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/ Madame Ancelot
LA NIÈCE
DU BANQUIER
Roman inédit
PARIS
HIPPOLYTE BOISGARD, ÉDITEUR
13, RUE SUGER, 13.
1853
t
LANIÈCE
DU BANQUIER
1
->
Vv_
- - -
/:
1
-
-
J .,.,J
MADAME ANCELOT
LA NIÈCE
DU BANQUIER
PARIS
HIPPOLYTEBOISGARD, ÉDITEUR,
13,RlE SUCER, 13.
LA
NIÈCE DU BANQUIER
SYLVANIE.
et ne se
« naît aucun parent: nul ne s'intéresse à son sort.
« Mais, ce malin, dans un journal qui nonmaitles
« officiers accompagnant le roi, j'ai vu votre nom. e-
élève
« frappée de sa ressemblance avec celui de notre élàosj
« je lui en ai parlé. Elle croit se rappeler que sa
« lui avait dit, en effet, qu'un cousin portant leur
devoir
« cru mon
mon cousin ?
Et elle essaya de sourire.
— En vous voyant si jolie, ma cousine, dit-il, j'ai
peur d'avoir l'air de profiter de la mauvaise fortune
d'un enfant.
Aglaé, rassurée, reprit en riant de bon cœur
- :
D'une enfant qui voudrait vraiment être belle et
4
mais.
Mais Sylvanie ajouta en riant
A
:
la destinée que je vois aux talents, je suis in-
—
quiète pour les qualités. Ainsi, vous disiez qu'il faut
être vrai et ne jamais altérer la vérité.
— J'avais raison de dire cela, reprit le comte plus
sérieux. Un noble caractère aime toujours la vérité;
Il hésita. 1
Mais, pourtant, il faut bien se garder de la dire
soi.
—
au milieu du monde, car on doit y cacher ce qu'on
pense des autres, et il n'est pas même permis d'être
vrai dans ce qui ne regarde que
— Point de confiance alors, dit tristement
-<
Sylvanie.
Comment fait-on avec ses amies? car j'espère
avoir
des amies, et mon cœur est tout disposé à rendre avec
empressement la bonne affection dès qu'elle se mon-
trera.
-Prends garde, pourtant, chère enfant, ditle comte
avec tendresse; car ceux qui, dans le monde, s'offrent
trop vite à nous, ont presque toujours un intérêt à nous
tromper.
— Ah! reprit vivement Sylvanie, c'est donc la faus-
seté et l'ignorance qui règnent dans votre beau monde,
qu'on n'y peut être sincère et spirituel impunément?
: ; :
Je croyais que chacun apportait dans la société ce qu'il
avait de meilleur celui-ci le talent celui-là l'esprit,
l'instruction, la science que l'on y parlait de ce qu'on
sarait.
Cela, dit riant le y
paraîtrait du plus
—
à en comte,
mauvais goût ceux qui n'ont rien
à
apporter, et ir-
riterait les sots qui ne sont bons à rien. Aussi, le plus
grand éloge que le monde dessalons puisse faire d'une
!
personne supérieure, c'est de dire : on ne s'aperçoit
pas du toutde sa supériorité Cela satisfait les vanités.
Mais Sylvanie ne fut pas satisfaite, elle, de cette ex-
plication, et sa surprise s'exprima :
— Quoi! notre pays, dit-elle, ce pays qui a la pré-
tention d'être si spirituel, arrange donc la société pour
le plaisir des imbéciles?
-Il faut respecter la majorité, répondit maligne-
ment le comte.
— Retournons en Bretagne, mon bon père, s'écria
Sylvanie.
—
Tu te révoltes déjà, enfant? dit le comte en pre-
nant les mains de sa fille. tant mieux! Paris ne le
gâtera pas; mais il faut y rester encore. A ton âge, une
jeune personne doit se marier.
-Oh! je n'ai pas besoin d'allerdans le monde pour
trouver un mari, répondit étourdiment Sylvanie.
Le père fit un mouvement de surprise et regarda
attentivement le visage de sa fille, qui rougit beaucoup.
On entra pour annoncer au comte qu'un domestique
de M. Desronest demandait à lui parler.
Le nom de M. Desronest parut frapperren ce moment
M. de Plenoël. Il reporta son attention plus vivement
sur le visage de sa fille; mais elle était baissée sur un
livre qu'elle venait d'ouvrir, et on ne l'apercevait pas.
— M. Desronest, dit le domestique, demande si mon-
sieur le comte voudrait le recevoir dans la matinée.
— Mais ne dînons-nous pas chez lui aujourd'hui?
demanda M. de Plénoël.
— Oh monsieur ne l'oublie certes pas, car il a ré-
!
ses
— Ah !. ;
ditM. de Plenoël puis il porta de nouveau
regards du côté de Sylvaine, qui continuait à
donner toute son attention au livre sur lequel elle était
penchée.
— Eh bien! dit-il
vienne à trois heures.
après un peu d'hésitation, qu'il
— Resté
que émotion
— M.
:
seul avec
Desronest a
sa fille,
donc
le
une
comte
bien
lui dit avec
importante
quel-
com-
munication à me faire?
Et Dieu sait, reprit riant Sylvanie, quelle
—
!
en
! avec
importance il va vous la faire car il est bien solennel,
notre cher voisin Mais j'oubliais que sa sœur doit ve-
nir me prendre, ce matin, afin de me conduire dans
les magasins à la mode, et je vous quitte, mon bon
père, pour m'habiller de façon à me trouver prête à
sortir lorsqu'elle arrivera.
Sylvanie avait dit vivement les derniers mots, et
elle était partie avant que son père eût eu le temps de
l'interroger. Il resta pensif et mécontent. Le nom etle
message de M. Desronest éveillaient en lui des pen-
sées peu agréables.
M. Desronest était un de ces bourgeois vaniteux qui
ont trdné en France pendant quelques années. Depuis
qu'il avait acheté une usine, tout près du château de
!
Plenoël, il cherchait avec empressement tout ce qui
versationle mettre en rapport avec son noble voisin, et
pouvait
Dieusaitquelle solennité il donnait à ces mots, monsieur
le comte, qu'il répétait à chaque instant danslacon-
marchands. :
!
II
UN BANQUIER PARISIEN.
Le comte de Plenoël, malgré sa préoccupation un
9ieu triste, eût quelque peine à retenir le sourire mo-
uiueur qui vint effleurer ses lèvres, lorsqu'entra, avec
portance, le millionnaire démocrate et vaniteux
loOesronest. C'était un petit homme, gros, court et mal
lisait Ses yeux étaient fins, leurs regards scrutateurs et
émisés;
olonnaientmais de grosses lèvres rouges et un nez épaté
de la bonhommie à ce visage coloré, comme
noielui d'un homme qui, après avoir finement travaillé à
ses intérêts, ne connaît pasde plus grand plaisir qu
de s'asseoir àune bonne.tableetd'y rester lonetem
Ce fut avec l'emphase accoutumée, augmentee d'u3
tation
—
:
nuance de fierté, qu'il dit, en s'inclinant avec affel
Monsieur le comte, j'ai l'honneur de vous salue
1
:
une région supérieure à ses intérêts personnels, et
d'une importance plus grande àses yeux car il resta
pensif, triste et distrait, au grand étonnement du ban-
quier, qui le regarda pendant quelques minutes avec
attention,
et ne put s'empêcherd'exprimer sa suprise
par cesmots
--Je :
A quoi pensez-vous donc?
pense, repartit le comte avec une distraction
risible, dont
xmmes et répondant plutôt à lui-même qu'à la question
;
le Desronest, je pense qu'il y eut de tout temps des
l'unique affaire était de s'enrichir mais
[ue ce n'est pas à ceux-là que l'on doit confier la puis-
! ;
ance, ni la défense de cette puissance.
t — Préjugés dit Desronet piqué préjugés de la no-
:
Desse! on ne peut trop honorer et recompenser ceux
lUi sont riches. Voyez l'Angleterre tous ceux qui gou-
vernent sont archi-millionnaires.
<— Mais ils ne regardent leurs millions que comme
pedes forces de leur pays, et viennent à son secours,
ujour des calamités, avec leur propre argent.
-
~mes
Chacun a ses principes, répondit Desronest avec
rence, Les miens sont qu'il ne faut faire que de
affaires avec le gouvernement, comme avec les
particuliers, et que plus on a d'argent, plus on est heu-
reux et estimé de tous. Mais, pour en revenir à ce qui
:
m'amène, est-ce que si je n'avais pas plus de deux
cent mille livres de rente, je pourrais vous dire «Mon-
sieur le comte, je vous demande mademoiselle Syl-
vanie, voire fille, en mariage pourmon fils Gustave?»
Le comte avait deviné ce qui amenait le banquier, et
il éprouva pourtant une espèce de souffrance à ces
mots. Il cacha cette mauvaise impression sous un sou-
rire, en disant:
—
C'est si beau, deux cent mille livres de rente,
qu'il est impossible, après une telle dé laration, que
j ose parler de la modeste dot de ma fil e. Moi, j'ai à
peino quinze mille francs de revenus, que je partagerai
avec elle en la mariant.
Il fut interrompu par une exclamation de Desronest,
:
qui disait
— Et vos terres en Espagne? votre marquisat?
Une expression moqueuse vint, malgré les efforts
à
du comte, se mêler sa réponse.
!
— Ah ! ah mes terres d'Espagne?
!mon marquisat?
Vous n'oubliez rien, monsieur Desronest mais cela ne
mérite pourtant guère votre attention, etsije ne lescomp-
tais pas dans mes revenus, c'est que cela ne m'a jamais
rien rapporté depuis 1823. Alors, j'avais fait la guerre
d'Espagne, et la munificence du roi Ferdinand m'of-
frit, pour prix de quelques services rendus, une pro-,
priété qui donne le titre de marquis. Si le gendre que
choisirai
je tenait à ce titre, il aurait parfaitement la
possibilité de le prendre, et je vois que vous ne l'i-
gnoriez pas. I
Alors le comte se mit à rire, en ajoutant:
—Mais, est-ce qu'un démocrate comme vous per- j
?
banquier.
mettrait à son fils de s'appeler monsieur le marquis
— Je m'appellerais monsieur le
baron, sans la révo-
lution de 1848, dit mystérieusement, en baissant la
voix, le
Le comte partit d'un éclat de rire qu'il lui fut im-
possible de réprimer.
Desronest n'en fut pas trop déconcerté; mais il re-
vint très-vite au positif. C'était le point où sa supério-
rité n'était pas constatée et où sa vanité pouvait s'étaler
sans rien craindre.
-Jù donnerais quatre-vingt mille livres de rente à
mon fils, en le mariant, dit-il, s'il était accepté pour
gendre par monsieur le comte.
Le comte redevint soucieux et répondit lentement:
—C'est une grande affaire que le mariage! Le bon-
heur de toute la vie en dépend.
Mais Desronest, plus joyeux et plus vain que ja-
mais, reprit:
— Le bonheur? il serait assuré pour nos enfants.
Plus de quatre-vingt mille francs de rente en entrant
en
en ménage,
Diable!.
et
ménagc, et peut-être deux fois plus ensuite!.
n'étaient pas heureux, ils seraient exi-
geants. ObLoo je n'ai pas eu tant de chance, moi !.
Il m'a fallu
car c'est à moi que je dois ma fortune
-
me marier pauvre, a vingt-deux ans, avec une femme
demon âge,quidevaitêtre riche, c'est vrai elle avait
;
de bellesespérances —mais les diablesde parents m'ont
lait attendre longtemps l'héritage. J'ai travaille, j'ai
fait des spéculations, des affaires de tout genre, avant
!
de m'occuper exclusivement de la banque. Enfin, la
fortune est venue Heureusement que je suis encore
jeune. Quarante-neuf ans, c'est la force de l'âge. On
peut encore jouir de la vie, s'amuser.
Il y avait une grande jubilation, ornée d'unenuance
de fatuité, dans il manière dont le banquier disait ces
paroles, tout en se frottant les mains. Il ajouta plus sé-
rieusement:
— Mais soyez tranquille, monsieur le comte, je ne
mangerai pas mon bien.
— Oh ! je le crois, répondit celui-ci.
Desronest continua:
—Ma femme ne
d'une économie !. nous ruinera pas non plus; elle est
Je lui donne si peu, que vous seriez
;
étonné de ce qu'elle trouve encore là-dessus le moyen
de donner à ses pauvres. Elle vit retirée c'est une vieille
femme, elle!
— Vous disiez tout à l'heure que vous étiez du même
âge, ne put s'empêcher de répondre M. de Plenoél.
Desronest reprit en riant :
—Nous sommes nés, il est vrai, dans la même année,
mais c'est bien différent, un homme !. Moi, d'ailleurs,
je suis fait pour le plaisir et la vie joyeuse; je suis en-
core un jeune homme, moi, tandis que ma femme se-
rait souverainement ridicule, si elle pensait encore au
plaisir et cherchait à plaire à son âge. C'est une vieille
femme!
Le comte sourit malignement, malgré la tristesse
qui semblait assombrir son visage par moments. On
voyait qu'une pensée pénible lui ôtait cette gaieté rail-
leuse, qu'en toute occasion le banquier faisait naître en
lui. Evidemment il souffrait, et il dit d'un air qui de-
vait terminer la visite
Monsieur
:
Desronest, je répondrai à la de-
— ne pas
mande que vous me faites de la main de ma fille sans la
consulter; c'est elle qui décidera.
Le banquier se leva de son siège, tout radieux, en
disant:
Alors je regarde l'affaire comme faite, car ils s'ai-
—
ment. - ré-
pondit:
Le comte fit un mouvement auquel Desronest
—Cela ne devrait pas tant vous étonner !.Oui,
Gustave est un joli homme, qui a des moyens, et que
qui n'a pas besoin de travailler. Il a voyagé ;
j'ai fait élever comme quelqu'un qui doit être riche et
il est
resté un an en Italie, et c'est au retour de Rome qu'il
; ;
alla en Bretagne. Je l'envoyai dans la propriété queje
venais d'acheter près de votre château il y a passé
trois mois il n'en faut pas tant pour qu'une inclina-
tion mutuelle. Oh! nous pouvons faire le mariage
tout de suite.
— Est-ce pour ne pas laisser le temps de la ré-
flexion que vous êtes si pressé, répondit le comte avec
un mécontentement visible?
— Monsieur le comte est moqueur,
;!
dit Desronest
saluant. Moi, je n'y entends pas malice je suis un bon
homme, voilà tout! un bon bourgeois
en
même
—
:
ne convainquit pas M. de Plenoël, qui disait en lui-
Il est fin, rusé, et il avait envoyé là son fils pour
en faire un marquis !
Au milieu de ses réflexions, il reconduisaitDesronest,
qu'il avait hâte d'éloigner.
Il le croyait parti et se dirigeait vers la chambre de
sa fille, quand le banquier se rapprocha mystérieuse-
ment, avec une figure de circonstance qui paraissait
avoir un secret à dévoiler.
