Vous êtes sur la page 1sur 3

Waszek N. (1995) Stirner, Max (d. i. Johann Caspar Schmidt). In: Lutz B.

(eds) Metzler Philosophen


Lexikon. J.B. Metzler, Stuttgart. https://doi.org/10.1007/978-3-476-03642-1_272

Traduit de l’allemand
METZLER LEXIQUE DES PHILOSOPHES
:
Stirner, Max (d. i. Johann Caspar Schmidt)
Né le 25. 10. 1806 à Bayreuth ;
mort le 25. 6. 1856 à Berlin

Le recueil des écrits antérieurs de Stirner lequel publia Bernd Laska en 1986 sous le titre Parerga,
Kritiken, Repliken, porte au verso les citations suivantes à destination de Stirner : "le crâne le plus
creux et le plus maigre parmi les philosophes" (Karl Marx) ; "un étudiant dépravé, un noceur, un fou du
moi, apparemment un psychopathe grave" (Carl Schmitt) ; "un médiocre poussé par la pauvreté et
l'étroitesse, un monomane rigoureux" (Jürgen Habermas). Le fait que des penseurs d'origines aussi
diverses s'accordent dans leur rejet attire déjà l'intérêt sur celui qui est si vivement critiqué. En outre, le
front uni des critiques doit être complété par l'impact multiple qu'a eu l'œuvre de Stirner en dépit des
critiques de Marx, qui sont présentées en détail dans l'Idéologie allemande, il est considéré comme
avéré que Stirner contribua de manière décisive au développement de Marx : son détachement vis à vis
de Feuerbach puis le développement de son concept d'idéologie ont été fortement associés à St. Depuis
à la fin du XIXe siècle. De nombreux interprètes considèrent l'œuvre principale de Stirner, L'Unique et
sa propriété dont le titre porte la mention 1845, mais qui est parue dès novembre 1844, comme un
classique des écrits anarchistes. En outre l'influence de Stirner sur la littérature, par exemple du côté
russe Tourgueniev et Dostoïevski (dont Leszek Kolakowski considère le Raskolnikov à l’exemple de
l'incarnation de l'"Unique" de Stirner), André Gide et André Breton du côté français, faisait partie de ce
contexte. Pour d'autres (par ex. Henri Arvon), Stirner apparaît comme le précurseur de l'existentialisme
français, une influence que Nietzsche a pu transmettre. Enfin, Hans G. Helms rejoignît des preuves qui
montrent dans lesquelles Stirner servi de source aux fascistes italiens (Mussolini) et allemands
(Dietrich Eckart, mentor et propagandiste de Hitler).

Encore que de telles discussions quant à l'histoire de l'influence soient justifiées, elles ne doivent pas
occulter les questions relatives à la personnalité de l'auteur ainsi qu’à la position historique de son
œuvre philosophique, puisque Stirner et son œuvre doivent autant être considérées en premier lieu dans
leur époque. La vie de Stirner s'étend de la réorganisation de l'Europe par Napoléon à la réaction post-
révolutionnaire, en passant par la Restauration, le Vormärz et de la révolution de 1848. Ensuite selon la
perspective de l'histoire de la philosophie, le parcours de Stirner se chevauche avec l'ascension de
Hegel, en passant par sa formation scolaire influente, jusqu'à la scission et le lent déclin de l'école
hégélienne. Le parcours de Stirner —suivant les faits qui nous sont parvenus, plutôt rares, ont été
consciencieusement rassemblés par son biographe Mackay, mais les traits de son modèle ont parfois été
embellis — réputé pauvre en événements ; Mackay parle de "la grande retraite" qu'il attribue
finalement à l'introversion de Stirner. En ce qui concerne ses origines familiales, il convient de
mentionner qu'il était le fils unique de parents protestants et qu'il perdit son père très tôt. La formation
au lycée de Bayreuth fut suivie d'années d'études à Berlin (de 1826 à 1828), Erlangen (1828/29),
Königsberg (1829) et, après une longue interruption due à des "conditions domestiques", de nouveau à
Berlin (de 1832 à 1834). Après un examen d'enseignement peu brillant (1834/35), un stage d'un an et
demi à la Realschule royale de Berlin (1835/36) et d'autres études privées, Stirner s'efforce sans succès
d'obtenir un poste dans un lycée public de la province de Brandebourg. Un premier mariage (1837) se
termina rapidement par la mort en couches de la jeune femme.

