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La Nièce du banquier, roman

/ Madame Ancelot

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Ancelot, Virginie (1792-1875). Auteur du texte. La Nièce du
banquier, roman / Madame Ancelot. 1853.

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LA NIÈCE
DU BANQUIER
Roman inédit

PAR MME ANCELOT


WYusVn &% 4 (yccwiwws.

PARIS
HIPPOLYTE BOISGARD, ÉDITEUR
13, RUE SUGER, 13.

1853
t
LANIÈCE

DU BANQUIER

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MADAME ANCELOT

LA NIÈCE

DU BANQUIER

PARIS
HIPPOLYTEBOISGARD, ÉDITEUR,
13,RlE SUCER, 13.
LA

NIÈCE DU BANQUIER

SYLVANIE.

Vers la fin du mois dedécembre 1852, le comte de


Plenoël quitta le vieux château de ses pères, qu'il habi-
tait, et qui était situé dans une des parties les plus pitto-
resques de la Bretagne. Il se mit en route pour Paris,
avec sa fille unique, la belle Sylvanie, qui venait d'at-
teindre sa dix-huitième année, et il s'arrêta dans un
appartement de la rue de l'Université, retenu pour lui.
Or, le comte de Plenoël était un ancien garde du
corps, et lorsqu'en 1830, il accompagna jusqu'à Cher-
bourg le roi à qui il avait promis fidélité, il garda dans
son cœur le serment dont la royauté exilée le déliait,
et se promit de vivre paisible, sans se mêler à la
vie publique, retiré du monde et seul dans le vieux
château, presque en ruines, qu'il possédait sur le bord
de la mer, loin de toute habitation.
Pendant les jours où il resta pensif, triste et ma-
lade à Cherbourg, après le départ du roi, il fut fort
surpris de recevoir une lettre ainsi conçue :
« Monsieur le comte,
« Nous avons parmi les jeunes personnes élevées à
« la maison royale de Saint-Benis, une demoiselle qui
« porte le même nom que vous. Elle est fille d'un con
« lonel tué à Waterloo, qui laissa une jeune femmé
« déaolée, et celte enfant qui n'avait qu'un an, dans la

« tenant, monsieur le comte, mademoiselle


« a dix-huit ans; elleest sans fortune ! dec
« situation la plus malheureuse. Plus tard la ~pelitafld
« fut placée à Saint-Denis, et la mère mourut~Mai

et ne se
« naît aucun parent: nul ne s'intéresse à son sort.
« Mais, ce malin, dans un journal qui nonmaitles
« officiers accompagnant le roi, j'ai vu votre nom. e-
élève
« frappée de sa ressemblance avec celui de notre élàosj
« je lui en ai parlé. Elle croit se rappeler que sa
« lui avait dit, en effet, qu'un cousin portant leur

« parfaits m'ont cependant fait croire que


« être ce
J'ai
seul parent resté à notre orpheline.
alors qu'il était de
,la
« existait en Bretagne, et ces renseignements afliij

devoir
« cru mon

« Je l'ai fait presque malgré elle ;


« former de son existence, ignorée peut-être

« de Plenoël craint de manquer à la dôrtQ


car ~madj
« qu'elle porte, en invoquant une ~proia
«lui être refusée, et elle est résignée a
« vie à l'enseignement, dans notre mal
la garderons avecjoie. Il lui sera CaIIe.
«
« bonnes leçons dans une maison où sa
a donné que de bons exemples.
« Malgré cela, monsieur le comte, je pense
-
« dois à cette jeune personne de faire une dé~
« auprès de vous, si ce n'est en son nom, que
« aumien.
« La supérieure de la maison la
« Saint-Denis, a
M. de Plenoël ne réfléchit pas longtemps. Sa ré-
solution était prise avant qu'il eût fini la lecture de la
lettre.
— C'est ma parente;je me souviens de ce que m'en
a
avait dit mon père. I1. y là un devoir çi remplir. J'ai
le quoi vivre indépendant; lui offrir de partager cette
modeste existence est une obligation dont rien ne petit
ne dispenser.
Il dit et partit.
Il suivit de nouveau, à cheval, cette même route qu'il
venait de parcourir près de la voiture du roi proscrit,
et son cœur navré sentit encore s'augmenter sa dou-
leur par ce qui se passait sous ses yeux, et parce que
lettre qu'il avait reçue lui rappelait, il te reportait
cette autre époque, où son parent, soldat comme lui,
~iltaché à Napoléon, avait partagé toutesles gloires de
l'Empire, et, brillant colonel de ce temps aux grands
hommes de guerre, avait donne sa vie pour défendre
les espérances ensevelies sous les débris de Waterloo!
pensait avec une profonde amertume qu'il avait été
donné à notre siècle d'avoir des malheurs et des re-
grets dans bien des camps différents !. et quetant de
troubles étaient de sa force et de sa grandeur a la
France, cette patrie objet de son amour fillai, dont les
lafortunes lui faisaient oublier les siennes, et ne lui
laissaient plus aucun souci de lui-même. Ainsi ab-
sorbé par ses rêveries pleines d'inquiétudes pour son
pays, il oubliait qu'il venait de décider de l'avenir de
toute sa vie, sans savoir s'il lui serait possible d'en es-
pérer un peu de bonheur, et nulle inquiétude sur sa
destinée personnelle ne se mêlait à ses craintes pour
les autres.
Il fit ainsi toute la route lentement, s'arrêtant dans
les auberges les moins fréquentées, ne prenant que le
temps nécessaire au repos de sa monture, ne se pres-
sant point, et ne ralentissant pas non plus sa marche.
au moment où il approchait du but de son voyage. Ce
ne fut qu'à l'instant où il se rendait à pied à la maison
royale de Saint-Denis, qu'il s'arrêta une seconde, et
qu'une pensée de jeune homme vint frapper son esprit
— Si
elle est laide? si elle est désagréable?
:
si.
si ?.
Mais le comte de Plenoël, malgré les milles fantômes
qui passèrent alors subitement devant lui, tous plus ou
moins effrayants, se remit en marche et ne s'arrêta
plus que dans le parloir, pour attendre la dame qui lui
C'est le dernier
:
avait écrit; car il s'était dit
devoir qui à remplir.
— me reste
La supérieure arriva ; tenant par la main une déli-
:
cieuse enfant, mignonne, délicate, un peu pâle, et qui
semblait à peine atteindre sa quinzième année c'était
mademoiselle Aglaé de Plenoël. Elle leva sur le comte
de grands yeux bleus transparents, et ne dit rien. Lui
l'examinait, ravi!. Enfin, après un moment de silence,
noël dit avec émotion :
où l'on tremblait un peu de part et d'autre, M. de Ple-
—En apprenant qu'une personne de ma famille,jeune
et orpheline, n'avait ni appui, ni fortune, j'étais venu
lui offrir la seule protection qu'un homme de mon âge
puisse donner à une femme, ma main. et ma bien
modeste fortune. mais.
:
Il s'arrêta. La jeune fille rougit, et dit très-troublée
-
Mais vous changez de résolution en me voyant,
<

mon cousin ?
Et elle essaya de sourire.
— En vous voyant si jolie, ma cousine, dit-il, j'ai
peur d'avoir l'air de profiter de la mauvaise fortune
d'un enfant.
Aglaé, rassurée, reprit en riant de bon cœur
- :
D'une enfant qui voudrait vraiment être belle et
4

bonne; afin d'avoir au moins quelque chose à vous


donner en échange de vos présents.
Il l'embrassa en cousin, et dit à la supérieure :
—Gardez-moi ma fiancée quinze jours, et, le quin-
ième, je viendrai chercher ma femme. Nous nous ma-
:
erons ici puis nous partirons pour mon pauvre ma-
oir de Bretagne. Quand vous vous y déplairez, Aglaé,
us reviendrons à Paris.
:
Cela fut fait ainsi. Mais on ne se déplut point au
auvre manoir le comta avait vingt-huit ans, il était
~lirituél«t beau; sa femme était charmante; ils s'ai-
~lèrent passionnément !
Ils avaient souffert l'un et l'autre des incertitudes et
~ssvariations de la fortune; ils avaient vu tomber les
mx plus grandes puissances de ce monde; celle qui
appuyait sur le droit, celle,qui s'élevait sur la gloire.
uelles ambitions pouvaient les tenter? quels succès
~duvaient lesdistraire? Ilsconcentrèrent toute leurâme
~ms l'affection qui les unissait. Toujours ensemble,
~tujours heureux d'y être, les mille petits détails de
vie de chaque jour étaient pour eux des occasions de
re quelque chose de nouveau dans le cœur ou dans
esprit l'un de l'autre. C'était un livre inépuisable, où
~ute lecture était attachante, et dont ils ne se lassaient
~maisl
Ce bonheur était trop grand pour cette terre. Après
uatre années de mariage, ils crurent pourtant qu'il
~ait s'augmenter encore par la naissance d'un enfant;
lais la délicate jeune femme ne jouit que peu de mois
u bonheur d'être mère. Elle mourut laissant sa fille
~ivlvanie trop jeune pour sentir sonmalheur, etle comte
~lllement désespéré, qu'il faillit en perdre la raison.
~Ljirèsdes années de larmes et de souffrances, il reporta
ur l'enfant quelque chose de sa tendresse pour la
~ière, mais il ne se consola jamais.
~Lorsque Sylvanie arriva vers l'âge de dix-huit ans,
était venir à Paris, et son père lui-même sentit
~ï'ildésira
~Ile
temps qu'elle pût voir le monde et choisir un
mari. Ils quittèrent donc la Bretagne, le vieux château
et leurs habitudes, pour venir s'installer au faubourg
Saint-Germain.
Le comte de Plenoël était un de ces esprits qui plai-
sent, qui sont bien partout, etqu'onappelle des esprit
bien faits, si l'on peut s'exprimer ainsi, en comparant
les facultés intérieures aux qualités extérieures. Unj
personne bien faite a de l'aplomb, de la grâceà :
agréables
to
voir; |
ses mouvements sont naturellement
tous les exercices lui sont »
faciles ils la
dévelop
d'une manière favorable. L'esprit du comte de Plenoël
produisait le mêmeeffet. Ilavait brillé pendant six M
nées dans les meilleurs salons de Paris,sous la Restau-
ration; il avait été charmant de grâce et de tendresse
près de sa jeune femme, et l'âge mûr de la vie le VI
d'une raison douce, fine et ingéuieuse. Il causait bien
parce qu'il ne parlait que quand il avait quelqui
chose à dire. Porté naturellement àla moquerie, il..
eu de quoi s'exercer dans cette époque, où revenant
à Paris après de longues années passées près de la na
ture, il etait plus frappé des ridicules que l'on con-
tracte dans la société, si la mélancolie rêveuse que le
avait laissée la parte de ce qu'il aimait n'eût étaint u
gaieté native. Depuis cette mort, qui avait tué la parti
joyeuse de son âme, lesourire pouvait peut-être *"ace
effleurer ses lèvres, mais il ne riait plus.
L'éducation de sa fille unique, de sa chère Sylvanie
avait été sa seule affaire et son seul plaisir. Il y avait
mis ce spirituel bon sensqu'il m'ettait à tout, et le na
turel aimable de la jeune fille n'avait rien laissé perd
des sages enseignements qu'elle avait reçus. Tout la
avait profité : l'éducation matérielle d'exercices 1
a
:
intellectuelle de lectures sérieuses, destinées fortifie
son esprit. Elle était grande, fraîche et colorée de
cheveu blonds encadraient sabelle figure d'un
bov
grand air, destinée à fortifier son corps, et l'éducation
m
irréprochable, et dont rien n'avait altèré les lignes
pleines et jeunes; ses lèvres, d'un rose vif, étaient
ondes et naïves; ses yeux bleus avaient une vivacité
parfois un peu moqueuse, mais d'une charmante gaieté.
voir son expression et sa démarche, on sentait
qu'elle portait légèrement la vie. Jamais aucun cha-
grin n'avait approché d'elle, et sa jeunesse ne rêvait
que du bonheur.
L L'appartement où elle était descendue
avec son père
vait de l'élégance et même du luxe. Meublé, un an
uparavant. par une nouvelle mariée, que la
l'hiver, la Faculté
condamnait à chercher, pendant
noins capricieux et plus chaud que celui de Paris, on
la
vait, suivant coutume actuelle, pensé à louer à des
étrangers cette retraite intime, ce nid qui avait abrité
le bonheur d'un jeune ménage. Nous vivons dans un
emps où l'amour de l'argent a tué toute poésie et tout
respect de soi-même. La demeure livrée sans mystère,
| des inconnus, pour un peu d'or, est une des profa-
lations qui blesseraient le plus les idées délicates d'une
emme, s'il restait encore de délicates idées
Cet appartemect avait été choisi à avance par
!
1

nademoiselle de Béville, la gouvernante qui aidait le


omte dans l'éducation de Sylvanie.
Mademoiselle de Béville était une vraie vieille fille,
ne cherchant à tromper ni sur son âge, ni sur sa posi-
ton. Ses parents, ruinés par l'émigration, l'avaient,
aissée sans fortune, sans beaulé, et déjà sans jeu-
nesse, lorsqu'ils moururent et emportèrent avec eux
ous leurs moyens d'existence, une rente viagère.
depuis vingt ans, la pauvre mademoiselle de Beville
filait, de maison riche en maison riche, achever des
oducations, et, malgré son économie, elle n'avait pu so
aire la plus modeste indépendante, lorsque ses cin-
quante ans trouvèrent un asile au vieux château du
comte de Plenoël, et furent chargés de veiller sur
l'enfance de Sylvanie. Le cœur de cette excellente
gouvernante se serait pris tout entier à la charmante
petite, si elle n'eût fait effort pour le retirer un peu,
dans la crainte de ces souffrances, trop souvent res-
senties par elle, en quittant ses jeunes élèves, et en
devenant presque étrangère à ce qui lui avait fait
parfois éprouver les joies de la maternité. Ce fut
sans doute pour faire diversion qu'elle donna une part
de ses soins à un énorme perroquet qu'elle appela
Mignon.
Mignon était la faiblesse de mademoiselle de Béville.
et
Elle l'aimait avec tendresse même avec jalousie. Il n'a-
vait été, dans le commencement, qu'une distraction,
;
quand les soinsàdonneràl'enfance deSylvanieprenaient
tout son temps puis, son occupation favorite, et enfin le
sentiment le plus vif de son cœur, à mesure que la jeune
fille, en grandissant, lui échappait davantage. Mais c'é-
tait surtout depuis qu'il avait été question de Paris, et
qu'elle pressentait qu'un mariage lui ravirait tout à fait
son élève, que Mignon étaitdevenu inséparable de la
vieille fille, tant le cœur d'une femme a besoin d'un
être à aimer sans partage et dont le bonheur dépende
de lui.
Mignon avait donc fait le voyage de Bretagne à Pa-
ris, sur les genoux de sa maîtresse, quinze jours avant
que M. de Plenoël et sa fille se missent en route, et
l'on ne s'en serait séparé à aucun prix.
Mais, à côté de la passion pour Mignon, à laquelle
mademoiselle de Béville se livrait de tout son cœur,
restait encore assez de place pour un grand dévoue-
ment, dont le comte et Sylvanie étaient les objets
chéris, bien que ce sentiment fût comprimé par les rai-
sonnements de la pauvre fille; car, disait-elle, rien ne
me séparera de Mignon,ettoutva me séparer de cette
famille, comme j'ai déjà été séparée des autres Et !
un soupir étouffé serrait son cœur, au souvenir d'ami-
tiésdisparues.
Malgré ses efforts, elle était toujours occupée de ce
à
-

qui pouvait être utile ou agréable Sylvanie, et comme


elle connaissait beaucoup du meilleur monde de Paris,
comme elle y était au fait de toute chose, elle voulut
partir, choisir un appartement, revoir quelques bonnes
relations, afin d'épargner de la peine et de ménager
à
quelques plaisirs ceux qu'elle aimait contre sa vo-
lonté, et même à son insu, bien plus qu'il n'était rai-
sonnable peut-être de le faire.
Sylvanie fut surprise et enchantée de ce qu'avait pré-
paré mademoiselle de Béville, et la remercia avec une
joie enfantine de l'asile charmant qu'elle lui avait
choisi.
Ainsi, la première sensation qu'éprouva la jeune
fille, en arrivant à Paris,fut un plaisir.
! Après une bonne nuit de repos, Sylvanie s'éveilla le
lendemain toute heureuse, et, vers dix heures, elle en-
tra chez son père, fraîche et souriante, marchant
sur la pointe des pieds. Devinée, mais point entendue,
elle se pencha sur le dossier du fauteuil, et déposa
un baiser sur le front de son père. puis resta gracieu-
sement appuyée à regarder ce qu'il faisait.
- -
lut
Je m'occupe de toi, lui dit-il.
Comment cela, mon père? Il me semble que je
vois entre vos mains des billets de banque?
Le comte sourit, continua à faire quelques calculs,
puis il mit ensemble plusieurs billets, composant une
omme de mille écus, et les tendit à Sylvanie en
isant :Tiens,
-- ma fille !
Tout cela pour moi, mon bon père?
-
8US arrivons de nos solitudes de la Bretagne
nfin voir le monde
;;
Oui, ma chère Sylvanie, tout cela pour ta toilette
; !
tu vas
donc, le monde va te voir et il
qu'il te voie jolie et parée.
— Merci de votre présent, mon père, dit Sylvanie
avec tendresse; mais. ajouta-t-elle après un instant
de réflexion. vous m'avez dit bien souvent qu'une
à
femme raisonnable ne devait jamais penser sa figure.
- ; J'avais raison de dire cela, reprit M. de Plenoël
en souriant pourtant, dans le monde où tu vas vivre,
la qualité qu'on apprécie le plus, c'est la beauté.
— Et je n'ai pas oublié, men bon père, qu'il faut
avant tout cultiver son esprit, s'instruire, acquérir des
talents. Que de fois ne m'avez-vous pas dit que c'était
!
l'essentiel
Le comte reprit après un moment d'hésitation :
— J'avais raison de dire cela!. pourtant. il faut
parer sa figure, cacher son instruction, retenir son es-
prit, et ne jamais parler de ses talents.
Sylvanie fit
un léger mouvement de surprise; puis,
souriant malignement
- :
s'étant mise en face de son père, elle lui demanda en
Et ses qualités, qu'en faut-il faire?
—Voilà une question singulière, répondit le comte,
peut-être embarrassé d'y répondre.

mais.
Mais Sylvanie ajouta en riant
A
:
la destinée que je vois aux talents, je suis in-

quiète pour les qualités. Ainsi, vous disiez qu'il faut
être vrai et ne jamais altérer la vérité.
— J'avais raison de dire cela, reprit le comte plus
sérieux. Un noble caractère aime toujours la vérité;
Il hésita. 1
Mais, pourtant, il faut bien se garder de la dire

soi.

au milieu du monde, car on doit y cacher ce qu'on
pense des autres, et il n'est pas même permis d'être
vrai dans ce qui ne regarde que
— Point de confiance alors, dit tristement
-<
Sylvanie.
Comment fait-on avec ses amies? car j'espère
avoir
des amies, et mon cœur est tout disposé à rendre avec
empressement la bonne affection dès qu'elle se mon-
trera.
-Prends garde, pourtant, chère enfant, ditle comte
avec tendresse; car ceux qui, dans le monde, s'offrent
trop vite à nous, ont presque toujours un intérêt à nous
tromper.
— Ah! reprit vivement Sylvanie, c'est donc la faus-
seté et l'ignorance qui règnent dans votre beau monde,
qu'on n'y peut être sincère et spirituel impunément?
: ; :
Je croyais que chacun apportait dans la société ce qu'il
avait de meilleur celui-ci le talent celui-là l'esprit,
l'instruction, la science que l'on y parlait de ce qu'on
sarait.
Cela, dit riant le y
paraîtrait du plus

à en comte,
mauvais goût ceux qui n'ont rien
à
apporter, et ir-
riterait les sots qui ne sont bons à rien. Aussi, le plus
grand éloge que le monde dessalons puisse faire d'une
!
personne supérieure, c'est de dire : on ne s'aperçoit
pas du toutde sa supériorité Cela satisfait les vanités.
Mais Sylvanie ne fut pas satisfaite, elle, de cette ex-
plication, et sa surprise s'exprima :
— Quoi! notre pays, dit-elle, ce pays qui a la pré-
tention d'être si spirituel, arrange donc la société pour
le plaisir des imbéciles?
-Il faut respecter la majorité, répondit maligne-
ment le comte.
— Retournons en Bretagne, mon bon père, s'écria
Sylvanie.

Tu te révoltes déjà, enfant? dit le comte en pre-
nant les mains de sa fille. tant mieux! Paris ne le
gâtera pas; mais il faut y rester encore. A ton âge, une
jeune personne doit se marier.
-Oh! je n'ai pas besoin d'allerdans le monde pour
trouver un mari, répondit étourdiment Sylvanie.
Le père fit un mouvement de surprise et regarda
attentivement le visage de sa fille, qui rougit beaucoup.
On entra pour annoncer au comte qu'un domestique
de M. Desronest demandait à lui parler.
Le nom de M. Desronest parut frapperren ce moment
M. de Plenoël. Il reporta son attention plus vivement
sur le visage de sa fille; mais elle était baissée sur un
livre qu'elle venait d'ouvrir, et on ne l'apercevait pas.
— M. Desronest, dit le domestique, demande si mon-
sieur le comte voudrait le recevoir dans la matinée.
— Mais ne dînons-nous pas chez lui aujourd'hui?
demanda M. de Plénoël.
— Oh monsieur ne l'oublie certes pas, car il a ré-
!

pété bien des fois que monsieur le comte et mademoi-


selle lui donneraient le premier jour de leur arrivée;
mais il voudrait parler en particulier à monsieur de
Plenoël, avant l'heure du diner, reprit le domes-
tique.

ses
— Ah !. ;
ditM. de Plenoël puis il porta de nouveau
regards du côté de Sylvaine, qui continuait à
donner toute son attention au livre sur lequel elle était
penchée.
— Eh bien! dit-il
vienne à trois heures.
après un peu d'hésitation, qu'il

— Resté
que émotion
— M.
:
seul avec
Desronest a
sa fille,

donc
le

une
comte
bien
lui dit avec
importante
quel-

com-
munication à me faire?
Et Dieu sait, reprit riant Sylvanie, quelle

!
en
! avec
importance il va vous la faire car il est bien solennel,
notre cher voisin Mais j'oubliais que sa sœur doit ve-
nir me prendre, ce matin, afin de me conduire dans
les magasins à la mode, et je vous quitte, mon bon
père, pour m'habiller de façon à me trouver prête à
sortir lorsqu'elle arrivera.
Sylvanie avait dit vivement les derniers mots, et
elle était partie avant que son père eût eu le temps de
l'interroger. Il resta pensif et mécontent. Le nom etle
message de M. Desronest éveillaient en lui des pen-
sées peu agréables.
M. Desronest était un de ces bourgeois vaniteux qui
ont trdné en France pendant quelques années. Depuis
qu'il avait acheté une usine, tout près du château de

!
Plenoël, il cherchait avec empressement tout ce qui
versationle mettre en rapport avec son noble voisin, et
pouvait
Dieusaitquelle solennité il donnait à ces mots, monsieur
le comte, qu'il répétait à chaque instant danslacon-

grossissait au même point en passant parsa bouche


« Moi, je suis un bon bourgeois!» L'emphase ici se com-
:
Une seule autre phrase, sa phrase favorite,

posait de plusieurs nuances. Il y avait dans sa manière,


de prononcer ces mots quelque chose qui semblait réu-
nir tous les dédains de l'aristocratie, qu'il détestait
pourtant parce qu'il n'était pas noble, et toute la mau-
vaise humeur de la démocratie, qu'il méprisait souve-
rainement parce qu'il était millionnaire. Tout cela pro-
duisait en lui les plus singulières contradictions; mais

pour n'avoir rien à donner aux malheureux ; ,


il était très-riche, fort économe, quoiqu'il aimât le luxe
et les plaisirs. Il donnait même assez à ses fantaisies
mais il
avait une bonne table, ses dîners étaient succulents et
gais: aussi, quoiqu'il fût égoïste et rusé, il était très-
:
considéré dans le monde, et on disait de lui « C'est
un »
geois,
:répétait souvent:
honnête et excellent homme ! » De plus, comme il
« Moi, je ne suis qu'un bon bour-
il passait pour un démocrate, ce qui lui valait
Ioutcs sortes d'honneurs dans ce temps où il était de
node de flatter le peuple, qu'on croyait le plus fort
fepuis
M. 1830.
rétait
Desronest possédait un fils, M. Gustave Desronest.
un joli homme, qui avait reçu de la nature de
ions instints et de son père de mauvais exemples. Ce
ère eût de beaucoup préféré une fille. Il aurait alors
certainement trouvé le moyen d'en faire une princesse
ou une,duchesse, comme l'ont fait tous les banquiers
démocrates de notre époque.
Heureusement il avait une sœur qui, disait-on, as-
pirait à faire entrer quelque duc dans la famille, ce
qui serait toujours un petit adoucissement à ses re,
grets. Cette sœur n'était pas jeune, et comme le duc
ne s'était pas encore présenté, en attendant, elle s'était
faite comtesse de son autorité privée, depuis que la
mort du vieil usurier Mérou, son mari, lui laissait une
grande fortune et la liberté de se donner toutes les fan-
taisies qui luipassaient par la tête.
Madame la comtesse de Mérou arrivaitchez le comte
au moment où il venait de répondre au message de son
frère. Mais ce n'était que pour s'excuser de remettre à
un autre jour les emplettes qu'on devait faire ensem-
ble. Elle avait une matinée chez une princesse; elle
devait y trouver les plus grands personnages, y pren-
1
dre le goût des modes nouvelles Elle y était indis-'
pensable, disait-elle. Mais elle s'aperçutque le comte
ne pouvait retenir un sourire moqueur, et s'arrêta.
— Vous vous moquez de tout! dit-elle; peut-êtrei
voyez-vous les choses telles qu'elles sont, vous, mon-
sieur le comte?
Et son regard, en prononçant ces derniers mots,
j

avait l'air de plonger dans le regard de M. de Plenoël,


pour y chercher sa pensée. Puis elle ajouta en riant :
faire que de me sauver !.
—Ce serait effrayant, et je n'aurais rien de mieux à
Adieu donc! vous dînez
six heures chez mon frère. Quand farriverais à la du-
à
-
mie, et même vers sept heures, il n y aurait pas grande
mal! plus on dîne tard, plus on a l'air comme il faut,
doitvous en avertis! D'ailleurs, une femme à la modes
je
Elle
toujours se faire attendre.
sortait lorsque Sylvanie rentra dans le salon,
un petit tableau à la main. Madame Mérou s'excusa"
ne
pouvoir l'accompagner, edmira sa beauté, parla de
en neveu Gustave, et sortit en riant, sans avoir laissé
personne le temps de placer une parole.
Sylvauie était toute occupée de lapeinturequ'elle te-
nait à la main.
— Voyez, mon père, dit-elle, c'est l'ouvrage d'une
jeune personne bien-éjevée et pauvre, qui veut donner
des leçons. Il me semble que c'est ce qu'il me faut.
Et pendant que N. de Plenoël regardait le petit ta-
bleau, Sylvauie appela mademoiselle de Béville, qui
protégeait la jeune artiste, et l'avait choisie pour per-
fectionner le latent de peinture qu'elle avait commencé
-
à donner à son élève.
Non-seulement, dit mademoiselle de Béville, cette
jeune fille a un talent supérieur, mais rien n'est plus in-
téressant que sa situation. Elle avait perdu sa mère
dès sa naissance, et, plus tard, son père, qui vivait
d'une place, mourut et la laissa sans fortune à quinze
ans. Une vieille servante, qui la soignait depuis qu'elle
était née, ne voulut pas l'abandonner. Elle pleurait à
ses côtés, dans la pauvre maison, où il ne restait rien,
après les frais payés, pour rendre à la terre le cadavre
à !
de son dernier appui. Eh bien cette enfant de quinze
ans, qui, grâce la bonté paternelle, avait connu l'ai-
sance et n'avait pas encore été éprouvée par le mal-
à
heur, eut tout, coup un mouvement de noblesse et de
ctirage, qu'un cœur vaillant pouvait seul éprouver.
-, Va, ma bonne Françoise, essuie Les yeux, dit-
elle comme toi je retiens mes larmes 1. Il s'agit non-
seulement de vivre, mais de vivre honnêtement et ho-
norablement! Vois-tu, s'il n'y a plus un sou dans notre
pauvre demeure; si les parents de ma mère, qui sont
riches, ne sont pas venus à mon appel quand je les
!
mandai au lit de mon père, eh bien je ne veux pas que
.nous allions les implorer pour moi ! Ils m'ont refusé
des soins, de l'affection, des secours pour un Mourtut,
leur frère!.. Ils ne sont rien, ils ne seront jamais ~rieruiaii
pour moi! J'aimerais mieux mourir de faim, sur le littil ~e
où mon pauvre père est mort sans leur pitié, que d'a-s'b
à
voir recours eux! Ecoute!. les meubles qui ~sonttiioa
;
ici, un peu d'argenterie et quelques bijoux de ma ~mère„oiéi
nous allons tout vendre puis, avec cette petite ~somme,,'JfOl
nous partirons ensemble pour l'Italie. J'y ~perfection—iioiJ
puis on y croira davantage au retour.
nerai le talent de peinture que mon père m'a ~donné;;ynr
Cela fut fait. Le ciel, qui protégea sansdoute lecou--!iou
rage de l'enfant, ne voulut pas la séparerdes petits bi-id a
joux de sa mère. Il se trouva dans le mobilier deux ~ta-ra x
bleaux de Greuze. Ce peintre de la jeunesse naïve ~pro-oiq
tégea la sienne, car tout ce qui est beau est bon ~àg n(
quelque chose. Ces tableaux furent disputés, à ~lael
vente, par deux riches amateurs, et arrivèrent au ~prix/nq
de six mille francs! Ilse trouva ainsi que ce fut ~legé—
nie aimable d'un peintre qui fournit à l'aimable ~jeunesiiu;
fille les moyens de donner l'essor à son génie pour ~laisl ~u
peinture.
Elle vient de passer en effet quatre années en ~Italie,.oilt
Elle a un vrai et admirable talent; mais, en France, ~àà ~,E
notre époque, il faut plus encore pour réussir. Il ~fautJfJ61
que le bonheur, les protections, les circonstances ~se;^
réunissent pour mettre en lumière l'artiste encore in- ~-ni
connue. Les ressources de la jeune fille sont épuisées ctàc
par le voyage et une installation convenable à ~Paris..<iu
Elle pense à donner quelques leçons dans le beau !IGSt
monde, et, en attendant, non-seulement ces petits ta—«i
bleaux, mais les bijoux de sa mère conservés ~jus--^uj
qu'ici.
- !Oh ce serait trop cruel! ne put s'empêcher de
dire vivement Sylvanie
ù

marchands. :
!

Son père sourit en ajoutant à part


— Mes billets de banque n'iront pas tous chez les r>1
En ce moment on vint annoncer M. Desronest. Ma-
demoiselle de Béville fit la grimace; Sylvanie se dis-
xposaà rentrer dans son appartement; mais ce ne fut
nrpas sans s'être approchée de M. de Plenoël et lui avoir

— Mon bon père,


:
ilrlit d'un ton caressant
n'est-ce pas que vous aimez trop
owotre fille pour ne pas la gâter un peu, et que vous ne
Gia contredirez pas?
M. de Plenoëlregarda Sylvanie avec une vague in-
upquiétude, et chercha à lire dans sa pensée. Il était évi-
oWentque les emplettes, les tableaux et les leçons n'oc-
uœupaient pas uniquement son esprit, et qu'il poursui-
ewait, dans le cœur de son enfant, une volonté cachée,
:
r'Id'une nature plus grave et plus intime. Mais Sylvanie
iismbrassa vivement son père en disant
— Mon bon père, vous me permettez de prendre
ioHes leçons de peinture de cette jeune personne? Elle
irmérite un si grand intérêt, que je l'aime déjà de tout
Dinion cœur!
M Puis elle s'éloigna, avec sa gouvernante, au mo-
9rtiient où l'on introduisait M. Desronest chez le comte
oie Plenoël.