— J'oubliais, dit-il.
Le comte s'arrêta, et fut frappé de l'air embarrassé
et confidentiel de Desronest, qui commença ainsi pres-
que à voix basse :
—Au point où nous en sommes, vous me pardon-
nerez de m'occuper d'une chose qui vous est toute per-
sonnelle; on dit. mais c'est peut-être une calomnie.
vous m'étonnez!
—Une calomnie contre moi! répondit le comte;
;
Je ne suis pas aux affaires publiques;
je n'ai fait ni grandes actions, ni beaux ouvrages
?
Desronest continua
Vous
:
pourquoi me colomnierait-on
— Ça
à
s'adressa en disant mi-voix:
n'a pas le sou et ça se moque d'un homme
richel
Emilien devina plutôt qu'il n'entendit cette phrase,
et ce fut en riant qu'il ajouta:
—Moi, je n'ai pas autant de respect pour l'argent
que certaines personnes, et pour cause
Desronest haussa les épaules,
! mépris visible
pour avec un
l'homme qui osait avouer devant lui son peu d'es-
pe pour l'argent. Il trouva qu'un tel insensé ne raé-r
itime
riuit seulement pas qu'il lui adressât la parole; car il
tourna vers M. de Plenoël, le salua avec respect, et
vit
sur l'air le plus moqueur qu'il fût possible de placer
I -: son gros visage, pour dire :
Je ne réponds pas aux plaisanteries de M. Emi-
lien c'est son métier à lui d'avoir de l'esprit, un
écrivain, un homme qui fait des vers! Il doit en avoir
i à
revendre ! Mais j'ai peur que cette marchandise-là ne
oit pas maintenant un taux bien élevé!J'aime mieux
nos actions de la banque.
[ Un gros rire de béatitude épanouit hors de toute
proportion la figure du banquier, par la double sa-
lisfaction qu'il éprouvait d'être en même temps pos-
sesseur de sommes considérables, et capable de faire
une bonne plaisanterie pour humilier, pensait-il, quel
qu'un qui n avait rien.
Il sortiten riant.
Emilien le regardait avec un dédain mêlé de pitié.
Il croitqu'à l'argent, cet insolent parve.
— ne
Il ne put achever son mot, le comte l'interrompit en
disant :
— Arrêtez, Emilien! vous regretteriez vos paroles,
[uand vous sauriez que M. Desronestpeut s'allierà
sa famille.
Le regard attentif du comte semblait, ence moment,
vouloir percer jusqu'au fond de l'âme du jeune homme,
qui fit un effort pour retenir tout signe extérieur pou-
nuant à l'examiner :
vant manifester sa pensée. Le comte ajouta en conti-
! ;
vait jamais pleuré; et, dans ce moment, cette belle fi-
gure resplendissait d'une impression divine car elle
venait de faire une noble action Quoique rien ne lui
parût plus naturel que d'être généreuse, bonne, et
d'oublier ses plaisirs pour ceux des autres, il yavait une
si grande joie dans sa pensée à l'image d'une joie pro-
curée à une autre, que son expression était céleste,
lorsqu'elle dit en souriant :
—Me voilà encore réduite à mes moyens de province, a1
pour plaire à Paris, mon père?
— Mais ta chambre, répondit-il, est ornée d'un petit.
tableau, et la jeune artiste peut se parer des bijoux des
nière?
sa
;
Sylvanie rougit légèrement en se voyant dévinée
mais elle n'entra dans aucune explication car elle ve-
;
nait d'apercevoir Emilien, et dans sa be le âme, les
bien qu'elle faisait était un mystère qui se voilait. Ilyas
des sentiments d'un ordre si pur qu'ils semblent êtres
comme ces parfums délicats qui perdraient ce qu'ilse
ont de meilleur, s'ils n'étaient pas renfermés.
Pour empêcher le comte d'instruire Emilien de ce
ui s'était passé, Sylvanie s'approcha du jeune homme
t attira son attenlion sur sa toilette.
—Voyez, Emilien, c'est ma parure de la campagne,
elle que vous aimiez le mieux.
Emilien la regarda et ne dit rien.
—Votre silence est inquiétant!ajouta-t-elle, Vous
ensez peut-être que ce n'est pas assez bien pour Pa-
~is, et vous m'effrayez sur moi!.
Elle s'était approchée souriante d'Emilien, elle re-
~ula; il était d'une pâleur mortelle.
— Ah
!
! s'écria la jeune fille, c'est sur vous que je
ois m'effreyer Ciel! vous souffrez?. qu'avez-vous?
Il ne répondit pas.
! ?
— Pas de réponse et quelle tristesse sur votre pâle
gure ditSylvanie.
Puis se tournant vers son père
Qu'a-t-il donc?
:
demanda-t-elle anxiété.
— avec
Mais le comte garda le silence comme Emilien.
Sylvanie s'approcha vivement du jeune homme et lui
rit la main avec tendresse, en lui disant:
— Mon frère !
parlez!.
la vérité. A quoi avez-vous perduvotre gaieté
douce? votre esprit si actif, toujours anime
nouvelles? votre âme si affectueuse pour
parlez,
:
d"
moi?
Et n'obtenant pas de réponse, elle entraîna son pj|
près d'Emilien, en ajoutant d'un ton suppliant
Dites-lui donc de confier secrets
— nous tous ses
Mais le comte, inquietet incertain, ne seconda
les efforts de sa fille. <
—MonsieurGustave Desronest.
noncé par un domestique, annonçant:
Le mouvement que réprima Emilien ne fut
à
aperçu de celui qui entrait, et quivint luigaiem
en disant :
Je suis bien de vous, mon aj
;
— aise causer avec
comte m'intimide, il est railleur et fin; c'est lIIl
homme qui ne se trompe sur rien.
— Vous croyez? dit Emilien inquiet.
— Et qui ne trompe personne, ajouta Gustave.
Gustave Desronest était un homme de vingt-cinq ans,
en fait,d'une taille moyenne, d'une figureaimable.Ses
neveux noirs, sesyeux tres-vifs et tousses mouvements
pides contrastaient avec la haute taille, l'air calme et
douceur mélancolique d'Emilien. Ils s'étaient connus
la campagne, dans ce séjour de trois mois qu'avait fait
ustave, l'été précédent, prèsdu château de Plenoël.Ils
fussent aimes sincèrement, si une reserve craintive
eût, dès le premier jour, de la part d'Emilien, re-
~poussé les avances de Gustave, et s'il n'eût fait tous
ÎS efforts pour l'éviter. Gustave, l'ayant trouvé ainsi,
ÏS le moment ou ils se virent, crut à une disposition
~aturelle de défiance dans son caractère, et se flatta
la détruire à force d'amitié; mais il avançait peu
~anslecoeurd'Emilien. Cependant, ils s'étaient ren-
~entres bien plus souvent qu'il ne faut à des jeunes
~ens, pour être ce qu'onappelleamis.
Aussi Gustave répeta ce mot d'ami avec autant d'af-
fection que le permettait son caractère léger et insou-
ant, et il ajouta:
— Si vous voulez vous tromper, sur l'état de
e cœur, je vous avertis que c'est peine perdue!
o s êtes amoureux, et c'est sans doute de la jolie
ame avec laquelle je vous ai rencontré, un soir, sur
boulevard ?
Emilien ne répondit pas à Gustave, mais ses lèvres
murmurèrent involontairement ces mots
— Qu'il le croie!.
:
— Quand je dis jolie? reprit Gustave en riant, c'est
ne je le suppose, d'après le bon goût que je vous
connais, car je n'ai pas vu sa figure; un voile, la nuit
~ombante. Je n'ai vu qu'une petite taille ravissante!
!
Ah mon sage ami. Ne !
niez pas je devine vous
l'inflâ
!
qu'elle vous inspire.
naissez
Combien y a-t-il que
?
où en êtes-vous
L'étourdi français se manifestait tout entier dans
Jj
Et
:
Gustave fit un vif mouvement, parut troublé et d
avec émotion
vous la nommez?
— Métella.
— Mademoiselle
r
Gustave respira, comme soulagé, et pour cacher 1
qui lui restait du trouble dont il n'avait pas été maître
ilse mit à rire, en répétant avec ironie:
— Mademoiselle Métella,. Oh! le nom est
on
dont
chose
une
a
y
il parle..
Desronet,
ajouta
!
bien
Eh
esque ! votre rencontre l'est aussi, et votre imagina-
~on a déjà poétisé, j'en suis sûr, la belle inconnue du
-dégrade,
boulevard.
L'imagination
ÍÍ
idéalise vaut mieux que celle
qui
répondit sérieusement Emilien.
— Celle-ci est plus vraie, reprit Gustave railleur !
convenez que cette femme, qui vit seule, qui se laisse
!
exécutés par moi, et par vous, jusqu'à ce moment il
est bien prochain Au nom de la tendresse sincère que
j'ai pour vous, au nom de la tendresse prévoyante
;
tinée ce jour-là; mais, en attendant, je suis le maître,
moi. Les ordres de votre père mourant doivent être
! :
non élève, mademoiselle Sylvanie de Plenoël, va ve-
ir avec son père. Elle veut prendre des leçons vous
errez quelle charmante et bonne personne Le monde
e l'a pas encore gâtée. Puis, jolie, jolie, et il pourra
ien être question aussi de son portrait, à l'occasion
u mariage, car on parle de la marier !
Un gros soupir sortit du cœur de l'institutrice à
ette pensée; mais elle revint à Métella, en tirant de sa
oche une petite boîte
Voilà les
:
bijoux dont vouliez défaire.
— vous vous
Un éclair de joie illumina la figure de Métella; elle
uvrit la boîte, prit un bracelet qu'elle baisa religieu-
ement, en disant:
— Ma pauvre !
mère
Puis, une vague inquiétude commençait à troubler
a joie, quand mademoiselle de Beville la dissipa, en
joutant:
— Mademoiselle de Plenoël devine tout; elle a bien
compris que leçons et portraits ne donneraient que des
:
esssources éloignées, elle m'a dit — « Allez vite porter
le prix du petit tableau que je garde, afin de pourvo
au présent; car il faut avoir bien besoin d'argent poul
se défaire des souvenirs de la mère qu'on a perdue. o
La bonne institutrice était toute fière de son élèv
en offrant de sa part, à Métella, un joli petit portefeuil
vert, où
ver~, où l'aimable Sylvanie avait placé quelques-un
des de banque donnés par son père pour s
toilette.
Métella fut touchée de la bonté et de la grâcede cet
1
bonté. Tout son cœuralla vers Sylvanie comme ve
une amitié. Elle oubliait l'utilité du bienfait pour aj
sentir que la délicatesse. Dans sa joie expansive
tendre, comme la joie de la jeunesse, Métella~voul
parler à mademoiselle de Béville d'elle-même, de j
destinée d'institutrice, duchagrin qui suivrait une
velle installation dans un autre maison; mais laveil
fille se tut. Elle avait dans son existence précaire
dépendante appris à renfermer ses peines. Un serre
ment de main, un regard désolé, voilà tout ce ~qu'
obtint la gracieuse enfant, puis elles se séparèrent.
Restée seule, la jeuneartiste arrangea ses tableau
plaça tout à l'entour des fleurs, ce luxe de la jeunesse
qui embellit le bonheur lui-même; puis elle se mit
peindre. Une espérance donne tant de force, qu'elle
venait de retrouver les siennes, et s'il restait un p
de mélancolie dans son âme, on sentait que la résign
tion était à côté.
C'était le jour des bonnes nouvelles. Emilien arrive
peu après le départ de mademoiselle de léville, a
nonçant qu'un de ses amis viendrait plus tard avec~lu
visiter l'atelier de la jeune artiste. Cet ami avait, dit
séjourné en Italie, et désirait conserver le souvenir (
ce voyage, en achetant quelques vues de Rome, do
il lui avait parlé.
Métella peignait particulièrement et par goût des
moi:
ric appartenait au même pays, à la même ville qUI
il devait revenir à Paris à peu près à la même
époque que moi; nous parlions souvent de la granoi
ville et des grandes renommées qu'elle renferme, dit
artistes célèbres, des écrivains illustres! Nous ~lisioxc
leurs œuvres ensemble; nous parlions de la ~gloi:i,
comme d'une espérance qu'on peut mettre en commune
ainsi que le bonheur!. Quand je me rappelle tout
ses paroles dites d'un air si sincère, si confiant, m
!
songe
vrai j'éprouve une indicible souffrance; car tous as
projets charmants qui semblaient les élans de son cœuu
tout cet attachement si vif et si
!.
— Oh
—
!
:
nous y rencontrâmes une nombreuse société qui M
parcourait comme nous Frédéric, qui prétendait
connaître personne à Rome, voulut s'éloigner, mais
se vit entouré, et ce ne fut pas le nom de Frédéric qui
prononcèrent deux jeunes gens qui l'abordèrent. J'éta
à l'écart, et il me fut facile de me dérober à l'attentioi
et de me retirer seule ; mais, parmi cette réunion brii-
lante,j'avais aperçu la seule personne que je connus
à Rome, le directeur de l'Ecole française de peintu
—Le lendemain je sus le vrai nom de celui que j'a
mais, et vous devinerez mon trouble et ma douleur
quand j'appris que c'était le fils de cet oncle qui m'a
vait refusé de venir au lit de mort de mon père. C'était
mon cousin ! Mais nous n'avions jamais pu nous voir
~ar, avant ma naissance, les riches parents avaient
)mpu tous rapports avec les parents pauvres. — Mon
~om même lui était sans doute inconnu, et il n'avait
~u dans la jeune fille sans fortune et sans famille qu'un
~aprice à satisfaire. Il s'était dit artiste pour me don-
er l'espoir de lier mon sort à celui d'un égal; il s'était
it malheureux afin d'être aimé.
—Cela prouve qu'il vous estimait beaucoup, dit Emi-
en.
Métella sourit tristement en reprenant ainsi
Mais il eût voulu sans doute m'ôter
: droits
— mes à
~ette estime. se faire aimer avec cette espérance de
~mariage, pour m'abandonuer ensutc à des regrets
?.
~ternels Mon Dieu, n'est-ce pas trop de m'avoir
~aissé un souvenir pénible qui a désenchanté mon âme !
est vrai que ce chagrin a été pour moi un grand en-
~eignement, et qu'il a rendu, comme je le disais, mon
~œur invulnérable. mais j'ai pleuré, monsieur Emi-
en! Quand j'appris qui était Frédéric, ma résolution
~aire mes préparatifs de départ. Oh !
~t prise à l'instant. Je ne perdis pas une minute pour
je n'eus qu'un
etit retour vers le passé! Je voulus revoir une der-
~ière fois le lieu où nous nous retrouvions chaque
oir; je m'y rendis deux heures plus tôt. Je laissai
ne petite bague de lave qu'il m'avait donnée près du
~ombeau de Cécilia Métella, cette riche patricienne
~orte au milieu de toutes les splendeurs de la vie, et
me vint alors l'idée de prendre son nom pour ca-
her toutes les misères de la mienne. Je renonçai au
~om d'une famille qui m'avait été si douloureuse, au
om de baptême sous lequel j'avais été aimée et trom-
~ée.Je ne voulus plus être que Métella, inconnue,
!
ans parents sans passé !. Oh j'ai du courage et de
!
