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Préface
- Comme elle s'adresse également aux profanes intéressés par la philosophie, des notes détaillées sur
chaque page facilitent la compréhension du texte.
- L'édition comprend également ce que l'on appelle les Rezensenten Stirners, dans lesquels Stirner
réagit aux premières critiques de Moses Hess, Ludwig Feuerbach et Szeliga du camp Bauer.
Les recensions contiennent des compléments et des précisions importantes sur l' « Unique » et
permettent de dissiper les malentendus qui apparaissaient à l'époque et qui se sont répétés par la suite.
- L'épilogue de l'« Unique » tente également d'attirer l'attention sur des malentendus persistants et de
souligner la performance positive de Stirner dans l'histoire de la philosophie.
- Les remarques préliminaires détaillées sur les recensions présentent les trois positions à considérer
comme paradigmatiques pour le Vormärz : D'abord celle, socialiste, de Moses Hess, qui se situe dans le
contexte de discussion de Marx et Engels, puis celle, anthropologique, du théologien Ludwig
Feuerbach, et enfin celle de la « critique » (c'est ainsi que l'école de Bauer désignait sa philosophie) de
Szeliga (et de Bruno Bauer lui-même).
- Cette édition suit la nouvelle orthographe, mais conserve la majuscule typique de Stirner, surtout pour
les pronoms personnels et possessifs, ainsi que quelques particularités liées à l'époque.
Dans cette édition, quelques erreurs ont été corrigées et les différentes orthographes des noms ont été
uniformisées.
Kurt W. Fleming et Maurice Schuhmann pour leurs remarques à ce sujet.
En outre, j'ai répondu à la demande répétée d'un index des personnes.
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Ces quelques remarques laissent déjà entrevoir que le « cas Stirner » est une affaire tout à fait
complexe. Mais n'avait-il pas lui-même déclaré : « Faites-en [de mes pensées] ce que vous voulez et
pouvez, c'est votre affaire et cela ne m'intéresse pas ». (S. 299)
« Le sacré ne se laisse nullement expulser aussi facilement que certains le prétendent
actuellement » (p. 46), pour ajouter : « Nos athées sont des gens pieux ». (p. 191) Car la foi en
l'homme, qui se substitue à la foi en Dieu, n'est rien d'autre qu'une nouvelle croyance, un nouvel
idéal normatif et abstrait auquel l'homme individuel et concret doit se soumettre : « N'a-t-on pas là
encore le curé ? Qui est son Dieu ? L'homme ? Qu'est-ce que le divin ? L'humain ! Ainsi, le
prédicat s'est seulement transformé en sujet, et au lieu de la phrase 'Dieu est amour', on dit
'L'amour est divin', au lieu de 'Dieu est devenu homme' — 'l'homme est devenu Dieu', etc. c'est
juste une nouvelle — religion ». (p. 68) Et c'est ainsi qu'en général, avec la modernité, « seuls
d'autres termes ont été mis sur le tapis, à savoir, au lieu de divin, humain, au lieu de ecclésiastique,
étatique, au lieu de croyant, 'scientifique' (vérités révélés) » (p. 105).
