Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Emilia Deffis, Javier Vargas - Aves-Vous Lu Cervantes
Emilia Deffis, Javier Vargas - Aves-Vous Lu Cervantes
Maquette de couvertureâ•›:
Mise en pagesâ•›: Mélanie Bérubé
Thierry Belleguic
Marc André Bernier
Lucie Desjardins
Sabrina Vervacke
Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIII
Emilia Inés Deffis et Javier Vargas de Luna
Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XV
Michel Moner
Le roman à distanceâ•›:
Sorel et Diderot, héritiers de la Mancha . . . . . . . . . . . . 79
David Leblanc
De Cervantès à Lesageâ•›:
l’ombre usurpatrice d’Avellaneda. . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Dany Roberge
qu’on puisse dire, c’est qu’elle arrive bien tard… En revanche, si l’on admet
qu’Avellaneda a été informé du projet de Cervantès d’écrire une seconde
partie, on comprend qu’il ait saisi l’occasion de se venger et qu’il ait alors
pris la plume à son tour. Ce qui expliquerait la concomitance des deux
«â•›suitesâ•›». Au demeurant, on peut légitimement penser que, du moment
qu’Avellaneda avait eu vent du projet de Cervantès, il aurait pu tout aussi
bien obtenir des informations sur ce que ce dernier écrivait et en profiter pour
lui couper l’herbe sous le pied. D’autant que les coïncidences que l’on peut
observer entre les deux textes sont concentrées dans les premiers chapitres
de l’œuvre de Cervantès. Bref, il est beaucoup plus plausible qu’Avellaneda
ait réagi au projet de Cervantès plutôt que l’inverse, moyennant quoi on se
trouve devant un cas probablement unique dans l’histoire de la littérature,
d’un plagiat par anticipation. En effet –€et il ne semble pas que cela ait été
souligné jusqu’ici€– le véritable plagiat d’Avellaneda ne se fait pas tant en
direction du Don Quichotte de 1605 que de celui de 1615, auquel il semble
avoir emprunté –Â€ sauf à inverser les rôles ou à invoquer d’improbables
coïncidences€– quelques-uns de ses épisodes clés.
Écran ou miroir, le fait est que le récit d’Avellaneda a indéniablement
marqué, dans un premier temps –€notamment en France, où le relais en a
été assuré par le succès de Lesage€–, la réception de Don Quichotte. Et, si
l’on veut bien accepter l’hypothèse qui vient d’être rappelée ici, force est
d’admettre qu’il interfère au moins autant dans la réception du Don Quichotte
de 1605 que dans celle de l’œuvre de 1615, dont il recèle paradoxalement
les prémisses.
On me pardonnera d’avoir ainsi déplacé d’une certaine façon la question
initiale, posée par ce colloque, dont on mesure ici à quel point elle est
pertinente et complexe, puisqu’elle nous conduit à poser en corollaire la
question de savoir si Cervantès avait lu Avellaneda, avant de commencer
à écrire sa Seconde partie –€on l’aura compris, pour ce qui me concerne, la
réponse est non€–, mais aussi celle de savoir jusqu’à quel point Avellaneda
aurait eu connaissance du texte du Don Quichotte de 1615, alors qu’il était
en cours d’élaboration –€et dans ce cas, ma réponse est oui.
Je voudrais, pour terminer, revenir sur un autre type d’écran ou de
miroir, dont il convient de ne pas sous-estimer les effetsâ•›: la traduction. Il
n’est pas besoin de souscrire aux théories des tenants de la déconstruction
pour admettre que toute lecture, à défaut d’être une mauvaise lecture
(misreading), réalise, au regard d’un texte supposé immuable et figé dans
l’imprimé, une opération singulière autant qu’éphémère et, qui plus est,
affectée d’un coefficient multiplicateur, lui-même incalculableâ•›: celui du
nombre des lectures réalisées à partir d’un texte unique. Ce rappel à la plus
Introduction XXI
banale des évidences ne peut que nous inciter à la plus grande prudence au
regard des traductions qui sont, elles aussi –€et comment pourrait-il en être
autrementâ•›?€– soumises au crible d’une lecture qui –€sauf cas exceptionnel
de mobilisation d’une équipe de traducteurs€– ne peut que passer par le
crible d’une lecture singulière, et par là même éphémère. Autant il fut facile
à Pierre Ménard de réécrire Don Quichotte, dans l’imaginaire de Borges, sans
en changer une virgule, autant il sera impossible au meilleur des traducteurs
de proposer, à quelques années d’intervalle, la même traduction d’un même
texte, pour peu que celui-ci soit de quelque extension. Ayant été moi-même
traducteur occasionnel de quelques chapitres de Don Quichotte, je sais bien
que je serais incapable de retomber systématiquement sur la même traduction
que celle que je proposais naguère. Toutefois, mon expérience en la matière
n’étant que très limitée, je laisserai aux traductologues le soin de mesurer
les écarts qui peuvent se creuser entre l’original et ses traductions, surtout
quand celles-ci sont nombreuses et étalées dans le temps. En revanche, je
reviendrai sur l’idée d’un original figé à jamais sous les espèces du papier et
de l’encre d’imprimerie.
Autant le dire tout netâ•›: pour ce qui est de Don Quichotte, cet original
n’existe pas. Entendons par là que le texte du chef-d’œuvre de Cervantès
est certainement l’un des plus incertains et des plus sujets à caution qui
aient jamais été imprimés. L’édition princeps du Don Quichotte de 1605
est, en effet, une véritable catastrophe typographique, à laquelle on a tenté
de remédier –€avec des fortunes diverses€– par d’innombrables corrections,
rectificatifs et amendements de toutes sortes. Sans compter les conjectures
au sujet d’une hypothétique refonte, qui remettrait en cause l’ordre des
chapitres, afin, notamment, de tenter de rendre compte de l’incohérence des
épigraphes et des contradictions internes dues à l’escamotage –€semble-t-il
délibér逖 de certains passages de l’œuvre.
On comprend, dans ces conditions, que la question de la traduction
puisse paraître relativement secondaire au regard de l’établissement et du
toilettage du texte originalâ•›! Or, c’est tout le contraire qui s’est produitâ•›: les
traducteurs se sont mis à l’œuvre sans trop se poser de question sur la fiabilité
de l’original à partir duquel ils travaillaient. Et il aura fallu attendre la fin
du XXe siècle pour disposer enfin, avec l’édition de Francisco Rico, d’une
première édition critique (Barcelone, Crítica, 1998) qui, bien qu’élaborée
à grand renfort d’érudition par un collectif de spécialistes venus de tous les
horizons du cervantisme, n’en a pas moins suscité critiques et controverses. Il
s’ensuit que –€sans prétendre répondre aux questions posées lors du colloque
et encore moins aux objections formulées à l’encontre de la nouvelle édition
de La Pléiade€– toute entreprise de traduction postérieure à la publication
XXII Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
Michel Moner
Le Moulin, 25 octobre 2007
«â•›Est-ce que l’on sait où l’on vaâ•›?â•›»
Don Quichotte et la déconstruction du récit,
de l’intrigue et du personnage dans le roman
français du XVIIIe€siècle
(Marivaux, Prévost, Diderot)
est-ce parce qu’on dit que don guichot est une satire de la chevalerie espagnole qu’on
le trouve agréableâ•›? Quelle allégorie est renfermée dans le roman comiqueâ•›? Quelles
instructions peut-on tirer des Amadisâ•›? Touts ces livres sont des livres excellents […].
Quand (ce qui n’est pas), on n’en tirerait aucune autre instruction, ne faudrait-il pas
qu’un auteur ait une extrême habileté pour conter de l’air naïf et spirituel qu’on y trouveâ•›?
[…] Croyez-moi, il faut bien de l’esprit, bien des réflexions et même bien de la capacité
pour conter les choses de manière à faire rire et à les rendre toujours agréables3.
Après un premier mouvement de réécriture proche du roman de
Cervantès (qui dure environ cinquante ans), sensible à sa valeur burlesque,
Villiers (avec Perrault) contribue à une modification profonde de son
appréciation et de son utilisation, assez mal repérée par les critiques, car
elle conduit à des reprises moins explicites et, plus attentive aux singularités
poétiques de Don Quichotte, elle est plus liée aux interrogations des
écrivains sur la nature du roman, le rôle de l’intrigue et la création du
personnage. Ce développement s’explique par la nécessité de prendre en
compte la distance qui se creuse au fur et à mesure que le siècle avance,
on l’a dit, mais aussi par les évolutions du roman français (je m’en suis
expliqué dans mon Singe de don Quichotte4 et dans Métafictions5), enfin
par les propriétés du roman de Cervantès qu’elles contribuent à mettre à
jour (c’est sur ce point que je vais m’arrêter). Cervantès assigne dans son
Prologue et dans les lignes conclusives de Don Quichotte une intention
exclusivement critique (ridiculiser les romans de chevalerie) et il s’appuie
pour cela sur la folie de son personnage qui croit en revivre l’exaltation
héroïque. Toutefois, les trois sorties de don Quichotte le conduisent à
vivre des aventures très différentes de ce qu’il prévoyait, à connaître une
réalité multiple au gré de ses rencontres et, par conséquent, à dépasser
son rôle fixé au départâ•›: rendre sensible l’incongruité des (mauvais) livres
de chevalerie. Cervantès écrit un autre roman que celui annoncé, une
extraordinaire exploration de l’Espagne, de la littérature, de la politique
et de la morale, conforme aux idéaux formulés par le chanoine de Tolède.
3. Ibid., p.€105. Voir une déclaration voisine chez Perrault au début de la deuxième partie du
Parallèle des Anciens et des Modernesâ•›: «â•›mais nous avons des Romans qui plaisent par d’autres endroits,
& ausquels l’Antiquité n’a rien de la mesme nature qu’elle puisse opposer, c’est le Don Guichot & le
Roman Comique, & toutes les nouvelles des excellens Auteurs de ces deux livres. Il y a dans ces ouvrages
un sel plus fin & plus piquant que tout celuy d’Athenes. Il s’y trouve une image admirable des mœurs
& un certain ridicule ingenieux qui fait à tous momens la chose du monde la plus difficile, qui est de
faire rire un honneste homme du fond du cœur & malgré qu’il en aitâ•›» (Charles Perrault, Parallèle des
Anciens et des Modernes en ce qui regarde les arts et les sciencesâ•›: Dialogues avec le poème du siècle de Louis
le Grand et une épître en vers sur le génie, 1971, p.€127).
4. Jean-Paul Sermain, Le singe de don Quichotteâ•›: Marivaux, Cervantès et le roman postcritique,
1999.
5. Jean-Paul Sermain, Métafictions (1670-1730)â•›: la réflexivité dans la littérature d’imagination,
2002.
« Est-ce que l’on sait où l’on va ? » 25
Comme l’explique Sanchoâ•›: «â•›[…] il n’y a qu’un mois que nous allons
cherchant les aventuresâ•›; et, jusqu’à présent, nous n’en avons rencontré
aucune qui le fût vraimentâ•›; et puis il arrive parfois qu’en cherchant une
chose, on en trouve une autre6â•›». Le lecteur est comme le chevalier et
son écuyerâ•›: il est embarqué dans un projet dont la réalisation décevante
devient de moins en moins intéressante avec le temps et, en suivant
cette voie, il participe à ce qui n’est pas annoncé, un roman inédit, de
la même façon que don Quichotte, malgré lui, vit de vraies aventures
et fait des expériences très enrichissantes. Ce roman autre se développe
progressivement et de façon détournée, sinon aléatoire, puisque sa
formation dépend entièrement des lubies du héros, de sa folie et de sa
monture, seule à décider capricieusement du chemin suiviâ•›: circonstance
fondamentale dans la volonté chez Cervantès d’insignifiance du tracé de
l’intrigue et de la fable du roman. Le projet du romancier est donc indirect
et dissimulé, puisqu’il prend le visage et les moyens d’un roman écran,
celui qu’on désignera ensuite du terme d’antiroman.
Le caractère déceptif et décevant de l’antiroman (qu’il faut plutôt
considérer comme un opérateur) est confirmé par l’immobilité de l’intrigue,
qui n’évolue quasiment pas du début à la fin. Si la folie du personnage
s’atténue, elle ne change pas de nature, et le rapport critique aux romans
de chevalerie reste le même, la conclusion (la guérison du héros) ne faisant
que dire au lecteur ce qu’il sait depuis le débutâ•›: don Quichotte rejoint le
point de vue du narrateur. Ce discours figé permet au romancier d’ajouter les
éléments de l’autre roman sans s’imposer aucune composition de l’intrigue,
puisque ses éléments viennent en quelque sorte se glisser au hasard des
caprices de Rossinante dans la structure antiromanesque. La nouvelle identité
du héros se développe elle-même à partir des traits constants de sa folie. Sa
caractérisation complexe n’obéit donc pas à une logique unifiée et, surtout,
elle n’apparaît elle aussi au lecteur que de façon voilée. Le romancier tire sa
liberté de cette structure dédoublée et laisse au lecteur le soin de percevoir le
roman vrai (l’envers positif de l’antiroman), de saisir la réalité sociale, morale
et littéraire de l’histoire et la complexité du héros. L’antiroman est à certains
égards un leurre dans le sens où il ne doit pas être pris pour la fin du roman,
son sens ultime ou même son sens principalâ•›: ceux qui y succombent sont
dans une situation analogue à celle du héros, consistant non à prendre à la
lettre le récit des aventures, mais la fable qu’illustrerait la fiction.
6. Miguel de Cervantès, Don Quichotte, Œuvres romanesques complètes, 2001, vol.€I, p.€507. «â•›[…]
no ha sino un mes que andamos buscando las aventuras, y hasta ahora no hemos topado con ninguna
que lo sea, y tal vez hay que se busca una cosa y se halla otraâ•›» (Miguel de Cervantès, Don Quijote de la
Mancha, 2004, vol.€I, p.€185).
