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RÉFORME
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n’est qu’en 1992, par exemple, que le français fut rétabli aux épreuves du © Armand Colin | Téléchargé le 06/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.107.69.169)
baccalauréat des séries Sciences de la nature et Sciences exactes après une
interruption de près de sept ans, d’autant plus dommageable qu’à l’univer-
sité, de nombreuses filières dispensaient – et dispensent encore – leur
enseignement en français (médecine, pharmacie, chirurgie dentaire, archi-
tecture, école vétérinaire, polytechnique, etc.).
Dans ces limites communes aux langues étrangères, nous signalerons que
le français jouissait néanmoins, avant la réforme, d’un statut relativement
privilégié. Son enseignement débutait alors en quatrième année primaire
tandis que l’anglais n’était introduit qu’en deuxième année de collège et
l’allemand ou l’espagnol, en deuxième année de lycée. La réforme a
conservé au français ce statut de première langue étrangère, compte tenu
du facteur historico-linguistique et de ses éléments les plus évidents : un
usage répandu du français dans l’économie et la société algériennes, la
présence en France d’une forte communauté algérienne, de nationalité ou
d’origine, le volume et l’intensité des échanges bilatéraux de tous ordres.
Cette démarche s’est inscrite dans une reconsidération globale de l’appren-
tissage linguistique. Le français a été considéré au sein de l’ensemble des
1. Palais des Nations, Alger, samedi 13 mai 2000. Site Web de la présidence de la République :
<www.el-mouradia.dz>.
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« Algérie, l’enseignement du français »
d’un enseignement. © Armand Colin | Téléchargé le 06/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.107.69.169)
Ainsi, dans le cas de l’école algérienne, il nous semble que ce n’est pas
tant le fait que l’on enseigne plus ou moins d’heures de français que celui
de les enseigner plus tôt qui fera la différence. Il n’est pas besoin ici de
rappeler les bienfaits prouvés et universellement reconnus de l’apprentis-
sage précoce d’une langue étrangère, de même que ceux d’un apprentissage
simultané de plusieurs langues. Désormais, les écoliers algériens se voient
offrir la possibilité de passer, dès la seconde année, à une situation de
diglossie (arabe et français) puis, de triglossie en quatrième année (arabe,
français et tamazight) pour aboutir à une polyglossie au collège avec
l’introduction de l’anglais. En outre, dès l’année prochaine, la deuxième
année de lycée, verra l’introduction de la filière « Langues étrangères » qui
bénéficiera de l’enseignement d’une langue supplémentaire, l’allemand ou
l’espagnol au choix de l’élève3.
2. Le tamazight désigne l’ensemble des langues dites « berbères » en usage (kabyle, chaoui,
mozabite, tamachek, etc.) ; son enseignement est actuellement assuré dans dix wilayas
(départements) pilotes.
3. L’enseignement secondaire a été restructuré. En première année, deux troncs communs :
Lettres-Sciences humaines et Sciences de la nature et de la vie. Puis il se ramifie en neuf
filières dont la nouvelle filière Langues étrangères.
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Le Français aujourd’hui n° 154, Former au français dans le Maghreb
monde évoluait à une vitesse surprenante, cet immobilisme s’est traduit par © Armand Colin | Téléchargé le 06/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.107.69.169)
une sclérose certaine de l’école, au plan des programmes et des méthodes,
un encroutement des habitudes chez ses différents acteurs et, en consé-
quence, une difficulté objective à injecter massivement du changement.
Ceux qui reprochent à la réforme de ne pas avancer plus vite devraient à
la fois considérer le poids considérable du passé et l’envergure des change-
ments attendus, et mesurer, à titre d’illustration, le gap à combler entre le
vécu étriqué de l’élève au sein de l’école et son ouverture débridée au
monde dans le cybercafé de la même rue.
Nous ajouterons qu’il ne s’agissait pas seulement de réformer, au sens de
changer, mais également de remettre à niveau un enseignement dont la
vertu légitime de démocratisation s’est traduite par des concessions trop
larges à la qualité et notamment au niveau du recrutement des enseignants.