~a
~xister;
décision Je sais briser vivement ce qui ne doit plus
mais mon cœur saigne de la blessure. J'ai
~leuré malgré moi à en ternir à jamais sur mon pâle
calme. et je n'aime plus que l'art de la peinture Jej
l'aime pour lui-même, pour le plaisir de voir naître)
!
visage les fleurs de la jeunesse. Mais à présent je suise
!.
sous mes doigts un objet auquel je donne la vérité, lé;(
vie J'oublie, dans ce plaisir du travail, que mes ou-i
vrages peuvent me faire vivre célèbre, ou me laisser
mourir ignorée. Je ne vois que la joie de bien faire, et',
si je me fatigue et m'épuise parfois dans mes effortsG
j'en suis amplement récompensée quand je crois avoiii
réussi. C'est un amour aussi, mais celui-là n'a pas 8
craindre l'ingratitude.
Métella avait cessé de parler depuis quelques in-f
stants déjà, et Emilien ne répondait pas. Il était ab-c
— Est-il
:
sorbé par une pensée, et ce fut comme à lui-même qu ii
dit à mi-voix
possible, en effet, que le calme renaisse
ainsi?
s'attachait sur lui, il se tourna vers elle et ajouta :
Puis, sentant le regard inquiet de la jeune artiste qiii
10
— C'est
bles paroles
—
!.
une grande leçon pour le cœur que vos noe
Merci de ce que vous dites là ! Je n'ai donc riel
perdu dans votre estime par mon aveu, dit Métella,
tendant sa main à Emilien.
e
— Vous vous êtes montrée si grande dans votre sinai
ple récit, lui répondit-il, que je ne me trouve pas d vr
gne de cette amitié de frère qui serait mon seul
jou
- !
bien en ce monde, si vous me l'accordiez.
Mon frère, mon bon frère dit Métella un
n'est-ce pas, vous m'ouvrirez votre cœur. car ,
je s
bien qu'il est plein de tristesse, et que vous aussi vo
avez besoin d'être consolé.
Emilien s'était levé. Le moment de se séparer aiT
vait.
— Ne parlons pas moi, dit-il en reprenant l'air cal
et doux qui lui était habituel, ne reparlons même plu
~ns l'avenir, de ce que vous venez de me confier. Tou-
~her à un mal, c'est l'augmenter, ou au moins l'em-
~êcher de guérir.
—Vousavez raison, s'écria la jeune fille naïvement;
me sens agitée par le récit que je vous ai fait,et il
ie faudra peut-être plus d'un jour pour redevenir tran-
!. Mais je voulais êtreconnue de vous avec mes
uille
~ées, mes sentiments, mes chagrins et ma joie
Maintenant, un seul mot: voulez-vous encore, à côté
!.
~e tout cela, placer une bonne amitié?
— Je vous
à
l'ai dit, ce sera
:
le
~ue le monde ait pour moi, dit Emilien ;
plus grand bonheur
puis, comme il
:
~'apprêtait sortir, il ajouta —Après une heure de con-
idence, on a vécu ensemble dans le passé nous som-
nes à présent de vieux amis !
Et il la quitta pour s'occuper d'elle. Il lui voulait
a fortune et la gloire à défaut de bonheur, et ce projet
~emplissait assez son esprit pour n'y laisser aucune
place à ses propres chagrins.
Métella, restée seule, courut à sa bonne Françoise,
avec la confiance et la joie d'une enfant, pour lui an-
noncer qu'elle aurait du travail, et lui donna l'argent
que mademoiselle de Béville lui avait remis. — Dissi-
per les inquiétudes de la servante dévouée et active
qui veillait seule à tous les soins de la maison, était un
plaisir !
elevé pour elle Puis, auprès de cette femme, qui avait
enfance, elle gardait quelque chose d'enfan-
son
tin. Françoise ne connaissait que les inquiétudes de la
aux matérielle de la jeune fille, qui ne l'avait pas initiée
~ie
autres: non que Métella se défiât de son intelli-
ence; elle savait bien que les femmes de tous les
ges et de toutes les classes comprennent les cho-
~es du cœur; mais Françoise avait tant de peine, et
;
~arfois tant de soucis, que Métella ne voulait pas lui
n donner plus qu'elle n'en eût pu porter car elle savait
que sa sensibilité était extrêmement vive pour tout ~ce
qui tenait à celle qu'elle osait appeler une enfant.
Françoise avait vu Métella si petite, qu'elle la re-
gardait encoreen effet comme une enfant, et cela plai-i
sait à la jeune fille, qui, retrouvant près d'elle ces jeux,
fance ,
ces manières mignardes et caressantes propres à l'en-
s'y croyait parfois revenue. Cela lui faisait ~dur
bien et lui rassérénait l'esprit. C'était comme une brise
fraîche et pure du matin qui passerait au milieu de
l'ardente chaleur de midi.
IV
L'ATELIER DE LA JEUNE ARTISTE.
viendrait ici ?. ;
chait à me cacher sa figure est-ce que par hasard il
Et comme, en parlant, le gros bonhomme examinait
tout autour de lui avec ses petits yeux scrutateurs, il
aperçut une brochure posée sur une table, fit une gri-
singulière et continua
maceOui,
c'est cela même,
: un opuscule de sa façon !
—
~les
!
vers
Il haussa les épaulesen répétant avec dédain
Des vers à?quoi cela sert-il, je
:
vous le demande?
—
Mais il trouva tout à coup une réponse à la question
qu'il se faisait à lui-même, et il reprit d'un autre ton :
poésie, les poètes !.
—Les femmes font cas de cela. elles aiment. la
portable. Celui-là m'était déjà assez insup-
Je déteste les poëtes, moi !
Tout en parlant, l'investigation continuait.
— Heureusement, dit-il avec un air
heureusement c'est pauvre, un poëte! Et moi !.
plus satisfait.
Il s'essuya le front, encore échauffé par les six éta-
pes et peut-être par la pensée qui les lui avait fait
franchir.
Et moi. riant.
—
! reprit-il en
!.
je suis riche, -
très-
riche retiré de toute affaire, et je suis encore un jeune
homme. un jeune homme riche
ceComme il avait fait alors à peu près l'inventaire de
:
que renfermait l'appartement, il termina en ajou-
tant plus bas
assez
— Des
joli !.
tableaux, des fleurs, des statuettes!
elle a du goût. Mais pas un meuble
C'est
de prix
pauvre
!.
! rien. qui ait de la valeur !. Elle est
Puis il s'assit, ou plutôt s'étala dans un fauteuil,
comme s'il eût pris possession des lieux où il se
trouvait.
Quelques minutes s'étaient à peine écoulées, dans cet
état de repos où l'expression de la satifaction de lui-
même brillait en plein sur le visage du banquier Des-
ronest, car c'était lui, lorsqu'une voix de jeune fille mo-
dula quelques sons doux et joyeux dans la pièce qui
suivait l'atelier. Desronest s'écria:
— C'est
Et un
!
elle
sourire triomphant et railleur fut destiné à
i
changer sa physionomie de bonhomme en celle de
séducteur; c'était don Juan sûr de son fait.
Métella tenait un pot de fleur et répondit à quelques
paroles de Françoise, sans doute; car, arrivée au seuil
de la porte, elle s'arrêta, interrompit son chant, tourna
la tête au dehors et dit: 1
Va, ma bonne, si les gens riches ont de l'or, nous
—
avons des fleurs, ne nous plaignons pas !
Et ce ne fut qu'après avoir posé son rosier dans une
jardinière, qu'en se retournant elle aperçut M. Des-
ronest, dont le nom lui était inconnu, mais dont la fi-
gure lui rappelait des choses peu agréables. Aussi, sa
physionomie toute épanouie prit-elle un air craintif et
inquiet.
—
Oh !. dit-elle en reculant.
Son mouvement amena naturellement ces mots du
j
banquier: K
vous en avertis.
>•
Métella se tourna un peu de côté pour cacher son
nalin sourire.
Ce fut avec un gros rire que Desronest ajouta:
-Je n'en serai pas fâché, certes. et vous en serez
~bien aise, je l'espère.
La jeune fille eut grande peine à retenir ces mots
C'est un vieux fat!
:
—
Elle les prononça intérieurement, et cette pensée mo-
~queuse donnait à sa figure un air de gaieté qui encou-
~ragea le financier.
—Quel plaisir, dit-il joyeusement, d'être peint par
ces jolies petites mains!
;
Il voulut s emparer des mains de Métella mais elle
ui échappa et se rapprocha d'un petit tableau com-
nencé, représentant une vue de la campagne de
Rome.
| Elle s'y arrêta pensive, là elle avait rêvé l'idéal.
j
Desronest se promena autour de l'atelier, examinj
les tableaux, estima la valeur des uns, l'agrément de:
autres, tout en disant :
- Est-ce que vous n'auriez pas fait votre portrait1
:
Je ne le vois pas cependant, jamais vous n'auriez et
unplus jolie modèle.
Et le financier admirait la jeune fille avec beaucouj
plus d'intérêt que les tableaux.
— Quels beaux yeux! quelle jolie taille! et ces ehe-i
veux.frayeur
La de Métella revenait; elle dit assez vi-
vement.
- Il ne s'agit pas de moi, monsieur.
-
;
heureux.
pour ceux qu'ils aiment. Je suis un bonhomme, j'aima~i
la joie, mais pour les autres commepourmoi, et ceq~
riche.
tant
- D'ailleurs, c'est se faire honneur à soi-même, qui~t
de voir une. une amie entourée de tout ce que ~leo
femmes apprécient tant! de voir sa toilette élégante~c
son appartement
— Je n'espère pas, interrompit Métella, que more~
travail me fasse faire fortune. Je n'ai jamais pensé i,
cela; mais, vivre modestement, avoir un peu de répu~x.
tation parmi les connaisseurs et les amateurs des arts.
puis, je l'avoue, trouver à côté de cela pour comble~s
tous mes vœux, de l'amitié.
- ?
L'amitié reprit Desronest en avançant dédai~il
gneusement les lèvres de manière à produire une ~ese
pèce de moue méprisante qui ne l'embellissait pas. D~.(
?
l'amitié Allons donc!.. il faut mieux que cela quan~
on est jeune et jolie. 8
—Je ne me marieraijamais, dit la jeune fille d'un
-
in décidé.
Et Vous aurez bien raison !., répondit le banquier.
Mais il s'arrêta devant l'étonnement de la jeune fille
ces paroles.
Un moment de silence suivit.
Desronest reprit en riant
Le mariage n'est
:
plus de ;
mode mais la vie
— ne
~sut se passer d'affection; c'est la joie de tous les
~mrs !. Les femmes le savent encore mieux que nous;
'est-ce qu'une existence de femme, sans amour?
C'était avec une voix adoucie et un air de tendresse
~tae le financier répétait ainsi ce qu'il savait de plus
~jélicat
~[ne
n
pour persuader et pour toucher une jeune fille.
doutait pas de son succès.Métella était immobile
visage paraissait calme, et ses regards semblaient
;
le rien voir extérieurement. Desronest était tout près
~elle; il prit sa main. la baisa. Métella ne bougeait
~ts; mais son oreille attentive avait reconnu un bruit
~gerde pas qui s'approchait. Le rideau remua, on
~tendit murmurer quelques mots, et la jeune fille,
~spirant enfin, courut soulever la (portière, pendant
e Desronest, très-contrarié, se mit à l'écart involon-
rement, pour dérober sa présence à ceux qui en-
~raient.
— C'est sans doute mademoiselle Métella, dit une
~légante
jeune personne.
-Je devine, répondit joyeusement l'artiste; j'ai
l'honneur de recevoir mademoiselle Sylvanie de Ple-
~ktël, et monsieur le comte
son père.
Sylvanie était suivie de son père.Ils mirent tous
eux autant de politesse dans leur salut que s'ils étaient
~rivés dans l'hôtel d'une grande dame.
[ Desronest, excessivement contrarié, :?
se disait —
;
uel fâcheux contre-temps, et que vont-ils penser
Métella offrit des sièges mais déjà Sylvanie avait
voudrais avoir !. ;
! :
couru aux tableaux, et s'écriait — Oh ! que c'estjolil
quelle noble expression et le charmant paysagi
Voyez donc, mon père!. C'est bien là le talent queU
très-inui
lfà
— C'est une qualité que
bonheur de connaîtreen vous, dit le comte avec PlenoëJi
uni1
légère nuance d'ironie.
Desronest, qui pensait avoir échappé aux soupçons al
ne s'apercevait pas de l'air moqueur de M. de
reprit toute son apparente bonhomie pour dire
— Qu'est-ce qu'on a de mieux à faire que
: d'aime,
j
les belles choses et de chercher à se donner quelque!
plaisirs, quand on est riche, très-riche, retiré de tout!
affaire? finessfI;
Desronest croyait mettre dans ses paroles une
qui devait porter ses fruits dans l'esprit du comte.
Ce fut Sylvanie qui répondit et essaya de faireserj
vir sa vanité d'amateur des beaux-arts aux intérêts dl
sa protégée. i
-C'est bien, monsieur Desronest, vous ne sauriea
croire tout le plaisir que j'éprouve à trouver en vou
;
un connaisseur en peinture.
Desronest était enchanté il faisait mille
salutation1
racieuses, et il se réjouissait d'autant plus de la ma-
lère amicale dont lui parlait Sylvanie, qu'il y voyait
iccomplissement de ses projets et la certitude que la
mande faite par lui, la veille, au comte, était ac-
beillie; aussi fut-il disposé à faire tout ce qui plai-
kit à Sylvauie, quand elle ajouta
Tenez, monsieur Desronest,
: cette d'l-
—I
llie! prenez vue
Moi, je choisis ces deux paysannes qui se repo-
ent sous un arbre. On voit, ou sent la chaleur d'un
bleil brûlant. Ce tableau fera le pendant de celui que
ti déjà.
Et comme Sylvanie tira M. Desronest à l'écart, parla
k prix et se disposa à payer le sien, le financier céda
assez bonne grâce à ce qu'elle exigeait.
Desronest tenait à la main un portefeuille, mais n'en
ait pas encore tiré l'argent destiné a la jeune ar-
iste. Sylvanie cherchait le moyen de le lui remettre
vec cette délicatesse des gens bien élevés qui ôte à
eux-a qui ils donnent l'embarras de recevoir, lorsque
létella, qui était restée tout à fait étrangère à ce qui
était passé, offrit a Sylvanie d'aller chercher quelques
:
udes, faites d'après les plus grands maîtres, et qui
eraient bonnes a copier pour des élèves car, ajouta-
-elle. mon plus grand désir, en ce moment, serait de
[onner quelques leçons à de jeunes demoiselles.
