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La dynamique migratoire : quels facteurs causaux de la

fuite des cerveaux ? Une étude dans le contexte


économique des territoires insulaires caribéens
Fanny-Aude Bellemare, Frédéric Carluer
Dans Revue d’Économie Régionale & Urbaine 2013/5 (décembre), pages 891 à 909
Éditions Armand Colin
ISSN 0180-7307
ISBN 9782200928711
DOI 10.3917/reru.135.0891
© Armand Colin | Téléchargé le 04/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.72.160.156)

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&
La dynamique migratoire : quels facteurs
causaux de la fuite des cerveaux ? Une
étude dans le contexte économique des
territoires insulaires caribéens

Migration dynamics: what causal factors


of brain drain? A study in the economic
context of the Caribbean island territories

Fanny-Aude B ELLEMARE
Université des Antilles et de la Guyane et CEREGMIA
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Faculté de droit et d’économie
fanny.bellemare@gmail.com

Frédéric C ARLUER
Université de Caen et NIMEC
UFR de Sciences Économiques et Gestion
frederic.carluer@unicaen.fr

Mots clef : capital humain, données de panel, économies insulaires caribéennes,


taux d’émigration qualifiée, tests de causalité

Keywords : Human capital, panel data, Caribbean island economies, qualified


emigration rate, causality tests

Classification JEL : F22, J61, C23, O15, H52

rticle on line 2013 - N° 5 - pp. 891-909 Revue d’Économie Régionale & Urbaine 891
La dynamique migratoire

Résumé
Les principaux travaux théoriques et économétriques relatifs aux dynamiques migratoires ont jusqu’à
présent privilégié l’étude des retombées ou encore les facteurs explicatifs induits par la fuite des cerveaux.
En prolongement de ces analyses, cet article se concentre sur l’effet causal de la fuite des cerveaux
et s’efforce de le tester. À partir d’un échantillon d’îles de la Caraïbe insulaire, cette étude met en
évidence les facteurs causaux clés à l’origine de l’émigration de la main-d’œuvre hautement qualifiée.

Abstract
The main theoretical and econometrical works relating to migration dynamics have so far considered
the study of impacts or explanatory factors induced by brain drain. As an extension of these analyzes,
this article focuses on the causal effects of the brain drain and attempts to test them. From a sample
of islands in the Caribbean bow, this study highlights key causal factors of the emigration of highly
skilled labor.
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Fanny-Aude B ELLEMARE, Frédéric C ARLUER

-1-
Introduction
Traditionnellement, la disposition naturelle des hommes à migrer vers des terri-
toires abondant en ressources est sans nul doute considérée comme un phénomène
inextinguible. Appréhendées au sein de l’économie mondiale comme un facteur de
développement économique, les mobilités internationales des populations se sont
fortement accrues depuis les années 60. Aujourd’hui, les migrations sont générale-
ment ordonnées par l’existence de facteurs économiques, politiques et également
sociaux. Dans une économie de la connaissance, les enjeux économiques sont cru-
ciaux pour les pays développés dont les avantages technologiques sont confortés
par l’attractivité des travailleurs qualifiés (BEINE et DOCQUIER, 2001 ; FOUREL, 2003 ;
LODIGIANI, 2008 ; CARLUER, 2009 MARCHIORI et al., 2013). Ils le sont, à rebours, pour
les pays en développement qui peuvent être victimes de ce « brain drain » si des
flux économiques et de capitaux ne contrebalancent pas cette perte de compétences
à long terme et si des politiques d’aides spécifiques ne sont pas mises en œuvre
(FAINI et VENTURINI, 1993 ; POIRINE, 1995 ; CANALES, 2007 ; BARFLEUR-LANCREROT,
2008 ; DUSTMAN et al., 2011 ; GROSSMANN et STADELMANN, 2011). Les écarts de taux
d’émigration des travailleurs qualifiés sont éloquents à l’échelle de la planète : ils
vont de moins de 1% aux Etats-Unis à plus de 40% en Polynésie, Mélanésie et dans les
Caraïbes, en passant par l’Europe à moins de 10% (cf. Figure 1 : BERNARD-GROUTREAU,
2007 ; WORLD BANK, 2013).

