne en face de se sentir
réellement validée, acceptée et comprise dans sa souffrance.

Donner et recevoir du bon

Souvenez-vous du « moi victime » dans le chapitre précédent : à cause de


ses blessures passées, il a du mal à croire qu’il mérite de recevoir de
l’affection et de l’attention. Par effet miroir, il lui est difficile également de
donner sans retenu car il est en manque d’amour.

Cette peur du manque est un obstacle additionnel qui vient s’immiscer dans
nos relations. Mais si, enfants, nous étions entièrement dépendants de notre
environnement immédiat pour combler nos besoins, adultes nous disposons
de davantage de ressources : il nous est possible d’aller chercher et saisir ce
dont nous avons besoin.

Le cas de Françoise illustre la difficulté que nous avons parfois à


recevoir.
En début de thérapie avec cette mère de famille de cinquante ans, un
détail était pour moi particulièrement révélateur.
Lorsque Françoise évoquait un événement douloureux de sa vie et
qu’elle se mettait à pleurer, je lui tendais alors la boîte de mouchoirs en
papier mise à disposition sur la table basse entre nous, mais
systématiquement elle rejetait mon offre et préférait sortir ses propres
mouchoirs de son sac à main.
Je lui fis remarquer ce comportement et lui demandai ce qu’il
signifiait. Elle m’expliqua qu’elle n’aimait pas se sentir redevable.
Qu’en acceptant mes mouchoirs elle se sentirait obligée de devoir les
rendre.
Nous partîmes de ce constat pour explorer son mode de relation. Elle
comprit à quel point elle était bloquée dans un rôle de « sauveuse » qui
prend soin des autres – en particulier de sa famille –, mais qui refuse le
moindre soutien.
Je lui expliquai l’influence de son attitude sur moi : lorsqu’elle refusait
mes mouchoirs, d’une part, je me sentais rejeté et, d’autre part, elle me
privait du plaisir d’offrir mon soutien, même s’il ne s’agissait que d’un
mouchoir.

Nous avons ensuite essayé de comprendre d’où lui venait l’idée qu’en
acceptant un don elle serait redevable. Elle m’expliqua que cela venait
certainement de sa mère, qui lui avait répété toute son enfance : « Je
me sacrifie pour toi, en retour j’attends la même chose de toi, que tu
sois une gentille fille et que tu prennes soin de moi ». Ainsi, pour
Françoise, accepter un don était vécu comme un emprisonnement, une
obligation mais pas comme une source de plaisir ou de soulagement.
C’est ce qui se passe lorsque le don n’est pas désintéressé, s’il n’est
pas offert sans attente en retour : la relation n’est plus un espace de
partage et de soutien, mais un lieu de négoce et de manipulation.
Ce sont en particulier les séances de thérapie en groupe, en parallèle
des séances individuelles, qui aidèrent Françoise à s’autoriser à donner
et à recevoir plus spontanément, sans autre projet que le plaisir du don.
Car en se montrant vulnérable, elle put faire l’expérience des bienfaits
que lui procuraient le soutien et la bienveillance, généreusement offerts
par les autres membres du groupe.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Pour tester votre capacité à donner et à recevoir, explorez les questions suivantes.
Vous est-il facile de donner ou de recevoir un cadeau ?
Vous est-il facile de donner ou de recevoir un compliment ?
Vous est-il facile de donner ou de recevoir de l’argent ?
Vous est-il facile de donner ou de recevoir des mots d’amour ?
Vous est-il facile de donner ou de recevoir du soutien ?
Vous est-il facile de donner ou de recevoir de l’attention ?
Vous est-il facile de donner ou de recevoir un câlin, une embrassade amicale ou un
geste de tendresse ?

Donner et recevoir du désagréable

Pour pouvoir recevoir du bon dans une relation, il nous faut aussi pouvoir
recevoir du désagréable. Les « Je t’aime » sont d’autant plus puissants que
nous pouvons aussi vivre des moments où nous nous disons « Je n’aime pas
ça chez toi ».

EXERCICE EXPLORATOIRE

Pour tester votre capacité à donner et à recevoir du désagréable, explorez les


questions suivantes.
Vous est-il facile d’exprimer ou de recevoir un commentaire négatif ?
Exemple : « Je n’ai pas aimé lorsque tu as fait ça ! »

Vous est-il facile d’exprimer ou de recevoir un « non » ?


Exemple : « Non, je ne souhaite pas faire ce que tu me demandes. »

Vous est-il facile d’exprimer ou de recevoir un désaccord ?


Exemple : « je ne suis pas d’accord avec toi sur ce point ! »

Quelles sont les personnes dont les commentaires négatifs vous affectent le plus ?

À ce propos, les scientifiques nous disent que le ratio idéal entre


commentaires négatifs et commentaires positifs est d’un pour six : c’est-à-
dire que notre cerveau est câblé de telle sorte qu’un commentaire négatif a
autant de poids que six commentaires positifs. Par exemple, si je mange une
pomme pourrie, en théorie je dois ensuite manger six pommes juteuses pour
me réconcilier avec la pomme. Nous avons tous ressenti le fait que les
critiques nous affectent plus que les compliments.

Je l’observe fréquemment en thérapie de couple, mais cela s’applique à


toutes nos relations, que ce soit avec nos collègues de travail ou bien avec
nos enfants. Nous faisons facilement des reproches à l’autre, mais nous
oublions de le féliciter ou le remercier. Dans un monde idéal, par exemple,
si je réprimande mon enfant qui a fait une bêtise, je devrais plus tard
équilibrer cette critique par six appréciations positives de ce qu’il a
accompli par ailleurs : « C’est vraiment sympa que tu aies mis la table sans
qu’on te le demande » ; « Merci d’avoir rangé ta chambre » ; « Ça m’a bien
aidé que tu surveilles ta petite sœur »… C’est très simple, mais on l’oublie
aisément.

La relation est un espace d’échanges qui requiert, on le voit, du soin et un


entretien de tous les jours. Comme pour l’intelligence émotionnelle, on peut
penser qu’il serait certainement utile de dispenser à l’école dès le plus jeune
âge des cours d’intelligence relationnelle qui nous guideraient dans la
pratique de cette danse du contact. Ils nous enseigneraient comment faire
pour nous ajuster et co-créer harmonieusement avec un autre différent de
nous-même.

Le retrait, la séparation

Enfin, le dernier temps de la rencontre est celui de la séparation. Qu’elle


soit temporaire ou définitive, c’est le moment du « au revoir » ou de
l’« adieu ».

EXERCICE EXPLORATOIRE
Comment vivez-vous les séparations en général ?
Rapidement, brutalement, douloureusement, aisément, simplement, dans l’évitement ?
Avez-vous tendance à retenir l’autre désespérément, ou à l’inverse, poussez-vous
toujours l’autre vers la sortie ?

Ce qui perturbe la phase de séparation est l’attachement possessif. Il est


l’expression d’une dépendance affective créée par un manque de sécurité
interne.

Dans sa théorie de l’attachement, le psychiatre britannique John Bowlby


explique que pour qu’une sécurité interne existe en nous, il est nécessaire
qu’enfant, nous ayons reçu de nos parents l’assurance que l’amour et le
soutien dont nous avons besoin ne nous seraient jamais retirés, quoi qu’il
arrive.

Mais si notre enfant intérieur n’a pas en lui cette base de sécurité, une fois
adulte, il lui sera difficile de se sentir serein en cas de séparation.
Sans cette fondation, nous projetons sur l’autre un idéal. Celui-ci devient
alors notre sauveur, notre base de sécurité manquante, notre parent de
remplacement, ce qui crée une situation extrêmement instable car jamais
l’autre ne pourra pleinement nous apporter ce que nous espérons de lui, en
particulier lorsqu’il exprimera son besoin d’indépendance et d’autonomie.

Yannick vient en thérapie parce qu’il n’en peut plus d’être jaloux de sa
compagne. Il a besoin de savoir en permanence où elle est et ce qu’elle
fait, sans quoi il est envahi par un sentiment de panique et il se met
instantanément à imaginer des scénarios angoissants : il a peur que sa
compagne le quitte ou qu’elle le trompe et il ne peut s’empêcher de
surveiller son téléphone portable et d’espionner ses activités sur les
réseaux sociaux.
Il me dit qu’il craint qu’elle trouve mieux que lui et que s’ils se
séparent, jamais il ne trouvera une compagne aussi bien qu’elle.
Il m’explique également que dans sa vie on l’a souvent quitté, son
premier amour notamment – qui mit fin à leur relation du jour au
lendemain sans explications – ou des amis aussi qui brusquement ont
cessé de donner des nouvelles. Il m’avoue qu’il doute beaucoup de sa
valeur et qu’il manque de confiance en lui.

Nous explorons ensemble son insécurité. Je lui demande de poser son


attention sur ses sensations corporelles, de ressentir la jalousie et la
possessivité dans son corps et de me les décrire. Il évoque l’image
d’un trou noir, une impression de chute dans un gouffre, un abysse, un
néant. Il se vit comme un enfant perdu, seul dans le noir. À cette
évocation, des souvenirs lui reviennent en tête, comme lorsqu’il se
retrouvait seul le soir devant l’école et que ses parents étaient en retard
pour venir le chercher.

Je l’invite à se laisser tomber dans ce trou noir, à s’y abandonner


complètement, en lui rappelant que si c’est trop angoissant je suis à ses
côtés.
Yannick ferme les yeux et se laisse aller. Après quelques minutes,
j’observe que son corps se détend, puis il ouvre les yeux. Je lui
demande ce qui se passe et il me répond : « Je ne sais pas bien, j’étais
au fond du gouffre et tout à coup c’est comme si j’étais revenu dans la
pièce avec vous. Comme si j’avais touché le fond de la piscine et que
je me retrouve à la surface. Avant j’étais vide, mais maintenant je
ressens du plein en moi. Je me sens vivant, je respire mieux ».
En se laissant tomber totalement dans son angoisse, Yannick a pu faire
l’expérience qu’il est capable de la traverser. Qu’en revenant à ses
sensations corporelles, il peut reprendre contact avec la réalité vivante
du moment présent, ce qui a pour effet immédiat de le sécuriser.
Par la suite, nos séances furent consacrées principalement aux premier
et troisième feux, c’est-à-dire la confiance en soi et l’estime de soi.
Cela permit à Yannick de nourrir progressivement sa solidité
intérieure, d’asseoir son sentiment d’être un adulte autonome et de
sortir du lien de dépendance avec sa compagne.

On le voit bien avec cet exemple, ce feu de la relation est certainement le


feu qui est le plus affecté par les autres feux. Car pour nous sentir bien avec
un autre, il est impératif que nous nous aimions, que nous nous fassions
confiance, que nous puissions faire des choix personnels et que nous soyons
capables d’accueillir les deuils de la vie ainsi que la souffrance qu’ils
génèrent. Ce sont les thématiques que nous allons explorer dans les
prochains chapitres.

En résumé
L’autre est le miroir de notre amour conditionnel, de nos jugements de
valeurs, de nos blessures passées, de nos désirs, de nos peurs et de nos
attachements.
La rencontre est un espace d’échanges où agit constamment la danse des
polarités en nous et chez l’autre : stabilité/nouveauté, autonomie/lien,
donner/recevoir.

Les familles de besoins


Confort et sécurité
Besoins physiologiques : manger, boire, respirer, se reproduire, dormir…
Besoins physiques : logement, revenus, santé…
Besoins psychologiques : recherche de stabilité

Stimulation
Besoin de célébration, de nouveauté, d’excitation, de beauté, de créativité, de rire,
d’amusement.

Partage et lien social


Besoin d’appartenance, d’affection, d’aimer et d’être aimé, d’avoir des relations
intimes, faire partie d’un groupe cohésif, se sentir accepté(e).

Reconnaissance individuelle
Besoin de considération et de reconnaissance.
Besoin d’être suffisamment nourri(e) narcissiquement.

Autonomie
Besoin de liberté.
Besoin d’autodétermination : se sentir à l’origine de ses actions.

Sens et cohérence
Besoin de valeurs et d’éthique personnelle.
Besoin de respect et d’intégrité.

Notes
1. Liste inspirée de celle de Debbie Ford, The Dark Side of the Light Chasers, Hodder and Stoughton,
1998, p. 69-70 (version française en bibliographie).
2. Même si l’absence de libido n’est pas forcément pathologique : l’énergie sexuelle est mystérieuse
et peut prendre une multitude de formes.
Troisième Feu
Le manque de confiance en soi
« La peur est une excitation sans souffle. »
(Fear is excitement without breath.)
Fritz Perls

« Tout acte de création est d’abord un acte de destruction. »


Pablo Picasso

L
e feu psychologique associé au manque de confiance en soi est
celui qui naît de notre difficulté à nous défendre, à prendre soin de
nos besoins et à amorcer et achever ce que nous décidons
d’entreprendre. Entrons directement au cœur de ces sujets par un exercice
exploratoire.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Voici une liste d’affirmations qui évoquent des situations du quotidien et vous permettra
de voir dans quelles circonstances votre capacité d’action est restreinte. Cochez les
réponses qui vous correspondent.

« Quand je décide quelque chose, comme arrêter de fumer, débuter un régime ou faire
ma déclaration de revenus, je m’y tiens. »
□ Oui □ Non

« Je prends facilement la parole pour exprimer mes idées. »


□ Oui □ Non
« J’ose faire le premier pas dans la rencontre amoureuse. »
□ Oui □ Non

« À la boulangerie, si l’on me double dans la queue, je sais comment réagir. »


□ Oui □ Non

« Je n’ai pas peur de dire non à mes proches. »


□ Oui □ Non

« Je sais comment demander une augmentation de salaire. »


□ Oui □ Non

« J’ai confiance dans ma capacité à me défendre si on m’attaque. »


□ Oui □ Non

« Au restaurant, si la cuisson de mon plat n’est pas la bonne, je demande une nouvelle
assiette sans hésiter. »
□ Oui □ Non

« Je maintiens un effort constant quand je souhaite progresser dans un domaine qui


me tient à cœur. »
□ Oui □ Non

« Au supermarché, cela ne me dérange pas de prendre le temps de faire mes sacs et


de chercher la monnaie au moment de payer. »
□ Oui □ Non

« Dans ma vie de couple, j’exprime spontanément mes frustrations et mes besoins. »


□ Oui □ Non

Qu’avez-vous remarqué ? Est-il plus facile pour vous d’agir dans le milieu
professionnel ou dans le milieu personnel, plutôt seul, avec un proche ou en
face d’un inconnu ? Demandez-vous aussi : « Finalement qu’est-ce qui fait
que je n’ose pas passer à l’action parfois, quelle est cette force intérieure
qui me retient ou me freine ? »

Nos peurs sont vides


Voici une liste de peurs qui limitent notre capacité à agir, regardez celles qui
vous sont le plus familières.
• Parfois je n’ose pas car j’ai peur d’être malpoli(e).
• Parfois je n’ose pas car j’ai peur d’être jugé(e).
• Parfois je n’ose pas car j’ai peur de déranger.
• Parfois je n’ose pas car j’ai peur de ne pas être à ma place.
• Parfois je n’ose pas car j’ai peur de la réaction des autres.
• Parfois je n’ose pas car j’ai peur d’être ridicule.
• Parfois je n’ose pas car j’ai peur de décevoir.
• Parfois je n’ose pas car j’ai peur d’échouer.
• Parfois je n’ose pas car j’ai peur de ce que l’on va penser de moi.
• Parfois je n’ose pas car j’ai peur d’être maladroit(e).
• Parfois je n’ose pas car j’ai peur qu’on se moque de moi.
• Parfois je n’ose pas car j’ai peur de la colère des autres.
• Parfois je n’ose pas croire en ma réussite.
• Parfois je n’ose pas car j’ai peur du danger.
• Parfois je n’ose pas par habitude.

Reprenons l’exemple de Louna, que ses difficultés à s’affirmer dans


son travail ont poussée à consulter. Elle souhaite, grâce à la thérapie,
apprendre à se sentir plus à l’aise pour prendre la parole en réunion et
apprendre à affronter son manager qui la noie sous les dossiers.

En début de thérapie, nous explorons ensemble les origines de ses


peurs. Louna se souvient que depuis l’enfance, elles ont toujours été
présentes. Elle se rappelle en particulier qu’à l’école primaire, lorsque
le maître l’interrogeait, une bouffée de chaleur montait en elle et ses
joues devenaient alors rouges écarlates, ce qui déclenchait les rires de
ses camarades qui lui donnèrent un surnom cruel : « la Tomate ».
Louna avait inconsciemment mis de côté ce souvenir douloureux.
En explorant davantage son histoire, elle se remémora également que
son père, très misogyne, faisait régulièrement à sa mère des
commentaires rabaissants. Elle garde de ces remarques acerbes un
complexe d’infériorité vis-à-vis des hommes, qu’elle place
immanquablement en position d’autorité.
De nos échanges, Louna reconnut l’origine de ses peurs, ce qui lui
offrit un certain apaisement. Mais cela ne l’empêchait pourtant pas de
toujours se sentir embarrassée au moment de prendre la parole en
réunion.

Ces peurs qui nous freinent sont celles que nous avons rencontrées dans les
chapitres précédents : peur de ne pas être aimé, d’être seul, d’être rejeté,
d’être violenté, d’être humilié, d’être oublié, d’être incompris. Il peut être
bénéfique de comprendre leurs origines, mais ce n’est pas suffisant pour
nous en libérer. Il nous faut d’abord faire l’expérience vivante que nous
avons la capacité de les traverser, qu’il nous est possible d’endurer ces
vagues de peur sans danger. Cela revient à oser prendre le risque de nous
confronter aux situations qui nous angoissent. Par exemple, dans le cas d’un
enfant effrayé le soir par des monstres imaginaires cachés dans le placard de
sa chambre, ce ne sont pas des paroles rassurantes qui vont être efficaces
durablement : c’est en ouvrant la porte du placard que l’on dissipera la peur
de l’enfant.