— Rien ne sera plus facile, dit Sylvanie, je vous en
irocurerai.
- !
Quel bonheur! s'écria la jeune fille. Oh made-
moiselle,quelle obligation je vous aurai! Vous ne sa-
ez pas, vous ne pouvez pas savoir de quel prix est
lour moi cette espérance.
— D'abord, vous pouvez me compter parmi vos élè-
Les; nous commencerons dès demain, reprit Sylvanie,
vant
cela peu vous en aurez plus que vous ue voudrez;
prendra une trop grande part de votre temps,
et il né faut pas renoncer à ces tableaux, à ces por
traits.
Métella soupira. Les portraits, j'y renonce. J'ai
—
appris. qu'ici, à Paris, il y a des dangers à des rela
tions avec le public. Des personnes qu'on ne connaî
point. qui ne vous connaissent pas. peuvent venir..
;
La jeune fille se troubla sa pensée s'était échappé
sous l'impression encore vive des intentions que Des
ronest lui avait laissé deviner. Mais elle sentait qu'i~
fallait cacher, même pour elle, ce qui l'avait fait trem
bler et la faisait encore rougir. —Elle s'arrêta. e
après quelques mots d'effusion qui exprimaient tout
sa reconnaissance envers Sylvanie, elle courut cher~
cher les études dont elle avait parlé et qui étaient dan~
la pièce voisine.
Desronest resta seul avec Sylvanie et son père. L
première, dans sa naïveté, laissait encore lire sur so~
le
visage dela surprise d'avoir trouvé là banquier,
une espèce de doute ou d'incertitude sur le motif qui l'
avait amené. Le comte, qui se rendait mieux raison
motif, avait un air passablement railleur. Et Desronest
sous l'impression de ces deux pensées qui cherchaie~
à scruter la sienne, se sentait mal à l'aise. Desronest
quoiqu'il ne fût pas tout à fait, comme il se vantait d
l'être, un bonhomme, n'avait cependant aucune méchan
ceté, et ne trouvait nul plaisir à faire de la peine i
quelqu'un. Mais il avait au suprême degré cet égoïsm
si commun de nos jours, qui consiste à oublier com~
plétement les autres quand il s'agit de soi, et de les sa
-
crifier sans le moindre scrupule, sans même sé doute
qu'ils comptent pour quelque chose, lorsque son in
térêt était en jeu. Le financier, d'ailleurs,, était imprégn~
des pieds à la tête de cette conviction, qu'un homm
riche est un personnage de telle importance que so~
bien-être doit passer avant tout. Périssent tous le
uvres plutôt qu'un millionnaire, était son principe.
fait.si ce n'était en paroles.
Il redoutait l'amitié de Sylvanie pour Métella, sans
rendre bien compte de ses craintes. Il y avait l'idée
une protection qui rendait la sienne inutile, et aussi
dée d'une intimité, que les confidences de la jeune
tiste pourraient rendre redoutable pour lui, et sous
influence de sa personnalité, sans mauvais vouloir, il
It:
- On vous avait donc recommandé bien vivement
ette jeune fille, monsieur le comte, que vous êtes venu
ans cette maison. et encore avec mademoiselle Syl-
anie!.Oh!
-
et
Sans doute, répondit le comte en l'examinant.
à vous aussi, à ce qu'il paraît, puisque je vous y
— Un homme va partout, ditle banquier naïvement.
— Qu'est-ce à dire? reprit le comte étonné. Est-ce
u'il vous paraît peu convenable que ma tille soit venue
ci?
ne— Vous connaissez le monde, dit Desronest avec
apparence de bonhomie.
;
Sylvanie s'était approchée son âme se révoltait d'un
oupçon sur celle qui avait excité en elle une vive sym-
lathie; elle dit vivement:
Oh ! votre monde a pour les personnes pauvres
—
les mépris qu'il ferait mieux de garder pour autre
chose!.
-Le monde? reprit Desronest avec un certain
dépit, monde pourrait peut-être, avec raison, trouver
le
singulier que la fille de M. le comte de Plenoël vienne
chez une inconnue, une artiste.
—Je viens chez elle parce qu'elle est artiste, qu'elle
a du talent et que j'ai besoin d'elle, monsieurDesronest,
répondit Sylvanie avec dignité, et c'est aussi parce
qu'elle est encore inconnue que j'y viens; car alors elle,
a besoindemoi.
— Du talent! du talent! Je ne dis pas non, balbutia;
Desronest, je le reconnais comme vous, et je puis, je)
veux la protéger; mais vous? venir chez une jeunej
fille qui vit seule. qui reçoit des jeunes
— Comme vous! dit en riant
gens..
Sylvanie, que la mau-
vaise disposition du banquier rendait cruelle pour ses
prétentions de jeune homme. Mais ce rire moqueur,
jours..
involontaire, s'effaça bien vite des lèvres roses de la:;1
belle enfant, quand Desronest continua: *
-
:
Comme M. Emilien. dont voilà un ouvrage..
et dont j'ai trouvé la personne elle-même sur l'es
dire..
calier, en arrivant! Il paraît qu'il vient ici tous les
eri]
— Il ne m'en a jamais parlé, balbutia Sylvanie
pâlissant. 4
— Je le crois bien, répondit Desronest; mais il était
à Paris plus d'un mois avant vous et il pouvait passent
ici toutes ses journées, sans être obligé de vous les
reille
de larmes que ses joues étaient décolorées. Il avait
lui-même senti son cœur se serrer à cette vue, qu'illi
avait voulu dérober à l'attention du banquier. Mais enn
passant devant Sylvanie, il l'entendit lui dire à l'o—i
i
bit lu dans le regard de Sylvanie qui l'enchantait.
tout ce que j'ai de mieux, dit-elle, je por-
chez vous ce que vous choisirez, afin que nous
ssions commencer tout de suite, dès demain.
Sylvanie ne répondant pas, Métella porta ses regards
kr son visage et s'écria:
— Ciel ! vous vous trouvez mal.
;
Elle voulut l'aider à s'approcher d'un siège Syl-
Inie repoussa froidement sa main sans répondre et
[éloigna de quelques pas.
Il y eutun moment de silence.
1 ;
(AOh vous souffrez, dit Métella permettez-moi de
bus soigner, de ?
vous offrir quelque chose Peut-être
-
demeure.
exprimable. M. de Plenoël serra contre ce cœur le bras
temblant de sa chère fille, et tous deux, tristes et si"!
lencieux, marchèrent lentement ensemble jusqu'à leur
Métella aussiétait restée tristementaffectée; mais bien
la
que pauvreenfantéprouvât en même temps unegrande
souffrance physique et une grande souffrance morale,
son mal n'atteignait pas au mal qui serrait le cœur de
Sylvanie. iln'est donné qu'aux tourments de l'amour
et de la jalousie de porter à l'âme un coup tellement
douloureux qu'il la déchire et la brûle en même temps..!
Cependant il y avait quelque chose de cruel dans las,
pensée de la jeune artiste, et dont elle ne pouvait pas
se rendre compte. Quand elle fut seule, elle tombas
comme affaissée sur un siège, et ne put s'empêcher des
pleurer. Sa force physique était loin d'approcher de
sa force morale; elle avait souffert trop jeune, travaillée
rop jeune. A cet âge où l'on sort à peine de l'enfances
etoù le corps achève de prendre toute sa croissance,
et l'âme est tourmentée et si la fatigue dépasse les
orces, il est impossble d'atteindre au développement
)ù l'on serait arrivé dans une vie paisible et douce. 1(5
C'est un des malheurs des grandes villes, et surtout
Ul des torts de notre époque, d'avancer les facultés, les
dées
etles passions, et de donner ainsi à l'enfance une
art trop lourde de l'existence pour qu'elle puisse la
supporter sans tarirpar ses efforts les sources d'une
longue et forte vie. Tout s'en ressent; le corps s'étiole,
l'intelligence s'affaiblit, le courage diminue, le calme
;
disparaît. Une espèce de vivacité nerveuse et improduc-
tive agite l'esprit on sent que l'on pouvait avoir une
vorté ;
uissance qui vous a échappé, des talents qui ont
on s'attriste, on s'irrite, on jette dans la criti-
suffit plus à faire soi-même quelque chose ;
que de ce que font les autres le reste de force qui ne
puis l'âme
'affaisse sousdes regrets infinis et sous cette vague et
atigante mélancolie si commune. de nos jours, et qui
n'est que le sentiment d'une destinée utile, belle et
a
onne, qu'on manquée. Les uns ontmanqué cette meil-
a
;
eure destinée parce que la fortune leur permis trop
eunes d'abuser de tout les autres parce que la pau-
reté les a forcés trop jeunes àun travail qui neles a
aissés jouir de rien.
Métella était de-ces derniers;, sa vie s'était épui-
ée dans les efforts pour acquérir ce talent, sa seule
spérance, sa seule consolation, et quand elle se trou-.
rait livrée aux luttes contre les difficultés, aux alterna-
ives d'espoir et de déceptions, à cettefatigue ducorps
lugmentée-par les découragements de l'esprit, ce qui
ui restait de force ne suffisait plus.
Quelques paroles d'un égoïsme trop commun dans
e monde venaient d'accabler la pauvre enfant,que la
sympathie d'un bon cœur avait un instant ranimée.
ue de fois il arrive que pour s'épargner une contra-
riété l'on cause à d'autres un vrai chagrin ! Que de
ois par légèreté, ou pour un très-petit intérêt person-
el, on attire sur quelqu'un les plus grands et les plus
rréparables malheurs !
y
LA FAMILLE DE MÉTELLA.
-
tumée au chagrin, qu'elle en sentit les atteintes pouîg
la première fois, elle était calme et courageuse. Elevé&
par son père à cette forte école du devoir et de la r<M
signation, elle était résolue à souffrir en silence et M
essayer de cacher sa souffrance à son père ! Elle ne àa-il
vait pas encore que la tendresse paternelle dev-"'-kelniilà
le cœur de son enfant.
Lorsque M. de Plenoël était venu faire part àet
Desronest,
vanie de la demande du bonbourgeois
ses projets d'unir M. Gustave, son fils, avec m N
selle de Plenoël, Sylvanie avez dit, avec son
lin sourire:
—Est-ce que vous croyez m'apprendre quelque t4U
;pas!.
mon bon père? Oh !j'ai deviné le voisin depuis long-
temps, et je suis toute fière de son choix il aime 1
l'argent, et il a pensé à moi, qui n'en ai
charmant, et ma reconnaissance est immense.
—Va-t-elle jusqu'à accepter? dit le comte.
-C'est la seule chose qu'elle ne se permettra jamais
mon cher père. et si vous l'avez supposé, vous ÎiIII
tort à votre fille.
—L'amour ne va pas toujours où la raison devrait
conduire, reprit en riant M. de Plenoël. -
Il
— va toujours. je pense, ditSylvanie, où le CIl
trouve les qualités, l'élévation et la tendresse dont.
capable lui-même. M. Gustave est fort bien, sans doute
bais, mais. je ne me sens d'ailleurs aucune envie
l'être riche.
— C'est-à-dire que tu peux t'en passer, si le mari
i, en qualités qui te plaisent, ce que le fils de Desronest
en espérances de richesses. Veux-tu me dire, ma
Ihère enfant, où est cet idéal de ton cœur? Je le con-
lais peut-être, mais enfin, voyons, présente-le moi.
Tout cela était dit en riant, car, depuis que M. de
•lenoël savait que Gustave n'était point aimé, il sem-
;;
blait avoir retrouvé un peu de joie. Oh! ce n'était pas
père denotre époque il n'avait pas calculé sur la
brtune du millionnaire il n'avait pas regardé comme
plus grandeaffaire de ce monde d'assurer l'opulence
l :
sa fille dans ce noble cœur, il y avait bien des cho-
es qui passaient avant l'argent, et, quoiqu'il appréciât
p plaisir d'en usergénéreusement, il n'était pas de ceux
[ui,pour en avoir, sacrifient tout le reste.
Sylvanie était heureuse de voir que son père ne te-
lailpas plus qu'elle à la fortune; car, depuis que chacun
rvait pu pressentir les projets de Desronest, il avait eu
Iidée des avantages que la richesse pouvait procurer
I l'autre et craignait d'être obligé, ou de sacrifier ses
répugnances, ou de voir un chagrin suivre le sacrifice
Je cette fortune qui s'offrait à eux. En comprenant que
Bus deux y renonçaient sans un regret, ils étaient heu-
u'ilsne
EBUX de s'entendre sur ce point et ne doutaient pas
s'entendissent aussi bien sur l'autre.
Pourtant la jeune fille se troubla en voulant com-
mencer ses confidences, et, pour cacher son trouble,
:
ime,
bile dit en souriant
I — Vous n'espérez pas, mon bon père, que ce soit moi
cier aille chercher un prétendu et qui vous l'amène,
fil y en a un. Vous serez forcé de le deviner vous-
et je ne veux, en ce moment, que vous remer-
de ne pas désirer plus que moi cette fortune à
laquelle j'ai tant de plaisir à renoncer.
C'est dans cette disposition d'esprit qu'elle s'çjd
rendue chez Métella et que toutes ses espérances sa
taient évanouies en apprenant que si elle possédait^
mitié d'Emilien, son amour était à une autre.
,
ordinaires;
De retour chez elle, Sylvanie reprit ses occupa
l'effort avaitété cruel; elle l'avait Cail
un murmure. Son père ne lui parla de rien. Mada
selle de Béville fut charmée que sa protégée eût~i
trois tableaux, etne dit mot des leçons ajournées; ç
à Emilien, il ne parut plus que très-rarement, et
ques jours se passèrent ainsi, sans qu'il y eût rien
changé, en apparence, dans l'existence de SyLvania
bien qu'en réalité tout fût détruit dans son bonh
Métella fut forcée de garder le lit quelques
une fièvre assez violente lui ôta même, pendant m
;
rante-huit heures, le sentiment de ses regrets
genres mais dès qu'elle fut revenue à elle, une iA
de
fixe s'empara de
son esprit. Pourquoi Sylvanie, M
l'avoir cherchée avec empressement et lui avoir ;~N
d'un ton affectueux, de leçons à prendre le lenùem
s'était-elle ensuite retirée avec une froideur accabl
en renonçant à son projet? Et pourquoi, se
a
mo
ainsi irritée contre elle, lui laissait-elle unesomme H
considérable?Car, initiée par mademoiselle de Hé
aux détails de la fortune et de la maison du comte tout
Plenoël, elle voyait que Sylvanie lui sacrifiait
qu'elle pouvait posséder pour sa toilette.
c 1
ce
Cette idée fixe, une fois entrée dans l'esprit de Mn
tella, la jeune artiste se promit, à tout prix,
mystère,et,
ce mystère,
d'é » -
dans tous les cas, de se montrer aussi
et,désintéressée
noble et aussi que sa bienfaitrice. |
Emilien s'était présenté chez Métella, mais François
l'avait éloigné; personne n'étaitentré, par ordreêxotM
du médecin, qui avait craint une grande màiadie.
pauvre jeune fille ne savait rien, n'avait rien appris (9
ce qu'elle désirait savoir. Au reste, elle ignorait encor
qu'il existait quelques rapports entre Emilien et Syl-
vanie. Desronest n'avait point reparu, et son absence
chez elle, comme chez M. de Plenoël, avait été motivée
par un départ précipité pour Bordeaux. Bien qu'il ré-
pétât souvent qu'il était retiré de toute affaire, il
somme
ne négligeait pas une occasion de gagner quelque
considérable, quand elle se présentait, sans
qu'il eût à risquer aucun argent, ce qui n'arrive jamais
qu'à ceux qui en ont beaucoup. Son absence ne devait
durer que très-peu de jours.