26 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
8. «â•›On trouvera dans cette histoire même liaison et même suite d’aventures que dans le vrai
Télémaqueâ•›» (Marivaux, Le Télémaque travesti, 1972, p.€722). M. Brideron croit le destin de son neveu
«â•›conformeâ•›» à celui de Télémaque et il l’incite à compléter cette ressemblanceâ•›: «â•›voici un livre où sont
écrites les aventures d’un prince dont la situation était pareille à la vôtreâ•›; il semble que la conformité
vous prescrive mêmes actions et mêmes entreprises. Lisez son histoire, mon cher fils, lisez-la, et s’il se
peut, concevez l’envie de l’imiterâ•›» (ibid., p.€724).
28 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
9. Demandes que les philosophes reprennent à leur compte au nom des Lumières et auxquelles
un Marmontel, par exemple, entend répondre avec son Bélisaire (1767).
« Est-ce que l’on sait où l’on va ? » 29
travesti installait cette tension au cœur même de tout roman qui liait son
sens au dessein de la fable et à la valeur exemplaire du personnage. Lien non
pas défait mais interrogé, mis en question, ironisé par les romanciers du
XVIIIe€siècle. La méfiance et les pratiques négatives du XVIIIe siècle français
résultent en partie de la conception restrictive par les autorités morales et
littéraires de cette détermination du sens romanesque, conception exposée
justement dans le roman de Marivaux. On le sait, le XIXe siècle va au
contraire s’attacher à composer des intrigues significatives et des personnages
symboliques, de Scott à Hardy, de Balzac à Stendhal, de Flaubert à Zola.
Le roman du XVIIIe siècle (du moins dans sa mouvance critique qui
inclut toutes les grandes œuvres aujourd’hui retenuesâ•›!) va donc transposer
le dispositif de Cervantès qui consiste à utiliser le propos dominant de
l’idéologie (ici antiromanesque) venu contaminer l’intrigue (aboutissant
à la reconnaissance de sa folie par don quijano el bueno) et le personnage
(érigeant en exemple la maladie du lecteur) pour instaurer subrepticement
une autre réflexion morale, littéraire et sociale, une intrigue éclatée et
ouverte, un personnage contradictoire et libre. L’une des formes préférées
du roman au XVIIIe siècle, les faux mémoires, s’est prêtée particulièrement
à ce mode paradoxal d’écriture. Marivaux a exploité avec audace ce genre
dans ses œuvres de jeunesse. Je m’en tiendrai ici à La vie de Marianne10,
commencée en 1727 environ et publiée de 1731 à 1742. Comme dans tous
les grands romans du XVIIIe€siècle (Prévost, Crébillon, Rousseau, Laclos),
Marivaux confie à son héroïne non seulement le soin de mener l’intrigue
et de rédiger le récit qui en rend compte, mais aussi d’en exprimer le sens,
d’en revendiquer la valeur et l’interprétationâ•›: satire de la société, analyse du
pouvoir féminin, formation d’un discours qui ignore les contraintes de la
langue savante et les hiérarchies du style. Marivaux pousse ainsi à l’extrême
la possibilité, offerte par le genre romanesque appelé mémoires, de confier
au personnage la composition du récit, la formulation de sa signification et
l’institution de sa propre personnalité.
Cela a été souvent relevé, Marivaux sape avec une égale constance
cette prétention grâce à trois procédés convergents bien connus. D’une
part, Marivaux laissant en suspens les deux intrigues concernant l’héroïne
et Tervire, la fin du roman ne coïncide pas avec la fin de l’entreprise
mémorialiste de l’héroïne et moins encore avec le compte rendu des
aventures qui l’ont conduite à sa position d’éminence sociale et de retraite
morale (interruption qui vaut aussi pour Le paysan parvenu et qui ne
signifie que l’inachèvement du roman leurre, pas du roman souterrain, le
11. Marc Escola, conférence faite au colloque La poétique du roman d’Ancien Régime, ENS, juin
2005. Voir aussi, du même auteur, «â•›Récits perdus à Santillaneâ•›», 2004, p.€263â•‚279.
« Est-ce que l’on sait où l’on va ? » 31
12. Notre titre est la cinquième des six questions que l’auteur adresse au lecteur en ouverture du
livre.
13. Je renvoie pour l’antécédent cervantin de cela au livre de Michel Moner, Cervantès conteur. Écrits
et paroles, 1989.
34 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
Jean-Paul Sermain
Paris 3€–€Sorbonne nouvelle
36 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
Textes cités
Bardon, Maurice, Don Quichotte en France au XVIIe et au XVIIIe siècle, 1605â•‚1815,
Paris, Honoré Champion, 1931, 2€t.
Bordelon, Laurent, Histoire de Monsieur Oufle, dans Charles-Georges-Thomas
Garnier, Voyages imaginaires, songes, visions et romans cabalistiques, Amsterdam
/ Paris, s.é., 1789, t.€36.
Canavaggio, Jean, Don Quichotte du livre au mythe. Quatre siècles d’errance, Paris,
Fayard, 2005.
Cervantès, Miguel de, Don Quijote de la Mancha, Barcelone, Galaxia Gutenberg
/ Círculo de lectores /€Centro para la edición de los clásicos españoles, 2004
[éd. Francisco Rico], 2€vol.
—, Œuvres romanesques complètes, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade),
2001 [éd. Jean Canavaggio], 2€vol.
Cherchi, Paolo, Capitoli di critica cervantina (1605-1789), Rome, Bulzoni,
1977.
Close, Anthony, The Romantic Approach to Don Quixoteâ•›: A Critical History of the
Romantic Tradition in Quixote Criticism, Cambridge, Cambridge University
Press, 1978.
Diderot, Denis, Jacques le fataliste et son maître, Genève, Droz, 1976 [éd. Simone
Lecointre et Jean Le Galliot].
Escola, Marc, «â•›Récits perdus à Santillaneâ•›», dans Béatrice Didier et Jean-Paul
Sermain (dir.), D’une gaîté ingénieuseâ•›: L’histoire de Gil Blas, roman de Lesage,
Louvain / Paris / Dudley, Peeters, 2004, p.€263╂279.
Marivaux, Pierre Carlet de Chamblain de, La vie de Marianne, Paris, Gallimard
(Folio), 1997 [éd. Jean Dagen].
—, Œuvres de jeunesse, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1972 [éd.
Frédéric Deloffre et Claude Rigault].
May, Georges, Le dilemme du roman au XVIIIe siècle. Étude sur les rapports du roman
et de la critique (1715â•‚1761), Paris / New Haven, Presses universitaires de
France€/ Yale University Press, 1963.
Moner, Michel, Cervantès conteur. Écrits et paroles, Madrid, Casa de Velázquez,
1989.
Perrault, Charles, Parallèle des Anciens et des Modernes en ce qui regarde les arts et
les sciencesâ•›: Dialogues avec le poème du siècle de Louis le Grand et une épître en
vers sur le génie, Genève, Slatkine Reprints, 1971.
Saint-Ûvremond, Charles de Marguetel de Saint-Denis, seigneur de, Œuvres,
Paris, s.é., 1741, t.€3.
« Est-ce que l’on sait où l’on va ? » 37
1. Il ne sera pas question ici du réalisme tel qu’il sera conçu par les romanciers du XIXe siècle, en
tant que représentation d’un univers concret, contemporain au lecteur, qui lui donne une image de ses
mœurs et de sa psychologie, dans lequel les déterminations physiques, économiques et sociales occupent
le premier plan du roman. Cependant, cette ligne de réflexion est une voie d’approche également
possible dans l’étude de l’influence cervantine (voir Jean-Paul Sermain, Don Quichotte, Cervantès,
1998, p.€107╂112).
40 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
l’œuvre de Cervantès et, par la suite, d’analyser la manière dont ces éléments
sont repris par les écrivains qui ont transposé, à des époques différentes et
de façon plus ou moins créative, le dispositif critique antiromanesque du
Quichotte pour dénoncer les leurres du roman et déjouer les artifices du
vraisemblable romanesque.
Le Quichotte, modèle antiromanesqueâ•›:
le désabusement du lecteur
Sans prétendre à dresser une poétique exhaustive de l’antiroman, je
me bornerai à dégager les caractères essentiels de ce réalisme antilittéraire
tel qu’il est institué par Cervantès dans le Quichotte. De façon générale, on
peut considérer que Cervantès met en place des stratégies d’un vraisemblable
antiromanesque qui contredisent les conventions du vraisemblable
romanesqueâ•›: l’antiroman affirme sa vérité en exhibant et en déjouant les
impostures des romans.
Comme le Quichotte, l’antiroman est un livre sur les effets de lecture,
puisqu’il y est question de ce qui leurre le lecteur et provoque sa méprise,
qu’il s’agisse du héros-lecteur troublé par ses lectures, et que les personnages
«â•›raisonnablesâ•›» tenteront de reconduire sur la bonne voie, ou du lecteur
préfiguré dans le texte que le narrateur essayera de prévenir contre les
impostures, les leurres, les falsifications des fables romanesques.
Voué au désabusement, à la désillusion du lecteur, le métadiscours
critique antilittéraire s’enchâsse dans le roman en tant que composante
essentielle du genreâ•›; il se déploie parallèlement sur le plan de l’univers de la
fiction, qui opère le renversement antihéroïsant des histoires romanesques,
et sur le plan du discours narratif, pris en charge par un narrateur qui déjoue
les conventions narratives typiques du roman.
De l’intérieur de la fiction, la critique dirigée contre l’invraisemblance du
roman est déployée au moyen du dispositif parodique de la folie romanesque,
qui permet d’enchâsser dans l’histoire «â•›réalisteâ•›» (qui met en place un
contexte matériel et des personnages proches de la réalité contemporaine
du lecteur) une histoire romanesque –€celle qu’imagine le lecteur troublé
par ses lectures. Par opposition à la facticité de l’univers représenté dans
les romans, les personnages et les actions de l’antiroman semblent plus
«â•›véritablesâ•›», de la même façon que l’histoire de don Quichotte, exposé aux
pénuries effectives de la vie errante, met en évidence l’invraisemblance des
romans dans lesquels les chevaliers n’ont pas à s’occuper de leur nourriture,
de leur tenue ou de leur bourse. La folie romanesque sert en même temps
à discréditer la littérature qui l’a provoquée et à accréditer le «â•›réalismeâ•›» du
monde proposé par le livre.
Cervantès et le réalisme antiromanesque français 41
4. Horst Weich, «â•›Don Quichotte et le roman comique français du XVIIe et du XVIIIe siècleâ•›», 1995,
p.€241╂261.
Cervantès et le réalisme antiromanesque français 43
11. Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, Pharsamon ou Les nouvelles folies romanesques, 1972,
p.€393.
46 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
imite Pharamond, qui imite Amadis. Fatime imite Cidalise, qui imite les
Cassandre, Cléopatre, Clélie, Astrée, qui imitent les héroïnes des romans
anciens. La dérision des excès de l’amour romanesque, la démonstration
de sa facticité, ne tient pas ici de sa confrontation au démenti de la
réalité prosaïque, mais de l’inflation des éléments romanesques et de
la dévaluation progressive des modèles par le jeu des dédoublements,
des imitations superposées dont ils sont l’objet. Et si le romanesque est
pastiché, si son caractère invraisemblable est nommément exposé, il n’est
pas pour autant explicitement censuré, d’autant plus que le dénouement
brusqué ou l’inachèvement du texte laisse en suspens toute conclusion
définitive et renforce l’ambiguïté de la position auctoriale, qui dit aussi
bien le refus que l’attirance de Marivaux pour les modèles romanesques.
De ce point de vue, l’auteur s’éloigne de la réprobation sévère et univoque
de Sorel et se rapproche de l’esprit de Cervantès qui enchâssait dans
son histoire antiromanesque, et de façon sérieuse, des genres, des récits
romanesques.
L’exhibition du caractère illusoire de la fiction romanesque se
déroule aussi sur le plan de la narration, au moyen de la mise en scène
d’un narrateur métafictionnel et autoconscient dans la droite lignée de
Cervantès, médiatisée cette fois par Le roman comique de Scarron. Marivaux
surenchérit sur les intromissions de son narrateur métafictionnel qui se
montre en toute circonstance le maître d’un jeu qu’il peut diriger à son
caprice. De même que les auteurs et les intermédiaires du Quichotte, le
narrateur de Marivaux se montre ouvertement dans son travail d’écriture,
suspend l’illusion romanesque, ironise sur les descriptions qu’il pourrait
faire et qu’il ne fait pas, se corrige, expose son indécision quant à ce
qu’il devrait ou ne devrait pas raconterâ•›: «â•›Je ne sais pas si je dois dire un
mot sur ce qui suivit12â•›»â•›; «â•›Il me prend presque envie d’effacer ce que je
viens d’écrireâ•›: qu’en dites-vous lecteur13â•›?â•›» La suspension de l’illusion
romanesque exhibe, de façon cervantine, le caractère éminemment fictif
de l’histoire que nous lisons, affichée comme une pure invention qui se
construit sous nos yeux. Mais le retournement de l’illusion romanesque
joue aussi sur la présence d’une autre voix extradiégétiqueâ•›: celle du lecteur,
que Marivaux introduit comme une instance ironique qu’il confronte avec
le narrateur. La polyphonie dialogique du Quichotte serait donc reprise
de façon créative par la mise en scène du dialogue entre le narrateur et
le lecteur qui permet d’opposer deux perspectives antinomiques, car il
faut signaler que ces deux voix incarnent deux conceptions opposées du
roman. Si le narrateur se présente comme un narrateur non conventionnel,
le lecteur, en revanche, représente les expectatives conventionnelles des
lecteurs de romans. Revendiquant une narration «â•›comme il fautâ•›», le
lecteur critique le narrateur, lui reproche sa façon parfois négligente,
parfois ennuyeuse de raconter l’histoire, l’oblige à se justifier, exige des
changements dans la suite de son histoire, se moque de son inaptitude à
bien conduire le récit. Fatigué du narrataire qui n’arrête pas de lui poser
des questions importunes, le narrateur refusera de lui répondreâ•›: «â•›Oh, je
réponds à cela que… mais plutôt je n’y réponds rien du tout14â•›». Il lui
demandera même de sortir du livreâ•›:
Pour vous, monsieur le critique, qui direz peut-être qu’on se serait bien passé de cette
conversation, en ami je vous conseille de quitter le livreâ•›; car si vous vous amusiez à
critiquer tout ce qu’il y aurait à reprendre, votre critique deviendrait aussi ample que
le livre même15.