II
UN BANQUIER PARISIEN.
Le comte de Plenoël, malgré sa préoccupation un
9ieu triste, eût quelque peine à retenir le sourire mo-
uiueur qui vint effleurer ses lèvres, lorsqu'entra, avec
portance, le millionnaire démocrate et vaniteux
loOesronest. C'était un petit homme, gros, court et mal
lisait Ses yeux étaient fins, leurs regards scrutateurs et
émisés;
olonnaientmais de grosses lèvres rouges et un nez épaté
de la bonhommie à ce visage coloré, comme
noielui d'un homme qui, après avoir finement travaillé à
ses intérêts, ne connaît pasde plus grand plaisir qu
de s'asseoir àune bonne.tableetd'y rester lonetem
Ce fut avec l'emphase accoutumée, augmentee d'u3

tation

:
nuance de fierté, qu'il dit, en s'inclinant avec affel
Monsieur le comte, j'ai l'honneur de vous salue
1

Le comte rendit le salut avec son élégance Bim


et naturelle. Il était d'une taille élevé et mince, do
tous les mouvements avaient de la grâce et de J
dignité.
Le banquier sentait cette dignité sans la c»mjwe
a
dre. Il releva la tête, regarda le comte et s'exprii
avec un peu de timidité, malgré ses efforts pour lasi
monter.
:
e!j
pliquer..
Une affaire importante m'amène ce matin

n'empêchera pas que nous ne nous revoyions à
heures; au contraire! nous n'en serons que plus
a
e
pressés à nous retrouver. Mais ilfallait d'abord m'e

— Prenez donc ce siège, dit lecomte sansempriJ


sement, et voyons de quoi il peut êtrequestion
- ea
nous. -
Une nuance de hauteur n'échappa point aux regarj
de Desronest, dans la manière dont le comte avait
noncé ces derniers mots; mais le banquier n'av
p
aucun intérêt à laisser voir qu'ill'apercevait. Il se rl
dressa donc encore, s'étala contre le dos du grand faj
teuil, qu'il remplissait toutentier, écarta ses grosses
courtes jambes, de façon àoccuper par sa persoan*
plus large place possible, et reprit avec une apparei
naïveté
v
-

— J'irai droit au fait, -monsieur le comte. Moi,


le savez, je suis un bonhomme, unbon bourgeois
passe pour très-riche.
Il eut yu sourired'épanouissement etTegardaM.
<

Ple~noel, comme s'il attendait quelques réflexions i


~in fait aussi important; mais le comte ne dit mot, et
~près un moment de silence, Desronest reprit:
—Très-riche. très-riche. Ce qu'il y a de vrai, c'est
~ue je suis retiré de toute affaire, ou peut s'en faut,
~lue ma fortune est solide, claire, nette, et que
je n'ai
llÙln fils unique. un joli garçon de vingt-cinq ans.
Eh bien?
Il attendit encore quelques paroles du comte mais
~celui-ci :
ne bougea pas. Même, en y regardant bien, on
:
~aurait pu lui trouver un certain air distrait et indiffé-
ent qui semblait dire « Qu'est-ce que cela me fait?»
Desronest ne se découragea pas; il donna quelque
~chose de malicieux à sa bonhommie et ajouta :
~fille.
-
Vous, monsieur le comte, vous n'avez qu'une
:
Lecomte, sans bouger, dit d'un air indifférent
— Une fille qui n'aura pas une très-grande fortune:
~les révolutions successives y ont mis bon ordre.
Le visage de Desronest s'épanouit et un gros rire
précéda ces paroles
—C'est cela
:
! l'un apporte un peu plus d'argent;
autre une parenté plus illustre, des titres, une vieille
noblesse ! la vôtre est des plus anciennes, monsieur le
~compte.
* Ici lecomte se retourna enfin du côté de Desronest,
~et le regardant avec un sourire railleur, il dit:

— Est-ce que vous comptez cela pour quelque chose ?


— Après l'argent, répondit le banquier, c'est ce qu'il
a de mieux, et je m'étonne de votre air moqueur;
car. entre nous, et sans vouloir vous fâcher, vous êtes
~lier. très-fier.
—Oui, reprit
le comte lentement, avec gravité et
il
noblesse, oui, jesuisfier demes aïeux, car en estqui
figurent glorieusement dans les annales de notre his-
toire, comme ayant défendu la France au péril de leur
vie, ou l'ayant servi par leur intelligence à l'intérieur,
iIII.
et tout ce qui contribue à rendre notre pays y
et éclairé entre toutesles natLns, a droit à np
mages. Je ne pense pas, moi, qu'on doiveanég
passé en l'honneur du présent, et je me crois
triote, en admettant et en honorant ainsi tous
vices rendus, qu'en niant une seule des
ï
dyâ
ont illustré la France! Mais il faut qu'il y aî~B
— C'est aussi mon avis, reprit Desl'onèst
de nouveau toute sa personne,eomprendre
tractée, pour bien écouter et
ce
qui s'était unna
M. de Plenoël.—Oui, c'est mon avis, mo
comte, et j'ai mes raisons pour cela; car, moi,
j'ai servi le pays, Dieu merci!
Ce fut le tour du comte d'appeler toute son_ath
tion, pour comprendre les paroles de son intérim detl
dont le visage semblait gonflé d'orgueil et
— Car. vous saurez, monsieur le q
comte,
pris part aux différents emprunts qu'a faits 1iIIR
nement. Eh bien! c'était à la guerre que vos
servaient l'Etat? 4
— Ils s'y ruinaient quelquefois et sou««
faisaient tuer, répondit M. de Plenoël.
— Moi? c'est dans la finance que je servaûfl
et je m'y suis enrichi.
Rienne peut donner l'idée de la jubilation rai
fierté
tait en ce moment, avec un gros rire, sur
:
du banquier. Il y ajouta une nuance de
sant
— Voilà toute la différence!
aristc*
peut avoir de finesse insolente, pour se
rire du comte en répondant
—Certainement! toute la différence estlà.
-4
Il faut connaître tout ce que le dédain figurai
:
Mais Desroriest ne fut point en reste de ddfla
gueilleux, et ce futavec le sentiment profond^^
:
pérîorité qu'il reprit
— Est-ce que par hasard vous voudriez que je me
fusse ruine, ou que j'eusse seulement mis du mien
dans les affaires publiques? On se serait joliment mo-
qué de moi! Oh! si je n'avais pas été sûr d'y doubler
mes fonds, est-ce que j'aurais jamais avancé un sou?
Allons donc! c'était bon pour les ci-devants defaire
la guerre à leurs dépens !
Elcette penséelui parutsijuste et si naturellequ'elle
augmentait visiblement la bonne opinion qu'il avait de
lui-même.
avaient,
Le comte soupira. Les paroles de l'homme d'affaires
à son insu, porté l'esprit de M. Plenoël dans

:
une région supérieure à ses intérêts personnels, et
d'une importance plus grande àses yeux car il resta
pensif, triste et distrait, au grand étonnement du ban-
quier, qui le regarda pendant quelques minutes avec
attention,
et ne put s'empêcherd'exprimer sa suprise
par cesmots
--Je :
A quoi pensez-vous donc?
pense, repartit le comte avec une distraction
risible, dont
xmmes et répondant plutôt à lui-même qu'à la question
;
le Desronest, je pense qu'il y eut de tout temps des
l'unique affaire était de s'enrichir mais
[ue ce n'est pas à ceux-là que l'on doit confier la puis-
! ;
ance, ni la défense de cette puissance.
t — Préjugés dit Desronet piqué préjugés de la no-
:
Desse! on ne peut trop honorer et recompenser ceux
lUi sont riches. Voyez l'Angleterre tous ceux qui gou-
vernent sont archi-millionnaires.
<— Mais ils ne regardent leurs millions que comme
pedes forces de leur pays, et viennent à son secours,
ujour des calamités, avec leur propre argent.
-
~mes
Chacun a ses principes, répondit Desronest avec
rence, Les miens sont qu'il ne faut faire que de
affaires avec le gouvernement, comme avec les
particuliers, et que plus on a d'argent, plus on est heu-
reux et estimé de tous. Mais, pour en revenir à ce qui
:
m'amène, est-ce que si je n'avais pas plus de deux
cent mille livres de rente, je pourrais vous dire «Mon-
sieur le comte, je vous demande mademoiselle Syl-
vanie, voire fille, en mariage pourmon fils Gustave?»
Le comte avait deviné ce qui amenait le banquier, et
il éprouva pourtant une espèce de souffrance à ces
mots. Il cacha cette mauvaise impression sous un sou-
rire, en disant:

C'est si beau, deux cent mille livres de rente,
qu'il est impossible, après une telle dé laration, que
j ose parler de la modeste dot de ma fil e. Moi, j'ai à
peino quinze mille francs de revenus, que je partagerai
avec elle en la mariant.
Il fut interrompu par une exclamation de Desronest,
:
qui disait
— Et vos terres en Espagne? votre marquisat?
Une expression moqueuse vint, malgré les efforts
à
du comte, se mêler sa réponse.
!
— Ah ! ah mes terres d'Espagne?
!mon marquisat?
Vous n'oubliez rien, monsieur Desronest mais cela ne
mérite pourtant guère votre attention, etsije ne lescomp-
tais pas dans mes revenus, c'est que cela ne m'a jamais
rien rapporté depuis 1823. Alors, j'avais fait la guerre
d'Espagne, et la munificence du roi Ferdinand m'of-
frit, pour prix de quelques services rendus, une pro-,
priété qui donne le titre de marquis. Si le gendre que
choisirai
je tenait à ce titre, il aurait parfaitement la
possibilité de le prendre, et je vois que vous ne l'i-
gnoriez pas. I
Alors le comte se mit à rire, en ajoutant:
—Mais, est-ce qu'un démocrate comme vous per- j
?
banquier.
mettrait à son fils de s'appeler monsieur le marquis
— Je m'appellerais monsieur le
baron, sans la révo-
lution de 1848, dit mystérieusement, en baissant la
voix, le
Le comte partit d'un éclat de rire qu'il lui fut im-
possible de réprimer.
Desronest n'en fut pas trop déconcerté; mais il re-
vint très-vite au positif. C'était le point où sa supério-
rité n'était pas constatée et où sa vanité pouvait s'étaler
sans rien craindre.
-Jù donnerais quatre-vingt mille livres de rente à
mon fils, en le mariant, dit-il, s'il était accepté pour
gendre par monsieur le comte.
Le comte redevint soucieux et répondit lentement:
—C'est une grande affaire que le mariage! Le bon-
heur de toute la vie en dépend.
Mais Desronest, plus joyeux et plus vain que ja-
mais, reprit:
— Le bonheur? il serait assuré pour nos enfants.
Plus de quatre-vingt mille francs de rente en entrant
en
en ménage,
Diable!.
et
ménagc, et peut-être deux fois plus ensuite!.
n'étaient pas heureux, ils seraient exi-
geants. ObLoo je n'ai pas eu tant de chance, moi !.
Il m'a fallu
car c'est à moi que je dois ma fortune
-
me marier pauvre, a vingt-deux ans, avec une femme
demon âge,quidevaitêtre riche, c'est vrai elle avait
;
de bellesespérances —mais les diablesde parents m'ont
lait attendre longtemps l'héritage. J'ai travaille, j'ai
fait des spéculations, des affaires de tout genre, avant

!
de m'occuper exclusivement de la banque. Enfin, la
fortune est venue Heureusement que je suis encore
jeune. Quarante-neuf ans, c'est la force de l'âge. On
peut encore jouir de la vie, s'amuser.
Il y avait une grande jubilation, ornée d'unenuance
de fatuité, dans il manière dont le banquier disait ces
paroles, tout en se frottant les mains. Il ajouta plus sé-
rieusement:
— Mais soyez tranquille, monsieur le comte, je ne
mangerai pas mon bien.
— Oh ! je le crois, répondit celui-ci.
Desronest continua:
—Ma femme ne
d'une économie !. nous ruinera pas non plus; elle est
Je lui donne si peu, que vous seriez
;
étonné de ce qu'elle trouve encore là-dessus le moyen
de donner à ses pauvres. Elle vit retirée c'est une vieille
femme, elle!
— Vous disiez tout à l'heure que vous étiez du même
âge, ne put s'empêcher de répondre M. de Plenoél.
Desronest reprit en riant :
—Nous sommes nés, il est vrai, dans la même année,
mais c'est bien différent, un homme !. Moi, d'ailleurs,
je suis fait pour le plaisir et la vie joyeuse; je suis en-
core un jeune homme, moi, tandis que ma femme se-
rait souverainement ridicule, si elle pensait encore au
plaisir et cherchait à plaire à son âge. C'est une vieille
femme!
Le comte sourit malignement, malgré la tristesse
qui semblait assombrir son visage par moments. On
voyait qu'une pensée pénible lui ôtait cette gaieté rail-
leuse, qu'en toute occasion le banquier faisait naître en
lui. Evidemment il souffrait, et il dit d'un air qui de-
vait terminer la visite
Monsieur
:
Desronest, je répondrai à la de-
— ne pas
mande que vous me faites de la main de ma fille sans la
consulter; c'est elle qui décidera.
Le banquier se leva de son siège, tout radieux, en
disant:
Alors je regarde l'affaire comme faite, car ils s'ai-

ment. - ré-
pondit:
Le comte fit un mouvement auquel Desronest
—Cela ne devrait pas tant vous étonner !.Oui,
Gustave est un joli homme, qui a des moyens, et que
qui n'a pas besoin de travailler. Il a voyagé ;
j'ai fait élever comme quelqu'un qui doit être riche et
il est
resté un an en Italie, et c'est au retour de Rome qu'il
; ;
alla en Bretagne. Je l'envoyai dans la propriété queje
venais d'acheter près de votre château il y a passé
trois mois il n'en faut pas tant pour qu'une inclina-
tion mutuelle. Oh! nous pouvons faire le mariage
tout de suite.
— Est-ce pour ne pas laisser le temps de la ré-
flexion que vous êtes si pressé, répondit le comte avec
un mécontentement visible?
— Monsieur le comte est moqueur,
;!
dit Desronest
saluant. Moi, je n'y entends pas malice je suis un bon
homme, voilà tout! un bon bourgeois
en

Mais la naïveté innocente qu'affectait le bonhomme

même

:
ne convainquit pas M. de Plenoël, qui disait en lui-
Il est fin, rusé, et il avait envoyé là son fils pour
en faire un marquis !
Au milieu de ses réflexions, il reconduisaitDesronest,
qu'il avait hâte d'éloigner.
Il le croyait parti et se dirigeait vers la chambre de
sa fille, quand le banquier se rapprocha mystérieuse-
ment, avec une figure de circonstance qui paraissait
avoir un secret à dévoiler.
— J'oubliais, dit-il.
Le comte s'arrêta, et fut frappé de l'air embarrassé
et confidentiel de Desronest, qui commença ainsi pres-
que à voix basse :
—Au point où nous en sommes, vous me pardon-
nerez de m'occuper d'une chose qui vous est toute per-
sonnelle; on dit. mais c'est peut-être une calomnie.
vous m'étonnez!
—Une calomnie contre moi! répondit le comte;

;
Je ne suis pas aux affaires publiques;
je n'ai fait ni grandes actions, ni beaux ouvrages
?
Desronest continua
Vous
:
pourquoi me colomnierait-on

pouvez certainement avoir des envieux,



monsieur le comte !. Au reste, ce qu'on dit n'est pas
-
de neiire à êter quelque chose à la réputation d'un
homme d'honneur,
Parlez
--- ER done!
— bien ! ajouta Desronest, il y a une chose dont
on parle. Ce jeune homme qui vit dans votre maison,
qui appelle votre fille ma sœur.,
- EtlUWO ? demanda le comte.
-
sion
sur
Lui-même, répondit Desronest avec une expres-
lemalicieuse qui ne fit pas la moindre impression
comte. —Emilieu, comme vous dites, sans nom
de famille, sans parents connus, et que l'on SUppOi.
avoir des droits particuliers à votre affection.
— Et par suite dans ma fortune? reprit le co.mta
comte
avec une nuance de fierté; rassurez-vous, monsieur
Desronest, Emilien ne m'est rien, et n'a pas besoin.
:
-Il s'arrêta, puis reprit
Si je voulais distraire la moindre chose de ma
fortune en sa faveur, il refuserait. Sadélicatesse ne le
laisaerait pas accepter, n'eût-il rien au monde 1

Le dédaigneux sourire du millionnaire était tout à


:
fait curieux lorsqu'il dit
—C'est un original; j'ai vu cela tout de suite!.
Un poëte. un écrivain.
— Le voici, je vous eu avertis, dit le comte.
En effet, Emilien était àla porte, laissée entr'ou-
verte par Desronest. C'était un grandjeune homme aUlij
cheveux châtains, à la figure mélancolique, dont la
tournure était aussi distinguée que satoilette était at-s
deste.On voyait que c'était un homme de mérite, mais
qu'il était pauvre.
—Vous parliez demoi ? dit-ild'une voix sonore et
douce. Mais une légère teinte d'ironie perçait dans ces
paroles. Le sourire de M. le comte et votre em-
barras m'inquiéteraient, si je ne savais que vous vous
piques d'être le meilleur des millionnaires.
Desronest eût cru se commettre en parlant à u.
homme comme Emilien. Ce fut donc iau comte qu'il

— Ça
à
s'adressa en disant mi-voix:
n'a pas le sou et ça se moque d'un homme
richel
Emilien devina plutôt qu'il n'entendit cette phrase,
et ce fut en riant qu'il ajouta:
—Moi, je n'ai pas autant de respect pour l'argent
que certaines personnes, et pour cause
Desronest haussa les épaules,
! mépris visible
pour avec un
l'homme qui osait avouer devant lui son peu d'es-
pe pour l'argent. Il trouva qu'un tel insensé ne raé-r
itime
riuit seulement pas qu'il lui adressât la parole; car il
tourna vers M. de Plenoël, le salua avec respect, et
vit
sur l'air le plus moqueur qu'il fût possible de placer
I -: son gros visage, pour dire :
Je ne réponds pas aux plaisanteries de M. Emi-
lien c'est son métier à lui d'avoir de l'esprit, un
écrivain, un homme qui fait des vers! Il doit en avoir
i à
revendre ! Mais j'ai peur que cette marchandise-là ne
oit pas maintenant un taux bien élevé!J'aime mieux
nos actions de la banque.
[ Un gros rire de béatitude épanouit hors de toute
proportion la figure du banquier, par la double sa-
lisfaction qu'il éprouvait d'être en même temps pos-
sesseur de sommes considérables, et capable de faire
une bonne plaisanterie pour humilier, pensait-il, quel
qu'un qui n avait rien.
Il sortiten riant.
Emilien le regardait avec un dédain mêlé de pitié.
Il croitqu'à l'argent, cet insolent parve.
— ne
Il ne put achever son mot, le comte l'interrompit en
disant :
— Arrêtez, Emilien! vous regretteriez vos paroles,
[uand vous sauriez que M. Desronestpeut s'allierà
sa famille.
Le regard attentif du comte semblait, ence moment,
vouloir percer jusqu'au fond de l'âme du jeune homme,
qui fit un effort pour retenir tout signe extérieur pou-

nuant à l'examiner :
vant manifester sa pensée. Le comte ajouta en conti-

— Il vient demander, pour son fils, la main de Syl-


vanie.
:
Emilien resta immobile, mais il était d'une pâleur
excessive en répondant
— L'argent a plus
;
de prix que je ne croyais.
Le comte n'ajouta rien ilsrestèrent tous deux silen-
cieux et pensifs.
:
Sylvanie entra elle était belle comme la jeunesse
et le bonheur! quoique rien ne fût plus simple que sa
toillette. Une robe de mousseline blanche et une rose
!
dans ses cheveux, voilà tout Mais une taille élégante,
un charmant visage, si frais qu'on y voyait qu'elle n'a-

! ;
vait jamais pleuré; et, dans ce moment, cette belle fi-
gure resplendissait d'une impression divine car elle
venait de faire une noble action Quoique rien ne lui
parût plus naturel que d'être généreuse, bonne, et
d'oublier ses plaisirs pour ceux des autres, il yavait une
si grande joie dans sa pensée à l'image d'une joie pro-
curée à une autre, que son expression était céleste,
lorsqu'elle dit en souriant :
—Me voilà encore réduite à mes moyens de province, a1
pour plaire à Paris, mon père?
— Mais ta chambre, répondit-il, est ornée d'un petit.
tableau, et la jeune artiste peut se parer des bijoux des
nière?
sa
;
Sylvanie rougit légèrement en se voyant dévinée
mais elle n'entra dans aucune explication car elle ve-
;
nait d'apercevoir Emilien, et dans sa be le âme, les
bien qu'elle faisait était un mystère qui se voilait. Ilyas
des sentiments d'un ordre si pur qu'ils semblent êtres
comme ces parfums délicats qui perdraient ce qu'ilse
ont de meilleur, s'ils n'étaient pas renfermés.
Pour empêcher le comte d'instruire Emilien de ce
ui s'était passé, Sylvanie s'approcha du jeune homme
t attira son attenlion sur sa toilette.
—Voyez, Emilien, c'est ma parure de la campagne,
elle que vous aimiez le mieux.
Emilien la regarda et ne dit rien.
—Votre silence est inquiétant!ajouta-t-elle, Vous
ensez peut-être que ce n'est pas assez bien pour Pa-
~is, et vous m'effrayez sur moi!.
Elle s'était approchée souriante d'Emilien, elle re-
~ula; il était d'une pâleur mortelle.
— Ah
!
! s'écria la jeune fille, c'est sur vous que je
ois m'effreyer Ciel! vous souffrez?. qu'avez-vous?
Il ne répondit pas.
! ?
— Pas de réponse et quelle tristesse sur votre pâle
gure ditSylvanie.
Puis se tournant vers son père
Qu'a-t-il donc?
:
demanda-t-elle anxiété.
— avec
Mais le comte garda le silence comme Emilien.
Sylvanie s'approcha vivement du jeune homme et lui
rit la main avec tendresse, en lui disant:
— Mon frère !

— Je ne suis pas votre frère, dit froidement Emi-


en, en laissant retomber sa main qu'elle quittait.
La jeune fille, glacée, prit, comme les deux autres,
ne immobilité pleine de tristesse, et resta pensive à
es regarder; mais elle rompit le silence la première, et
:
-
lit avec trouble et affection
ne dansEmilien, mon ami, avez-vous donc laissé votre
nos solitudes de la Bretagne, que vous res-
ez insensible à
mes paroles d'amitié, et que vous osez
reque vous n'êtes pas mon frère?.. Est-ce que vous
z ez perdu la mémoire? Qui donc était à vos côtés dès
enfance? Car nous sommes presque du même âge;
!.
i déjà dix-huit ans, et vous n'en avez pas encore vingt
un Toute petite, nous nous aimions, nous cou-
rions ensemblesur les rochers, sur la grève, partout
et plus tard, quand vos éludes vous éloignaient,
vacances étaient aussi joyeuses pour moi que la
vous!,.. Nous avons grandi ensemble; les liens d'a
fection valent au moins lesautres! Cette confiance
tous les instants, cettecommunication de toutes
pensées, est-ce que cela eût dû changer? Et pourtan
je me suis aperçue que, depuis une année à peu près
vous n'étiez plus le même. Un mystère de chag
à
vous a glacélecœur mon égard. Oh ! dites-moi et

parlez!.
la vérité. A quoi avez-vous perduvotre gaieté
douce? votre esprit si actif, toujours anime
nouvelles? votre âme si affectueuse pour
parlez,

:
d"
moi?
Et n'obtenant pas de réponse, elle entraîna son pj|
près d'Emilien, en ajoutant d'un ton suppliant
Dites-lui donc de confier secrets
— nous tous ses
Mais le comte, inquietet incertain, ne seconda
les efforts de sa fille. <

— Monenfant, dit-il, il faut attendre les confiden


et non les forcer. Plus tard, sans AoM, nous appr
drons ce que renferme ce cœur si longtemps ouv
pournous? Maintenant, laissons-le libre; viensav
moi dansmoncabinet, j'ai à te parler.
Et M. de Plenoël emmena sa fille, dont le re
s'attachait encore sur Emilien, quiresta impassible
j
nom
la même place, longtemps après qu'ils eurent quitté
salon.
Enfin a se leva au bruit de la porte et au

—MonsieurGustave Desronest.
noncé par un domestique, annonçant:
Le mouvement que réprima Emilien ne fut
à
aperçu de celui qui entrait, et quivint luigaiem
en disant :
Je suis bien de vous, mon aj
;
— aise causer avec
comte m'intimide, il est railleur et fin; c'est lIIl
homme qui ne se trompe sur rien.
— Vous croyez? dit Emilien inquiet.
— Et qui ne trompe personne, ajouta Gustave.
Gustave Desronest était un homme de vingt-cinq ans,
en fait,d'une taille moyenne, d'une figureaimable.Ses
neveux noirs, sesyeux tres-vifs et tousses mouvements
pides contrastaient avec la haute taille, l'air calme et
douceur mélancolique d'Emilien. Ils s'étaient connus
la campagne, dans ce séjour de trois mois qu'avait fait
ustave, l'été précédent, prèsdu château de Plenoël.Ils
fussent aimes sincèrement, si une reserve craintive
eût, dès le premier jour, de la part d'Emilien, re-
~poussé les avances de Gustave, et s'il n'eût fait tous
ÎS efforts pour l'éviter. Gustave, l'ayant trouvé ainsi,
ÏS le moment ou ils se virent, crut à une disposition
~aturelle de défiance dans son caractère, et se flatta
la détruire à force d'amitié; mais il avançait peu
~anslecoeurd'Emilien. Cependant, ils s'étaient ren-
~entres bien plus souvent qu'il ne faut à des jeunes
~ens, pour être ce qu'onappelleamis.
Aussi Gustave répeta ce mot d'ami avec autant d'af-
fection que le permettait son caractère léger et insou-
ant, et il ajouta:
— Si vous voulez vous tromper, sur l'état de
e cœur, je vous avertis que c'est peine perdue!
o s êtes amoureux, et c'est sans doute de la jolie
ame avec laquelle je vous ai rencontré, un soir, sur
boulevard ?
Emilien ne répondit pas à Gustave, mais ses lèvres
murmurèrent involontairement ces mots
— Qu'il le croie!.
:
— Quand je dis jolie? reprit Gustave en riant, c'est
ne je le suppose, d'après le bon goût que je vous
connais, car je n'ai pas vu sa figure; un voile, la nuit
~ombante. Je n'ai vu qu'une petite taille ravissante!
!
Ah mon sage ami. Ne !
niez pas je devine vous
l'inflâ
!
qu'elle vous inspire.
naissez
Combien y a-t-il que
?
où en êtes-vous
L'étourdi français se manifestait tout entier dans
Jj

— ne veux pas, il ne pas que


:
paroles de Gustave. La conscience d'Emilien se n
volta à l'idée de laisser calomnier une femme, et
put s'empêcher de répondre sérieusement
Je faut votre
tion aille trop loin. Peu de minutes avant quevous
il
-]
imaflM
rencontriez, je n'avais jamaisvu cette jeune dame j
elle m'était complétement inconnue. Je marchais de
rière elle, lorsqu'un homme, déjà vieux, à ce qu'il m'
semblé, se mit à la poursuivre, à lui parler et à vouloi
s'emparer de son bras. Son embarras et son mécoi
tentement me frappèrent. Pour essayer dela protégei
jem'approchai d'elle et lasaluai, comme si elle m'av
importa
été connue. Elle me comprit, en voyant son
s'éloigner précipitamment; je l'accompagnai jllSœj
chez elle, à deux pas du boulevard des Italiens, et
jevous raconte cela, monsieur Gustave, c'est que
crois que vous pourriez être utile à une personne
.jq
paraît être fort intéressante. »
—Comment cela? dit Gustave d'un ton légèrem
moqueur.
—Vous vivez, reprit Emilien, sans faire de réflexi
sur l'air railleur de Gustave, vous vivez au milieu t
gens très-riches, et cette jeune demoiselle veut uti
ser son beau talent pour la peinture acquis en liait

Et
:
Gustave fit un vif mouvement, parut troublé et d
avec émotion
vous la nommez?
— Métella.
— Mademoiselle

r
Gustave respira, comme soulagé, et pour cacher 1
qui lui restait du trouble dont il n'avait pas été maître
ilse mit à rire, en répétant avec ironie:
— Mademoiselle Métella,. Oh! le nom est
on

dont

chose

une

a
y
il parle..
Desronet,

ajouta

!
bien

Eh
esque ! votre rencontre l'est aussi, et votre imagina-
~on a déjà poétisé, j'en suis sûr, la belle inconnue du
-dégrade,
boulevard.
L'imagination
ÍÍ
idéalise vaut mieux que celle
qui
répondit sérieusement Emilien.
— Celle-ci est plus vraie, reprit Gustave railleur !
convenez que cette femme, qui vit seule, qui se laisse

-conduire, qui vous reçoit. Tout cela est-il bienres-


?
pectable
vers, Pourquoi non? dit vivement Emilien. Mon Dieu,
mépris qu'on jette, de notre temps, à tort et à tra-
sur tout le monde, tombe souvent sur des vertus
des talents. On ne sait plus rien admirer, rien ho-
lorer
et
;
et rien aimer en France c'est là notre plus grand
malheur !avait quelque chose de si
Il y grave et de si triste
;
ans le son de la voix d'Emilien, en prononçant ces
aroles, que Gustave en fut frappé et comme toutes
~es impressions étaient subites dans sa nature vive et

tion très-affectueuse dans sa réponse


—Vous souffrez, Emilien, je le sens
: !.
réfléchie, il en fut touché. Aussi y avait-il une émo-
Vous avez
!
quelque peineque vous dissimulez depuis longtemps
Oh
je ne suis pas aussi étourdi et indifférent que je
!.
voudrais le paraître
Et
!
Gustave soupira en ajoutant:
;

— Qui n'a pas, au fond de l'âme, un plaie cachée à


laquelle on ne peut toucher sans douleur ?
;:
Emilien le regarda avec surprise; mais déjà lenuage
s'était dissipé le visage de Gustave était joyeux, et il
isait gaiement
- !
Eh bien Emilien, ma protection est toute acquise
votre protégée. Il faudra me conduire chez elle, et
lui achèterai un tableau. Et, j'y pense, pourquoi ne
je

~t-elle pas les portraits de circonstance, quand je


me marierai
père.
? ce qui ne tardera pas, à ce que dit ~moiyi

Et éclata de rire; mais il fut distrait de sa plaisan-


il
terie par l'arrivée de M. de Plenoël, qui le salua assez
froidement.
Gustave insista près d'Emilien pour qu'il accompa-
gnât le comte et sa fille chez lui, où il était invité àÉ
diner; mais il refusa absolument, et ce fut même sans
prendre la main que le jeune homme lui tendait,
qu'Emilien sortit de la chambre.
On se rendit chez M. et madame Desronest, où les
dîner eût été assez triste, sans la bonne humeur de la
sœur du banquier. Elle se fit annoncer pompensement
madame la comtesse de Mérou, et, riant de tout son
cœur, entra en disant:
— Est-ce que je serais exacte? je me serais donc
trompée d'heure?
Sylvanie était rêveuse; le comte avait bien de la
peine à n'être pas railleur. Heureusement, le banquier i
parlait haut, madame Mérou parlait gaiement, et le
dîner était bon.
Le soir, en revenant, le silence régna entre le comte i
de Plenoël etsa fille. Chacun savait bien à quoi l'autre
pensait; ils n'avaient pas besoin de se parler pour :
s'entendre.
Lorsqu'ils se quittèrent pour rentrer dans leurs ap-
partements, Sylvanie tendit à son père son front, sou-
;
cieux pour la première fois de sa vie et comme le
comte, après y avoir déposé un baiser, semblait atten-
dre une réponse, car il avait dit:
— Eh bien mon enfant ?
Sylvanie lui répondit seulement:
Eh bien! mon père, si vous le voulez, nous irons

demain dans la matinée, visiter l'atelierde notrejeune
artiste. Elle demeure sur le boulevard des Italiens et se
nomme mademoiselle Métella.
- Le comte ne fit qu'un signe d'assentiment pour ré-
i»nse.
rojetJe vais donc, répéta Sylvanie, faire part de notre
à mademoiselle de Béville, qui sera ravie de
otreintérêt pour sa protégée.
Et Sylvanie rentra dans sa chambre, sans avoir dit
hseul mot sur la demande de mariage, dont son père
bi
avait parlé, et à laquelle elle n'avait rien répondu le
hatin.
III
MÉTELL.A.