Dès que Métella eut la force de sortir, elle voulut
exécuter le projet qui occupait toute sa pensée, et elle
se rendit chez mademoiselle de Plenoël.
Sylvanie était au salon, toujours triste et désolée au
;
fond du cœur, et toujours calme et souriante quand
son père la regardait elle craignait tant de l'affliger
Mais, pour n'être pas forcée de parler, elle faisait sou-
!
vent tout haut quelque bonne lecture. Ce jour-là, un
livre d'histoire était entre ses mains elle venait d'y lire
une de ces grandes catastrophes, qui coûtent cher à
un pays, même quand il en retire quelque avantage
et 1 esprit de la jeune fille, occupé de ces événements
:
publics, oubliait ce qui la regardait en particulier.,C'est
là un des grands biens de la lecture! Elle entendit du
bruit dans l'antichambre et ce fut avec chagrin qu'elle
dit
- Quelqu'un vient ici ! Les importuns sont insup-
portables quand on souffre I
C'est M. Desronest.
:
Le comte prêta l'oreille et reprit
—
Sylvanie se leva pour s'éloigner.
— Il vient chercher la réponse à la demande qu'il a
faite de ta main, pour son fils, dit M. de Plenoël.
Il ajouta en souriant:
— Refuses-tu toujours M. Gustave?
—
Est-ce que le cœur peut changer, répondit Svl-
vanie avec un sourire si triste, que son père sentit
qu'elleétaitinconsolable.
C'était en effet M. Desronest, qui arrivait de Bor-
deaux avec empressement, et d'autant plus plein de
confiance qu'il venait de faire une meilleure affaire en-
core qu'il n'avait espéré; aussi remplit-il le salun de la
rotondité de sa personne et de la sonorité de sa voix,
avec une telle ampleur, qu'on n'y vit plus que lui. Ce-
pendant la porte ne se referma point sur ses pas, et
mademoiselle de Béville y parut sans bruit et entra
avec la jeune artiste Métella, qu'elle tenait par la main.
On n'entendit point leurs pas, et elles surprirent Syl-
vallie, en la retenant au moment ou elle allait rentrer
dans sa chambre.
Sylvanie resta. ;
Desronest fut surpris et le comte devint attentif.
La pauvre Métella, faible et tremblante, fut un in-
stant sans pouvoir parler. Enfin, elle reprit courage
et dit:
— Si je n'avais pas été malade je serais venue
plus tôt.
Elle vit Sylvanie faire un mouvement et y répondit
:
ainsi
Ne craignez visites, mademoiselle, celle-
— pas mes
ci est nécessaire et ce sera la dernière. Si j'étais bien
heureuse de l'espoir de vous voir chaque jour, quand
vous parliez de leçons; si j'ai vu avec un grand cha-
grin qu'on vous avait fait changer d'idée en quelques
minutes, je suis résignée. Oh! moi, je suis habituée au
malheur!. je m'y résigne, mais non pas à des. hu-
miliations. des mépris.
La timide enfant avait dit bien bas et avec bien de la
peine ces deux mots douloureux. Puis, elle avait pris
dans sa poche un papier qu'elle ouvrit et elle montrait
des billets de banque; elle les tendit à Sylvanie, qui ne
bougea pas. j
t—
;
J'ai pris, dit Métella, ce que j'avais demandé des
ileaux, que vous avez choisis mais je neveux pas de
~eaux de quelqu'un qui paraît me haïr et qui m'a re-
ist-.ée avec tant de dédain.
;
1 à l'aise il dit pourtant, à mi-voix, au comte
Ces artistes, ça vous a des imaginations si extraor-
aires, qu'ils n'out pas le sens commun.
:
bylvauie restait immobile. Desronest était surpris et
- ?Quoi ! :
Mais elle n'acheva pas. Mademoiselle de Béville l'as
vait interrompue par une espèce de cri, en disant *
ce serait lui? Oh c'est affreux; car voitj
saurez. ce que je cachais, mais qu'il faut dire à pré
sent, vous saurez donc qu'un jour une digne femme
qui avait bien souffert, disait, à son lit de mort: «Si nui
fille était exposée dans l'avenir à la misère ou à la sé-
:
duction, il faudrait, malgré tout, aller trouver son pro
tecteur naturel et lui dire C'est votre devoir de proté
ger cette enfant, et votre sœur Félicie vous le demande
comme une grâce, en mourant. »
-Desronest fit un mouvement, en répétant à part
Ma sœur Félicie, en mourant!
: 1
9i
Tous furent distraits de l'émotion du banquier par;
l'arrivée de madame la comtesse de Mérou. Mais ma
moiselle de Béville reprit, sans laisser le temps à per-
ane de dire un mot
Oui, monsieur.
: cette enfant, dont le vrai nom
—
comme celui de sa mère, Félicie, la voilà, s'appe-
~it Métella pour cacher le nom sous lequel sa famille
vait abandonnée. C'est votre nièce; oui, la jeune
iste est votre vraie nièce, monsieur le banquier Des-
!
~tiest
—
M. Desronest? s'écria Métella stupéfaite.
Elle ignorait complètement le nom du financier sé-
cteur.
;
Lui n'était pas moins étonné et la figure de sa sœur,
madame Mérou, était des plus singulières. Mademoi-
selle de Béville sentit le besoin de s'excuser de son
discrétion, et dit
C'était bien
: qu'il eût abandonné nièce, je
assez sa
—
pouvais pas le laisser chercher à la séduire !
Madame Mérou partit d'un grand éclat rire.
Desronest reprit avec un léger embarras :
-Allons donc! qui est-ce qui a jamais pensé a cela?
ai cru. J'ai voulu. Mais que diable; est-ce que je
pouvais deviner que c'était ma nièce?
Le comte vint à son secours, et dit d'un ton très-
illeur :
— Vous alliez chez elle en amateur de tableaux.
— Et je ne lui ai donné que de bons conseils, dit
esronest, qui avait retrouvé toute son assurance
homme riche.
— Voyons, soyez sincère, ajouta-t-il, en s'adressant
Métella, qu'est-ce que j'ai dit? Qu'il ne fallait pas re-
voir de jeunes gens; qu'il fallait avoir confiance en
oi. Moi, avant de vous protéger, je voulais savoir
vous étiez digne d'intérêt, si vous étiez une bonne
honnête
jeune personne. Je cherchais à éprouver
tre sagesse. Voilà tout.
Desronest était ravi du tour adroit qu'il donnait ainsi
àsa conduite.
Métella rougit toute honteuse sans oser parler. L'as-
-
surance du banquier s'en augmenta en lui disant:
Comment avez vous pu vous y tromper?
-
ne put que balbutier :
La pauvre enfant était tellement déconcertée qu'elle!
Pardon, je connais peu le monde, et une jeune
fille seule doit, dit-on, tout craindre à Paris.
— Mais regardez-moi donc, reprit Desronest, ~su
qui elle n'osait plus lever les yeux.
Elle le regarda et ne put s'empêcher de sourire; M
jeunesse reprend parfois ses droits de gaieté, même au
—
:
milieu des choses sérieuses, la jeune artiste dit naïves
ment
Mais en effet, comment ai-je pu penser qu'un
homme d'un âge respectable? Oh! j'en ris à présent!
moi-même. Pardonnez mes craintes, j'étais folle dit
soupçonner un vieillard.
Desronest recula épouvanté du mot.
Un éclat de rire se fit entendre. C'était madame Méè
rou qui répétait le mot vieilla d en courant à Métellae
qu'elle embrassa de bon cœur, à la grande surprise ~dll
celle-ci, qui s'écria :
Madame la comtesse de Mérou
-— !
Qui t'embrasse d'abord pour le motvieillard.
C'est une bonne leçon donnée aux prétentions de jeune
homme de mon frère.
—Son frère dit Métella étonnée.
!
DUS
;
qu'elle a été pauvre, qu'elle
nom.
son vrai
du talent; on cachera
u'elle a été artiste c'est facile, puisque ce n'est pas
Nous en ferons une femme comme
faut. Elle poura ne rien faire du matin au soir! Que
:
dites-vous de cela, ma nièce?
-Met'ci, mon oncle, répondit Métella en souriant,
mais la première chose que je veux faire en ce moment,
c'est de rendre des actions de grâce a mademoiselle de
Plenoël, qui m'accorda sa protection, à moi pauvre et
iconnue. Si cette protection me fut ôtéesans que j'en
ache la cause, je n'en garde pas moins une vive re-
connaissance pour le premier mouvement qui l'avait
menée près de moi.
Puis, se tournant vers Sylvanie, elle ajouta :
argen
par
—Ce que je ne puis garder, c'est cet
vous chez moi. La maladie m'a seule
mantW
le remettre plus tôt. Pauvre, jerefusais de
em
fet d'une générosité que j'apprécie, que j'admire, m
dont je n'aurais pas profité. Vous aviez donnécet ]
gent en échange de bons sentiments que vous^BQ
après me les avoir offerts.
Emilien..
ne me coûtera pour cela.
Sylvanie allait répondre on ouvrit la porte pour î
noncer M. Gustave Desronest il entraînait a~a~
Ils étaient encore vers la porte que Métella semi
j
trembler et que mademoiselle de Plenoël pâlit. J
Emilien fut surpris de trouver Métella. Mais imd
que Gustave saluait le comte, il lui dit
artiste
: _j
voulais
— Voici
conduire.
Gustave se
la
retourna.
jeune chez laquelle je
Comme ils !
Emilien fit un cri douloureux, et Sylvanie se diU
s'aiment
—
Mademoiselle de Béville attribua l'éyanouîssemeii
la maladie, à la sortie trop prématurée, etc.,
Personne ne l'écoutait. On s'empressait autour «fl
e
jeune fille; Desronest, seul, ne s'approcha
tirant le comte à part, lui dit bas avec humeur : iy
—C'est l'arrivée de ce M. Emilien qui a causé 11
J
;
—Elle en a trop de gens pour la soigner, dit Desro-
est d'un ton insolent, en regardant Emilien puis il
1.
iortit.
Cependant Métella commençait à revenir à elle ma- ;
demoiselle de Béville insista pour qu'on la laissât repo-
er quelques instants dans sa chambre, sur son lit. Ma-
ame Mérou voulut l'aider à y conduire sa nièce, et
tardait tristement en lui disant
Que
:
Sylvanie se trouva un moment près d'Emilien qui la re-
chambre.
la main, qu'il pressa dans les siennes. Puis, made-
moisellede Plenoël s'échappa pour aller s'enfermer
dans sa
Emilien traversait lentement
lorsqu'on entendit la
le salon pour se retirer
voix de madame de Mérou, qu~
:
revenait. Le comte sortit de sa rêverie à ce bruit,
dit au jeune homme
e
Ne vous éloignez pas de la maison, Emilien
— à présent, des jours entiers
comme vous le faites pour
Il faut que vous soyez ici dans une heure, j'aurai alors
besoin de votre présence.
— Je suis à vos ordres, dit Emilien.
£
Et madame Mérou étant entrée, il se retira pendant
qu'elle disait:
Je viens de remplir mes fonctions de tante.
L'enfant va mieux. C'était de la fatigue. Elle sendort
—
heure de sommeil, et l'on est guéri à cet âge.
une
Elle est charmante et je veux m'occuper de son avec
nir. C'est ma nièce, et je ne suis pas sans quelques tort
à son égard; il faut que je les répare.
-
comte.
Voilà qui fait honneur à votre cœur, dit H
;
Madame Mérou avait passé cinquante ans, car elle
tait l'aînée de son frère mais des yeux encore vifs,
n peu d'embonpoint, un air de bonne santé et une
xpression naturellement joyeuse, l'eussent encore ren-
ue agréable à voir, si, sous prétexte de dignité et
airs de grande dame, elle n'eût pincé les lèvres et
ris une mine hautaine et dédaigneuse qui, sur cette
gure assez commune, faisait l'effet le plus disgra-
ieux. En ce moment, elle oubliait lerôle qu'elle jouait
ans le momde, un bon sentiment la
el, et c'était tout à son avantage.
ramenait au natu-
Le comte ne put s'empêcher de dire :
- Ah ! c'est bien cela ! madame.
Il hésita un peu et ajouta:
- Madame la comtesse.
!
in riant et en disant avec surprse :
Madame Mérou se retourna vivement de son côté
-Aussi
ainsi
ce monde d'argent m'ennuyait et je voulus
voir
plus la noblesse. Une amie de pension, qui tient aux
trouver
grandes familles, et que j'eus le bonheur de re-
au moment où je pouvais lui rendre un service,
m'introduisit dans ce grand monde, avec ces mots magi-
ques : « C'estune veuve millionnaire » Vous savez? la
1
!
alla au cœur de madame Merou.
—Mon Dieu que jeseraisheureuse si unquartd'heure
de bon sens me valait l'estime, et, par suite, l'amitié
d'un homme comme vous. Ce serait à rendre raison-
nable pour le reste de la vie.
;
—Merci, madame, répondit le comte en lui tendant
la main je n'apprécie rien au monde autant que l'a-
mitiéd'une femme d'esprit.
— Quelle bonne influence vous exercez, monsieur le
comte! Votre bon sens et votre spirituelle raison se
;
gagnent, et Dieu sait si l'on me reprendra à toutes ces
sottes vanités je les laisse à ceux qui me les avaient
données, quoiqu'ils en aient assez pour se passer des
miennes. Et maintenant, permettez que je m'occupe de
ma chère nièce et de votre pupile, M. Emilien, qu'elle
semble aimer.
Un nuage assombrit alors lafigure du comte, mais il
répondit pourtant avec bonté:
k-Un mystère entoure la destinée d'Emilien
ser. Voici M. Desronest que
; il doit
j'ai prié de revenir.
En Desronest entrait. M. de Plenoël fit deman-
effet,
irEmilien. Comme Sylvanie paraissait alors à la
irle de la chambre pour annoncer que Métella était
ut-h fait remise de son indisposition.
L-
Venez, ma fille, lui ditle comte; restez avec nous.
ici M. Emilien, et vous devez apprendre aussi tout
qui regarde la destinée de celui que vous avez tou-
rs aimé comme un frère.