Les interventions du narrateur et le dialogue avec le lecteur permettent
d’insérer dans le récit une réflexion métalittéraire sur la nature du
roman qui, menée de façon discontinue, aboutit de façon progressive à
l’élaboration d’une sorte d’art romanesque à l’œuvre, en construction.
L’écrivain nous fait passer dans le laboratoire de l’inventionâ•›: il partage
avec le lecteur l’apprentissage de ses pouvoirs d’écrivain. Il nous découvre
l’inconsistance inhérente à l’invention littéraireâ•›: «â•›un Rien a fait votre
critique, à l’occasion du Rien qui me fait écrire mes folies. Voilà bien
des riens pour un véritable rien16â•›». La folie romanesque n’appartient pas
seulement au lecteur, elle est prise en charge par le narrateur, par l’écrivain
lui-même, voué un peu absurdement à donner libre cours à toutes ses
«â•›foliesâ•›». Le modèle antiromanesque ne sert plus de réquisitoire contre
la fausseté et les torts des romans, il est plutôt un laboratoire dans lequel
l’écrivain s’exerce librement au moyen du pastiche et de l’imitation,
interroge ses modèles, explore en tâtonnant les possibilités de la fiction, à
la recherche d’une voix singulière, d’une esthétique nouvelle. Plutôt qu’une
diatribe contre le romanesque, Pharsamon est une réflexion sur l’imitation
en tant que ressource d’écriture et voie de recherche d’une esthétique
narrative. Pharsamon serait ainsi la parodie des débuts de l’écrivain aux
prises avec la littérature, envisagée ici comme réécriture ludique, imitation
créative, pratique intertextuelle.
définitiveâ•›: «â•›Le bien amène le mal, le mal amène le bien. Nous marchons
dans la nuit au-dessous de ce qui est écrit là-haut, également insensés dans
nos souhaits, dans notre joie et dans notre affliction20â•›». Telle serait la leçon
indéterminée que nous propose la fable.
Cette construction dialogique est reprise sur le plan de la mise en scène
énonciative du roman, au moyen du dialogue entre le narrateur et le lecteur
extradiégétiques, qui reproduit l’antagonisme de Jacques et du maître. Par
sa mise en scène, par son déroulement, le discours narratif contredit et
exhibe à la fois les conventions du romanesque. Tout d’abord, ce n’est pas le
narrateur qui commence le livre, mais le lecteur, avec les questions typiques
que se pose tout lecteur qui amorce un roman. Et si le lecteur se comporte
comme un lecteur conventionnel qui veut lire des histoires d’amour
racontées de façon romanesque, le narrateur se découvre comme un narrateur
anticonventionnel et peu fiable, qui ignore ses réclamations et, refusant de
se comporter comme un romancier, s’engage à nous raconter une histoire
véritableâ•›: «â•›je ne fais pas un roman21â•›»â•›; «â•›ceci n’est point un roman, je vous
l’ai déjà dit, je crois, et je vous le répète encore22â•›». Dans le dialogue entre
le narrateur et le lecteur, nous retrouvons donc deux conceptions opposées
du romanâ•›: un narrateur antiromanesque et un lecteur qui attend un récit
comme il faut. L’antagonisme de Jacques et du maître est ainsi repris sur le
plan extradiégétiqueâ•›: le lecteur critique le narrateurâ•›: «â•›[V]otre Jacques n’est
qu’une insipide rapsodie de faits, les uns réels, les autres imaginés, écrits sans
grâce et distribués sans ordre23â•›». Le lecteur, à son tour, mérite la réprobation
du narrateurâ•›: «â•›Lecteur, vous me traitez comme un automate, cela n’est pas
poli24â•›»â•›; «â•›Lecteur, à vous parler franchement, je trouve que le plus méchant
de nous deux, ce n’est pas moi25â•›».
Mais il faut remarquer que le romancier ne contredit pas seulement les
conventions narratives du romanesque et les expectatives conventionnelles
du lecteur de romansâ•›; il se contredit lui-même, et ce, de plusieurs façons.
Les contradictions entre les différents auteurs et intermédiaires du
Quichotte sont accentuées par le fait que le narrateur réunit à lui tout seul
des rôles incompatiblesâ•›: il affiche d’abord le rôle de créateur qui invente
sa fiction€–€«â•›Vous voyez, lecteur, que je suis en beau chemin, et qu’il ne
tiendrait qu’à moi de vous faire attendre un an, deux ans, trois ans, le
récit des amours de Jacques26â•›»Â€–, alors qu’il se veut par la suite historien
fidèle de la vérité (à la façon de Cid Hamet) –€ «â•›Je fais l’histoireâ•›; cette
histoire intéressera ou n’intéressera pasâ•›: c’est le moindre de mes soucis.
Mon projet est d’être vrai27â•›»Â€– et se présente finalement comme l’éditeur
d’un manuscrit incomplet, à la manière de l’autor segundo du Quichotte
qui trouve le manuscrit arabe et le fait traduire par le mauresque. Mais
il faut encore souligner que, dans chacun de ses rôles, le narrateur finit
par se contredire et se découvre comme un imposteur qui ment de façon
évidenteâ•›: alors qu’il expose d’abord sa liberté de diriger à son caprice les
péripéties et les personnages, il se découvre plus tard déterminé, contraint
par un texte manuscrit. Il se dit éditeur d’un manuscrit plein de lacunes,
mais, dans le mémoire qu’il nous présente, nous le découvrons lui-même en
conversation avec le lecteur28. Il se dit historien, mais il étale ses pouvoirs,
son contrôle absolu sur la fiction, et montre donc qu’il s’agit d’un conte,
d’une invention. Il s’engage à ne pas nous raconter une histoire romanesque
en interrompant son récit, en retardant son développement, en insérant des
péripéties incroyables –€«â•›Je vous fais grâce de toutes ces choses, que vous
trouverez dans les romans29â•›»Â€– et c’est justement ce qu’il ne fait pas, puisqu’il
interrompt sans arrêt tous les récits et amalgame dans son dénouement toutes
les topiques du romanesqueâ•›: rencontres fortuites, duel, emprisonnement de
Jacques, libération par Mandrin, retrouvailles au château de Desglands.
Vous allez croire, lecteur, que ce cheval est celui qu’on a volé au maître de Jacquesâ•›: et
vous vous tromperez. C’est ainsi que cela arriverait dans un roman, un peu plus tôt ou
un peu plus tard, de cette manière ou autrementâ•›; mais ceci n’est point un roman, je
vous l’ai déjà dit, je crois, et je vous le répète encore30.
Ce n’est pas le cheval du maître, nous dit le narrateur, mais ce sera en effet
le cheval du maître, tel que cela arrive dans les romans, et plus précisément
dans le Quichotte, sauf que là –Â€nouvelle inversion parodique€– c’était l’âne
de Sancho qui disparaissait aussi mystérieusement. Parodie au second
degré, Jacques le fataliste retourne ironiquement le modèle antiromanesque
de Cervantès et renverse, dans un jeu de rotation carnavalesque, tous
les procédés antiromanesques du Quichotte pour étaler au grand jour
les paradoxes du roman et aboutir à une esthétique qui va de pair avec
le développement d’une pensée philosophique également paradoxale.
31. Ibid.,€p.€505.
32. Gustave Flaubert, Correspondance, 1980, t.€2, p.€111.
Cervantès et le réalisme antiromanesque français 53
34. Si l’inventaire critique de la bibliothèque est réservé à Bouvard et Pécuchet (Gustave Flaubert,
Bouvard et Pécuchet, Œuvres, 1951, t.€2, p.€826â•‚844), on retrouve dans Madame Bovary la condamnation
des effets pernicieux des romans, prononcée par la belle-mère (Gustave Flaubert, Madame Bovary,
Œuvres, 1951, t.€1, p. 406), faisant écho au curé et à la nièce de don Quichotte (Miguel de Cervantès,
op. cit., p.162-165), et les discussions sur le danger moral de la musique et de la littérature, dans la
bouche de Homais et du prêtre Bournissien (Gustave Flaubert, Madame Bovary, op. cit., p.€490â•‚491),
qui renvoient aux propos des personnages de Cervantès.
35. René Girard, «â•›Problèmes de technique chez Stendhal, Cervantes et Flaubertâ•›», 1961, p.€153.
Cervantès et le réalisme antiromanesque français 55
des Deux Mondes, des Débats, etc.) sont des imbéciles qui ne savent pas
leur métier. Il y avait à dire, contre mon livre, bien mieux, et plus40â•›». Ces
erreurs, ces contradictions sont concentrées dans la scène d’ouverture qui
décrit l’arrivée du nouveau à l’étude (l’entrée du lecteur dans le livre). Les
traces d’une maîtrise du style voisinent les maladresses d’une rédaction
scolaire (pléonasmes, allitérations lourdes, discordances de style). Gide
lui-même était forcé de reconnaître que le début de Madame Bovary était
«â•›fort mal écritâ•›». Le roman commence avec l’erreur apparente du «â•›nousâ•›»â•›:
le narrateur collectif intradiégétique reste flottant, sans identité, et disparaît
de façon mystérieuse, laissant place au narrateur impersonnel, à la troisième
personne. Hésitation ou fluctuation qui n’est pas sans évoquer le retrait
du locuteur principal dans le Quichotte, dissimulé derrière les auteurs et
intermédiaires superposés.
Encore faut-il ajouter les contradictions du narrateurâ•›: au début,
il affirme que le nouveau était resté «â•›d errière la porteâ•›» et «â•›q u’on
l’apercevait à peineâ•›»41, mais il nous présente, à la ligne suivante, une
description détaillée de sa tenue et de sa casquette. Une deuxième
contradiction flagrante préside à la disparition de ce «â•›nousâ•›». Avant de
s’évaporer, ce narrateur mystérieux avoue une amnésie étrange –€«â•›Il serait
maintenant impossible à aucun de nous de se rien rappeler de lui42â•›»Â€–
qui nous fait penser au «â•›no quiero acordarme43â•›» de l’incipit cervantin.
Or, cette assertion est immédiatement démentie, non seulement par
les détails que le narrateur vient de nous donner, mais aussi par le
récit exhaustif qu’il nous offre, dans les pages qui suivent, de la vie de
Charles Bovary. Le narrateur se présente donc dès l’incipit du roman
comme un narrateur peu fiable, contradictoire, qui exhibe les lacunes,
les incohérences de son récit. Mais le narrateur n’est pas le seul à se
leurrer. Le lecteur aussi risque d’être dupe en lisant le texte. On parle
souvent de Madame Bovary comme d’un texte «â•›anamorphiqueâ•›», qui
change d’apparence selon la perspective que l’on adopte, tout comme
certains tableaux baroques, dans lesquels un objet indéterminable, flou,
se découvre sous une autre apparence lorsque le spectateur change d’angle
de vision44. Ainsi, le roman de Flaubert permet une lecture réaliste, mais
insère dans ce monde vraisemblable des éléments incongrus, incohérents
dans une logique réaliste.
Textes cités
Cervantès, Miguel de, Don Quijote de la Mancha, Obras completas, Madrid, Castalia,
1999 [éd.€Florencio Sevilla Arroyo].
Diderot, Denis, Jacques le fataliste et son maître, Œuvres, Paris, Gallimard
(Bibliothèque de la Pléiade), 1946 [éd.€André Billy], p.€505â•‚741.
Fernández, Francisco, La scène originaire de Madame Bovary, Oviedo, Servicio de
Publicaciones de la Universidad de Oviedo, 1999.
Flaubert, Gustave, Correspondance, Paris, Gallimard, (Bibliothèque de la Pléiade),
1980 [éd.€Jean Bruneau], t.€2.
—, Œuvres, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1951 [éd.€ André
Thibaudet et René Dumesnil], 2€t.
Genette, Gérard, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Seuil, 1978.
Girard, René, «â•›Problèmes de technique chez Stendhal, Cervantès et Flaubertâ•›»,
Mensonge romantique et vérité romanesque, Paris, Grasset, 1961, p.€145â•‚157.
Kundera, Milan, L’art du roman, Paris, Gallimard (Folio), 1987.
Levin, Harry, El Realismo francés, Barcelone, Laia, 1974.
Marivaux, Pierre Carlet de Chamblain de, Pharsamon ou Les nouvelles folies
romanesques, Œuvres de jeunesse, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade),
1972 [éd. Frédéric Deloffre et Claude Rigault], p.€389â•‚682.
Sermain, Jean-Paul, «â•›La fin de Don Quichotteâ•›: une leçon troublante pour les
romanciers français du XVIIIe€siècle (Marivaux, Rousseau, Diderot, Laclos),
Mélanges de la Casa de Velázquez, vol.€XXXVII, no 2 (2007), p.€51â•‚60.
—, Don Quichotte. Cervantès, Paris, Ellipses, 1998.
Sorel, Charles, Le berger extravagant, Genève, Slatkine Reprints, 1972.
Weich, Horst, «â•›Don Quichotte et le roman comique français du XVIIe et du XVIIIe
siècleâ•›», Cahiers de l’Association internationale des études françaises, no€48 (1996),
p.€241╂261.
Je ne suis pas Cervantèsâ•›!
Et mon berger Lysis n’est pas Quijotizâ•›!
1. Bénigne de Bacilly, «â•›Je suis bien las d’entendreâ•›», Airs de cour, 1981.
62 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
7. Ibid., p.€556.
8. Id.
9. Ibid., p.€549.
10. Maurice Blanchot aurait pu dire de ces «â•›Remarquesâ•›» qu’elles constituent un long
«â•›commentaireâ•›». Il conviendrait de reproduire ici précisément son observation concernant le parcours
lecture-commentaire-écritureâ•›: «â•›Nous avons lu un livre, nous le commentons. En le commentant,
nous nous apercevons que ce livre n’est lui-même qu’un commentaire, la mise en livre d’autres livres
auxquels il renvoie. Notre commentaire, nous l’écrivons, nous l’élevons au rang d’ouvrage. Devenu
chose publiée et chose publique, à son tour il attirera un commentaire qui, à son tour […]â•›» (Maurice
Blanchot, L’entretien infini, cité dans Antoine Compagnon, La seconde main ou Le travail de la citation,
1979, p.€155).