Mademoiselle de Béville, l'institutrice de Sylvanie,


ait restée seule pendant le dîner que le comte et sa
douleur
le faisaient chez le banquier. Emilien, qui vivait
puis son enfance dans la maison, n'y était pas resté
) jour-là. Il avait été promener au loin l'agitation et
:
de son âme. Il y avaitquelque chose de mys-
;
érieux dans sa destinée jamais aucun parent ne l'a-
lit cherché il ne connaissait que M. de Plenoël et
jrmée
amis peu nombreux; aucune relation ne s'était
ce
s, était là tout entière ;
pour lui, autre que celle du comte. Son exi-
mais, depuis quelque

; le charme infini qu'il y avait toujours trouvé


;
Ejt troublé par de vagues inquiétudes. Il ne possé-
Rjien
ère il ne faisait rien il avait bien le désir d'une

ie littéraire; de jolis vers, des nouvelles, où une

t philosophique présentait des aperçus sérieux


vrais, avaient manifesté un talent réel; mais, à
gt ans, l'esprit qu'on a n'est qu'une espérance, et
se passer encore vingt autres années avant que
fejaapérance ait réalisé une gloire qui se traduise
sition
:
brillante et en fortuneassurée.
On est pressé dans la jeunesse un vague instinct
vous avertit de vous dépêcher d'être heureux. On a les
pressentiment que le bonheur n'est complet qu'à cettee
époque où nul regret ne se lit sur les pages encores
blanches du livre de la vie, et ne vient attrister lese
jours de joie.
Emilien avait eu, dès l'âge de dix-huit ans, cette im--
patience d'arriver à une renommée ou à une position
brillante. Les circonstances ne le lui avaient pas per-
mis. Bien qu'il fût venu à Paris et qu'il s'y fût mêlé au
monde littéraire d'un ordre élevé, les bruits du mondes
politique et du monde littéraire inférieurs étaient tropq
puissants alors pour permettre aux voix calmes, douces
et nobles de se faire écouter.
Il fallait attendre.
Mais Emilien, plus impatient qu'un autre, s'était dé--
couragé plus vite. Il ne voyait pas de possibilité pour,
lui d'atteindre le but où il avait placé son bonheur,
personnel, et il avait vu le but où il plaçait le bonheur
de l'humanité échapper aussi à ses vœux. Il était de
ces esprits rêveurs et généreux qui ne peuvent sup--
porter le malheur chez les autres, et qui ont besoin
d'aider au bien de leurs semblables pour se croire le
droit d'être heureux. Il y avait donc au cœur du jeune
homme une mélancolie profonde sans nulle aigreur. Il
cherchait la solitude et s'y plaisait; il lisait beaucoup
et il étudiait consciencieusement; mais l'étude qui l'in- -
téressait au-dessus de toute autre, c'était celle de l'âme
blessée par quelque souffrance. Quand il rencontrait I
un malheureux à consoler, c'était une douceur infinie €
pour son cœur, et il trouvait de grands enseignements i
dans des confidences sincères. Tout profite en effet
a
aux âmes studieuses; il y leçon partout.
Emilien avait passé la dernière année qui venait 1
de s'écouler au château de Plenoël, jouissant du bon- -
heur présent avec une certaine tristesse, sentant bien i
qu'il ne pouvait durer, mais laissant aux événements 1
le soin d'arranger l'avenir, puisque sa volonté n'avait
pas pu réussir à le changer.
Tout ce que le comte avait dit à Emilien de ses pa-
rents, c'est qu'ils étaient morts très-jeunes, et que
son père lui avait remis, en mourant, une somme qui
lui donnait deux mille francs par an jusqu'à la majo-
rité de son fils, époque où il faudrait qu'il pût être en
état de vivre d'une carrière choisie par lui.
Le moment approchait où Emilien sentait qu'il n'au-
rait aucune ressource que son travail, lorsqu'il fut dé-
cidé que l'on viendrait à Paris; mais quoique le jeune
homme pensât que le soin d'assurer son avenir n'était
pas étranger à la décision du comte, il fut au mo-
ment de se séparér de lui quand il fallut quitter le
château. Il avait fait en secret ses préparatifs pour un
départ sur un bateau pêcheur qui viendrait raser la
côte, et le mènerait à un bâtiment de commerce dont
la destination était les Indes. Son projet fut découvert
par mademoiselle de Béville, et comme sa situation,
à elle, était peu heureuse, elle comprenait si bien le
chagrin chez les autres, qu'elle devina tout et le dit
au comte. Il fit appeler Emilien.
— Mon enfant, lui dit-il avec tendresse, vous ne
vous appartenez pas encore. Vous n'avez plus, il est
vrai, que trois mois de ma tutelle; vous atteindrez alors
vos vingt et un ans; vous serez maître de votre des-

!
exécutés par moi, et par vous, jusqu'à ce moment il
est bien prochain Au nom de la tendresse sincère que
j'ai pour vous, au nom de la tendresse prévoyante
;
tinée ce jour-là; mais, en attendant, je suis le maître,
moi. Les ordres de votre père mourant doivent être

qu'eut mon ami, votre père, ne me quittez pas avant


ce moment. Restez, et promettez-moi de ne pas vous
éloigner sans me le dire, jusqu'à cette époque qui peut,
qui doit vous donner de nouveaux. devoirs à remplir.
Emilien resta et ne pensa plus à partir de trois mois.
Mais il souffrait, et il lui sembla qu'obéir au comte,
dans cette circonstance, était la plus grande preuve
d'affection qu'il pûtluidonner.Aussitoutes les fois
qu'il pouvait trouver la solitude était-il empressé d'en
profiter.
Ce jour-là donc, malgré les instances de mademoi-
selle de Béville, Emilien n'était pas rentré pour dîner
et Mignon, l'énorme perroquet, avait été la seule com-
;
pagnie de la vieille fille Dieu sait les morceaux de
sucre, macarons et friandises dontleVert-Vert avait
été gâté tout le temps du repas; car, profitant de sa
liberté, mademoiselle de Béville l'avait mis à table à
côté d'elle, et ce ne fut pas sans accompagnement
paroles affectueuses et confiantes que son favori par-
d
tagea les plaisirs d'un bon dîner. — Oh! mon pauvre
Mignon, disait mademoiselle de Béville, nous voilà
seuls, comme nous serons souvent dans l'avenir! Tu
n'as que moi, et je n'ai que toi à aimer, avec la certi-
tude de ne pas te perdre!
Et Mignon, bien appris, répondait
mademoiselle de Béville.
:- Mignon est à
C'était un sentiment imaginaire; mais qu'importe 1
tant qu'une illusion dure, c'est un plaisir réel.
Quand Sylvanie rentra, elle annonça à sa gouver
nante que le lendemain, vers deux heures, elle irait
avec son père, voir l'atelier de sa protégée, comme elle
;
le lui avait demandé. Les idées de mademoiselle de Bé-
ville prirent alors un autre cours elle pensa à la jeune
artiste, et se promit d'aller, le lendemain matin d
bonne heure, la prévenir de la visite qu'elle recevrait
afin qu'elle se trouvât chez elle, et qu'elle disposât se
ouvrages de la façon la plus favorable.
En effet, le lendemain, mademoiselle de Béville
immédiatement après le déjeuner, partit à pied de 1
rue de l'Université, et se rendit au boulevard des Ita
liens, n° 12. C'était une de ces hautes maisons si com-
lunes à Paris : celle-là dépassait les autres d'un étage
a mansarde, qui avait été disposé pour un atelier de
einture. Il fallait monter cent dix-sept marches pour
I arriver; mais la le jour, l'air et la vue avaient at-
int toute la perfection qu'ils peuvent avoir dans Pa-
b. Il y avait, en entrant, un tout petit appartement,
[posé avec goût et même avec une élégance ou l'on
yait bien que la richesse n'entrait pour rien, si on
filait regarder de près, mais qui étaient si agréables
s yeux, que le luxe n'aurait pas pu être d'un aspect
is charmant.
:
Lorsque la vieille fille entra, ce fut Françoise, la ser-
ite dévouée de la jeune fille, qui lui ouvrit Métella
ftt sortie.
Keelle-
de
~n devait rentrer avant peu, mademoi-
ThWillft resta pour l'attendre, et, après avoir
nouveau ses ouvrages, s'assit et prit un
I, pendant que Françoise alla vaquer aux soins du
nacre.
à
Ksite de Béville avait peine eu le temps de
qu'elle entendit ouvrir doucement la
pages,
te.na entra sans la voir. Elle était préoc-
Ejeta sur un siège en entrant, comme acca-
igue; lavieille fille fut émue del'air
craignant
fede la pauvre enfant; elle l'examina avec
pressante ; quelque nouveau chagrin pour cette
elle savait par elle-même tout ce
puleur dans une existence de femme que
Lelafortune ont déplacée.
fcpetite1, mignonne, et d'une figure char-
;
)
raits étaient d'une excessive délicatesse
SœPeliasriuses
Etès-noirs, eûtdéià
sourcils prononcés et son
otaient une intelligence ferme et une
Hfèj qui donnaient l'impulsion au reste ;
passé par le cœur de
soit que le travail eût dépàssé ses forces,
une fatigue de l'âme, ou du cœur, avait légèrement
creusé ses joues et cerné ses yeux. Déjà les frais con-
tours de la première jeunesse étaient altérés, et, danse
ce moment d'abattement, on lui eût donné dix années
de plus que ses vingt ans.
Elle avait une robe blanche et une mantille de taf-
fetas noir, qu'elle laissa tomber autour d'elle; elle dé-
tacha un petit chapeau de paille, orné de violettes, et,
appuyant son coude sur la table où elle venait de les
placer, elle reposa sa tête sur sa petite main, en
disant:
— Encore un jour de !
perdu
vailler, je suis trop fatiguée!
Je ne pourrai pas tra-
Mademoiselle de Béville s'approcha et retint la jeunes
fille, qui voulait se lever.
— Restez, reposez-vous, dit-elle en tirant un siége
à ses côtés, et confiez-moi tout. Car, vous savez que
je n'ignore pas ce que c'est que le chagrin, moi!
Métella lui prit la main et répondit:
— Je suis bien abattue et bien découragée ce ma-
tin! Il en est toujours ainsi les jours où je ne tra--
vaille pas. Ma peinture, c'est mon amie, ma consola-
tion, ma joie! Oh! si je pouvais peindre du matin auu
soir, sans avoir besoin de chercher à vivre de mon
travail, je serais heureuse ! Les nécessités de la vie me
tueront, ou, si ce n'est moi, ce sera mon talent quipé-
rira dans la lutte.
Il
— faut, chère enfant, que vous ayez eu aujourd'hui i
-
quelque peine nouvelle pour parler ainsi, dit affectueu-
sement l'institutrice,
Le cœur de la jeune fille était plein, il s'épancha par t
ces paroles
Oh
:
! ma bonne mademoiselle de Béville, imagi- -

nez ma fatigue! Je viens d'aller à pied à la rue des
Varenne. Je n'aime pas les voitures publiques;
vousregarde. et parfoismême oa vous parle; puis-
on
cetterobe blanche si simple a besoin d'être très-frai-
e; avec ce mantelet noir et ce petit chapeau qui va
ien, je pouvaisme présenter chez tout le monde, n'est-
pas?
Sans doute, répondit mademoiselle de Béville.

— Oh!je demande cela, reprit la jeune fille, parce
ue les domestiquesm'ont regardée avec dédain et avec
itié, quand je suis arrivée dans le vestibule de ce
rand hôtel, et que j'ai demandé madame la comtesse
l-
e Mérou.
! ne put s'empêcher de prononcer mademoi-
Ah
elle de Béville.
- C'est, reprit Métella, une femme excessivement
iche, qui vient d'acheter ce grand hôtel, et qui est oc-
upée à s'y installer magnifiquement. Quelqu'un m'a-
ait recommandée à elle, un médecin qui a jadis soigné
;
on pauvre père; je l'ai revu depuis mon retour et il
herche à me protéger c'est l'excellent docteur Saint-
erniain. Eh bien! madame de Mérou, sur sa recom-
ilandation, voulait me faire faire un portrait, et elle
vait indiqué l'heure où je devais me présenter chez
e. J'étaisexacte. et pendant que le valet de cham-
allait m'annoncer, j'admirais et j'enviais cette belle
bitation! Non point parce qu'elle est superbe et ma-
;
ifiquement meublée, mais c'est situé entre une
nde cour et un beau jardin aucun bruit de la rue
!
peut arriver. Oh qu'on travaillerait et qu'on rêve-
bien là!
Mademoiselle de Béville sourit.
Métella continua :
—Je doute que madame la comtesse de Méroutra-
kL; pourtant j'ai attendu là une heure un quart;
éÉtais toute découragée, et je sentais que ma timi-
allaitm'empècber de parler; enfin, cette belle dame
elle n'était ni jeune, ni jolie.
- C'est dommage, ditmademoiselle de Béville, cet
rendmeilleur!
dl
Elle en aurait besoin, alors, reprit la jeune artiste

car elle m'a reçue si dédaigneusement, m'a regardée
la tête aux pieds d'un air si hautain, m'a interrogé
avec tant de distraction, comme ne se rappelant plu
qui j'étais et ce que je venais faire, que je ne savaitj
que dire; puis enfin, quand je lui ai rappelé que,
commandée par M. de Saint-Germain, je venais pour
r
un portrait.- « Ah! oui, murmura-t-elle du bout d
; ;
lèvres, c'est pour mon portrait. On dit que jedoisfair
faire mon portrait pour l'exposition c'est la mode; 01
m'a parlé de vous vous avez du talent, puis vous vien
driez chez moi. Je me souviens, c'est cela qui m'
tentée; je ne veux pas me déranger, et il faut allei
chez les autres peintres. Vous viendriez ici, vous
moins ennuyeux ;
vailleriez pendant que je recevrai mes visites, ce serai
car c'est très-ennuyeux de poser ! t
t
— La princesse ! dit mademoiselle de Beville e
haussant les épaules.
—Tout en parlant, madame de Mérou continuait ~soi
examen de ma personne, poursuivit Métella, et quand
elle m'eut bien regardée, elle dit dédaigneusement:—
Vous êtes trop jeune pour avoir déjà assez d
talent. »
—Ce qui voulait dire, interrompit l'institutrice: vou
êtes trop jolie pour être auprès d'une femme qui n
l'est plus.
— Puis, continua la jeune fille en souriant, elle pr#^
menait sur mon visage et sur ma toilette un regard
qui avait l'air de chercher si je ne faisais pasun maUj
vais usage de ma jeunesse. murmur
—Il faut qu'elle ait mal employé la sienne,
à l'écart mademoiselle de Béville. I
—Sa pensée était si claire, reprit Métella, que je ne
pus m'empêcher d'y répondre. —« Madame la comtesse,
~Iiai-je dit, je viens à pied de la Chaussée-d'Antin à
rue de Varennes, pour tâcher d'obtenir d'y retour-
er bien des fois pour un long travail, dont je ne de-
lande qu'un faible prix. »
— C'était lui tout dire, votre vertu et votre cou-
age.
- ;
Et ma pauvreté ! Aussi, je crus un instant qu'elle
sait touchee un peu d'intérêt passa dans l'expres-
on moins hautaine de son visage; mais seulement,
)mme une pensée importune qu'elle écarta bien vite,
~ur me répondre froidement. — « Laissez-moi votre
dresse, j'irai en passant par là, ou j'enverrai si je me
écide. »
- Elle ne se décidera pas, dit tristement mademoi-
elle de Béville. C'est une espérance à laquelle il faut
enoncer; mais j'apporte une réalité. Ce matin même,

! :
non élève, mademoiselle Sylvanie de Plenoël, va ve-
ir avec son père. Elle veut prendre des leçons vous
errez quelle charmante et bonne personne Le monde
e l'a pas encore gâtée. Puis, jolie, jolie, et il pourra
ien être question aussi de son portrait, à l'occasion
u mariage, car on parle de la marier !
Un gros soupir sortit du cœur de l'institutrice à
ette pensée; mais elle revint à Métella, en tirant de sa
oche une petite boîte
Voilà les
:
bijoux dont vouliez défaire.
— vous vous
Un éclair de joie illumina la figure de Métella; elle
uvrit la boîte, prit un bracelet qu'elle baisa religieu-
ement, en disant:
— Ma pauvre !
mère
Puis, une vague inquiétude commençait à troubler
a joie, quand mademoiselle de Beville la dissipa, en
joutant:
— Mademoiselle de Plenoël devine tout; elle a bien
compris que leçons et portraits ne donneraient que des
:
esssources éloignées, elle m'a dit — « Allez vite porter
le prix du petit tableau que je garde, afin de pourvo
au présent; car il faut avoir bien besoin d'argent poul
se défaire des souvenirs de la mère qu'on a perdue. o
La bonne institutrice était toute fière de son élèv
en offrant de sa part, à Métella, un joli petit portefeuil
vert, où
ver~, où l'aimable Sylvanie avait placé quelques-un
des de banque donnés par son père pour s
toilette.
Métella fut touchée de la bonté et de la grâcede cet

1
bonté. Tout son cœuralla vers Sylvanie comme ve
une amitié. Elle oubliait l'utilité du bienfait pour aj
sentir que la délicatesse. Dans sa joie expansive
tendre, comme la joie de la jeunesse, Métella~voul
parler à mademoiselle de Béville d'elle-même, de j
destinée d'institutrice, duchagrin qui suivrait une
velle installation dans un autre maison; mais laveil
fille se tut. Elle avait dans son existence précaire
dépendante appris à renfermer ses peines. Un serre
ment de main, un regard désolé, voilà tout ce ~qu'
obtint la gracieuse enfant, puis elles se séparèrent.
Restée seule, la jeuneartiste arrangea ses tableau
plaça tout à l'entour des fleurs, ce luxe de la jeunesse
qui embellit le bonheur lui-même; puis elle se mit
peindre. Une espérance donne tant de force, qu'elle
venait de retrouver les siennes, et s'il restait un p
de mélancolie dans son âme, on sentait que la résign
tion était à côté.
C'était le jour des bonnes nouvelles. Emilien arrive
peu après le départ de mademoiselle de léville, a
nonçant qu'un de ses amis viendrait plus tard avec~lu
visiter l'atelier de la jeune artiste. Cet ami avait, dit
séjourné en Italie, et désirait conserver le souvenir (
ce voyage, en achetant quelques vues de Rome, do
il lui avait parlé.
Métella peignait particulièrement et par goût des

petits tableaux de gènre, où des figures animaient


fsage,
ou l'architecture qui en faisait le fond. Mais,
me chez beaucoup des peintres modernes, debeaux
gracieux portraits complétaient un talent plein de
l'me. Des études nombreuses de paysages, prises
tour de Rome, et des études faites aussi d'après
lure, de ces belles têtes romaines, où la vie semble
spirer par tous les pores, remplissaient l'atelier, et
te variété attestait toute la puissance de l'habile
line fille, qui n'avait plus besoin que de bonheur pour
river à une réputation distinguée.
Emilien regardait tous les ouvrages de Métella, l'ai-
it à lesbien placer dans un bon jour. C'était l'intérêt
n frère tendre et soigneux, la sympathie pour ce
li était beau et bien. Voilà tout.
La façon dont ils s'étaient connus, la protection
le le jeune homme lui avait accordée, et la manière
inche et loyale dont il lui avait fait connaître sa situa-
Mi, établissaient entre eux de la familiarité, mais c'é-
itcelle qui eût pu exister entredeux hommes, ouentre
ux femmes, rien de plus.
Emilien vint s'asseoir près d'elle et dit:
— Je voudrais vous servir comme un ami, ciomme
i frère, pendant le peu de temps où je resterai à Pa-
s ; car, deux mois encore, et je serais libre. Alors, je
l'tirai pour l'Ialie. c'est le refuge de ceux qui ont
à
es souveuirs fuir. Un beau ciel, l'aspect des gran-
surs disparues, toutport'eàl'adoucissementdes peines
t à l'oubli de soi-même. Si je pouvais vous rendre quel-
e service avant mon départ, ce serait le seul souve-
r !
irque je voudrais conserver. Vous êtes jeune, char-
lairte et sans famille, que de dangers Je ne parle pas
fe ces attaques grossières dont je vous ai préservée ;
-
ais d'autres, plus faites pour plaire à votre cœur
sndre et aimant.
Mon cœur? interrompit vivement Métella.
soyez tranquille, il est invulnérable à présent.
- A present? reprit le jeune homme en la r§g|
dant

avec une
Oui, à !
attention qui fit rougir joue pAlien
présent répondit
sa
Métella avec tristessl
et il eût été à souhaiter ce cela fût toujours ainsi. ]
alors?
— Oh dit douloureusement Emilien, VDQS aimez
I
L'on vous aime,
Métella s'efforça de sourire en reprenant ainsi : :
— Comme
; vous devinez mal! Il faut donc que j
dise la vérité car je n'ai pas commencé à vous
mon cœur, sans avoir le projet de vous
ou
confier
passé, pour vous rassurer sur l'avenir. Oh! c'est u
confession sincère que je vais faire!. Helas, ajou
t-elle avec un soupir, malgré ses efforts pour donne
ses paroles quelque chose de gai etd'insouciant; héla
un sentiment toutpoétique,toutidéal.etmalheureux
Oui, monsieur, un sentiment malheureux lie ma pf
sée à un souvenir que je tâche vainement d'effaci
Ecoutez-moi, monsieur Emilien, vous saurez tout
que mon âme renferme. Il y a deux ans je vivai

Rome, occupée d'un travail qui charmait ma vie j
exaltait mon imagination. Dans ce beau pays, où le 1
lent faisait un homme plus grand que ne l'eût fait
puissance, et où la gloire est encore au-dessus de
richesse, le travail est une espérance qui renferr
tout. Il suffisait à mon bonheur.Quand j'avais pas
ma journée à copier quelque chef-d'œuvre, je me gr
menais le soir dans des ruines qui parlaient à mon âq
et je me retirais satisfaite pour trouver un paisif
sommeil. Ainsi la vie m'était douce et facile. Mais l'
poque des rudes épreuves approchait. Je pensais à m
:
retour en France, et les vieux monuments de
me plaisaient davantage c'étaient les amis des jou
heureux; j'avais peur de les quitter; il me semb
l'Ita

que je les regretterais un jour. Ce jourest bien x,


arrivé. Depuis six mois que je suis à Paris, j'ai
dix années de plus, quoique les femmes fassent exa
£
lient le contraire dans
ce pays-ci, ajouta la jeune
e, essayant de ne pas tomber dans la tristesse par le
it des peines de son cœur.
— Eh bien ! dit Emilien, vous ne m'avez encore rien
ir
, du sentiment qui le troubla.
ialeC'est, reprit Métella, que je voulais vous expli-
avant quelle disposition rêveuse et quelle vie
préparaient mon âme à là tendresse. Oh ! je sais
n qu'il ya des dangers à ne pas vivre dans le monde
poésie ;
1. Mais que voulez-vous? les gens riches ont le
e, les fêtes, les voyages, pour les pauvres
font unidéal dans le cœur. Pour moi la réalité était
!.
e vie de travail et de privations, mon bonheur était
Métella
5 mes rêvestut instant; puis, après soupir
se un un
ffé, elle continua avec une légère teinte d'embar-
-plus
i :
Enfin, vers la
seule
fin de mon séjour à Rome, je n'é-
s avec mes rêves dans mes promenades
soir. Un jeune homme dessinait à mes côtés; il
avait dit qu'il était peintre et pauvre comme moi ;
il n'avait nul parent, et qu'on le connaissait sous le
1 nom de Frédéric. Moi, je lui avais appris mon
1, quoique je n'aime pas à dire le nom de ma fa-
e,qui m'a repoussée et abandonnée dans les jours
heureux; mais j'avais toute confiance en Frédé-
son affection pour moi semblait vive et tendre,
s elle était timide, respectueuse et délicate, comme
fe d'un homme qui désire inspirer autant d'estime
d'amour. Je pensais donc qu'un jour j'unirais ma
3e retraite et de travail à la vie pauvre et laborieuse
si d'un honnête jeune homme qui m'aimait. Ce n'é-
pourtant pas une bien grande ambition et un bon-
r trop impossible que je rêvais?
- Ah !!vos vœux modestes et sages auraient dû
pexaucés ne put s'empêcher de dire Emilien.
!
— Tout me le faisait espérer, reprit Métella. Fréde-

moi:
ric appartenait au même pays, à la même ville qUI
il devait revenir à Paris à peu près à la même
époque que moi; nous parlions souvent de la granoi
ville et des grandes renommées qu'elle renferme, dit
artistes célèbres, des écrivains illustres! Nous ~lisioxc
leurs œuvres ensemble; nous parlions de la ~gloi:i,
comme d'une espérance qu'on peut mettre en commune
ainsi que le bonheur!. Quand je me rappelle tout
ses paroles dites d'un air si sincère, si confiant, m
!
songe
vrai j'éprouve une indicible souffrance; car tous as
projets charmants qui semblaient les élans de son cœuu
tout cet attachement si vif et si

!.
— Oh

!

Oui, mensonge Jamais


pur.
il
tout était

ce n'est pas possible, dit Emilien.


n'avait pensé
son sort au mien. jamais il n'avait fait ni projet o
à um
~mellt

travail, ni projet de mariage! Monsieur voulait ~seultl


ment un petit roman sentimental pour animer les ~pagrç
;
de son voyage d'Italie. Il n'était pas peintre, il n'étas
pas pauvre c'était le fils unique d'un riche banquie
Un soir, où nous avions erré dans les environs de Rom

:
nous y rencontrâmes une nombreuse société qui M
parcourait comme nous Frédéric, qui prétendait
connaître personne à Rome, voulut s'éloigner, mais
se vit entouré, et ce ne fut pas le nom de Frédéric qui
prononcèrent deux jeunes gens qui l'abordèrent. J'éta
à l'écart, et il me fut facile de me dérober à l'attentioi
et de me retirer seule ; mais, parmi cette réunion brii-
lante,j'avais aperçu la seule personne que je connus
à Rome, le directeur de l'Ecole française de peintu
—Le lendemain je sus le vrai nom de celui que j'a
mais, et vous devinerez mon trouble et ma douleur
quand j'appris que c'était le fils de cet oncle qui m'a
vait refusé de venir au lit de mort de mon père. C'était
mon cousin ! Mais nous n'avions jamais pu nous voir
~ar, avant ma naissance, les riches parents avaient
)mpu tous rapports avec les parents pauvres. — Mon
~om même lui était sans doute inconnu, et il n'avait
~u dans la jeune fille sans fortune et sans famille qu'un
~aprice à satisfaire. Il s'était dit artiste pour me don-
er l'espoir de lier mon sort à celui d'un égal; il s'était
it malheureux afin d'être aimé.
—Cela prouve qu'il vous estimait beaucoup, dit Emi-
en.
Métella sourit tristement en reprenant ainsi
Mais il eût voulu sans doute m'ôter
: droits
— mes à
~ette estime. se faire aimer avec cette espérance de
~mariage, pour m'abandonuer ensutc à des regrets
?.
~ternels Mon Dieu, n'est-ce pas trop de m'avoir
~aissé un souvenir pénible qui a désenchanté mon âme !
est vrai que ce chagrin a été pour moi un grand en-
~eignement, et qu'il a rendu, comme je le disais, mon
~œur invulnérable. mais j'ai pleuré, monsieur Emi-
en! Quand j'appris qui était Frédéric, ma résolution
~aire mes préparatifs de départ. Oh !
~t prise à l'instant. Je ne perdis pas une minute pour
je n'eus qu'un
etit retour vers le passé! Je voulus revoir une der-
~ière fois le lieu où nous nous retrouvions chaque
oir; je m'y rendis deux heures plus tôt. Je laissai
ne petite bague de lave qu'il m'avait donnée près du
~ombeau de Cécilia Métella, cette riche patricienne
~orte au milieu de toutes les splendeurs de la vie, et
me vint alors l'idée de prendre son nom pour ca-
her toutes les misères de la mienne. Je renonçai au
~om d'une famille qui m'avait été si douloureuse, au
om de baptême sous lequel j'avais été aimée et trom-
~ée.Je ne voulus plus être que Métella, inconnue,

!
ans parents sans passé !. Oh j'ai du courage et de
!

~a

~xister;
décision Je sais briser vivement ce qui ne doit plus
mais mon cœur saigne de la blessure. J'ai
~leuré malgré moi à en ternir à jamais sur mon pâle
calme. et je n'aime plus que l'art de la peinture Jej
l'aime pour lui-même, pour le plaisir de voir naître)
!
visage les fleurs de la jeunesse. Mais à présent je suise

!.
sous mes doigts un objet auquel je donne la vérité, lé;(
vie J'oublie, dans ce plaisir du travail, que mes ou-i
vrages peuvent me faire vivre célèbre, ou me laisser
mourir ignorée. Je ne vois que la joie de bien faire, et',
si je me fatigue et m'épuise parfois dans mes effortsG
j'en suis amplement récompensée quand je crois avoiii
réussi. C'est un amour aussi, mais celui-là n'a pas 8
craindre l'ingratitude.
Métella avait cessé de parler depuis quelques in-f
stants déjà, et Emilien ne répondait pas. Il était ab-c

— Est-il
:
sorbé par une pensée, et ce fut comme à lui-même qu ii
dit à mi-voix
possible, en effet, que le calme renaisse
ainsi?
s'attachait sur lui, il se tourna vers elle et ajouta :
Puis, sentant le regard inquiet de la jeune artiste qiii
10

— C'est
bles paroles

!.
une grande leçon pour le cœur que vos noe
Merci de ce que vous dites là ! Je n'ai donc riel
perdu dans votre estime par mon aveu, dit Métella,
tendant sa main à Emilien.
e
— Vous vous êtes montrée si grande dans votre sinai
ple récit, lui répondit-il, que je ne me trouve pas d vr
gne de cette amitié de frère qui serait mon seul
jou
- !
bien en ce monde, si vous me l'accordiez.
Mon frère, mon bon frère dit Métella un
n'est-ce pas, vous m'ouvrirez votre cœur. car ,
je s
bien qu'il est plein de tristesse, et que vous aussi vo
avez besoin d'être consolé.
Emilien s'était levé. Le moment de se séparer aiT
vait.
— Ne parlons pas moi, dit-il en reprenant l'air cal
et doux qui lui était habituel, ne reparlons même plu
~ns l'avenir, de ce que vous venez de me confier. Tou-
~her à un mal, c'est l'augmenter, ou au moins l'em-
~êcher de guérir.
—Vousavez raison, s'écria la jeune fille naïvement;
me sens agitée par le récit que je vous ai fait,et il
ie faudra peut-être plus d'un jour pour redevenir tran-
!. Mais je voulais êtreconnue de vous avec mes
uille
~ées, mes sentiments, mes chagrins et ma joie
Maintenant, un seul mot: voulez-vous encore, à côté
!.
~e tout cela, placer une bonne amitié?