En les regardant droit dans les yeux, nous allons nous aussi nous apercevoir
que nos peurs psychologiques sont vides, comme le placard. Elles sont
vides car très souvent ce sont des peurs d’anticipation, des peurs qui
concernent le futur, alors que dans le moment présent, il n’y a aucun danger.
Faisons la distinction ici entre les peurs psychologiques, issues de notre
mental – comme celles de Louna – des peurs biologiques qui sont une
réaction automatique face à un danger immédiat (comme le départ d’un
incendie ou l’attaque d’un ours, par exemple) : des moments où l’on ne
réfléchit pas, où notre instinct prend le contrôle.

Un moyen de voir la nature irréelle de nos peurs est de les pousser à


l’extrême, de les exagérer. Prenons l’exemple d’une peur simple du
quotidien 1 : « J’ai peur de prendre trop de temps pour remplir mes sacs et
payer à la caisse du supermarché et que les gens derrière moi
s’impatientent ».

Pour explorer cette peur jusqu’au bout, répondez mécaniquement aux


questions qui suivent et voyez les conséquences réelles de la situation qui
vous effraie tant.
« J’ai peur de prendre trop de temps quand je paye à la caisse et que les
gens derrière moi s’impatientent.
– Très bien, et alors, qu’est-ce qui va se passer après ?
– J’ai peur que les gens derrière moi s’impatientent et pensent du mal de
moi.
– Très bien, et alors, qu’est-ce qui va se passer après ?
– J’ai peur qu’ils pensent du mal de moi et qu’ils me fassent une remarque.
– Très bien, et alors, qu’est-ce qui va se passer après ?
– J’ai peur qu’ils me fassent une remarque, de me sentir ridicule et de
devenir tout(e) rouge.
– Très bien, et alors, qu’est-ce qui va se passer après ?
– Je vais devenir tout rouge et je vais me le reprocher.
– Très bien, et alors, qu’est-ce qui va se passer après ?

En continuant avec « et alors… », vous verrez qu’au final il ne se passe rien


de conséquent : simplement un sentiment inconfortable qui se dissipera et
que vous oublierez très vite.
Vous pourrez également constater que nos peurs psychologiques sont
construites aussi parfois sur la base d’un scénario catastrophe complètement
irréaliste. Louna, par exemple, en faisant cet exercice, prit conscience
qu’elle se racontait inconsciemment le scénario suivant : « Si je dis quelque
chose de bête en réunion, je vais perdre mon travail et ensuite je me
retrouverai à la rue sans amis ». Une chaîne de réactions terrifiante, mais
une chaîne très improbable.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Reprenez les peurs que vous avez identifiées dans l’exercice précédent. Pensez à une
situation de votre vie dans laquelle elles sont actives, puis poussez l’expérience
jusqu’au bout en imaginant ce qui va se passer et en répétant : « Et alors, qu’est-ce qui
va se passer après ? »

Peur et courage
Une autre croyance limitante affirme qu’être courageux, c’est ne pas avoir
peur. Mais le courage est justement notre capacité à poursuivre notre action
malgré la peur : « J’ai peur du monstre dans le placard, mais je vais tout de
même à sa rencontre ». Dépasser sa peur ne veut pas dire la supprimer. À la
piscine, en haut d’un plongeoir de dix mètres, il est normal d’avoir peur. La
question qui se pose est alors : « Ai-je le courage de sauter ou non ? ».
En ce sens, l’expression « Je suis mort de peur » est totalement fausse.
Ressentir de la peur ne tue pas : au contraire, le sentiment de peur est
associé à une décharge d’adrénaline qui rend notre corps particulièrement
alerte et vivant.
Le problème est que la peur nous fige, elle bloque notre respiration. Si en
haut du plongeoir, je ne respire pas, mon corps se tend et se paralyse. Alors
mon mental prend le relais et commence à se poser un milliard de
questions : « Est-ce que j’y vais ou pas ? ».

Pour sortir de cet état figé, nous devons ré-oxygéner notre corps afin de le
remettre en mouvement. Comme Fritz Perls l’affirme : « La peur est de
l’excitation sans respiration ». En reprenant conscience de notre respiration,
c’est-à-dire en concentrant notre attention sur notre souffle, nous allons
sentir l’énergie vivante qui accompagne la peur : l’excitation, la stimulation,
l’épanouissement de faire quelque chose de nouveau, de se dépasser, de se
mettre au défi. En haut du plongeoir, je vais ainsi ressentir cette danse entre
peur et excitation, l’envie de vivre cette expérience grisante mêlée à
l’énergie qui me tire en arrière et me dit : N’y va pas.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Prenez un moment pour repenser à un moment de votre vie où vous avez senti ce
mélange de peur et d’excitation.

Laissez-vous revivre la sensation dans le corps tout en étant conscient(e) de votre


respiration. Voyez si votre expérience serait différente si vous donniez plus d’oxygène
à votre peur.

Mon style d’autorité


Nos peurs, on le voit, se comportent comme des enfants qui seraient
totalement dominés par leur émotion. Il est légitime que nous nous
demandions alors : « Mais quel type de parent suis-je pour cet enfant
effrayé ? »

Prenons une situation du quotidien. Imaginez, par exemple, que votre enfant
est en train d’apprendre à faire du vélo. Il tombe, se fait mal et refuse
ensuite de renouveler l’expérience. Dans cette situation, en tant que parent
ou éducateur, quelle serait votre attitude ?

Différentes réactions sont possibles. D’un côté, les réactions hyper-


sécuritaires, surprotectrices, qui n’encouragent pas la poursuite de l’effort :
« Mon pauvre chéri, c’est horrible, plus jamais tu ne monteras sur un vélo,
c’est trop dangereux ». Et de l’autre, les réponses autoritaires, violentes et
totalitaires : « Remonte immédiatement sur le vélo et ravale ta peur ».

Entre ces deux extrêmes se trouve ce qu’on peut nommer l’autorité


bienveillante. Elle consiste à dire d’une voix chaleureuse et assurée : « Mon
chéri, oui, tu as peur, c’est normal, prends ton temps et quand tu seras prêt,
remonte sur le vélo, tu en es capable ». Elle allie la force de la
détermination à la douceur de l’empathie. On peut aussi dire qu’elle
combine les archétypes du féminin et du masculin, la douceur de la mère à
la force du père. Ces deux aspects étant présents en chacun de nous quel
que soit notre sexe biologique, bien entendu.

Quel type de parent êtes-vous pour vous-même alors ? Une autre façon
d’explorer votre style d’autorité sur vous-même est de rencontrer ce que
l’on peut nommer votre « coach intérieur », la voix interne qui vous pousse
à l’action. Interrogez-vous : comment me parle mon coach interne
habituellement ? A-t-il plutôt des phrases encourageantes (« Super, continue
tu vas y arriver ») ou bien se montre-t-il laxiste (« Ce n’est pas grave, on le
fera demain ») ou plutôt autoritaire et critique (« Tu n’es vraiment pas doué,
mon pauvre ») ?
Suivant les situations, les réactions de votre coach intérieur ne sont pas
forcément toujours les mêmes. Il est peut-être tyrannique dans le domaine
professionnel et laxiste dans le domaine familial, par exemple.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Repensez à des situations du quotidien qui demandent un effort. Demandez-vous quel


est votre style d’autorité dominant : laxiste, encourageant ou autoritaire ?

Personnellement, pour me soutenir, j’utilise une technique que je trouve


efficace. Elle m’est venue, il y a quelques années, alors que je faisais du
cyclotourisme en Ardèche. Un soir, au passage d’un col, alors que la nuit
tombait, j’étais épuisé et je commençais à penser à abandonner et
rebrousser chemin. Je me suis alors imaginé faisant le tour de France et
ayant deux rangées de supporters m’acclamant sur le bord de la route en
criant mon prénom : « Ghislain, Ghislain, Ghislain !!! ». Instantanément,
cela m’a redonné le boost nécessaire pour passer le col. Depuis, j’utilise
cette aide lorsque je sens qu’une tâche devient trop difficile : j’invoque
alors mon équipe intérieure de supporters qui crient mon prénom à mes
côtés. Je le recommande, c’est très dynamisant.

Vous pouvez aussi tenter l’expérience entre amis. Une personne se met au
centre et les autres autour chantent son prénom à la façon de supporters
bienveillants et encourageants. Cet exercice tout simple permet de faire
l’expérience de ce que peut être la voix d’un coach intérieur motivant et
amical.
Tolérance à la frustration
Pour mieux comprendre la motivation et la volonté, des scientifiques ont
mis au point une expérience à la fois amusante et un peu sadique. Ils se sont
intéressés à la capacité des enfants à supporter une frustration pour obtenir
une récompense supérieure. Voilà comment se déroule l’expérience :
– l’expérimentateur donne d’abord un bonbon à un enfant ;
– puis il lui dit « Si tu attends cinq minutes sans le manger, tu en auras un
deuxième » ;
– ensuite l’expérimentateur sort de la pièce, laisse l’enfant seul (qui est
filmé) et observe son comportement sur un écran.

Les vidéos de ces expérimentations sont très touchantes : les enfants placés
devant ce dilemme sont très attendrissants. Si vous êtes curieux, on les
trouve sur Internet sous le nom de « Marshmallow test ». Les chercheurs
constatent alors que plus l’enfant est âgé, plus il est capable de tolérer
facilement cette frustration pour obtenir un second bonbon. Mais la capacité
à supporter les frustrations est aussi très variable selon les individus.

Que peut-on retenir de cette expérience ? Tout d’abord que ce qu’on appelle
la « volonté » est finalement l’expression de notre capacité à tolérer ou non
des frustrations, un inconfort. Ainsi, plus notre tolérance à la frustration est
faible, plus nous privilégions une satisfaction immédiate, le plaisir dans
l’instant (pour les enfants : manger le bonbon sans attendre). Plus notre
tolérance à la frustration est forte, plus nous sommes capables de maintenir
notre effort dans le temps, et plus nous sommes satisfaits de ce que nous
accomplissons, ce qui nourrit notre confiance en nous sur le long terme. Les
deux modes de fonctionnement se résument ainsi :
Si nous ne sommes pas tous égaux en ce qui concerne notre capacité à
supporter un inconfort, nos caractéristiques personnelles ne sont pas pour
autant figées dans le marbre. Notre cerveau a une forte plasticité et le
pouvoir de se transformer. De plus, l’expression de nos gènes peut être
influencée par notre environnement et notre mode de vie, comme l’a montré
une science récente, l’épigénétique. Donc, si notre tolérance à la frustration
est faible aujourd’hui, cela ne veut pas dire que nous n’avons pas la
possibilité de la faire progresser. Comme pour l’endurance ou la tonicité
musculaire, c’est par la pratique qu’elle peut se fortifier. Voici plusieurs
exercices pour vous entraîner.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Pour entraîner votre capacité à tolérer les frustrations, placez-vous volontairement


dans une situation inconfortable et maintenez cette position consciemment quelques
instants.
Par exemple, lorsque vous avez faim, attendez quelques minutes devant votre assiette
avant de commencer à manger. Si vous ressentez de l’ennui, patientez quelques
instants avant de débuter une activité. Ou tenez-vous simplement sur un pied le plus
longtemps possible.
Pour chaque expérience observez comment vous vivez cette sensation d’inconfort
(exemples : vous transpirez, vous avez du mal à respirer, vous sentez l’énervement ou
l’angoisse monter…). Combien de temps vous pouvez résister.
EXERCICE EXPLORATOIRE

Voici une liste des qualités nécessaires à votre coach intérieur pour tolérer les
frustrations, oser vivre la peur, avoir de l’énergie et cultiver une autorité bienveillante.
Lisez-les lentement à haute voix et entourez celles qui vous attirent le plus, celles que
vous souhaitez développer en priorité. Pour vous en souvenir, écrivez-les sur un post-it
et placez-le sur votre réfrigérateur ou bien inscrivez-les sur le fond d’écran de votre
ordinateur.

Discipline, rigueur, maîtrise, intégrité, volonté, ordre, force, persévérance,


détermination, constance, endurance, patience, attention, persistance, bravoure,
application, ténacité, opiniâtreté, courage, témérité, énergie, droiture, concentration,
organisation, tempérance, résolution, assiduité, engagement, tonus, ardeur, audace,
constance, décision, fermeté, allant, initiative, hardiesse, vaillance, impétuosité,
intrépidité, pugnacité, vigueur, entrain, solidité, puissance.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Visualisation guidée
Voici une visualisation guidée pour rencontrer votre force intérieure 2.
Préparation : Faites le vide en vous, sentez votre respiration, posez-vous dans le
moment présent, sans attente.
Lisez lentement ce texte, ou enregistrez-le. Faites une pause entre chaque phrase
pour laisser des images et des sensations apparaître en vous.

• Repensez à un événement de votre passé où vous vous êtes senti(e)s fier (fière) de
vous. Cela peut être la réussite d’un examen, un accomplissement sportif, la gestion
d’une situation délicate, la fabrication d’un objet…
• Replongez-vous dans ce moment où vous vous êtes sentis satisfait(e), fier/fière,
content(e) de vous-même.
• Laissez-vous pleinement revivre cet instant. Prenez le temps d’observer en détail ce
souvenir. Que voyez-vous ? Que ressentez-vous ?
• Portez maintenant votre attention sur vos sensations corporelles. Comment vous
sentiez-vous dans votre corps en ce moment de succès ? Posez votre attention sur la
zone du visage, puis votre poitrine, vos bras, votre dos, vos jambes.
• Re-goûtez à l’énergie de la réussite qui vous habitait. Sentez cette chaleur
rayonnante. Visualisez la couleur de cette énergie.
• Cette énergie est votre force, votre capacité à agir, votre puissance. Laissez-vous
sentir cela au plus profond de vos cellules.
• Imaginez maintenant que cette énergie devient de plus en plus forte. Comme un feu
sur lequel on souffle et qui s’attise. Tout votre corps est envahi par cette force chaude
qui est la vôtre, elle irradie même à l’extérieur du corps, dans toute la pièce.
• Ensuite imaginez que cette énergie se met en mouvement et vient se concentrer
comme une boule de feu en rotation au centre de votre poitrine. Sentez sa puissance
et voyez que cette ressource est disponible en vous lorsque vous en avez besoin.
Dans toutes les situations difficiles, vous pouvez compter sur elle.
• Enfin, regardez au centre de cette boule de feu, vous allez y découvrir l’image d’un
animal qui est le symbole de votre puissance. Laissez le temps à cette image de se
former et de se clarifier distinctement. Cet animal est à votre disposition pour vous
protéger et vous fournir l’énergie de l’action quand vous en avez besoin.
• Maintenant, ouvrez les yeux et imaginez que cet animal est avec vous dans la pièce,
assis à vos côtés. Percevez ce que cela vous fait de sentir sa présence à vos pieds
ou dans les airs si c’est un animal volant.

Cette visualisation guidée qui fait apparaître l’animal symbole de notre


puissance est une technique qui a de multiples applications. Je me souviens
que lorsque je passais des entretiens d’embauche, je m’imaginais entrer
dans le bureau en visualisant un lion symbole de ma force marchant à mes
côtés : immédiatement mon anxiété s’atténuait. Faites l’expérience la
prochaine fois que vous sortez dans la rue : imaginez que vous marchez
avec votre animal à vos côtés.

La procrastination
En plus d’oser confronter nos peurs, d’exercer une autorité bienveillante sur
nous-même et de tolérer nos frustrations, notre confiance dépend également
de notre capacité à tenir les engagements que nous nous fixons. C’est-à-dire
à ne pas « procrastiner », à ne pas reporter au lendemain ce que nous nous
étions promis de faire le jour même.

Ce joli mot vient du latin crastinus, qui évoque justement le lendemain et la


lumière de l’aurore qui commence à briller. Procrastiner, c’est ce que nous
faisons lorsque notre mental nous dit : « Attends un peu, demain sera un
meilleur jour pour ce que tu as à faire ». Nous avons tous connu ces
moments où intérieurement nous nous demandons : « Pourquoi le faire
maintenant ? », avant de commencer à nous mentir à nous-même en nous
promettant mordicus que demain, certainement, nous nous activerons. Mais
le lendemain la même chose se reproduit et une nouvelle fois nous
remettons au jour suivant ce que nous nous étions promis de faire la veille.

Le fait de procrastiner dépend de notre capacité à retarder un plaisir


immédiat mais aussi de notre disposition à respecter les engagements que
nous nous fixons à nous-même. Et cela concerne toutes formes
d’engagement, les grandes ambitions comme les petites promesses du
quotidien : « Je vais faire du repassage ce soir » ; « Je vais tondre la pelouse
ce week-end » ou « Je vais faire me remettre au sport à la rentrée ».

Quand nous ne tenons pas un engagement que nous nous sommes fixé, nous
nous « laissons tomber », nous nous trahissons. Au fil du temps, ces petits
abandons rognent notre confiance en nous-même. Imaginez qu’un ami vous
annonce sa visite à vingt heures et qu’il ne vienne pas : votre confiance en
lui sera certainement entachée. C’est pourtant ce que nous nous faisons à
nous-même, en accumulant les manquements à notre propre parole, nos
petits mensonges intérieurs.

Ne jamais nous mentir


Il existe quelques règles pour nous aider à tenir nos engagements envers
nous-même. La première est de ne jamais nous mentir, donc de ne jamais
nous engager si nous ne sommes pas certain à 100 % que nous respecterons
cet engagement. Pour vous aider, écrivez votre engagement sur une feuille
de papier, puis demandez-vous : « Suis-je prêt(e) à signer ce contrat avec
moi-même ? »

Mais, avant, il est important que les termes du contrat soient clairs et précis.
Voici les qualités indispensables d’un bon contrat avec soi-même :

• Spécifique. Votre engagement doit être concret et précis. Évitez les


objectifs flous comme « Je veux perdre du poids », préférez « Je veux
perdre deux kilos ».
• Mesurable. Il doit donc pouvoir être évalué quantitativement. Par
exemple : « Je ne veux pas consacrer plus d’une heure par jour aux jeux
vidéo ».
• Atteignable. Un but trop ambitieux qui ne sera pas atteint ne fera que
nourrir un sentiment d’impuissance. À l’inverse, un petit objectif atteint
augmentera votre confiance, en nourrissant un sentiment de réussite. Par
exemple, au lieu de « Je vais ranger toute la maison aujourd’hui » : « Je
mettrai de l’ordre dans une pièce aujourd’hui ».
• Réaliste. L’objectif que je me donne doit être motivant mais aussi en
accord avec qui je suis et mes capacités. Par exemple, il n’est pas réaliste
de courir un marathon sans un entraînement préalable.
• Temporellement défini. Mon engagement doit être limité dans le temps,
avec un début et une fin.