11. Charles Sorel, Le berger extravagant, op. cit., p.€551.
64 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
17. Id.
18. Pierre-Daniel Huet, «â•›Lettre à M. de Segrais sur l’origine des romansâ•›», dans Henri Coulet (dir.),
op. cit., p.€112╂113.
19. Molière, L’école des femmes, Œuvres complètes, 1932, t.€1, p.€429.
20. Ibid., p.€455.
21. Anne-Thérèse de Marguenat-de-Courcelles, marquise de Lambert, Réflexions nouvelles sur les
femmes, 1727, cité par Roger Marchal, Madame de Lambert et son milieu, 1991, p.€227.
22. Id.
66 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
«â•›lecture des romans est par trop dangereuse aux jeunes gens du sexe féminin
dont le cerveau est beaucoup crédule23â•›». N’est-ce pas justement à cette
prévention que Madame de Lambert s’était référéeâ•›? Pour Condillac, donc,
les romans causent de grands dégâts à l’esprit des jeunes filles, disposées
qu’elles sont à construire les plus beaux châteaux en Espagne –€métaphore
pour le royaume de l’imagination. Mais, également au XVIIIe€siècle, une
voix contraire défendra la lecture des romans par les jeunes filles. Rétif de
la Bretonne, dans Les Françaises, ou XXXIV exemples choisis dans les mœurs
actuelles, propres à diriger les filles, les femmes, les épouses et les mères, considère
en effet que les romans constituent «â•›l’instruction la plus efficace, dans
un siècle comme le nôtre24â•›». Si le genre peut corrompre, s’il peut s’avérer
pervers, souligne Rétif de la Bretonne, Jean-Jacques Rousseau n’aurait pas
écrit de romans. Pour l’auteur, ce ne sont donc pas les romans qui doivent
être réprouvés, mais les mauvais romansâ•›; ce ne sont pas les discours qui
doivent être censurés, mais les mauvais discours.
Il paraît donc évident, dans cet apparat paratextuel incontournable, que
la voix auctoriale sorélienne se donne le but ultime d’attribuer au Berger
extravagant la marque de la nouveauté et de l’originalité, et de présenter
à un lecteur probable des règles nouvelles ou de lui indiquer le chemin
herméneutique à suivre pour bien comprendre son ouvrage novateur. Pour
ce faire, il faut procéder à la disqualification des modèles littéraires qui le
précèdent et, tâche qui s’avère encore plus ardue, disqualifier le plus célèbre
d’entre euxâ•›: le Don Quijote de Cervantèsâ•›! Les «â•›Remarquesâ•›», dans le but
de «â•›rendre les fables mesprisablesâ•›» à partir de l’intérieur même du roman
–€car Le berger extravagant se sert du procédé efficace aujourd’hui connu
sous l’appellation de mise en abyme€–, doivent s’appuyer sur «â•›ce qu’il y a de
plus excellent dans les plus celebres Romans du mondeâ•›»25.
Il faut le redireâ•›: dans ce XVIIe siècle, on réserve au Quijote l’espace
de la notoriété. Donc, il importe à Sorel de s’en moquer, ce qu’il fera dans
un long paragraphe occupant deux pages de l’ex-ergon divisé en quatorze
livres, distribués pour leur part sur plus de deux cent soixante pages26. La
voix auctoriale, qui s’avérera parfois bien trop sévère, ne se dérobe pas et
rappelle que «â•›quelques uns disent que [s]on livre n’est qu’une imitation
23. Étienne Bonnot de Condillac, Essai sur l’origine des connaissances humaines, 1746, p.€124.
24. Nicolas Rétif de la Bretonne, «â•›Les françaisesâ•›», dans Henri Coulet (dir.), op. cit., p.€196.
25. Charles Sorel, Le berger extravagant, op. cit., p.€744.
26. L’auteur même signale l’extension de ses «â•›Remarquesâ•›»â•›; il se sert de cette observation pour
affirmer l’importance de son long texte liminaireâ•›: «â•›Il est vray que ie pourrois encore faire d’autres
remarques sur mes remarques, & que i’aurois beaucoup de choses curieuses à y mettre, mais ie ne les
veux pas faire plus longues qu’elles sont, puisque i’ay atteint la grosseur du volume que ie voulois emplir.
Ie n’ay plus que fort peu de points à toucherâ•›» (id.).
Je ne suis pas Cervantèsâ•›! Et mon berger Lysis n’est pas Quijotizâ•›! 67
27. Id.
28. Ibid., p.€745.
29. Miguel de Cervantès, Don Quijote de la Mancha, 2004, p.€503.
68 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
les textes les mieux écrits «â•›en verso heroico, en lengua castellana46â•›», «â•›ricas
prendas de poesía47â•›», des vers capables de rivaliser avec «â•›los más famosos
de Italia48â•›»â•›: La Araucana de Don Alonso de Ercilla, La Austríada de Juan
Rufo, et El Monserrato de Cristóbal de Virués.
Il ne serait sans doute pas inutile de répéter que, dans l’univers du roman
du XVIIe siècle, la même «â•›folie par identification romanesqueâ•›» subjugue
la jeune bourgeoise Javotte, du Roman bourgeois d’Antoine Furetière. Son
but s’apparente ici à celui de Sorel et de Cervantèsâ•›: dénoncer les risques de
la lecture de romans qui, lus «â•›sans choix et sans discrétionâ•›» par une tête
curieuse, en général celle d’une jeune fille, peuvent «â•›lui corrompre l’espritâ•›»49.
Javotte tombe alors dans «â•›le piège50â•›» des récits des passions amoureuses qui,
évidemment, ne pouvaient être autres que ceux présents dans les cinq tomes
de L’Astrée –€ces tomes, rappelons-le, lui sont offerts par Pancrace, le jeune
homme qui lui avoue son amour et cherche à la séduire en «â•›contrefais[ant]
admirablement Céladon51â•›». Après la lecture, Javotte prend Astrée pour
modèle, contrefait ses actions et ses discours, croit lui ressemblerâ•›; et comme
le motif premier duquel on se moque dans ces histoires comiques, c’est bien
l’amour, elle prend Céladon pour Pancrace. Résultatâ•›: «â•›elle prenait tout
ce que Céladon disait à Astrée comme si Pancrace le lui eût dit en propre
personne, et tout ce qu’Astrée disait à Céladon, elle s’imaginait le dire à
Pancrace52.â•›»
Fermons maintenant la parenthèse concernant le blâme du genre
romanesque. Je me tourne à nouveau vers les «â•›Remarques sur le
quatorzième livre du Berger extravagantâ•›». C’est seulement à la conclusion
de la composition de son ex-ergon que la voix auctoriale, excitée sans doute
par les censures, se décide à «â•›repasser les yeux par dessus le livre de ce
valeureux Chevalier53â•›» –€l’acte de tout simplement «â•›repasser les yeuxâ•›»
comportant sans doute une nuance de mépris qui attribue peu de poids
et d’importance au roman cervantin. C’est précisément de cette relecture
qu’émergent les commentaires soréliens sur le Don Quijote. Ce long
paragraphe métadiscursif se présente comme un répertoire vertigineux, et
parfois fastidieux, de ce qui serait, aux yeux de Sorel, le plus grave péché
de Cervantèsâ•›: l’invraisemblance. C’est ainsi que, ligne après ligne, la voix
54. Id.
55. Id. On lit dans Don Quijote, à propos de cet épisodeâ•›: «â•›Mirad, amigo Sancho –€respondió el
duque€–â•›: yo no puedo dar parte del cielo a nadie, aunque no sea mayor que una uña, que solo a Dios
están reservadas esas mercedes y gracias. Lo que puedo dar os doy, que es una insula hecha y derecha,
redonda y bien proporcionada y sobremanera fértil y abundosa, donde, si vos os sabéis per maña, podéis
con las riquezas de la tierra granjear las del cieloâ•›» (Miguel de Cervantès, op. cit., p.€865).
56. Charles Sorel, Le berger extravagant, op. cit., p.€745.
57. Id. Dans Don Quijoteâ•›: «â•›Salió, en fin, Sancho acompañado de mucha gente, vestido a lo letrado,
y encima un gabán muy mucho ancho de chamelote de aguas leonado, con una montera de lo mismo,
sobre un macho a la jineta, y detrás de él, por orden del duque, iba el rucio con jaeces y ornamentos
jumentiles de seda y flamantes. Volvía Sancho la cabeza de cuando en cuando a mirar a su asno, con cuya
compañía iba tan contento, que no se trocara con el emperador de Alemaniaâ•›» (Miguel de Cervantès,
op. cit., p.€879).
58. Charles Sorel, Le berger extravagant, op. cit., p.€745. Le barbero et le cura, il faut le rappeler, se
mettent en «â•›mascaradeâ•›» – «â•›No le pareció mal al barbero la invención del cura, sino tan bien, que luego
la pusieron por obra. Pidiéronle a la ventera una saya y unas tocas, dejándole en prendas una sotana
nueva del cura. El barbero hizo una gran barba de una cola rucia ou roja de buey donde el ventero tenia
colgado el peineâ•›»Â€(Miguel de Cervantès, op.€cit., p.€257) –€dans le chapitre€27 de la première partie afin
de «â•›decir a Don Quijote para moverle y forzarle a que con él [cura] se viniese y dejase la querencia del
lugar que había escogido para su vana penitenciaâ•›» (ibid., p.€258).
59. Charles Sorel, Le berger extravagant, op. cit., p.€745.
72 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
65. Id.
66. Ibid., p.€746.
67. Id.
68. Id.
69. Charles Sorel, La bibliothèque françoise, de M. C. Sorel, ou Le choix et l’examen des livres françois
qui traitent de l’éloquence, de la philosophie, de la dévotion et de la conduite des moeurs, 1997, p.€160.
70. Charles Sorel, Le berger extravagant, op.€cit., p.€746.
71. Id.
74 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
72. Id.
73. Id.
74. Id.
75. Id. On sait que le XVIIe€ siècle met en scène, dans des camps adverses, des Anciens et des
Modernes, dans un combat fort virulent de défense et de réfutation de la tradition lettrée.
76. Id.
77. Id.
Je ne suis pas Cervantèsâ•›! Et mon berger Lysis n’est pas Quijotizâ•›! 75
lecteur, qui n’est que «â•›desvanecido vulgoâ•›»78. Ce public ordinaire, sans lettres
et sans jugementâ•›; ce public composé d’«â•›ignorantesâ•›», ce public qui ne peut
en aucun cas être comparé aux «â•›doctos y discretosâ•›», aime entendre, et «â•›con
gustoâ•›», ce genre de «â•›disparateâ•›» et ces choses «â•›que no llevan pies ni cabezaâ•›»
et que, malgré cela, «â•›las tiene y las aprueba por buenasâ•›»79. Voilà pourquoi
le chanoine, dégoûté, ne s’aventure pas dans ces voies, déjà si corrompues
par les auteurs –€qui s’inclinent devant le goût de la «â•›populaceâ•›»Â€– et par
le lecteur moderne. Comme on le voit, et c’est une chose bien connue,
les comédies auxquelles s’attaquent le chanoine et le cura sont celles dites
«â•›disparatadasâ•›», ou qui contreviennent à la vraisemblance. L’intervention
du cura s’inscrit de façon exemplaire dans ce refus de l’irrégularité comiqueâ•›;
écoutons-le dans son dialogue avec le chanoineâ•›:
En materia ha tocado vuestra merced [...] que ha despertado en mí un antiguo rencor
que tengo en las comedias que ahora se usan, tal, que iguala al que tengo en los libros
de caballeríasâ•›; porque habiendo de ser la comedia, según le parece a Tulio, espejo de
la vida humana, ejemplo de las costumbres y imagen de la verdad, las que ahora se
representan son espejos de disparates, ejemplos de necedades e imágenes de lascívia.
Porque, ¿â•›qué mayor disparate puede ser en el sujeto que tratamos que salir un niño en
mantillas en la primera escena del primer acto, y en la segunda salir ya hecho hombre
barbadoâ•›? ¿â•›Y qué mayor que pintarnos un viejo valiente y un mozo cobarde, un lacayo
retórico, un paje consejero, un rey ganapán y una princesa fregonaâ•›? ¿â•›Qué diré, pues,
de la observancia que guardan en los tiempos en que pueden o podían suceder las
acciones que representan, sino que he visto comedia que la primera jornada comenzó
en Europa, la segunda en Asia, la tercera se acabó en África, y aun si fuera de cuatro
jornadas, la cuarta acababa en América, y así se hubiera hecho en todas las cuatro partes
del mundoâ•›? [...] Y es lo malo que hay ignorantes que digan que esto es lo perfecto y
que lo demás es buscar gullurías80 [...].
Il faut néanmoins rappeler que le blâme contre les auteurs comiques épargne
Lope de Vega, que le cura définit comme «â•›felicísimo ingenio de estos reinosâ•›»,
et qui aurait composé des comédies «â•›con tanta gala, con tanto donaire,
con tan elegante verso, en tan buenas razones, en tan graves sentencias,
y, finalmente, tan llenas de elocución y alteza de estilo, que tiene lleno el
mundo en su famaâ•›»81.
Or, Lope de Vega semble provoquer à la fois l’admiration et la répulsion
chez Charles Sorel. Dans La bibliothèque françoise, la voix sorélienne affirme
que L’Arcadie de Lope est encore pire que la Diane de Montemajor, à cause
de ses «â•›longues plaintes en vers, et [du] peu d’ordre de quelques avantures,
«â•›Anti-Roman qui donne à voir les sottises des romans93â•›», comme le veut
la voix auctorialeâ•›; critique badine des «â•›livres impertinents94â•›», «â•›tombeau des
Romans, & des absurditez de la Poësie95â•›», Le berger extravagant ne pourrait,
c’est ce qu’affirme Sorel, en aucun cas être rapproché du Don Quijote et
d’autres textes espagnols, précisément en raison de sa visée métadiscursive.
En effet, et je termine sur les mots de la voix paratextuelle, «â•›il ne seroit guere
à propos de monstrer que l’on manque de doctrine quand il est question
de monstrer que les autres n’en ont point96â•›»…
Textes cités
Bacilly, Bénigne de, Airs de cour, Arles, Harmonia Mundi, 1981 [enregistrement
sonore].