— Je vous
à
l'ai dit, ce sera
:
le
~ue le monde ait pour moi, dit Emilien ;
plus grand bonheur
puis, comme il
:
~'apprêtait sortir, il ajouta —Après une heure de con-
idence, on a vécu ensemble dans le passé nous som-
nes à présent de vieux amis !
Et il la quitta pour s'occuper d'elle. Il lui voulait
a fortune et la gloire à défaut de bonheur, et ce projet
~emplissait assez son esprit pour n'y laisser aucune
place à ses propres chagrins.
Métella, restée seule, courut à sa bonne Françoise,
avec la confiance et la joie d'une enfant, pour lui an-
noncer qu'elle aurait du travail, et lui donna l'argent
que mademoiselle de Béville lui avait remis. — Dissi-
per les inquiétudes de la servante dévouée et active
qui veillait seule à tous les soins de la maison, était un
plaisir !
elevé pour elle Puis, auprès de cette femme, qui avait
enfance, elle gardait quelque chose d'enfan-
son
tin. Françoise ne connaissait que les inquiétudes de la
aux matérielle de la jeune fille, qui ne l'avait pas initiée
~ie
autres: non que Métella se défiât de son intelli-
ence; elle savait bien que les femmes de tous les
ges et de toutes les classes comprennent les cho-
~es du cœur; mais Françoise avait tant de peine, et

;
~arfois tant de soucis, que Métella ne voulait pas lui
n donner plus qu'elle n'en eût pu porter car elle savait
que sa sensibilité était extrêmement vive pour tout ~ce
qui tenait à celle qu'elle osait appeler une enfant.
Françoise avait vu Métella si petite, qu'elle la re-
gardait encoreen effet comme une enfant, et cela plai-i
sait à la jeune fille, qui, retrouvant près d'elle ces jeux,
fance ,
ces manières mignardes et caressantes propres à l'en-
s'y croyait parfois revenue. Cela lui faisait ~dur
bien et lui rassérénait l'esprit. C'était comme une brise
fraîche et pure du matin qui passerait au milieu de
l'ardente chaleur de midi.

IV
L'ATELIER DE LA JEUNE ARTISTE.

L'atelier de Métella était précédéd'un salon et d'une


salle à manger, qui faisait antichambre, et donnait sur
l'atelier. Tout cela était petit et terminait la maison
là s'arrêtaient les nombreuses marches qu'il fallait
monterpourarriver chez l'artiste. Nulle autre porte que
la sienne sur le palier; rien au-dessus; et cette absence
de proches voisins permettait de laisser la clef à la porte
pour les rares visites sur lesquelles Métella pouvait
compter, à certaines heures de la journée, où Fran-
çoise était absente ou occupée pour les soins de la
maison.
Cela explique comment, dans l'instant où Métellas
avait couru près de sa ménagère, entra doucement
un homme essoufflé, mais qui semblait craindre de se
tromper et marchait timidement, sans faire de bruit.
Quand il eut soulevé la portière qui séparait le salono
de l'atelier, on aurait pu apercevoir une grosse facee
timidement rouge et bouffie, mais où régnait une cer-
taine satisfaction qui n'était pourtant pas sans défiance.
ges!. :
—C'est là!dit cette figure ensoufflant six éta-
Un sourire indéfinissable anima le gros visage lors-
qu'il ajouta
Il faudra
:en supprimer au moins trois!

Après ces mots, le visage se rembrunit un peu quand
1 dit:
— Je crois, en vérité, que c'est encore ce M. Emi-
lien que j'ai rencontré au bas de l'escalier. Il cher-

viendrait ici ?. ;
chait à me cacher sa figure est-ce que par hasard il
Et comme, en parlant, le gros bonhomme examinait
tout autour de lui avec ses petits yeux scrutateurs, il
aperçut une brochure posée sur une table, fit une gri-
singulière et continua
maceOui,
c'est cela même,
: un opuscule de sa façon !

~les
!
vers
Il haussa les épaulesen répétant avec dédain
Des vers à?quoi cela sert-il, je
:
vous le demande?

Mais il trouva tout à coup une réponse à la question
qu'il se faisait à lui-même, et il reprit d'un autre ton :
poésie, les poètes !.
—Les femmes font cas de cela. elles aiment. la
portable. Celui-là m'était déjà assez insup-
Je déteste les poëtes, moi !
Tout en parlant, l'investigation continuait.
— Heureusement, dit-il avec un air
heureusement c'est pauvre, un poëte! Et moi !.
plus satisfait.
Il s'essuya le front, encore échauffé par les six éta-
pes et peut-être par la pensée qui les lui avait fait
franchir.
Et moi. riant.

! reprit-il en
!.
je suis riche, -
très-
riche retiré de toute affaire, et je suis encore un jeune
homme. un jeune homme riche
ceComme il avait fait alors à peu près l'inventaire de
:
que renfermait l'appartement, il termina en ajou-
tant plus bas
assez
— Des
joli !.
tableaux, des fleurs, des statuettes!
elle a du goût. Mais pas un meuble
C'est
de prix
pauvre
!.
! rien. qui ait de la valeur !. Elle est
Puis il s'assit, ou plutôt s'étala dans un fauteuil,
comme s'il eût pris possession des lieux où il se
trouvait.
Quelques minutes s'étaient à peine écoulées, dans cet
état de repos où l'expression de la satifaction de lui-
même brillait en plein sur le visage du banquier Des-
ronest, car c'était lui, lorsqu'une voix de jeune fille mo-
dula quelques sons doux et joyeux dans la pièce qui
suivait l'atelier. Desronest s'écria:
— C'est
Et un
!
elle
sourire triomphant et railleur fut destiné à
i
changer sa physionomie de bonhomme en celle de
séducteur; c'était don Juan sûr de son fait.
Métella tenait un pot de fleur et répondit à quelques
paroles de Françoise, sans doute; car, arrivée au seuil
de la porte, elle s'arrêta, interrompit son chant, tourna
la tête au dehors et dit: 1
Va, ma bonne, si les gens riches ont de l'or, nous

avons des fleurs, ne nous plaignons pas !
Et ce ne fut qu'après avoir posé son rosier dans une
jardinière, qu'en se retournant elle aperçut M. Des-
ronest, dont le nom lui était inconnu, mais dont la fi-
gure lui rappelait des choses peu agréables. Aussi, sa
physionomie toute épanouie prit-elle un air craintif et
inquiet.

Oh !. dit-elle en reculant.
Son mouvement amena naturellement ces mots du
j
banquier: K

— Pas de frayeur, ma belle !


enfant
Ce ton familier choqua tellement la jeune fille, que
sa fierté lui redonna du courage. 1
— Quoi, monsieur, dit-elle avec dignité, ce n'est pas
assez de m'avoir suivie malgré moi dans la rue, vous
osez pénétrer jusque chez moi ?
;
Desronest ne fut pas déconcerté il répondit de son
on le plus aimable:
-
tentions du monde;
Si je vous ai suivie, c'est avec les meilleures in-
je sais que vous êtes artiste, que
rous avez beaucoup de talent, et que vous êtes dans la
lécessité de tirer parti de ce talent.
La pauvre fille devint toute honteuse d'avoir soup-
çonné un si honnête homme; elle oubliait l'inconve-
~nance de ses premières paroles dans la rue; et bien
qu'elle le trouvât toujours fort commun et fort dé-
sagréable, elle s'efforça de lui faire un meilleur ac-
cueil.
Quant à Desronest, il était très-content de son
adresse, et il s'efforça de continuer avec la même saga-
cité, en y ajoutant une nuance prononcée de fatuité :
— On me demande souvent mon portrait, et si je
~ous choisis pour mon peintre, ce sera très-avantageux
pour vous Il faudra le recommencer plusieurs fois, je
1

vous en avertis.
>•
Métella se tourna un peu de côté pour cacher son
nalin sourire.
Ce fut avec un gros rire que Desronest ajouta:
-Je n'en serai pas fâché, certes. et vous en serez
~bien aise, je l'espère.
La jeune fille eut grande peine à retenir ces mots
C'est un vieux fat!
:

Elle les prononça intérieurement, et cette pensée mo-
~queuse donnait à sa figure un air de gaieté qui encou-
~ragea le financier.
—Quel plaisir, dit-il joyeusement, d'être peint par
ces jolies petites mains!
;
Il voulut s emparer des mains de Métella mais elle
ui échappa et se rapprocha d'un petit tableau com-
nencé, représentant une vue de la campagne de
Rome.
| Elle s'y arrêta pensive, là elle avait rêvé l'idéal.
j
Desronest se promena autour de l'atelier, examinj
les tableaux, estima la valeur des uns, l'agrément de:
autres, tout en disant :
- Est-ce que vous n'auriez pas fait votre portrait1
:
Je ne le vois pas cependant, jamais vous n'auriez et
unplus jolie modèle.
Et le financier admirait la jeune fille avec beaucouj
plus d'intérêt que les tableaux.
— Quels beaux yeux! quelle jolie taille! et ces ehe-i
veux.frayeur
La de Métella revenait; elle dit assez vi-
vement.
- Il ne s'agit pas de moi, monsieur.
-

Pardonnez à mon admiration, ma belle demoii


selle, reprit Desronest, se croyant très-aimable d
prenant ce qu'il appelait ses manières gracieuses
auprès des femmes. Non, ne craignez rien avel
moi. je ne suis pas de ces étourdis, de ces i.
connus qu'il faut craindre, comme. (ses yeux se por
taient vers la table) comme ce faiseur de vers. ce
écrivain dont vous avez là une brochure! Vous lecm*
naissez donc, ce monsieur, demanda le financier avel
le tonméprisant dont parle un amoureux d'un rival
et le dédain dont parle un homme d'argent de celil
qui n'en a pas. Est-ce que par hasard il sortait d'id
tout à l'heure? i
-
Métella
-
regarda Desronest avec surprise et réptil
dit avec dignité:
—Si vous voulezparlerde M. Emilien, vous saurea
monsieur, que j'ai pour lui de l'estime. j
Desronest l'interrompit d'un air goguenard. j
De l'estime? C'est comme cela que les
jeu

filles parlent de ceux. qui leur plaisent. J
Métella fut blessée de ces paroles, et surtout <4
ton IÏVÊC lequel elles étaient prononcées. Mais, cornue
~icun sentiment pour Emilien ne troublait son cœur,
le dit avec calme:
— Je ne me fâcherai pas, monsieur, de vos suppo-
tions; moi, je n'ai le droit de me fâcher de rien, je
~jis, comme vous l'avez dit, une pauvre fille qui veut
~rer parti de son talent. Je dois me résigner aux
~upcons, aux calomnies.
Il y avait quelque chose de si profondément triste
ans le ton de la jeune fille, que le banquier, plus
commun que méchant, ne put retenir un bon mou-
~ement.
— Là, je vous !.
afflige c'est mal à moi. et j'en
~lis désolé! Mon Dieu! c'était par intérêt pour vous!
faut se défier de ces jeunes gens, surtout de celui-
~,
ça n'a ni fortune, ni état,ni nom. même!. on ne
~lit ce que ~c'est!. Moi, mon enfant, jai un nom
bnnu parmi les meilleurs à la Bourse. De plus, je
~eois, c'est vrai, mais riche!. très-riche !
~jis un bonhomme, tout simplement un bon bour-
retiré de
~nite affaire et qui ne pense qu'à passer ma vie joyeu-
~ement.
Ici la jeune fille eut un mouvement involontaire qui
fit reculer.
Desronest ajouta:
I— Et honnêtement!
—Moi! répondit Métella. je ne pense qu'à passer
~navie à travailler!. c'est mon seul désir!. Le tra-
~failestmon plaisir; j'y trouverai des moyens d'existence
~indépendante.
>- C'est bien difficile, reprit M. Desronest avec em-
!
~iressement, sans la laisser continuer ; oui, bien diffi-
~[ile, mon enfant!. Il y a tant d'artistes Les talents
~ont très-communs et fort mal payés! La peinture est
~rmme les vers, un pauvre métier, où l'on n'a que des
ofits bien incertains!.
t La figure de Métella s'attrista; le bonhomme voulut
sans doute dissiper le nuage qu'il avait amené, lors-
qu'ildit:
—Oh! si, avec du talent, on avait une protection
— On m'avait promis celle de madame la comtesse
de Mérou.
criant

:
Desronest partit d'un gros éclat de rire en s'é~i
Une protection comme celle-là! Allons donco
C'est une mauvaise plaisanterie!.
Il rit de bon cœur, puis ajouta
-Je :
parle d'une protection sérieuse, d'un véritab~
!.
ami. dévoué. qui vous aide et qui pare au malheun~
des jours difficiles
enfin, moi, par exemple.Car
d'un homme. comme il faut~
je ne suispas deces gen~u
qui se vantent de bons sentiments et qui ne font rie~ic

j'aime doit être

;
heureux.
pour ceux qu'ils aiment. Je suis un bonhomme, j'aima~i
la joie, mais pour les autres commepourmoi, et ceq~

Il promenait ses regards autour de l'atelier, en ajou~u

riche.
tant
- D'ailleurs, c'est se faire honneur à soi-même, qui~t
de voir une. une amie entourée de tout ce que ~leo
femmes apprécient tant! de voir sa toilette élégante~c
son appartement
— Je n'espère pas, interrompit Métella, que more~
travail me fasse faire fortune. Je n'ai jamais pensé i,
cela; mais, vivre modestement, avoir un peu de répu~x.
tation parmi les connaisseurs et les amateurs des arts.
puis, je l'avoue, trouver à côté de cela pour comble~s
tous mes vœux, de l'amitié.
- ?
L'amitié reprit Desronest en avançant dédai~il
gneusement les lèvres de manière à produire une ~ese
pèce de moue méprisante qui ne l'embellissait pas. D~.(
?
l'amitié Allons donc!.. il faut mieux que cela quan~
on est jeune et jolie. 8
—Je ne me marieraijamais, dit la jeune fille d'un

-
in décidé.
Et Vous aurez bien raison !., répondit le banquier.
Mais il s'arrêta devant l'étonnement de la jeune fille
ces paroles.
Un moment de silence suivit.
Desronest reprit en riant
Le mariage n'est
:
plus de ;
mode mais la vie
— ne
~sut se passer d'affection; c'est la joie de tous les
~mrs !. Les femmes le savent encore mieux que nous;
'est-ce qu'une existence de femme, sans amour?
C'était avec une voix adoucie et un air de tendresse
~tae le financier répétait ainsi ce qu'il savait de plus
~jélicat
~[ne

n
pour persuader et pour toucher une jeune fille.
doutait pas de son succès.Métella était immobile
visage paraissait calme, et ses regards semblaient
;
le rien voir extérieurement. Desronest était tout près
~elle; il prit sa main. la baisa. Métella ne bougeait
~ts; mais son oreille attentive avait reconnu un bruit
~gerde pas qui s'approchait. Le rideau remua, on
~tendit murmurer quelques mots, et la jeune fille,
~spirant enfin, courut soulever la (portière, pendant
e Desronest, très-contrarié, se mit à l'écart involon-
rement, pour dérober sa présence à ceux qui en-
~raient.
— C'est sans doute mademoiselle Métella, dit une
~légante
jeune personne.
-Je devine, répondit joyeusement l'artiste; j'ai
l'honneur de recevoir mademoiselle Sylvanie de Ple-
~ktël, et monsieur le comte
son père.
Sylvanie était suivie de son père.Ils mirent tous
eux autant de politesse dans leur salut que s'ils étaient
~rivés dans l'hôtel d'une grande dame.
[ Desronest, excessivement contrarié, :?
se disait —
;
uel fâcheux contre-temps, et que vont-ils penser
Métella offrit des sièges mais déjà Sylvanie avait
voudrais avoir !. ;
! :
couru aux tableaux, et s'écriait — Oh ! que c'estjolil
quelle noble expression et le charmant paysagi
Voyez donc, mon père!. C'est bien là le talent queU

absorbée par la peinture,Desronest crut qu'il

— Oh ! nous vous avons vu, dit-il, et ilest


tile de chercher à nous éviter.
-
fille,
Pendant que l'attention du père et de la pouval
sortir sans être aperçu mais le comte le retint ei
riant :
étalj

très-inui

Mais je ne cherche pas cela, au contraire, repr.


le banquier avec assurance; je suis ravi, monsieui
le comte, et je m'approchais doucement, afin de sull
prendre mademoiselle Sylvanie. Il paraît qu'elle aimt
la peinture, etqu'elle vient pour acheter quelques 14
!
bleaux. C'est comme moi Je suis un amateur (isq
arts.
jen'avais pasencore eu
1

lfà
— C'est une qualité que
bonheur de connaîtreen vous, dit le comte avec PlenoëJi
uni1
légère nuance d'ironie.
Desronest, qui pensait avoir échappé aux soupçons al
ne s'apercevait pas de l'air moqueur de M. de
reprit toute son apparente bonhomie pour dire
— Qu'est-ce qu'on a de mieux à faire que
: d'aime,
j
les belles choses et de chercher à se donner quelque!
plaisirs, quand on est riche, très-riche, retiré de tout!
affaire? finessfI;
Desronest croyait mettre dans ses paroles une
qui devait porter ses fruits dans l'esprit du comte.
Ce fut Sylvanie qui répondit et essaya de faireserj
vir sa vanité d'amateur des beaux-arts aux intérêts dl
sa protégée. i
-C'est bien, monsieur Desronest, vous ne sauriea
croire tout le plaisir que j'éprouve à trouver en vou
;
un connaisseur en peinture.
Desronest était enchanté il faisait mille
salutation1
racieuses, et il se réjouissait d'autant plus de la ma-
lère amicale dont lui parlait Sylvanie, qu'il y voyait
iccomplissement de ses projets et la certitude que la
mande faite par lui, la veille, au comte, était ac-
beillie; aussi fut-il disposé à faire tout ce qui plai-
kit à Sylvauie, quand elle ajouta
Tenez, monsieur Desronest,
: cette d'l-
—I
llie! prenez vue
Moi, je choisis ces deux paysannes qui se repo-
ent sous un arbre. On voit, ou sent la chaleur d'un
bleil brûlant. Ce tableau fera le pendant de celui que
ti déjà.
Et comme Sylvanie tira M. Desronest à l'écart, parla
k prix et se disposa à payer le sien, le financier céda
assez bonne grâce à ce qu'elle exigeait.
Desronest tenait à la main un portefeuille, mais n'en
ait pas encore tiré l'argent destiné a la jeune ar-
iste. Sylvanie cherchait le moyen de le lui remettre
vec cette délicatesse des gens bien élevés qui ôte à
eux-a qui ils donnent l'embarras de recevoir, lorsque
létella, qui était restée tout à fait étrangère à ce qui
était passé, offrit a Sylvanie d'aller chercher quelques
:
udes, faites d'après les plus grands maîtres, et qui
eraient bonnes a copier pour des élèves car, ajouta-
-elle. mon plus grand désir, en ce moment, serait de
[onner quelques leçons à de jeunes demoiselles.
— Rien ne sera plus facile, dit Sylvanie, je vous en
irocurerai.
- !
Quel bonheur! s'écria la jeune fille. Oh made-
moiselle,quelle obligation je vous aurai! Vous ne sa-
ez pas, vous ne pouvez pas savoir de quel prix est
lour moi cette espérance.
— D'abord, vous pouvez me compter parmi vos élè-
Les; nous commencerons dès demain, reprit Sylvanie,
vant
cela peu vous en aurez plus que vous ue voudrez;
prendra une trop grande part de votre temps,
et il né faut pas renoncer à ces tableaux, à ces por
traits.
Métella soupira. Les portraits, j'y renonce. J'ai

appris. qu'ici, à Paris, il y a des dangers à des rela
tions avec le public. Des personnes qu'on ne connaî
point. qui ne vous connaissent pas. peuvent venir..
;
La jeune fille se troubla sa pensée s'était échappé
sous l'impression encore vive des intentions que Des
ronest lui avait laissé deviner. Mais elle sentait qu'i~
fallait cacher, même pour elle, ce qui l'avait fait trem
bler et la faisait encore rougir. —Elle s'arrêta. e
après quelques mots d'effusion qui exprimaient tout
sa reconnaissance envers Sylvanie, elle courut cher~
cher les études dont elle avait parlé et qui étaient dan~
la pièce voisine.
Desronest resta seul avec Sylvanie et son père. L
première, dans sa naïveté, laissait encore lire sur so~
le
visage dela surprise d'avoir trouvé là banquier,
une espèce de doute ou d'incertitude sur le motif qui l'
avait amené. Le comte, qui se rendait mieux raison
motif, avait un air passablement railleur. Et Desronest
sous l'impression de ces deux pensées qui cherchaie~
à scruter la sienne, se sentait mal à l'aise. Desronest
quoiqu'il ne fût pas tout à fait, comme il se vantait d
l'être, un bonhomme, n'avait cependant aucune méchan
ceté, et ne trouvait nul plaisir à faire de la peine i
quelqu'un. Mais il avait au suprême degré cet égoïsm
si commun de nos jours, qui consiste à oublier com~
plétement les autres quand il s'agit de soi, et de les sa
-
crifier sans le moindre scrupule, sans même sé doute
qu'ils comptent pour quelque chose, lorsque son in
térêt était en jeu. Le financier, d'ailleurs,, était imprégn~
des pieds à la tête de cette conviction, qu'un homm
riche est un personnage de telle importance que so~
bien-être doit passer avant tout. Périssent tous le
uvres plutôt qu'un millionnaire, était son principe.
fait.si ce n'était en paroles.
Il redoutait l'amitié de Sylvanie pour Métella, sans
rendre bien compte de ses craintes. Il y avait l'idée
une protection qui rendait la sienne inutile, et aussi
dée d'une intimité, que les confidences de la jeune
tiste pourraient rendre redoutable pour lui, et sous
influence de sa personnalité, sans mauvais vouloir, il
It:
- On vous avait donc recommandé bien vivement
ette jeune fille, monsieur le comte, que vous êtes venu
ans cette maison. et encore avec mademoiselle Syl-
anie!.Oh!
-
et
Sans doute, répondit le comte en l'examinant.
à vous aussi, à ce qu'il paraît, puisque je vous y
— Un homme va partout, ditle banquier naïvement.
— Qu'est-ce à dire? reprit le comte étonné. Est-ce
u'il vous paraît peu convenable que ma tille soit venue
ci?
ne— Vous connaissez le monde, dit Desronest avec
apparence de bonhomie.
;
Sylvanie s'était approchée son âme se révoltait d'un
oupçon sur celle qui avait excité en elle une vive sym-
lathie; elle dit vivement:
Oh ! votre monde a pour les personnes pauvres

les mépris qu'il ferait mieux de garder pour autre
chose!.
-Le monde? reprit Desronest avec un certain
dépit, monde pourrait peut-être, avec raison, trouver
le
singulier que la fille de M. le comte de Plenoël vienne
chez une inconnue, une artiste.
—Je viens chez elle parce qu'elle est artiste, qu'elle
a du talent et que j'ai besoin d'elle, monsieurDesronest,
répondit Sylvanie avec dignité, et c'est aussi parce
qu'elle est encore inconnue que j'y viens; car alors elle,
a besoindemoi.
— Du talent! du talent! Je ne dis pas non, balbutia;
Desronest, je le reconnais comme vous, et je puis, je)
veux la protéger; mais vous? venir chez une jeunej
fille qui vit seule. qui reçoit des jeunes
— Comme vous! dit en riant
gens..
Sylvanie, que la mau-
vaise disposition du banquier rendait cruelle pour ses
prétentions de jeune homme. Mais ce rire moqueur,

jours..
involontaire, s'effaça bien vite des lèvres roses de la:;1
belle enfant, quand Desronest continua: *
-

:
Comme M. Emilien. dont voilà un ouvrage..
et dont j'ai trouvé la personne elle-même sur l'es

dire..
calier, en arrivant! Il paraît qu'il vient ici tous les
eri]
— Il ne m'en a jamais parlé, balbutia Sylvanie
pâlissant. 4
— Je le crois bien, répondit Desronest; mais il était
à Paris plus d'un mois avant vous et il pouvait passent
ici toutes ses journées, sans être obligé de vous les

En ce moment, le comte fit quelques pas pour sœ


rapprocher de Desronest, à qui il cacha tout à fait sas.
fille. Car il avait vu que ses yeux étaient aussi pleins

reille
de larmes que ses joues étaient décolorées. Il avait
lui-même senti son cœur se serrer à cette vue, qu'illi
avait voulu dérober à l'attention du banquier. Mais enn
passant devant Sylvanie, il l'entendit lui dire à l'o—i

— Mon père ! c'était là sans doute le secret quin


voulait
troublait le cœur d'Emilien et qu'il
cher.
nous ca-
fit
Puis elle s'écarta, essuya en secret une larme, et
un assez grand effort sur elle-même pour que ses !
pleurs retenus ne tombassent plus que sur son cœur
brisé. I
6 comte parlait encore tout bas à Desronest, quand
Stella rentra, tenant des cartons de dessins qu'elle
a vite aux pieds de Sylvanie, pour la regarder sou-
nte et le cœur débordant de joie Un attrait plein
s charme l'amenait avec confiance et bonheur près de
chère protectrice; car le ton dont mademoiselle de
[enoël avait parlé lui avait dit qu'elle trouverait en
e une amie, et que toutes ces délicatesses, toutes ces
altations et ces mélancolies, qu'elle refoulait depuis
hgtemps,
gtemps, pourraient s'épancher, être comprises et
tagées. C'était l'espoir du bonheur de son âme,
oilk
us encore que celui du succès de son talent, qu'elle

i
bit lu dans le regard de Sylvanie qui l'enchantait.
tout ce que j'ai de mieux, dit-elle, je por-
chez vous ce que vous choisirez, afin que nous
ssions commencer tout de suite, dès demain.
Sylvanie ne répondant pas, Métella porta ses regards
kr son visage et s'écria:
— Ciel ! vous vous trouvez mal.

;
Elle voulut l'aider à s'approcher d'un siège Syl-
Inie repoussa froidement sa main sans répondre et
[éloigna de quelques pas.
Il y eutun moment de silence.
1 ;
(AOh vous souffrez, dit Métella permettez-moi de
bus soigner, de ?
vous offrir quelque chose Peut-être
-

pdeur de la peinture?. ou bien trop de fleurs?


A chacune de ces questions elle avait regardé Syl-
anie. qui ne répondait pas, mais qui dit enfin, avec
ne froideur glaciale:
- Non, je ne crains ni les fleurs, ni la peinture. Je
Elle se dirigea vers la porte en ajoutant
— Venez, mon père.
:
'.us remercie, mademoiselle, et je vous salue.

La surprise dela jeune artiste était si grande et sa


auteur si vive, qu elle ne put que balbutier ces mots
— Etles leçons?
:
— Les leçons? reprit Sylvanie, de même et sans tel
regarder. Ah oui! nous avions parlé de leçons. Mais:
je ne suis pas décidée! Et ce ne sera pas, ce ne pourrir
pas être maintenant. Enfin, n'y comptez pas. Carje
crois que ce sera impossible.
Métella avait pâli aussi tout à coup; sa joie, ses cou-!
leurs, tout avait disparu sous les froides paroles et Icii
répulsion de Sylvanie. Elle se disait:
— Quel changement? Que s'est-il passé?
Une sueur glacée mouillait son front, et son coeur
était si serré qu'aucune plainte, aucune question n'en
pouvait sortir!
Quant à mademoiselle de Plenoël, sa souffrance in-
térieure était maîtrisée par sa volonté, et sa dignité Il;!
basse :
voilait. Elle prit à part Desronest et lui dit à voix
Vos paroles, monsieur, m'ontéclairée. Vous voyez

que je me suis tout de suite soumise à votre décision;
mais c'est une raison de plus pour que vous preniez le
tableau choisi par vous. Moi je prends le mien. el
!
je le paierai même bien plus que je n'avais le projet de
le faire. Imitez-moi J'ai obéi à vos conseils, cédez aux.
miens, je vous en prie.
Desronest était trop enchanté d'avoir réussi, trop;
heureux de ce que promettait à ses espérances la
confiance affectueuse de Sylvanie, pour se faire prier
car l'argent lui coûtait peu à donner quand il satisfai-
sait ses passions. Il ouvrit donc son portefeuille e«'
laissa mademoiselle de Plenoël, y plonger sa petite.
main généreuse; puis la belle Sylvanie, pâle en cee
moment et presque aussi glacée qu'une statue de mar-,
bre, s'approcha du tableau, le prit sur le chevalet.
- à
A vous, monsieur Desronest, etcelui-ci moi !—
C'était un tout petit cadre faisant le pendant à celuii
qu'on lui avait acheté la veille. Métella la regardait
faire sans bouger; elle était appuyée contre une con—
;
inir ses jambes tremblaient; elles n'auraient pu la sou-
île;
si la jeune artiste eût voulu faire un pas, la pau-
[e enfant serait tombée. Ne se rendant pas bien compte
ce qui venait de se passer, et de ce qui se passait
Jcore là sous ses yeux, elle vit à peine Sylvanie s'ap-
ber ;
de la table où était tout ce qu'il faut pour écrire
le la vit placer, au milieu d'une feuille de papier blanc,
qu'elle s'était fait donner par Desronest, puis ouvrir
[i porte-monnaie et en tirer des billets qu'elle posa près
s ceux du banquier. Les lèvres de Sylvanie remuaient,
tmme si elle eût parlé, mais il aurait fallu être dans
[ pensée
pour comprendre qu'elle disait :
— Oui. encore cela. Et elle tirait à mesure tout ce
l'elle possédait.—Que celle qu'il aime ait tout!.
st-ce que, moi, j'ai besoin de quelque chose à pré-
int?.Lui. n'a rien. tous deux pourraient souffrir
p la pauvreté?. Oh! non, ce que j'avais sera à eux.
Elle prit ensuite son petit tableau et sortit, sans un
tt, sans un mouvement, sans un regard vers Métella
i mur d'airain s'était élevé entre ces deux cœurs de
;
laimer ;
lunes filles, si bien faits pour se comprendre et pour
mais chacune, soit dans sa surprise, soit dans
ft douleur, ne sentait s'élever que des regrets.Ni l'une
i l'autre ne pouvait haïr!
Le
ans comte suivit sa ;
fille ils descendirent tous
se parler. Quand ils arrivèrent sur le boulevard,
trois
[ylvaiie respira comme quelqu'un dont la poitrine es-
aie de soulever un poids qui l'étouffe, et son père
Mua Desronest sans prendre congé de lui. Resté seul
Ivec sa fille, il lui tendit un bras dont l'appui était né-
essaire, et la regardant avec attention, il lui dit :
—Veux-tu profiler de cette promenade sur le boule-
ard pour quelques-unes de ces emplettes de parures.
Sylvanie le regarda d'un air tellement étonné qu'il
l'acheva
-
pas sa phrase. Il voyait que la pensée de sa
sedispenserd'ajouter
— Est-ce que
:
j'ai besoin de ?
parures
1
chère enfant était à mille lieues de là. Elle aurait piu
9
Est-ce que joî
penserai à ma toilette à l'avenir? Ah ! ce que j'ai mo~
suffit et au-delà! Grâce à votre constante bonté, j'ac
même plusqu'ilneme faut. Etd'ailleurs,ajouta-t-ello
en s'efforçant de sourire, je ne ferai plus d'emplettes
car je n'ai plus d'argent. 1*
Malgré son sourire, malgré tous ses efforts, il y avai
un tel découragement, une telle douleur dans l'ex--
voix,
pression de son visage, et surtout dans l'émotion de tiW
que le cœur paternel en ressentit un chagrin in-

demeure.
exprimable. M. de Plenoël serra contre ce cœur le bras
temblant de sa chère fille, et tous deux, tristes et si"!
lencieux, marchèrent lentement ensemble jusqu'à leur
Métella aussiétait restée tristementaffectée; mais bien
la
que pauvreenfantéprouvât en même temps unegrande
souffrance physique et une grande souffrance morale,
son mal n'atteignait pas au mal qui serrait le cœur de
Sylvanie. iln'est donné qu'aux tourments de l'amour
et de la jalousie de porter à l'âme un coup tellement
douloureux qu'il la déchire et la brûle en même temps..!
Cependant il y avait quelque chose de cruel dans las,
pensée de la jeune artiste, et dont elle ne pouvait pas
se rendre compte. Quand elle fut seule, elle tombas
comme affaissée sur un siège, et ne put s'empêcher des
pleurer. Sa force physique était loin d'approcher de
sa force morale; elle avait souffert trop jeune, travaillée
rop jeune. A cet âge où l'on sort à peine de l'enfances
etoù le corps achève de prendre toute sa croissance,
et l'âme est tourmentée et si la fatigue dépasse les
orces, il est impossble d'atteindre au développement
)ù l'on serait arrivé dans une vie paisible et douce. 1(5
C'est un des malheurs des grandes villes, et surtout
Ul des torts de notre époque, d'avancer les facultés, les
dées
etles passions, et de donner ainsi à l'enfance une
art trop lourde de l'existence pour qu'elle puisse la
supporter sans tarirpar ses efforts les sources d'une
longue et forte vie. Tout s'en ressent; le corps s'étiole,
l'intelligence s'affaiblit, le courage diminue, le calme
;
disparaît. Une espèce de vivacité nerveuse et improduc-
tive agite l'esprit on sent que l'on pouvait avoir une
vorté ;
uissance qui vous a échappé, des talents qui ont
on s'attriste, on s'irrite, on jette dans la criti-
suffit plus à faire soi-même quelque chose ;
que de ce que font les autres le reste de force qui ne
puis l'âme
'affaisse sousdes regrets infinis et sous cette vague et
atigante mélancolie si commune. de nos jours, et qui
n'est que le sentiment d'une destinée utile, belle et
a
onne, qu'on manquée. Les uns ontmanqué cette meil-
a
;
eure destinée parce que la fortune leur permis trop
eunes d'abuser de tout les autres parce que la pau-
reté les a forcés trop jeunes àun travail qui neles a
aissés jouir de rien.
Métella était de-ces derniers;, sa vie s'était épui-
ée dans les efforts pour acquérir ce talent, sa seule
spérance, sa seule consolation, et quand elle se trou-.
rait livrée aux luttes contre les difficultés, aux alterna-
ives d'espoir et de déceptions, à cettefatigue ducorps
lugmentée-par les découragements de l'esprit, ce qui
ui restait de force ne suffisait plus.
Quelques paroles d'un égoïsme trop commun dans
e monde venaient d'accabler la pauvre enfant,que la
sympathie d'un bon cœur avait un instant ranimée.
ue de fois il arrive que pour s'épargner une contra-
riété l'on cause à d'autres un vrai chagrin ! Que de
ois par légèreté, ou pour un très-petit intérêt person-
el, on attire sur quelqu'un les plus grands et les plus
rréparables malheurs !
y
LA FAMILLE DE MÉTELLA.