Pour vous en souvenir, les premières lettres de chaque critère forment


l’acronyme SMART : « intelligent » en anglais. Prenons l’exemple de Marc
qui souhaite réduire sa consommation d’alcool. Voici le contrat qu’il s’est
fixé avec lui-même :

Dans les 3 mois qui viennent je m’engage à ne pas boire d’alcool plus
de deux fois par semaine.
De ne jamais boire avant 18 heures.
Lorsque je bois, de ne pas dépasser deux verres de taille normale.
Je m’autorise une entorse au contrat une fois par mois.

Avant de signer, je demande à Marc s’il pense que cet engagement est
tenable. Il me dit que oui et signe son contrat.
Au bout de 3 mois, Marc sera satisfait de son nouveau rapport à l’alcool et
il décidera de reconduire son contrat pour 3 mois supplémentaires.

Nos croyances limitantes


En respectant nos engagements envers nous-même, un cycle vertueux se
met en place petit à petit et notre confiance en nous-même grandit. Dans le
cas inverse, notre mental va développer des croyances négatives aux effets
particulièrement destructeurs qui renforcent notre sentiment d’incapacité :
« Je suis fainéant(e) » ; « Je suis impatient(e) » ; « Je suis impuissant(e)
face aux problèmes » ; « Je ne peux pas apprendre ou changer » ; « Je suis
peureux/peureuse ». Ces pensées sont comme des étiquettes que nous nous
collons, des vérités que nous nous attribuons qui sont autant de freins nous
empêchant de croire en notre capacité à évoluer et à cultiver un sentiment
de compétence.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Prenez un moment pour vous interroger sur les croyances limitantes que vous portez.
Quelles étiquettes vous ont déjà été attribuées, par vous-même ou par votre
entourage ? Voici quelques suggestions. Entourez celles qui vous correspondent.
Paresseux, maladroit, impatient, désordonné, inconstant, hésitant, craintif, timide,
peureux, indécis, faible, impétueux, fragile, chétif, lâche, mou, désorganisé, sot,
inattentif, brouillon, malhabile, lent, inappliqué, indiscipliné, désinvolte, dilettante,
étourdi, empoté, naïf, distrait, gaffeur, empressé, irresponsable, tête en l’air, négligent,
fantaisiste, bête…
Nous avons la possibilité de les réimprimer, afin qu’elles relâchent leur
emprise sur nous. Il nous est possible, par exemple, de remplacer « Je suis
peureux » par « Parfois il m’arrive d’être bloqué par la peur », ou au lieu de
dire « Je suis timide » : « Parfois je trouve le regard des autres sur moi
particulièrement inconfortable », ou bien à la place de « Je ne sais pas
bricoler » : « À ce jour, je n’ai pas toutes les connaissances ou compétences
nécessaires pour réaliser ce que je souhaite ».

L’important est de casser cette affirmation définitive, cette vérité absolue


qui enferme, et de la replacer dans une situation précise, spécifique et
définie dans le temps.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Remplacez une étiquette que vous vous attribuez par un commentaire moins définitif.
Sentez dans votre corps comment une vérité imposée est lourde à porter alors qu’une
affirmation plus ouverte nous fait nous sentir plus léger.
Par exemple, « Je suis nul en maths » devient « Ce n’est pas toujours facile pour moi
de résoudre des calculs complexes ». Faites l’essai !

Nous avons le pouvoir de réécrire l’histoire que nous nous racontons sur
nous-même et cela a une grande importance car ce que nous pensons
influence grandement notre performance. Si un golfeur, par exemple, se dit
« Je ne suis pas capable de réussir ce coup », il a très peu de chances
d’atteindre le trou.

Certaines histoires que nous nous racontons, de plus, sont très confortables,
car elles justifient le fait que nous restions dans l’inaction. Elles nous
servent d’alibi pour camoufler notre peur de passer à l’action. Mais si nous
avons l’honnêteté de voir comment nos croyances limitantes s’impriment en
nous, elles perdent progressivement de leur effet.

Puissance créatrice
Dans la religion hindoue, le fonctionnement de l’univers est représenté par
trois divinités : Brahma le créateur du monde, Vishnou le protecteur de la
création et Shiva son destructeur. Vishnou et Shiva symbolisent la rivalité
permanente qui existe entre ces deux forces de vie que sont l’énergie du
maintien et de la conservation, face à celle du changement et de la
transformation.

Les hindous nous rappellent ainsi que pour que la danse de la vie soit
possible :
– conservation et transformation sont nécessaires ;
– toute création implique aussi une destruction.

Nous devons nous nourrir et donc détruire des organismes vivants ; même si
ce ne sont que des pommes ou des carottes. Pour nous tenir au chaud ou
construire un abri, nous devons aussi couper des arbres. L’énergie de
destruction est donc indispensable au monde.

Mais pour beaucoup d’entre nous, cet aspect destructeur est réprimé,
censuré. C’est, je crois, un mal profond de notre société, qui par son
organisation du travail frustre, restreint notre pouvoir créateur/destructeur.
Cette énergie créatrice, lorsqu’elle est contrainte, cherche alors d’autres
moyens pour s’exprimer, des canaux détournés, comme la destruction de soi
(addictions, suicide, comportements dangereux…) ou les violences sur
autrui (harcèlement, xénophobie, incivilités…).
Comme Shiva, qui est vénéré par les hindous, cette force créatrice,
lorsqu’elle réintègre sa juste place, nous offre un sentiment de puissance et
de soutien qui nourrit durablement notre confiance en nous.

Pour y goûter, il nous faut pratiquer. C’est-à-dire trouver des moyens


d’expression pour cette puissance créative. Cela peut se faire par la pratique
d’un sport ou d’une activité artistique mais aussi par l’entreprenariat, la vie
associative, le bricolage,… à chacun d’écouter où son énergie créatrice
souhaite le mener.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Explorez votre relation avec votre pouvoir destructeur : mangez une carotte à pleines
dents, déchirez avec violence une feuille de papier, frappez un coussin, faites un cours
de boxe, allez couper du bois 3… Explorez vos sensations en goûtant à cette force
destructrice.

Je propose à Louna de mettre en scène la situation qu’elle vit au


travail et de jouer le rôle de son manager. Je prends tous les coussins
présents dans la pièce et je les amoncelle sur elle, comme la pile de
dossiers sous laquelle elle est noyée.
Je lui demande ensuite ce qu’elle ressent. Elle me dit que c’est
inconfortable mais qu’elle se sent immobilisée, incapable de bouger.
Elle a peur de s’opposer à mon autorité.
J’insiste et je commence à augmenter la pression sur ce tas en
m’appuyant dessus. Son inconfort augmente, mais Louna ne réagit
toujours pas.
Pour accentuer encore son désagrément, je lui dis alors : « Nous les
hommes on a de la chance, nous sommes privilégiés, j’aime bien avoir
le droit de vous mettre sous pression. »

Cette provocation déclenche chez Louna une réaction. Elle se redresse


et commence à lutter contre la pression que je lui impose. Elle me dit
qu’elle se sent en colère et qu’elle en a marre d’être dominée.
Ensuite nous sommes tous les deux debout et je l’invite à sentir ce qui
se passe en elle, pendant qu’elle continue à me repousser. Pendant les
minutes qui suivent Louna ose me confronter et prend conscience de sa
force et de sa capacité à se défendre. Je vois en plus au sourire sur son
visage qu’elle prend du plaisir à se bagarrer.

On voit bien dans cet exemple comment la colère est notre alliée pour
contacter notre puissance. C’est l’énergie de la frustration, celle qui nous
aide à dire non, à dire « Stop, ça ne me convient pas ». Pour sentir sa force
et se mettre en action, Louna a dû autoriser cette émotion en elle.

Mais pour ceux d’entre nous qui, enfants, avons été effrayés par les
éruptions de colère de nos parents ou d’autres proches, il est difficile de se
réconcilier avec cette émotion.

D’abord, il nous faut voir que colère et violence sont différentes. L’énergie
émotionnelle et le comportement associé sont deux choses distinctes,
comme nous l’avons vu dans le chapitre 2. Ensuite, il nous faut trouver une
façon d’exprimer notre colère qui soit ajustée. Pour ce faire, les techniques
de communication non violente sont une bonne aide.

Enfin, nous devons nous sentir capables de recevoir la colère, c’est-à-dire


pouvoir endurer de l’agressivité et amortir le choc. Nous reviendrons sur ce
point dans le dernier chapitre, en explorant comment il nous est possible ou
pas de traverser des événements traumatisants.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Que ressentez-vous à l’idée d’être en colère ?

Comment était-elle exprimée dans votre famille ?

Comment exprimez-vous vos frustrations généralement ?

Comment recevez-vous la colère de quelqu’un ?

Le droit d’échouer
Enfin, pour nous sentir capables et puissants, la dernière condition
obligatoire est de nous autoriser à échouer. Si nous nous lançons dans un
projet mais que l’échec est interdit, nous serons bloqués. Si nous ne pensons
pas : « Je m’offre la permission d’apprendre et de progresser », jamais nous
ne pourrons nous mettre en marche.

C’est la même démarche qui s’applique pour la recherche scientifique :


chaque expérience ratée aide à éliminer des paramètres, à réduire le champ
d’exploration et fait faire un pas de plus vers l’expérience réussie.
Pour pouvoir nous autoriser à échouer, il nous faut également accepter nos
limitations. C’est-à-dire tolérer le fait que nos capacités sont limitées, et
qu’en plus, en vieillissant, elles auront tendance à décliner. Ce constat nous
invite à faire le deuil de notre toute-puissance et à accueillir avec humilité
les contraintes de notre condition humaine… ce qui n’est pas aisé pour
l’ego.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Quelles sont vos limitations que vous avez le plus de mal à accepter ?

• Les limitations de vos capacités physiques


Activités manuelles, sportives, artistiques…

• Les limitations de vos capacités intellectuelles


Mémoriser, résoudre des problèmes, conceptualiser…

• Les limitations de vos capacités relationnelles


Leadership, capacité à séduire, écoute empathique…

• Autres :

Finalement, lorsque nous nous sentons adultes, puissants, capables et


compétents, que l’énergie de l’action est vivante en nous et que les freins
qui limitent son expression spontanée sont levés, la question qui se pose
alors est vers quel projet diriger ces énergies, ces forces, ces capacités.
C’est ce que nous allons explorer dans le chapitre qui suit.
En résumé
Cultiver notre confiance en nous demande de :
• reconnaître la nature vide de nos peurs ;
• renforcer notre tolérance aux frustrations ;
• exercer une autorité bienveillante sur nous-même ;
• respecter nos engagements internes ;
• dévoiler nos croyances limitantes ;
• libérer notre pouvoir destructeur/créateur ;
• nous autoriser à échouer ;
• accepter nos limitations.

Notes
1. Nous aborderons spécifiquement la peur de la mort et la peur de la souffrance dans les chapitres
suivants.
2. Vous trouverez une version audio de cet exercice sur le site ghislainrubiodeteran.com.
3. Il existe même aujourd’hui des fury rooms, des espaces à louer dans lesquels on peut évacuer son
stress en cassant des objets.
Quatrième Feu
Une réalisation de soi insuffisante
« Il faut vivre de telle sorte que l’on puisse vouloir revivre
éternellement sa vie. »
Nietzsche

« Des foules sentimentales


Avec soif d’idéal
Attirées par les étoiles, les voiles
Que des choses pas commerciales »
Alain Souchon

A
vant de découvrir les chemins de l’introspection et le monde de la
psychothérapie, j’avais toujours ressenti en moi comme un vide, le
sentiment que quelque chose me manquait. À l’époque où je
travaillais dans le marketing, j’appréciais mes collègues et j’aimais plutôt ce
que je faisais, mais au fond de moi demeurait une insatisfaction. Je n’avais
pas conscience, alors, que toute ma vie, je m’étais laisser guider, sans faire
de réels choix, que je subissais mon quotidien plutôt que d’en être l’acteur
principal. Enfant, on m’avait dit : « Fais de bonnes études et tu trouveras un
bon travail » et j’avais suivi passivement, car me connaissant mal, je ne
savais pas quel autre chemin j’aurais pu suivre.

Dans mon cabinet, je rencontre de nombreuses personnes qui vivent la


même chose que moi. Elles viennent consulter car elles sont déprimées
mais ne savent pas pourquoi. Elles ont une vie familiale stable, un travail
satisfaisant, un confort matériel suffisant et même parfois une belle
reconnaissance sociale, mais quelque chose manque à leur épanouissement
car leur cœur n’est pas investi à 100 % dans ce qu’elles accomplissent au
quotidien.

Voici le thème du quatrième feu psychologique, qui est relié à nos choix, à
ce qui nous motive, à ce qui donne du sens à notre vie et à ce qui nous fait
nous sentir réellement vivant. Rencontrons-le par un premier exercice
exploratoire.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Le bilan de vie
Imaginez-vous à la fin de votre vie : vous avez 100 ans. Vous regardez en arrière et
repensez à votre vie passée. Que voulez-vous pouvoir vous dire à cet instant ?

Quelles personnes souhaitez-vous avoir autour de vous ?

Quels accomplissements aimeriez-vous avoir réalisés ?

Qu’espérez-vous que l’on dise de vous ?

En somme, quel bilan souhaitez-vous pouvoir faire de votre vie ?

Visualisez la scène et prenez quelques minutes pour réfléchir à ces questions.


Cet exercice nous invite finalement à nous poser les questions suivantes :
« Suis-je en train de vivre ma vie idéale ? » Et si la réponse est non, de nous
demander : « Mais finalement, quelle serait ma vie idéale ? Et qu’est-ce qui
m’empêche de la vivre ? »

Peut-être le mot idéal vous fait-il réagir : « C’est utopiste de croire en une
vie idéale ». Mais vivre une vie idéale ne veut pas dire pour autant vivre
une vie sans problèmes ou sans souffrance. Une vie idéale se doit d’intégrer
la mort, la vieillesse, la frustration, le manque et l’échec. C’est également
un concept dynamique : mon idéal à 30 ans n’est pas forcément le même
qu’à 70 ans. Cependant, pour beaucoup d’entre nous, il est plus facile de se
censurer, de rêver petit, que de s’autoriser à croire en une vie idéale. Une
vie qui nous fait dire : « Oui, lorsque je me lève le matin, je suis content(e)
de la journée qui m’attend » ou « Oui, avec ces hauts et ces bas, cette vie
me convient, je suis satisfait(e) de mes choix ».

Reprenons l’exemple de Fabien présenté en introduction (p. 21). Ce


chef d’entreprise semble vivre une vie idéale. Bel homme de 45 ans,
marié, trois enfants, riche en succès professionnels. Pourtant,
intérieurement, le cœur n’y est pas. Il a l’impression de courir en
permanence. Le poids de ses responsabilités l’accable. Il se sent
déprimé et fait régulièrement des crises d’angoisse au milieu de la nuit.
Il a perdu sa joie de vivre, ce qui le conduit même à avoir des pensées
suicidaires. Il est abattu et il ne sait plus ce qu’il veut véritablement.
En séance, cette confusion nous amène, dans un premier temps, à
explorer la question de ses choix de vie.

Choix de vie
Il y a une contrainte existentielle que subissent tous les êtres humains : nous
devons faire des choix et nous sommes conscients de cela. Agir, c’est
choisir. Même ne rien faire, c’est encore choisir de ne rien faire. Et nous
vivons dans une société qui nous place en face d’une infinité de choix
potentiels : à chaque instant, je peux décider de lire, d’apprendre une
langue, d’appeler un ami, de me divertir, de consommer… Cette richesse
d’opportunités, si elle est une chance, peut aussi très vite devenir un
fardeau, car choisir une option nous impose également d’abandonner toutes
les autres. André Gide le disait déjà : « Choisir, c’est renoncer ». Si je
deviens médecin, je ne serai pas danseur étoile. Si je prends la route pour
Toulouse, j’abandonne la route pour Nantes.

À ce sujet, des chercheurs ont montré qu’au-dessus d’un certain nombre de


choix possibles, la frustration liée au renoncement est supérieure à la
satisfaction d’obtenir ce que l’on a choisi. Si par exemple sur un menu je
dois choisir un dessert parmi dix options proposées, je serai moins satisfait
de mon dessert que si seulement cinq m’étaient offerts, car dans le premier
cas je renonce à neuf plaisirs potentiels contre seulement quatre dans le
second cas.

Choisir, c’est donc aussi pouvoir accepter la frustration de ne pas pouvoir


tout faire, dans un monde où les choix potentiels ne cessent d’augmenter.
Par rapport à nos grands-parents ou arrière-grands-parents, nous avons
certainement plus de liberté en ce qui concerne nos choix professionnels,
nos choix de partenaires de vie, nos choix de lieux de vie, nos choix
alimentaires ou vestimentaires… et cela complexifie grandement notre
existence.

EXERCICE EXPLORATOIRE
Examinez la façon dont vous faites vos choix, en étudiant une situation simple du
quotidien : lorsque vous allez dîner au restaurant, comment choisissez-vous vos
plats ? Que se passe-t-il dans votre tête ? Regardez-vous le menu en détail, ligne par
ligne ? Savez-vous instinctivement sans réfléchir ce dont vous avez envie ? Pensez-
vous d’abord au prix ou à la diététique ? Attendez-vous de savoir ce que commandent
les autres pour vous décider ? Prenez un moment pour réfléchir à ces questions.

Face à un choix, différents aspects de nous-même peuvent nous guider :


– la tête (le mental rationnel) ;
– le cœur (l’émotionnel),
– le corps (la sensorialité et le désir) ;
– et enfin l’intuition (la connaissance directe instinctive).

Ces aspects fonctionnent en nous de façon totalement indépendante. Pour


décider où je souhaite partir en vacances, par exemple, la tête peut me dire :
« Fais attention à ton budget », le cœur : « Fais plaisir à ta famille », le
corps : « J’ai besoin de calme et de repos » et l’intuition exprimera comme
une évidence : « J’ai envie de montagne ».