B oileau , Nicolas, Dialogue des héros de roman, Œuvres, Paris, Gallimard
(Bibliothèque de la Pléiade), 1966 [éd. Françoise Escal], p.€441â•‚489.
Cervantès, Miguel de, Don Quijote de la Mancha, Madrid, Real Academia
Española€/€Asociación de Academias de la Lengua Española, 2004.
Compagnon, Antoine, La seconde main ou Le travail de la citation, Paris, Seuil,
1979.
Condillac, Étienne Bonnot de, Essai sur l’origine des connaissances humaines,
Amsterdam, P.€Mortier, 1746, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k87990k,
site consulté le 18 mars 2008 [en ligne].
Coulet, Henri (dir.), Idées sur le roman. Textes critiques sur le roman français, XIIe-
XXe siècle, Paris, Larousse, 1992.
Foucault, Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 2003.
Furetière, Antoine, Le roman bourgeois, Paris, Gallimard, 1981 [éd. Jacques
Prévot].
Lambert, Anne-Thérèse de Marguenat-de-Courcelles, marquise de, Réflexions
nouvelles sur les femmes, Paris, F. Le Breton, 1727, http://gallica.bnf.fr/
ark:/12148/bpt6k722771, site consulté le 18 mars 2008 [en ligne].
Marchal, Roger, Madame de Lambert et son milieu, Oxford, The Voltaire
Foundation, 1991.
Molière, L’école des femmes, Œuvres complètes, Paris, Gallimard (Bibliothèque de
la Pléiade), 1932 [éd. Maurice Rat], t.€1.
Sorel, Charles, Histoire comique de Francion, Paris, Gallimard (Folio), 1996 [éd.
Fausta Garavini].
—, De la connoissance des bons livres ou Examen de plusieurs autheurs. Supplément
des traitez de la connoissance des bons livres, Genève, Slatkine Reprints, 1981.
—, Le berger extravagant, Genève, Slatkine Reprints, 1972.
—, La bibliothèque françoise de M. C. Sorel, ou Le choix et l’examen des livres françois
qui traitent de l’éloquence, de la philosophie, de la dévotion et de la conduite des
moeurs, Paris, Compagnie des libraires du Palais, 1664, http://gallica.bnf.fr/
ark:/12148/bpt6k89695z, site consulté le 19 janvier 2008 [en ligne].
Le roman à distanceâ•›:
Sorel et Diderot, héritiers de la Mancha
1. Je traduisâ•›: «â•›L’entendement, comme l’œil, tandis qu’il nous fait voir et percevoir toutes les autres
choses, ne tient pas compte de lui-mêmeâ•›: et cela prend de l’art et du mal pour le mettre à distance, et
en faire son propre objetâ•›» (John Locke, An Essay Concerning Human Understanding, 1975, p.€43).
2. Miguel de Cervantès, Don Quichotte, 2001, t.€2, p.€267.
3. Id.
4. Jorge Luis Borges, Le jardin aux sentiers qui bifurquent, Œuvres complètes, 1993, t.€1, p.€451.
80 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
5. Fausta Garavini, «â•›Préfaceâ•›», dans Charles Sorel, Histoire comique de Francion, 2000 [1623-1633],
p.€23╂24.
6. La Lettre paraît en juin€1749â•›; l’ouvrage est censuré, et Diderot est emprisonné en juillet.
7. Charles Sorel, op.€cit., p.€267╂268.
Le roman À distance╛: Sorel et Diderot, héritiers de la Mancha 81
(1664-1667) pour son «â•›peu de force et peu d’élégance8â•›». C’est ainsi que la
transmission orale du récit vient marquer l’écart entre l’histoire réelle et La
vraie histoire du livre, cette dernière s’arrêtant précisément au moment où
Francion s’apprête à raconter les «â•›nonpareilles aventures9â•›» que l’on vient de
lire. En ce sens, la dédicace à Francion annonçait déjà les failles du passage
à l’écritâ•›: «â•›Je ne doute point que si vous eussiez voulu prendre la peine de
mettre par écrit vos aventures au lieu que vous vous êtes contenté de me
les raconter un jour de vive voix, vous eussiez fait tout autre chose que ce
que j’ai fait10â•›». Par ailleurs, ajoute le sieur du Parc, «â•›il ne me semble point
que votre réputation puisse courir de risque, si je fais une histoire de vos
aventures passéesâ•›; vu que je les ai déguisées d’une telle sorte, y ajoutant
quelque chose des miennes, et changeant aussi votre nom, qu’il faudrait bien
être subtil pour découvrir qui vous êtes11â•›». Ce passage empêche toute lecture
au premier degré de La vraie histoire comique de Francion, lorsque apparaît
au livre premier un pèlerin «â•›dont le vrai nom était Francion12â•›». Bref, voilà
Sorel qui attribue la rédaction à Nicolas du Parc, qui écrit plus ou moins
fidèlement d’après un récit rapporté par Francion, récit à l’intérieur duquel
Francion rapporte lui-même ses frasques antérieures à d’autres personnages,
si bien que le moindre énoncé devient potentiellement suspect, La vraie
histoire basculant peu à peu dans l’univers incertain de l’apocryphe.
En somme, nous dit Todorov, «â•›[s]eule la destruction du discours peut
en détruire le vraisemblable […]. Seulement, ces dernières phrases relèvent
d’un vraisemblable différent, d’un degré supérieur, et en cela elles ressemblent
à la véritéâ•›: celle-ci est-elle autre chose qu’un vraisemblable distancé et
différé13â•›?â•›» Entre le lecteur et le fond historique se dresse donc l’art de celui
qui mène le récit comme bon lui sembleâ•›: «â•›il ne tiendrait qu’à moi que tout
cela n’arrivât14â•›», répète sans relâche le narrateur de Jacques le fataliste et son
maître. «â•›Telle fut à la lettre la conversation, affirme-t-il, […] mais quelle
autre couleur n’aurais-je pas été le maître de lui donner15â•›», ajoute-t-il en
songeant à tout ce qu’il pourrait faire de cette riche matière aussi malléable
que Jacques lui-même, «â•›la meilleure pâte d’homme qu’on puisse imaginer16â•›».
Il s’agit pourtant de s’en tenir à une seule version des «â•›faitsâ•›», une seule façon
de bien «â•›présenterâ•›» les choses, afin que le repoussoir de tout ce qui n’arrive
pas donne un air doublement réel à ce qui, dans les faits, «â•›arriveâ•›»â•›:
Et moi, lecteur, je suis tenté de lui fermer la bouche en lui montrant de loin ou un vieux
militaire […] ou une jeune paysanne en petit chapeau de paille […]. Et pourquoi le vieux
militaire ne serait-il pas ou le capitaine de Jacques ou le camarade de son capitaineâ•›? […]
Un faiseur de roman n’y manquerait pas, mais je n’aime pas les romans, à moins que ce
ne soit ceux de Richardson. Je fais l’histoire, cette histoire intéressera ou n’intéressera
pas, c’est le moindre de mes soucis. Mon projet est d’être vrai, je l’ai rempli. […] Il ne
tiendrait qu’à moi d’arrêter ce cabriolet [qui vient à nous] et d’en faire sortir avec le
prieur et sa compagne de voyage une suite d’événements en conséquence desquels vous
ne sauriez ni les amours de Jacques, ni celles de son maîtreâ•›; mais je dédaigne toutes ces
ressources-là, je vois seulement qu’avec un peu d’imagination et de style, rien de plus
aisé que de filer un roman17.
Mais que veut dire Diderot lorsqu’il écritâ•›: «â•›Mon projet est d’être vrai,
je l’ai rempliâ•›»â•›? La typologie du conte qu’il propose à la fin des Deux amis
de Bourbonne (1770) nous éclairera sur ce point. Diderot y décrit d’abord le
conte merveilleux (Homère), puis le conte plaisant (La Fontaine), et enfin
le conte historique, dont les modèles sont Scarron et, bien sûr, Cervantèsâ•›:
Celui-ci se propose de vous tromper […]â•›; il a pour objet la vérité rigoureuseâ•›; il veut
être cruâ•›; il veut intéresser, toucher, entraîner, émouvoir, faire frissonner la peau et couler
les larmesâ•›; effets qu’on n’obtient point sans éloquence et sans poésie. Mais l’éloquence
est une source de mensonge, et rien de plus contraire à l’illusion que la poésieâ•›; l’une et
l’autre exagèrent, surfont, amplifient, inspirent la méfiance. Comment s’y prendra donc
ce conteur-ci pour vous tromperâ•›? Le voiciâ•›: il parsèmera son récit de petites circonstances
si liées à la chose, […] que vous serez forcé de vous dire en vous-mêmeâ•›: «â•›Ma foi,
cela est vraiâ•›; on n’invente pas ces choses-là.â•›» C’est ainsi qu’il sauvera l’exagération de
l’éloquence et de la poésieâ•›; que la vérité de la nature couvrira le prestige de l’art, et
qu’il satisfera à deux conditions qui semblent contradictoires, d’être en même temps
historien et poète, véridique et menteur18.
Comme le disait déjà Macrobe, il est certaines fables dont l’argument
«â•›relève de l’imagination et où la progression est tissée d’éléments inventés
[…]â•›; dans d’autres en revanche l’argument s’appuie bien sur une base
véridique solide, mais cette vérité est présentée à travers un agencement
imaginaire, et on parle alors de narration fictive, non de fictionâ•›». Si la
première catégorie est «â•›étrangère aux ouvrages philosophiquesâ•›», la seconde
permet au contraire de rencontrer «â•›plusieurs façons de présenter le vrai par
le biais de l’imaginaireâ•›»19. Les romans de Sorel et Diderot appartiendraient
donc à cette seconde catégorie, mais que dire de cette «â•›base véridique solideâ•›»
plan par le manque de vision de ces romanciers au premier degré dont les
écrits n’offrent aucune résistance aux normes établies. Diderot le dit dans
ses Pensées philosophiquesâ•›: «â•›Ce qu’on n’a jamais mis en question n’a point
été prouvé. […] L’homme d’esprit voit loin dans l’immensité des possiblesâ•›;
le sot ne voit guère de possible que ce qui est26.â•›» Il faut donc que ça grince,
qu’il y ait tension, jeu, mouvement. Le vrai roman ne s’écrira qu’à ce prixâ•›:
dynamique, tendu, critique, afin qu’apparaissent enfin les potentialités qui
donneront au genre sa profondeur réelle, c’est-à-dire sa vérité, le roman ayant
ceci de commun avec Montaigne qu’il «â•›propose des fantasies informes et
irresolues, […] non pour establir la verité, mais pour la chercher27â•›».
N’ayant «â•›de l’inclination qu’au mouvement28â•›», plus enclin à «â•›donner
matière d’écrire, que d’écrire lui-même29â•›», Francion ressemblait lui-même
«â•›à ces chevaliers errants dont nous avons tant d’histoires30â•›», le narrateur
insistant sur «â•›la vivacité de son esprit qui, par la lecture des bons livres,
s’était garanti des ténèbres de l’ignorance31â•›», au point où l’on crut qu’il était
«â•›magicienâ•›» et qu’il avait «â•›communication avec les démons32â•›».
Le maître. — Mais où diable as-tu appris tout celaâ•›?
Jacques. — Dans le grand livre. Ahâ•›! mon maître, on a beau réfléchir, méditer, étudier
dans tous les livres du monde, on n’est jamais qu’un petit clerc quand on n’a pas lu
dans le grand livre33.
«â•›Le plus beau livre que vous puissiez voir, répliqua Francion, c’est
l’expérience du monde34.â•›» Le livre idéal se veut donc le miroir du monde réel,
le vraisemblable étant, toujours selon Todorovâ•›: «â•›le masque dont s’affublent
les lois du texte, et que nous sommes censés prendre pour une relation avec la
réalité35â•›». Or, les livres existent aussi bien que les hommes, de sorte qu’en se
réclamant à la fois du livre et du réel, le roman à distance impose au lecteur
la double autorité de celui qui a parcouru le monde et parcouru les livres
qui y renvoient, son dédoublement lucide ayant ceci de particulièrement
efficace qu’il donne à lire les illusions du monde à travers celles des livres.
En témoigne ce dialogue entre Diderot et son lecteur imaginaireâ•›:
— Et votre Jacques n’est qu’une insipide rapsodie de faits, les uns réels, les autres
imaginés, écrits sans grâce et distribués sans ordre. — Tant mieux, mon Jacques en sera
moins lu. De quelque côté que vous vous tourniez, vous avez tort. Si mon ouvrage
est bon, il vous fera plaisirâ•›; s’il est mauvais, il ne fera point de mal. Point de livre plus
innocent qu’un mauvais livre36.
Ce qui est bien sûr une façon détournée de direâ•›: «â•›point de livre plus
subversif qu’un bon livreâ•›».€ Le narrateur, d’ailleurs, avait déjà averti son
lecteurâ•›: «â•›Je vous le répète donc pour ce moment et pour la suite, soyez
circonspect si vous ne voulez pas prendre dans cet entretien de Jacques et de
son maître le vrai pour le faux, le faux pour le vrai. Vous voilà bien averti,
et je m’en lave les mains37.â•›» Cette image de l’auteur qui s’en lave les mains
n’a en outre rien de gratuit, puisque l’allusion à Ponce Pilate nous ramène
précisément devant la fameuse question posée au Christâ•›: «â•›Qu’est-ce que
la véritéâ•›?â•›» (Évangile selon saint Jean,€XVIII, 36â•‚38) Or, écrivait Diderot en
songeant à son ambitieux projet d’Encyclopédie, «â•›[i]l faudra indiquer l’origine
d’un art, et en suivre pied à pied les progrès quand ils ne seraient pas ignorés,
ou substituer la conjecture et l’histoire hypothétique à l’histoire réelle. On peut
assurer qu’ici le roman serait souvent plus instructif que la vérité38.â•›»
Le Diable au corps
Le recours à la fable n’est pas un simple moyen détourné de parler de
la condition humaineâ•›: «â•›On ne peut ni ne doit appeler tromperie, observa
don Quichotte, les choses qui ont pour but une fin vertueuse39.â•›» Si le
libre-penseur y trouve son compte, c’est que la fiction est en soi un lieu de
pensée ouvert à toutes les remises en question, l’exercice d’une méthode
en puissance, telle la fameuse «â•›méthode de défamiliarisationâ•›» dont parlera
Chklovski40, ce déplacement du regard qui remet en mouvement ce qui
semblait acquis, automatique, invisible à l’œil de l’entendement parce que
trop près de lui.
