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Marwan : C’est compliqué, je peux pas ouvrir les fenêtres parce [l’eau]
rentre…
Faire ses besoins et les faire faire aux enfants demande de réflé-
chir aux possibilités qui existent. Le soir, Marwan refuse de l’eau
aux enfants lorsqu’ils en réclament pour ne pas qu’ils aient envie
d’uriner et soient obligés de sortir la nuit dans la rue. Le matin,
ils doivent affronter le froid et trouver un coin discret.
1. Pour parler de sa fille, Marwan, dont la maîtrise du français est imparfaite,
utilise un pronom personnel masculin, ce qui a conduit l’enquêtrice à croire
dans un premier temps que Balkis était un garçon.
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1. Les possibilités de manger de Marwan ne sont pas les mêmes que celles
de ses enfants, qui déjeunent tous les jours à la cantine. À partir du mois
d’octobre, l’assistante sociale de la ville lui a donné « deux cartes pour aller
manger » dans un foyer pour les repas du midi. Si l’école a vite mis en place les
douches pour les enfants dans le gymnase, cette possibilité de se laver n’inclut
pas Marwan. Grâce à l’intervention de l’assistante sociale, il peut aller se laver
dans un foyer autre que celui dans lequel il mange.
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1. Les années 1990 en Algérie sont marquées par des attentats et une lutte
de pouvoir entre l’armée algérienne et la branche armée de l’islam politique.
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rie, arrête ses études, l’une de ses cadettes vend actuellement des
téléphones portables, l’autre a arrêté ses études de sage-femme pour
se marier, l’un de ses cadets est ouvrier et le benjamin est encore
lycéen. Contrairement à la famille de son mari qui vit toujours en
Algérie, la famille d’Hachima vit dorénavant en Espagne. Selon les
déclarations de Marwan, Hachima a travaillé dans le textile (« Les
draps, les couvertures tout ça »), puis elle est devenue femme de
ménage dans un centre commercial au sein duquel elle est montée
en grade jusqu’à devenir responsable d’un petit groupe d’employées
à l’entretien.
Les parents de Balkis ont en commun d’avoir connu un déclas-
sement social par rapport à leurs milieux d’origine. Sauf que l’exil
fait suite aux difficultés scolaires du père tandis qu’il semble la
cause de celles de la mère. La comparaison de leurs scolarités
respectives est plutôt en faveur de celle-ci :
Marwan : Elle était mieux, moi, non. Voilà. Elle est toujours la première,
toujours.
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aînés par les plus jeunes) rythmaient les fins de journée avec une
grande régularité et avaient pour effet de limiter les usages de la
télévision, qui n’était possible qu’« après sport, après les études.
Donc c’est pour ça, j’t’ai dit, il nous reste pas beaucoup de temps
pour faire dessin animé ».
Ce cadrage horaire se relâchait le dimanche (le samedi étant
organisé autour des compétitions de natation des deux aînés), jour
pendant lequel la famille pouvait se rendre à des fêtes locales et
où les enfants regardaient la télévision dans la pièce commune. Ils
dessinaient ou jouaient. Certains jeux auxquels participaient aussi
les parents semblent avoir eu une fonction éducative, notamment
le Master Mind auquel Marwan jouait enfant et qu’il a racheté en
Espagne. C’est aussi le cas de ceux contenant des lettres de l’alpha-
bet dont il sera question plus loin. La famille possédait de plus une
tablette, utilisée à tour de rôle et pour une durée limitée.
Le contrôle parental semblait centré sur le travail scolaire des
enfants et sur certains aspects seulement du contenu de leurs acti-
vités (comme la lecture ou la télévision). Par exemple, parents
et enfants regardaient peu la télévision ensemble à part certaines
compétitions sportives, et si Marwan peut citer une série que la sœur
aînée de Balkis regardait beaucoup (Hannah Montana), il semble
surtout avoir veillé à ce que ses enfants ne regardent pas des pro-
grammes déconseillés au moins de 16 ou 18 ans. « Il a pas droit.