Le fait que ces entités soient indépendantes les unes des autres nous pose
bien des problèmes, car cela déclenche en nous des conflits à répétition. Si
je ne suis pas satisfait de mon travail par exemple, la tête pourra me dire :
« Reste où tu es, tu as la sécurité de d’emploi », mais le cœur protestera :
« Je m’ennuie, je suis malheureux, je veux changer » ou « Je suis trop
stressé, je n’en peux plus ». Face à ces deux messages contradictoires, nous
pouvons alors rester bloqués indéfiniment dans l’indécision.

Alors comment choisir ? Au final, pour être satisfait de nos choix, nous
avons besoin que nos actions forment un équilibre de vie global. Reprenons
l’expérience du restaurant. Par exemple, si j’écoute toujours le cœur et ne
mange que des aliments gras et sucrés, sans écouter les messages du corps
et de la raison, ma santé physique en pâtira. À l’inverse, si je n’écoute que
la raison sans m’autoriser des plaisirs du quotidien, mon cœur risque
rapidement de se sentir déprimé.

Pour atteindre cet équilibre global, nous devons savoir écouter et


harmoniser nos différents besoins, au jour le jour, instant après instant. Mais
comment faire ? Pour cela, il nous faut développer un aspect de nous dont la
mission est justement le maintien de cet équilibre. À la façon d’un chef
d’orchestre, il va réguler les demandes de la tête, du cœur et du corps.

Pour accomplir sa mission, le chef d’orchestre doit impérativement savoir


écouter, observer sans jugement et acquérir une connaissance précise de
tous les instruments de son orchestre : leur tonalité, leur puissance, leur
timbre. Il ne critique pas les cymbales parce qu’elles sont extrêmement
puissantes et peuvent prendre tout l’espace sonore, par exemple. Il sait
qu’elles sont parfaitement utiles en certaines occasions. Mais si le joueur de
cymbales se prend pour le chef d’orchestre et décide de l’interprétation
musicale, le concert a peu de chance d’être mélodieux.

C’est ce qui se passe en nous lorsque notre mental devient le chef


d’orchestre et qu’il ne laisse plus de place au corps et à la sensibilité. Ou
lorsque le corps prend les commandes et que nous sombrons dans les
addictions ou le réconfort permanent et compulsif. Pour que notre chef
d’orchestre intérieur grandisse, nous devons faire un petit pas en arrière et
observer, écouter, sentir cette musique intérieure qui ne s’arrête jamais.
Demandez-vous : quel style de musique joue mon orchestre intérieur en ce
moment ? Plutôt l’hymne à la joie, une petite sonate, un requiem, des
tambours d’Afrique ? Est-ce que mon chant intérieur est mélodieux ou bien
cacophonique ?
Le guide intérieur
L’autre nom du chef d’orchestre est le guide intérieur. Il est l’aspect de nous
qui possède une intime connaissance de nous-même, accompagnée d’une
extrême sensibilité et d’une infinie sagesse. L’exercice suivant vous propose
d’aller à la rencontre de ce sage intérieur bienveillant capable d’harmoniser
et d’équilibrer les différentes demandes de notre psychisme.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Pensez à un choix à faire qui vous préoccupe en ce moment, prenez le temps de


formuler une question pour laquelle vous avez besoin d’une réponse. Cette question,
vous allez la poser à votre guide intérieur.
Vous trouverez sur le site ghislainrubiodeteran.com la version audio d’une méditation
guidée vous proposant une rencontre avec votre sagesse intérieure. Voici le texte de
cette visualisation guidée :

• Faites le vide, détendez-vous et concentrez-vous sur votre respiration.


• Imaginez que vous êtes assis(e) contre un arbre, dans une clairière.
• Sentez le sol sous vos pieds, le contact de l’arbre dans votre dos… remarquez le
chant des oiseaux… le parfum des fleurs autour de vous… la chaleur du soleil sur
votre peau… la douceur de l’air… le bruit d’un ruisseau au loin… prenez le temps
d’observer la nature paisible qui vous entoure…
• Maintenant, imaginez que dans cette clairière se trouve un chemin… au bout de ce
chemin, vous remarquez un être qui avance doucement en votre direction. Cet être
est votre Guide Intérieur, un individu qui sait tout de vous… qui possède une sagesse
infinie… et une bienveillance sans limites. Il peut s’agir d’une personne mais aussi
d’un animal ou de toute autre forme de vie.
• Vous ne distinguez au départ qu’un point lumineux, au loin, puis, petit à petit, votre
guide s’approche et ses traits se dessinent plus clairement. Vous voyez maintenant la
forme de son corps, la façon dont il est habillé, sa posture, ses cheveux (si c’est une
personne)… et lorsqu’il se rapproche encore, vous voyez distinctement son visage…
sa bouche, son regard bienveillant… vous sentez que cet être est prêt à vous écouter
et vous aider… Prenez le temps de l’observer…
• Maintenant vous allez communiquer avec votre guide. Posez-lui la question qui vous
occupe en ce moment. Puis observez sa réponse. Cette réponse peut se faire avec
des mots… mais aussi par un geste, une expression du visage… ou encore par le
don d’un objet dont vous avez besoin… acceptez la réponse telle qu’elle est
donnée… si néanmoins vous souhaitez une précision, vous pouvez questionner de
nouveau votre guide intérieur et observer sa réponse.
• Lorsque vous sentez que vous avez reçu l’information dont vous aviez besoin,
préparez-vous à dire au revoir à votre guide intérieur. Il sera possible de le rencontrer
de nouveau, dans le futur. Ce guide est en permanence à votre disposition, prêt à
vous aider et vous orienter. Si une confusion demeure en vous, il vous faudra peut-
être le rencontrer une nouvelle fois pour vous éclairer davantage.
• Lorsque vous êtes prêt(e), prenez trois grandes respirations, puis ouvrez les yeux.
• Prenez cinq minutes pour réfléchir sur ce que vous avez observé et compris de cette
rencontre.

Reprenons l’exemple de Fabien. Cette visualisation guidée lui permet


de rencontrer son guide intérieur. Il lui est apparu sous la forme d’un
vieil homme ressemblant à son grand-père maternel, un agriculteur
décédé dix ans auparavant. Il est le représentant pour Fabien d’un
amour inconditionnel et du bon sens paysan.

À leur rencontre, la question que lui posa Fabien fut celle-ci :


« Qu’est-ce que je dois faire pour me sortir de ma situation ? »
Le vieillard le regarda alors droit dans les yeux, lui prit la main et lui
sourit. Puis, une longue pause silencieuse s’installa entre eux, avant
que le vieil homme lui réponde l’œil rieur : « Tu n’as pas besoin de
moi, Fabien, tu connais déjà la réponse ! »

Ces mots sonnèrent, pour Fabien, comme une évidence. Je pus voir sur
son visage un air amusé. Je lui demandai de m’expliquer ce qu’il avait
compris et il me répondit : « Oui, c’est tellement évident au fond, je
sais que les réponses sont en moi, mais je n’ose pas me l’avouer. Je
vois bien ce qui ne me va pas, ce dont je ne veux plus, mais j’ai peur
des changements que ça demande ».
Fabien prit ainsi conscience de la manière dont il se dissimulait à lui-
même sa vérité, mais aussi comment elle lui était facilement accessible
s’il osait se l’admettre.
L’angoisse de choisir
La légende de l’âne de Buridan est une allégorie qui nous fait réfléchir sur
les difficultés que nous pouvons éprouver face à un choix. C’est l’histoire
d’un âne aussi affamé qu’assoiffé, qui se trouve en face de deux seaux : l’un
contient de l’eau et l’autre est rempli d’avoine. L’animal a tellement soif
que chaque fois qu’il se dirige vers le seau d’avoine, il change d’avis pour
se désaltérer, mais lorsqu’il s’approche du seau d’eau, sa faim est tellement
forte qu’il s’en détourne pour se nourrir… et ainsi de suite, à tel point que
ne parvenant ni à boire ni à manger, l’âne meurt.

Lorsqu’un choix est trop difficile à faire – ou génère trop de stress –, pour
ne pas succomber comme l’âne, nous nous organisons pour éviter de choisir
et ainsi échapper à notre angoisse. Ce sont des stratégies d’évitement qui
peuvent prendre une multitude de formes : la plus connue est certainement
la procrastination, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, mais
il en existe d’autres. Lisez la liste qui suit et examinez celles qui vous sont
familières, chez vous-même ou bien chez vos proches.

1
Stratégies d’évitement face aux choix
La soumission
Je laisse l’autre choisir à ma place. Je me soumets à ses désirs : « On fait comme tu
veux, ça me va bien ».

La victimisation
Je me déresponsabilise en projetant sur les autres la faute des conséquences de
mon non-choix. « Ce n’est pas ma faute ce qu’il m’arrive dans ma vie, c’est à cause
de… ».

La désensibilisation
J’anesthésie mes désirs et mes frustrations pour ne pas avoir à agir en
conséquence : « Je n’ai envie de rien ».
Les drogues et l’alcool sont également un moyen efficace pour se désensibiliser.
Le conformisme
C’est être assujetti à une doctrine, à la pensée d’un autre : « Je suis les règles et la
norme ».

Le fatalisme
C’est une forme de soumission au hasard et à la providence : « C’est la vie ! Je ne
peux rien y faire ».

La procrastination
Je remets le choix à plus tard : « Demain, certainement, je vais me décider ».

La nostalgie
Je m’enfuis dans mes souvenirs et les ruminations du passé : « C’était mieux avant ».

Le pessimisme
Il peut varier entre cynisme et catastrophisme. Cela revient à anticiper un échec qui
donc me prémunit de faire un choix : « De toute façon, on va tous mourir, alors à quoi
bon ? ».

La rêverie
Je m’oublie dans des mondes imaginaires : « Je suis mieux dans ma bulle de rêve
que dans le monde réel ». Les jeux vidéo, par exemple, sont de bons moyens pour ne
pas s’engager.

L’hyperactivité
Je reste occupé de manière compulsive et frénétique pour ne pas m’interroger sur
mes choix.

La dévalorisation
Cela revient à dévaluer mes désirs : « Ce n’est pas si grave si je n’obtiens pas cette
promotion ».

L’intellectualisation
Le mental réfléchit et analyse les choix potentiels indéfiniment, sans jamais passer à
l’action : « Peut-être que cela serait un bon choix, à moins que… »

La somatisation
On peut imaginer aussi que c’est le corps qui tombe malade parfois pour nous
prémunir de choisir.
La stratégie de Fabien a été jusqu’à maintenant un mélange de
désensibilisation et d’hyperactivité. Pour fuir ses désirs réels et sa peur du
changement, il s’oubliait dans son travail en passant douze heures par jour
au bureau, puis tous les soirs en rentrant chez lui il prenait deux verres de
whisky pour apaiser ses frustrations et son stress. Il n’écoutait pas les
messages d’alarme envoyés par son corps, jusqu’à ce que son mal-être soit
si intense qu’il soit obligé de demander de l’aide.

Sommes-nous vraiment libres de nos choix ?


La question qui se pose à nous ensuite est de savoir ce que nous désirons
réellement, quelles directions nous souhaitons donner à notre vie.
Reprenons notre métaphore musicale. Lors d’un concert, le chef d’orchestre
est responsable de l’interprétation du morceau de musique, mais ce n’est
pas lui qui écrit la partition. De même, nous ne décidons pas des chants qui
s’éveillent en nous : les pensées, les émotions, les sensations ou les désirs.
Choisissons-nous d’être triste, d’être joyeux, d’avoir faim, de désirer telle
personne, d’aimer telle chanson, de penser à ceci ou cela ? Non, tout cela
jaillit en nous de façon spontanée et indépendante de notre volonté.
Pourtant, souvent, nous voudrions contrôler cette musique que joue notre
orchestre intérieur, avec en général, une préférence pour des morceaux
comme L’Hymne à la joie.

Mais lorsque nous refusons la musique qui nous est proposée, nous
dépensons énormément d’énergie à essayer de contrôler nos vies. Mais que
contrôlons-nous vraiment ? Sommes-nous véritablement libres de nos
choix ?

À cette question, les psychologues du comportement répondent que nos


choix sont influencés inconsciemment par notre environnement, notre
passé, nos gènes et des conditionnements. Que ce que nous pensons être un
choix autonome ne l’est jamais vraiment.

Prenons un exemple. Le dernier choix que vous avez fait est celui de lire ce
livre. Était-ce un choix autonome ou bien êtes-vous programmé(e) pour
faire ce choix ?

Alors, si tous nos choix sont influencés par notre ADN, notre psychisme,
notre histoire, ne sommes-nous que des pantins, des robots contrôlés par des
conditionnements et des automatismes ?

Cette question passionne les philosophes depuis des siècles. Est-ce que
l’homme est maître de son destin ou bien est-il soumis uniquement à la
volonté divine ou à la mécanique de l’univers ? Certains diront que oui, que
tout ce que nous avons à faire est de lâcher prise, de s’abandonner, de
quitter toute intention de contrôle, de se laisser tomber dans l’instant
présent, guidés par le flot continu de la vie. Ils nous invitent à ne plus ramer
à contre-courant, à ne plus tenter de faire que la vie s’adapte à notre volonté
mais, à l’inverse, que notre volonté s’adapte à ce que la vie nous offre.
L’écrivain Yvan Amar, par exemple, nous propose de nous « synchroniser
avec la vie ».

D’autres, au contraire, nous encouragent à développer notre puissance


individuelle pour tenter d’acquérir davantage de contrôle sur notre vie. Pour
eux, l’homme doit être le créateur de sa destinée : « Sois le maître et le
sculpteur de toi-même », fait dire Nietzsche à Zarathoustra.

Entre ces deux extrêmes, la psychologie transpersonnelle 2 nous invite à ne


pas donner de réponse définitive, car finalement entre total contrôle ou
totale soumission, la réponse juste se trouve probablement entre les deux et
renvoie à une question simple : « Qu’est-ce qui fait que je me lève le matin,
content de la journée qui m’attend et satisfait de celle-ci le soir en me
couchant ? » D’après la psychologie transpersonnelle, si je suis un chêne, ce
qui donnera du sens et du plaisir à mon existence, c’est d’être pleinement
un chêne. Je me sentirai réalisé dans ma vie en exprimant à 100 % mon
potentiel de chêne. Si je suis un brin d’herbe, je me réaliserai en étant à
100 % un brin d’herbe.

Mais comment savoir quelle est ma nature profonde ? Si je suis Jeanne,


Pierre ou Fabien quelle musique doit interpréter mon chef d’orchestre ? Du
classique, du jazz, du rock, des chansons pop, un mélange de tout cela ?
Comment faire pour connaître le potentiel qui cherche à s’exprimer en
moi ?

L’expression de mon potentiel


L’image du bouton de rose prêt à éclore est souvent associée à cette idée
d’expression de notre potentiel. Car aller à la rencontre de sa nature revient
à retrouver les moments où nous nous sentons complètement ouverts et
vivants, comme une rose resplendissante au soleil. Cela nous demande de
retrouver ce qui nous fait vibrer, ce qui nous anime, la spontanéité de
l’enfance, ce qui nous met en mouvement et ce qui nous rend joyeux.

EXERCICE EXPLORATOIRE

100 % vivant
Repensez à votre enfance, votre adolescence et votre vie d’adulte.
Quels sont les instants où vous vous sentez pleinement vivant(e) ?
Quelles activités vous animent ou vous font vibrer ? S’agit-il d’une activité physique,
artistique, intellectuelle ou bien en relation avec d’autres personnes ?

J’invite Fabien à se plonger dans son passé. Sans hésitation, Il se


souvient qu’enfant et adolescent un de ses plus grands plaisirs était
d’aider ses grands-parents à la ferme pendant les vacances. Il aimait
participer à la traite les chèvres, puis fabriquer les fromages qu’ils
allaient ensuite vendre avec son grand-père sur les marchés locaux. En
évoquant ce souvenir, Fabien reconnaît ce qui lui manquait : la nature,
les animaux, le plaisir du travail manuel, la camaraderie, le sentiment
d’appartenir à une communauté, une vie plus simple avec un autre
rapport au temps et à l’argent.

Pour rencontrer davantage notre potentiel, ce qui nous fait nous sentir
pleinement vivant, nous pouvons ensuite identifier le type d’actions que
nous aimons accomplir, qui nous donnent de la joie : par exemple, nous
pouvons être heureux de vivre à la ferme mais si nous n’aimons pas le
travail manuel, nous aurons peu de chances de nous sentir épanouis dans
notre quotidien.

Et dans ce domaine, heureusement, nous sommes tous différents. Si nous


voulions tous être charpentiers, la société aurait du mal à fonctionner…
Dans ces trois familles d’actions ou de compétences qui existent, voyez
celles dont vous vous sentez proche :
• Les compétences intellectuelles
Analyser, synthétiser, imaginer, organiser, innover, planifier, programmer,
calculer…
• Les compétences relationnelles
Guider, enseigner, convaincre, conseiller, diriger, motiver, divertir, consoler,
écouter…
• Les compétences physiques/corporelles/artistiques
Jardiner, cuisiner, danser, fabriquer, réparer, dessiner, créer, chanter,
décorer…

EXERCICE EXPLORATOIRE

Le plaisir de l’action
Faites une liste de vos compétences professionnelles et de vos compétences
personnelles, pensez à tout ce que vous aimez ou savez bien faire.

Puis prenez une feuille et tracez deux axes comme sur le graphique suivant.
Horizontalement : « Ce que je ne sais pas bien faire » à gauche et « Ce que je sais
bien faire » à droite, et verticalement : « Ce que j’aime faire » en haut et « Ce que je
n’aime pas faire » en bas. Ensuite placez vos savoir-faire et compétences sur ce
graphique.