L’antiroman serait donc une formule creuse, le cheval de Troie d’une
attaque beaucoup plus subversiveâ•›: l’antidoxa. En mêlant le vrai au faux,
le maléfice de la «â•›narration fictiveâ•›» dont parlait Macrobe permet ainsi de
refuser à la pensée du philosophe le repos que les hommes lui accordent trop
facilement, comme en fait foi la liberté d’action allouée à Méphistophélès
par le Seigneur dans le Faust de Goetheâ•›: «â•›De tous les esprits négateurs,
c’est l’ironiste qui me pèse le moins. L’activité de l’homme peut trop
chez Flaubert, qui dira ne plus considérer le monde que «â•›pour l’emploi d’une
illusion à décrire57â•›». Proust insistera pour sa part sur le fait «â•›qu’un livre est
le produit d’un autre moi58â•›» que celui manifesté par l’auteur dans les autres
sphères de son existence. Nous voilà ainsi au seuil d’une mystification plus
grande, celle-là même qui se joue toujours entre la transparence sensible et
l’opacité intelligible de la fiction, quelque part entre la caverne de Platon
et celle de Montésinos, là où la folle destinée d’un homme-pantin n’est
plus que fils inextricables, mus par la magie des mots, entre les mains du
diable de lettres.
David Leblanc
Université Laval (CIERL)
Textes cités
Barthes, Roland, Œuvres complètes, Paris, Seuil, 2002, t.€4.
Borges, Jorge Luis, Œuvres complètes, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade),
1993 [éd. Jean Pierre Bernès, trad. Paul Bénichou et al.], t.€1.
Cavillac, Cécile, «â•›Vraisemblance pragmatique et autorité fictionnelleâ•›», Poétique,
n°Â€101 (1995), p.€23â•‚46.
Cervantès, Miguel de, L’ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche, Paris,
Gallimard, 2001 [trad. César Oudin et François de Rosset, revue par Jean
Cassou], 2€t.
Chklovski, Victor, «â•›L’art comme procédéâ•›», dans Tzvetan Todorov (dir.), Théorie
de la littérature, Paris, Seuil, 1966, p. 76â•‚97.
Diderot, Denis, Œuvres, Paris, Robert Laffont, 1994 [éd. Laurent Versini], 5€t.
Ûrasme, Éloge de la folie, Paris, Garnier Flammarion, 1964 [trad. Pierre de
Nolhac].
Goethe, Johann Wolfgang von, Faust, Paris, Gallimard, 2003 [trad. Claude
David].
Locke, John, An Essay Concerning Human Understanding, Oxford, Clarendon Press,
1975 [éd. Peter H. Nidditch].
Macrobe, Commentaire au Songe de Scipion, Paris, Les Belles Lettres, 2001 [éd.
Mireille Armisen-Marchetti].
Montaigne, Michel de, Œuvres complètes, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la
Pléiade), 1976 [éd. Albert Thibaudet et Maurice Rat].
Proust, Marcel, Contre Sainte-Beuve, Paris, Gallimard, 2002.
Sorel, Charles, Histoire comique de Francion, Paris, Gallimard, 2000 [éd. Fausta
Garavini].
Starobinski, Jean, Montaigne en mouvement, Paris, Gallimard, 1982.
Todorov, Tzvetan, La notion de littérature et autres essais, Paris, Seuil, 1987.
Page laissée blanche intentionnellement
L’histoire tragique de Rosset
comme héritière du refus
du romanesque de Don Quichotte
1. Ce n’est pas un hasard si cette œuvre apparaît dès l’avant-texte, dans le facétieux sonnet liminaire
«â•›d’Amadis de Gaule à Don Quichotte de la Mancheâ•›» (Miguel de Cervantès, Don Quichotte, Œuvres
romanesques complètes, 2001, t.€1, p.€401). Dès le chapitre€1, don Quichotte débat avec le curé du village
«â•›sur la question de savoir qui était le meilleur chevalierâ•›: de Palmerin d’Angleterre, ou d’Amadis de
Gauleâ•›» (ibid., p.€410).
2. Cicéron, Rhétorique à C. Herennius, 1869, p.€7. Le traité a longtemps été attribué à tort à Cicéron.
L’auteur distingue trois types de narrationâ•›: fabuleuse (fabula), historique (historia) et vraisemblable
(argumentum).
3. À propos du quichottismeâ•›: «â•›Car il y a un quichottisme philosophique, sans doute, mais aussi une
philosophie quichottesque. Est-elle autre chose, au fond, celle des conquistadors, des contre-réformateurs,
celle de Loyola, et surtout, dans l’ordre de la pensée abstraite mais sentie, celle de nos mystiquesâ•›?â•›»
(Miguel de Unamuno, Le sentiment tragique de la vie, 1937, p.€359). À propos de la volonté d’ériger ce
quichottisme contre Cervantès lui-mêmeâ•›: «â•›J’écrivis ce livre [Vida de Don Quijote y Sancho] contre
les cervantistes et les érudits, pour faire une œuvre de vie de ce qui était et continue à être lettre morte
pour la plupart. Que m’importe ce que Cervantès voulut ou ne voulut pas y mettre et ce qu’il y mit
réellementâ•›?â•›» (ibid., p.€354).
L’histoire tragique de Rosset 93
4. George Hainsworth, Les Novelas ejemplares de Cervantès en France au XVIIe€ siècle, 1933,
p.€48╂49.
5. Ibid., p.€60.
6. Vital d’Audiguier, Histoire trage-comique de nostre temps sous les noms de Lysandre et de Caliste,
1616, Aiv, vo et Av, ro.
94 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
et Les histoires tragiques de nostre temps (1614, 1615 et 16197) sont à toute fin
pratique inexistants. La raison tient sans doute à ce que les Novelas sont peut-
être surtout exemplaires de la crise d’exemplarité propre à la Renaissance.
Cervantès lui-même, dans le prologue de son recueil, semble hésiter quant
au sens véritable du qualificatif qu’il a choisi pour désigner ses nouvellesâ•›:
Je leur ai donné le nom d’exemplaires, et si tu y regardes de près, il n’en est aucune dont
on ne puisse tirer quelque exemple profitable, et n’était la peur de m’étendre sur le sujet,
peut-être eussé-je pu te montrer le fruit savoureux et honnête que l’on pourrait tirer de
toutes ensemble et de chacune d’elles en particulier8.
Dans le prologue de la seconde partie de Don Quichotte, Cervantès
admet que ses nouvelles peuvent être considérées comme étant plutôt
satiriques, comme le lui reproche un détracteur, et revient sur l’idée que
l’exemplarité qu’il postule pour le genre qu’il a pratiqué tient d’abord à
une certaine variétéâ•›: «â•›Pour autant, je n’en suis pas moins reconnaissant
à monsieur l’auteur en question d’avoir dit que mes nouvelles sont plus
satiriques qu’exemplaires, mais qu’elles sont bonnesâ•›; ce qui n’aurait pas été
le cas si l’on n’y trouvait pas un peu de tout9â•›».
Le titre de la traduction française, peut-être dû à Rosset lui-même10,
est d’ailleurs révélateur du caractère problématique de l’exemplarité mise en
avant par le titre originalâ•›: Les nouvelles de Miguel de Cervantes Saavedra, où
sont contenues plusieurs rares adventures, et memorables exemples d’amour, de
fidelité, de force de sang, de jalousie, de mauvaise habitude, de charmes, et d’autres
accidents non moins estranges que veritables11. C’est plutôt le caractère inédit,
sinon inouï, des récits que leur valeur exemplaire qui est ici souligné.
Peut-être en raison de leur exemplarité discutable ou problématique (ne
pensons qu’à la nouvelle qui clôture le recueil, «â•›Le colloque des chiensâ•›»),
les nouvelles de Cervantès ne pouvaient pas influencer le genre de l’histoire
7. On ne retiendra ici que les éditions publiées du vivant de Rosset. Il en existe d’innombrables
rééditions posthumes, avec des ajouts de polygraphes, le plus souvent anonymes. Pour une bibliographie
plus détaillée, voir «â•›Bibliographie sommaireâ•›» dans François de Rosset, Les histoires mémorables et tragiques
de ce temps, 1994, p.€25â•‚26â•›; George Hainsworth, «â•›Rosset and his Histoires Tragiquesâ•›», 1930â•›; et Sergio
Poli, «â•›Su alcune edizioni dimenticate delle Histoires tragiques di François de Rossetâ•›», 1979.
8. Miguel de Cervantès, Nouvelles exemplaires, Œuvres romanesques complètes, op.€cit., t.€2, p.€8.
9. Miguel de Cervantès, Don Quichotte, op.€cit., p.€898.
10. Rosset a traduit les six premières nouvelles (La belle Égyptienne, L’amant liberal, De la force du
sang, Le jaloux d’Estremadure, Rinconet et Cortadille, Le docteur Vidriera), alors que d’Audiguier signe
la traduction des six dernières (L’Espagnolle angloise, Les deux pucelles, La Cornelie, L’illustre Fregonne ou
Servante, Le trompeur mariage, Le colloque de Scipion et de Bergance). Ce qui permet de penser que le
titre est de Rosset, c’est le fait que les six dernières ont, dans le recueil, un titre qui leur est propreâ•›: Six
Nouvelles de Michel Cervantes (George Hainsworth, Les Novelas ejemplares de Cervantès [...], op.€cit.,
p.€58╂59).
11. Ibid., p.€58.
L’histoire tragique de Rosset 95
12. Thierry Pech, Conter le crime. Droit et littérature sous la Contre-Réformeâ•›: les histoires tragiques
(1559-1644), 2000.
13. Dietmar Rieger résume avec une concision admirable la vulgate structuraliste (formulée par
Propp et Todorov) à ce proposâ•›: «â•›[O]n s’est très vite mis d’accord pour voir dans l’histoire tragique une
“histoire de loi” se basant sur la tripartition “loi-transgression / infraction-punition”. La formulation
ou évocation d’une norme est suivie de l’histoire exemplaire d’une infraction à cette norme, d’une
perturbation de l’ordre normatif qui, lui, est restauré à la fin par la punition impitoyable du coupableâ•›»
(Dietmar Rieger, «â•›“Histoire de loi” –€“histoire tragique”. Authenticité et structure de genre chez F.€de
Rossetâ•›»,€1994, p.€462). L’étude, qui a fait date dans cette perspective, est évidemment celle d’Anne de
Vaucher Gravili, Loi et transgression. Les histoires tragiques au XVIIe€siècle, 1982. Elena Boggio Quallio,
tout en reprenant cette structure immuable du récit –€1)€énonciation de la loi, 2)€surgissement d’un
obstacle, 3)€déchaînement de la tragédie€–, fait valoir un certain infléchissement de la conception du
tragique dans le temps, d’une introspection des sentiments et des actions des personnages au XVIe€siècle
à une recherche d’effet sur le lecteur au XVIIe€siècle (Elena Boggio Quallio, «â•›La structure de la nouvelle
tragique de Jacques Yver à Jean-Pierre Camusâ•›», 1981).
14. Maurice Lever définit ainsi ces petits bulletins d’information, communément appelés «â•›canardsâ•›»
ou «â•›occasionnelsâ•›»â•›: «â•›Ces minces brochures, généralement anonymes et vendues par colportage, relataient
des faits divers particulièrement étranges ou terrifiants, propres à frapper l’imagination et à ébranler
les nerfsâ•›: crimes, viols, incestes, monstres, catastrophes naturelles, phénomènes célestes, fantômes et
diableries en tous genres, procès en sorcellerieâ•›» (Maurice Lever, Canards sanglants. Naissance du fait
divers, 1993, quatrième de couverture). Roger Chartier, quant à lui, distingue l’«â•›occasionnelâ•›», inscrit
dans l’urgence de l’actualité, du «â•›canardâ•›», relation commandée par l’État d’un fait divers où l’événement
n’est qu’un prétexte au renforcement de la morale (Roger Chartier et al., Histoire de l’édition française,
1983, p.€509).
96 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
l’histoireâ•›: «â•›le rôle du poète est de dire non pas ce qui a réellement eu lieu
mais ce à quoi on peut s’attendre, ce qui peut se produire conformément
à la vraisemblance ou à la nécessité38â•›».
On pouvait déjà voir pointer cette lente conversion à la vraisemblance
dans la justification qu’il donnait en 1615 de sa nouvelle traduction de
La suitte de Roland le furieux, dans laquelle il explicitait€son exigence de
vraisemblance à l’égard du détail romanesque, tout fabuleux que soit
son fondementâ•›: «â•›Encores que le Romant soit bien souvent fabuleux,
il est necessaire neantmoins que le vray semblable y paroisseâ•›; que la
Chronologie y soit observée, et principalement la Cosmographie39.â•›»
Or, dans le cas de la poétique ultime de l’histoire tragique de Rosset, on
pourrait reprendre la formule, mutatis mutandisâ•›: «â•›encore que l’histoire
tragique soit historique, il est nécessaire néanmoins que le vraisemblable40
y paraisseâ•›».
En replaçant ce cas particulier d’un Rosset qui cherche d’abord
une alternative à la fable romanesque dans l’histoire, puis qui cherche à
recomposer cette histoire pour en évacuer le romanesque de l’exemplarité
et atteindre une vraisemblance dans la dispositio, on pourrait y voir l’un des
nombreux essais de renouvellement des genres narratifs qui mènent de Don
Quichotte au roman «â•›moderneâ•›».
Claude La Charité
Université du Québec à Rimouski
104 «â•›Avez-vous lu Cervantèsâ•›?â•›»
Textes cités
Arioste, La suitte de Roland le furieux, Paris, Robert Foüet, 1615 [trad. François
de Rosset].
Aristote, Poétique, Paris, Livre de Poche, 1990 [trad. Michel Magnien].
Audiguier, Vital d’, Histoire trage-comique de nostre temps sous les noms de Lysandre
et de Caliste, Paris, Toussainct, 1616.