En 1839, Stirner débute l’enseignement pendant cinq ans dans une école privée berlinoise. Sa phase de
production philosophique ne dura que dix ans : laquelle commença en 1842 avec des recensions et des
articles, atteignit son apogée en 1844 avec Der Einzige und sein Eigentum, puis se tarit dans des
traductions (Adam Smith, Jean-Baptiste Say) et des compilations (Geschichte der Reaktion, 1852). La
ligne ascendante de sa productivité coïncide avec la fréquentation mondaine de Stirner dans le cercle
bohème des jeunes hégéliens berlinois autour de Bruno Bauer. C'est dans l'entourage de ce groupe de
soi-disant "libres" que Stirner fit la connaissance de sa deuxième femme, Marie Dähnhardt, dont la
fortune lui permit de mettre un terme à son activité d'enseignant pour devenir écrivain philosophe
privé. Une idée commerciale mal réalisée — une entreprise de distribution de lait à Berlin — entraîna
la ruine financière du couple, qui se sépara peu après. Le parcours de Stirner se perd dans la misère (en
1853, il a fait deux séjours en prison) suivi de l'obscurité. Parmi les maigres faits biographiques, deux
aspects méritent une attention plus approfondie, car ils sont d'une importance décisive pour le
développement philosophique de Stirner (le pseudonyme riche en associations est probablement né
d'un surnom que son front haut lui avait déjà valu pendant ses années d'étudiant). Tout d'abord, la
philosophie hégélienne lequel exerça sur lui une influence directe et durable : En tant qu'étudiant,
Stirner n'a pas seulement suivi trois grands cycles de cours (philosophie de la religion, histoire de la
philosophie, philosophie de l'esprit subjectif) avec Hegel lui-même, mais aussi avec les hégéliens Ph.
Marheineke, Chr. Kapp et K. L. Michelet. La deuxième influence marquante que Stirner a reçue et qui a
laissé des traces évidentes dans son œuvre principale, à savoir la confrontation avec Ludwig Feuerbach
et Bruno Bauer, médiatisée par les "Freien", remonte en fin de compte à Hegel. Le fait qu'il n'existe
cependant guère d'études détaillées sur la relation de Stirner avec Hegel — une lacune que L. S.
Stepelevich souligne avec insistance et qu'il s'efforce de combler — s'explique d'une part par la
tendance des partisans de Stirner à laisser Hegel à droite, et d'autre part par une certaine peur du contact
de la part des chercheurs sur Hegel.

L'intention de l'œuvre principale de Stirner — il est un exemple parfait du penseur qui n'a écrit qu'un
seul vrai livre — est l'affirmation philosophique radicale du moi unique. Le début et la fin de son
prologue, intitulé par la formule de Goethe : "Ich hab' Mein Sach' auf Nichts stellen", peuvent illustrer
cette intention :
"Quelle cause n'ai-je pas à défendre? Avant tout, ma cause?!, la bonne cause,
puis celle de Dieu, celle à l’idée de réaliser l’espèce humain, de la Vérité, de la
Liberté, de l’Humanité, de la Justice; ; ensuite la cause de Mon peuple, celle de
mon prince ou d’un quelconque sultan, de ma Patrie; ce sera celle de l'Esprit, et
mille autres encore. Mais que la cause que je défends soit ma cause, jamais! «
Maudisse l'égoïste qui ne pense qu'à lui! »
"Le divin est la cause de Dieu, l'humain celle de « l'homme »...". Ma cause
n'est ni le divin ni l'humain, n'est pas le vrai, le bon , ni le libre, ni le juste etc...
mais — uniquement le mien, et elle n'est pas générale, mais elle est —unique,
comme Je suis unique. Rien n'est, pour Moi, au-dessus de Moi!"