Ainsi, l’enseignement du français ne peut être dissocié de celui de
l’ensemble des matières, les contraintes et les faiblesses étant bien partagées
du point de vue de la surcharge des classes (en moyenne 40 élèves) et des
4. Source : ministère de l’Éducation nationale. À noter cette remarque du président
Bouteflika : « (…) malgré les taux de scolarisation affichés, il est établi que les poches de
non-scolarisation et les phénomènes de déscolarisation persistent et continuent de s’élargir,
en particulier au détriment des filles et des catégories sociales à faible revenu (…). »
Op. cit., en note (1).
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l’université, celle des médias, à travers la presse écrite francophone, les chaines © Armand Colin | Téléchargé le 06/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.107.69.169)
de radio et de télévision nationale ou captées via les satellites, la pratique de la
navigation Internet extrêmement répandue chez les jeunes7. Par ailleurs,
certains éléments du français se voient largement utilisés par l’arabe dialectal
et tamazight, sous le mode de code-switching ou alternance de codes.
À l’école, les prescriptions du nouveau programme se traduisent par la
quasi-équivalence en volume et en activités de l’oral et de l’écrit et permet-
tent aujourd’hui d’exposer l’apprenant à des documents sonores authenti-
ques (enregistrements audio d’émissions, chansons, discussions…), ouvrant
à la découverte des variantes orales de la langue, à la meilleure compréhen-
sion des accents, etc. Par ailleurs, l’apprentissage du français – comme des
autres langues, nous le rappelons – n’est plus figé dans la monopolisation de
la parole par l’enseignant, qu’il ne concédait que pour des réponses à ses
questions. La prise de parole spontanée ou sollicitée, les échanges au sein de
binômes ou de groupes, l’exposé, les jeux de rôles et, d’une manière générale,
l’expression des élèves et entre élèves sont préconisés.
7. La télévision algérienne dispose d’une chaine satellite, Canal Algérie, émettant en fran-
çais. La chaine 3 de la radio algérienne émet en français sur plusieurs fréquences (GO,
FM, OM). On estime à 6 000 le nombre de cybercafés en Algérie. Les panneaux indica-
teurs, enseignes et éléments de signalétiques sont généralement bilingues (arabe-français).
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« Algérie, l’enseignement du français »
Les diverses activités de lecture sont menées sur des supports authenti-
ques (extraits d’œuvres littéraires, articles de presse, publicités, iconogra-
phies commentées…). Grande nouveauté, la bande dessinée fait son entrée
à l’école tandis que l’abandon des textes dits « adaptés de » marque l’émer-
gence d’une immersion de l’élève dans les pratiques réelles de la langue.
Dès le primaire, les enfants sont exposés à tous les types de discours et de
textes. Et pour la première fois, y compris chez les tout-petits, l’œuvre
complète entre dans le programme sous toutes ses formes (conte, poème,
nouvelle, roman, pièce théâtrale), l’objectif étant d’amener l’élève à décou-
vrir la cohérence interne d’un texte, à se familiariser avec les différents
genres et, in fine, à conquérir une capacité autonome de lecture.
Les activités de langue ne sont plus enseignées pour elles-mêmes. Ainsi,
la grammaire, la conjugaison, le vocabulaire et l’orthographe sont désor-
mais liés à des objectifs définis. Ils deviennent, à l’oral comme à l’écrit, les
outils d’une finalité qui les rend non seulement opportuns, mais visibles et
utilisables par les élèves en situations scolaires ou en situations authenti-
ques de communication.
Sur le plan de l’écriture, les nouveaux programmes ont sonné le glas des
clichés sur le « don d’écriture ». L’écriture est rétablie en tant que processus
de construction : essai-erreur, erreur-remédiation, remédiation-réécriture,
etc. Les élèves, qui pastichaient maladroitement des modèles, découvrent
aujourd’hui plusieurs types d’écritures : l’écriture de reformulation
(résumé, synthèse), l’écriture utilitaire (listes, modes d’emplois…) et l’écri-
ture d’invention (créations littéraires ou autres). De même, les programmes
introduisent l’écriture collective sous forme de projets de groupes.