Boggio Quallio, Elena, «â•›La structure de la nouvelle tragique de Jacques Yver à
Jean-Pierre Camusâ•›», dans Jean Lafond et André Stegmann (dir.), L’automne
de la Renaissance 1580-1630, Paris, Vrin, 1981, p.€209-218.
Cervantès, Œuvres romanesques complètes, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la
Pléiade), 2001 [éd. Jean Canavaggio], 2€t.
Chartier, Roger et al., Histoire de l’édition française, Paris, Promodis, 1983, t.€1.
Cicéron, Rhétorique à C. Herennius, Œuvres complètes, Paris, Firmin-Didot, 1869
[éd. M. Nisard], t.€1.
Esmein, Camille, «â•›Le tournant historique comme construction théoriqueâ•›: l’exemple
du “tournant” de 1660 dans l’histoire du romanâ•›», Fabula-LHT, http://www.
fabula.org/lht/0/Esmein.html, site consulté le 9 février 2008 [en ligne].
Hainsworth, George, Les «â•›Novelas exemplaresâ•›» de Cervantès en France au
XVIIe€ siècle. Contribution à l’étude de la nouvelle en France, Paris, Honoré
Champion, 1933.
—, «â•›Rosset and his Histoires Tragiquesâ•›», The French Quarterly, vol.€XII (1930),
p.€124-141.
Lever, Maurice, Canards sanglants. Naissance du fait divers, Paris, Fayard, 1993.
—, «â•›De l’information à la nouvelleâ•›: les “canards” et les “histoires tragiques” de
François de Rossetâ•›», Revue d’histoire littéraire de la France, vol.€LXXIX, no€4
(1979), p.€577-593.
Martel, Tancrède, Julien et Marguerite de Ravalet (1582-1603). Un drame passionnel
sous Henri IV, Paris, Lemerre, 1920.
Pech, Thierry, Conter le crime. Droit et littérature sous la Contre-Réformeâ•›: les histoires
tragiques (1559-1644), Paris, Honoré Champion, 2000.
Poli, Sergio, «â•›Su alcune edizioni dimenticate delle Histoires tragiques di François
de Rossetâ•›», Studi francesi, no 69 (1979), p.€488â•‚495.
Rieger, Dietmar, «â•›“Histoire de loi” – “histoire tragique”. Authenticité et structure
de genre chez F.€de Rossetâ•›», XVIIe€siècle, vol.€XLVI, no€3 (1994), p.€461â•‚477.
Rosset, François de, Les histoires mémorables et tragiques de ce temps, Paris, Livre de
Poche, 1994 [éd. Anne de Vaucher Gravili].
Unamuno, Miguel de, Le sentiment tragique de la vie, Paris, Gallimard, 1937 [trad.
Marcel Faure-Beaulieu].
Vaucher Gravili, Anne de, Loi et transgression. Les histoires tragiques au XVIIe€siècle,
Lecce (Italie), Milella, 1982.
De Cervantès à Lesageâ•›:
l’ombre usurpatrice d’Avellaneda
4. Jean Canavaggio, «â•›Préfaceâ•›», dans Miguel de Cervantès, Don Quichotte, 2001, t.€1, p.€21.
De Cervantès À Lesageâ•›: l’ombre usurpatrice d’Avellaneda 107
10. Ces critiques sont résumées par Maurice Bardon (ibid., p.€418â•‚419).
11. Ibid., p.€417.
12. Lire par exemple la monographie de Jean-Paul Sermain, Don Quichotte, Cervantès, 1998. L’auteur
consacre un bon chapitre à l’histoire de l’interprétation de Don Quichotte.
13. Miguel de Cervantès, op. cit., t.€1, p.€69.
14. Pierre Nicole, Les imaginaires, ou Lettres sur l’hérésie imaginaire, 1667.
110 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
15. Yannick Roy, «â•›Pourquoi ne rit-on plus de don Quichotteâ•›?â•›», 2001, p.€54.
16. Cité par Maurice Bardon, op. cit., p.€423.
De Cervantès À Lesageâ•›: l’ombre usurpatrice d’Avellaneda 111
semble bien que ce type de lecture ait été fréquemment renouvelé dans la
première partie du siècle, dans la foulée de la traduction de Lesage. C’est
ainsi qu’en 1605 les Nouvelles de la République des Lettres publient un autre
commentaire, lui aussi significatif. Le rédacteur, heureux de pouvoir découvrir
Avellaneda en traduction française, écrit, bon princeâ•›: «â•›Le public jugera,
lequel, de Cervantes ou de Avellaneda, a mieux exécuté son Projet17â•›».
Que l’on ait pu écrire une chose pareille est à peine croyable aujourd’hui,
alors que Cervantès loge au panthéon de la littérature mondiale. Que l’on
ait pu, dans ce débat, prendre ouvertement fait et cause pour Avellaneda
est tout aussi renversant. Mais il faut bien saisir les circonstances qui ont
permis au faussaire de talonner Cervantès si longtemps. N’oublions pas
que, dans la perspective où se placent les lecteurs du début du XVIIIe siècle,
don Quichotte n’est pas encore le personnage sublime, déchiré entre le rêve
et la réalité, auquel les romantiques allemands vont s’identifier. Il n’est pas
non plus le champion de l’ambiguïté auquel feront référence les romanciers
modernes, Kundera en tête de liste. Don Quichotte, en ce début de siècle,
n’est qu’un fou, un personnage de farce, un lecteur dont «â•›le cerveau a
séché18â•›». On rit ferme de ses aventures et de ses déboires répétés, qui
forment une satire de ce qu’on a pu appeler depuis la «â•›lecture pathologiqueâ•›».
Toutefois, la frontière entre la satire et la caricature, en pareil cas, est mince,
et les partisans d’Avellaneda la transgressent sans état d’âme.
Ont-ils été nombreux au XVIIIe siècle, ces suppôts d’Avellanedaâ•›?
Avançons bride en main. Il convient de parler d’une tradition souterraine
qui, ressuscitant Avellaneda, se trouvait de loin en loin à faire ombrage à
Cervantès. Cette tradition se poursuit au XIXe siècle, comme en témoigne
avec zèle un hispaniste de l’époque, Germond de Lavigne, qui publie, en
1852, une étude sérieuse intitulée Les deux Don Quichotte, dans laquelle il
oppose les mérites respectifs de Cervantès et d’Avellaneda. La discussion, on
s’en doute, tourne à l’apologie du second. Enfin, la tradition culmine dans
la fiction borgésienne qui, comme toujours, représente un point limite de la
pensée. Le personnage de Pierre Ménard n’est-il pas une sorte d’Avellaneda
fantasmatiqueâ•›? Ne se propose-t-il pas de supplanter Cervantès sur son
propre terrain, en ne négligeant rien, quitte même à reprendre mot à mot,
ligne à ligne, son Don Quichotteâ•›?
Dany Roberge
Université Laval (CIERL)
17. Id.
18. Pour reprendre l’expression de Miguel de Cervantès, op. cit., t.€1, p.€69.
112 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
Textes cités
Bardon, Maurice, Don Quichotte en France au XVIIe et au XVIIIe siècle, Paris,
Honoré Champion, 1931, 2€t.
Borges, Jorge Luis, «â•›Pierre Ménard, auteur du Quichotteâ•›», Fictions, Paris,
Gallimard (Folio), 1994 [trad. Roger Caillois, Nestor Ibarra et Paul Verdevoye],
p.€41╂52.
Cervantès, Miguel de, L’ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche, Paris,
Gallimard (Folio), 2001 [trad. César Oudin et François de Rosset, revue par
Jean Cassou], 2€t.
Dandrey, Patrick, L’éloge paradoxal de Gorgias à Molière, Paris, Presses universitaires
de France, 1997.
Nicole, Pierre, Les imaginaires, ou Lettres sur l’hérésie imaginaire, Liège, Adolphe
Beyers, 1667.
Robert, Marthe, Roman des origines et origines du roman, Paris, Gallimard, 2000.
Roy, Yannick, «â•›Pourquoi ne rit-on plus de don Quichotteâ•›?â•›», L’inconvénient, no€6
(août 2001), p.€53â•‚60.
Sermain, Jean-Paul, Don Quichotte, Cervantès, Paris, Ellipses, 1998.
Facteurs de lisibilité, de littéralité et de
modernité dans les traductions
françaises de Don Quichotte
1. Au sujet de la lisibilité, l’équipe visibilité du Service d’Analyse de Textes par Ordinateur (ATO)
de l’Université du Québec à Montréal et de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information
de l’Université de Montréal écritâ•›: «â•›Le concept de lisibilité d’un texte renvoie à la plus ou moins grande
difficulté de lecture d’un texte en fonction, entre autres, du type de vocabulaire utilisé (par exemple,
vocabulaire connu ou inconnu) et de la longueur des phrases du texte. En d’autres termes, le concept
de lisibilité ne concerne ni le sens du texte ni sa structure argumentaire, mais seulement les indices de
surface du texte.â•›» L’indice de lisibilité «â•›désigne, en ATO, des mesures d’ordre numérique permettant
d’apprécier la difficulté ou la facilité de lecture, de compréhension et de mémorisation d’un texte ou
des parties d’un texte. Ces mesures sont calculées à partir de paramètres comme la longueur des mots,
la longueur des phrases, l’usage de certaines constructions de phrase (par exemple, l’emploi excessif des
pronoms relatifs) ou autres. Un des indices classiques de la lisibilité est l’indice de Gunning.â•›» (Anonyme,
«â•›Glossaireâ•›», Ato, http://www.ling.uqam.ca/sato/glossaire/glos_idx.htm, site consulté le 7 janvier 2008
[en ligne].
2. Par exemple, dans sa préface à la traduction de Don Quichotte d’Aline Schulman, Jean-Claude
Chevalier écritâ•›: «â•›Cervantes, en ses parties narratives, a une phrase longue et sinueuse, lentement
développée, rebondissant de cause en concession, puis de relatives en adversation, pleine de mots de
liaison, subordonnants et coordonnants. L’habitude de son temps et sa volonté propre. Ce ne sont plus
les mœurs du nôtreâ•›» (Jean-Claude Chevalier, «â•›Préfaceâ•›», dans Miguel de Cervantès, L’ingénieux hidalgo
Don Quichotte de la Manche, 1997, t.€1, p.€11).
114 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
les classiques dans leur langue originale et ces mêmes classiques lorsqu’on les
aborde spécifiquement du point de vue de leur traduction, et plus encore,
entre le Quichotte en version originale et toute version traduite, il faut tenir
compte d’une distinction en ce qui a trait à la lisibilité. Il semblerait, en
effet, que la langue des traductions vieillisse, par opposition à la langue
des classiques en version originale, dont on ira parfois en édition jusqu’à
moderniser la graphie, mais rarement beaucoup plus. Ce qui est certain,
c’est que la lisibilité des classiques est plus souvent qu’autrement une affaire
de traduction et de traducteurs.
Suivant cette logique, le texte traduit renfermerait, contrairement
(encore une fois) à l’œuvre originale, une lisibilité qu’il faudrait dans ce cas
qualifier de «â•›temporaireâ•›» ou, mieux, d’«â•›expirableâ•›», comme si la lisibilité des
textes traduits était d’abord une question de rythme auquel les traductions
deviennent caduques. Les auteurs de nouvelles traductions de textes qui
remontent à plusieurs siècles ne font-ils pas d’ailleurs habituellement valoir
que leur version s’adresse au «â•›lecteur d’aujourd’hui3â•›» dans une langue qu’il
reconnaît comme sienne, plutôt que dans une langue qui appartient à une
autre époqueâ•›?
3. Il s’agit là, par exemple, du terme qu’utilise Jean Canavaggio dans la «â•›Note à la présente éditionâ•›»
qui précède la toute dernière traduction du Quichotte parue dans la Bibliothèque de la Pléiade en 2001.
4. La version antérieure étant dans ce cas-ci celle de Jean Cassou, version qui remontait à 1934
et qui avait été publiée en 1949 dans la même Bibliothèque de la Pléiade, et qui se présentait non pas
comme une traduction mais plutôt comme une version «â•›revue, corrigée et annotéeâ•›» de la toute première
traduction française du Quichotte, à savoir celle de César Oudin de la Première partie en 1614 et celle
de François de Rosset de la Deuxième partie en 1618. Nous utilisons ici l’édition de cette version de
Cassou publiée dans la collection Folio en 1988.
5. Miguel de Cervantès, Œuvres romanesques complètes, 2001, t.€1, p.€lxxiiâ•‚lxxiii.
Les traductions françaises de Don Quichotte 115
6. Ibid., p.€lxxiii.
7. Id.
8. Id.
9. Id.
Les traductions françaises de Don Quichotte 117
Viardot, mais forgée dans le creuset d’un français vivant, celui que nous lisons,
écrivons et parlons et, comme telle, conforme à nos mœurs comme à l’attente de nos
contemporains. C’est cette attente qu’ont voulu satisfaire Francis de Miomandre, il y
a plus d’un demi-siècle, et, récemment, Aline Schulman […]. Cette dernière version
[…] manifeste assurément la vitalité du chef-d’œuvre de Cervantèsâ•›; mais cette vitalité
autorise tout pareillement notre projet10 […].
D’ailleurs, la principale réserve que formule Canavaggio€à l’endroit de la
version de Schulman concerne l’oralité et le «â•›degré de modernitéâ•›», pour
ainsi dire, de cette dernièreâ•›:
[T]ranposer ces effets [il est fait référence ici à la façon dont Cervantes exploite les
ressources de la langue parlée] dans la langue littéraire d’aujourd’hui, «â•›parlée telle qu’au
théâtre et non dans la rueâ•›» [c’est là le projet de Schulman dans ses propres mots], pour
en restituer la modernité, risque de compromettre l’indispensable distance que le lecteur
d’aujourd’hui doit garder vis-à-vis d’un texte devenu classique, s’il ne veut pas, en lui
ôtant sa patine, le priver de son charme11.