Idéalement, pour me sentir bien au travail, il faudrait que 80 % du temps


j’utilise les compétences qui se trouvent dans la partie en haut à droite :
« Ce que j’aime faire » et « Ce que je sais bien faire ». Sans cela, je risque
de perdre ma motivation et de déprimer, ce qui peut conduire au burn-out.
Personnellement, j’accepte les tâches administratives qui ne sont pas trop de
mon goût parce que la majorité de ma vie professionnelle est consacrée à
des activités que j’affectionne : écouter, guider, écrire, étudier…

C’est la difficulté que rencontre Nadia, une jeune femme en doctorat


de chimie. Elle a suivi ce parcours car elle était passionnée par les
sciences, mais elle s’aperçoit finalement que le quotidien du chercheur
ne lui convient pas. Depuis quatre ans, elle se sent seule dans son
laboratoire et manque énormément d’interactions sociales. Cela la
déprime et elle n’arrive pas à avancer sur son rapport de thèse, ce qui
la fait se sentir encore plus mal.
En prenant conscience de l’importance que les relations humaines ont
pour elle, Nadia décida de réorienter sa carrière en intégrant une école
de journalisme avec comme objectif de devenir formatrice en
communication scientifique. Ce nouveau projet, qui lui correspond
mieux, lui donna la motivation nécessaire pour finir sa thèse.
Quelques années plus tard, nous nous revîmes pour d’autres motifs et
je fus heureux de voir qu’elle s’épanouissait dans son métier, au
croisement entre la science et l’humain, et qu’elle ne regrettait en rien
sa réorientation.

Trouver un équilibre de vie


Il va de soi que notre potentiel peut s’exprimer dans notre travail, mais pas
seulement. Nous avons la possibilité de nous réaliser dans tous les
domaines de notre vie. L’exercice suivant nous permet de réfléchir à notre
niveau de satisfaction dans les autres dimensions de notre vie.
EXERCICE EXPLORATOIRE

Les courbes historiques

Pour les sept domaines suivants, tracez la courbe historique représentant les hauts et
les bas de votre vie, en indiquant les événements importants (certains domaines
peuvent se croiser, lorsque, par exemple, la vie artistique devient la vie
professionnelle). Ces courbes vous permettront de prendre du recul par rapport à votre
existence.
1- Vie familiale
2- Relations amicales
3- Vie professionnelle
4- Vie de couple, vie affective et vie sexuelle
5- Vie sociale et vie associative
6- Développement personnel, intellectuel et artistique
7- Divertissements, hobbies et vie sportive

Qu’avez-vous constaté ? Comment s’équilibre votre vie entre ces différents


domaines ?

En faisant cet exercice, Fabien prend conscience du déséquilibre de sa


vie. En surinvestissant son travail, il a négligé les autres aspects de son
existence. Il a tellement d’obligations qu’il n’a plus de temps pour lui.
Il me dit qu’il rêve de partir un week-end seul dans un chalet en
montagne pour lire et avoir du temps pour réfléchir sur sa vie. Il
aimerait aussi reprendre une activité associative pour, selon ses mots :
« donner plus de sens à [sa] vie ».

Sens, but, valeurs et éthique


Si je vous demande : « Quel est votre but dans la vie ? », insidieusement, je
vous manipule. Car j’insinue que la vie a un but et qu’il vous faut vous
aussi en avoir un. Les questions sont de formidables outils de manipulation.
Un peu comme le magicien qui détourne notre regard pour faire son tour de
passe-passe, une question oriente notre attention sur la réponse, ce qui fait
que nous pouvons facilement oublier d’examiner la question elle-même.

Si je vous demande : « Quel sens donnez-vous à votre vie ? », c’est déjà


plus ouvert. Peut-être pourrais-je même vous demander de façon encore
plus neutre : « Que pensez-vous de la question du sens dans la vie ? »

Sur ce point, les philosophes, penseurs et guides spirituels s’opposent : le


dalaï-lama nous dit par exemple : « Plus nous aurons donné du sens à notre
vie, moins nous éprouverons de regrets au moment de notre mort. » alors
que Jiddu Krishnamurti affirme : « Vivre, n’est-ce pas son propre but et son
propre sens ? Pourquoi voulons-nous plus ? »

À chacun d’explorer dans son intimité cette question du sens s’il en ressent
le besoin. De façon plus modeste, nous pouvons néanmoins nous interroger
sur nos valeurs. C’est-à-dire notre éthique personnelle, celle qui guide nos
choix de vie.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Les valeurs qui nous guident


Quelles sont les personnes pour lesquelles vous avez de l’admiration ? Il peut s’agir de
personnes vivantes de votre entourage, comme des personnages historiques ou bien
issues de films ou de romans.

Puis demandez-vous : quelles valeurs portent ces personnes ? Par exemple, si vous
avez de l’admiration pour Clint Eastwood, on peut imaginer que les valeurs de
courage, de détermination et d’intégrité sont importantes pour vous. S’il s’agit de Mère
Teresa, peut-être que ce sont la compassion et la générosité qui sont au cœur de votre
éthique personnelle.

Voici une liste de valeurs, entourez celles dont vous vous sentez le plus proche ou
celles qui servent de guides dans votre vie quotidienne :

Amitié, Amour, Appartenance, Audace, Authenticité, Beauté, Bienveillance, Calme,


Compassion, Confort, Courage, Créativité, Curiosité, Dépassement de soi,
Détermination, Dignité, Efficacité, Élégance, Enthousiasme, Entraide, Équilibre, Esprit
critique, Esprit d’équipe, Fidélité, Générosité, Honnêteté, Honneur, Humilité, Humour,
Inventivité, Intégrité, Intelligence, Justice, Liberté, Loyauté, Maîtrise, Militantisme,
Ouverture d’esprit, Partage, Patience, Performance, Persévérance, Plaisir,
Professionnalisme, Respect, Rigueur, Sagesse, Sensibilité, Simplicité, Sincérité,
Spiritualité, Tolérance, Vertu.

Si dans notre vie personnelle ou professionnelle, nos actions ne sont pas


alignées avec nos valeurs, nous souffrons. Car, comme le chante Alain
Souchon : nous sommes des « foules sentimentales avec soif d’idéal ».

Rêver en grand
Lorsque nous connaissons ce qui nous anime, ce qui nous fait vibrer, ce qui
guide notre vie et ce en quoi nous croyons, il nous est plus facile alors de
nous autoriser à rêver en grand. Cela veut dire oser nos désirs, traverser nos
peurs et croire en l’expression libre de notre potentiel.
EXERCICE EXPLORATOIRE

La baguette magique
Imaginez que vous possédez une baguette magique. Elle a des pouvoirs illimités,
excepté celui de pouvoir changer le passé. Comment l’utiliseriez-vous ? Que
souhaiteriez-vous changer dans votre vie ? Quels éléments de votre environnement
quotidien transformeriez-vous ?
Notez si vous vous censurez ou si vous vous sentez capable de rêver en grand.

Après plus de deux années de séances, j’invite Fabien à faire cet


exercice. Il est un peu surpris de constater qu’il ne veut pas tout
changer et que, finalement, de nombreux aspects de sa vie lui
conviennent.
Il n’a pas forcément envie de quitter sa vie parisienne, mais il souhaite
changer son organisation pour avoir plus de temps pour lui.

Par la suite, il décida de recruter un nouveau directeur pour l’épauler


dans son entreprise. Il consacra le temps ainsi gagné à sa famille, à sa
résidence secondaire à la campagne et à la vie locale en s’engageant en
politique.

Lorsque nous nous sentons en harmonie avec ce que nous faisons, nous
avons alors l’impression que nos actions se font sans efforts. Le plaisir
devient notre moteur et l’enfant en nous retrouve sa spontanéité. La vie se
transforme alors en un terrain de jeu, un espace de surprises et
d’étonnements.

En résumé
Nous avons à notre disposition une sagesse intérieure qui, lorsqu’on
l’écoute, sait équilibrer nos désirs et les besoins intérieurs en lien avec nos
valeurs.
Le plaisir et nos valeurs sont les guides à suivre pour exprimer notre
potentiel et être en harmonie avec nos actions.

Notes
1. Liste inspirée d’un article de N. K. Salathé (voir Bibliographie).
2. La psychologie transpersonnelle est un courant de la psychologie né aux États-Unis dans les
années 1960. Elle s’intéresse non seulement aux aspects névrotiques et pathologiques de l’individu
mais aussi à l’expression de son potentiel inexploité, notamment sa créativité et sa dimension
spirituelle.
Cinquième Feu
La relation à la mort
« Apprendre à bien vivre équivaut à apprendre à bien mourir,
inversement, apprendre à bien mourir, c’est apprendre à bien
vivre. »
Irvin D. Yalom

« Les frontières de ma langue sont les frontières de mon


monde. »
Ludwig Wittgenstein

V
ers l’âge de 7 ans – je ne sais plus pourquoi, ni comment –, m’est
venue un soir dans mon lit l’idée angoissante que je pourrais
mourir dans mon sommeil. Cette pensée me tétanisa, je me
rappelle la sensation de peur glacée qui subitement m’envahit.
Instinctivement, je me mis alors à chercher une stratégie pour l’éviter. Mon
esprit d’enfant imaginait les morts toujours allongés sur le dos, les mains
jointes posées sur le ventre. Alors si je m’endormais sur le côté, avec un
bras au-dessus de ma tête, cela ne m’arriverait certainement pas (on appelle
cela une « pensée magique » 1, c’est un bon moyen pour atténuer
temporairement notre anxiété). Ainsi, tous les soirs, pendant plusieurs
années, je m’endormais avec cette boule au ventre et ma petite stratégie
pour y faire face, sans jamais en parler à personne car j’avais appris très
jeune à camoufler mes angoisses.
Puis heureusement, avec le temps et la maturité, cette peur de mourir dans
mon sommeil s’est peu à peu atténuée. Mais la peur de la mort, elle, ne m’a
jamais quittée. L’évocation de ma propre finitude a longtemps été pour moi
une source d’inconfort extrême, me faisant éviter tout ce qui me la
rappelait, comme les hôpitaux ou les cimetières. Parfois même, le simple
fait de contempler l’immensité d’un ciel étoilé déclenchait une brusque
montée d’angoisse, l’idée d’un vide infini et sans vie, d’un abîme éternel et
sans limites me pétrifiait.

Voici le thème du cinquième feu psychologique : la difficulté que nous


pouvons éprouver à accepter la finitude, l’impermanence de nos vies. Notre
propre mort bien sûr, mais aussi celle de nos proches et tous les autres
deuils, petits ou grands, de notre quotidien : la mort d’une amitié, la mort
d’un bonheur passé, la mort d’un état joyeux, la mort d’une opportunité, la
mort de la jeunesse du corps… la multitude de pertes qu’il nous faut
endurer au cours de notre vie.

Ce sujet est massivement refoulé dans notre société, car il soulève pour
beaucoup d’entre nous une très forte angoisse et nous préférons faire
l’autruche pour ne pas le regarder en face. Nous essaierons donc dans ce
chapitre d’aborder cette question très intime avec précaution. Néanmoins, si
vous sentez que l’angoisse est trop intense pour vous, je vous conseille de
passer au chapitre suivant. L’écoute de soi nous invite aussi à accepter nos
limites, à nous laisser cheminer sans nous torturer ou chercher à tout prix à
tout résoudre avec brutalité.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Quelles sont les fins que vous craigniez le plus ?


• La fin de la jeunesse du corps (la peau, les dents, les cheveux, les muscles,
l’énergie, la silhouette…)
• Le vieillissement intellectuel
• La fin d’une amitié
• La fin de la jeunesse de vos enfants, du statut de parent
• La fin de la vie active
• La fin d’une histoire d’amour
• La fin d’un moment de joie
• La perte de votre capacité de séduction
• La fin des vacances
• La diminution des choix et opportunités qui s’offrent à vous
• La perte de vos proches
• La fin de votre propre existence
• Autres :

Êtes-vous souvent dans le déni ou l’évitement ? Lorsqu’une perte se produit


dans votre vie, cherchez-vous rapidement à combler le manque par autre
chose ? Comment vivez-vous les deuils en général ?
Antoine Lavoisier nous rappelle bien dans sa célèbre formule « Rien ne se
perd, rien ne se crée : tout se transforme » que la vie, pourtant, n’est faite
que de morts et de renaissances, que chaque seconde, chaque minute,
chaque semaine, chaque saison doit mourir et laisser sa place, pour que
naisse la suivante. Pour accueillir du nouveau, il nous faut laisser partir de
l’ancien. Mais cette vérité nous est difficile à accepter et bien souvent nous
préférerions vivre dans un monde éternellement stable.

Je reçois Daniel, un jeune papa de 30 ans, qui vient consulter car en


une année sa vie a totalement changé. Il est devenu père il y a sept
mois d’un petit garçon qui dort très mal, ce qui épuise ses parents. Et,
il y a un an tout juste, Daniel a perdu son père, décédé sous ses yeux
d’un arrêt cardiaque lors d’un déjeuner familial, les pompiers venus
sur place n’ayant pas réussi à le ranimer.
Daniel est fils unique et il m’explique que lui qui avait une vie simple
et insouciante, avec peu de responsabilités doit aujourd’hui prendre
soin de sa mère, de son fils et de sa femme et en même temps vivre
l’absence de son père. Il se sent submergé par tous ces changements.

Ces événements font vivre à Daniel une multitude de deuils. Non seulement
le deuil de l’amour d’un père mais également le deuil d’un sommeil
réparateur, le deuil d’une vie de couple à deux, le deuil de la liberté de
pouvoir changer de vie, le deuil de l’insouciance de n’être responsable que
de lui-même, enfin le deuil de la sécurité que lui offrait la présence d’un
père protecteur. Un ensemble de fins difficiles à assimiler.

Lorsque nous subissons une perte, deux choses se passent en nous :


– la première est la secousse émotionnelle qui nous percute, comme un
coup de poing, qui nous demande d’amortir l’onde de choc et d’absorber
l’énergie violente reçue. À ce sujet, la psychiatre, Elisabeth Kübler-Ross a
bien décrit les différentes émotions que ce choc nous fait vivre (voir encart
ci-après). Dans le chapitre suivant nous explorerons en détail comment il
nous est possible ou non d’endurer ces vagues émotionnelles qui créent de
la souffrance ;
– la seconde est le vide, le manque, l’absence : l’absence de l’amour,
l’absence du choix, l’absence de la personne, l’absence de la jeunesse…
D’abord il y a la perte, puis il y a l’absence.

Les différentes phases du deuil de Kübler-Ross


1. Le déni
Notre organisme s’organise pour assimiler le choc de la disparition. Il met à distance
le ressenti émotionnel pour digérer l’information. Comme un fusible qui saute en cas
de surcharge.

2. La colère
Lorsque nous commençons à sentir la douleur de la séparation, la colère est l’énergie
de l’action qui va tenter de nous faire sortir de notre vécu douloureux. Mais avec le
temps nous réalisons que nous sommes impuissants, incapable de changer la
situation.

3. Le marchandage
Une autre façon de chercher à contrôler la situation est de « marchander » avec la
vie, Dieu, l’univers. C’est-à-dire de trouver une stratégie pour moins souffrir. De
nouveau, avec le temps nous réaliserons que c’est impossible. Par exemple :
« Laissez-moi vivre le temps de voir ma fille se marier. »

4. La dépression et le chagrin
Lorsque tout désir de contrôle est abandonné, alors la douleur est ressentie dans
notre chair. L’émotion est vécue pleinement. L’intégration de la perte dans le corps et
l’esprit commence.

5. L’acceptation
La réalité de la séparation est admise. La disparition est assimilée, intellectuellement,
émotionnellement et corporellement.

On parle de différentes phases mais la réalité de ce que nous vivons n’est pas aussi
simple et linéaire. Comme l’écrit elle-même Elisabeth Kübler-Ross : « Tout le monde
ne passe pas forcément par ces cinq étapes et les réactions ne suivent pas toujours
le même ordre. »

La peur du vide
Lorsque nous ne tolérons pas le vide lié à la perte, nous souffrons. Et le
mental, comme toujours lorsque nous souffrons, tentera de nous sauver de
notre expérience douloureuse, en comblant ce manque. Et pour ce faire, il
cherchera du plein, en s’agrippant à quelque chose, à des bouées intérieures
qui lui éviteront de couler dans le néant. Voici une liste de ces « quelque
chose », auxquels nous pouvons nous raccrocher :

• des sensations corporelles :


« Je mange, ça me fait du bien de me sentir rassasié », « Je fume, ça me
calme », « Je m’oublie dans la pornographie »…

• des états émotionnels et des humeurs :


« Je regarde une bonne série, cela me distrait et m’apaise », « Je vais voir
mes amis », « Je joue aux jeux d’argent ».

• des projections dans le futur :


« J’organise mes vacances », « Je me lance dans des projets », « Je cherche
un nouveau travail »…

• des souvenirs, des expériences passées (heureuses ou douloureuses) :


« Je repense en boucle à mes amours passées ».

• des idées, des opinions, des croyances :


« La personne décédée est certainement mieux là-haut », « Je m’engage
dans une cause à défendre ».

• des possessions matérielles, intellectuelles ou spirituelles :


« Il me faut un plus bel appartement, plus de culture, plus de sagesse, un
plus beau corps… », « Je fais du shopping »

• des représentations de moi-même, à mon image (positives ou


négatives) : « Je suis quelqu’un de fort, je survivrai » ; « Je suis vraiment
malchanceux » (on peut préférer s’accrocher à une représentation négative
de soi-même plutôt que traverser la souffrance).

Il existe une infinité de moyens pour ne pas ressentir le vide. Tous ne sont
pas pathologiques en soi. Par exemple, aller chercher le soutien de nos amis
lorsque nous sommes tristes est même sain. Mais le problème est que si
nous ne sommes pas capables de supporter l’inconfort du vide, nous
devenons dépendants à des substances, à des gens, à des comportements ou
à des objets.

Depuis le décès de son père et la naissance de son fils, Daniel est


obnubilé par l’entretien de la maison de famille dans laquelle il a
grandi et où vit sa mère. Il y va presque tous les week-ends pour
prendre soin du jardin, faire de petites réparations et s’occuper de sa
mère.
Daniel, pour échapper à la souffrance du vide, a repris le rôle de son
père. Il s’est mis en mode « sauveur hyperactif » et il se consacre à
autre chose qu’à lui-même pour mettre à distance la douleur qu’il
pourrait ressentir. Venir en thérapie est la première étape d’un retour
vers lui-même.

Examinons plus en détail la nature de ces bouées de secours, ces « quelque


chose », ces doudous auxquels nous nous raccrochons. De quoi sont-ils faits
finalement ?