Si les mouvements migratoires de la diaspora caribéenne ne dérogent pas à cette


règle, ils ont toutefois une caractéristique spécifique commune : la fuite des cerveaux
est plus marquée (THOMAS-HOPE, 2002 ; PRACHI, 2005). De Cuba à Trinidad, les
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îles de la Caraïbe insulaire sont enclines à une tendance forte au départ de la main-
d’œuvre qualifiée. Parmi les dix premiers pays enregistrant un taux d’émigration
qualifiée élevé en 2005 (entendu comme le rapport entre le nombre d’émigrants et
la somme des natifs : résidents et émigrants), quatre îles appartenant à l’arc caribéen
sont répertoriées (RATHA et XU, 2008) : la Jamaïque et Haïti enregistrent des taux
d’émigration qualifiée de près de 80 %, tandis que Trinidad et Tobago et l’île de
Grenade présentent des taux de 78% et 67% d’émigration qualifiée respectivement.

Ce haut niveau et cette progression des taux de migration constituent un sujet à


forts enjeux au sein du champ de l’économie du développement, et plus largement de
l’économie internationale et de la démographie (CASELLI et VALLIN, 2003, DOCQUIER
et RAPOPORT, 2012). Bien qu’abondantes, les recherches en la matière ne font
nullement l’objet d’un consensus quant aux effets induits des migrations de la
main-d’œuvre tant pour le pays d’origine que pour le pays d’accueil (GORDON et
MC CORMICK, 1994). En effet, si les premiers travaux de GRUBEL et SCOTT (1966)
ou de JOHNSON (1967) mettent en avant les externalités positives de l’émigration
qualifiée par le biais de divers canaux de transmission (transferts de fonds, réseaux
socioprofessionnels, retours des migrants), les théories plus récentes exposent des
thèses plus pessimistes quant à l’importance des retours de l’émigration qualifiée
sur l’économie (BHAGWATI et HAMADA, 1974 ou encore HAQUE et KIM, 1995) tant en
matière d’investissements publics que d’inégalités socio-économiques défavorables

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La dynamique migratoire

à la croissance de long terme. A tout le moins, il y aurait donc des gagnants et des
perdants de l’émigration des travailleurs qualifiés selon le niveau de développement
du pays d’origine et l’importance des externalités occasionnées et compensations
obtenues (BEINE et al., 2008). Sur la dernière décennie, les travaux empiriques vont
même jusqu’à fixer le seuil maximal du niveau du taux d’émigration qualifiée non
défavorable au développement économique : « un taux d’émigration qualifiée positif
mais limité entre 5 % et 10 % peut être bon pour le développement » (DOCQUIER, 2007, p.
49).

La validité empirique de cet argument induit des questionnements quant à la


situation des économies insulaires caribéennes déjà sujettes à une forte propension
de migrations internationales et qui, pour la plupart, ne contiennent pas leur taux
d’émigration qualifiée en deçà de 20 %. D’autres îles de la Caraïbe enregistrent des
taux d’émigration qualifiée relativement importants, oscillant entre 20 et 60 % : la
Barbade avec 61 %, Saint-Vincent et la Dominique avec des taux de l’ordre 57 %, ou,
dans une moindre mesure, Sainte-Lucie avec 36 % ou encore Cuba avec 29 %.

Sur moyenne période, le phénomène migratoire va en s’intensifiant dans cette


région. Ainsi, devant la forte propension migratoire de la main-d’œuvre qualifiée de
la Caraïbe insulaire, la problématique de cette étude porte sur un nouvel éclairage
des ressorts structurels et des impacts propres à cette hémorragie de compétences
pour les territoires caribéens, lesquels mettent en exergue l’importance de contenir,
par des politiques publiques, cette logique apatride.