Suivant ceci la domination des abstractions constitue alors la base de la règle des dirigeants respectifs,
a.) en ce que ceux-ci savent se servir de ces abstractions : « nous sommes jusqu'à ce jour hiérarchisés,
opprimés par ceux qui s'appuient sur des pensées ». (p. 83) ou b.) en ce que la domination des
abstractions leur profite viscéralement : « Si une époque est prisonnière d'une aberration, ce sont
toujours la caste dominante qui en tirent profit, tandis que les autres en subissent les dommages. Au
Moyen Age, l'idée gogo avant-première parmi les chrétiens, était que l'Eglise devait avoir tout pouvoir
ou toute suprématie sur la terre ; les hiérarques ne croyaient pas moins à cette 'vérité' que les laïcs, et
tous deux étaient confinés dans la même bêtise. À tout le moins, grâce à lui, les hiérarques avaient
l'avantage du pouvoir, les séculiers, les préjudices de la servitude ». (p. 122) Tout cela ne signifie pas
que Stirner part du principe que la domination n'a pas de dimension matérielle et qu'elle n'existe que
dans la tête, comme Marx et Engels l'ont sous-entendu dans leur polémique. « Le pouvoir des mots
succède à celui des choses : on est d'abord vaincu par la baguette, ensuite par la persuasion ». (p. 350)
Ce dont il s'agit, c'est de mettre au centre la question de la théorie idéologique, à savoir comment les
gens peuvent être amenés à s'indigner, ou quand et pourquoi ils s'indignent. Stirner décrit la
problématique fondamentale de la manière suivante :
En d'autres termes, « devant le sacré, on perd tout sentiment de puissance et tout courage : on se
comporte envers lui avec impuissance et humilité. Et pourtant, aucune chose n'est sacré par elle-même,
si ce n’est par Ma sanctification, par Mon admiration, par Mon abnégation, par Ma sentence, par mon
dire, Mon jugement, Mon abaissement, bref par Ma — conscience ». Moi et ce que Je crains, Nous ne
faisons plus qu'un, ce n'est pas Moi qui vis, mais ce que je révère qui vit en Moi! (p. 81) Par
conséquent, la lutte pour la libération a toujours une dimension critique de l'idéologie comme condition
préalable :
« Seule la crainte de l’offense et la punition correspondante de celle-ci font de
lui une populace. Simplement le fait d’apercevoir est un péché, un crime, seul
ce statut crée une plèbe, et si celle-ci reste ce qu'elle est, c'est aussi bien de sa
faute, parce qu'elle laisse ce statut s'appliquer, que de celle de ceux qui exigent
'égoïstement' (...) qu'il soit respecté. Bref, le manque de conscience de cette
'nouvelle sagesse',* l'ancienne conscience du péché, est le seul responsable. Si
les hommes en viennent à perdre le respect de la propriété, tout le monde aura
des biens (...). Seul l'égoïsme peut aider la populace, et cette aide, elle doit se la
donner et — elle se la donnera. Si elle ne se laisse pas contraindre à la peur, elle
est alors une puissance ». (p. 262 et suivantes)
Dans ce contexte, on peut également lire : « Les ouvriers ont entre les mains le pouvoir le plus
immense, et s'ils en prenaient conscience une fois à bon escient et s'en servaient, rien ne leur
résisterait : ils n’auraient que cesser le travail et considérer et jouir de ce qu'ils ont travaillé comme leur
appartenant. Tel est le sens des troubles ouvriers qui surgissent ici et là ». (p. 124) Siegfried Nacht
(alias Arnold Roller) a donc classé Stirner parmi les précurseurs de l'idée de grève générale dans son
ouvrage »Der soziale Generalstreik« (1905) (Roller 1905, p. 104).
Michel Foucault, qui avait enseigné sur Stirner dans ses premières années, déclarait vers la fin de
sa vie:
« J'ai toujours été un peu méfiant à l'égard du thème général de la libération (...). Je ne veux pas dire
que la libération (...) n'existe pas : Lorsqu'un peuple colonisé veut se libérer de ses colonisateurs, il
s'agit certes, au sens strict, d'une pratique de libération. Mais dans ce cas, d'ailleurs très précis, on
sait très bien que cette pratique de libération ne suffit pas à définir les pratiques de liberté qui sont
nécessaires par la suite pour que ce peuple, cette société et ces individus puissent définir pour eux-
mêmes des formes acceptables et acceptables de leur existence ou de la communauté politique. C'est
pourquoi j'insiste plus sur les pratiques de liberté que sur les processus de libération qui, je le répète,
ont leur importance, mais ne me semblent pas capables, par eux-mêmes, de définir toutes les formes
pratiques de liberté ». (Foucault 1984, p. 876f)
Stirner aurait sans doute été d'accord avec cela, comme il l’avait souligné lui-même : « Une révolution
n'aboutira certainement pas à la fin si une révolte n'a pas été réalisé au préalable ! » (p. 321) Car : « La
révolution visait de nouvelles institutions, la révolte conduit à ne plus nous laisser nous agencés, mais à
nous agencés nous-mêmes, et ne place aucun espoir brillant dans les « institutions ». (p.319) Ou, pour
reprendre Foucault : « La liberté des hommes n'est jamais garantie par des institutions ou des lois dont
la mission est de garantir la liberté. C'est pourquoi on peut tourner et retourner la plupart de ces lois et
institutions. Non pas parce qu'elles sont ambiguës, mais parce qu'on ne peut que pratiquer la 'liberté' ».
(Foucault 1982, p. 330).