Parce que c’est des moins, des plus de dix-huit ans, plus de seize
ans, plus de treize ans… Donc j’aime pas que ma fille, que… Tu
vois ? » De la même manière, lorsque les enfants empruntaient des
livres ou des DVD à la bibliothèque, il pouvait les conseiller mais
les laissaient surtout se fier aux classements par âges :
Enquêtrice : Et est-ce que vous les aidiez à choisir ?
Marwan : Non, normalement non, tu vois pourquoi ? Parce que, les
bibliothèques par âge, tu vois ? Bleu, vert, marron, chacun… Donc,
y’a pas de problèmes.
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1. Balkis est née un jour seulement avant l’anniversaire de son père (Marwan
raconte en souriant avoir demandé à sa femme d’attendre un jour de plus
pour la mettre au monde) et celui-ci indique, comme un signe particulier de
cette proximité, qu’elle a le même groupe sanguin que lui. Ils semblent tous
deux entretenir une complicité particulière qui se traduit par le fait qu’elle lui
demandait systématiquement (et avec succès) de lui masser les pieds avant de
dormir, dans la période où ils vivaient dans la voiture.
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était réglée par les parents) étaient dispensées aux enfants pour
renforcer certains comportements jugés positifs :
Marwan : Je le donne pour…
Enquêtrice : Pour lui dire c’est bien, les félicitations…
Marwan : Oui, pour faire un peu [rire]. Pour la prochaine fois il pense.
Enquêtrice : Pour qu’il pense que, pour qu’il fasse mieux après ?
Marwan : C’est ça, pour être, je le fais bien. Pour continuer… Oui c’est ça.
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qu’il incite ses enfants à lire. Marwan lit aussi régulièrement des
journaux (un journal local lorsqu’il vivait en Espagne, des journaux
gratuits en français au moment de l’enquête) mais s’il lui arrivait
de discuter de l’actualité avec d’autres adultes en Espagne, il le fait
rarement avec ses enfants, préférant même qu’ils soient dans une
autre pièce pour aborder certains sujets qui pourraient les inquiéter.
Ses enfants ont fréquenté très régulièrement une bibliothèque muni-
cipale où ils empruntaient des livres. Ils en avaient également dans
leur logement sur des étagères dans leurs chambres. Il s’agissait
essentiellement de manuels scolaires (« des livres de les études »). Il
est arrivé à Marwan et à sa femme de lire des histoires aux enfants
sans que cela semble très ritualisé (les enfants étant fatigués les
soirs de semaine). Cependant, la lecture, les livres, la bibliothèque
sont pour Marwan très important. « C’est sacré », dit-il. Et quand il
évoque son père mort avant la naissance de Balkis, et dont il parle
très souvent à ses enfants, il insiste sur son amour de la lecture :
« Il est beaucoup lire. Il va dormir, il faut un bouquin… Il aime
beaucoup, il aime beaucoup. »
Pour autant, bien plus qu’à la notion de loisirs, la lecture est
très clairement associée à la notion d’efforts d’apprentissage
pour Marwan, qu’il s’agisse des siens pour apprendre le français
écrit ou qu’il s’agisse des apprentissages scolaires de ses enfants.
S’il accompagnait ses enfants à la bibliothèque tous les jours en
Espagne, c’est clairement pour qu’ils fassent leurs devoirs en se
servant éventuellement des dictionnaires ou des ordinateurs dis-
ponibles, même s’ils pouvaient emprunter des livres et des DVD.
Cette association de la lecture au travail d’apprentissage davantage
qu’au plaisir est visible lorsque l’enquêtrice lui demande si la
famille a fréquenté la bibliothèque lors du précédent été : « C’est
toute l’année, les études, bibliothèque, natation… C’est, c’est trop,
donc… L’été les vacances, il faut un peu… tranquillité. Reposer un
peu. » Pour Marwan, il semble presque incongru d’associer lecture
en bibliothèque avec l’idée de loisir ou de repos.