Après avoir mis en perspective les théories économiques qui se sont penchées sur
la relation émigration qualifiée-croissance et les principaux résultats empiriques qui
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en sont issus (partie 2), une analyse démo-économique propre au contexte caribéen
est réalisée (partie 3). La méthodologie relative aux tests de causalité en données
de panel est alors présentée et appliquée aux îles de la Caraïbe insulaire (partie 4)
avant que les résultats des estimations soulignant les facteurs-clés de l’émigration
des personnes qualifiées ne soient exposés (partie 5).

1.1. Le cadre théorique de l’économie des migrations et


résultats empiriques
La littérature économique des migrations date des années 1960. Le terme « fuite
des cerveaux » couramment utilisé aujourd’hui, apparaît pour la première fois dans
un article de la British Royal Society (1963), pour décrire les départs massifs de main-
d’œuvre qualifiée du Royaume-Uni vers les grands pôles économique de l’Amérique
du Nord (États-Unis, Canada).

Suite à l’augmentation des taux de migrations de la main-d’œuvre, les décideurs


politiques des pays d’origine mais aussi des pays d’accueil se sont interrogés sur
les retombées directes et indirectes de la fuite des cerveaux. Les premières théories
soulignent qu’un « brain drain » génère des externalités positives par le biais de divers
canaux de transmission (transferts de fonds, marché du travail locaux, accès aux
technologies, insertion dans des réseaux, retours de migrants relativement fortunés

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Fanny-Aude B ELLEMARE, Frédéric C ARLUER

et compétents) selon GRUBEL et SCOTT (1966), JOHNSON (1967) ou encore MIRACLE


et BERRY (1970). En retenant l’hypothèse de mobilité parfaite des hommes et des
capitaux, au travers des divers canaux précités, les effets néfastes d’une fuite des
cerveaux peuvent être amoindris. L’émigration des travailleurs qualifiés apparaît dès
lors comme une des contributions à l’accroissement de l’activité économique du
pays de départ sur le long terme.

À partir des années 1970, une série de travaux s’inscrit dans une logique de
repérage des retombées négatives de l’émigration qualifiée (BHAGWATI et HAMADA,
1974; HAQUE et KIM 1995). Les thèses retenues précisent qu’une fuite des cerveaux :

– conduit à la perte nette des investissements publics injectés dans la formation de la


main-d’œuvre des pays d’origine;
– contribue à accroître les inégalités sociales;
– et diminue le produit par tête et les capacités d’innovation des pays d’origine.

C’est la raison pour laquelle il avait été envisagé dès 1972 (« Bhagwati tax »)
de taxer forfaitairement, mais sans succès, les migrants qualifiés dans le but de
compenser la perte occasionnée par le pays d’accueil suite à leurs départs. Selon
MC CULLOCK et YELLEN (1975, 1977) « c’est un jeu à somme nulle où les gagnants
(les pays riches) s’enrichissent davantage et les perdants (pays pauvres) deviennent plus
pauvres ». Selon ces auteurs, la fuite des cerveaux engendrerait donc principalement
des externalités négatives pour les pays en développement, limitant dès lors leur
croissance économique.

La théorie moderne de la croissance endogène opère un retour à l’étude des effets


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positifs de la fuite des cerveaux. Cette dernière entraînerait des externalités positives
en matière de niveau d’éducation et des salaires. Par exemple, MOUNTFORD (1997)
et STARK et al. (1997a) démontrent qu’une fuite des cerveaux peut créer plus de
capital humain et augmenter le niveau moyen d’éducation. L’application de mesures
et de politiques restrictives quant à l’immigration des travailleurs dans les pays
d’accueil pousse les travailleurs qualifiés, attirés par des emplois durables, à accroître
leurs compétences. Une probable émigration de travailleurs qualifiés implique
des comportements d’« investisseurs » dans l’éducation et dans la formation, pour
augmenter leurs qualifications via la poursuite d’études en particulier. A terme, les
migrations effectives, généralement moins importantes que les migrations prévues,
entraînent une compensation des effets négatifs de l’exode des cerveaux dans la
mesure où une progression des rendements de l’éducation s’opère. Toutefois, ces
arguments sont à nuancer. LUCAS (2004), en conservant les mêmes hypothèses,
précise que la qualification augmentée des travailleurs peut s’avérer inadéquate
aux besoins spécifiques d’un pays. Ainsi, les diplômés ne sont pas nécessairement
employables sur le marché du travail et de facto n’induisent pas une hausse du
capital humain1 .

