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Georges Bertin.
Quand les mots sont mal maîtrisés (les racailles, le karcher, nique ta
mère), employés à l’envers (verlan), à contre sens ou à contre emploi
(emphase politicienne ou sectaire), les maux ne sont pas loin, la langue agit
alors comme révélateur de notre mal être ensemble comme de la crise du
partage de nos significations imaginaires sociales, notamment éducatives.
"Les mots sont vivants. Pour qu'ils durent, il ne faut pas les négliger, mais
les prendre au sérieux, les bien choisir, les cajoler, les entourer d'autres
mots. Aucun mot n'est sans importance, ils tuent, ils mentent. Ils meurent,
si on les oublie. Il faut les protéger, les respecter pour qu'ils vivent et
qu'ils transmettent la parole qu'ils portent. Toute la parole. Là est la seule
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vie éternelle", écrit Jacques Attali dans son roman « La vie éternelle. »
Dans son Essai sur la Mentalité primitive, Lucien Levy-Bruhl avait
constaté, chez les primitifs, le fait que "les mots sont un moyen d'agir sur
les dieux, sur la nature, tout comme les cris et la Musique... Ce que les mots
signifient est déjà réalisé du seul fait qu'on les prononce, en supposant
bien entendu, la force magique nécessaire chez la personne qui parle...".
Les hommes ont établi leur civilisation sur le fait que l'esprit pouvait
dominer la matiére, c’est, pour eux, une façon de survivre. En réalité, ils
n'en ont jamais rien fait. Chaque fois qu'une idée a surgi, remarque encore
Attali, ils l'ont pervertie, transformée en objet. Ils ont devenus eux-
mêmes producteurs et consommateurs d'objets, cannibales ensevelis sous
des déluges de mots. Ce phénomène est encore renforcé aujourd’hui par
notre société, celle de la surabondance des images, numérisées et autres,
lesquelles tuent tout accés posible au symbolique. Comme l’on ne peut plus
mettre de mots dessus, que les mots deviennent inopérants car ne
renvoyant plus à un arrière plan qui leur donnerait sens, qui leur conférerait
un sens commun potentiel, se profilent alors les maux qui rongent une
institution éducative devenue gérante de l’insignifiance généralisée. C’est
ce que Castoriadis nommait « crise des significations imaginaires sociales ».
A l'inverse les mots qui font la vie, ceux qui vivent, ont affaire aux
mythes, aux symboles, ils sont ambigus, durent beaucoup plus longtemps
que les faits. Ainsi, seuls les romans et la poèsie ont droit à la vie éternelle.
Faits de mots, ils sont capables d'échapper à l'érosion de la mémoire.
Ces mots sont des gardiens, car faits de l'argile des lettres avec laquelle
se forment les mythes, seuls promis à l'éternité. D’où la nécessité pour
échapper aux maux que la porte ouverte sur le chaos laisse entrevoir, de
promouvoir, à l’école et ailleurs, une véritable pédagogie de l’Imaginaire, de
tendre à restaurer dans chaque classe, chaque école, chaque stage, la
fonction symbolique.
En effet, les lettres, les mots, les langages, la capacité offerte à chacun
de nommer en relation avec son propre vécu -sans se faire dicter son
langage par d’étranges lucarnes devenues impéralistes-peuvent restaurer
en chacun les plus vivantes de toutes les créations de l'homme, et c'est en
combinant les lettres que donne vie aux choses la vie des mots.
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Alors quand les mots sont mal maîtrisés (les racailles, le karcher, nique ta
mère), employés à l’envers (verlan), à contre sens ou à contre emploi
(emphase politicienne ou sectaire), les maux ne sont pas loin, ils guettent
une école qui ne maîtrise plus le langage, véhicule de l’appropriation des
codes socio-culturels indispensables à toute société, lieu de symbolisation
dans un parcours d’individuation en relation avec les grandes images
fondatrices2. Pire, là où les mots n’accomplissent plus cette fonction,
aucune transgression, expérience de liberté n’est plus possible, et les
maux, qui n’orchestrent plus la vie des images, sont alors symptômes du
retour au chaos des origines, quand le logos n’impose plus la loi de la
culture, et ceci est vérifiable dans toutes les cultures, mais peut y
rencontrer des traitements bien différents, selon que l’école y a conservé
ou non sa fonction initiatrice…
1
Foucault Micel L’Ordre du discours, leçon inaugurale au collège de France, Paris Gallimard, 1963.
2
Bertin G et Liard V. Les Grandes images, lecture de CG Jung, Québec, PU lde Laval, 2005.