Ce sont des mélanges de pensées, d’émotions, de sensations corporelles et


de comportements. Ils ont tous la même essence : notre mémoire. C’est-à-
dire qu’ils viennent d’expériences de notre passé que nous souhaitons
conserver et répéter. Ils sont tous constitués et formés à partir
d’informations stockées dans notre cerveau ou notre corps. Pour le
percevoir, faites l’exercice suivant.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Imaginez que vous êtes un nouveau-né, ou un amnésique total : votre histoire


personnelle et la représentation que vous avez de vous-même sont effacées de votre
mémoire.
Prenez une minute pour plonger dans cette expérience.
Qu’observez-vous ? Que ressentez-vous ?
Voici une autre version de cet exercice.
Vous êtes un poulpe qui a grandi dans les profondeurs de l’océan. Prenez le temps
d’imaginer votre vécu de poulpe.
Puis, soudainement, vous êtes téléporté dans le corps qui est le vôtre. Vous faites
l’expérience pour la première fois de votre vie d’être humain : la lumière, l’air dans les
poumons, les sons ambiants, le poids du corps, avec deux bras et deux jambes, les
pensées dans la tête en sons et en images…

Que constatez-vous ? À cet instant, il n’y a plus de refus, tous les attachements et
toutes les insatisfactions ont disparu. Vous êtes toujours vivant(e), le corps fonctionne,
la faim s’exprime, les sens perçoivent, mais vous vivez à 100 % dans le moment
présent, sans espoir et sans peur. Le mental n’a plus rien auquel s’attacher, plus de
bouées de secours auxquelles se tenir. Vous faites alors l’expérience immédiate et
vivante du présent sans peur.

Lorsque vous faites cet exercice, vous pouvez également ressentir le


moment où le mental reprend le contrôle et se replonge dans le passé ou le
futur. Vous pensez alors : « Il est bien cet exercice, je devrais le refaire » ou
« Je ne vois pas où il veut en venir, là ». Le corps se remet alors en tension.
Ce qu’il est important d’observer ici, c’est ce phénomène d’attachement,
d’agrippement du mental à des idées ou des sensations. Ce phénomène fait
que nous sommes constamment emportés, fascinés par les histoires qu’il
nous raconte. Le petit cinéma intérieur construit à partir de notre mémoire
déclenche sans répit nos comportements automatiques.

Le problème n’étant pas que ce cinéma mental existe – d’ailleurs nous


n’avons que peu de contrôle sur lui –, mais que nous adhérons à l’histoire
qu’il nous raconte. « Nous mordons à l’hameçon », comme le dit Pema
Chödrön, moniale du bouddhisme tibétain.

Allons encore un plus loin et demandons-nous aussi : « Finalement, qu’est-


ce qui en moi mord à l’hameçon, colle à ce cinéma ? » La réponse est
simple : c’est aussi le mental. Donc, en quelque sorte, le mental croit,
adhère à un film mental qui est son propre discours, sa propre histoire.
Comme un serpent qui se mord la queue. La petite histoire dont je suis le
héros qui passe dans ma tête est écoutée et crue par elle-même.

Prenons un exemple du quotidien. Je perds mes clés de voiture, je ressens


une montée de stress. Immédiatement, je crée une histoire autour de ce
stress. « Ce n’est pas possible je vais être en retard au travail », « Je suis
vraiment étourdi, c’est incroyable », « Si seulement c’était moins le bazar
ici »… les scénarios sont infinis. Au lieu de chercher mes clés calmement.

Nous avons vu que les pensées sont comme un arc-en-ciel. Elles existent
mais elles n’ont pas de substance réelle. De la même façon que lorsque
nous regardons un DVD, nous savons que l’image que nous voyons sur
l’écran vient de l’information imprimée sur le disque. Mais dans notre tête,
nous mélangeons la vraie vie, réelle, vécue dans le moment présent et
l’histoire superposée que nous nous racontons sur celle-ci. Ce qui fait que
nous vivons dans un monde imaginaire. Un peu comme un enfant qui joue
aux cow-boys et aux Indiens mais qui a oublié qu’il fait semblant. Ou
comme le dit le penseur Arnaud Desjardins : « Au lieu de vivre dans LE
monde, je vis dans MON monde ». Et dans mon monde imaginaire, je me
bats en permanence contre des peurs liées au futur et des ruminations du
passé, des espoirs et des désespoirs, qui au final ont aussi la fonction et
l’avantage de m’éviter de ressentir l’angoisse du vide et de l’inconnu.
Avec Daniel, nous explorons l’histoire qu’il se raconte autour de sa
nouvelle situation familiale. Il m’explique qu’il fait ce qu’il imagine
que son père attendrait de lui. Je l’invite à questionner cette injonction
imaginaire.
Puis je dis à Daniel : « Imaginez que votre père soit dans cette pièce
avec nous, qu’aurait-il envie de vous dire ? »
Daniel se met à pleurer, il pense que son père lui dirait certainement
qu’il doit prendre soin de lui, vivre sa vie, et construire son propre
foyer, sa propre histoire. Une vérité qu’il connaissait mais qu’il ne
s’autorisait pas.
Daniel peut alors commencer à se laisser ressentir la douleur de la
perte, le manque de son père, mais également prendre conscience de la
façon dont il a construit cette histoire pour ne pas ressentir la peine.

Nous avons la possibilité de nous désidentifier des histoires qui passent


dans notre tête, de nous décoller d’elles, en faisant un petit pas intérieur en
arrière et en les observant à partir de notre champ de conscience. Mais ce
n’est pas simple, car les pensées sont pour la plupart accompagnées d’une
charge émotionnelle, d’une coloration affective, qui fait qu’elles ont un
impact sur notre corps.

Lorsque je vous dis : « Imaginez-vous en train de mordre à pleines dents


dans un citron », une sensation acide apparaît dans votre bouche. C’est la
même chose pour toutes nos pensées qui sont associées à un « J’aime » ou
« Je n’aime pas », « Je veux » ou « Je ne veux pas ». Par exemple, la pensée
« Un jour je vais mourir » est pour la plupart d’entre nous associée à un fort
« Je n’aime pas », à une lourde charge émotionnelle, alors que la pensée
« Qu’est-ce que je vais manger ce soir ? » associée à un « Oui, j’aime » et
elle a certainement une charge plus légère.
EXERCICE EXPLORATOIRE

Prenez un moment pour évaluer l’intensité de la charge émotionnelle, la coloration


affective que vous ressentez pour chacune de ces pensées liées au temps. Sentez
dans votre corps comment chaque affirmation pèse en vous. Est-elle plutôt agréable
(+) ou plutôt désagréable (–) ?

« C’est bientôt mon anniversaire » – ….… +


« Je serai à la retraite en 20.. » – ….… +

« Qu’est-ce que je vais faire ce weekend ? » – ….… +

« Lundi, je retourne travailler. » – ….… +

« C’est le premier jour de l’automne aujourd’hui. » – ….… +

« À 17 h, j’ai rendez-vous chez le médecin. » – ….… +

Cette charge émotionnelle fait que si pendant trente minutes je rumine une
situation stressante, des idées avec un lourd affect, une boule d’angoisse se
formera certainement dans mon ventre. Il me sera alors très difficile de me
décoller de cette histoire. Mais lorsque nous repérons le phénomène
d’agrippement dès les premières secondes, alors il nous est plus aisé de
percevoir la nature irréelle de ces nuages mentaux et de ne pas nous y
attacher. En somme, plus nous sommes vigilants, plus nous sommes
capables de sentir l’impact corporel qu’ont les pensées sur notre corps et
moins nous sommes pris à l’hameçon par celles-ci.

Oser la dissolution dans le vide


La mission du mental est de nous sécuriser. C’est pour cela qu’il cherche
constamment à contrôler, anticiper, analyser, évaluer, conceptualiser, juger,
commenter, solutionner, manipuler, changer, prédire, expliquer… Aussi, ne
le condamnons pas : nous pouvons même dire qu’il fait bien son travail. S’il
s’attache en permanence à du connu, c’est pour nous sauver de l’inconnu.
S’il crée constamment du plein imaginaire, c’est pour nous protéger du
vide, qui pour lui est intolérable.

L’expérience du vide est ce que nous allons traverser avec Steve, que
je vois en thérapie depuis plus d’un an. Ce sont des TOC liés à la peur
qu’un incendie se déclare dans son appartement qui l’ont poussé à
consulter initialement. Ces symptômes se sont apaisés depuis quelques
mois et Steve arrive en séance, ce jour-là, en m’annonçant qu’il n’a
rien de particulier à me dire.
Dans les séances précédentes nous avions évoqué ensemble son
malaise lorsque le silence s’installait entre nous. Il ressentait de la gêne
et de l’anxiété à se trouver en face de moi sans rien dire et se sentait
alors obligé de combler le vide en parlant de quelque chose. Pour
comprendre ce qui se passait chez Steve dans ces moments-là, nous
sommes restés à plusieurs reprises en face à face, sans rien dire. Mais
aujourd’hui, je vois que Steve est à l’aise dans ce silence, je ne ressens
pas d’inconfort.

Donc en ce début de séance, nous restons silencieux, l’un en face de


l’autre. Nous sommes vendredi soir et il me dit qu’il n’a rien envie de
faire ce week-end mais que comme d’habitude il a beaucoup
d’obligations, ce qui lui donne encore moins envie de faire quelque
chose. Ce thème est également revenu régulièrement dans nos
séances : Steve a du mal à s’autoriser à ne rien faire et se sent toujours
obligé de planifier des activités sinon il ressent de la culpabilité,
l’impression de gâcher sa vie. Il se tait de nouveau et s’étend sur le
canapé. Nous restons comme cela plusieurs minutes en silence.

Je prends alors conscience que ma respiration s’allonge et une pensée


émerge en moi, je me dis : « C’est bon de ne rien faire, j’en avais
besoin aussi ». Puis je me mets à réfléchir : « Est-ce que je partage
cette pensée avec lui ? J’ai un peu peur de gâcher ce
moment agréable. » À cet instant, Steve me dit exactement les mêmes
mots : « Ah, c’est bon de ne rien faire ». Je souris et lui confie que,
magie de l’instant, c’est précisément la pensée qui m’avait traversé
l’esprit.
Je l’invite alors à se laisser aller encore plus profondément dans le
vide, dans le rien et de sentir ce qui se passe dans son corps.
Après quelques instants, Steve se redresse et me dit : « C’est fou, je
sens de l’énergie en moi tout à coup. » Je lui demande de me la
décrire : « Elle part des jambes et remonte tout le long du corps, un
peu comme de l’électricité. Je ne voulais rien faire ce week-end et là je
sens que finalement j’ai envie de plein de choses. Ce qui me semblait
être une corvée pourrait même devenir plaisant maintenant. »

Nous consacrons la fin de la séance à l’analyse de ce qui vient de se


passer. Finalement, Steve résume ce qu’il a vécu par cette phrase
pleine de bons sens : « C’est du rien que vient l’envie, c’est du vide
que vient la vie ! »

L’expérience de Steve nous montre finalement que le vide n’existe pas


réellement. D’une part, parce que dans le moment présent il se passe
toujours quelque chose au sein de notre champ de conscience : nous
voyons, nous sentons, nous pensons, nous entendons, nous avons faim… Et
d’autre part parce que nous sommes certains que si nous nous abandonnons
au vide dans l’instant, et que nous nous mettons en veille, quelque chose en
nous va émerger : une envie, un élan, un désir, une impulsion, un besoin…
Comme dans un champ en jachère, des graines vont germer. De notre
vivant, nous ne ferons donc jamais l’expérience réelle du vide.
Mais pour le constater nous devons nous laisser aller, nous abandonner dans
le rien faire, le rien vouloir, c’est-à-dire nous mettre en vacances de nous-
même et relâcher tout désir de changement.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Dans les semaines à venir, choisissez une journée et organisez-vous pour pouvoir être
seul(e), chez vous ou dans un autre espace.
Cette journée, vous allez la consacrer à ne rien faire. Mais à ne rien faire du tout. Vous
n’allez pas vous occuper de tâches ménagères ou d’autres obligations, vous n’allez
pas vous divertir ou vous sécuriser par une activité quelconque, vous n’allez pas non
plus chercher à méditer ou à contrôler vos pensées, ni à fuir dans le sommeil. Cette
journée sera dédiée au vide total (bien entendu, vous pourrez tout de même prendre
soin de vos besoins vitaux : manger, boire…). Dites-vous également que cette journée
ne vous apportera rien, aucune transformation, vous n’avez rien à gagner de cette
expérience, si ce n’est peut-être de la connaissance de soi.

Dans un premier temps observez comment vous réagissez à cette proposition.


Ressentez-vous de l’angoisse à l’idée de vivre cette journée ? Si l’angoisse est trop
forte, cet exercice n’est peut-être pas fait pour vous.

Faire cette expérimentation au moins une fois dans votre vie est de mon point de vu un
formidable cadeau que vous pouvez vous offrir à vous-même. Osez tenter
l’expérience, pour rencontrer le vide et voir ce qu’il s’y passe.

Pour conserver votre curiosité et la fraîcheur de la nouveauté, je préfère ne


pas en dire trop sur ce qui peut émerger de cette expérience. Néanmoins, je
peux rapporter qu’à une période de ma vie, alors que je traversais un
épisode dépressif depuis quelques mois, cet exercice me permit, d’une part,
de voir les nombreuses stratégies qui s’activaient en moi pour échapper à
mon mal-être, mais aussi l’énergie considérable que je dépensais pour fuir
le moment présent et mon vécu émotionnel. En m’autorisant à ne rien faire,
à m’asseoir en moi-même, en traversant l’angoisse du vide, la peur de
l’ennui et en limitant les réactions impulsives, quelque chose en moi put
s’apaiser, se rééquilibrer, se réconcilier avec ma situation émotionnelle.
J’avais rencontré le monstre dans le placard qui me faisait si peur :
l’abandon dans l’inconnu, qui se trouve être finalement une source de vie,
une fontaine dont jaillit continuellement et abondamment, à chaque instant,
dans le moment présent, le mouvement de l’énergie du vivant.

Malheureusement, cette prise de conscience ne s’installa pas de manière


permanente en moi et je dois penser à me poser dans ce vide fertile chaque
fois que je suis de nouveau emporté par des angoisses ou des pensées
envahissantes.

Notre représentation de la mort


Lorsque nous sommes capables de nous poser en nous-même, dans le vide
conscient, sans fuir, ni réagir impulsivement et de voir la vie qui y surgit
continuellement, il nous est alors possible d’aller à la rencontre de nos plus
grandes peurs, comme nos représentations liées à la fin de notre existence,
par exemple.

Nous avons vu que dans notre esprit se projette un petit cinéma intérieur.
Regardons quel film passe dans notre tête lorsque nous pensons à notre
mort.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Observez l’image qui se forme dans votre esprit lorsque vous pensez à la mort et
essayez de rester avec elle le plus longtemps possible. Ce n’est pas facile car cette
image est pour la plupart d’entre nous accompagnée d’un fort sentiment de peur. Si
l’angoisse est trop intense je vous conseille de passer au chapitre suivant.
Que raconte ce film intérieur lorsque vous imaginez la fin de votre existence ? Voici
quelques scénarios possibles :

• Je m’imagine en train de souffrir sur mon lit de mort (une image du moment avant la
mort en définitive).
• Je me vois en train de flotter dans le néant, dans l’espace infini.
• Je visualise une image de brouillard sombre, d’un inconnu nébuleux et terrifiant.
• Je me représente une image de jardin d’Éden, de paradis ou bien un enfer
suffoquant.
• Je m’imagine étendu(e) dans un cercueil, enfermé(e) éternellement dans une boîte,
assailli(e) par le froid et l’ennui.
• Je visualise la perte de ceux que j’aime, cette séparation crée un sentiment de
manque et de solitude.
• Je vois le monde continuer sans moi et cela m’est insupportable.

Il existe une infinité de représentations possibles. Voyez comment ce petit


film est une projection dans un futur totalement imaginaire. Si vous voyez
la nature irréelle de ce film, immédiatement vous revenez au moment
présent. Comme Irvin D. Yalom nous le rappelle dans son livre Staring At
The Sun (sur le thème de l’angoisse de mort), il est probable que le néant
dans lequel nous sombrons après la mort est le même que celui que nous
avons vécu avant notre naissance. Un néant que finalement, il nous est
impossible de nous représenter mentalement.

Pour mieux explorer notre représentation de la mort, il nous faut aussi


regarder la représentation que nous avons de la vie, c’est-à-dire l’histoire
que nous racontons sur nous-même. Cette représentation est-elle juste ?

Ma représentation de moi-même dans l’espace et le temps

Explorons tout d’abord notre rapport au temps. D’ordinaire, nous nous


vivons comme une entité qui se déplace du passé vers le futur sur un axe de
temps fixe : nous avançons dans la vie, nous nous dirigeons vers notre futur.
Depuis que nous sommes enfants, en cours d’histoire, nous avons appris à
dessiner des frises chronologiques sur lesquelles viennent se poser des
événements les uns après les autres. Notre langage, également est imprégné
de cette vision du monde, on parle de « parcours de vie », « chemin de
vie », « tout au long de notre vie ». Je constate moi aussi, en écrivant ce
livre qu’il n’est pas aisé d’utiliser un vocabulaire que ne renforce pas cette
représentation classique.

Pourtant une autre vision de soi est possible : « Je suis statique et la vie se
déplace en moi. La vie faite de pensées, d’émotions et de sensations me
traverse. Comme une fontaine, elle jaillit en moi, dans le moment présent. »

La seule expérience que je ferai dans ma vie est celle du présent pur. Le
futur est un concept que je n’expérimenterai jamais et le passé est une
information stockée dans ma mémoire à laquelle je n’ai accès que dans le
présent : « Past is history and future is mystery » (le passé, c’est de
l’histoire et le futur un mystère) affirme ce proverbe anglais. Je me trouve
toujours à « zéro seconde de moi-même » rappelle aussi Douglas Harding.
Je suis fixe, cloué immobile pour toujours, dans le présent. Mon esprit, lui,
est constamment emporté dans le passé et le futur, mais la vie, elle, ne se
déroule que dans le présent. La peur de la mort aussi est une peur du futur
qui est vécue dans le moment présent.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Posez-vous et observez votre représentation intérieure du temps. Vous déplacez-vous


sur une ligne du temps linéaire ou bien le temps se déploie-t-il en vous ?
Maintenant, regardons la représentation que nous avons de nous-même dans
l’espace et comment elle impacte notre vision du monde. De nouveau, nous
pouvons nous vivre de deux façons distinctes, avoir deux représentations de
nous-même. Soit je m’identifie à un corps physique, soit je me vis comme
un esprit conscient.
Je suis mon corps physique Je suis mon esprit conscient

Je me vis comme un volume fermé. Je me vis comme un espace ouvert.