MOUNTFORD et RAPOPORT (2011), ou encore STARK et al. (1997b), expliquent


quant à eux, à partir d’une réflexion en termes de salaires, que la fuite des cerveaux
peut être considérée comme un déterminant de l’accroissement de la productivité

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La dynamique migratoire

d’une économie dès lorsqu’elle est fonction croissante de la proportion de personnes


éduquées dans le pays en question. À partir d’une analyse sur les « petits États » selon
son expression (reprise par la BANQUE MONDIALE, 2000), principalement des îles du
Pacifique, ils démontrent que l’émigration temporaire ou permanente impacte à la
hausse le niveau de revenu ou l’égalité en termes de revenus.

Quant aux contributions empiriques, elles confirment l’existence d’une relation


ambiguë entre fuite des cerveaux et croissance. Sans remettre en cause les résultats
théoriques constatés, et en dépit d’une quasi-indisponibilité de séries temporelles,
elles aboutissent à des résultats relativement robustes. À titre d’exemple, CARRINGTON
et DETRAGIACHE (1999), pionniers en matière de calculs du taux d’émigration,
estiment, à partir de données normalisées aux États-Unis, le taux d’émigration par
niveau d’éducation en distinguant trois niveaux de qualification : le primaire, le
secondaire et le tertiaire. DOCQUIER et MARFOUK (2006) améliorent quant à eux la
mesure des taux d’émigration qualifiée sur un échantillon plus large regroupant 175
pays sur la période 1990-2000. De même, DEFOORT (2008) fournit de nouvelles
estimations, sur une période plus longue, des migrants résidant dans les pays de
l’OCDE en tenant compte des niveaux de qualification. Enfin, DOCQUIER (2007)
consolide ces arguments en donnant une nouvelle mesure du taux d’émigration
qualifiée (égale au taux d’émigration moyen multiplié par la « différence éducative »)
et en apportant des précisions quant au niveau du taux d’émigration qualifiée
acceptable (son étude porte sur l’ensemble des pays du monde et montre que le
taux d’émigration est sept fois supérieur pour les petits pays (dont la population est
inférieure à 2,5 millions d’habitants) que pour les « grands » (population supérieure
à 25 millions). D’après une synthèse des études macroéconomiques, il considère
qu’au-dessus de 15%, un taux d’émigration de la population qualifiée serait ici
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préjudiciable à la croissance des pays en développement, « le taux optimal d’émigration
qualifiée (qui maximise les gains du pays) étant probablement compris entre 5 et 10 % »
dans la mesure où les migrants qualifiés ont moins tendance à revenir au pays que
les autres.

Ainsi, ces travaux alimentent les études empiriques portant sur l’analyse des effets
de la fuite des cerveaux sur la croissance économique via une pluralité de canaux. Prise
globalement, l’analyse économique des migrations (tant théorique qu’empirique)
recèle nombre de contradictions. Le consensus autour des effets positifs et négatifs
de la fuite des cerveaux n’est donc pas clairement établi.

-2-
Analyse démo-économique du contexte caribéen
La réflexion sur les migrations insulo-caribéennes, de la période coloniale à
l’époque contemporaine, révèle une « construction mosaïque » (où la géographie,
l’histoire, le social et l’économie sont intrinsèquement liés) qu’il importe d’expliquer
de manière globale et comparée.

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Fanny-Aude B ELLEMARE, Frédéric C ARLUER

En effet, si les taux d’émigration des travailleurs qualifiés ont toujours été
conséquents dans l’histoire, ils ont toujours revêtu une importance particulière
pour les îles, quelle que soit leur taille d’ailleurs. En la matière, les Caraïbes avec un
taux excédant 40% se situent au sommet de la hiérarchie mondiale (cf. Figure 1).

Figure 1 – La fuite des cerveaux dans le monde, taux d’émigration des


travailleurs qualifiés
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Source : BERNARD-GROUTREAU (2007) ; voir aussi WORLD BANK (2013, p. 235).