Pendant que la jeune artiste se mettait au lit avec Ici


fièvre, accablée sous la fatigue et les émotions de lGil
journée, Sylvanie était rentrée dans sa demeure aveoi
; l
cette douleur profonde et déchirante que donne la pertig
de ce qu'on aime mais quoiqu'elle ne fût pas accou

-
tumée au chagrin, qu'elle en sentit les atteintes pouîg
la première fois, elle était calme et courageuse. Elevé&
par son père à cette forte école du devoir et de la r<M
signation, elle était résolue à souffrir en silence et M
essayer de cacher sa souffrance à son père ! Elle ne àa-il
vait pas encore que la tendresse paternelle dev-"'-kelniilà
le cœur de son enfant.
Lorsque M. de Plenoël était venu faire part àet
Desronest,
vanie de la demande du bonbourgeois
ses projets d'unir M. Gustave, son fils, avec m N
selle de Plenoël, Sylvanie avez dit, avec son
lin sourire:
—Est-ce que vous croyez m'apprendre quelque t4U

;pas!.
mon bon père? Oh !j'ai deviné le voisin depuis long-
temps, et je suis toute fière de son choix il aime 1
l'argent, et il a pensé à moi, qui n'en ai
charmant, et ma reconnaissance est immense.
—Va-t-elle jusqu'à accepter? dit le comte.
-C'est la seule chose qu'elle ne se permettra jamais
mon cher père. et si vous l'avez supposé, vous ÎiIII
tort à votre fille.
—L'amour ne va pas toujours où la raison devrait
conduire, reprit en riant M. de Plenoël. -
Il
— va toujours. je pense, ditSylvanie, où le CIl
trouve les qualités, l'élévation et la tendresse dont.
capable lui-même. M. Gustave est fort bien, sans doute
bais, mais. je ne me sens d'ailleurs aucune envie
l'être riche.
— C'est-à-dire que tu peux t'en passer, si le mari
i, en qualités qui te plaisent, ce que le fils de Desronest
en espérances de richesses. Veux-tu me dire, ma
Ihère enfant, où est cet idéal de ton cœur? Je le con-
lais peut-être, mais enfin, voyons, présente-le moi.
Tout cela était dit en riant, car, depuis que M. de
•lenoël savait que Gustave n'était point aimé, il sem-
;;
blait avoir retrouvé un peu de joie. Oh! ce n'était pas
père denotre époque il n'avait pas calculé sur la
brtune du millionnaire il n'avait pas regardé comme
plus grandeaffaire de ce monde d'assurer l'opulence
l :
sa fille dans ce noble cœur, il y avait bien des cho-
es qui passaient avant l'argent, et, quoiqu'il appréciât
p plaisir d'en usergénéreusement, il n'était pas de ceux
[ui,pour en avoir, sacrifient tout le reste.
Sylvanie était heureuse de voir que son père ne te-
lailpas plus qu'elle à la fortune; car, depuis que chacun
rvait pu pressentir les projets de Desronest, il avait eu
Iidée des avantages que la richesse pouvait procurer
I l'autre et craignait d'être obligé, ou de sacrifier ses
répugnances, ou de voir un chagrin suivre le sacrifice
Je cette fortune qui s'offrait à eux. En comprenant que
Bus deux y renonçaient sans un regret, ils étaient heu-
u'ilsne
EBUX de s'entendre sur ce point et ne doutaient pas
s'entendissent aussi bien sur l'autre.
Pourtant la jeune fille se troubla en voulant com-
mencer ses confidences, et, pour cacher son trouble,
:
ime,
bile dit en souriant
I — Vous n'espérez pas, mon bon père, que ce soit moi
cier aille chercher un prétendu et qui vous l'amène,
fil y en a un. Vous serez forcé de le deviner vous-
et je ne veux, en ce moment, que vous remer-
de ne pas désirer plus que moi cette fortune à
laquelle j'ai tant de plaisir à renoncer.
C'est dans cette disposition d'esprit qu'elle s'çjd
rendue chez Métella et que toutes ses espérances sa
taient évanouies en apprenant que si elle possédait^
mitié d'Emilien, son amour était à une autre.
,
ordinaires;
De retour chez elle, Sylvanie reprit ses occupa
l'effort avaitété cruel; elle l'avait Cail
un murmure. Son père ne lui parla de rien. Mada
selle de Béville fut charmée que sa protégée eût~i
trois tableaux, etne dit mot des leçons ajournées; ç
à Emilien, il ne parut plus que très-rarement, et
ques jours se passèrent ainsi, sans qu'il y eût rien
changé, en apparence, dans l'existence de SyLvania
bien qu'en réalité tout fût détruit dans son bonh
Métella fut forcée de garder le lit quelques
une fièvre assez violente lui ôta même, pendant m
;
rante-huit heures, le sentiment de ses regrets
genres mais dès qu'elle fut revenue à elle, une iA
de
fixe s'empara de
son esprit. Pourquoi Sylvanie, M
l'avoir cherchée avec empressement et lui avoir ;~N
d'un ton affectueux, de leçons à prendre le lenùem
s'était-elle ensuite retirée avec une froideur accabl
en renonçant à son projet? Et pourquoi, se
a
mo
ainsi irritée contre elle, lui laissait-elle unesomme H
considérable?Car, initiée par mademoiselle de Hé
aux détails de la fortune et de la maison du comte tout
Plenoël, elle voyait que Sylvanie lui sacrifiait
qu'elle pouvait posséder pour sa toilette.
c 1

ce
Cette idée fixe, une fois entrée dans l'esprit de Mn
tella, la jeune artiste se promit, à tout prix,
mystère,et,
ce mystère,
d'é » -
dans tous les cas, de se montrer aussi
et,désintéressée
noble et aussi que sa bienfaitrice. |
Emilien s'était présenté chez Métella, mais François
l'avait éloigné; personne n'étaitentré, par ordreêxotM
du médecin, qui avait craint une grande màiadie.
pauvre jeune fille ne savait rien, n'avait rien appris (9
ce qu'elle désirait savoir. Au reste, elle ignorait encor
qu'il existait quelques rapports entre Emilien et Syl-
vanie. Desronest n'avait point reparu, et son absence
chez elle, comme chez M. de Plenoël, avait été motivée
par un départ précipité pour Bordeaux. Bien qu'il ré-
pétât souvent qu'il était retiré de toute affaire, il
somme
ne négligeait pas une occasion de gagner quelque
considérable, quand elle se présentait, sans
qu'il eût à risquer aucun argent, ce qui n'arrive jamais
qu'à ceux qui en ont beaucoup. Son absence ne devait
durer que très-peu de jours.
Dès que Métella eut la force de sortir, elle voulut
exécuter le projet qui occupait toute sa pensée, et elle
se rendit chez mademoiselle de Plenoël.
Sylvanie était au salon, toujours triste et désolée au
;
fond du cœur, et toujours calme et souriante quand
son père la regardait elle craignait tant de l'affliger
Mais, pour n'être pas forcée de parler, elle faisait sou-
!
vent tout haut quelque bonne lecture. Ce jour-là, un
livre d'histoire était entre ses mains elle venait d'y lire
une de ces grandes catastrophes, qui coûtent cher à
un pays, même quand il en retire quelque avantage
et 1 esprit de la jeune fille, occupé de ces événements
:
publics, oubliait ce qui la regardait en particulier.,C'est
là un des grands biens de la lecture! Elle entendit du
bruit dans l'antichambre et ce fut avec chagrin qu'elle
dit
- Quelqu'un vient ici ! Les importuns sont insup-
portables quand on souffre I
C'est M. Desronest.
:
Le comte prêta l'oreille et reprit

Sylvanie se leva pour s'éloigner.
— Il vient chercher la réponse à la demande qu'il a
faite de ta main, pour son fils, dit M. de Plenoël.
Il ajouta en souriant:
— Refuses-tu toujours M. Gustave?

Est-ce que le cœur peut changer, répondit Svl-
vanie avec un sourire si triste, que son père sentit
qu'elleétaitinconsolable.
C'était en effet M. Desronest, qui arrivait de Bor-
deaux avec empressement, et d'autant plus plein de
confiance qu'il venait de faire une meilleure affaire en-
core qu'il n'avait espéré; aussi remplit-il le salun de la
rotondité de sa personne et de la sonorité de sa voix,
avec une telle ampleur, qu'on n'y vit plus que lui. Ce-
pendant la porte ne se referma point sur ses pas, et
mademoiselle de Béville y parut sans bruit et entra
avec la jeune artiste Métella, qu'elle tenait par la main.
On n'entendit point leurs pas, et elles surprirent Syl-
vallie, en la retenant au moment ou elle allait rentrer
dans sa chambre.
Sylvanie resta. ;
Desronest fut surpris et le comte devint attentif.
La pauvre Métella, faible et tremblante, fut un in-
stant sans pouvoir parler. Enfin, elle reprit courage
et dit:
— Si je n'avais pas été malade je serais venue
plus tôt.
Elle vit Sylvanie faire un mouvement et y répondit
:
ainsi
Ne craignez visites, mademoiselle, celle-
— pas mes
ci est nécessaire et ce sera la dernière. Si j'étais bien
heureuse de l'espoir de vous voir chaque jour, quand
vous parliez de leçons; si j'ai vu avec un grand cha-
grin qu'on vous avait fait changer d'idée en quelques
minutes, je suis résignée. Oh! moi, je suis habituée au
malheur!. je m'y résigne, mais non pas à des. hu-
miliations. des mépris.
La timide enfant avait dit bien bas et avec bien de la
peine ces deux mots douloureux. Puis, elle avait pris
dans sa poche un papier qu'elle ouvrit et elle montrait
des billets de banque; elle les tendit à Sylvanie, qui ne
bougea pas. j
t—
;
J'ai pris, dit Métella, ce que j'avais demandé des
ileaux, que vous avez choisis mais je neveux pas de
~eaux de quelqu'un qui paraît me haïr et qui m'a re-
ist-.ée avec tant de dédain.

;
1 à l'aise il dit pourtant, à mi-voix, au comte
Ces artistes, ça vous a des imaginations si extraor-
aires, qu'ils n'out pas le sens commun.
:
bylvauie restait immobile. Desronest était surpris et

Le comte lui fit signe de se taire, il observait etne


talait rien perdre des émotions de ces deux jeunes
es.
ademoiselle deBéville avait été mise au fait par
tella de tout ce qui s'était passé. Elles étaient en-
mble depuis une heure, lorsque l'institutrice avait
téle moment convenable pour l'introduire, Elle prit
parole
J'espère
:
alors
bien
— que mademoiselle de Plenoël n'a
s pensé que je l'aurais mise en rapport avec une per-
ne qui ne serait pas digne de sa société?
La vieille demoiselle lança ces mots directement et
bout portant, en regardant Desronest. Cependant il
eut pas l'air de croire que cela put le regarder.
Métella ne put s'empêcher de dire
0 Dieu! qu'est-ce
:
monsieur donc
mon que a pu

ire contremoi ?
—Dire quelque chose de mal de vous? reprit vive-
ment mademoiselle de Béville, mais c'est impossible,
et
[i, lui, M. Desronest, s'il vous nuisait, oh! ce serait
npardjonnable, ce serait affreux,
Sous cette accusation directe, Desronest sentit qu'il
illait répondre, mais il ne daigna pas s'adresser à celle
ui l'accusait, et ce fut en souriant avec insouciance
u'il dit au comte
Vous avez
;pu aprécier ma conduite, monsieur le

omte, c'est tout ce qu'il me faut. Vous me connaissez.
vous savez que je suis un bonhomme, un bon bour-
geoistrès-riche.
- Retiré de toute affaire, continua le comte trèse;
moqueur; puis il parla assez bas à l'oreille de Desroy
nest pour que les autres n'entendissent pas, et ajouta
— Mais peut-être pas des affaires de cœur?
Son regard plongeait dans le regard du banquier
car il l'avait deviné. Mais celui-ci parut plus ~flatt.
qu'embarrassé de la perspicacité du comte, et il pri
son expression de Lovelace pour répondre en riant
- :
Ah! ah! ceci c'est différent, on peut se permettra
la
la plaisanterie, la petiteest gentille.
C'était dit à voix basse au comte, mais son air trae
hissait sa pensée. Métella en fut tellement blessée
qu'elle ne put retenir ces mots adressés au banquier '1
- Ah monsieur, je sais bien que pour un homme
!

riche comme vous, la réputation, l'honneur, la ~vii


même d'une pauvre fille comme moi, cela n'est rienn
qu'après l'avoir insultée dans la rue, poursuivie jusque
chez elle. on peut encore.

- ?Quoi ! :
Mais elle n'acheva pas. Mademoiselle de Béville l'as
vait interrompue par une espèce de cri, en disant *
ce serait lui? Oh c'est affreux; car voitj
saurez. ce que je cachais, mais qu'il faut dire à pré
sent, vous saurez donc qu'un jour une digne femme
qui avait bien souffert, disait, à son lit de mort: «Si nui
fille était exposée dans l'avenir à la misère ou à la sé-

:
duction, il faudrait, malgré tout, aller trouver son pro
tecteur naturel et lui dire C'est votre devoir de proté
ger cette enfant, et votre sœur Félicie vous le demande
comme une grâce, en mourant. »
-Desronest fit un mouvement, en répétant à part
Ma sœur Félicie, en mourant!
: 1
9i
Tous furent distraits de l'émotion du banquier par;
l'arrivée de madame la comtesse de Mérou. Mais ma
moiselle de Béville reprit, sans laisser le temps à per-
ane de dire un mot
Oui, monsieur.
: cette enfant, dont le vrai nom

comme celui de sa mère, Félicie, la voilà, s'appe-
~it Métella pour cacher le nom sous lequel sa famille
vait abandonnée. C'est votre nièce; oui, la jeune
iste est votre vraie nièce, monsieur le banquier Des-
!
~tiest

M. Desronest? s'écria Métella stupéfaite.
Elle ignorait complètement le nom du financier sé-
cteur.
;
Lui n'était pas moins étonné et la figure de sa sœur,
madame Mérou, était des plus singulières. Mademoi-
selle de Béville sentit le besoin de s'excuser de son
discrétion, et dit
C'était bien
: qu'il eût abandonné nièce, je
assez sa

pouvais pas le laisser chercher à la séduire !
Madame Mérou partit d'un grand éclat rire.
Desronest reprit avec un léger embarras :
-Allons donc! qui est-ce qui a jamais pensé a cela?
ai cru. J'ai voulu. Mais que diable; est-ce que je
pouvais deviner que c'était ma nièce?
Le comte vint à son secours, et dit d'un ton très-
illeur :
— Vous alliez chez elle en amateur de tableaux.
— Et je ne lui ai donné que de bons conseils, dit
esronest, qui avait retrouvé toute son assurance
homme riche.
— Voyons, soyez sincère, ajouta-t-il, en s'adressant
Métella, qu'est-ce que j'ai dit? Qu'il ne fallait pas re-
voir de jeunes gens; qu'il fallait avoir confiance en
oi. Moi, avant de vous protéger, je voulais savoir
vous étiez digne d'intérêt, si vous étiez une bonne
honnête
jeune personne. Je cherchais à éprouver
tre sagesse. Voilà tout.
Desronest était ravi du tour adroit qu'il donnait ainsi
àsa conduite.
Métella rougit toute honteuse sans oser parler. L'as-

-
surance du banquier s'en augmenta en lui disant:
Comment avez vous pu vous y tromper?

-
ne put que balbutier :
La pauvre enfant était tellement déconcertée qu'elle!
Pardon, je connais peu le monde, et une jeune
fille seule doit, dit-on, tout craindre à Paris.
— Mais regardez-moi donc, reprit Desronest, ~su
qui elle n'osait plus lever les yeux.
Elle le regarda et ne put s'empêcher de sourire; M
jeunesse reprend parfois ses droits de gaieté, même au


:
milieu des choses sérieuses, la jeune artiste dit naïves
ment
Mais en effet, comment ai-je pu penser qu'un
homme d'un âge respectable? Oh! j'en ris à présent!
moi-même. Pardonnez mes craintes, j'étais folle dit
soupçonner un vieillard.
Desronest recula épouvanté du mot.
Un éclat de rire se fit entendre. C'était madame Méè
rou qui répétait le mot vieilla d en courant à Métellae
qu'elle embrassa de bon cœur, à la grande surprise ~dll
celle-ci, qui s'écria :
Madame la comtesse de Mérou
-— !
Qui t'embrasse d'abord pour le motvieillard.
C'est une bonne leçon donnée aux prétentions de jeune
homme de mon frère.
—Son frère dit Métella étonnée.
!

— Oui, mon frère, ce qui fait que tu es ma nièce!.


la fille de ma pauvre Félicie. Ma foi, crève la vanité i
dit-elle en se tournant vers le comte. Une nièce pau-
vre, quitravaillait pour vivre, qu'on heurtait avec ~dés,
dain. moi la première, pour faire comme le ~beaa
monde. Oh! c'est vrai; mais je ne savais pas que tu
étais ma nièce. car je ne suis pas encore de cette forcer
,Quand
de mépriser mes parents parce qu'ils sont pauvres.
ta mère est morte, je n'étais pas plus riche
u'elle. Depuis, le vieux Mérou a fait fortune.Je t'ai
oubliée, c'est vrai, mais avec son argent, sa vanité, sa
position dans le monde et ses plaisirs, on a tant à faire,
qu'on oublie souvent toutes les bonnes actions.
— Regardez donc, ajouta-t-elle en s'adressant aux
autres, comme elle est gentille. Il faut que je l'em-
rasse pour elle à présent. Elle l'embrassa et continua
insi : —Car c'était pour la leçon qui était drôle; mon
Père fait aussi trop le jeune homme.
Et madame Mérou se remit à rire de bon cœur.
—Taisez-vous, ma sœur la comtesse, cette petite sait
ien que si je ne lui parlais pas d'abord tout à fait en
ncle, c'était à bonne intention, et je suis heureux de
ouvoir dire à monsieur le comte que c'est une jeune
ersonne très-honnête, très-bien, qui sera, pour made-
moiselle Sylvanie une connaissancs très-convenable,
espère même une amie, puisque c'est ma nièce.
Et la marierons, dit madame Mérou.


;nous
Elle
esronest
ne travaillera plus, c'est bien entendu,
le monde de Paris ignorera complètement
a
dit

DUS
;
qu'elle a été pauvre, qu'elle

nom.
son vrai
du talent; on cachera
u'elle a été artiste c'est facile, puisque ce n'est pas
Nous en ferons une femme comme
faut. Elle poura ne rien faire du matin au soir! Que
:
dites-vous de cela, ma nièce?
-Met'ci, mon oncle, répondit Métella en souriant,
mais la première chose que je veux faire en ce moment,
c'est de rendre des actions de grâce a mademoiselle de
Plenoël, qui m'accorda sa protection, à moi pauvre et
iconnue. Si cette protection me fut ôtéesans que j'en
ache la cause, je n'en garde pas moins une vive re-
connaissance pour le premier mouvement qui l'avait
menée près de moi.
Puis, se tournant vers Sylvanie, elle ajouta :
argen
par
—Ce que je ne puis garder, c'est cet
vous chez moi. La maladie m'a seule
mantW
le remettre plus tôt. Pauvre, jerefusais de
em
fet d'une générosité que j'apprécie, que j'admire, m
dont je n'aurais pas profité. Vous aviez donnécet ]
gent en échange de bons sentiments que vous^BQ
après me les avoir offerts.

— nuage encore est entre vous et


-3
moi.
Sylvanie fit un mouvement, mais ne dit rien.
Un
:

jour je finirai par découvrir ce que vous me caohfiaj


s'il est pouvoir de le j
dissiper,
;;
croyez que en mon

Emilien..
ne me coûtera pour cela.
Sylvanie allait répondre on ouvrit la porte pour î
noncer M. Gustave Desronest il entraînait a~a~
Ils étaient encore vers la porte que Métella semi

j
trembler et que mademoiselle de Plenoël pâlit. J
Emilien fut surpris de trouver Métella. Mais imd
que Gustave saluait le comte, il lui dit
artiste
: _j
voulais
— Voici
conduire.
Gustave se
la
retourna.
jeune chez laquelle je

Une indicible surprise se peignit sur son visagej


À

mouvement involontaire le rapprocha de Métella. 1


venait de perdre connaissance. ¡

Comme ils !
Emilien fit un cri douloureux, et Sylvanie se diU
s'aiment

Mademoiselle de Béville attribua l'éyanouîssemeii
la maladie, à la sortie trop prématurée, etc.,
Personne ne l'écoutait. On s'empressait autour «fl
e
jeune fille; Desronest, seul, ne s'approcha
tirant le comte à part, lui dit bas avec humeur : iy
—C'est l'arrivée de ce M. Emilien qui a causé 11
J

cident. Vous s'avez, ils se connaissaient. Mais il


que cela cesse, à présent qu'elle est ma nièce, jes
souffrirais pas qu'il la revoie.Et d'ailleurs,
pie lui-même,
quand il saura qui elle est, il se rendra
ustice. Il doit bien penser qu'elle ne sera pas pour
;
ni,etqu'il ne doit plus y prétendre dans sa situation.
i'est-il pas vrai? monsieur le comte faites-lui enten-
Ire raison à ce poëte !
L'air méprisant avec lequel le financier prononça ces
pots aurait excité le rire chez M. de Plenoël, s'il
eU pas été trop profondément attristé en ce moment;
répondit donc d'un ton :
sérieux
—Monsieur Desronest, j'ai à vous parler sur M. Emi-
en et sur M. votre fils. Mais ici, en ce moment, c'est
possible.
— Je reviendrai dans une heure, monsieur le comte,
armoij'aigrande impatience de vous entendre, etune
reure suffira bien pour écarter tout cela — Gustave,
lit-il à son fils, j'ai besoin de vous, suivez-moi.
|
L
Gustave suivit son père.
Je ne quitterai pas ma nièce, dit madame Mérou ;

e la soignerai, la pauvre enfant !

;
—Elle en a trop de gens pour la soigner, dit Desro-
est d'un ton insolent, en regardant Emilien puis il
1.

iortit.
Cependant Métella commençait à revenir à elle ma- ;
demoiselle de Béville insista pour qu'on la laissât repo-
er quelques instants dans sa chambre, sur son lit. Ma-
ame Mérou voulut l'aider à y conduire sa nièce, et
tardait tristement en lui disant
Que
:
Sylvanie se trouva un moment près d'Emilien qui la re-

vous êtes pâle. Vous souffrez. Vous avez



pleuré ?
Sylvanie leva sur lui ses beaux yeux naturellement
clairs et si limpides. Une larme était sur la paupière,
la
~ir jeune fille craignit de n'avoir pas la force de re-
~ensive,
ses pleurs si elle parlait. Alors, silencieuse et
~tutes elle resta devant Emilien pendant quelques
immobile.
— Oh! ciel, dit-il, qu'avez-vous
Mais elle ne répondit pas; seulement, avant de tal
quitter,voulant lui montrer qu'elle gardait encore cette.
?
amitié, charme de leursjours d'entants, elle lui tendiiJ

chambre.
la main, qu'il pressa dans les siennes. Puis, made-
moisellede Plenoël s'échappa pour aller s'enfermer
dans sa
Emilien traversait lentement
lorsqu'on entendit la
le salon pour se retirer
voix de madame de Mérou, qu~

:
revenait. Le comte sortit de sa rêverie à ce bruit,
dit au jeune homme
e
Ne vous éloignez pas de la maison, Emilien
— à présent, des jours entiers
comme vous le faites pour
Il faut que vous soyez ici dans une heure, j'aurai alors
besoin de votre présence.
— Je suis à vos ordres, dit Emilien.
£
Et madame Mérou étant entrée, il se retira pendant
qu'elle disait:
Je viens de remplir mes fonctions de tante.
L'enfant va mieux. C'était de la fatigue. Elle sendort

heure de sommeil, et l'on est guéri à cet âge.
une
Elle est charmante et je veux m'occuper de son avec
nir. C'est ma nièce, et je ne suis pas sans quelques tort
à son égard; il faut que je les répare.
-
comte.
Voilà qui fait honneur à votre cœur, dit H

Oh ! je vaux mieux que vous ne croyez, reprit


— dans le tourbillon et les vanités dit
elle en riant; mais, sentiJ
monde, il y a tant de bruit parfois, que les bons
ments ne peuvent plus se faire entendre. Mais catlt
petite est charmante, et depuis que je l'ai examinée
c'est tout le portrait de sa mère, à vingt ans, quand
deux bom
nous étions ensemble à nous aimer comme
sœurs!. Cette souvenirs, cela m'a sais
nes vue, ces traité
sie. Pauvre enfant! avec quel dédain je l'avais
autre jour. Ah! il faut qu'elle soit heureuse, je lui
!
ois cela
Madame Mérou essuya furtivement une larme à ses
aupières. Cette larme, qu'elle voulait cacher, venait
e reconcilier M. de Plenoël avec elle; il se rappro-
ha et la regarda avec attention pour la première
bis.

;
Madame Mérou avait passé cinquante ans, car elle
tait l'aînée de son frère mais des yeux encore vifs,
n peu d'embonpoint, un air de bonne santé et une
xpression naturellement joyeuse, l'eussent encore ren-
ue agréable à voir, si, sous prétexte de dignité et
airs de grande dame, elle n'eût pincé les lèvres et
ris une mine hautaine et dédaigneuse qui, sur cette
gure assez commune, faisait l'effet le plus disgra-
ieux. En ce moment, elle oubliait lerôle qu'elle jouait
ans le momde, un bon sentiment la
el, et c'était tout à son avantage.
ramenait au natu-
Le comte ne put s'empêcher de dire :
- Ah ! c'est bien cela ! madame.
Il hésita un peu et ajouta:
- Madame la comtesse.

!
in riant et en disant avec surprse :
Madame Mérou se retourna vivement de son côté

— Madame la comtesse voilà donc le grand mot


ché. C'est la première fois, monsieur le comte, que
ous me donnez ce titre, qui m'appartient; je l'ai acheté
l'un chapitre de chanoinesse. Mais. il semblait que
ça vous eût écorché la bouche.
— Vous croyez ?dit le comte en souriant.
Si je le !
crois ! j'en suis sûre

!
—Ah! ah vous êtes sûre que je ne voulais pas,
répondit M. de Plenoël, toujours !
en riant. Eh bien à
je
présent. soyez sûre que veux et que je ne manque-
aipas de dire: Madame la comtesse.
Madame
Mérou prit ou plutôt se laissa aller à un air
toutà fait de bonne lefemme. C'était
naturel.
un peu commun,
mais ça plaisait par
Ma foi, monsieur le comte, je vous en dispense,
— Mérou. Allez, je suis ,
dit tout bonnement madame une
bonne femme, sans qu'il y paraisse, peut-être. Mais r
vous, vous êtes un homme d'esprit et de bon sens, et 1
l'on n'a rien à perdre avec vous à être vraie. Ce n'est J
pas comme avec tout votre beau monde, qui n'est qu'un
mensonge perpétuel; si on ne ment pas, il n'a aucune
estime pour vous.
Le comte ne revenait pas de la surpriseque lui eau- -

lui expliquer en continuant :


sait la métamorphose de madame Mérou. Elle voulut la
—Moi, quand j'avais vingt ans, je n'étais pas ri- -
che. mais j'étais jolie, bonne et pas trop bête; je
portais tout cela dans le monde. Oh! le monde de la
finance, des agents de change, banquiers, etc., etc..
:
On se disait « Qu'est-ce que cette jeune femme? » Et
c'était de l'air le plus dédaigneux qu'on répondait:
~J

Madame Mérou, ça n'est pas riche!. » Alors tout j


était dit, on ne meregardaitplus, on nes'occupaitplus
«

de moi. Un jour, mon mari, un brave homme, un peu~


intéressé, un peu avare, un peu maussade, faitune
spéculation heureuse, nous enrichit et meurt. Dieu
!
veuille avoir son âme quoiqu'il aimât trop l'argent..
Mais le cher homme ne se doutait pourtant pas de tout~
je :
ce
encore; !.»
qu'il vaut
mais
madame Mérou
de notre
bientôtje
temps.
vis de
Moi
quel
m'en
air on
doutais moinsa~
disait « C'est~
Mon nom avait grossi, il emplis--
sait la bouche de ceux qui ne le prononçaient, avant,
que du bout des lèvres. Il était gros, gros, tout justes
comme les millions que Mérou m'avait laissés.
Alors madame Mérou se mit à rire de tout son
cœur, cetair
Vous avez de l'esprit, dit le comte, avec

aimable qu'on prend en reconnaissant un des siens, 1
: Madame Mérou, encouragée par le comte, reprit

-Aussi
ainsi
ce monde d'argent m'ennuyait et je voulus
voir
plus la noblesse. Une amie de pension, qui tient aux
trouver
grandes familles, et que j'eus le bonheur de re-
au moment où je pouvais lui rendre un service,
m'introduisit dans ce grand monde, avec ces mots magi-
ques : « C'estune veuve millionnaire » Vous savez? la
1

clef d'or ouvre toutes les serrures. Je ne suis pas sûre


que les proverbes soient toujours la sagesse des na-
tions, mais celui-ciest certainement la vérité de la
aôtre.
— Vous avez beaucoup d'esprit, madame, dit le
comte, avec le plus aimable sourire.
-
C'est ce qui fit, reprit en riant madame de Mérou
chose ;
_ua je m'aperçus bien vite qu'il me manquait quelque
le nom de Mérou, tout gonflé chez mes ban-
quiers, était redevenu si petit dans la noblesse, qu'on
liele prononçait encore là que du bout des lèvres, avec
lédain; et je ne voyais de poli, avec moi, que ceux qui
m'empruntaient de l'argent. Alors, je me dis puis- :
que avec de l'argent on a tout, ayons un titre ! Jepartis
pour l'Allemagne,
plent, àbas où des chapitres nobles vous affu-
prix, d'un titre de comtesse.., Je crus, il
stvrai,au retour,que j'en étais pour mes frais. C'était
tenait
k la fin de février 1848 que je rentrais dans Paris; on
d'y abolir la noblesse.
-C'était jouer de malheur, dit le comte gaiement.
L—Heureusement, ce n'était qu'une fausse alerte,
lontinua madame Mérou, plus gaiement encore. Non-
seulement ceux qui avaient des titres, les ont repris,
tour
mais bon nombre de gens profitèrent de l'occasion
en reprendre qu'ils n'avaient jamais eu la peine
E -Ah ! madame, dit le comte avec vivacité, vous avez
infiniment d'esprit, et l'on doit redouter la finesse et
le piquant de vos observalious.
Il y avait dans l'inflexionde la voix du comte, et dans
une sorte de deférenec qui accompagnait ces mots,
comme uneespècede soumission,cequ'endiplomatieon
appelle la reconnaissance d'un pouvoir avec lequel on
traitera à l'avenir d'égal à égal.
— Et je ne manque pas de cœur, reprit madame Mé-
rou; mais je m'étais affubléede dédains peu aimables.
Dans ce monde, l'air méprisant est fort bien porté; ça
donne l'air comme il faut, et les gens vous estiment
d'autant plus que vous avez l'air de les estimer moins;
ils se rendent justice.
—Ah! croyez, interrompit M. de Plenoël, qu'il est
encore, même dans la triste société de nos jours, des
personnesquiapprécient les qualités réellesetqui gar-
dent pour elles leurs meilleurs sentiments.
Le ton amical dont ces paroles furent prononcées

!
alla au cœur de madame Merou.
—Mon Dieu que jeseraisheureuse si unquartd'heure
de bon sens me valait l'estime, et, par suite, l'amitié
d'un homme comme vous. Ce serait à rendre raison-
nable pour le reste de la vie.
;
—Merci, madame, répondit le comte en lui tendant
la main je n'apprécie rien au monde autant que l'a-
mitiéd'une femme d'esprit.
— Quelle bonne influence vous exercez, monsieur le
comte! Votre bon sens et votre spirituelle raison se
;
gagnent, et Dieu sait si l'on me reprendra à toutes ces
sottes vanités je les laisse à ceux qui me les avaient
données, quoiqu'ils en aient assez pour se passer des
miennes. Et maintenant, permettez que je m'occupe de
ma chère nièce et de votre pupile, M. Emilien, qu'elle
semble aimer.
Un nuage assombrit alors lafigure du comte, mais il
répondit pourtant avec bonté:
k-Un mystère entoure la destinée d'Emilien
ser. Voici M. Desronest que
; il doit
j'ai prié de revenir.
En Desronest entrait. M. de Plenoël fit deman-
effet,
irEmilien. Comme Sylvanie paraissait alors à la
irle de la chambre pour annoncer que Métella était
ut-h fait remise de son indisposition.
L-
Venez, ma fille, lui ditle comte; restez avec nous.
ici M. Emilien, et vous devez apprendre aussi tout
qui regarde la destinée de celui que vous avez tou-
rs aimé comme un frère.
Le comte, en disant ces mots, souffrait visiblement.
lvanie
utenir le sentit et s'arma de tout son courage pour
dignement cette épreuve. Elle s'assit, pâle et
cœur serré; mais quand Emilien plaça son siège tout
rès du sien, elle eut la force de lui sourire en lui di-
bt:
— Tout le monde ici désire votre bonheur, même
lux qui regrettent de n'y plus être pour rien.
Emilien la regarda avec surprise et tristesse. Le
mte prit la parole et s'exprima ainsi :
VI
EMILIEN.