Le comte, en disant ces mots, souffrait visiblement.
lvanie
utenir le sentit et s'arma de tout son courage pour
dignement cette épreuve. Elle s'assit, pâle et
cœur serré; mais quand Emilien plaça son siège tout
rès du sien, elle eut la force de lui sourire en lui di-
bt:
— Tout le monde ici désire votre bonheur, même
lux qui regrettent de n'y plus être pour rien.
Emilien la regarda avec surprise et tristesse. Le
mte prit la parole et s'exprima ainsi :
VI
EMILIEN.
- ,
dit en reprenant ainsi la parole :
je veux vous faire connaître à tous ce qui
Oui Emilien;
regarde
je viens de m'y engager, et les cir-
:
constances l'exigent. Mais j'éprouve pourtant une es-
ece de scrupule j'avais promis de garder le silence
jusqu'à sa majorité, qui arrive dans un mois à peu près.
elui à qui j'avais fait cette promesse m'absoudra, je
espère,
dis de devancer l'époque arrêtée, car je ne le
que dans l'intérêt du bonheur qui me fut con-
Emilien se tourna vers le comte en lui disant
Parlez donc, monsieur, et quelque chose
:
que j'ap-
—
renne sur ma destinée, je n'oublierai jamais que de-
puis vingt
ans vous me traitez comme l'eût fait le meil-
leur et le plus intelligent des pères, que je vous dois
ton
~ut ce qu'il Aussi
y a de bon dans mon cœur et de sage dans
esprit. je vous aime comme le plus tendre
es fils, et je vous serai dévoué toute ma vie.
Le comte était ému par ces bonnes et douces paroles,
J'eus ami
:
orsqu'il reprit ainsi
de jeunesse, le marquis Raoul
:— un ma
Tolcey. C'était le plus beau et le plus spirituel des
mmes. Jamais l'enfance charmante ne donna plus
espérance d'une supériorité incontestable pourl'hom-
le;on ne pouvait le voir sans être attiré vers lui par
ne irrésistible sympathie, et toutes ses paroles, toutes
es actions ajoutaient à cet attrait qu'on éprouvait
eur lui dès le premier moment. Mais. une mèreido-
~tre de son unique hértier, une fortune considérable
ont ilfut maître dès l'âge de 17 ans et des succès inouïs
ans le monde le jetèrent dans toutes les folles excen-
tricités de la mode. C'était l'époque où une révolution
venait d'arracherle pouvoir à ceux que Raoul eût p
servir de son cœur, de son intelligence etdeson bras
Il resta oisif comme la plupart de nous ; l'esprit bour
geois régnait avec ses habitudes mercantiles et se
mesquines combinaisons. Raoul, choqué des vanité
financières, plus hautaines qu'aucune autre, irrité con
tre une société qui ne réalisait nul de ses rêves, si
vengea par mille folles actions de ne pouvoir en fair
;
utilement de raisonnables. Il fut cité, envié, imité
enfin il devint l'homme à la mode son esprit railleu
se moqua impitoyablement de ses imitateurs comm
de ses envieux, et tous devinrent bientôt des ennemis..
Que voulez-vous? les jeunes gens en France ne fon
riende bon de leur temps quand ils sont riches, il fau
bien qu'ils en fassent quelque chose de mauvais, e
pour s'occuper, ils se disputent souvent et se batten
quelquefois. Raoul soutint des duels où son courage e
son adresse firent du bruit. Mon amitié conçut les plu
vives inquiétudes. Sa famille et sa mère avaient ofc
tenu de lui qu'il se mariât très-jeune, croyant mettre
à
un frein toutes les vives exaltations de son âme.S~
Raoul femme l'adorait, car il était impossiblede
belle jeune
voir de près sans l'aimer; mais la vie de ceux
qui l'aimaient était constamment inquiète et troublée,
Il serait trop long d'énumérer tous lesdangers aux
quels il s'exposait, je ne vous en ai parlé que plU
vous fairecomprendre les raisons qui amenèrent s
dernière résolution. Un jour, il me fit appeler; il
nait d'être blessé mortellement dans un duel, et si
v
femme, mourante dela poitrine, était pâle et sans force
près du lit qu'il ne devait plus quitter. Cette jeune
femme, désolée,portait ses beaux yeux pleins d
larmes sur le lit où souffrait sans espoir l'objet de soi
amour passionné, puis les reportait ensuite sur leber
ceau d'un bel enfant de trois mois, qu'elle savait bien
levoir quitter avant peu; et ces deux profondes dou-
leurs me glacèrent d'épouvante. —Viens, me dit
aoul, nous avons bien besoin tous deux que tu vives,
oi! Ecoule, mon ami, je te charge de mes dernières
~oloniés, et je te demande au nom de notre amitié,
eule joie qui est restée belle, pure et sans nuage, je
~e supplie d'exécuter mes volontés irrévocables pour
enfant qui va nous survivre, car je ne pars pas
seul.
« A ces mots, sa jeune femme pencha sur le lit son
visage, aussi décoloré que celui de Raoul, en di-
ant:
« — Heureusement nous ne nous quitterons pas.
« — Mais puisque nous quittons tous deux forcé-
ment ce pauvre enfant, prends-le, mon ami, ajouta le
blessé, et s .is fidèle à ce que j'exige de toi. Depuis
eux ans que tu es marié, tu n'as pas encore d'enfant;
u pourrais donc élevermon fils comme le tien. Je ne
e veux pas. Oh ! non, tu vois la suite de mes folies,
st ces folies n'ont été elles-mêmes que la suite de la
fortune, de la naissance et de la liberté, dont les avan-
tagesont été à ma disposition avant que j'eusse larai-
son nécessaire pour en faire un bon emploi. Puis, on
ne m'avait donné que ces frivoles principes du point
l'honneur; ce n'est pas assez. Le doute, ce mal des
jours orageux, ce fruit des sociétés vieillies, laisse
l'âme sans appui contre les passions, sans guide contre
les périls. Donne donc à ce fils de fermes principes
ui puissent le protéger, car il faut qu'il croie n'avoir
d'autre protection
vertu. dans le monde que son courage et
sa Qu'il soit élevé comme un orphelin sans for-
tune et sans nom; qu'il reste jusqu'à vingt et un ans
avec l'idée que son travail sera sa seule ressource.
a,
des mon ami, si je lui donne ainsi quelques inquié-
!.
dansles premières années, que de bonheur nouslui
éparons pour tout le reste de sa vie Promets donc
de te conformer à ma volonté, pour que je meure pas
Emilie
sible et que j'emporte pour ton amitié une reconn
sance éternelle. — Vous devinez bien que je m~H
et vous êtes témoin que j'ai tenu ma promesse^Sjj
disant:
Ici Desronest se tourna avec respect vers
: !
naire et marquis!.—Cela luiplaisait tant! co^K
vrait si bien ces autres mots Ecrivain poëte
ne s'en souvenait plus et oubliait de même toutce
d~
:
en avait dit. Aussi ce fut en regardant Emilien
le plus affectueux qu'il dit Cet aimable mon
!
Emilien, qu'il est heureux et doublement, cgrt®
aimé pour lui-même, avant de savoir qu'ilétaitriche
Voilà le véritable amour; et une famille honorable
peut que céder aux vœux de deux jeunes gens
s'aiment.
—Vous vous trompez peut-être, monsieur, ditEn-
lien froidement.
—
? Comment!
Desronest eut un mouvement superbe en s'ecria
rôles est-ce que.?
est-ce que vous démentiriez vos
Il fut interrompu par un domestique annonce
M. Gustave Desronest.
Madame Mérou profita de cela pour prier qu'on fît
venir sa nièce, qui devait être en état de reparaître
Dèsque
la porte fut fermée, Gustave fut interpellé
par son père
Vous
l'honneur
:
arrivez à propos, Gustave; je suis bien aise
—
ue vous entendiez ce que je vais dire. Un homme
n'a que sa parole, n'est-ce pas?
Desronest lui laissa
- ne en :
—Mais, monsieur. ditEmilien qui voulait parler.
pas le temps
Ne l'eût-il pas donnée solennellement, reprit le
banquier avec vivacité, il n'est pas moins engagé,
uand il a fait naître l'espoir d'un mariage, qu'il s'est
it aimer, qu'il a fait remarquer ses assiduités. il ne
eut rompre un pareil engagement.
[ Gustave
ne pouvait en croire ce qu'il entendait, tant
e langage différait des principes connus de son père
tssi eut-il l'idée de lui faire répéter des paroles aussi
;
!
ranges, afin d'être sûr de ne pas se tromper.
— Quoi mon père, vous reconnaissez qu'une affec-
on réciproque engage avec une jeune personne ?.
smanda Gustave avec inquiétude.
nul doute, repartit Desronest, qui n--hésitait
tenir une proposition,quand elle était fa-
--
a
Gustave, que je suis heureux, mon
ends
tendre parler ainsi 1
»
:
ncer ces mots si faiblement, qu'elle crut un moment
'avoir pas été comprise. Cependant, sans répondre,
ylvanie lui dit si tendrement « Que l'amitié sera douce
Gustave crut devoir répondre à son père :
~ntre nous! qu'elle vit bien qu'elle était dévinée.
-
pourtant la faculté de répondre d'une voix saccadée
!
— Est-ce que c'est pour vous que je disais cela?
Est-ce que vous pouvez l'épouser, vous Mais il y a-folie
à prendre mes paroles comme vous le faites, et je sau-
rai bien vous rendre à la raison. Epouser votre cou-
sine qui n'a rien! faire une pareille mésalliance! Et à
quoi bon, alors, d'être millionnaire? , le
en souriant
votre fille.
;
—C'est bon à tout, mon cher monsieur dit
d'abord M enrichira votre nièce,
comte
devenue
;
que vous connaissez, s'écria Desronest. Gustave n'est
pas libre j'ai demandé pour lui la main de mademoi-
selle Sylvanie de Plenoël. -
-t
vou-
ez-vous en disposer en faveur de celui qu'épousera
iton amie ?Car Métella sera ma meilleure amie.
Rien de plus facile que cet arrangement, répon-
le comte en regardant Desronest, dont la physio-
mie avait subi un notable changement.
[ L'air colère et la mauvaise humeur avaient disparu.
,
beau château en Espagne, dit le comte. Ainsi, made-
moiselle n'a pas besoin qu'on l'épouse par devoir.
Desronest prit l'air important d'un homme qui pose
pour sa statue.
— Mais moi, monsieur le comte, je veux que mon
la même solennité.
fils remplisse tous les siens.
Tout le monde fut étonné. Desronest continua avec
:; :
cher de sourire avec la plus étrange malice en ajou-
tant — Vous aviez raison de dire l'honneur avant
tout car il y a des gens qui, dans leurs affaires, leurs
actions et leurs paroles, pensent tellement à leurs in-
térêts, que pour juger des choses, ils ont deux poids
et deux mesures.
- ! Oh je ne suis pas de ceux-là, dit le banquier
avec une parfaite bonhomie.
Personne ne pensait à la pauvre mademoiselle de
rille, qui se cachait un peu, il est vrai, pour essuyer
Iques larmes;
personne ne la voyait, si ce n'est
lella, qui avait trop souffert pour que les larmes de
qu'un pussent couler près d'elle sans être aper-
«. Aussiposa-t-elle doucement une main sur le bras
lylvanie, en lui indiquant de l'autre, sans rien dire,
istesse de sa gouvernante. Sylvanie fut à elle vi-
nent, et surprenant sa douleur pour l'interroger :
!
! ?
Qu'avez-vous
répondit
dit-elle, mon bonheur vous afflige
la vieille fille, j'avais
-
pourtant ac-
-tumé pensée à la nécessité de chercher
Hélas
une
ma
re maison ?
-Chercher une autre maison! me quitter! Qu'y a-
? ?
Etes-vous malheureuse avec moi demanda Syl-
lie.
:
ademoiselle de Béville, étonnée, ne put s'empêcher
montrer sa surprise
- Ne le faut-il pas, à présent que vous n'avez plus
bin de moi? répondit l'institutrice.
p- Ah
snoël, ! dit d'un ton de reproche mademoiselle de
croyez-vous donc que j'aie assez mal profité
l'éducation que j'ai reçue de vous et de mon père,
,lus noble cœur du monde, pour laisser celle qui
fre dix ans m'a tenu lieu d'une mère, devoir à tout
puis
qu'à moi le repos qui lui est nécessaire à présent ?
i*i ! je vivrais dans le luxe, et vous auriez besoin de
[vailler pour vivre dans la privation. Vous êtes de
famille,
ma bonne amie, et on ne laisse ses parents
mquer de rien, quand on est riche et bien élevé.
IUS aurez toute votre vie ce que vous avez eu jus-
;
'ici vous resterez près de moi, parce que j'ai encore
m des choses à appendre, et que d'ailleurs je ne sais
i me passer de ceux que j'aime. Elle souriait avec
e grâce ravissante en disant ces mots, et en ajoutant
Ah ! vous croyiez n'avoir plus que Mignon à soigner?
:
!
Eh bien il sera jaloux s'il veut, mais il me faut à toi
jamais une part de votre amitié.
La pauvre vieille fille avait le cœur si plein de joo
qu'elle ne pouvait parler, et ce fut en balbutiant qu'ell
s'écria:
là
-!. Ah ! monsieur Emilien, quelle femme vous ~aur
FIN.
LE
DOUBLE MASQUE
PAR
élégante
une
dit
personne.
Métella,
Mlle
doute
sans
C'est
:?
les plus uttrayantes. Aussi, je me disais en regardant
mon inconnue Qu'elle doit être jolie! Est-elle brune?
est-elle blonde C'est ce que je ne pouvais savoir, car
jamais je ne vis enveloppe de femme plus hermétique-
ment fermée. Chose rare, vous le savez, dans ces sor-
tes de bals, où la plupart d'entre elles affectent d'éta-
ler aux regards de tous ce qui doit être à peine vu
d'un seul.
Enfin, pour en revenir à mon domino, je dirai
,
donc que son camail était attaché de telle sorte, qu'on
ne pouvait rien apercevoir, pas même ses yeux
—
« J'aurais soulevé la barbe du masque
tole.
Sans doute, reprit ;
Raoul mais
,
lesquels retombait une large dentelle formant voile.
elle était
sur
dit Ana-
fort
longue et fixée sur la robe, dont les manches se trou-
vaientboutonnées par-dessusdes gants qui paraissaient
aussi plus longs que d'ordinaire.
— Cela est piquant, dit Jules; c'était sans doute une
pauvre femme persécutée, qui aura profité de l'absence
d'un mari jaloux, ou de quelque moderne Bartholo, pour
voir un bal masqué.
— Ou une de ces beautés trop connues, ajouta Ana-
tole, qui se cachent non par pudeur, mais par honte
d'elles-mêmes.
— Attendez la fin,» reprit sérieusement Raoul.
Après être restée dans la loge jusqu'à quatre heures
du matin, ma mystérieuse compagne voulut s'en aller
et paraissait fort embarrassée de se défaire de moi
j'avais déjà fait inutilement beaucoup d'instances pour
:
obtenir de la reconduire chez elle.