Analysée en profondeur, l’histoire des faits migratoires démontre ainsi des dépla-
cements des populations dynamisées sous les effets conjugués de leurs spécificités
économiques et sociales liées principalement à leur position géographique. Cette
approche réflexive précise que les flux de migrants dans cette région du monde sont
à la fois de nature extra-régionale et intra-régionale (cf. Figures 2-3-4 ci-après).

Tout d’abord, s’agissant des migrations extra-régionales, qui s’étendent de 1950 à


2000, trois sous-périodes décrivent le schéma migratoire de ces îles :

– de 1950 à 1970, les migrations sont de « nécessité alternative », stimulées par les
droits économiques et sociaux accordés par l’ancienne métropole ;
– ensuite, de 1970 à 1990, les migrations sont influencées par des facteurs de pulsion
et d’attraction ;
– et, depuis cette date, les migrations sont induites par les mutations socio-
économiques.

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La dynamique migratoire

Après la seconde guerre mondiale, les terres d’expatriation en reconstruction font


appel à un grand nombre de travailleurs insulaires caribéens en quête d’emploi
et capables d’honorer les commandes importantes et les nouveaux volumes de
production. Durant les décennies 50, 60 et 70, l’assouplissement des procédures
administratives migratoires et l’accessibilité à certains droits assurés par l’Etat-
providence ont favorisé la convergence des flux de migrants. Les migrations sont
qualifiées de « nécessité alternative ». Cette expression reflète l’idée d’un accord
implicite convenu entre les ex-pays colonisateurs désireux de bénéficier des retombées
positives de la libéralisation des échanges et les économies insulaires de la Caraïbe
souhaitant réduire leurs niveaux de chômage jugés élevés. A cette période, nombre
de Guadeloupéens et Martiniquais émigrèrent grâce au BUMIDOM (BUreau pour le
développement des MIgrations dans les départements d’Outre-Mer, qui fut remplacé
par l’Agence Nationale pour l’Insertion et la promotion des travailleurs de l’Outre-
Mer (ANT), et aujourd’hui L’Agence De l’Outre-mer pour la Mobilité (LADOM)),
à l’image de l’exemple Porto Ricain où fut créé, un bureau des migrations au
sein du département du travail. De même, dans les îles anglophones, la mise en
place des mêmes procédés fut appliquée par l’administration « coloniale » assistant
l’émigration de la main-d’œuvre.

Sur la période 1980-90, les mouvements migratoires de la diaspora caribéenne se


poursuivent de manière auto-renforçante. ZIMMERMANN (1996) met en avant l’idée
de confluence de facteurs économiques et sociaux tirant à l’extérieur de leur pays
d’origine et vers les pays d’accueil les travailleurs. Les mouvements migratoires dans
la Caraïbe insulaire relèvent durant cette période de ces forces centrifuges. Dans ces
économies insulaires et également entre ces économies et les pays développés, les
inégalités de salaires sont d’ampleur considérable. Parallèlement, il est observé un
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chômage élevé : de 10,2 % en moyenne pour les 25 Etats de la Caraïbe insulaire
(selon le BIT en 2010) et des taux d’accroissement démographique galopants2 . Ce
contexte met en exergue les multiples facteurs latents de pulsion.

Parallèlement, durant cette décennie, les migrations s’expliquent également à


travers des facteurs d’attraction. Les accords commerciaux (convention de Lomé
en 1975, les accords de partenariat ACP-UE3 et CARIBCAN4 ) et la pénétration des
investissements directs étrangers tendent à réduire la part du secteur agricole et à
contenir la part déjà faible du secteur industriel au profit du tertiaire dans l’activité
économique des territoires insulaires caribéens. Dans ce contexte, les migrations
du capital humain hors de la région favorisent l’accès à de nouvelles stratifications
d’emplois, stables et biens rémunérés