- Je vais donc, dit le comte de Plenoël, vous par-


br franchement et expliquer devant tous comment et
turquoi Emilien a été élevé dans ma maison et re-
rdé comme un frère par ma fille. M. Desronest s'en
st inquiété, et maintenant il me semble qu'il a plus de
roits que jamais à une explication.
Desronest interrompit pour dire
Quelle soit cette
:
explication de votre con-
— monsieur que
uite,
lut, le comte, puisqu'il est convenu que
pus devons parleravec franchise, je dois dire, avant
que notre nièce ne peut, dans aucun cas, revoir
monsieur. Un homme sans fortune, sans position, nfll
peut jamais aspirer à une personne de notre famillel.
— Et si l'amour s'en mêle, mon cher frère de-c
manda madame Mérou.
?
L'amour? répondit le banquier; allons donc!

;
C'est bon pour les riches, quand on n'a plus rien £
faire mais il faut commencer par la fortune. Et unoi
personne qui tient à moi. à moi, qui ne suis, il cslé
vrai, qu'un bon bourgeois, mais ayant une fortune faite
!
et connue à Paris. eh bien cette personne doit épou-i
!
ser un homme riche qui me fasse honneur, et non paasj
un écrivain, un poëte Si on y avait pensé! si, conw

en être question maintenant ;


me vous dites, ma sœur, l'amour s'en était mêlé, quand)
on était seule, pauvre, sans espérances, il ne peut plus;
; ce qui s'est dit alors HE),
compte pas notre nièce ne peut tenir les promesses
faites par la pauvre artiste. Et si j'insiste, c'est quoi
tout à l'heure, quand je suis sorti d'ici, j'ai vu mofi-f
sieur entrerdans la chambre où l'on avait conduit no-(
tre nièce. Oui, il y est resté, et même Gustave, qul.,
j'emmenais, m'aéchappépour aller le retrouver.. MaiW
fils et nièce doivent à l'avenir cesser toute relatioi
avec monsieur. Je le veux, et il faudra bien que celi
soit. Et maintenant que c'est bien convenu, j'écoutera
volontiers ce que voudra dire monsieur le comte poui
répondre à ce que je lui témoignai un jour d'inquié
tudes dans une toute autre pensée. t
j
Desronest faisait allusion à la demande qu'il avai
faite de la main de Sylvanie et aux questions surEmij
lien; il pensait que M. de Plenoëllui devait cette ex-i
plication, mais seulement comme préliminaires du ma ld
riage de son fils avec Sylvanie, et il voulait que
comte ne pût s'y tromper et ne supposât pas que 1
qu'un qui lui appartenait.
poëte pût être quelque chose pour lui ou pour queH
Emilien, préoccupé parla pâleur et l'air souffrant dlj
.1
ylvanie, le
n'entendit qu'à peine ce que disait ban-
quier;il leregarda pourtant d'un air étonné qui si-
nifiait : Je ne sais pas le moins du monde de quoi il
put être question entre vous et moi. Peut-être même
lait-il interroger à cesujet, lorsque le comte le pré-

- ,
dit en reprenant ainsi la parole :
je veux vous faire connaître à tous ce qui
Oui Emilien;
regarde
je viens de m'y engager, et les cir-
:
constances l'exigent. Mais j'éprouve pourtant une es-
ece de scrupule j'avais promis de garder le silence
jusqu'à sa majorité, qui arrive dans un mois à peu près.
elui à qui j'avais fait cette promesse m'absoudra, je
espère,
dis de devancer l'époque arrêtée, car je ne le
que dans l'intérêt du bonheur qui me fut con-
Emilien se tourna vers le comte en lui disant
Parlez donc, monsieur, et quelque chose
:
que j'ap-

renne sur ma destinée, je n'oublierai jamais que de-
puis vingt
ans vous me traitez comme l'eût fait le meil-
leur et le plus intelligent des pères, que je vous dois
ton
~ut ce qu'il Aussi
y a de bon dans mon cœur et de sage dans
esprit. je vous aime comme le plus tendre
es fils, et je vous serai dévoué toute ma vie.
Le comte était ému par ces bonnes et douces paroles,
J'eus ami
:
orsqu'il reprit ainsi
de jeunesse, le marquis Raoul
:— un ma
Tolcey. C'était le plus beau et le plus spirituel des
mmes. Jamais l'enfance charmante ne donna plus
espérance d'une supériorité incontestable pourl'hom-
le;on ne pouvait le voir sans être attiré vers lui par
ne irrésistible sympathie, et toutes ses paroles, toutes
es actions ajoutaient à cet attrait qu'on éprouvait
eur lui dès le premier moment. Mais. une mèreido-
~tre de son unique hértier, une fortune considérable
ont ilfut maître dès l'âge de 17 ans et des succès inouïs
ans le monde le jetèrent dans toutes les folles excen-
tricités de la mode. C'était l'époque où une révolution
venait d'arracherle pouvoir à ceux que Raoul eût p
servir de son cœur, de son intelligence etdeson bras
Il resta oisif comme la plupart de nous ; l'esprit bour
geois régnait avec ses habitudes mercantiles et se
mesquines combinaisons. Raoul, choqué des vanité
financières, plus hautaines qu'aucune autre, irrité con
tre une société qui ne réalisait nul de ses rêves, si
vengea par mille folles actions de ne pouvoir en fair
;
utilement de raisonnables. Il fut cité, envié, imité
enfin il devint l'homme à la mode son esprit railleu
se moqua impitoyablement de ses imitateurs comm
de ses envieux, et tous devinrent bientôt des ennemis..
Que voulez-vous? les jeunes gens en France ne fon
riende bon de leur temps quand ils sont riches, il fau
bien qu'ils en fassent quelque chose de mauvais, e
pour s'occuper, ils se disputent souvent et se batten
quelquefois. Raoul soutint des duels où son courage e
son adresse firent du bruit. Mon amitié conçut les plu
vives inquiétudes. Sa famille et sa mère avaient ofc
tenu de lui qu'il se mariât très-jeune, croyant mettre
à
un frein toutes les vives exaltations de son âme.S~
Raoul femme l'adorait, car il était impossiblede
belle jeune
voir de près sans l'aimer; mais la vie de ceux
qui l'aimaient était constamment inquiète et troublée,
Il serait trop long d'énumérer tous lesdangers aux
quels il s'exposait, je ne vous en ai parlé que plU
vous fairecomprendre les raisons qui amenèrent s
dernière résolution. Un jour, il me fit appeler; il
nait d'être blessé mortellement dans un duel, et si
v
femme, mourante dela poitrine, était pâle et sans force
près du lit qu'il ne devait plus quitter. Cette jeune
femme, désolée,portait ses beaux yeux pleins d
larmes sur le lit où souffrait sans espoir l'objet de soi
amour passionné, puis les reportait ensuite sur leber
ceau d'un bel enfant de trois mois, qu'elle savait bien
levoir quitter avant peu; et ces deux profondes dou-
leurs me glacèrent d'épouvante. —Viens, me dit
aoul, nous avons bien besoin tous deux que tu vives,
oi! Ecoule, mon ami, je te charge de mes dernières
~oloniés, et je te demande au nom de notre amitié,
eule joie qui est restée belle, pure et sans nuage, je
~e supplie d'exécuter mes volontés irrévocables pour
enfant qui va nous survivre, car je ne pars pas
seul.
« A ces mots, sa jeune femme pencha sur le lit son
visage, aussi décoloré que celui de Raoul, en di-
ant:
« — Heureusement nous ne nous quitterons pas.
« — Mais puisque nous quittons tous deux forcé-
ment ce pauvre enfant, prends-le, mon ami, ajouta le
blessé, et s .is fidèle à ce que j'exige de toi. Depuis
eux ans que tu es marié, tu n'as pas encore d'enfant;
u pourrais donc élevermon fils comme le tien. Je ne
e veux pas. Oh ! non, tu vois la suite de mes folies,
st ces folies n'ont été elles-mêmes que la suite de la
fortune, de la naissance et de la liberté, dont les avan-
tagesont été à ma disposition avant que j'eusse larai-
son nécessaire pour en faire un bon emploi. Puis, on
ne m'avait donné que ces frivoles principes du point
l'honneur; ce n'est pas assez. Le doute, ce mal des
jours orageux, ce fruit des sociétés vieillies, laisse
l'âme sans appui contre les passions, sans guide contre
les périls. Donne donc à ce fils de fermes principes
ui puissent le protéger, car il faut qu'il croie n'avoir
d'autre protection
vertu. dans le monde que son courage et
sa Qu'il soit élevé comme un orphelin sans for-
tune et sans nom; qu'il reste jusqu'à vingt et un ans
avec l'idée que son travail sera sa seule ressource.
a,
des mon ami, si je lui donne ainsi quelques inquié-
!.
dansles premières années, que de bonheur nouslui
éparons pour tout le reste de sa vie Promets donc
de te conformer à ma volonté, pour que je meure pas
Emilie
sible et que j'emporte pour ton amitié une reconn
sance éternelle. — Vous devinez bien que je m~H
et vous êtes témoin que j'ai tenu ma promesse^Sjj
disant:
Ici Desronest se tourna avec respect vers

— Et cet orphelin sans nom


serait ?.-
-- !
Emilien, répondit le comte en souriant.
Ah ditle jeune homme avec une --
indicible
pression de tendresse en regardant Sylvanie, qj3
taitimpassible, comme si rien en ce monde ne un
plus l'intéresser.
riche?

?
Ainsi,
est marquis
Sa
demanda
fortune est
madame
d'autant
Mérou,
plus
il est
considérable,
-
qy3

s'est accrue de ces vingt années d'économies. SQHg
!
est des plus nobles
Desronest se remettait de sa surprise et n'épou —

plus que de la joie. Il avait déjà repété deux


: !
fois en lui-même —Marquis et millionnaire fllH

: !
naire et marquis!.—Cela luiplaisait tant! co^K
vrait si bien ces autres mots Ecrivain poëte
ne s'en souvenait plus et oubliait de même toutce
d~
:
en avait dit. Aussi ce fut en regardant Emilien
le plus affectueux qu'il dit Cet aimable mon
!
Emilien, qu'il est heureux et doublement, cgrt®
aimé pour lui-même, avant de savoir qu'ilétaitriche
Voilà le véritable amour; et une famille honorable
peut que céder aux vœux de deux jeunes gens
s'aiment.
—Vous vous trompez peut-être, monsieur, ditEn-
lien froidement.


? Comment!
Desronest eut un mouvement superbe en s'ecria
rôles est-ce que.?
est-ce que vous démentiriez vos
Il fut interrompu par un domestique annonce
M. Gustave Desronest.
Madame Mérou profita de cela pour prier qu'on fît
venir sa nièce, qui devait être en état de reparaître
Dèsque
la porte fut fermée, Gustave fut interpellé
par son père
Vous
l'honneur
:
arrivez à propos, Gustave; je suis bien aise

ue vous entendiez ce que je vais dire. Un homme
n'a que sa parole, n'est-ce pas?
Desronest lui laissa
- ne en :
—Mais, monsieur. ditEmilien qui voulait parler.
pas le temps
Ne l'eût-il pas donnée solennellement, reprit le
banquier avec vivacité, il n'est pas moins engagé,
uand il a fait naître l'espoir d'un mariage, qu'il s'est
it aimer, qu'il a fait remarquer ses assiduités. il ne
eut rompre un pareil engagement.
[ Gustave
ne pouvait en croire ce qu'il entendait, tant
e langage différait des principes connus de son père
tssi eut-il l'idée de lui faire répéter des paroles aussi
;
!
ranges, afin d'être sûr de ne pas se tromper.
— Quoi mon père, vous reconnaissez qu'une affec-
on réciproque engage avec une jeune personne ?.
smanda Gustave avec inquiétude.
nul doute, repartit Desronest, qui n--hésitait
tenir une proposition,quand elle était fa-
--

intérêts. C'est un devoir, la jeune per-


sans fortune. Qu'importe, si celui qui
leaime en a bien plus qu'il n'en faut
epouser, en pareil cas, est une obligation
~se dispenser sans cesser d'être honnête

a
Gustave, que je suis heureux, mon
ends
tendre parler ainsi 1

pas la vivacité de votre joie, re-


pris. Car vous ignorez encore que
: !
l'impatient Gustave. Oh ce cher ami n'a point perdu
de temps je viens de lui faire, seulement à présent.
et il y a une demi-heure, la confidence de mon coeur,
et déjà il vous a décidé à remplir tous mes désirs.
Desronest n'y comprenait plus rien. Mais Gustave
était l'étourdi français dans toute sa verve, ~n'écoutam
que ce qu'il disait, quand il était animé par la joie, eE
:
ne s'apercevant pas de l'effet de ses paroles. Son at-
tention, pourtant, fut attirée vers la porte c'était ma-
demoiselle de Béville amenant Métella, ou plutôt FéiI
licie, la nièce de Desronest, la cousine de Gustave; à
courut à elle avec le plus joyeux empressement, ~ex,
disant, avec une vive tendresse: Venez, venez, ~mu
cousine, ma chère Félicie, vous n'avez plus rien ¡;.
craindre; ce bon Emilien m'a déjà obtenu mon pardon
de vous; il vient encore de faire une chose plus ~diffitl
cile : c'est de faire approuver mes projets par mon pères
non-seulement il permet, mais il commande notre
union
:
Desronest, stupéfait, s'écria
— Est-ce qu'il devient fou?
Madame Mérou, s'adressant au comte, deman ~dac
que cela voulait dire. Mais, avant qu'il eût répondu
Gustave avait amené sa cousine près de son père, e
:
disait
— Embrassez
! votre
—Ma fille allons donc !fille.
dit Desronest en reculant.
Gustave commençait à s'apercevoir de la surprise dt
son père, et ne put s'empêcher de la remarquer.
—Pourquoi cet air étonné? je vous obéis. ~vous
venez vous-même de me commander de l'épouser.
Moi? s'écria de Desronest. Tu
— nouveau
; perd
donc la raison ? Il ne s'agissait pas de toi le moins~d
monde. Tu ne connais pas ta cousine tu l'as vue a
jourd'hui pour la première fois.
— Je la connais, mon père, reprit gravement ~Gu
kve; nous nous sommes vus en Italie, et c'est depuis
t Maisl'objet de mon affection et de mes regrets.
temps
— elle aime monsieur, répondit Desronest en
te tournant vers Emilien.
— Je n'ai jamais aimé que Gustave, dit ta jeune fille
ec simplicité.
-Vous l'épouserez jamais! reprit le banquier
ne
fec colère.
Il y eut un moment de silence, pendant lequel la
[hysionomie de Sylvanie perdit toute sa sombre tris-
Esse, et où son regard plein de douceur et d'affection
ercha la cousine de Gustave. Celle-ci s'approcha sans
rler de Sylvanie, lui prit la main qu'elle pressa dans
5s siennes, et comme mademoiselle de Plenoël était
'une taille plus élevée, le front de la jeune artiste était
près de ses lèvres, qu'elle y déposa un baiser pen-
que Métella murmura tout bas
nt Emilien
vous aime tant!
;

La crainted'êtreentendue des autres lui avait fait pro-

»
:
ncer ces mots si faiblement, qu'elle crut un moment
'avoir pas été comprise. Cependant, sans répondre,
ylvanie lui dit si tendrement « Que l'amitié sera douce
Gustave crut devoir répondre à son père :
~ntre nous! qu'elle vit bien qu'elle était dévinée.

l- Vous disiez à l'instant qu'un homme d'honneur


'i que sa parole?
— Vous ne l'avez pas donnée, j'espère? repartit le
Itnquier.
Mais Gustave ne s'avoua pas vaincu, et il reprit :
-n «
Qu'importe, n'est-on pas aussi engagé quand
a fait naître l'espoir d'un mariage, qu'on s'est fait
imer et qu'on a plus de fortune qu'il n'en faut pour
eux? » Oh! ce sont vos paroles, mon père! et vous
utiez qu'épouser en pareil cas est un devoir dont on
E peut se dispenser sans cesser d'être un homme
onneur.
;
Desronest étouffait de colère et de dépit de ne pou-
voir trouver de bonnes raisons cela ne lui ôta point
:

-
pourtant la faculté de répondre d'une voix saccadée
!
— Est-ce que c'est pour vous que je disais cela?
Est-ce que vous pouvez l'épouser, vous Mais il y a-folie
à prendre mes paroles comme vous le faites, et je sau-
rai bien vous rendre à la raison. Epouser votre cou-
sine qui n'a rien! faire une pareille mésalliance! Et à
quoi bon, alors, d'être millionnaire? , le
en souriant
votre fille.
;
—C'est bon à tout, mon cher monsieur dit
d'abord M enrichira votre nièce,
comte
devenue

— Je ne veux pas d'elle pour ;


fille j'en ai une autre

;
que vous connaissez, s'écria Desronest. Gustave n'est
pas libre j'ai demandé pour lui la main de mademoi-
selle Sylvanie de Plenoël. -

— Qui l'a refusée, mon père, dit Gustave. Car elle


aime Emilien dès l'enfance; et lui, il serait mort de]
chagrin, si elle était devenue ma femme.
Emilien regarda Sylvanie, qui essuyait des larmes
de bonheur, et comme il était tout près d'elle, il put
lui dire:
— Que je suis heureux 1

Car elle lui tendait la main, qu'il serraitavec trans-


port dansles siennes. Quant au comte, tout son cœur
s'épanouissait aussi, à l'idée qu'une erreur seule avait
pu troubler, un moment, le bonheur de ses enfants.
Métella avait repris courage. Et quelle est la femme
qui n'en retrouve pas quand elle se sent aimée et
que le malheur ne lui vient pas de ce qui lui est
cher?
— Mon oncle, dit-elle, je ne veux pas que vous ayez
la moindre contrariété à cause de moi. Je n'accepte-
rais la main demoncousin que si vous me l'offriez
vous-même.
-
MaisAlors, je suis. tranquille, dit assez
banquier, de mauvaise humeur.
brutalement le
madame Mérou, qui le remarquait, voulut ré-
parer l'injustice de son frère, en disant avec un
:petite, tu n'y perdras rien. J'ai renoncé à toutes
sourire
Va,

ces bêtises de vanités, depuis que j'ai vu qu'il y a en-
core des gens de bons sens qui apprécient les choses rai-
sonnables. Mieux vautl'estime d'un seulhomme d'esprit
que l'empressement de tous les sots. Je ne me ferai
ni duchesse ni princesse avec mes millions, mais je te
ferai heureuse. Tu pourras choisir parmi les meil-
leurs partis de Paris, avec ce que je te donnerai, sans
compter tout mon héritage, après moi !
— Ah dit Desronest, plus calme.
— Mon
!

père, reprit Sylvanie en souriant,


Evons plus besoin de votre marquisat d'Espagne ;
nous n'a-

-t
vou-
ez-vous en disposer en faveur de celui qu'épousera
iton amie ?Car Métella sera ma meilleure amie.
Rien de plus facile que cet arrangement, répon-
le comte en regardant Desronest, dont la physio-
mie avait subi un notable changement.
[ L'air colère et la mauvaise humeur avaient disparu.

sUne expression plus calme, plus douce, plus aimable,


avait remplacés.Enfin,un sourirejoyeux et une inef-
;
able béatitude vint briller sur son gros visage. On
entendit se dilater dans un soupir puis, il prit la pa-
x)le avec un laissé-aller de bonhomme qui semblait
but à faitque
voudrais naturel : le
tout mondefûtcontentautour
p— Mon Dieu dit-il, moi je suis un bonhomme, de je
moi. 1

.— Certainement, nous le savons bien, reprit le


fcmte,
retenant une grande envie de rire, mais lais-
t

nt percerune expressionmoqueuse qu'il lui était im-


ossible
de dissimuler complètement. Oui, nous sa-
vons que vous êtes bon, et que l'esprit de justice dicte
seul vos paroles et vos actions. Témoin ce que, vous
disiez tout à l'heure à Emilien, sur les devoirs d'un
honnête homme envers une jeune personne dont il
s'est fait aimer.
— Ma nièce aura des maris à choisir, ajouta ma-
dame Mérou, avec ma fortune assurée et un vrai titre
de marquis. Car l'argent est toujours bon dans tous
les temps; les titres sont très-désirés dans le nôtre.
— Et il n'est pas mauvais quelquefois d'avoir un

,
beau château en Espagne, dit le comte. Ainsi, made-
moiselle n'a pas besoin qu'on l'épouse par devoir.
Desronest prit l'air important d'un homme qui pose
pour sa statue.
— Mais moi, monsieur le comte, je veux que mon

la même solennité.
fils remplisse tous les siens.
Tout le monde fut étonné. Desronest continua avec

— Ma nièce s'est bien conduite, en disant qu'elle


n'épouserait son cousin que sur ma demande; je lui
demande donc sa main pour Gustave.
— Mon père, s'écria le jeune homme, vous comblez
tous mes vœux.
La main de Métella était dans celle de Gustave avant
qu'il eût achevé sa phrase.
C'est bien, monsieur Desronest, dit M. de Ple-

noël avec assez de sérieux. Mais il ne put s'empê-

:; :
cher de sourire avec la plus étrange malice en ajou-
tant — Vous aviez raison de dire l'honneur avant
tout car il y a des gens qui, dans leurs affaires, leurs
actions et leurs paroles, pensent tellement à leurs in-
térêts, que pour juger des choses, ils ont deux poids
et deux mesures.
- ! Oh je ne suis pas de ceux-là, dit le banquier
avec une parfaite bonhomie.
Personne ne pensait à la pauvre mademoiselle de
rille, qui se cachait un peu, il est vrai, pour essuyer
Iques larmes;
personne ne la voyait, si ce n'est
lella, qui avait trop souffert pour que les larmes de
qu'un pussent couler près d'elle sans être aper-
«. Aussiposa-t-elle doucement une main sur le bras
lylvanie, en lui indiquant de l'autre, sans rien dire,
istesse de sa gouvernante. Sylvanie fut à elle vi-
nent, et surprenant sa douleur pour l'interroger :
!
! ?
Qu'avez-vous
répondit
dit-elle, mon bonheur vous afflige
la vieille fille, j'avais
-
pourtant ac-
-tumé pensée à la nécessité de chercher
Hélas
une
ma
re maison ?
-Chercher une autre maison! me quitter! Qu'y a-
? ?
Etes-vous malheureuse avec moi demanda Syl-
lie.

:
ademoiselle de Béville, étonnée, ne put s'empêcher
montrer sa surprise
- Ne le faut-il pas, à présent que vous n'avez plus
bin de moi? répondit l'institutrice.
p- Ah
snoël, ! dit d'un ton de reproche mademoiselle de
croyez-vous donc que j'aie assez mal profité
l'éducation que j'ai reçue de vous et de mon père,
,lus noble cœur du monde, pour laisser celle qui
fre dix ans m'a tenu lieu d'une mère, devoir à tout
puis
qu'à moi le repos qui lui est nécessaire à présent ?
i*i ! je vivrais dans le luxe, et vous auriez besoin de
[vailler pour vivre dans la privation. Vous êtes de
famille,
ma bonne amie, et on ne laisse ses parents
mquer de rien, quand on est riche et bien élevé.
IUS aurez toute votre vie ce que vous avez eu jus-
;
'ici vous resterez près de moi, parce que j'ai encore
m des choses à appendre, et que d'ailleurs je ne sais
i me passer de ceux que j'aime. Elle souriait avec
e grâce ravissante en disant ces mots, et en ajoutant
Ah ! vous croyiez n'avoir plus que Mignon à soigner?
:
!
Eh bien il sera jaloux s'il veut, mais il me faut à toi
jamais une part de votre amitié.
La pauvre vieille fille avait le cœur si plein de joo
qu'elle ne pouvait parler, et ce fut en balbutiant qu'ell
s'écria:

-!. Ah ! monsieur Emilien, quelle femme vous ~aur

Le jeune homme laissa son âme exaltée ~s'exprima


ainsi :
Moi qu'on blâmait, dit-il, de rêver monde idée
— un
où tous étaient bons et heureux, je vois la réalité ~di.
passer encore mes plus beaux rêves
Mais, monsieur le marquis,
!
dit de plus
sa grosse

;
voix Desronest, vous voyez cela ici ailleurs iln'en ~e
pas de même, je vous assure.
—Cela viendra, reprit joyeusement Emilien; le ~montre
ne se change pas tout d'un coup comme nous ~l'avio*
espéré, nous autres rêveurs, mais il peut s'améliorer
chaque jour par de bonnes et nobles actions. Savez-
vous à qui nous devons tout? A M. le comte de ~Pif
noël. Ainsi pour arranger ce qui trouble, irrite, ~chii
grine, pour rendre un grand nombre de gens heu-
reux et bons, il ne faut souvent que l'influence ~d'
homme de bien.

FIN.
LE

DOUBLE MASQUE
PAR

MADAME JULIETTE LORMEAU.

Par une froide soirée d'hiver, quatre jeunes dandys,


as membres du Jockey's-club, se trouvaient réunis
café de Paris. Après avoir longtemps causé stee-
8-cbase, de chevaux et de ces mille fables du monde
li servent.de pâture aux esprits ennuyés, l'un d'eux
levant :
dit aux autres
«Messieurs, allons-nous au bal de l'Opéra, ce soir?
— Sans »
doute, répondirent Emile de Beaumont et
natole Derville.
,e troisième parut sourd à l'appel. Alors, le jeune
rime blond, qui avait parlé le premier, lui frappa
l'épaule et reprit:
Vous ne répondez point, Raoul; n'êtes-vouspoint
nôtres?
-t Vous savez bien, messieurs,
;
que
bals masqués, répliqua celui-ci et je ne vais plus
sa physio-
[Lie prit soudain une teinte de tristesse indéfinis-
fte.
Cette voix me parut si douce, et la tournure de
celle qui parlait avait tant de grâce et de distinco
tion, que je me sentis entraîné à lui offrir le ses
cours de mon bras. Elle accepta, et, parvenant en
fin à nous débarrasser des étreintes de la cohue, H
conduisis mes deux dominos dans une loge pour ~rcsfc
pirer à l'aise.
Je les examinai alors attentivement. L'une des dcuri
femmes témoignait la plus grande déférence à celle
dont la voix m'avait frappé d'abord; ce qui me fit pen-
ser qu'elle devait être une camériste plutôt qu'une
amie. L'autre s'exprimait avec l'élégance et la facilité
des gens du monde, et, quoique d'une décente reteo
nue, elle était pétillante d'esprit et de gaieté.
Jusque-là, le hasard semblait m'avoir merveilleur.
sement servi. J'osais parfois saisir une main ~mii:
gnonne et bien gantée, que l'on m'abandonnait ~ei;t
riant, avec toute la candeur d'une jeune enfant
qui joue. Je me sentais heureux, oh! parfaitement
heureux! Nous ne parlions ni l'un ni l'autre ~dil
nous séparer, et les instants s'écoulaient pleins d'une
charme mystérieux qui me plongeait dans le plus
doux enivrement. Mon petit domino était ~ravisa
sant de finesse et de naïveté d'observation. C'était
;
la première fois, disait-il, qu'il assistait à somi
blablefête aussi rien n'égalait son étonnemeni
la vue de ce flot de peuple se cabrant, tournoyant
à
et sans cesse bondissant sur lui-même. La hars
diesse et l'impudeur des femmes paraissaient surt
à
tout le révolter; il les comparait ces beaux fruits qui
se déflorent en passant de mains en mains. Pour moi
je commençais à perdre la tête, et j'avais une envie im:
dicible de voir celle qui me séduisait ainsi par le SCUll
charme de son langage. L'imagination est toujours ~ini,
génieuse à embellir les objets qui échappent à la vue
elle se plaît à nous les représenter sous les formes
jeune

élégante

une

dit
personne.
Métella,

Mlle

doute

sans

C'est
:?
les plus uttrayantes. Aussi, je me disais en regardant
mon inconnue Qu'elle doit être jolie! Est-elle brune?
est-elle blonde C'est ce que je ne pouvais savoir, car
jamais je ne vis enveloppe de femme plus hermétique-
ment fermée. Chose rare, vous le savez, dans ces sor-
tes de bals, où la plupart d'entre elles affectent d'éta-
ler aux regards de tous ce qui doit être à peine vu
d'un seul.
Enfin, pour en revenir à mon domino, je dirai
,
donc que son camail était attaché de telle sorte, qu'on
ne pouvait rien apercevoir, pas même ses yeux


« J'aurais soulevé la barbe du masque
tole.
Sans doute, reprit ;
Raoul mais
,
lesquels retombait une large dentelle formant voile.

elle était
sur
dit Ana-
fort
longue et fixée sur la robe, dont les manches se trou-
vaientboutonnées par-dessusdes gants qui paraissaient
aussi plus longs que d'ordinaire.
— Cela est piquant, dit Jules; c'était sans doute une
pauvre femme persécutée, qui aura profité de l'absence
d'un mari jaloux, ou de quelque moderne Bartholo, pour
voir un bal masqué.
— Ou une de ces beautés trop connues, ajouta Ana-
tole, qui se cachent non par pudeur, mais par honte
d'elles-mêmes.
— Attendez la fin,» reprit sérieusement Raoul.
Après être restée dans la loge jusqu'à quatre heures
du matin, ma mystérieuse compagne voulut s'en aller
et paraissait fort embarrassée de se défaire de moi
j'avais déjà fait inutilement beaucoup d'instances pour
:
obtenir de la reconduire chez elle.
«Laissez-moi, lui dis-je, madame, vous donner le bras
(jusqu'à la porte du théâtre, où vous trouverez une voi-
ture.
-
rtlo.
La mienne m'attend, monsieur, me répondit-
— Oh! oh! un équipage, dit Jules; il ne manque
plus qu'un blason ducal.
— Permettez-moi de vous écrire, puisque vous m'a-
vez refusé la faveur de me présenter chez vous.
— Impossible, monsieur.
— Mais je ne puis me résigner ainsi à vous perdre
pour toujours.


