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Sur la non-critique de Marx et Engels à l’égard de Stirner

On Marx and Engels’ Non-Critique of Stirner

Le texte suivant est une traduction d’un bref passage du livre d’Alfredo
Bonanno, Max Stirner, publié par Edizione Anarchismo. Wolfi
Landstreicher parle d’une « traduction approximative que je dois encore
peaufiner ».

Si l'on s'arrête à considérer l'égoïsme de Stirner selon une interprétation


marxiste, une étrange ambivalence demeure si l'on tente de nier des
positions invraisemblables. D'un côté, d’un refrain bourgeois lourdaud ; de l'autre, des rengaines
prolétariens, l'associationnisme, le conservatisme, l'égoïsme en conflit avec la destruction de la vieille
société. En fait, l'œuvre de Stirner n'entre pas dans ces catégories. Il est évident qu'il ne s'agit pas d'un
projet conservateur de défense des privilèges de la classe dominante, puisqu'il ne s'agit pas là de sa
conception de l'égoïsme. Il détruit les idoles de toutes sortes. Et ce travail ingrat est toujours l'un des
plus bénéfiques et donc l'un des plus détestés.
Le premier devoir envers Stirner : l'incompréhension. « L'argent gouverne le monde » est une
expression courante de l'ère bourgeoise. L’aristocratie pauvre et les travailleurs pauvres « meurent de
faim ». Les valeurs politiques sont sans importance : la naissance et le travail ne comptent pas, mais
c'est l'argent qui donne de la valeur. Les propriétaires gouvernent, l'État élève ses « esclaves »parmi les
cupides et leur donne de l'argent (salaire) en fonction de leur mission de gouverner en son nom.
Je reçois tout de l'État. Qu'est-ce que j'aurais sans la permission de l'État ? Ce que j'ai sans
l’approbation de l'État, l'État me l'enlève dès qu'il découvre que je n'ai pas de « titre légal ». N'ai-je
donc pas tout par la permission et la charité de l'État? C'est uniquement sur ce brevet légal que repose
la bourgeoisie. Le citoyen bourgeois existe par la protection de l'État, par la grâce de l'État, et doit
craindre de tout perdre si le pouvoir de l'État s'effondre.
Mais qu'en est-il du prolétaire, qui n'a rien à perdre ? Puisqu'il n'a rien à perdre, il n'a pas besoin de la
protection de l'État pour ce « rien ». En effet, il peut gagner si la protection de l'État est retirée aux
protégés.
« En conséquence, la personnes sans propriété en viennent à considérer l'État comme un pouvoir qui
protège et privilégie les propriétaires à tous égards, tandis qu’il le saigne tout aisément à blanc. L'État
est un — l'État bourgeois est le statut de la bourgeoisie. Ces sujets humains sont protégés non pas sur
la base de leur travail, mais sur la base de leur obéissance (fidélité à la loi), en clair, la mesure dans
laquelle ils jouissent et gèrent les droits qui leur sont accordés par l'État conformément à ses lois » [1].
Cela remplace l'apparence de base du discours de Stirner, à savoir l'apparence volontariste et la
considération non périphérique que le travailleur est un être singulier, un individu qui forme la classe
prolétarienne dans son ensemble.
Comme il était difficile de s'attaquer au niveau philosophique, la critique a été initiée au niveau de
l'organisation des luttes concrètes, des types de syndicats et des difficultés de ce type d'organisation
(surtout en Grande-Bretagne entre 1832 et 1842). Le thème de base passe au deuxième niveau. Stirner
écrit que les travailleurs peuvent prendre le pouvoir et le gérer eux-mêmes. Il ne s'agit pas d'une
métaphysique de l'histoire. Il s'agit d'une réflexion sur les événements, bien plus que d'une « vraie »
réflexion philosophique, comme celle de Hess [2]. L'absence de référence à des questions
organisationnelles spécifiques n'est pas surprenante compte tenu de la situation de Stirner, de son
impréparation personnelle et du contexte particulier de L'Unique et sa Propriété.
Lorsque Stirner parle de la nécessité de ne pas tomber dans le piège involontaire de Feuerbach, il
entend dire qu'il ne faut pas tomber dans la morale de l'individualisme inconscient, une nouvelle morale
aussi néfaste que la morale du pseudo-humanisme, une morale qui ne serait libre qu’en apparence, mais
qui, au fond, est en quelque sorte liée aux « fantômes de l’esprit ».
La seule perspective de libération découle de la logique de l'individu, à savoir de la logique concrète de
l’« événement » individuel, qui est l'événement fondamental et unique. Si nous ne voulons pas que tout
parte en fumée, et si nous ne voulons pas être obligés de nous précipiter sur les mythes « religieux »,
qu'il s'agisse de l'humanitarisme de Rodolfo, du déterminisme de Laplace ou du matérialisme historique
de Marx, — il faut éviter de prendre comme point de départ des événements collectifs qui renvoient à
des événements antérieurs en raison de leur composition essentielle. Partant de la lutte des classes,
Marx a dû expliquer son rapport à la nature, oubliant les véritables leçons de la phénoménologie de
Hegel.

En résumé, dans leur polémique contre Stirner, Marx et Engels n'essayaient pas de comprendre leur
adversaire, mais seulement de faire avancer leur thèse. Tout porte à croire que Marx et Engels
considéraient L'idéologie allemande comme une question de pratique et, après tout, n'étaient pas si
mécontents qu'elle soit laissée à la « critique rongeuse des souris ». Il est important de garder à l'esprit
la quintessence de ce texte marxiste. S'il est essentiel pour comprendre l'évolution de la pensée de Marx
et d'Engels et pour évaluer objectivement leur dette, la seule chose importante par rapport à Stirner est
qu'il a contribué à sauver son œuvre de l'oubli. C'est une œuvre qui a ouvert un chemin jamais parcouru
auparavant, et pourtant c'est une œuvre qui a été discréditée assez facilement et dans l'ignorance la plus
absolue.

[1] Max Stirner, L'unique et sa Propriété. J'ai décidé de traduire cette citation directement à partir de
l'italien. En effet, les références spécifiques aux classes se perdent et prêtent à confusion dans la
traduction anglaise. La traduction italienne est plus fidèle à l'original allemand.
[2] Moses Hess, l'un des premiers critiques de Stirner, un journaliste socialiste auquel Stirner a répondu
dans Les critiques de Stirner.

Traduit de L’anglais
2023

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