Dans les années 1990-2000, les migrations se poursuivent sous les effets des
mutations socio-économiques. Le nombre de personnes migrant hors de ces terri-
toires relève plus d’une flexibilité du travail accrue et de la segmentation du marché
du travail particulièrement marquée dans ces territoires. Dans la Caraïbe insulaire, le
nombre de personnes migrant hors de ces territoires évolue de 909 000 à 1 071 000,
entre 1990 et 2000. D’autres facteurs jouent aussi un rôle-clé dans l’augmentation
des flux de sortants : les choix personnels des migrants orientés par l’intéressement
aux systèmes éducatifs et de formation jugés performants mais aussi les différentiels

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Fanny-Aude B ELLEMARE, Frédéric C ARLUER

en termes de niveau de vie et de salaires entre pays d’accueil et pays d’origine. A


ce sujet, les cartes ci-dessous illustrent bien l’activation des flux de migrants de la
diaspora caribéenne sur la période 1950 à 2000 dans quelques États de la Caraïbe.

Enfin, les mouvements migratoires intra-caribéens se sont développés (BORDA et


MARIN, 2008). Ils s’expliquent principalement en raison de la proximité des territoires
insulaires. Nonobstant les traits historiques communs, selon GROSFOGUEL (1997, p.
599), la possibilité de migrer d’une île à l’autre s’avère de facto limitée par les barrières
linguistiques et législatives5 venant freiner l’installation potentielle des travailleurs
provenant de la région.

L’analyse macroscopique de l’état de l’évolution des migrations dans la Caraïbe


dévoile l’intensification des mouvements migratoires de la main-d’œuvre entre 1950
et 2010. Durant la dernière décennie, la tendance à l’émigration est d’autant plus
forte que le niveau d’éducation acquis par la population s’élève. Le tableau 1 souligne
l’évolution proportionnelle à la hausse de l’émigration de la main-d’œuvre qualifiée
par niveau d’enseignement dans la Caraïbe. A l’instar des pays développés, la part
des migrants ayant un niveau d’éducation primaire demeure faible.

Selon DOCQUIER et MARFOUK (2006), à partir d’un échantillon d’îles, le taux


moyen de la main-d’œuvre migrant hors des pays d’origine et atteignant un niveau
d’éducation primaire est de 8 %. Le pourcentage de migrants disposant d’un niveau
d’éducation secondaire dans l’ensemble des îles s’élève ici à 37 %.

Le cas de la Dominique, avec un taux d’émigration qualifiée de 61 %, de la


Grenade avec un taux de 70 % et de Saint-Vincent et les Grenadines avec 53 %,
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illustrent ce constat lié à des conditions d’insertion professionnelle difficiles. Dans
ces îles, nous supposons que l’accélération de l’émigration des populations qualifiées
tient aux motifs d’exigüité du territoire mais également à l’absence d’institutions
d’enseignement supérieur dessinant des perspectives de gains salarial ou d’embauche
dans des marchés du travail trop engorgés.

A l’échelle de la Caraïbe insulaire, le taux moyen d’émigrants qualifiés ayant un


niveau d’éducation supérieur atteint quant à lui près de 63 % en moyenne. Les îles
de la Jamaïque et de la République d’Haïti sont les plus fortement enclines au départ
de la main-d’œuvre hautement qualifiée. Les taux d’émigration de la main-d’œuvre
disposant d’un niveau d’éducation supérieure dans ces dernières atteignent jusqu’à
80 %. Suivent les îles d’Antigua et Barbuda, Saint-Kitts et Nevis, Trinidad et Tobago
et Grenade avec des taux de l’ordre de 70 %. Ainsi, pour des niveaux d’éducation
plus élevés, les taux d’émigration de la main-d’œuvre s’accroissent.