Marwan ne décrit pas vraiment les livres que lisent ses enfants
et ne semble pas leur trouver de particularités, leur fonction étant
essentiellement d’apprentissage de la langue écrite : « Je crois que
les livres pour les enfants sont pareils, je crois. Sont p’t-être les
mêmes paroles… » C’est dans la même perspective qu’il montre
les panneaux et les plaques visibles dans les rues à ses enfants
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Marwan : C’est ça ! C’est bien pour non fatiguer l’estomac. […]
Enquêtrice : Et vous discutez tous ensemble ?
Marwan : Oui, oui, oui, avec les enfants, pour passer le temps, pour
oublier les…
Enquêtrice : Les problèmes ?
Marwan : Les problèmes. Pour les enfants, il faut donner toujours…
Enquêtrice : Oui, pour donner comme de l’espoir en fait.
Marwan : Voilà, c’est ça, oui, c’est ça, oui !
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Marwan : Oui. J’ai rien la vérité, mais moi toujours je lui dis : « Je peux
pas acheter rien maintenant, jusqu’à que nous avons une maison. »
Parc’que moi je lui dis maintenant, avant « quand on quitte l’hôtel,
nous avons une appartement ». Et ’fin d’compte…
Enquêtrice : Et en fin de compte, c’est pas sûr.
Marwan : C’est pas sûr […]. Moi je lui dis à les enfants : « Maintenant
c’est bon. À partir de l’hôtel, nous avons une appartement. » Mais
ensuite je l’explique, heu c’est pas pour longtemps, parce que, peut-être
il y a que’qu’chose. [Les enfants me disent :] « Toujours comme ça,
papa, toujours une semaine ici, une semaine là ! » [sourire] Et je peux
pas rien faire, c’est, on résiste un peu.
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1. Une enquête des services sociaux a été lancée. Aucune action n’a été
menée à notre connaissance au mois de juin suivant (à la fin de notre propre
période d’investigation).
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1. Après les temps de « regroupement » pendant lesquels les élèves assis sur
les bancs devant le tableau interactif sont réunis, ils se séparent par groupes
(portant des noms de couleur différents) pour les « ateliers » pendant lesquels
chaque groupe a un travail différent (souvent sous forme de fiche). Le groupe
dans lequel se trouve Balkis réunit essentiellement des enfants d’origine popu-
laire et précarisée en difficulté scolaire.
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répète les syllabes après elle avec application. Elle est concentrée,
et ouvre grand la bouche pour bien articuler.
Balkis est la seule qui ne réussit pas l’exercice, et c’est aussi
celle qui se fait le plus aider par l’enseignante. Il est possible que
le caractère imaginaire de l’animal dont il s’agit de trouver le
nom entrave la compréhension de la consigne. En effet, si Balkis
manifeste une grande attention et s’applique à l’apprentissage de
nouveaux mots en se concentrant aussi sur leur dimension for-
melle (elle est observée à plusieurs reprises durant cette journée
en train de répéter silencieusement, pour elle-même, en articulant
distinctement des mots que viennent de prononcer la maîtresse
ou d’autres élèves), la fonction instrumentale, communication-
nelle du langage va l’emporter sur une fonction plus esthétique
ou ludique que supposent nombre d’exercices scolaires. C’est le
même type de rapport pratique plus qu’analytique au langage,
dans un rapport qui privilégie sa fonction communicationnelle,
qu’on observe lorsque Balkis répond à son enseignante, dans la
séquence suivante, « à côté » de ce qui est attendu en termes de
précision lexicale.
Dans cette séquence, l’enseignante annonce le travail à faire sur
un nouveau livre, Le Petit Chaperon rouge. À partir des images que
l’enseignante montre sur le livre, il faut raconter l’histoire en levant
la main pour être interrogé et avoir le droit de prendre la parole.
Enseignante : Il est où, le loup ?
Balkis [en levant la main] : Dans un arbre.
Enseignante : Il est caché derrière un arbre. Caché, Balkis. Ca-ché.
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Il y a d’abord un silence.
Balkis : Je sais pas. Ça c’est quoi en français ?
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