Même si les évaluations diagnostique et sommative conservent leurs
places, la réforme donne plus de poids à l’évaluation formative. En fran-
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çais, cela se vérifie dans l’expression écrite où la consigne d’écriture s’enri- © Armand Colin | Téléchargé le 06/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.107.69.169)
chit des critères d’évaluation et des seuils d’exigence. Alors qu’auparavant
l’orthographe déterminait quasi-exclusivement la note attribuée, aujour-
d’hui, les idées, l’argumentation et la structure des textes produits deviennent
des indicateurs d’intégration des apprentissages en mesure de déboucher
sur des séances de remédiation.
Enfin, nous signalerons que l’introduction des technologies de l’infor-
mation et de la communication éducatives (TICE) apporte un souffle
nouveau à l’apprentissage du français, notamment dans un pays où la navi-
gation Internet constitue un véritable phénomène de société, aussi bien en
milieu urbain que rural.
Les nouveaux manuels scolaires de français reflètent cette nouvelle
approche de l’enseignement-apprentissage. En dépit de quelques mala-
dresses, dues à l’inexpérience et au caractère radicalement nouveau des
programmes, ils se distinguent des anciens par leur richesse de contenu et
une meilleure qualité graphique8.
8. Jusqu’à présent six nouveaux manuels scolaires de français ont été produits au fur et à mesure
de la mise en place de la réforme : 2e et 3e années primaires, 1re, 2e et 3e années moyennes et
1re année secondaire.
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Le Français aujourd’hui n° 154, Former au français dans le Maghreb
Et demain ?
L’ampleur des changements introduits par la Réforme nécessite l’ouver-
ture d’un énorme chantier. L’enjeu le plus important réside dans la prépa-
ration des enseignants, tant dans l’adaptation des formations initiales,
relevant de l’enseignement supérieur (Écoles normales supérieures) que des
formations continues, relevant du ministère de l’Éducation nationale.
Celui-ci a lancé dans ce sens un programme de mise à niveau de 120 000
enseignants du primaire et du moyen, sous le mode d’une formation à
distance. Parallèlement, les critères de recrutement ont été relevés à Bac + 3
pour les instituteurs, à Bac + 3 pour les professeurs de collèges et à Bac + 5
pour ceux des lycées.
La grande avancée des programmes, imprégnés des dernières recherches
en didactique, introduit un autre enjeu, celui de leur faisabilité dans une
réalité scolaire marquée par de lourdes contraintes dont le poids des effec-
tifs n’est pas le moindre. Cela pourrait sembler une gageure et plus que
jamais, s’impose la précaution exprimée au départ d’une « nouvelle poli-
tique éducative pour une période couvrant celle d’une génération » et de la
nécessité d’un « échéancier de mise en œuvre graduelle ».
Comme tout changement, la réforme suscite des résistances, mais celles-
ci paraissent plus liées à des appréhensions qu’à des rejets manifestes de son
contenu par les acteurs du monde de l’éducation. Sur le terrain, si les
choses ont commencé à évoluer, il est encore trop tôt pour en apprécier les
résultats concrets.
Aujourd’hui, le français est enseigné plus qu’auparavant. Il devrait
surtout être différemment et mieux enseigné. En l’occurrence, ce n’est pas
tant le volume horaire qui compte mais la qualité des méthodes et la
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performance des enseignants. En outre, faisant bénéficier le français d’un © Armand Colin | Téléchargé le 06/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.107.69.169)
apprentissage plus précoce, la Réforme l’a doté d’un atout loin d’être négli-
geable.
Les nouveaux programmes mettent fin à l’ambivalence jusque là exis-
tante entre une méthodologie de langue maternelle et une méthodologie
de langue seconde. Considéré désormais sous l’angle du FLE (français
langue étrangère), la réforme lui ouvre le champ d’une meilleure adéqua-
tion avec la réalité linguistique globale de la société algérienne et l’aspira-
tion de celle-ci à une plus grande ouverture sur le monde.
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