2013 - N° 5 Revue d’Économie Régionale & Urbaine 899


La dynamique migratoire

Figure 2 – Les routes migratoires intra et extra-caribéennes (1950-2000)


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Tableau 1 – Taux d’émigration de la main d’œuvre (en %) vers les pays de


l’OCDE entre 1970 et 2000 selon le niveau d’éducation selon D OCQUIER et
M ARFOUK (2006)

Pays Primaire Secondaire Supérieur


Antigua et Barbuda 6 36 71
Bahamas 2 12 36
Barbade 10 24 61
Dominique 8 61 59
Grenade 10 70 67
Haïti 3 28 82
Jamaïque 8 30 83
République Dominicaine 6 31 22
Saint-Vincent - les Grenadines 6 53 57
Saint-Kitts et Nevis 10 37 72
Sainte-Lucie 3 32 36
Trinité et Tobago 6 21 78
Moyenne 8 37 63
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-3-
Méthodologie : tests de causalité en données de panel
et application à la Caraïbe
En termes de méthodologie, l’étude réalisée ici pour tester l’effet causal du taux
d’émigration qualifiée s’appuie sur le modèle de HURLIN (2005). L’économétrie en
données de panel permet de contourner les problèmes induits par l’absence de séries
chronologiques. Cette méthode est donc ici appropriée pour les données ponctuelles
à disposition qui sont relatives à la fuite des cerveaux dans la Caraïbe.

Cette méthode de causalité en données de panel repose sur deux étapes.

La première consiste à éclairer le caractère homogène ou hétérogène6 du panel


à travers un test d’homogénéité. Ce travail préalable permet de choisir les tests de
causalité à effectuer d’une part et d’éviter des premières conclusions erronées d’autre
part.

2013 - N° 5 Revue d’Économie Régionale & Urbaine 901


La dynamique migratoire

À partir de l’hypothèse : : =0 = 1,...N, l’équation (1) est établie comme


suit :

(1)

est la variable expliquée du modèle, associée à l’individu i, à la période t.


Les paramètres sont identiques pour tous les individus. Les coefficients de
régression ont une dimension individuelle et sont constants pour k .
Afin de respecter le caractère du panel, il est préconisé de construire la statistique de
Fisher ( ).

La deuxième étape consiste à l’application d’un test de causalité en suivant la


nature du panel déterminé précédemment. À partir du modèle de base, on inclut les
effets individuels présumés fixes.

Soit l’équation (2) :

(2)
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En retenant la procédure de tests établit par HURLIN (2005), deux configurations
possibles sont retenues. Il s’agit d’effectuer un test suivant les hypothèses ci-dessous.
Ce test s’écrit :

: =0 = 1,...N contre : =0 = 1,...N.

0 = + 1, +

L’application du test de causalité revient à calculer la statistique à l’aide de


la statistique de Wald individuelle7 suivant une loi normale centrée réduite.

En ce qui concerne notre application, l’estimation s’appuie sur les 5 îles les plus
enclines à l’émigration qualifiée, à savoir la Jamaïque, la République d’Haïti, la
Barbade, la Grenade et la République de Trinidad et Tobago.

Bien que DOCQUIER (2007) procède à la construction d’une base de données


harmonisée du taux d’émigration qualifiée, le récent calcul de la statistique du taux
d’émigration qualifiée rencontre des problèmes de disponibilité : « il y a un large
consensus sur le fait que les données relatives à l’émigration, quand elles sont disponibles,
sont incomplètes et imprécises. Aussi, le moyen de capter la structure de l’émigration est de

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Fanny-Aude B ELLEMARE, Frédéric C ARLUER

collecter des données sur l’immigration... C’est une tâche complexe étant donné le manque
d’harmonie et de régularité des données sur le stock de l’immigration internationales dans
les pays receveurs ». L’absence de données nécessaires à l’établissement d’une base
statistique fine et robuste requiert l’usage d’une proxy. Ainsi, le taux net de migration
est utilisé en tant que variable à expliquer afin d’élargir le panel de données, en
supposant la forte corrélation entre le taux de migration qualifiée et le taux net de
migration.

Comme dans nombre de travaux, nous avons choisi la méthode de régression pas
à pas descendante8 . La période de référence est augmentée. Les données procédant du
test de causalité en données de panel, suivant le modèle de HURLIN et VENET (2004),
sont collectées en panel sur la période 1965-2010 pour les cinq pays susmentionnés.
Le niveau de signification p-value est fixé au seuil de 10 %. Nous retenons quatre
variables explicatives : le taux de scolarisation primaire, le taux de chômage et le taux
de croissance du PIB qui sont des fonctions positives du niveau d’émigration qualifiée
dans la Caraïbe insulaire, et les dépenses publiques qui contribuent négativement
aux fluctuations du taux d’émigration qualifiée. Nous avons choisi de retenir la
signification du taux de chômage à hauteur de 13 % en raison du fort pourcentage
du chômage dans ces territoires insulaires.