J’ai une masse, je suis solide, lourd(e). Je suis immatériel(le), sans masse.
Je suis limité, confiné dans un espace. Je suis sans limitation.
Je suis mobile dans le temps et l’espace. Je suis immobile dans le temps et l’espace.
Je suis en mouvement dans le monde. Le monde est en mouvement en moi.

Comment savoir quelle représentation est la plus juste ? À chacun d’aller à


la rencontre de soi pour répondre à cette question. Ce que l’on peut
constater néanmoins, est que plus nous nous vivons comme un corps (un
objet fermé), et plus nous collons à l’histoire que nous nous racontons dans
notre tête, plus nous nous sentons séparés du monde extérieur, plus nous
avons quelque chose à défendre et protéger, plus nous refusons
l’impermanence et le mouvement de la vie, et plus nous souffrons. Alors
que plus nous nous vivons comme un esprit conscient (un espace ouvert),
moins nous collons aux pensées, plus nous pouvons laisser libre le
mouvement de la vie qui nous traverse, sans trop nous y attacher, et plus
notre corps et notre esprit se détendent.

Le deuil d’un idéal


Le mental est un idéaliste. Il aimerait une vie sans souffrance, sans
déception, sans renoncement. Cela le pousse à rechercher en permanence du
confort et de la sécurité, à lutter pour résoudre des problèmes, trouver du
soulagement et travailler sur soi pour atteindre un état de paix permanente.
Mais cet idéal ne sera jamais atteint, car du désagréable adviendra toujours
dans nos vies.

Refuser le désagréable de la vie, c’est un peu comme rouler en voiture avec


le frein à main serré, cela produit inévitablement une surconsommation
d’énergie et une surchauffe du moteur. Pour desserrer ce frein à main nous
devons avoir la capacité d’accueillir et tolérer les parties souffrantes en
nous, c’est-à-dire nos zones de surchauffe intérieure.

En résumé
Le mental s’attache aux pensées, aux émotions, aux sensations, aux espoirs
et aux désespoirs qu’il a en mémoire et qu’il prend pour la réalité.
Il colle à du connu, pour ne pas faire l’expérience de l’inconnu. Il crée du
plein par peur d’un vide imaginaire.

Se vivant comme un corps fermé, mobile dans l’espace et le temps, le


mental se fixe sur la représentation qu’il a de lui-même et la défend à tout
prix, ce qui crée une lutte constante en nous.

Le fait de voir cette dynamique en action et l’accueillir avec bienveillance


nous offre une détente progressive du corps et de l’esprit.

Note
1. La pensée magique est une forme de superstition qui associe un lien de causalité imaginaire entre
une action et un événement. Par exemple : « Si j’arrive à lancer cette boulette de papier dans la
poubelle, je vais réussir mon examen ». C’est une stratégie de notre psychisme pour réguler nos
angoisses face à l’absence de contrôle et à l’inconnu.
Sixième Feu
Notre relation à la souffrance
« Le chagrin est le prix que nous payons volontiers pour
l’amour. »
(Grief is the price we willingly pay for love.)
C. George Boeree

« On ne guérit d’une souffrance qu’à condition de l’éprouver


pleinement. »
Marcel Proust

D
ans les chapitres précédents, nous avons exploré les cinq feux
primaires qui activent nos souffrances psychiques au quotidien.
Ici, nous allons nous pencher sur la couche additionnelle qui,
comme le glaçage sur un mille-feuilles, les recouvre. Ce feu a pour origine
le refus de la souffrance elle-même, la difficulté que nous rencontrons à
tolérer notre douleur psychique. Il nous fait dire : « Je veux arrêter de
souffrir » ou « Je n’en peux plus de ces pensées, de ces émotions et de ces
sensations dans mon corps ». C’est lui aussi qui conduit à consulter un
thérapeute avec l’espoir de trouver des solutions ou un sauveur capable de
nous faire échapper à notre détresse ou nous guérir de notre mal-être. Mais,
malheureusement, aucune transformation profonde et durable n’est possible
tant que la souffrance elle-même n’est pas accueillie et tolérée.

Notre société occidentale a beaucoup de mal à admettre cette vérité, la


souffrance a mauvaise presse. Elle nous fait croire qu’un individu sain ne
devrait pas ou peu souffrir et elle nous offre une multitude de moyens et de
stratégies pour nous en préserver, ce qui ne fait que renforcer notre refus et
nous pousse à dissimuler nos difficultés, à les mettre sous le tapis et à nous
cacher pour pleurer ou crier.

Mais lorsqu’un événement active l’un des cinq feux primaires, en lui
résistant, en le combattant ou en le réprimant, nous ne faisons qu’accroître
sa charge émotionnelle. Je peux, par exemple, être triste de la perte de mon
travail, mais si la tristesse est une émotion que je n’aime pas ou que je ne
peux pas supporter, ma douleur sera double, voire triple.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Regardez en vous afin de savoir si cette double couche est en action. Les situations
suivantes vous sont-elles familières ?
• Souvent, j’ai peur d’avoir peur.
• Parfois, je suis énervé(e) de me mettre en colère.
• Ma tristesse ou celle des autres m’agace, me fait peur.
• Je dissimule ma honte.
• Je suis frustré(e) par ma timidité.
• Ma jalousie m’est insupportable.
• L’ennui me panique.
• Je fuis ma souffrance.
• Je veux gérer et contrôler mes émotions.
• Autres :

Caroline, une jeune mère de trois garçons, consulte car elle n’en peut
plus d’être toujours inquiète pour ses enfants. Elle est très stressée à
l’idée qu’il leur arrive quelque chose. La nuit, par exemple, elle ne
peut s’empêcher de se lever pour vérifier s’ils respirent toujours. De
plus, elle se reproche de trop souvent s’énerver et de crier sur eux
lorsqu’ils n’obéissent pas et prennent des risques. Elle souhaiterait
pouvoir maîtriser ses accès de colère et sortir de la spirale anxiété-
colère-culpabilité.

Son plus jeune fils est entré à la maternelle depuis un mois et chaque
matin il pleure de la maison jusqu’à l’école et refuse ensuite de quitter
sa mère. Pour Caroline, les larmes de son enfant sont très difficiles à
supporter et elle se sent déchirée et angoissée chaque jour à l’idée de
cette séparation. Caroline lutte contre toutes ces manifestations mais ce
combat – elle en est consciente – ne fait que renforcer son mal-être,
l’épuise et nourrit chez elle un sentiment d’impuissance et de
désespoir.

Pour savoir comment ce refus de la souffrance naît en nous, il nous faut


regarder la façon dont nous vivons la souffrance mentalement (l’histoire
que le mental se raconte à propos de la souffrance) mais aussi
corporellement : la capacité qu’a ou non notre corps à endurer, amortir et
assimiler le vécu souffrant dans notre chair.

La souffrance vécue comme un corps étranger


En français, nous sommes obligés d’utiliser un article devant un nom (ce
n’est pas le cas en anglais, par exemple). Ce simple article influence
énormément notre façon de penser car il oriente notre vision du monde. Il a
pour effet de « chosifier » les manifestations émotionnelles que nous
vivons, comme s’il s’agissait d’une entité autonome. Si je dis « LA » colère,
« LE » chagrin, « LA » peur, j’en fais une chose, un objet. Si en plus j’y
ajoute un article possessif, si je dis : « MA » colère, « MON » chagrin, « MA »
peur, alors, discrètement, inconsciemment, je transforme cet objet en un
corps qui serait étranger à moi, en quelque sorte du « non-moi » : comme
l’écrit Fritz Perls : « Nous introduisons une scission, comme s’il y avait un
je qui possède le corps ».

Sur cette entité de « non-moi », le mental va accoler un jugement, une


étiquette : « J’aime ça » ou « Je n’aime pas ça ». Il dira, par exemple : « Je
n’aime pas ma tristesse, je veux qu’elle cesse », ce qui bizarrement revient à
dire la même chose que : « Je n’aime pas mon pied droit, il me dérange,
donc il ne fait pas partie de moi et je veux que ce corps étranger me
quitte ». Mais non seulement les pensées, les émotions et les sensations font
partie de moi, mais elles sont à 100 % du moi, du moi en mouvement.

Il y a différentes façons de vivre notre souffrance :


• La mise à distance. La souffrance est un vécu que je rejette : « Je ne tolère
pas la souffrance dans ma vie ».
• L’incorporation. La souffrance est vécue comme un corps étranger en
moi : « Ma souffrance me pèse, je veux qu’elle me quitte ».
• L’assimilation. L’énergie souffrante fait partie de moi : « Je suis la
souffrance que je vis ».

Notre langage ne peut pas éviter de créer de séparation entre « moi » et


l’expérience que je vis. Cette scission imaginaire existe vis-à-vis de « mes »
émotions mais aussi de « mes » pensées, de « mes » sensations ou de
« mes » comportements. Je suis conscient aussi que dans ce livre j’utilise
ces articles possessifs trompeurs ; même le titre évoque « Notre
souffrance ». Mais comme écrire sur la souffrance de façon indifférenciée
déshumanise fortement le discours, j’ai fait le choix de les conserver pour
rendre le texte plus vivant et compréhensible.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Voyez si vous reconnaissez chez vous ces intentions :


Je veux me libérer de MA tristesse.
Je veux me libérer de MA colère.
Je veux me libérer de MES tensions corporelles.
Je veux me libérer de MES attaques de panique.
Je veux me libérer de MES pensées obsessionnelles.
Je veux me libérer de MES désirs et pulsions sexuelles.
Je veux me libérer de MA honte.
Je veux me libérer de MON addiction.
Je veux me libérer de MON critique interne.
Je veux me libérer de MA mélancolie.
Je veux me libérer de MA haine.
Je veux me libérer de MES masques.
Je veux me libérer de MES conditionnements.

Voyez ce qui se passe lorsque vous réintégrez ces parties de vous-même mises à
distance. Notez en particulier l’impact au niveau du corps, sentez-vous un apaisement,
une réconciliation intérieure ?
Je suis la tristesse que je vis.
Je suis la colère que je vis.
Je suis les tensions corporelles que je vis.
Je suis les attaques de panique que je vis.
Je suis les pensées obsessionnelles que je vis.
Je suis les désirs et les pulsions sexuelles que je vis.
Je suis la honte que je vis.
Je suis l’addiction que je vis.
Je suis le critique interne que je vis.
Je suis la mélancolie que je vis.
Je suis la haine que je vis.
Je suis les masques que je vis.
Je suis les conditionnements que je vis.

Le fait de réintégrer notre vécu douloureux comme faisant partie de nous-


même a pour effet immédiat de nous responsabiliser vis-à-vis de celui-ci.
La souffrance n’est plus vécue comme un ennemi à éliminer, mais comme
mon enfant, ou mon pied droit, qui demande de l’attention et du soin.
En résumé, nous sommes à la fois celui ou celle qui souffre, la souffrance et
la résistance à la souffrance :
Je suis Pierre et je souffre.
Je suis la souffrance de Pierre.
Je suis la résistance à la souffrance de Pierre.

Avec Caroline, nous travaillons sur son rapport à la souffrance et en


particulier sur la façon dont elle vit ses émotions : angoisse, colère,
chagrin et culpabilité.
Je l’invite à prendre dans mon cabinet un objet qui représente sa
souffrance actuelle. Elle choisit un coussin carré en velours noir de
taille moyenne.
Je lui demande ensuite de me montrer comment elle interagit avec
cette souffrance en positionnant le coussin quelque part dans la pièce.
Sans réfléchir, elle place le coussin dans son dos, puis l’écrase en
s’appuyant contre le dossier du canapé.

Elle m’explique ensuite que cela correspond bien à sa situation.


Qu’elle a l’habitude de se montrer forte, de rester droite et solide,
ancrée sur ses appuis en toute circonstance et qu’elle ne veut surtout
pas se montrer « faible ». Pendant longtemps, elle était même fière que
ses amis disent : « Caroline, elle encaisse ». Mais depuis qu’elle est
devenue mère tout a changé, elle n’arrive plus à avoir ce self-control
qui la caractérisait.

Ensuite, je propose à Caroline de se mettre à la place du coussin et


d’imaginer ce que ça lui fait vivre d’être coincé comme cela. Caroline
se visualise devenir le coussin et prend conscience alors de la
maltraitance qu’elle s’inflige à elle-même, la façon dont elle se
comprime, suffoque et s’oppresse.
Je l’encourage à ressentir plus encore dans son corps cette sensation
d’écrasement. Elle me dit que c’est une sensation qu’elle connaît bien
car elle l’accompagne depuis toujours.
Spontanément, un souvenir apparaît alors dans son esprit et des larmes
montent dans son regard. Elle se revoit au mois de septembre… c’est
la rentrée des classes, elle a 10 ans et entre en sixième. Elle a passé
l’été chez ses grands-parents, car sa mère dépressive chronique était
une nouvelle fois hospitalisée et son père n’était pas disponible car
trop occupé par son travail.
En ce jour de rentrée, elle se revoit se dire à elle-même : « Tu es dans
le monde des grands maintenant, tu dois prendre soin de toi toute
seule ». Elle associe également ce souvenir avec l’apparition, peu
après, de vertiges et de migraines, des somatisations qui l’ont suivie
durant toute son adolescence.
Cette séance fut pour Caroline une première étape sur le long chemin
de la réintégration et de la prise en charge de sa souffrance.

La façon dont nous interagissons avec notre souffrance s’est mise en place
durant notre enfance ou notre adolescence. Ou bien nous avons copié nos
aînés en reproduisant ce que nous observions sur eux-mêmes, ou bien nous
avons fait ce que nous ce que pensions que les autres attendaient de nous.
Caroline, par exemple, ayant un parent en souffrance chronique, n’a pas pu
s’autoriser à exprimer sa souffrance et à demander de l’aide par peur
d’aggraver les difficultés de la famille. De manière non consciente, son
environnement l’encourageait à ne pas faire de vagues. Il lui a donc fallu
réprimer ses peines.

Dans cette expérimentation avec Caroline un souvenir lui est venu à


l’esprit, mais ce n’est pas toujours le cas. Il est même dangereux de
chercher absolument à faire émerger des images du passé, car souvent,
derrière, se cache l’espoir de vivre un moment cathartique, où tout à coup,
tout va s’ouvrir, s’harmoniser ou se libérer en quelques secondes.
L’exploration de soi devient alors comme une enquête policière avec un
inspecteur qui chercherait la clé magique capable d’ouvrir les serrures de
tous ses blocages. Il n’y a malheureusement pas de technique miracle. Le
changement se fait petit à petit : d’abord, nous prenons conscience des
stratégies d’adaptation qui sont actives en nous, puis, avec le temps, un
réajustement progressif surviendra dans notre corps et dans notre vie.

La recherche de réconfort
Si nous vivons notre souffrance comme un corps étranger, c’est à l’extérieur
de nous que nous rechercherons du réconfort et du soulagement. Ce n’est
pas pathologique en soi, on l’a vu : il est sain, même, qu’un enfant puisse
adoucir ses angoisses par la présence rassurante de son doudou. Mais si
l’enfant a impérativement besoin d’un bonbon ou de regarder un dessin
animé pour se calmer ou se consoler, cela le maintient dans l’impossibilité
de se réguler lui-même et peut provoquer des troubles du comportement.

Il en va de même pour les adultes. À ce sujet, les neurobiologistes nous


apprennent que le câblage de notre cerveau est organisé de telle sorte que
certaines de nos actions libèrent en nous des neuromédiateurs apaisants,
comme la dopamine par exemple, par le biais de ce qu’ils nomment le
« système de récompense », ou « système hédonique ». Le problème avec
ce système est que ces molécules qui nous procurent une sensation de
détente ont un effet temporaire et qu’il nous faudra donc répéter sans fin ces
comportements pour nous sentir apaisés. Le schéma suivant illustre ce
mécanisme répétitif.
EXERCICE EXPLORATOIRE

Où allez-vous le plus souvent chercher du réconfort et du soulagement ?


Lien social (famille, amis), divertissements (télévision, jeux, Internet, shopping,
sorties…), substances (alcool, tabac, cannabis, médicaments…), nourriture, activités
physiques, comportements sexuels, sommeil, travail…
Notez vos réponses.

Certaines stratégies sont plus efficaces que d’autres pour réguler notre
souffrance. Le lien social est certainement ce qui nous apaise le plus et de la
façon la plus durable. Que ce soit un regard bienveillant, un sourire
compatissant, une main passée dans le dos ou une épaule pour pleurer,
sentir la présence d’un autre à nos côtés lorsque nous souffrons offre une
consolation sans égale. Car le plus pénible finalement, c’est de nous sentir
seul avec notre mal-être.

C’est pourquoi les associations d’aide aux victimes ou les groupes de


soutien comme les Alcooliques Anonymes sont si bénéfiques. Ce sont des
lieux où l’on peut vivre sa souffrance en groupe, ce qui la rend plus
supportable. On observe cela également lors de funérailles : pleurer
ensemble à l’occasion d’une cérémonie nous aide à traverser notre chagrin.

Malheureusement, trop souvent lorsque nous avons mal, nous nous


renfermons, ce qui a pour conséquence d’accroître notre peine. Il faut du
courage pour oser dire : « Je souffre », « C’est dur ce que je vis en ce
moment » ou « Je ne vais pas bien » et dévoiler notre mal-être à un autre
(en particulier à nos proches qu’en général nous cherchons à protéger).
J’entends souvent en séance : « Vous devez en avoir marre de m’entendre
me plaindre ». Non seulement je n’en ai pas marre – car si c’était le cas je
vous le dirais et nous explorerions ensemble ce que cela signifie sur ce qui
se passe entre nous – mais pour que votre souffrance s’apaise, il est
indispensable, dans un premier temps, que votre plainte soit entendue.
Comme lorsqu’un enfant tombe de vélo et qu’il a mal, sa douleur doit être
reconnue pour qu’il puisse se remettre en selle. C’est seulement lorsque
nous cessons de lutter contre cette plainte et que nous accueillons sa
présence qu’elle se calme.