«Laissez-moi, lui dis-je, madame, vous donner le bras
(jusqu'à la porte du théâtre, où vous trouverez une voi-
ture.
-
rtlo.
La mienne m'attend, monsieur, me répondit-
— Oh! oh! un équipage, dit Jules; il ne manque
plus qu'un blason ducal.
— Permettez-moi de vous écrire, puisque vous m'a-
vez refusé la faveur de me présenter chez vous.
— Impossible, monsieur.
— Mais je ne puis me résigner ainsi à vous perdre
pour toujours.
—
—
Nous
Quand ?
nous reverrons, dit-elle.
et en quellieu ?
—Ici, au bal prochain; mais à une condition, c'est
que vous ne tenterez, par aucun moyen, de décou-
!
vrir qui je suis. La moindre démarche indiscrète
m'éloignerait de vous sans retour Au revoir donc,
ajouta-t-elle en m'offrant sa main; à mardi, dans cette
loge. »
Elle se leva ainsi que sa compagne, et bientôt elles
disparurent.
« Ah ! parbleu ! dit Emilie, je ne l'eusse point lais-
sée s'échapper de la sorte; il fallait la suivre malgré
sa défense.
— Moi, reprit Raoul,
!
j'ai préféré ;
attendre la
du bonheur est sitôt épuisée et c'était du bonheur
coupe
que de caresser tour à tour les plus douces illusions,
de rencontrer des obstacles qui devaient doubler le
prix de la victoire. D'ailleurs, je ne sais quel pres-
sentiment me retenait à ma place. Je désirais ar-
demment connaître cette femme, et cependant, une
crainte vague me préoccupait; il me semblait que
j'allais à la fois tout gagner et tout perdre. Enfin, je
ne fis point un pas pour savoir ce qu'elle voulait me
laisser ignorer, et j'abandonnai à sa seule volonté le
soin de nous rapprocher. Au jour convenu, je fus le
premier au rendez-vous. A minuit, ma belle inconnue,
accompagnée
Je encore du même domino, entra dans la
loge. me sentis tout joyeux de la revoir. Sa pré-
sence était une preuve de boune foi et d'entraîne-
ment sympathique qui flattaient mon amour-propre.
Nous causâmes intimement, longuement et avec un
plaisir non moins vif que la première fois. Nous
avions l'air de deux amis qui se retrouvent après
une longue absence. Elle ne dissimulait aucune de
ses impressions, et nous étions ce qui s'appelle fran-
chement heureux,
« Savez-vous, lui dis-je, madame, que vous ne
m'avez seulement pas appris votre nom de jeune
fille?
— Oh! pour
m'appelle Nelly. »
celui-là, je consens à :
vous le dire on
Je trouvai ce nom aussi joli que devait l'être celle qui
le portait.
« Eh bien! chère Nelly,repris-je, verrai-je enfin
aujourd'hui votre charmant visage »
Ces mots la firent tressaillir.
?
« Quoi ! dit-elle, toujours la même idée
donc point de cela.
? Ne parlons
-Peut-être.
Comment! ce mystère sera-t-il éternel, madame ?
1
--
—
Etes-vous mariée?
Non.
—
-Non.
Dépendez-vous d'une famille?
!. :
cet amour que vous m'offrez me rendrait heureuse et
fière; mais un sort cruel nous sépare jamais vous ne
me verrez
— Nelly ! Nelly et
! c'est en me montrant la félicité
suprême que vous prononcez ces affreuses paroles!
Oh! n'importe, en dépit de vous-même, —maintenant
je suis fort; vous pourriez m'aimer, —vous l'avez dit,
je ne vous quitte plus.
! pitié! dit Nelly; êtes-vous donc déjà las
— Pitié
de votre bonheur ?
—Non, non, lui dis-je; mais je le veux plus complet.
Ce matin, je vousreconduirai chez vous, je vous ver-
;
rai puis après, madame, j'attendrai vos ordres pour
revenir. »
L'agitation de cette pauvre femme, était extrême, et
me faisait autant souffrir qu'elle piquait ma curiosité,
car je pensais qu'il fallait qu'elle fût causée par quel-
« Eh !
que chose de bien extraordinaire.
bien me dit-elle enfin, avec l'accent d'une
solution désespérée, vous viendrez, mais pas ce matin ;
ré-
verres
fcment excitée
feconlinua
:;
Le punch fut servi, nos jeunes gens en burent quel-
la curiosité des amis de Raoul était vive-
ils le prièrent d'achever son récit, et il
:
e Lorsque j'arrivai rue Pigale, je crois que j'avais la
10 ;
fièvre je
je ressentais un malaise général. Arrivé au
23, vis un superbe hôtel, et je demandai madame
de Rumigny.
On m'introduisit alors dans un magnifique salon
tendu de damas bleu et richement meublé. J'atten-
dais depuis environ cinq minutes, quand une femme,
que je reconnus à la voix pour être la camériste qui
accompagnait Nelly au bal, vint et me fiit entrer
dans un délicieux boudoir où je trouvai Nelly elle-
même, non à visage découvert, mais masquée en-
core et revêtue de son domino. L'air que l'on respi-
rait dans cette chambre me parut embaumé. Une lam-
pe d'albâtre, suspendue au plafond, et dont on sem-
blait à dessein avoir tempére la clarté, ne jetait qu'une
faible lueur qui, nous éclairant à peine, ajoutait au
mystère de cette entrevue.
Je m'avançai vers Nelly, et je lui dis:
« Avouez, madame, que vous mettez ma patience à
une rude épreuve ! Mais nous ne sommes plus au bal-
de l'Opéra, et vous me permettrez, je pense, d'ôter ce
masque que je déteste, et qui devient aujourd'hui une
plaisanterie désespérante ! »
J'étendis la main. Au mouvement que je fis, Nelly
se recula.
!
e Oh! je vous en supplie dit-elle, encore quelques
instants! Lorsque ce masque sera tombé, vous me
fuirez peut-être. »
A ces mots, une foule de réflexions vinrent m'as-
saillir ; je pris alors cette Nelly si séduisante pour une
de ces femmes perdues dont le cœur, longtemps fer-
mé à l'amour, finit par s'y abandonner, mais qui,
ayant la conscience de leur dégradation, se troublent
et s'effrayent à l'idée du mépris qui les attend, sur-
@
~l
!
~mt ma main sur son front, je sentis la tiédeur de
chair. Nelly était négresse aucune expression
e saurait vous rendre ce que j'éprouvai en ce mo-
;
~lent. Toute ma vie j'eus une aversion insurmon-
~ible pour les noirs ! je ne pus prononcer un seul
~lOt, j'étais anéanti Quant à la pauvre Nelly, dévi-
ant l'effet désagréable que sa vue produisait sur moi,
~[le s'était jetée à genoux, cachant sa figure dans ses
~lains, et elle exhalait les plaintes les plus attendris-
~intes. Je la relevai avec empressement, puis je m'as-
is près d'elle. Nous restâmes longtemps sans nous
arler, car mon embarras était extrême,
:
Nelly rompit le silence la première
!
« Raoul, me dit-elle, que n'avez-vous cédé à mes
prières nous aurions encore du bonheur! Maintenant
vous me haïssez, n'est-il pas vrai?
—Enfant! lui répondis-je en affectant une gaieto
que j'étais loin de ressentir, n'êtes-vous pas toujours
cette aimable femme dont l'esprit et l'angélique dou-
ceur me charmaient? Vous n'avez rien perdu: j'ai été
surpris, voilà tout, mais mon cœur est resté le même m
paroles.
croyez-le.
Nelly me remercia par un sourire si plein doi
mélancolie, que je ne pus douter un seul instant
qu'elle n'était pas convaincue de la sincérité de mes
,«
—
Or,
Or,
pays.
Il vous reste bien des choses à apprendre.
ajouta-t-elle car je veux que vous sachiez comment
il se fait que, née dans de lointains climats, je sois
;
si semblable d'éducation et de manières aux femmes
de votre
Parlez, lui dis-je, madame
:
voici ce qu'elle me raconta
«J'ai
tout ce qui se rap-
porte à vous ne peut que m'inspirer un vif intérêt. Il
dix-huit ans, et je suis née à Saint-Pierre
de la Martinique, d'un père et d'une mère esclaves.
e
,
klate
quand soudain, et comme un tonnerre qui
des cris affreux se firent entendre; au même
istant, plusieurs bandes de noirs révoltés se répan-
dent dans les habitations, brûlant, saccageant et
;
forgeant les malheureux blancs qui tombaient en
;
iir pouvoir. Le désordre lut à son comble le sang
miait de tous côtés on ne voyait partout que des
feènes de désolation ! Au moment où
ces misérables
snétrèrent chez M. de Rumigny, celui-ci s'arma
ne il
épée, et, s'élançant au milieu d'eux, cher-
i mon père ,
aàles contenir, aidé de quelques domestiques et
qui, le premier, avait donné l'alarme
ais à peine eut-il fait quelques pas, qu'il tomba
;
rcé de trois coups de couteau. Mon père, voulant
secourir, fut lui-même mortellement blessé.
lors, plus rien n'arrêtant cette horde farouche,
le se rua dans l'intérieur de l'habitation, etpilla
ut ce qu'elle put trouver sur son passage. Ma-
ime de Rumigny, mourante de frayeur, s'échappa
ierle commencement du tumulte par une issue se-
~ète, et alla, non sans risque d'être massacrée, seréfu-
dans la case d'une pauvre négresse marronne
li, ayant été souvent comblée de ses bienfaits, la
~çut, ainsi que ma mère et moi, résolue à périr
~utôt que de nous livrer. Cependant des moyens de
~2fense s'organisèrent entre les colons; on parvint
s'emparer des coupables; ils furent livrés à la
gueur des lois, et le calme se rétablit. La comtesse
'ntra dans sa demeure, où gisait le corps inanimé
:
de son malheureux époux sa douleur fut grandes
maiscalme et résignée; la religion soutint son COU
rage.Quant
ardente
-
à mère, douée d'une âme
« ma
:
impressionnable, la mort de mon père la plongea
dans le plus horrible désespoir à la vue de soo
cadavre, elle poussa des cris déchirants, il éta£
ft
«
;
peinture, l'italien et l'anglais. Je fis des progrès ra-
ies à douze ans j'étais fort avancée.
La santé de madame de Humilly, devenue chan-
lante depuis ses malheurs, se dérangea tout à coup
rieusement. On lui conseilla de prendre l'air natal,
e s'y décida, et confiant ses propriétés à un gérant
èle, elle lit tout préparer pour notre départ. A cette
uvelle, je ressentis un vif chagrin, et une siugu-
sre aventure vint encore ajouter à ma tristesse. La
ille du jour où nous devions nous embarquer, je
lulus couvrir de fleurs une dernière fois les deux
mbes chéries que j'allais abandonner sans doute
,ur longtemps. Comme je revenais de remplir ce
eux devoir, je rencontrai sur mon chemin une
eille négresse qui passait dans l'île pour posséder
,
rt de la divination. Cette femme m'arrêta brus-
tement, et me saisissant la main elle me dit
Regarde bien ces beaux palmiers dont toi mangeais si
:
;
uvenl les fruits, et ce ciel azuré où se promènent, la
tit, les étoiles d'argent toi ne les verras p us1car
;
toute
idée
cr
parole est impuissante;
il faut en avoir été témoin.
Avec le jour, les nuages
on
se
ne peut s'en faire
dissipèrent, le ven~
llllill
tales hésitations !
Plusieurs mois s'écoulèrent ainsi, dans un oubli
total du monde et de ses plaisirs. Je refusais toutes
les invitations de fêtes pour quelques heures pas-
sées près de Nelly. Heureux de me sentir aimé, je
jouissais en égoïste du charme de cet amour, sans
m'inquiéter de ce que je lui laisserais en échange,
sans songer que je préparais peut-être le malheur de
cette femme aimante et dévouée qui avait abandonné
à ma loyauté sa destinée tout entière. Mais je fus
tout à coup tiré douloureusement de mon indolent
insouciance. Des lettres que je reçus de ma femille
troublèrent la paix de notre intimité, et amenèrent
l'événement affreux qui étendit un crêpe funèbre sur
ma vie.
Mon père m'écrivit pour me rappeler des projets de
mariage conçus depuis longtemps, et qu'il souhaitait
ardemment voir se réaliser. Je devais épouser la fille
d'un de ses plus anciens amis, jeune et jolie personne,
héritière d'un grand nom et d'une brillante fortune. Je
m'étais autrefois empressé d'accepter cette union, que
;
l'âge de mademoiselle d'Ablincourt avait seul retardée
mais elle venait d'atteindre sa dix-septième année, et
plus rien n'y mettait obstacle.
« Camille est délicieusement belle, m'écrivait mon
;
père. Elle possède toutes les qualités qui doivent
assurer le bonheur d'un époux tu auras en elle un
véritable trésor. Viens donc, mon ami, je me fais
vieux, et je veux, dans mes derniers jours, être té-
moin du bonheur de mon fils bien-aimée. Ta fiancée
t'attend avec une impatience toute flatteuse; elle
:
n'a pas oublié son bon Raoul, le compagnon de ses
parlez!
dans votre état ordinaire. Avez-vous reçu quelque
Eh ?
nouvelle fâcheuse Vous ne répondez pas Mon Dieu ? !
Dere
bien ! oui, lui
voir.
lUi. dis-je en m'efforçant de paraître
Iplus calme, des lettres de ma famille m'ont affligé
désire me
;
— Et vous partez?
— Il le faudra.
— Pour longtemps ?
-Peut-être1
Et ? ajouta Nelly.
moi
—
Je ne m'attendais à cette question.
« Mais., repris-je, que voulez-vous faire?
— Comment! ce que je veux faire? Vous suivre,
mon bon Raoul, vous suivre partout.
-- Dans ma famille? cela est impossible.
Mais si j'étais. »
Ici Nelly s'arrêta brusquement. Je devinai le reste de
sa phrase; j'avais tremblé qu'elle ne la prononçât
tout entière. Je ne lui demandai pas ce qu'elle n'avait
point achevé.
« Il faut de la raison, - ma chère Nelly, repris-je ;
nous nous reverrons. je reviendrai. puis, veu*>
m'écrirez souvent.»
Nelly ne disait plus rien. Je m'attendais à des
larmes; elle ne pleura pas; ses regards étaient fixes;
il semblait qu'elle pressentait toute la vérité. Je
m'efforçai de la consoler, mais je ne pus y réussir.
Les instants que nous passâmes ensemble furent pé-
nibles. Je la laissai triste et souffrante. J'étais aussi
dans un grand accablement. Le lendemain une af-
faire importante m'obligea de sortir de benne heure.