« En un mot, il [Stirner] voyait ce qui était et est nécessaire pour faire de vrais anarchistes ou plutôt
pour laisser chacun agir librement, et il l'expliquait ; il n'a négligé aucune des difficultés d’arracher
les esprits à la mentalité autoritaire. Il aurait été facile d'ignorer ces difficultés et d'écrire un texte de
propagande anti-étatique optimiste. Stirner, comme personne avant lui et certainement peu après lui,
n’a attiré l'attention sur les exigences imposées au révolutionnaire par sa tâche et a mis en garde
contre les dangers autoritaires ». (Nettlau 1925, p. 173)
A propos de l'édition d'étude
« L'Unique et sa propriété » est un livre difficile, mais terriblement stimulant, si l'on ne se laisse pas
rebuter par le choix des mots et le geste parfois un peu trop surmené de Stirner. Il faut prendre le temps
d'essayer de comprendre ce qui a motivé cet « unique » lorsqu'il a décidé de l'écrire. C'est pourquoi il
faut saluer le fait que, grâce à la maison d'édition Karl Alber, il existe désormais — en plus de l'édition
Reclam — une édition d'étude commentée en détail de « L'Unique et sa propriété » »Der Einzige und
sein Eigentum«. Parfois, le commentaire de l'éditeur Bernd Kast, grand connaisseur de Stirner, aurait
pu être un peu plus détaillé. Et il reste à se demander si l'on peut vraiment réfuter certains types de
lecture d'un texte aussi complexe en les qualifiant simplement de « malentendus à éradiquer » (p.370),
comme l'éditeur tente de le faire dans la postface — même si je partage largement l'interprétation de
Kast.
« L'égoïsme (...) ne s'oppose pas à l'amour, ne s'oppose pas à la pensée, n'est pas l'ennemi d'une
douce vie amoureuse, n'est pas l'ennemi du dévouement et de sacrifice, n'est pas l'ennemi de la
cordialité la plus intime, non pas aussi l'ennemi de la critique, n'est pas l'ennemi du socialisme, bref
n'est pas l'ennemi d'un intérêt réel : il n'exclut aucun intérêt. Il n'est dirigé que contre le désintérêt et
l'inintérêt : non pas contre l'amour, mais contre le saint amour, non pas contre la pensée, mais contre
la sainte pensée, non pas contre les socialistes, mais contre les saints socialistes, etc. L''exclusivité'
de l'égoïste, que l'on voudrait faire passer pour 'isolement, singularisation, solitude', est au contraire
pleine participation à ce qui est intéressant par — exclusion de ce qui ne l'est pas ». (S.429)
Max Adler 1906 : Max Stirner et le socialisme moderne. Vienne : Éditions Monte Verita, 1992.
Michel Foucault 1982 : Espace, savoir et pouvoir, in : ders. Schriften. Tome 4. Francfort-sur-le-Main :
Suhrkamp Verlag, 2005. p.324-341.
Michel Foucault 1984 : L'éthique du souci de soi comme pratique de la liberté, in : ders. Schriften.
Frankfurt am Main : Suhrkamp Verlag, 2005. p.875-902.
Peter Kropotkin 1913 : L'anarchisme. Origine, idéal et philosophie. Grafenau : Trotzdem Verlag, 1997.
Max Nettlau 1925 : Histoire de l'anarchie. Tome 1 : Le pré-printemps de l'anarchie. Son développement
historique depuis les origines jusqu'à l'année 1864. Münster : Bibliothek Thélème, 1993.
Arnold Roller 1905 : Der soziale Generalstreik (La grève générale sociale), in : Helge Döhring (éd.).
Grève défensive, grève de protestation, grève de masse ? Grève générale ! Lich : Edition AV. S.79-118.
Alexander Stulpe 2010 : Visages de l'unique. Max Stirner et l'anatomie de l'individualité moderne.
Berlin : Éditions Duncker & Humblot.
* «L'homme doit être religieux » , voilà qui est établi; en suite de quoi, on ne se
préoccupe que de savoir comment il peut y parvenir, du vrai sens de la religiosité, etc...
Une tout autre chose est de mettre en question et en doute l'axiome lui-même, dût-il en
être culbuté.
La morale aussi est une de ces représentations sacrées: il faut être moral et ne rechercher
que la juste manière et la meilleure façon de l'être, mais on n'ose jamais demander à la
morale elle-même si elle n'est pas une image trompe use. Elle reste au-dessus de tout
doute, immuable, comme il en va de tout sacré à chaque degré, depuis le simple
« sacré » jusqu'au « Très-saint » .