Nous
Quand ?
nous reverrons, dit-elle.
et en quellieu ?
—Ici, au bal prochain; mais à une condition, c'est
que vous ne tenterez, par aucun moyen, de décou-
!
vrir qui je suis. La moindre démarche indiscrète
m'éloignerait de vous sans retour Au revoir donc,
ajouta-t-elle en m'offrant sa main; à mardi, dans cette
loge. »
Elle se leva ainsi que sa compagne, et bientôt elles
disparurent.
« Ah ! parbleu ! dit Emilie, je ne l'eusse point lais-
sée s'échapper de la sorte; il fallait la suivre malgré
sa défense.
— Moi, reprit Raoul,
!
j'ai préféré ;
attendre la
du bonheur est sitôt épuisée et c'était du bonheur
coupe
que de caresser tour à tour les plus douces illusions,
de rencontrer des obstacles qui devaient doubler le
prix de la victoire. D'ailleurs, je ne sais quel pres-
sentiment me retenait à ma place. Je désirais ar-
demment connaître cette femme, et cependant, une
crainte vague me préoccupait; il me semblait que
j'allais à la fois tout gagner et tout perdre. Enfin, je
ne fis point un pas pour savoir ce qu'elle voulait me
laisser ignorer, et j'abandonnai à sa seule volonté le
soin de nous rapprocher. Au jour convenu, je fus le
premier au rendez-vous. A minuit, ma belle inconnue,
accompagnée
Je encore du même domino, entra dans la
loge. me sentis tout joyeux de la revoir. Sa pré-
sence était une preuve de boune foi et d'entraîne-
ment sympathique qui flattaient mon amour-propre.
Nous causâmes intimement, longuement et avec un
plaisir non moins vif que la première fois. Nous
avions l'air de deux amis qui se retrouvent après
une longue absence. Elle ne dissimulait aucune de
ses impressions, et nous étions ce qui s'appelle fran-
chement heureux,
« Savez-vous, lui dis-je, madame, que vous ne
m'avez seulement pas appris votre nom de jeune
fille?
— Oh! pour
m'appelle Nelly. »
celui-là, je consens à :
vous le dire on
Je trouvai ce nom aussi joli que devait l'être celle qui
le portait.
« Eh bien! chère Nelly,repris-je, verrai-je enfin
aujourd'hui votre charmant visage »
Ces mots la firent tressaillir.
?
« Quoi ! dit-elle, toujours la même idée
donc point de cela.
? Ne parlons

-Peut-être.
Comment! ce mystère sera-t-il éternel, madame ?
1
--

Etes-vous mariée?
Non.

-Non.
Dépendez-vous d'une famille?

--Vous êtes entièrement libre?


Oui.
- !
Oh ! alors, ajoutai-je, alors, il n'est pas de puis-
sance humaine qui me sépare de vous »
En ce moment, je sentis la main de Nelly trembler
dans la mienne. Un religieux silence s'établit un in-
stant entre nous. Elle voulut parler, sa voix s'altéra ;
elle pleurait. Je fus surpris et décontenancé, car,
malgré moi, cette femme m'imposait. Cependant, re-
:
prenant un peu d'assurance, je lui dis :
« Ecoutez-moi, Nelly j'ignore quels sentiments je
vous inspire, mais je sens que je vous ;.,jû..;e! et, lúut
en vous me donne la garantie que cet amour est bien
! y
placé. Si vous croyez pouvoir répondre un jour, ne
m'éloignez pas et avouez-le-moi sans crainte. Ce mas-
que, qui me dérobe vos traits, servira merveilleuse-
ment votre timidité. Je ne vous verrai pas rougir; de
grâce, parlez! »
Nelly reprit alors son sang-froid, et me répondit
Si vous avez pu juger que je n'étais point une
:
«
femme indigne de votre estime, le rendez-vousque
je vous ai accordé est, je crois, une réponse assez pré-
cise à la demande que vous me faites, pour que je
sois dispensée de vous en dire davantage. Oui, Raoul,

!. :
cet amour que vous m'offrez me rendrait heureuse et
fière; mais un sort cruel nous sépare jamais vous ne
me verrez
— Nelly ! Nelly et
! c'est en me montrant la félicité
suprême que vous prononcez ces affreuses paroles!
Oh! n'importe, en dépit de vous-même, —maintenant
je suis fort; vous pourriez m'aimer, —vous l'avez dit,
je ne vous quitte plus.
! pitié! dit Nelly; êtes-vous donc déjà las
— Pitié
de votre bonheur ?
—Non, non, lui dis-je; mais je le veux plus complet.
Ce matin, je vousreconduirai chez vous, je vous ver-
;
rai puis après, madame, j'attendrai vos ordres pour
revenir. »
L'agitation de cette pauvre femme, était extrême, et
me faisait autant souffrir qu'elle piquait ma curiosité,
car je pensais qu'il fallait qu'elle fût causée par quel-
« Eh !
que chose de bien extraordinaire.
bien me dit-elle enfin, avec l'accent d'une
solution désespérée, vous viendrez, mais pas ce matin ;
ré-

ce soir, à sept heures, rue Pigale, n° 23.Vousde-


manderez madame de Rumigny, rien de plus. don-
nez-m'en votre parole d'honneur ! »
Transporté de joie, je lui jurai tout ce qu'elle voulut.
Elle demeura triste et silencieuse durant le reste de
la nuit. Plusieurs fois elle prit ma main et la posa sur
son cœur.
« Tant que je vivrai, disait-elle, il battra pour vous;
mais peut-être ne vivrai-je pas longtemps. »
Je ne pouvais, en vérité, m'expliquer cette profonde
douleur, si peu d'accord avec l'enjouement naturel du
caractère de Nelly.
A mon tour, je m'attristai, et il me semblait que
chaque heure qui s'écoulait emportait avec elle ce qui
me restait encore à goûter de joie en ce monde.
Nelly avait la tête tristement penchée sur mon épau-
C'était
le, et je tenais sa main dans la mienne.
le dernier des bals de l'Opéra. Il se prolon-
fort tard; nous restâmes jusqu'à la fin. Cepen-
gea
dant il fallut nous quitter ;je conduisis Nelly jusqu'à

ques chevaux blancs, et, après nous être dit « Au :


sa voiture, à laquelle étaient attelés deux magnifi-
revoir! » nous nous séparâmes en ajoutant: « A ce soir!»
« Mon cher Raoul, dirent Anatole et Emile, votre
histoire est fort intéressante, mais, jusque-là, vous
n'êtes pas trop à plaindre. »
Raoul soupira.
«
— Oh ! par exemple !
J'ai envie de ne pas continuer, dit-il.
s'écrièrent ses camarades,
vous ne pouvez nous voler le dénouement. Allons! un
bol
quesde punch pour reprendre courage. »

verres
fcment excitée
feconlinua
:;
Le punch fut servi, nos jeunes gens en burent quel-
la curiosité des amis de Raoul était vive-
ils le prièrent d'achever son récit, et il
:
e Lorsque j'arrivai rue Pigale, je crois que j'avais la
10 ;
fièvre je
je ressentais un malaise général. Arrivé au
23, vis un superbe hôtel, et je demandai madame
de Rumigny.
On m'introduisit alors dans un magnifique salon
tendu de damas bleu et richement meublé. J'atten-
dais depuis environ cinq minutes, quand une femme,
que je reconnus à la voix pour être la camériste qui
accompagnait Nelly au bal, vint et me fiit entrer
dans un délicieux boudoir où je trouvai Nelly elle-
même, non à visage découvert, mais masquée en-
core et revêtue de son domino. L'air que l'on respi-
rait dans cette chambre me parut embaumé. Une lam-
pe d'albâtre, suspendue au plafond, et dont on sem-
blait à dessein avoir tempére la clarté, ne jetait qu'une
faible lueur qui, nous éclairant à peine, ajoutait au
mystère de cette entrevue.
Je m'avançai vers Nelly, et je lui dis:
« Avouez, madame, que vous mettez ma patience à
une rude épreuve ! Mais nous ne sommes plus au bal-
de l'Opéra, et vous me permettrez, je pense, d'ôter ce
masque que je déteste, et qui devient aujourd'hui une
plaisanterie désespérante ! »
J'étendis la main. Au mouvement que je fis, Nelly
se recula.
!
e Oh! je vous en supplie dit-elle, encore quelques
instants! Lorsque ce masque sera tombé, vous me
fuirez peut-être. »
A ces mots, une foule de réflexions vinrent m'as-
saillir ; je pris alors cette Nelly si séduisante pour une
de ces femmes perdues dont le cœur, longtemps fer-
mé à l'amour, finit par s'y abandonner, mais qui,
ayant la conscience de leur dégradation, se troublent
et s'effrayent à l'idée du mépris qui les attend, sur-
@

tout quand ce mépris doit leur venir de l'objet aimé.


Puis, nos conversations me revenant tout à coup
à l'esprit, je me rappelai la divine candeur de Nelly,
la chasteté de son langage, la noblesse et l'élévation
de son âme, qui se révélaient dans les circonstances
les plus futiles, et je m'en voulais d'oser ainsi la
~ttrir. Je me dis
monstre de laideur.
~i
:
alors Cette femme est sans doute
Nelly, immobile devant moi, avait l'air d'une
~ctime qui attend sa condamnation. Je me jetai
r son divan; elle vint aussitôt se placer à mes
tés.
Que pensez-vous? me dit-elle. Oh! combien je
«
is malheureuse !
— Je
ez fou »
ne
!pense plus, lui répondis-je ;
vous me ren-
Cependant, j'ajoutai :

«
Vous êtes donc bien laide?
Oh ! non, dit Nelly on; m'a toujours assuré
étais belle! Mais il y a tant de genres de beautés!
que
mr vous, je serai peut-être affreuse! etsivous ne
~'aimiez plus.
— Je vous aimera quand même! m'écriai-je avec
~ipétuosité; c'est trop longtemps souffrir, il faut que
vous voie! »
Et en disant cela, j'arrachai le masque de Nelly.
Comme je ne voyais, encore que du noir, je crus
~que, prévoyant une surprise, elle s'était couvert le vi-
~ge d'un crêpe, et je me disposai à vaincre ce
~tuvelobstacle.Mais que devins-je, lorsqu'en po-

~l
!
~mt ma main sur son front, je sentis la tiédeur de
chair. Nelly était négresse aucune expression
e saurait vous rendre ce que j'éprouvai en ce mo-
;
~lent. Toute ma vie j'eus une aversion insurmon-
~ible pour les noirs ! je ne pus prononcer un seul
~lOt, j'étais anéanti Quant à la pauvre Nelly, dévi-
ant l'effet désagréable que sa vue produisait sur moi,
~[le s'était jetée à genoux, cachant sa figure dans ses
~lains, et elle exhalait les plaintes les plus attendris-
~intes. Je la relevai avec empressement, puis je m'as-
is près d'elle. Nous restâmes longtemps sans nous
arler, car mon embarras était extrême,
:
Nelly rompit le silence la première
!
« Raoul, me dit-elle, que n'avez-vous cédé à mes
prières nous aurions encore du bonheur! Maintenant
vous me haïssez, n'est-il pas vrai?
—Enfant! lui répondis-je en affectant une gaieto
que j'étais loin de ressentir, n'êtes-vous pas toujours
cette aimable femme dont l'esprit et l'angélique dou-
ceur me charmaient? Vous n'avez rien perdu: j'ai été
surpris, voilà tout, mais mon cœur est resté le même m

paroles.
croyez-le.
Nelly me remercia par un sourire si plein doi
mélancolie, que je ne pus douter un seul instant
qu'elle n'était pas convaincue de la sincérité de mes


Or,
Or,
pays.
Il vous reste bien des choses à apprendre.
ajouta-t-elle car je veux que vous sachiez comment
il se fait que, née dans de lointains climats, je sois

;
si semblable d'éducation et de manières aux femmes
de votre
Parlez, lui dis-je, madame

:
voici ce qu'elle me raconta
«J'ai
tout ce qui se rap-
porte à vous ne peut que m'inspirer un vif intérêt. Il
dix-huit ans, et je suis née à Saint-Pierre
de la Martinique, d'un père et d'une mère esclaves.
e

Mes parents appartenaient au comte de Rumigny,,


:
l'un des plus riches colons de l'île mon père ayant
acquis, par un dévouement fidèle, toute la confiance
-

et l'amitié de son maître, ce dernier l'affranchit en


le mariant à une belle jeune fille de Saint-Pierre,
que l'on surnommait la Perle noire, et qu'il rendit)
libre aussi. Ensuite il lui donna chez lui le titre et
les fonctions de régisseur. Il surveillait les travaux
des esclaves, secondait M. de Rumigny dans l'exploi--
tation de ses terres, et était généralement estimé..
Ma mère ne quittait pas la comtesse, qui de même
l'entourait d'une bienveillance particulière.J'avais
.peine quatre ans, lorsque des événements tragiques
lurent, en changeant ma destinée, me préparer d'é-
!
irnelles douleurs
ssantes
,
i« C'était durant une de ces belles nuits, si resplen-
et si pures dont on jouit sous notre ciel
fe feu. Le flot battait lentement la grève, tout

usible,dans l'île, et chacun dormait d'un sommeil


Ume
était

,
klate
quand soudain, et comme un tonnerre qui
des cris affreux se firent entendre; au même
istant, plusieurs bandes de noirs révoltés se répan-
dent dans les habitations, brûlant, saccageant et
;
forgeant les malheureux blancs qui tombaient en
;
iir pouvoir. Le désordre lut à son comble le sang
miait de tous côtés on ne voyait partout que des
feènes de désolation ! Au moment où
ces misérables
snétrèrent chez M. de Rumigny, celui-ci s'arma
ne il
épée, et, s'élançant au milieu d'eux, cher-
i mon père ,
aàles contenir, aidé de quelques domestiques et
qui, le premier, avait donné l'alarme
ais à peine eut-il fait quelques pas, qu'il tomba
;
rcé de trois coups de couteau. Mon père, voulant
secourir, fut lui-même mortellement blessé.
lors, plus rien n'arrêtant cette horde farouche,
le se rua dans l'intérieur de l'habitation, etpilla
ut ce qu'elle put trouver sur son passage. Ma-
ime de Rumigny, mourante de frayeur, s'échappa
ierle commencement du tumulte par une issue se-
~ète, et alla, non sans risque d'être massacrée, seréfu-
dans la case d'une pauvre négresse marronne
li, ayant été souvent comblée de ses bienfaits, la
~çut, ainsi que ma mère et moi, résolue à périr
~utôt que de nous livrer. Cependant des moyens de
~2fense s'organisèrent entre les colons; on parvint
s'emparer des coupables; ils furent livrés à la
gueur des lois, et le calme se rétablit. La comtesse
'ntra dans sa demeure, où gisait le corps inanimé
:
de son malheureux époux sa douleur fut grandes
maiscalme et résignée; la religion soutint son COU
rage.Quant
ardente
-
à mère, douée d'une âme
« ma
:
impressionnable, la mort de mon père la plongea
dans le plus horrible désespoir à la vue de soo
cadavre, elle poussa des cris déchirants, il éta£
ft

impossible de l'en arracher; et dès qu'on lui eu'


:
enlevé ces restes chéris, une funeste résolutioo
parut s'emparer d'elle ses larmes tarirent, sao
humeur devint sombre et presque farouche; souven
elle me prenait dans ses bras avec une vivacitti
fébrile, puis me plaçant sur les genoux de la conor
tesse, elle lui disait, en la regardant d'un air étranges
N'abandonnez jamais petite Nelly à moi, car moi bietv
tôt dormir pour toujours à côté de mon bien aimx
KetlolCet état d'exaltation inspira de vives inquiei
tudes à madame de Rumigny; elle redoutait un now
veau malheur, et ses
;
tristes prévisions ne tardèrent
point, hélas! à se réaliser un jour que ma mère n'as
vait point paru près d'elle à son heure accoutumée:
elle la fit chercher, et on la trouva étendue sans vii,
auprès du hamac qui me servait de berceau. En 11
soulevant on aperçut une espèce de gonflement sur S9
poitrine; on écarta sa chemise, et il s'en échappa u'
sachet rempli de plantes vénéneuses dont les seulee
émanations suflisent pour donner la mort. Ma mèn
s'était empoisonnée » — Ici Nelly s'arrêta et sœ
!

pleurs coulèrent avec abondance; puis, ouvrant unn


armoire qui se trouvait placée près de nous, elle ea
retira un petit coffret en argent: « Tenez, me dit-elle
ce sachet est dans cette boîte; madame de Rumignn
l'avait conservé, je le garde à mon tour; c'est un luguj
bre souvenil'!. r"
Voulant remplir le vœu de ma mère, la comtess?
«
me fit élever avec soin et comme si j'eusse été son em
1
ït. Une gouvernante fut amenée de France pourcom-
încermon éducation. On niefitapprendre la musique,

«
;
peinture, l'italien et l'anglais. Je fis des progrès ra-
ies à douze ans j'étais fort avancée.
La santé de madame de Humilly, devenue chan-
lante depuis ses malheurs, se dérangea tout à coup
rieusement. On lui conseilla de prendre l'air natal,
e s'y décida, et confiant ses propriétés à un gérant
èle, elle lit tout préparer pour notre départ. A cette
uvelle, je ressentis un vif chagrin, et une siugu-
sre aventure vint encore ajouter à ma tristesse. La
ille du jour où nous devions nous embarquer, je
lulus couvrir de fleurs une dernière fois les deux
mbes chéries que j'allais abandonner sans doute
,ur longtemps. Comme je revenais de remplir ce
eux devoir, je rencontrai sur mon chemin une
eille négresse qui passait dans l'île pour posséder
,
rt de la divination. Cette femme m'arrêta brus-
tement, et me saisissant la main elle me dit
Regarde bien ces beaux palmiers dont toi mangeais si
:
;
uvenl les fruits, et ce ciel azuré où se promènent, la
tit, les étoiles d'argent toi ne les verras p us1car

peur, je tremblai de tous mes membres ;


lie petite noire reviendra les yeux fermés du pays
•s bluncs. » A ces mots, dits avec un accent qui me
puis, me
îgageant rapidement des bras de la vieille, je m'en-
is à toutes jambes etrevins en pleurant à l'habita-
jn. Madame de Rumigny, à laquelle je répétai les pa-
lles de la sorcière, me caressa beaucoup, et comme
@

s chagrins de l'enfance s'effacent avec rapidité, j'ou-


iai vite mon oracle de malheur.
0 Nous nous embarquantes; mes regards restèrent
tachés sur l'ile tant que je pus l'apercevoir. Lors-
le nous la perdîmes de vue, je fermai les yeux, et
~s larmes vinrent inonder mes joues, A ce moment,
1 frisson semblable à celui que j'avais ressenti en
ment;
écoutant la vieille négresse vint m'agiter convulsive-
mais après quelques heures de fatigue, jem'en-t
dormis d'un profond sommeil.
« Pendant la nuit, je fus reveillée par de violente
coups de tonnerre; une tempête s'était déclarée. 0111
signala sur l'extrémité de nos mâts un feu appeloi
feu Saint-Elme. Ce météore, assez rare, est vu aveoe
un sentiment d'effroi par tous les marins; il consisteJ
en une flamme presque blanche, qui
On paraît sur lai
cime des mâts et y demeure fixée. raconte toutes;:
sortes de légendes superstitieuses sur le feu Saint-J
Elme bien qu'il ne soit que la conséquences natu-
relie de l'action fouettante des mâts sur une atmo-c
sphère chargée d'électricité. Son apparition a véritable s
ment un caractère sinistre, escortée qu'elle est toujours
d'une grosse mer, d'une nuit obscure et du sifflement
des vents.
Cette tempête me causa une frayeur horrible, jllÎ
;
«
crus que nous allions tous périr. Bientôt une explo-
sion épouvantable eut lieu sur notre tête la foudre
tomba sur le pont;
:
le timonnier fut
asphyxié loin de sa barre on se nomma, on fit l'appe~
au milieu des ténèbres; deux hommes
jeté
avaient
à dem~
été en~
levés par les lames Pour rendre une pareille scen~
!

;
toute
idée
cr
parole est impuissante;
il faut en avoir été témoin.
Avec le jour, les nuages
on
se
ne peut s'en faire
dissipèrent, le ven~
llllill

changea, et la mer redevint belle. Nous continuâmes


notre route paisiblement, et nous mîmes le pied sur la~

terre de France, sans avoir eu à déplorer de nouveaux


accidents.
Nous arrivâmes à Paris, où madame de Rumigim
«
s'installa dans cet hôtel, qui était le sien. Peu d~
temps après, on me fit entrer au couvent pour ter~
miner mon éducation. Là, j'eus à endurer bien de
souffrances d'amour-propre à cause de ma couleur
mais comme je sortais souvent, je venais me con-
soler de mes tribulations dans les bras de celle qui
m'entourait d'une tendresse toute maternelle. Quatre
années s'écoulèrent ainsi. Madame de Rumigny, dont
la santé n'avait pu se rétablir, tomba tout à coup dans
un état désespéré, et en peu de jours elle fut à -toute
extrémité. Un matin, elle me fit appeler, et quand je
fus près d'elle, m'attirant doucement vers son lit,
pour que je pusse l'entendre, elle me dit « Mon :
enfaM, je vais à mon tour quitter ce monde où tu
:
resteras seule, privée de guide et de soutien Bien
des douleurs t'y attendent peut-être supporte-les
!
avec courage. On perdrait la vie avec trop de regrets
si elle était toujours belle Dieu nous a donné la
:
1

souffrance pour nous aider à accepter la mort. Tu


;
as reçu une éducation brillante ce trésor l'emporte
sur tous les autres et avec lui, les autres ne te man-
queront pas, car je t'adopte aujourd'hui; tu porteras
désormais mon nom, et je te laisse héritière d'une
(immense fortune, dont tu trouveras tous les titres
chez M. Dutace, mon notaire. Je t'engage à faire
;
vendre les biens que tu as en France, et à retourner
dans ta patrie je crois que tu y seras plus facile-
iment heureuse. J'ai accompli jusqu'au bout le vœu
de ta mère; unis toujours dans ton cœur mon sou-
venir au sien!.Adieu, ma Nelly. ma fille bien-
I !. 1
aimée
niSc
mes forces m'abandonnent. je te bé-
» Elle se souleva un peu, puis sa tête retomba
lourdement. Je posai mes lèvres sur son front, mon
cœur était brisé !. Ne la croyant qu'affaiblie par les
;la
derniers efforts qu'elle avait faits pour me parler, je
pressai tendrement sa main dans la mienne mais, hé-
lasl cette main resta sans mouvement: comtesse
avait cessé de vivre !
Il y a deux ans que je l'ai perdue; depuis cette
«
époque, je vis très-retirée. Un impérieux besoin de
distraction et une vive curiosité m'entraînèrent à ce
bal où je vous ai rencontré. Je voulais absolument,
avant de quitter la France, voir une de ces fêtes
conduite?
ter ?.
;
bruyantes si renommées. Lst-ce la fatalité qui m'y a
je l'ignore dois-je maintenant partir ou res-

Rerter ! m'écriai-je, rester1 J'avais écouté Nelly



avec le plus grand plaisir; elle avait mis tant de
grâce et de simplicité dans le réc.t qu'elle venait de
me faire, que j'étais retombé dans une muette
tion. J'aurais voulu l'entendre toujours parler mais
quand je la regardais, je ressentais malgré moi, pour
;
admira-

ce visage noir, un invincible eloignement. Pourtant,


il est vrai que Nelly était belle, hlle avait la taille
élancée et bien piise, des traits doux, réguliers et
fins, une physionomie pleine d'expression, et contre
l'ordinaire des femmes de son pays, une jolie buu-
che, et une chevelure souple et soyeuse qui ornait
admirablement sa tète. Certes, depuis la fameuse né-
gresse Isabeau, dont les attraits firent si grand bruit
à la ville et à la cour, sous le règne de Louis XV,
on n'avait r.en vu d'aussi parfait dans son genre que
cette jeune fille. Que n'etait-elle blanche, au lieu d'ê-
tre noire I trouvant avancée, je pris congé de Nelly
L'heure se
sollicitant la faveur de la revoir bientôt. Cette de-
en
mande parut la rendre heureuse. Elle me tendit gra-
cieusement la main, et, le dirai-je? je me contentai de
la porter
presser cette main sans avoir le courage de
à mes lèvres. Je revins chez moi, préoccupé et malheu-
reux 1

Je revis souvent mademoiselle de Rumigny, qui se


faisait appeler madame, parce que ce titre semble da-
vantage imposer de respect. Plus je la connus,et mieux
j appiéciai ses nobles qualités. Aimable, gaie, bonne
musicienne, possédant une voix délicieuse, douée
d'un esprit éclairé et d'une raison supérieure, il ne
manquait à cette charmante femme, pour être par-
faite, que le teint de lis et de rose de nos minois
français. Chaque jour elle m'accablait des attentions
les plus délicates; il n'y avait pas de ravissantes
coquetteries qu'elle ne mit en usage pour me plaire.
J'étais devenu l'habitué de la maison, et mes heures
les plus douces étaient celles que je passais près de
Nelly. Pleine de candeur et d'abandon, elle m'expri-
mait ingénument les secrets désirs de son cœur, me
confiait ses projets, m'entretenait surtout de ses
richesses et du bonheur que l'on goûte à tout donner
à en qu'on aime. Pauvre enfant! je la devinais bien,
mais je feignais de ne pas la comprendre. Que
pouvais-je faire? La tromper cela eût été un crime
1 ;
car, je le sentais, jamais mon existence ne pouvait
être liée à la sienne. J'aurais dû, sans doute, lui
dévoiler avec franchise la nature nouvelle de mes
sentiments pour elle, lui dire que je l'aimais comme
;
une sœur, et non comme une femme dont je voulais
faire la compagne de ma vie vingt fois je fus prêt
à parler, et quand je la voyais si heureuse des chi-
mères qu'elle caressait, si confiante dans l'avenir,
je restais sans force pour détruire tous ses rêves de
bonheur. Oh par combien de remords j'ai payé ces fa-
!

tales hésitations !
Plusieurs mois s'écoulèrent ainsi, dans un oubli
total du monde et de ses plaisirs. Je refusais toutes
les invitations de fêtes pour quelques heures pas-
sées près de Nelly. Heureux de me sentir aimé, je
jouissais en égoïste du charme de cet amour, sans
m'inquiéter de ce que je lui laisserais en échange,
sans songer que je préparais peut-être le malheur de
cette femme aimante et dévouée qui avait abandonné
à ma loyauté sa destinée tout entière. Mais je fus
tout à coup tiré douloureusement de mon indolent
insouciance. Des lettres que je reçus de ma femille
troublèrent la paix de notre intimité, et amenèrent
l'événement affreux qui étendit un crêpe funèbre sur
ma vie.
Mon père m'écrivit pour me rappeler des projets de
mariage conçus depuis longtemps, et qu'il souhaitait
ardemment voir se réaliser. Je devais épouser la fille
d'un de ses plus anciens amis, jeune et jolie personne,
héritière d'un grand nom et d'une brillante fortune. Je
m'étais autrefois empressé d'accepter cette union, que
;
l'âge de mademoiselle d'Ablincourt avait seul retardée
mais elle venait d'atteindre sa dix-septième année, et
plus rien n'y mettait obstacle.
« Camille est délicieusement belle, m'écrivait mon

;
père. Elle possède toutes les qualités qui doivent
assurer le bonheur d'un époux tu auras en elle un
véritable trésor. Viens donc, mon ami, je me fais
vieux, et je veux, dans mes derniers jours, être té-
moin du bonheur de mon fils bien-aimée. Ta fiancée
t'attend avec une impatience toute flatteuse; elle
:
n'a pas oublié son bon Raoul, le compagnon de ses

sionomie est gracieusement développée


!
ange »
Cette lettre
:
jeunes années viens vite; je joins à ma lettre le por-
trait de Camille, tu jugeras à l'avance combien sa phy-
c'est un
me jeta dans un trouble extrême, et
je vis, alors seulement, toute l'étendue de l'abîme
que j'avais si étourdiment creusé ! Que faire? que
dire à la malheureuse Nelly? quel prix offrir à cet
amour ardent et pur dont elle m'avait si constam-
ment enveloppé? Je me sentais coupable jusqu'à la
cruauté d'avoir alimenté cette passion, feu sacré
qu'elle recueillait en son cœur, et qui ne devait

ces affreuses paroles :


!
s'éteindre qu'avec lui II fallait donc l'accabler de
Pour ce chaste et ineffable
bonheur que vous m'avez donné, douce femme, je
!
vous laisse l'abandon et peut-être bientôt l'oubli 1.
Oh! cela était horrible! Pourtant, je ne pouvais épou-
ser Nelly. Une amitié sincère m'attachait tendrement
à elle, la couleur'de son visage repoussait tout autre
sentiment. Il fallait prendre un parti; je m'y décidai
le
et, pour rendre irrévocable, je répondis à mon père:
;
-« Aucun engagement sérieux, lui disais-je, ne
m'empêchant -daccomplir votre volonné, je compte
quitter Paris sous peu de jours pour aller vous rejoin-
dre. Chargez-vous d'offrir mes hommages à la jolie Ca-
mille, dont je contemple avec ravissement les adora-
blestraits. »
Quand cette lettre fut écrite, jeme crus plus fort et
je me rendis chez Nelly, me proposant de lui annon-
cer avec ménagement mon prochain départ. Elle m'at-
tendait impatiemment, je ne l'avais pas vue de la
journée.
«Ah vous voilà,
!
! ;
s'écria-t-elle
comme vous m'avez
délaissée aujourd'hui » Puis elle récita ces deux vers
auxquels le timbre enchanteur de sa voix prêtait un
charme de plus :
Pour qui l'absence a gémi tout le jour,
Heure du soir est aurore d'amour !
;Mon cœur se serra ;
je ne sais ce que je balbu-
tiai mais Nelly fut aussitôt frappée de mon agita-
tion.
?
« Qu'avez-vous donc me dit-elle en me regardant
attentivement, qu'est-il arrivé?. Vous n'êtes pas

parlez!
dans votre état ordinaire. Avez-vous reçu quelque
Eh ?
nouvelle fâcheuse Vous ne répondez pas Mon Dieu ? !
Dere
bien ! oui, lui
voir.
lUi. dis-je en m'efforçant de paraître
Iplus calme, des lettres de ma famille m'ont affligé
désire me
;
— Et vous partez?
— Il le faudra.
— Pour longtemps ?
-Peut-être1
Et ? ajouta Nelly.
moi

Je ne m'attendais à cette question.
« Mais., repris-je, que voulez-vous faire?
— Comment! ce que je veux faire? Vous suivre,
mon bon Raoul, vous suivre partout.
-- Dans ma famille? cela est impossible.
Mais si j'étais. »
Ici Nelly s'arrêta brusquement. Je devinai le reste de
sa phrase; j'avais tremblé qu'elle ne la prononçât
tout entière. Je ne lui demandai pas ce qu'elle n'avait
point achevé.
« Il faut de la raison, - ma chère Nelly, repris-je ;
nous nous reverrons. je reviendrai. puis, veu*>
m'écrirez souvent.»
Nelly ne disait plus rien. Je m'attendais à des
larmes; elle ne pleura pas; ses regards étaient fixes;
il semblait qu'elle pressentait toute la vérité. Je
m'efforçai de la consoler, mais je ne pus y réussir.
Les instants que nous passâmes ensemble furent pé-
nibles. Je la laissai triste et souffrante. J'étais aussi
dans un grand accablement. Le lendemain une af-
faire importante m'obligea de sortir de benne heure.
Quand je rentrai, mon domestique me dit qm
madame de Rumigny était venue me demander,
qu'elle m'avait attendu longtemps, et que je trouve-
rais sans doute un mot dans mon cabinet. J'y en-
trai ; il n'y avait rien, mais la lettre de mon père et
la mienne, que j'avais laissées ouvertes sur mon
secrétaire, étaient chiffonnées et couvertes de lar-
mes. Le portrait de Camille roulait à mes pieds; je.
fus. consterné. Nelly savait tout, je n'ea pouvais
douter; quel devait être son désespoir! N'esantme 1
taenter chez elle, je lui écrivis aussitôt. Sa réponse
t simple et m'inspira plus d'inquiétude que si elle
étaitjetée dans une surabondance de phrases empha-
ses.
Je suis très-malade, me disait-elle, et j'ai besoin
«
-s
quelqu
; jours de repos. Nous revoir serait désor-
is inutile faisons tous deux ce que les circonstan-
s exigent de nous; ne m'enlevez pas mon courage;
à
yez beureux, Raoul; quant moi, je sais maintenant
t je dois trouver le bonheur. »
Malgré la lettre de Nelly, je tentai vingt fois de
Métrer jusqu'à elle, mais toujours inutilement.
[époqut fixee pour mon départ approchait, lors-

,
arietta, la femme de chambre de Nelly «Ah :
t'un matin je vis entrer chez moi, tout effarée,
onsieur, me dit la jeune fille j'ai bien du cha-
!
¡rin! Madame ne mange plus, ne dort plus; elle
caferme toute seule pour pleurer. Depuis ce matin,
î l'entends gémir dans sa chambre, et elle ne veut
ez,
jts m'ouvrir la porte. Elle mourra ! monsieur, elle
à
urra! — Je vais vous suivre, dis-je Marietta;
il faut que vous me fassiez entrer chez votre
aitresse; j'ai besoin de la voir. » Arrivés à l'hôtel
IrTlumigiiy,n'entendîmes
umiguy, nous fûmes droit à l'appartement de
plly.Nous ;
rien. Marietta frappa per-
~nne ne répondit.Ce silence m'effraya. J'essayai d'ou-
rir la porte avec la clef du boudoir, et je réussis.
Bous
vîmes de loin Nelly étendue sur son lit. J'avan-
jti et je la regardai. Une de ses mains était posée sur
Mn coeur; sa respiration paraissait étouffée. Soudain
le s'agita comme obsédée par un songe pénible;
:
luis, faisant un effort sur elle-même, elle murmura fai-
blement
;
«Ma mère!.Raoul! mon Dieu! pardon! D
;
e- la soulevai dans mes bras, aidé de Marietta
Ue retomba sans mouvement. Je l'appelai ce fut en
nifc. Alors un tremblement affreux ne saisit. «Du
mais
secours ! !
m'écriai-je éperdu, du secours » Deux do-
mestiques accoururent. « Un médecin, vile un méde-
cin !» A ce moment, mes regards se portèrent sur une
petite table, et j'y vis briller le coffret d'argent que

veux.
Nelly m'avait montré un jour; mais il était ouvert et
vide. Frappé d'un horrible pressentiment, je me pen-
chai vers elle et j'écartai avec anxiété le peignoir lé-
ger qui la couvrait. 0 douleur! le fatal sachet qu'avaiti
contenu la boite s'échappa de sa poitrine; il n'y avait
plus d'espoir ! Nelly venait d'expirer sous nos

, :
Je trouvai sur la cheminée une lettre à mon
adrese contenant des adieux déchirants! puis un pa-
pier cacheté c'était un testament. Nelly m'insti-
tuait son légataire universel, et, comme dernière
volonté, elle me suppliait de faire transporter son:
corps à la Martinique, pour être enterrée auprès
de ses parents. Voulant accomplir religieusement
ce vœu sacré, j'instruisis mon père de ces évé-
nements et je m'embarquai avec mon triste et)
précieux dépôt. Lorsque je fus arrivé à Saint-Pierre,,
,
blancs.
je fis rendre à Nelly les derniers devoirs, et em
lui disant un éternel adieu je me rappelai ces
:
étranges paroles de la sorcière, si fatalement justi-
fiées Belle petite noire reviendra les yeux fermés du,
pays des
A mon retour en France, j'appris que mademoiselle
d'Ablincourt s'était éprise d'un beau colonel et que
tous projets d'union étaient rompus entre nous ;
mentit jamais..,
je m'en consolai facilement. Mais ce que je ne puis ou-
blier, c'est la pauvre Nelly, qui préféra la mort à la
perte de mon amour, et dont le dévouement ne se dé-
Voilà, messieurs, le secret de ma tristesse et
quoi je ne vais plus aux bals de l'Opéra. »
pour-

Les amis de Raoul lui serrèrent affectueusement la


a
4
ir-là,Allalole, le mauvais plaisant, prit son foulard et
lain.
p retourna pour essuyer une larme. Nos quatre jeunes
us se séparèrent, et chacun d'eux prit gravement, ce
le chemin de sa demeure.