Les deux parties dans lesquelles l'œuvre est divisée : "L'homme" et "Le moi" — la division en deux
parties copie la structure de L'essence du christianisme de Feuerbach — sont ensuite consacrées à
l'analyse de l'oppression du moi, respectivement au développement d'une stratégie de libération par
laquelle le moi doit se retrouver lui-même. La première partie commence par une esquisse
ontogénétique en trois étapes ("Une vie humaine"), qui s'appuie sur l'anthropologie de Hegel et qui est
ensuite mise en parallèle avec des époques historiques décrites en détail ("Les anciens", "Les
nouveaux", "Les libres"). Ce qui est décisif ici, c'est que la religion, la philosophie et le "libéralisme"
(ce dernier est distingué en "politique", "social" et "humaniste") reviennent finalement pour Stirner à
constituer des puissances qui sont étrangères au moi unique et qui le dominent de l'extérieur.

Ainsi, Stirner reconnaît à Feuerbach le mérite d'avoir "humanisé le divin", mais combat ensuite le
dualisme qui subsiste entre les hommes empiriques et leurs idéaux sécularisés. Stirner rejette les idées
socialistes et communistes, qu'il traite sans différenciation conceptuelle précise sous le titre de
"libéralisme social", parce que la substitution de structures de domination relevant de la propriété
privée par un contrôle collectif conduirait à son tour à une domination étrangère : "Toutes les tentatives
de donner des lois raisonnables sur la propriété se déversaient du sein de l'amour dans une mer déserte
de déterminations". Comme il comprend les puissances qui oppriment le moi unique comme des entités
purement idéologiques, Stirner peut concevoir et diffuser dans la deuxième partie de son livre une
stratégie de libération qui se produit exclusivement dans le moi. Les formations fantomatiques qui
dominent le moi peuvent être secouées par une modification de la conscience, en apprenant à affirmer
le moi comme seule réalité et instance de justification des valeurs. Toutes les autres lois et règles
deviennent alors caduques. L'égoïsme, qui jusqu'à présent ne pouvait agir que de manière cachée, se
révèle conscient de lui-même en tant que structure de motivation originelle. C'est dans cette perspective
que naît la haine de Stirner envers tout ordre étatique. La réaction appropriée de l'"unique" face à la
tutelle de l'État est l'"indignation", et non la révolution. Dans la propriété, l'individu unique de Stirner
trouve son objectivation nécessaire — dans cette structure d'argumentation de propriété privée, il reste
étroitement apparenté à Hegel —, le pouvoir de disposition sur la propriété est l'expression et donc la
pierre de touche de sa souveraineté.

Dans cette conception, y a-t-il encore de la place pour l'interaction des "uniques" ou sont-ils
nécessairement seuls ? Pour Stirner, les communautés marquées par la solidarité sont tout aussi
impensables que les structures sociales stables basées sur un consensus d'intérêts. Il peut cependant y
avoir des associations libres et résiliables à volonté d'"individus" en "associations d'égoïstes" — de
telles associations se présentent déjà comme un moyen rationnel d'organisation du travail —, dans
lesquelles la communication interpersonnelle s'épuise toutefois en relations de consommation.
Le malentendu central qui lie Stirner à d'autres interprétations erronées de Hegel est la supposition que
l'Absolu de Hegel est en opposition abrupte avec le domaine de l'humain-particulier, au lieu de
reconnaître que Hegel cherchait et concevait l'Absolu précisément à ce niveau. D'un point de vue
marxiste, l'opposition de Stirner entre le moi unique et la société reste elle-même socialement
médiatisée. L'assimilation diffamatoire de Stirner à la classe ouvrière et au lumpenprolétariat — c'est là
que se révèle son ignorance des véritables composantes de la question sociale — est le corrélat
nécessaire de cette vision simpliste. Après tout, ne devrait-on pas accorder une véritable reconnaissance
à la nature sociable de l'homme, que Stirner réduit à des rapports de consommation réifiés et à laquelle
il ne rend hommage que dans sa caricature de "l'association des égoïstes" ?

— McLellan, David : Les jeunes hégéliens et Karl Marx. Munich 1974


— Helms, Hans G. : L'idéologie de la société anonyme.
— L'Unique de Max Stirner et le progrès de la conscience de soi démocratique du Vormärz à la République f
é fédérale d'Allemagne. Cologne 1966
—Mackay, John Henry : Max Stirner. Sa vie et son œuvre. Berlin 1898 (réimpression Fribourg 1977 d'après la
3e 3e édition).

Vous aimerez peut-être aussi