On le voit bien, Canavaggio estime qu’il y a des risques inhérents à toute
tentative de traduction qui désire restituer la modernité des moyens déployés
par Cervantès afin d’exploiter les ressources de la langue parlée, ainsi qu’à
toute tentative qui, au nom du principe de lisibilité, est prête à sacrifier la
«â•›patineâ•›» propre au Quichotte. Le risque d’hypothéquer la lisibilité du texte
traduit semble donc constituer, selon Canavaggio, un danger réel, mais
uniquement dans le cas de versions telles que la révision-correction de Cassou
ainsi que de la traduction «â•›décalquéeâ•›» de Labarthe et Cardaillac, quoique
pour des raisons complètement différentes. Même si les commentaires
de Canavaggio s’inscrivent dans un courant qu’on pourrait qualifier de
«â•›modernisation historicisanteâ•›» du Quichotte12, lequel ne peut se réaliser
qu’au prix d’un laborieux exercice de déchiffrement ou d’une tentative
irréaliste de vouloir reproduire l’original. Dans les deux cas, le problème
que soulève Canavaggio est bel et bien celui de ce qu’il estime être la difficile
lisibilité des versions de Cassou et de Labarthe et Cardaillac, la première
pour cause du prétendu «â•›vieillissement de la langueâ•›», la seconde pour cause
de littéralité excessive13.
14. Miguel de Cervantès, L’ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche, 1923â•‚1926, t.€1, p.€viii.
15. Id.
Les traductions françaises de Don Quichotte 119
16. Miguel de Cervantès, L’ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche, 1988, t.€1, p.€14.
17. Ibid., p.€15.
18. Les passages tirés de l’original espagnol ainsi que des traductions françaises correspondantes se
trouvent en annexe. Les exemples discutés ici y sont numérotés de 1 à 10.
19. Miguel de Cervantès, Don Quijote de la Mancha, 1998, t.€1, p.€13.
20. Miguel de Cervantès, L’ingénieux hidalgo, op.€cit. (1923â•‚1926), t.€1, p.€6.
120 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
47. D’où l’inévitable tentation d’avancer comme hypothèse l’absence réelle (ou, au mieux, l’absence
très limitée) de lien entre lisibilité et historicité.
Les traductions françaises de Don Quichotte 125
Marc Charron
Université d’Ottawa
126 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
Annexe
Exemple 1
«â•›¿â•›Cómo que es posible que cosas de tan poco momento y tan fáciles de
remediar puedan tener fuerzas de suspender y absortar un ingenio tan maduro
como el vuestro, y tan hecho a romper y atropellar por otras dificultades
mayoresâ•›?â•›» (Rico48, p.€13)
48. Pour une plus grande clarté et afin de ne pas alourdir le texte, les différentes versions de Don
Quichotte seront identifiées dans cette annexe par le nom de leur traducteur, ou de l’éditeur scientifique
dans le cas des éditions Rico et Canavaggio. À moins d’indication contraire, c’est toujours nous qui
soulignons.
Les traductions françaises de Don Quichotte 127
Exemple 2
«â•›Y con estos latinicos y otros tales os tendrán siquiera por gramático, que el
serlo nos es de poca honra y provecho el día de hoy.â•›» (Rico, p. 15)
«â•›Et, avec ces latinades et d’autres semblables, on vous tiendra même pour
un humanisteâ•›; au jour d’aujourd’hui, être cela n’est pas d’un petit honneur
ni d’un mince profit.â•›» (Cardaillac, p.€7)
«â•›Et avec ces bribes de latin et autres de même sorte, on vous tiendra à tout
le moins pour grammairienâ•›; ce qui n’est pas peu d’honneur ni de profit pour
aujourd’hui.â•›» (Canavaggio, p.€395)
«â•›Et avec ces petits traits de Latin, & autres semblables, on vous tiendra
a tout le moins pour Grammairien, car ce n’est pas peu d’honneur n’y de
proffit pour le iour d’auiourd’hui que de l’estre.â•›» (Oudin, p.€x)
«â•›Et, avec ce latinicon et autres sentences de même farine, on vous tiendra
à tout le moins pour grammairien, ce qui pour le jourd’hui n’est pas de peu
d’honneur ni de profit.â•›» (Oudin-Cassou, p.€55)
«â•›Avec ces bouts de latin, et quelques autres semblables, on vous tiendra
du moins pour grammairien, ce qui, à l’heure qu’il est, n’est pas d’un petit
honneur ni d’un mince profit.â•›» (Babelon, p.€9)
«â•›Avec ces bouts de latin et quelques autres, on vous prendra au moins pour
un grammairien, ce qui, à l’heure qu’il est, n’est pas un petit honneur ni un
mince avantage.â•›» (Schulman, p.€29)
Exemple 3
«â•›[…] y quizá alguno habrá tan simple que crea que de todos [los autores en
un libro que los acote todos, desde la A hasta la Z] os habéis aprovechado
en la simple y sencilla historia vuestra […].â•›» (Rico, p.€17)
«â•›[…] peut-être se rencontrera-t-il quelque bonne âme pour croire que vous
les avez tous [les auteurs dans un livre qui les mentionne tous] utilisés dans
votre simple et naturelle histoire.â•›» (Cardaillac, p.€9)
«â•›[…] et peut-être se trouvera-t-il quelqu’un d’assez naïf pour croire que
vous les avez tous mis à profit dans votre simple et naïve histoire […].â•›»
(Canavaggio, p.€396)
«â•›[…]€& peut estre y aura-il quelqu’un si simple, qu’il croira que vous en aurez
fait vostre profit en vostre tant sincere histoire.â•›» (Oudin, p.€xii)
«â•›[…]€et peut-être y aura-t-il quelqu’un d’assez simple pour croire que vous
en aurez fait votre profit en votre tant naïve et sincère histoire.â•›» (Oudin-
Cassou, p.€57)
128 Avez-vous lu Cervantèsâ•›?
Exemple 4
«â•›[…]€ni tiene para qué predicar a ninguno, mezclando lo humano con lo
divino, que es un género de mezcla de que no se ha de vestir ningún cristiano
entendimiento.â•›» (Rico, p.€17)
«â•›Sur ce qui est de l’âne, don Quichotte s’y arrêta un peu, se demandant s’il
se souvenait que quelque chevalier errant eût emmené avec lui un écuyer
asinesquement montéâ•›; mais aucun ne lui revint en mémoire.â•›» (Canavaggio,
p.€447)
«â•›Quant à ce point de l’asne Don Quixote s’y arresta un peu, imaginant pour
veoir s’il se souvenoit point, qu’aucun Chevalier errant, eust mené d’Escuyer
monté sur un asne, mais pas un ne luy vint en memoire.â•›» (Oudin, p.€59 +
noteâ•›: «â•›l’Espagnol dit asinemens cavalierâ•›»)
«â•›Quant à ce point de l’âne, don Quichotte s’y arrêta un peu, se creusant
le cerveau pour voir s’il se souvenait qu’aucun chevalier errant eût mené
d’écuyer asinesquement monté, mais il ne lui en vint pas un en mémoire.â•›»
(Oudin-Cassou, p.€111)
«â•›Sur cette question de l’âne, don Quichotte réfléchit un peu, cherchant à
se rappeler si quelque chevalier errant s’était fait suivre d’un écuyer monté
sur un baudet.€ Mais jamais sa mémoire ne put lui en fournir un seul.â•›»
(Babelon, p.€83)
«â•›Cela embarrassa quelque peu don Quichotte, qui chercha à se rappeler
si jamais chevalier errant avait été accompagné d’un écuyer à dos d’âne.â•›»
(Schulman, p.€82)
Exemple 6
«â•›Frisaba la edad de nuestro hidalgo con los cincuenta años […].â•›» (Rico,
p.€36)
Exemple 7
«â•›[…]€tienes tu alma en tu cuerpo y tu libre albedrío como el más pintado
[…].â•›» (Rico, p.€10)
«â•›[…] dans ton corps tu disposes de ton âme et de ton libre arbitre en
souverain […].â•›» (Cardaillac, p.€4)
«â•›[…] tu as ton âme chevillée au corps et ton libre arbitre comme le plus
habile […].â•›» (Canavaggio, p.€392)
«â•›[…] tu as ton ame en ton corps, & ton liberal arbitre aussi bien que le plus
mignon & le mieux habillé.â•›» (Oudin, p.€vi)
«â•›[…] tu as ton âme en ton corps, et ton libre arbitre, aussi bien que le plus
mignon et le mieux habillé […].â•›» (Oudin-Cassou, p.€52)
«â•›[…] tu as ton âme logée dans ton corps avec son libre arbitre, autant que
le mieux fourni€[…].â•›» (Babelon, p.€4)
«â•›[…] ton âme t’appartient, tu as ton libre arbitre autant que n’importe qui
[…].â•›» (Schulman, p.€38)
Exemple 8
«â•›[…] y la mula del vizcaíno tan al vivo, que estaba mostrando ser de alquiler
a tiro de ballesta.â•›» (Rico, p.€109)
«â•›[…] la mule du Biscayen était si bien prise sur le vif qu’à bonne distance
elle sentait la bête de louage.â•›» (Cardaillac, p.€95 + noteâ•›: «â•›A tiro de ballestaâ•›:
à portée d’arbalète, à bonne distance.â•›»)
«â•›[…] et la mule du Biscayen si bien prise sur le vif qu’à un tir d’arbalète elle
sentait la bête de louage.â•›» (Canavaggio, p.€460)
«â•›[…] & la mule du Biscayn y estoit si bien representee au vif, qu’elle
monstroit à veuë d’œil estre de loüage.â•›» (Oudin, p.€78)
«â•›[…] et la mule du Biscaïen y était si bien représentée au vif qu’on
l’aurait reconnue à un tir d’arbalète pour être de louage.â•›» (Oudin-Cassou,
p.€125)
«â•›La mule du Biscayen était figurée tellement au vif, qu’à portée d’arbalète
on y reconnaissait une bête de louage.â•›» (Babelon, p.€103)
«â•›La mule du Biscayen avait été si bien prise sur le vif que l’on reconnaissait
la bête de louage à une portée d’arbalète.â•›» (Schulman, p.€97)
Les traductions françaises de Don Quichotte 131
Exemple 9
«â•›[…] no se os dé dos maravedís […].â•›» (Rico, p.€14)
«â•›[…] n’y attachez pas pour deux maravedís d’importance […].â•›» (Cardaillac,
p.€6â•‚7. Le mot maravedís est en italique dans le texte original.)
«â•›[…] ne vous en souciez pas pour deux liards.â•›» (Canavaggio, p.€394)
«â•›[…]€ne vous en souciez pas pour un liard […].â•›» (Oudin, p.€ix)
«â•›[…]€ne vous en souciez pas pour un liard […].â•›» (Oudin-Cassou, p.€54)
«â•›[…] n’en faites pas cas pour deux maravédis […].â•›» (Babelon, p.€7â•‚8)
«â•›[…] ne vous en souciez nullement […].â•›» (Schulman, p.€28)
Exemple 10
«â•›[…] anduve mirando si parecía por allí algún morisco aljamiado que los
leyese, y no fue muy dificultoso hallar intérprete semejante€[…].â•›» (Rico,
p.€107╂108)
«â•›[…] je cherchai si l’on ne voyait pas par là quelque More aljamiado qui
pût le faireâ•›; un tel interprète ne me fut pas difficile à rencontrer […].â•›»
(Cardaillac, p.€93 + noteâ•›: «â•›Moro aljamiadoâ•›: More parlant le castillan. On
appelait aljamia la langue castillane parlée par les Mores, et algarabia la
langue arabe parlée par les Espagnols. De là vient notre motâ•›: charabia.â•›» Le
mot aljamiado est en italique dans le texte original.)
«â•›[…] je regardai si n’apparaissait pas dans les parages quelque morisque frotté
de castillan qui pût les lire, et je n’eus pas grand peine à trouver semblable
interprète […].â•›» (Canavaggio, p.€458â•‚459 + noteâ•›: «â•›Un morisco aljamiado,
dit l’original, c’est-à-dire, parmi les descendants des musulmans demeurés
dans la péninsule à la fin de la Reconquête (1492) à condition de devenir
chrétiens, un de ceux qui étaient capables de parler castillan. […]â•›»)
«â•›[…] ie me mis a regarder s’il paroissoit point par là quelque Morisque
sçavant, qui les leustâ•›: & ne me fut pas fort difficile de trouver un interprete
semblable […].â•›» (Oudin, p.€77 + noteâ•›: «â•›De la Synagogue.â•›»)
«â•›[…] je me mis à regarder s’il ne paraissait point là quelque Morisque
castillanisé qui les lût et me servît d’interprète, ce qui ne me fut pas fort
difficile à rencontrer€[…].â•›» (Oudin-Cassou, p.€124)
«â•›[…] je me mis à regarder si je n’apercevais point quelque Morisque parlant
castillan qui pût les lire, et je n’eus pas grand’peine à rencontrer un tel
interprète […].â•›» (Babelon, p.€101)
«â•›[…] je me mis aussitôt en quête d’un morisque parlant notre langue, qui pût les
lire pour moi. Je trouvai sans peine mon interprète […].â•›» (Schulman, p.€96)
132 «â•›Avez-vous lu Cervantèsâ•›?â•›»
Textes cités
Anonyme, «â•›Glossaireâ•›», Ato, http://www.ling.uqam.ca/sato/glossaire/glos_idx.htm,
site consulté le 7 janvier 2008 [en ligne].
Canavaggio, Jean, Don Quichotte, du livre au mythe. Quatre siècles d’errance, Paris,
Fayard, 2005.
Cervantès, Miguel de, Œuvres romanesques complètes, Paris, Gallimard (Bibliothèque
de la Pléiade), 2001 [éd.€Jean Canavaggio], t.€1.
—, Don Quijote de la Mancha, Barcelone, Instituto Cervantes / Crítica, 1998 [éd.
Francisco Rico], t.€1.
—, L’ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche, Paris, Seuil, 1997 [trad.€Aline
Schulman], t.€1.
—, L’ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche, Paris, Gallimard, 1988 [trad.
César Oudin revue par Jean Cassou], t.€1.
—, L’ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche, Paris, La Cité des Livres, 1929
[trad.€Jean Babelon], 4€t.
—, L’ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche, Toulouse, Privat, 1923â•‚1926
[trad.€Xavier de Cardaillac et Jean Labarthe], 4€t.
—, L’ingénieux don Quixote de la Manche, Paris, Jean Foüet, 1614 [trad.€César
Oudin].