FIN DU DOUBLE MASQUE.


Il y avait, dans une petite ville de la Tourainei
une pauvre orpheline du nom de Marguerite, qui
vivait du produit de quelques fleurs qu'elle faisait
avec un talent d'imitation parfait, et dint les grandel
dames de la ville comme les jolies filles de la canin
pagne se plaisaient également à se parer. CetLl
jeune fille était blanche comme la plus simple dit
toutes les pâquerettes des champs; et, soit par ce
espèce de similitude, soit par celle que leurs deufi
noms établissaient entre elles, c'était la naïve margu
rite aux pétales argentés et au calice doré. que son
cœur préférait à toutes les autres fleurs auxquelles
ses doigts donnaient la vie. Aussi son amour poufl
cette fleur était presque un culte, et elle lui prodijj
guait tout ce que son âme de seize ans pouvait conl
tenir d'ineffables sensations. Au milieu des rigueur^
de l'hiver, quand la neige, comme un tapis éblouis-.
sant, s'étendait sur la petite fenêtre de Marguerite
apercevait dans le fond de sa chambre la plante
îche
et coquette sortant d'une jardinière rus-
ue, et parée de ses fleurs argentées comme aux
is beaux jours du printemps.
Pourquoi ne subissait-elle pas la loi de la nature,
ni lui défend de naître à cette époque, et comment
marguerite, en mère attentive et alarmée, la préser-
lit-elle non-seulement des atteintes de l'illtem-
~irie, mais parvenait-elle encore à intervertir pour
e l'ordre des saisons? Ceci était le secret de la
une fille; secret que l'habitant des campagnes
litait de miracle, et qu'il expliquait en disant que la
ère de Marguerite ressemblait tant à sa fille et
le-ci à la fleur, que bien certainement c'était l'âme
;
la mère ou celle de la fille qui avait passé dans la
nte et puis le bruil avait couru qu'au moment
ème où la mère de Marguerite avait rendu le der-
er soupir, une blanche pâquerette s'était effeuillée
elle-même.
Voilà tout ce que l'on savait sur la vie de la jeune,
le, qui se renfermait dans une solitude presque
~vage, n'allait jamais aux foires ni aux danses
impêtres des environs, et dondait à des ètres plus
~eureux qu'elle, et surchargés de famille, la moi-
et quelquefois tout ce que son travail de chaque
irpermettait,
pouvait lui procurer. Les seuls plaisirs qu'elle
quand la teinte d'un beau ciel bleu
prolongeait jusqu'à l'horizon et que le soleil le-
nt réveillait la nature, c'était de parcourir les
uries et les champs et d'y cueillir de petites fleu-
s
tes inconnues, que son imagination poétisait des
les plus gracieux.
Un matin, elle poursuivit sa promenade plus lon-
ement qu'à l'ordinaire, et s'égara assez avant
milieu des champs. Comme c'était au mois d'août,
soleil, quoique à son lever, avait déjà une cer-
taine force, et elle voulut se reposer en cherchas
un abri dans un petit sentier bordé d'arbres
, del
chaque côté, et qui, par la réunion de leurs bran-i
chages, formaient une voûte de verdure et ~dot
Heurs.
Marguerite, comme toutes les natures tendres en
douces,était rêveuse et mélancolique; elle se mii
à éparpiller sur ses genoux les fleurettes qu'elle1
avait cueillies, et sans avoir étudié les règles dol
la botanique et de l'herborisation, elle semblait
comprendre d'instinct les mystères de chacune d'elles
Dans son naïf langage, elle leur parlait comme à des;.
sœurs et comme si elles allaient lui raconter les ~sC-J
crets contenus au fond de leur calice.
Tout à coup elle sentit le feuillage s'entr'ouvrir ~au-i
dessus de sa tête, et, poussée par un sentiment de eu-<
riosité bien naturel, elle leva vivement ses grands yeux
bleus, qui se rencontrèrent avec des grands yeux noirs, r
si vifs et si brillants, qu'ils lui firent baisser aussitôt
les siens. Marguerite eut peur et s'enfuit, laissant (
tomber toutes ses fleurs, sans se demander ce qui læ
faisait courir ainsi.
Parvenue chez elle et rentrée dans sa chambre, ello
se prit à sourire de sa frayeur, à regretter ses pau-1
vres fleurs et à penser un peu aux beaux yeux noir*
de l'inconnu. Cependant ce souvenir ne l'empêchm
ni de travailler, ni de soigner ses marguerites, ne
de bien dormir toute la nuit. Il n'en fut pas ainsi du
jeune comte Arthur de Montluc, qui n'avait rien del
mieux à faire que de songer aux grands yeux bleiiit
de Marguerite. Ennuyé de lui-même, et se prome-
nant dans les frais sentiers voisins de ses domaines?.
il avait entendu les paroles naïves de la jeune filles
Ne pouvant croire que ce fût une paysanne qui s'ex-
primait ainsi, il avait tout d'abord songé à quelque
noble demoiselle bien poétique et bien amoureuse
peut-être, qui se promenait mystérieusement avant le
réveil desesparents.
Longtemps il avait examiné Marguerite et sa sim-
ple toilette; longtemps, et sans qu'elle le soupçon-
nât, les boucles de la blonde chevelure de Margue-
rite, poussées par une brise un peu vive, avaient été
se jouer sur les mains du jeune homme. Le comte
ne voyant dans cette enfant ni une paysanne, ni
une demoiselle du grand monde, avait voulu s'as-
surer si la beauté du visage répondait en elle à la
blancheur des épaules, qu'un petit fichu de mous-
:
seline protégeait bien mal, car il se soulevait de
temps en -temps au souffle du vent voilà comment
il avait effrayé Marguerite, qui s'était enfuie sans
regarder un instant derrière elle. Si la pauvre enfant
se fût retournée, elle eût aperçu le comte qui la sui-
vait avec ses fleurs, presque toutes effeuillées, qu'il
avait ramassées en bouquet et qu'il était tout disposé
à lui rendre. Mais une bonne pensée est chose pré-
cieuse à saisir dans, le cerveau humain, et bien
avant le temps nécessaire pour que Marguerite eût
atteint la sortie du sentier couvert, le comte avait
changé de projet. Il avait mis soigneusement dans
une de ses pochee le bouquet de la jolie fille; puis,
s'adressant a une vieille femme qui venait de se
croiser dans le chemin avec la petite peureuse, illui
en avait demandé le nom, l'avait questionnée sur ce
qu'elle était et avait inscrit sur ses tablettes ces pré-
la paysanne ébahie; après quoi
il
cieux renseignements, qu'il avait payés avaitun louis à
repris le
chemin de Montluc, tout préoccupé de la charmante
jeune fille que le hasard venait de lui jeter pour ainsi
diresouslamain.
Le comte Arthur avait vingt-cinq ans, quarante
bonnes mille livres de rente, qu'il disséminait l'hi-
ver à Paris et l'été à la campagne ; beaucoup d'amip,
de vrais lions, qui, n'ayant rien à eux, pensaient

avec une égalité toute Spartiate de son revenu


en compensation des louis qu'ils lui
;
qu'il devait en être de même pour Arthur, et vivaient
mais
empruntaient
toujours et ne lui rendaient jamais, ils en avaient fait
l'homme le plus blasé du monde, et sur les plaisirs et
sur les bonnes fortunes.
Il résultait de tout cela que le comte avait une de
ces natures sceptiques, trop communes de nos jours,
et qu'il ne croyait pas plus à la vertu des femmes
qu'il ne croyait en Dieu même. Habitué à fréquenter
des femmes galantes et excentriques, il regarda la
naïveté de la petite fleuriste comme si miraculeuse,
qu'il ne voulut pas d'abord y croire. Pendant quel-
ques jours il fit épier et analysa lui-même la vie
simple et candide de la pauvre Marguerite, et il re-
connut que c'était une charmante fleur à cueillir. Il
fit donc prendre, un beau matin, dans ses serres
particulières, de riches dahlias nuancés admirable-
ment, des cardonias aux pétables blancs et embau-
més, d'élégants cactus, de rouges magnolias de
l'Inde, et sans confier son dessein à ses amis, il
partit pour la demeure de Marguerite. Son cœur
battait comme il avait tiessailli à dix-huit ans, la
première fois que sa main avait rencontré celle d'une
femme, et, tant était grand le sentiment de virgi-
nité qui régnait dans la chambre de la jeune fille,
qu'en y entrant, les idées de rouerie et de séduction
d'Arthur disparurent aussitôt. Le comte de Montluc
était devenu, sans s'en douter, amuureux de Mar-
guerite. L'explication de sa présence était pourtant
indispensable, et il restait debout, avec son gros
bouquet à la main, devant la jeune fille, ému de sa
beauté et de la coquette propreté qui régnait autour de
lui. Enfin les marguerites blanches, perdues au milieu
d'une mousse verdoyante, le tirèrent de son embarras.
— Ah! mademoiselle, s'écria-t-il,voilà des fleurs qui
valent bien celles que j'apporte, car elles sont aussi
!
blanches et aussi pures que vous
Marguerite rougit extrêmement, balbutia quelques
mots, pâlissant et se colorant tour à tour aux rayons
des grands yeux noirs du comte, et, sans le recon-
naître, elle lui demanda s'il venait lui commander la
parure virginale de sa jeune fiancée.
— Non pas, ajouta-t-il en souriant, je ne suis qu'un
simpe amateur de la nature, et par dessus tout, j'aime
les marguerites.
:
La jeune fille rougit de nouveau.
Le comte continua — Je dois partir dans quelques
jours pour Paris, et je voudrais emporter quelques
frais souvenirs de mon séjour ici. On m'a dit, ma-
demoiselle, que vous saviez donner aux fleurs votre
grâce charmante, et je viens vous demander de vou-
loir bien reproduire celles-ci. En disant ces mots, il
présenta à Marguerite le gros bouquet qu'il avait
apporté.
— Oh! les belles fleurs, dit la jeune fille avec une
admiration mêlée de tendresse!. Mais savez-vous,
monsieur, que ce sont des fleurs bien rares, car il y
en a plusieurs qui me sont inconnues. Quel riche
coloris!. et je ne sais vraiment si je serai assez
habile pour donner à ces fleurs en globules la légèreté
de leur pistil, qui ressemble à un filet d'or. Et cette
belle rose, pleinement épanouie, et ces camélias, tuyau-
tés comme de la dentelle).
Pendant que Marguerite s'extasiait avec un noble
sentiment d'artiste devant les riches productions de la
nature, Arthur la contempla dans un saint ravissement
qu'ilne pouvait définir.
Cette jeune fille, qu'il était venu pour tenter en fai-
sant apparaître devant son imagination de seize
ans toute une vie de luxe et d'opulence, le contenait
dans les bornes du plus profond respect, par do
simples paroles et par un seul regard. Il comprit
que cette enfant ne pouvait se donner que dans un
baiser, et que pour l'obtenir il fallait tout devoir a
l'amour. En se retirant, Arthur laissa sa carte à la
jeune fille, et cette carte, glacée, parfumée, riche-
ment écussonuée de blasons qu'elle ne pouvait dé-
chiffrer ni comprendre, la rendirent longtemps
rêveuse. Le comteArthur de Montluc, répéta-t-elle
;
plusieurs fois non pas qu'elle trouvât étonnant
;
qu'un comte fût venu lui-même lui demander des
fleurs mais Arthur était beau, jeune, élégant; Ar-
thur lui avait dit qu'elle était jolie, et quelque can-
dide que l'on soit, on sourit toujours, à seize ans, à
ces compliments-là. Et puis ses grands yeux noirs,
si doux, si pénétrants; ses yeux remplis d'un fluide
magnétique qui attirait et absorbait, faisaient tres-
saillir la pauvre innocente sans qu'elle sût pourquoi.
Sans doute, si le comte ne fût pas revenu dans la
chambre de Marguerite, celle-ci eût oublié l'impres-
sion involontaire que sa présence lui avait d'abord
fait éprouver; mais, au bout de quelques jours, il
vint par intervalles savoir si les fleurs avançaient,
et pendant ces longues heures passées avec la pauvre
enfant, il se montra si tendre, si soumis, si respec-
tueux, que la jeune fille donna son cœur, sans
même s'en douter. Arthur lui-même en était à son
premier amour, et il fut de bonne foi dans les pa-
roles mensongères et trompeuses avec lesquelles
il égara le cœur et la raison de l'imprudente Mar-
guerite.
Pendant trois mois il négligea tout pour elle, et
ces trois mois s'écoulèrent avec une telle rapidité
que la coupable enfant ne commença à compter les
jours qu'en s'apercevant que l'ouvrage lui manquait
de tous côtés, et que, chaque fois qu'elle passait dans 1
le village, ses compagnes la fuyaient avec dédain et
mépris. Alors, les remords de sa faute vinrent trou-
bler ces soirées pleines d'ivresse, où lejeune comte
lui jurait toujours de l'épouser et de la venger de celles
qui l'insultaient.
Pauvre Marguerite! elle avait eu la faiblesse. de
!
succomber; mais elle n'avait pas le courage de se
relever de sa faiblesse Elle n'osa presque plus sor-
tir, tant elle craignait les regards jaloux et haineux
des jeunes paysannes, et elle se renferma dans une
tristesse si morne et si douloureuse, que le comte de
Montluc commença à lui trouver moins de grâce et
d'esprit.
La malheureuse enfant pleurait toutes les nuits en
demandant pardon à Dieu et à sa mère.; elle avait
comme un vague instinct de doute et de méfiance,
car Arthur lui avait fait entrevoir la nécessité d'un
voyage à Paris. — Quand elle pressentait l'arrivée de
son bien-aimé, elle essuyait ses larmes; mais le jeune
homme les cherchait et les devinait sous ses longues
paupières soyeuses.
—Des larmes, toujours des larmes !.disait-il. Suis-
je donc bien méchant, pour te faire ainsi pleurer?
Et Marguerite trop délicate pour lui parler de ma-
riage, et dont le cœur était affreusement comprimé,
pleurait de nouveau en l'assurant de son dévoue-
ment et de son amour. Hélas !. les charmes de la
jeune fille n'avaient existé pour le comte que dans
une naïve ignorance et dans une fraîche beauté. Si
Marguerite eût été femme du monde, femme habile
et coquette, elle eût retenu longtemps le jeune cœur
qui l'avait si ardemment aimée; mais la pauvre pe-
tite ne savait ni dissimuler ni feindre, et, quand ses
yeux pleuraient, c'est que son cœur souffrait. Puis
elle n'avait pas su ménager les phases de son amour;
elle s'était montrée en un seul jour ce qu'elle était,
c'est-à-dire bonne, aimante et confiante !
qu'Arthur pouvait l'abuser ne lui était jamais ve-
:
L'idée

nue, et quand le comte lui avait dit « Donne-moi


ta vie en échange de la mienne! » Marguerite avait

son ami chéri. Oh !


cédé sans se défendre, se croyant déjà la femme de
qui pourra décrire les tourments
et les angoisses de son cœur encore tout chaud d'a-
mour, et qui ne sent plus battre un autre cœur sous
le sien!. Qui pourra dire les révoltes et les luttes
d'un pauvre cœur offensé, et les ressources que
Marguerite employa pour ramener le comte à ses
pieds. Il n'était plus temps; l'amour avait perdu son
prestige, et la pauvreenfantne lui apparaissait plus que
comme un obstacle dans sa vie. — Il voulut être grand
et généreux et raviver sa passion à celle de la jeune
fille; mais, quand il lui parlait d'amour, sa pensée
évoquait des êtres absents, et Marguerite sentait qu'il
se faisait illusion à lui-mêmepour la tromper etl'abuser
encore.
;
L'automne touchait à sa fin les feuilles étaient
toutes tombées, et Marguerite, aussi brisée et aussi

:
flétrie qu'elles, ne demandait plus qu'à mourir !
— Les visites d'Arthur étaient devenues moins
fréquentes tantôt c'était une partie de chasse
une courre aux cerfs, un ami à recevoir; tantôt un
prétexte tellement frivole, que Marguerite en rou-
,
gissait dans son délicat amour. La pauvre petite ne
à Dieu comme une expiation de sa faute
sa santé s'altéra peu à peu, et elle tomba dans
;
lui fit aucune plainte, offrant toutes ses douleurs
mais

une maladie de langueur qui lui enleva les dernières


fleurs de sa beauté. Quant au comte, il s'aperçut à
peine de l'état de la pauvre jeune fille, et, à la fin de
novembre, il vint lui faire ses adieux, en lui disant
qu'un procès inattendu nécessitait sa présence à Pa-
,
ris et qu'au mois de février il serait de retour. —
arguerite fut forte et courageuse tant qu'Arthur fut
; maisquand elle n'entendit plus les pas de son che-
il, elle poussa un grand cri et s'évanouit.
Pendant plusieurs jours, la malheureuse jeune
le trompa si bien son amour, qu'elle s'imagina
le son amant ne l'avait pas abandonnée. — A

ment la ;
leure où Arthur avait l'habitude de venir, elle se
isait coquette et heureuse puis elle détachait len-
parure qui l'avait embellie, en se disant:
Ce sera pour demain!. » Au bout d'un mois, le
mLe lui écrivit une lettre si passionnée et si
sndre, que Marguerite revint presque à la vie.
'était tout un beau roman d'amour que cette longue
-
îttre si concise et si spirituelle; mais Marguerite
'e. était que la lectrice et non plus l'héroïne. —
eprise a une nouvelle passion ,
He. ne sentit pas que l'âme du jeune homme s'était
et qu'il était telle-
ient heureux qu'il voulait parler de son bonheur à
utle monde. — Elle reprit donc courage et soigna
a santé pour le retour de son cher infidèle; mais
ette lettre fut la première et la dernière qu'elle re-
tde -
Paris. Elle attendit patiemment un mois,
mis un second mois, puis un troisième; mais
'inquiétude et la douleur exaltèrent tellement son
erveau, qu'elle tomba dans une folie douce et mé-
tncolique; une fièvre nerveuse s'empara de tout
ion être; et elle aurait succombé sans les soins
une vieille femme, dont elle avait été la bienfai-
ice, et qui la soigna avec la tendresse et la sollici-
tude d'une mère. — Pendant sa maladie, ses mar-
guerites chéries avaient autant souffert qu'elle, et
uelques-unes seulement pendaient à leurs tiges
utes jaunes et toutes flétries. «Image de mon
bonheur, disait la pâle jeune fille, quand il était là,
!
vous vous faisiez, comme moi, belles et coquettes!.
fêtas il nous a oubliées, nous n'avons plus qu'à
mourir!.» Mais Marguerite espérait toujours, ca
chaque nuit le délire la fièvre lui montraient
et so
amant venant la chercher pour la conduire à l'aute
Une nuit surtout, l'illusion fut si complète que Mal
guerite se leva et s'habilla tout en blanc, en plaça
dans ses cheveux et à son corsage des grains d'oran
ger et de blanches marguerites. Elle ouvrit sa port
;
et se miten route, soutenue et animée par une douc
folie qui la faisait tristement chanter comme la pâl
Ophélia, elle marcha longtemps sans s'apercevoi
de la fraîcheur de la nuit, et quand le soleil se le
elle se trouva dans le même sentier où pour la pre
mière fois elle avait entrevu Arthur. Alors la rçie
moire lui revint; elle jeta autour d'elle des regar
inquiets et douloureux. — La campagne, fraîche t
scintillante, d'une native verdure, semblait sourire a
soleil, enlui demandant dechauds rayons pour la fair
éclore, et Marguerite, flétrie, abandonnée, abattu
n'avait même plus la force de prier ni de se plaindre
- Tout d'un coup elle entendit marcher près d'elle
et soit que l'image de son amant voltigeât devant so
imagination fiévreuse, soit qu'elle se crût, comme au
trefoisau milieu des charmilles en fleur qu'écartaien

1
:
les regards amoureux du comte, la pauvre enfant pouss
un grand cri et s'évanouit et murmurant Arthur!.
Quand Marguerite revint à elle et qu'elle ouvrit le
yeux, elle se crut transportée au ciel en apercevant la
figure vénérable du curé, qu'encadrait de longscheveu:
-
blancs.
Mon Dieu, dit-elle en joignant les mains, moi
Dieu, ne me repoussez pas et pardonnez-moi !.
—Marguerite, reprit le saint pasteur, inquiet e
alarmé, pourquoi êtes-vous ici à cette heure et aussi
; -
légèrement vêtue? Vous êtes mal, mon enfant, e
vous avez la fièvre prenez mon bras,jevais vons re
conduire au village.
—Oh ! non, monsieur le curé, s'écria la malheu-
;
euse jeune fille; il m'attend pour m'épouser la-bas,
-bas et ses mains amaigries montraient le clocher de
chapelle de Montluc.
Alors l'homme de Dieu comprit la folie et la dou-

ur :
ur de cette brebis égarée, et, l'attirant près de son
pour la réchauffer. il lui dit « Marguerite,
ous avez péché, mais Dieu peut vous pardonnér, car
us avez beaucoup souffert. Suivez-moi au presby-
re, et nous irons ensemble trouver le comte de
ontluc. »
Les paroles simples et onctueuses du bon pasteur
endirent un peu de raison à la malheuneuse Mar-
uerite.Elle suivit le curé au presbytère, et après
he confession entière de sa faute, le curé et la jeune
le se mirent en route pour le château du comte
rthur.
La nièce du curé avait abrité la pauvre enfant avec
ne longue mante de soie noire,, en sorte que Mar-
uerite, avec ses habits blancs et noirs, ressemblait
e loin à une sœur pénitente que le curé protégeait. Ils
ttait
rivèrent à la nuit. Le cœur de la pauvre Marguerite
à se rompre, et quand elle entrevit de loin en
M des lumières à presque toutes les fenêtres, elle
lui :
ppuya plus fortement encore sur le bras du pasteur,
disant Il'IL est revenu!. »

;
—Marguerite, ayez du courage et de la patience,
répétait l'homme de Dieu la miséricorde divine est
1ssante!.
A mesure qu'ils approchaient, les lumières parais-
ent plus brillantes, et des sons doux et harmonieux
ient répétés par les échos d'alentour.
!.
L- Monsieur le curé, dit la pauvre petite, il y a une
|e ici, et moi je souffre tant
— Marguerite, soyez indulgente, pour que Dieu soit
dulgent, et espérez encore!.. Mais la malheureuse en-
fant était tombée de douleur sur un banc et pleurait
amèrement.
i
—Marguerite, reprit le curé,
vous allez m'atteltlrti
ici, car je ne veux pas arriver avec vous au milie.
de cette fête, pour que les amis du comte vous in-j
sultent de leur curiosité. Priez, en m'attendant, eti
si le comte de Montluc est un homme d'h«nBeurr*i
bientôt vous nous verrez revenir tous deux. Le ias-d
;
teur s'éloigna et Marguerite resta seule. Chaquenij
nute lui parut un siècle et ne pouvant dominerpar
anxiété et son impatience, elle pénétra dans le
soi
Elle marcha vivement vers le château, et, de ItinJ
elle aperçut derieuses et belles jeunes femmes s'êm
dans une valse légère, en soulevant autour d'elles
flots de gaze et de tulle.
d
lacer dans les bras de leurs cavaliers et tourbilloanal
st 1
Marguerite les regarda quelques instants avec
peur, puis songeant à l'inquiétude du bon pasteur, qu
la cherchait sans doute, elle voulut retourner sur se
pas. Au détour d'une allée, elle s'arrêta soudaine
ment comme clouée par une main de fer. Elle s'appuy
contre unarbre, autour duquel elle passa ses deux bra
pour se soutenir, et là, sentant sa vie s'en aller ave
sa dernière espérance, elle vit Arthur, qui tenait amou
reusement par la taille une jeune etjolie personne, de
la tête s'inclinait mollement vers celle du jeune comte
- -Jurez moi, Arthur, lui disait-elle de sa voix 1
plus douce, que vous n'avez jamais aimé que moi.
.— Marie, mon cher ange, peux-tu en douter, répon
dait le comte. Tu as révélé à mon âme toute une autr
vie, et aujourd'hui même, dans nos salons, nullen
peut être comparée, pour la beauté et la grâce, à la j
-
lie comtesse de Montluc.
Mon Dieu, cela m'effraye presque d'être votr
femme, reprit Marie avec une naïveté charmante o
m'a dit tant de mal de votre cœur.
;
Au même instant on entendit un cri sourd et plain-
', et comme le comte et la comtesse détournaient l'al-
e, un corps lourd et massif se détacha de l'arbre et
mba devant eux.
iLa
jeune comtesse eut une peur si grande qu'elle se
La dans
les bras d'Arthur. En tombant, le capuchon
la mante s'était écarté de la figure de Marguerite,
un rayon de lune glissant lentement sur son visage,
onna le tempsau comte de Montluc de reconnaître sa
alheureuse victime.
—Marie,
au dit-il à la comtesse, rentrez vite au châ-
pour que nos invités ne s'aperçoivent pas de cette
tastrophe; je vais vous rejoindre.
Et la jeune femme s'éloigna toute pâle et toute trou-
lée.
Alors, Arthur prenant Marguerite dans ses bras, se
à
it courir comme un désespéré vers la serre du châ-
au. Comme il en poussait la porte, le curé se pré-
enta devant lui :
partient
— Monsieurle comte, s'écria-t-il, cette enfant ne vous
plus, puisque aujourd'hui même vous avez
ris une autre femme.
—Mais il faut la secourir, s'écria le malheureux
lierait
une homme, qui avait cru que Marguerite l'ou-
comme tant d'autres. Monsieur le curé je ne
eux pas qu'elle meure 1 je la doterai, je la ma-
erai.
La
;
pauvre enfant avait été déposée au milieu des
eurs qu'elle avait tant aimées mais ses yeux ne
rouvrirent plus, et son cœur avait cessé de souf-
ir.
;
Elle fut enterrée au fond de la serre, dans un coin
terre béni par le pasteur sa place seule fut marquée
ar une large croix plantée en marguerites blan-
hes.Bientôt la croix disparut, et un massif de ver-
ure et de fleurs la remplaça. La comtesse Marie,
qui aimait la nature aussi passionnément que Margue-
rite l'avait aimée, vint souvent dans la serre effeuil-
ler, en riant, quelques blanches marguerites, pour-
savoir si Arthur l'aimait toujours. Elle ne sedoutait pas
qu'en brisant ainsi ces pauvres fleurs elle tourmentait
l'àme d'une belle jeune fille, que l'amour du comte avait
;
tuée. Quant à Arthur, il oublia la croix de margue-
rites comme il avait oublié la petite fleuriste soit re-
mords ou insouciance, il n'osa jamais pénétrer dans la
serre. Le curé seul visita la tombe de la pauvre dé-

FIN DE MARGUERITE.
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'Qu.

LES OUVRAGES INÉDITS SUIVANTS


Duguay-Trouin à Versailles, par PAUL FÉVAL,
1vol.
La dernière Marquise, par EUGÈNE DE MIRE-
COURT, 2 vol.
Le Mancenillier, par EMMANUEL GONZALÈS, 1vol.
Monsieur de Pimprenelle, par CHARLES MON-
SELET,1vol.
Les Missionnaires du Paraguay, par ÉLIE BER-
THET, 1vol.
Mademoiselle d'Aubervillier, par MOLÉ-GEN-
TILHOMME, 1vol. ,:

L'Albane, par CONSTANT GUÉROULT, 1vol.


Les deux Mères, par HENRI DE KOCK, 1 vol.
Éric le Mendiant, par PIERRE ZACCONE, 1vol.
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LASCAUX, 1 vol.
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cadémie française, 2 vol.
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La Belle et la Bête, par la COMTESSE D'ASH, 1 -
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Un roman de Léon Gozlau.


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