Quand je rentrai, mon domestique me dit qm
madame de Rumigny était venue me demander,
qu'elle m'avait attendu longtemps, et que je trouve-
rais sans doute un mot dans mon cabinet. J'y en-
trai ; il n'y avait rien, mais la lettre de mon père et
la mienne, que j'avais laissées ouvertes sur mon
secrétaire, étaient chiffonnées et couvertes de lar-
mes. Le portrait de Camille roulait à mes pieds; je.
fus. consterné. Nelly savait tout, je n'ea pouvais
douter; quel devait être son désespoir! N'esantme 1
taenter chez elle, je lui écrivis aussitôt. Sa réponse
t simple et m'inspira plus d'inquiétude que si elle
étaitjetée dans une surabondance de phrases empha-
ses.
Je suis très-malade, me disait-elle, et j'ai besoin
«
-s
quelqu
; jours de repos. Nous revoir serait désor-
is inutile faisons tous deux ce que les circonstan-
s exigent de nous; ne m'enlevez pas mon courage;
à
yez beureux, Raoul; quant moi, je sais maintenant
t je dois trouver le bonheur. »
Malgré la lettre de Nelly, je tentai vingt fois de
Métrer jusqu'à elle, mais toujours inutilement.
[époqut fixee pour mon départ approchait, lors-
,
arietta, la femme de chambre de Nelly «Ah :
t'un matin je vis entrer chez moi, tout effarée,
onsieur, me dit la jeune fille j'ai bien du cha-
!
¡rin! Madame ne mange plus, ne dort plus; elle
caferme toute seule pour pleurer. Depuis ce matin,
î l'entends gémir dans sa chambre, et elle ne veut
ez,
jts m'ouvrir la porte. Elle mourra ! monsieur, elle
à
urra! — Je vais vous suivre, dis-je Marietta;
il faut que vous me fassiez entrer chez votre
aitresse; j'ai besoin de la voir. » Arrivés à l'hôtel
IrTlumigiiy,n'entendîmes
umiguy, nous fûmes droit à l'appartement de
plly.Nous ;
rien. Marietta frappa per-
~nne ne répondit.Ce silence m'effraya. J'essayai d'ou-
rir la porte avec la clef du boudoir, et je réussis.
Bous
vîmes de loin Nelly étendue sur son lit. J'avan-
jti et je la regardai. Une de ses mains était posée sur
Mn coeur; sa respiration paraissait étouffée. Soudain
le s'agita comme obsédée par un songe pénible;
:
luis, faisant un effort sur elle-même, elle murmura fai-
blement
;
«Ma mère!.Raoul! mon Dieu! pardon! D
;
e- la soulevai dans mes bras, aidé de Marietta
Ue retomba sans mouvement. Je l'appelai ce fut en
nifc. Alors un tremblement affreux ne saisit. «Du
mais
secours ! !
m'écriai-je éperdu, du secours » Deux do-
mestiques accoururent. « Un médecin, vile un méde-
cin !» A ce moment, mes regards se portèrent sur une
petite table, et j'y vis briller le coffret d'argent que
veux.
Nelly m'avait montré un jour; mais il était ouvert et
vide. Frappé d'un horrible pressentiment, je me pen-
chai vers elle et j'écartai avec anxiété le peignoir lé-
ger qui la couvrait. 0 douleur! le fatal sachet qu'avaiti
contenu la boite s'échappa de sa poitrine; il n'y avait
plus d'espoir ! Nelly venait d'expirer sous nos
, :
Je trouvai sur la cheminée une lettre à mon
adrese contenant des adieux déchirants! puis un pa-
pier cacheté c'était un testament. Nelly m'insti-
tuait son légataire universel, et, comme dernière
volonté, elle me suppliait de faire transporter son:
corps à la Martinique, pour être enterrée auprès
de ses parents. Voulant accomplir religieusement
ce vœu sacré, j'instruisis mon père de ces évé-
nements et je m'embarquai avec mon triste et)
précieux dépôt. Lorsque je fus arrivé à Saint-Pierre,,
,
blancs.
je fis rendre à Nelly les derniers devoirs, et em
lui disant un éternel adieu je me rappelai ces
:
étranges paroles de la sorcière, si fatalement justi-
fiées Belle petite noire reviendra les yeux fermés du,
pays des
A mon retour en France, j'appris que mademoiselle
d'Ablincourt s'était éprise d'un beau colonel et que
tous projets d'union étaient rompus entre nous ;
mentit jamais..,
je m'en consolai facilement. Mais ce que je ne puis ou-
blier, c'est la pauvre Nelly, qui préféra la mort à la
perte de mon amour, et dont le dévouement ne se dé-
Voilà, messieurs, le secret de ma tristesse et
quoi je ne vais plus aux bals de l'Opéra. »
pour-
:
flétrie qu'elles, ne demandait plus qu'à mourir !
— Les visites d'Arthur étaient devenues moins
fréquentes tantôt c'était une partie de chasse
une courre aux cerfs, un ami à recevoir; tantôt un
prétexte tellement frivole, que Marguerite en rou-
,
gissait dans son délicat amour. La pauvre petite ne
à Dieu comme une expiation de sa faute
sa santé s'altéra peu à peu, et elle tomba dans
;
lui fit aucune plainte, offrant toutes ses douleurs
mais
ment la ;
leure où Arthur avait l'habitude de venir, elle se
isait coquette et heureuse puis elle détachait len-
parure qui l'avait embellie, en se disant:
Ce sera pour demain!. » Au bout d'un mois, le
mLe lui écrivit une lettre si passionnée et si
sndre, que Marguerite revint presque à la vie.
'était tout un beau roman d'amour que cette longue
-
îttre si concise et si spirituelle; mais Marguerite
'e. était que la lectrice et non plus l'héroïne. —
eprise a une nouvelle passion ,
He. ne sentit pas que l'âme du jeune homme s'était
et qu'il était telle-
ient heureux qu'il voulait parler de son bonheur à
utle monde. — Elle reprit donc courage et soigna
a santé pour le retour de son cher infidèle; mais
ette lettre fut la première et la dernière qu'elle re-
tde -
Paris. Elle attendit patiemment un mois,
mis un second mois, puis un troisième; mais
'inquiétude et la douleur exaltèrent tellement son
erveau, qu'elle tomba dans une folie douce et mé-
tncolique; une fièvre nerveuse s'empara de tout
ion être; et elle aurait succombé sans les soins
une vieille femme, dont elle avait été la bienfai-
ice, et qui la soigna avec la tendresse et la sollici-
tude d'une mère. — Pendant sa maladie, ses mar-
guerites chéries avaient autant souffert qu'elle, et
uelques-unes seulement pendaient à leurs tiges
utes jaunes et toutes flétries. «Image de mon
bonheur, disait la pâle jeune fille, quand il était là,
!
vous vous faisiez, comme moi, belles et coquettes!.
fêtas il nous a oubliées, nous n'avons plus qu'à
mourir!.» Mais Marguerite espérait toujours, ca
chaque nuit le délire la fièvre lui montraient
et so
amant venant la chercher pour la conduire à l'aute
Une nuit surtout, l'illusion fut si complète que Mal
guerite se leva et s'habilla tout en blanc, en plaça
dans ses cheveux et à son corsage des grains d'oran
ger et de blanches marguerites. Elle ouvrit sa port
;
et se miten route, soutenue et animée par une douc
folie qui la faisait tristement chanter comme la pâl
Ophélia, elle marcha longtemps sans s'apercevoi
de la fraîcheur de la nuit, et quand le soleil se le
elle se trouva dans le même sentier où pour la pre
mière fois elle avait entrevu Arthur. Alors la rçie
moire lui revint; elle jeta autour d'elle des regar
inquiets et douloureux. — La campagne, fraîche t
scintillante, d'une native verdure, semblait sourire a
soleil, enlui demandant dechauds rayons pour la fair
éclore, et Marguerite, flétrie, abandonnée, abattu
n'avait même plus la force de prier ni de se plaindre
- Tout d'un coup elle entendit marcher près d'elle
et soit que l'image de son amant voltigeât devant so
imagination fiévreuse, soit qu'elle se crût, comme au
trefoisau milieu des charmilles en fleur qu'écartaien
1
:
les regards amoureux du comte, la pauvre enfant pouss
un grand cri et s'évanouit et murmurant Arthur!.
Quand Marguerite revint à elle et qu'elle ouvrit le
yeux, elle se crut transportée au ciel en apercevant la
figure vénérable du curé, qu'encadrait de longscheveu:
-
blancs.
Mon Dieu, dit-elle en joignant les mains, moi
Dieu, ne me repoussez pas et pardonnez-moi !.
—Marguerite, reprit le saint pasteur, inquiet e
alarmé, pourquoi êtes-vous ici à cette heure et aussi
; -
légèrement vêtue? Vous êtes mal, mon enfant, e
vous avez la fièvre prenez mon bras,jevais vons re
conduire au village.
—Oh ! non, monsieur le curé, s'écria la malheu-
;
euse jeune fille; il m'attend pour m'épouser la-bas,
-bas et ses mains amaigries montraient le clocher de
chapelle de Montluc.
Alors l'homme de Dieu comprit la folie et la dou-
ur :
ur de cette brebis égarée, et, l'attirant près de son
pour la réchauffer. il lui dit « Marguerite,
ous avez péché, mais Dieu peut vous pardonnér, car
us avez beaucoup souffert. Suivez-moi au presby-
re, et nous irons ensemble trouver le comte de
ontluc. »
Les paroles simples et onctueuses du bon pasteur
endirent un peu de raison à la malheuneuse Mar-
uerite.Elle suivit le curé au presbytère, et après
he confession entière de sa faute, le curé et la jeune
le se mirent en route pour le château du comte
rthur.
La nièce du curé avait abrité la pauvre enfant avec
ne longue mante de soie noire,, en sorte que Mar-
uerite, avec ses habits blancs et noirs, ressemblait
e loin à une sœur pénitente que le curé protégeait. Ils
ttait
rivèrent à la nuit. Le cœur de la pauvre Marguerite
à se rompre, et quand elle entrevit de loin en
M des lumières à presque toutes les fenêtres, elle
lui :
ppuya plus fortement encore sur le bras du pasteur,
disant Il'IL est revenu!. »
;
—Marguerite, ayez du courage et de la patience,
répétait l'homme de Dieu la miséricorde divine est
1ssante!.
A mesure qu'ils approchaient, les lumières parais-
ent plus brillantes, et des sons doux et harmonieux
ient répétés par les échos d'alentour.
!.
L- Monsieur le curé, dit la pauvre petite, il y a une
|e ici, et moi je souffre tant
— Marguerite, soyez indulgente, pour que Dieu soit
dulgent, et espérez encore!.. Mais la malheureuse en-
fant était tombée de douleur sur un banc et pleurait
amèrement.
i
—Marguerite, reprit le curé,
vous allez m'atteltlrti
ici, car je ne veux pas arriver avec vous au milie.
de cette fête, pour que les amis du comte vous in-j
sultent de leur curiosité. Priez, en m'attendant, eti
si le comte de Montluc est un homme d'h«nBeurr*i
bientôt vous nous verrez revenir tous deux. Le ias-d
;
teur s'éloigna et Marguerite resta seule. Chaquenij
nute lui parut un siècle et ne pouvant dominerpar
anxiété et son impatience, elle pénétra dans le
soi
Elle marcha vivement vers le château, et, de ItinJ
elle aperçut derieuses et belles jeunes femmes s'êm
dans une valse légère, en soulevant autour d'elles
flots de gaze et de tulle.
d
lacer dans les bras de leurs cavaliers et tourbilloanal
st 1
Marguerite les regarda quelques instants avec
peur, puis songeant à l'inquiétude du bon pasteur, qu
la cherchait sans doute, elle voulut retourner sur se
pas. Au détour d'une allée, elle s'arrêta soudaine
ment comme clouée par une main de fer. Elle s'appuy
contre unarbre, autour duquel elle passa ses deux bra
pour se soutenir, et là, sentant sa vie s'en aller ave
sa dernière espérance, elle vit Arthur, qui tenait amou
reusement par la taille une jeune etjolie personne, de
la tête s'inclinait mollement vers celle du jeune comte
- -Jurez moi, Arthur, lui disait-elle de sa voix 1
plus douce, que vous n'avez jamais aimé que moi.
.— Marie, mon cher ange, peux-tu en douter, répon
dait le comte. Tu as révélé à mon âme toute une autr
vie, et aujourd'hui même, dans nos salons, nullen
peut être comparée, pour la beauté et la grâce, à la j
-
lie comtesse de Montluc.
Mon Dieu, cela m'effraye presque d'être votr
femme, reprit Marie avec une naïveté charmante o
m'a dit tant de mal de votre cœur.
;
Au même instant on entendit un cri sourd et plain-
', et comme le comte et la comtesse détournaient l'al-
e, un corps lourd et massif se détacha de l'arbre et
mba devant eux.
iLa
jeune comtesse eut une peur si grande qu'elle se
La dans
les bras d'Arthur. En tombant, le capuchon
la mante s'était écarté de la figure de Marguerite,
un rayon de lune glissant lentement sur son visage,
onna le tempsau comte de Montluc de reconnaître sa
alheureuse victime.
—Marie,
au dit-il à la comtesse, rentrez vite au châ-
pour que nos invités ne s'aperçoivent pas de cette
tastrophe; je vais vous rejoindre.
Et la jeune femme s'éloigna toute pâle et toute trou-
lée.
Alors, Arthur prenant Marguerite dans ses bras, se
à
it courir comme un désespéré vers la serre du châ-
au. Comme il en poussait la porte, le curé se pré-
enta devant lui :
partient
— Monsieurle comte, s'écria-t-il, cette enfant ne vous
plus, puisque aujourd'hui même vous avez
ris une autre femme.
—Mais il faut la secourir, s'écria le malheureux
lierait
une homme, qui avait cru que Marguerite l'ou-
comme tant d'autres. Monsieur le curé je ne
eux pas qu'elle meure 1 je la doterai, je la ma-
erai.
La
;
pauvre enfant avait été déposée au milieu des
eurs qu'elle avait tant aimées mais ses yeux ne
rouvrirent plus, et son cœur avait cessé de souf-
ir.
;
Elle fut enterrée au fond de la serre, dans un coin
terre béni par le pasteur sa place seule fut marquée
ar une large croix plantée en marguerites blan-
hes.Bientôt la croix disparut, et un massif de ver-
ure et de fleurs la remplaça. La comtesse Marie,
qui aimait la nature aussi passionnément que Margue-
rite l'avait aimée, vint souvent dans la serre effeuil-
ler, en riant, quelques blanches marguerites, pour-
savoir si Arthur l'aimait toujours. Elle ne sedoutait pas
qu'en brisant ainsi ces pauvres fleurs elle tourmentait
l'àme d'une belle jeune fille, que l'amour du comte avait
;
tuée. Quant à Arthur, il oublia la croix de margue-
rites comme il avait oublié la petite fleuriste soit re-
mords ou insouciance, il n'osa jamais pénétrer dans la
serre. Le curé seul visita la tombe de la pauvre dé-
FIN DE MARGUERITE.
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