Ensuite, lorsque que nous acceptons mentalement notre souffrance, il nous


sera possible d’explorer notre capacité à l’endurer dans notre chair, à
encaisser ces sensations désagréables dans notre corps pour les amortir et
les assimiler.
Amortir la sensation physique
On entend bien dans notre langage comment le corps est le support
physique de la souffrance. Nous disons : « J’en ai plein le dos », « J’ai le
cœur lourd », « J’ai la gorge serrée », « Je serre les fesses », « Je me casse
les reins », « Je suis mal dans ma peau », « J’ai une boule au ventre », « J’ai
la tête qui explose », « Je me fais du mauvais sang », « J’ai une épine dans
le pied », « J’ai les foies », « Je l’ai dans le nez », « Ça me tape sur les
nerfs »… autant d’expressions qui relient notre corps à nos états
émotionnels (dont certaines beaucoup plus fleuries que je vous laisse
retrouver).

Dans les années 1930, le psychiatre Wilhelm Reich initia les thérapies dites
psychocorporelles, qui s’intéressent à ces tensions dans notre corps. En
observant ses patients, il remarqua que certaines zones ont tendance à se
tendre : la mâchoire, le bassin et la cage thoracique notamment. Il affirma
avec conviction : « Il n’existe pas de névrosé qui soit dépourvu de tensions
abdominales » et il nomma « cuirasse » l’accumulation de ces contractions,
de ces nœuds en nous, issus de notre vécu émotionnel.

Pour comprendre comment ces nœuds se forment, nous pourrions dire que
notre corps est semblable à un tambour ou une harpe. Lorsqu’il est frappé
par un événement, que ce soit un choc physique ou émotionnel, il a la
capacité d’absorber cette énergie en vibrant. Lors d’une séparation, par
exemple, la corde du chagrin est percutée. Si je n’interviens pas, si je laisse
faire, l’énergie de la tristesse résonnera en moi, avec différentes
manifestations physiques comme des sanglots, des appels à l’aide, des
gestes de réconfort… Puis, après un certain temps, cette énergie en
vibration se dissipera d’elle-même. Une autre image que l’on peut donner
est celle d’un caillou jeté dans un étang. L’eau pour amortir le choc ondule,
de petites vagues se forment à la surface jusqu’à ce que l’énergie se répande
et se dissipe.

Mais lorsque l’émotion n’a pas pu se déployer librement, si le mouvement


de la vague a été interrompu, l’énergie émotionnelle reste stockée,
condensée, engrammée dans notre corps.

Exercices exploratoires

Voici trois exercices pour explorer les tensions dans ces zones particulièrement
sensibles.

Mâchoire
La tête bien droite, posez le bout de votre langue sur la partie haute du palais de votre
bouche. Automatiquement la mâchoire s’entrouvre. Puis à chaque expiration laissez
votre mâchoire tomber vers le bas, laissez son poids relâcher les muscles maxillaires.
Sentez ce qui se passe au niveau de ces muscles et voyez si vous percevez une
détente ou de petites vibrations.

Abdomen
Allongez-vous sur le dos, les jambes pliées, les pieds parallèles, les bras le long du
corps. Vous allez soulever votre bassin et les hanches de 20 à 30 cm, puis tenir cette
position jusqu’à ce que vous sentiez de la fatigue. Alors, en respirant lentement,
laissez retomber votre bassin. Laissez votre dos s’étaler lentement contre le sol, puis
portez votre attention sur la zone pelvis-lombaire-abdomen. De nouveau, voyez si vous
percevez une détente ou bien de petits fourmillements.

Cage thoracique
Debout ou assis(e), respirez en inspirant par le nez et en expirant par la bouche.
Comptez jusqu’à 5 à l’inspiration puis jusqu’à 7 à l’expiration. Faites l’exercice pendant
5 minutes et observez ce qui se passe dans la zone thoracique et particulièrement au
niveau du plexus.

Ces exercices ont pour but de vous permettre d’explorer les tensions dans
votre corps. Il existe de nombreuses techniques pour descendre dans nos
sensations : le yoga, le qi gong, les thérapies psychocorporelles,
l’haptonomie, l’hypnose, l’acupuncture, la méditation de pleine conscience,
la danse méditative… ou bien simplement le chant, le théâtre, la marche ou
la pratique d’un sport.

À chacun d’aller chercher l’approche qui lui convient le mieux en faisant


confiance à son ressenti corporel. Néanmoins, il faut être vigilant à ne pas
vouloir descendre en soi avec un marteau-piqueur. Comme nous l’avons vu,
toute intention crée une tension : donc si nous cherchons à nous détendre ou
à nous libérer de nos contractions, nous créons une nouvelle tension, une
nouvelle lutte. On ne défait pas un nœud en tirant sur les deux bouts.

C’est en donnant de l’air et de l’espace à nos tensions qu’elles se défont


d’elles-mêmes. Pour l’observer, faites l’expérience suivante : serrez votre
poing gauche le plus fort possible et de plus en plus fort, au moins
30 secondes, jusqu’à ce que vous ne puissiez plus tenir. Comment cette
tension dans votre poing s’est-elle libérée ? Qu’avez-vous fait ? Rien !
Nous pourrions dire que le poing s’est détendu de lui-même lorsque vous
n’avez plus retenu son mouvement.

C’est la même chose pour notre corps, il est naturellement détendu lorsque
nous le laissons libre de son mouvement. Il n’y a pas d’effort à faire. Nous
devons simplement apprendre à baisser la garde, à ne plus intervenir, à
laisser être la mobilité spontanée et naturelle du corps.

Mais cet abandon, cet accueil, nous est difficile, car de nombreux
conditionnements sont en action en nous, et ce depuis notre enfance.

EXERCICE EXPLORATOIRE

Un jour où vous pouvez être seul(e) dans votre salon sans être dérangé(e), fermez les
volets, déshabillez-vous et mettez-vous en sous-vêtements ou bien complètement
nu(e). Ensuite, mettez de la musique que vous aimez, rythmée ou non, et laissez le
corps prendre les commandes. Autorisez-vous à danser de façon incontrôlée et
spontanée, comme un enfant de 6 ans qui s’abandonne au plaisir de bouger.

Lorsque je propose ce genre d’expérimentation, on me dit souvent : « Je


vais me trouver ridicule ». Mais justement, c’est l’intérêt de cet exercice car
il permet de mettre en lumière à quel point il est difficile pour le mental de
lâcher prise, de ne pas juger et de ne pas reprendre le contrôle.

Parfois vous pourrez voir également comment le mental tente de prendre le


contrôle sur ce non-contrôle, ce qui revient à :
– faire le non-faire ;
– vouloir le non-vouloir ;
– décider la non-décision ;
– s’attacher au non-attachement ;
– essayer de ne pas essayer ;
– espérer ne plus espérer.

C’est perdu d’avance : le mental ne pourra jamais accompagner ce non-faire


car c’est contre sa nature. Il n’autorisera cet abandon que lorsqu’il aura
épuisé toutes ses stratégies de contrôle et qu’il constatera qu’elles sont
inefficaces. Alors seulement il laissera libre cours à la spontanéité.

Le trauma, sortir du mode « alerte »


Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, de nombreuses études ont été
consacrées aux troubles de stress post-traumatique que vivaient les soldats à
leur retour des zones de combat. Ces recherches nous ont beaucoup appris
sur la capacité que possèdent notre corps et notre esprit à supporter ou pas
un événement violent ou des agressions répétitives.
Elles nous enseignent en particulier que si l’intensité émotionnelle liée à un
événement est trop forte pour être assimilée, nos circuits nerveux se mettent
en mode « danger », en hyper-vigilance. C’est-à-dire que notre alarme
interne se met à sonner sans plus jamais s’éteindre.

Ceci a pour effet que le corps demeure en mode défensif. Il se contracte et


pour moins sentir les tensions désagréables, il réduit sa sensibilité : un peu
comme si nous mettions un casque antibruit sur nos oreilles pour être moins
dérangé par les sons extérieurs. Cette désensibilisation peut même conduire
à une dissociation, c’est-à-dire une perte de contact avec le corps, voire,
dans des cas extrêmes, à une dépersonnalisation : l’impression de flotter à
côté de soi, de vivre en dehors de son corps.

À des degrés différents, nous sommes nombreux à vivre dans cet état
d’alerte permanent, cette hyper-vigilance. Car des blessures archaïques de
la petite enfance, des agressions ou des accidents de la vie déclenchent
également ce mécanisme. Les phobies, les tensions corporelles, les pensées
anxieuses, par exemple, indiquent que ce mode « danger » est activé en
nous.

Pour retrouver un état apaisé et afin que le corps s’autorise à baisser son
niveau de vigilance, plusieurs étapes seront nécessaires :
– il nous faut d’abord intégrer qu’il n’y a plus de menace imminente dans
notre environnement. Cela se fait en s’appuyant sur l’observation de ce qui
nous entoure dans l’ici et maintenant. Regardez autour de vous : aucun péril
à l’horizon, pas de piano suspendu qui va vous tomber dessus dans la
seconde ;
– ensuite le corps doit sentir ses appuis, sa solidité, ses ressources, la force
dans ses muscles, son ancrage dans le sol, l’oxygène fourni par la
respiration. Et également retrouver sa capacité de mouvement : je peux
bouger, je peux fuir, je peux me défendre.
– petit à petit, le corps retrouve son expansion naturelle et regagne en
sensibilité. Ce qui peut parfois provoquer l’émergence de sensations
désagréables – des pleurs, des angoisses, des douleurs, des
tremblements… – qui sont l’expression de charges émotionnelles et de
tensions accumulées qui se déchargent. Cela doit se faire progressivement.
Il n’est pas nécessaire non plus et même contre-productif de se replonger
dans les images du passé, car en revivant l’expérience traumatique, nous ne
faisons que réactiver le mode « danger » de nos circuits nerveux.

Ce processus est long et les étapes ne suivent pas toujours le même ordre.
Pour mieux supporter ces manifestations, souvenons-nous que lorsque nous
nous désensibilisons de la douleur, nous nous désensibilisons aussi de la
joie. C’est ce qu’on observe chez certains dépressifs qui, du fait de la
désensibilisation de leur corps, ont perdu le goût de la vie.

Alexia est âgée de 32 ans lorsque nous nous rencontrons pour la


première fois. Elle consulte suite à un événement traumatique : son
compagnon, qui souffrait d’un trouble bipolaire, s’est suicidé neuf
mois plus tôt. C’est elle qui a découvert son corps inanimé dans la
salle de bain.
Elle m’explique que depuis elle n’est plus elle-même. Elle se sent
anxieuse en permanence et subit des bouffées d’angoisse durant
lesquelles elle a l’impression de quitter son corps : « Dans ces
moments, me dit-elle, je sais que ça semble bizarre, mais je ne sais
plus si je suis vivante ou morte, si les gens autour de moi sont réels ou
bien s’ils font semblant sachant qu’en fait je suis morte ». Alexia a très
peur de s’enliser dans sa détresse.
Lorsqu’elle me parle, je vis une sensation de « froid dans le dos » entre
mes épaules et je sens aussi que ma respiration se serre. Je vois que la
posture d’Alexia est tendue, sa tête est raide et son regard semble un
peu ailleurs, perdu dans le vide.
Dans les mois qui suivent notre rencontre, nous parlons très peu de la
perte de son compagnon. Nous échangeons principalement sur ses
difficultés au travail, ses problèmes de concentration, son impression
de fonctionner au ralenti et ses bouffées d’angoisse. Lorsqu’elle me
décrit les situations, son discours est souvent désincarné, descriptif,
sans émotions. Comme si elle me parlait de sa liste de courses.
Lorsque je l’invite à ressentir ce qui se passe en elle à l’instant où elle
me parle, elle me dit qu’elle ne ressent rien de particulier mais que ça
lui fait du bien de parler.

Nous pratiquons régulièrement des exercices de conscientisation


corporelle, comme s’appuyer contre le mur en orientant son attention
sur ses cuisses, faire l’arbre et sentir ses appuis au sol, relever les
orteils et se balancer debout de gauche à droite pour percevoir son
poids au niveau des talons, sautiller les bras ballants, pivoter son
bassin d’avant en arrière en respirant.
Je lui montre aussi des photos en lui demandant de se concentrer sur ce
qui se passe dans son corps : un beau paysage de montagne, une
personne en colère, des enfants qui jouent, un feu de forêt…

Grâce à ses exercices, Alexia prend conscience qu’elle est coupée de


son ressenti, cela l’aide aussi à reprendre progressivement contact avec
sa sensibilité. Un jour, d’ailleurs, le lendemain d’une séance où cette
prise de conscience fut particulièrement aiguë, elle m’envoya ce
message : « Vous n’allez pas le croire : quelques heures après avoir
constaté à quel point j’avais désinvesti mon corps, je me suis bloqué le
dos en me levant ! ».

Ce travail de reprise de contact avec son corps dura plus d’un an. C’est
seulement après que purent émerger la colère, la tristesse, la rancœur
qui étaient enfouies depuis la disparition de son compagnon.

La façon dont nous vivons la souffrance a un impact considérable sur notre


vie. La souffrance est notre enfant intérieur qui a mal ; en refusant celle-ci
nous ne faisons que le maltraiter davantage. Il nous faut donc lui trouver
une place à nos côtés. Cela ne signifie pas pour autant subir en silence sans
réagir : si je vois que j’ai une épine dans le pied, spontanément je vais
l’enlever mais je ne vais pas lutter contre la sensation désagréable dans mon
corps car je sais comment en prendre soin et la rendre supportable. Ce
changement d’attitude offre par lui-même un grand apaisement car
lorsqu’on souffre moins de souffrir, on retrouve de l’air, on respire mieux,
car la douleur ne prend plus toute la place.

En résumé
Nous combattons notre souffrance car nous la vivons comme une entité
extérieure à nous-même. En ne la réprimant plus et en la laissant vibrer
dans notre corps sans intervenir, en acceptant de la rencontrer mentalement,
émotionnellement, corporellement, son énergie se déploie pleinement et
nous offre un soulagement physique et psychique. Si cette expérience est
trop dure à vivre, je vous conseille de vous adresser à un thérapeute pour
vous accompagner.
Conclusion
Les maîtres zen enseignent que « lorsque le sage pointe l’index vers la
Lune, le disciple étourdi regarde le doigt et non la Lune ». C’est une façon
de nous inviter à être vigilants, à ne pas nous attacher aux mots et aux idées.
Ils l’affirment également de manière encore plus brutale en indiquant : « Si
tu croises Bouddha, tue Bouddha ». Faites donc confiance à votre propre
expérience plutôt qu’aux concepts et aux théories.

Lors de ce voyage d’exploration intérieure, la souffrance est un bon guide


pour nous révéler à nous-même. Car les six feux qui nous font souffrir sont
aussi six portes, six invitations, qui appellent au changement.

Le premier feu est une invitation à nous aimer sans conditions.

Le deuxième feu est une invitation à nous ouvrir aux autres pour créer une
danse épanouissante.

Le troisième feu est une invitation à libérer notre force et notre puissance
créatrice.

Le quatrième feu est une invitation à exprimer notre potentiel.

Le cinquième feu est une invitation à être présent en conscience dans l’ici et
maintenant.
Enfin, le dernier feu est une invitation à accueillir notre souffrance, pour
que le corps se détende et que le mental s’apaise.

Les 6 invitations
de la souffrance psychique

Ces transformations se produisent petit à petit, sans que nous en soyons


conscients et sans que nous puissions les contrôler. On vient en thérapie
parce que l’on souffre et que l’on souhaite arrêter de souffrir. C’est un peu
comme dire : « Je suis rouge et je veux devenir vert ». Mais avec le temps,
on s’aperçoit que ce rouge peut beaucoup nous apprendre sur nous-même,
et qu’une multitude d’autres couleurs sont présentes dans notre arc-en-ciel
intérieur.
Mon plus grand plaisir en fin de thérapie est justement lorsqu’on me dit :
« Maintenant je me sens plus moi-même, j’ai l’impression de pouvoir être
vraiment moi ». C’est le véritable but de la thérapie, qui n’est pas de se
changer, de s’améliorer, de se perfectionner, de devenir un meilleur être
humain, mais plutôt d’être un humain qui se connaît, qui est en harmonie
avec tous les aspects de lui-même et qui est libre d’exprimer en conscience
son individualité tout en accueillant celle des autres.
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YALOM Irvin D., Le Jardin d’Épicure, Le Livre de poche, 2015.
Remerciements
Un grand merci à Chantal Masquelier Savatier ainsi qu’à mes collègues,
Emmanuelle Gilloots, Marité Guidera et Nathalie Place, qui m’ont soutenu
tout au long du processus d’écriture. Merci également à Pascale Senk qui a
cru en ce projet dès la première lecture et qui a su me guider avec patience
et bienveillance.
Toute ma gratitude et mon amitié vont également à Laure Paoli, Caroline
Signol et toutes les équipes d’Albin Michel pour leur confiance et leurs
conseils précieux.
Je souhaite également adresser ma profonde reconnaissance à l’ensemble
des thérapeutes, superviseurs et enseignants qui m’ont accompagné tout au
long de mon cheminement professionnel et personnel, toujours en cours. Je
garde en moi chacun d’eux avec grand bonheur.
Je remercie aussi, affectueusement, mes proches pour leur soutien et leurs
encouragements. Je me sens privilégié de vous avoir dans ma vie.
Enfin ce livre n’existerait pas sans les personnes que je rencontre en
thérapie, je les remercie de leur confiance. Je reçois leurs partages comme
un cadeau qui, chaque jour, éclaire et nourrit ma vie.
L’approche des 6 Feux

Si vous souhaitez obtenir des informations au sujet des conférences, stages et ateliers sur
l’approche présentée dans ce livre, vous pouvez contacter personnellement l’auteur à l’adresse
e-mail suivante :

Ghislain@psyaparis.com

Ou via le site :
www.ghislainrubiodeteran.com

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