-4-
Les résultats des estimations
Les résultats de la régression pas à pas descendante sont présentés ci-dessous
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(cf. Tableau 2). La régression attribue un coefficient positif et significatif aux
variables explicatives que sont le taux de croissance du PIB par habitant, le taux de
scolarisation primaire et le taux de chômage. Le coefficient des dépenses en éducation
est négatif et statistiquement significatif au seuil de 1 %.

Tableau 2 – Résultats de la première régression

Etape Variables t P > |t| Variable éliminée P > 0,10

TXSCOP 2,58 0,020


DEPUBP -2,64 0,018
4 TXPIB/hab 1,82 0,088 Aucune
TXCHO 1,59 0,130
Const 1,10 0,287
R2 = 0,506 ; nombre d’observations = 25 ; nombre de groupes = 5

À partir de l’estimation (1), il convient de construire la statistique de Fisher (ou


F-statistique). Les résultats des composantes de la statistique de Fisher-Snedecor9

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La dynamique migratoire

sont présentés dans le tableau 3. Le F théorique associé au degré de liberté (4,85),


soit 2,94, est inférieur au F calculé équivalant à 28,52. L’hypothèse est acceptée, le
panel est non homogène. En d’autres termes, eu égard au taux d’émigration qualifiée
(la variable expliquée), la Caraïbe insulaire demeure hétérogène.

Tableau 3 – Composantes de la statistique de Fisher

RSS0 – RSS1 43667979654,00


4
K (N–1)
10 916 994 914
85
N (T–2K–1)
382 729 651

Enfin, toute étude relative à un panel hétérogène nécessite d’opérer un test


causalité en données de panel (HURLIN, 2005 ; DUMITRECU et HURLIN, 2012). Les
résultats de la deuxième régression sont résumés dans le tableau 4. À ce stade, il
convient de rappeler qu’il existe deux possibilités dans le cas d’un panel hétérogène.
Tout d’abord, la première est qu’il y a dans un panel de n individus, n relations de
causalité de X vers Y ; les dynamiques de X vers Y sont ici différentes et on parle alors
« d’heterogeneous causality » (HEC). La seconde est relative à l’existence d’une non
causalité ; la causalité de X vers Y, existant pour un sous-groupe du panel ou pour au
moins l’un des pays, est appelée « heterogeneous non causality » (HENC).
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Tableau 4 – Résultats du test de non causalité homogène

DEPPUB(-1) TXSCOP(-1) TXPIBHAB(-1) TXCHO(-1)

La Barbade 1,995 0,387 -0,439 1,063


Jamaïque -1,007 0,301 -0,407 1,919
Haïti 1,332 0,863 -0,507 -0,63
Grenade 0,614 -1,894 1,076 1,122
Trinidad et
1,046 0,621 -0,618 -0,307
Tobago
Moyenne 0,796 0,055 -0,179 0,633
Z -0,322 -1,493 -1,864 -0,579

En retenant la statistique Z10 , les estimations effectuées montrent que, en suivant


les principes de lecture de la statistique standardisée de HURLIN et VENET (2004),
si est supérieure en valeur absolue à la valeur critique, l’hypothèse de non
causalité est rejetée. Dans notre étude, seule la variable « taux de croissance du
PIB » est causale. L’équation relative au revenu caribéen par tête dégage une capacité

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Fanny-Aude B ELLEMARE, Frédéric C ARLUER

causale satisfaisante pour au moins un pays. La qualité de l’estimation économétrique


permet d’affirmer que le taux de croissance du revenu des Caribéens est la variable
causale du taux d’émigration qualifiée, c’est-à-dire le principal déterminant.

Par ailleurs, plusieurs inférences se dégagent de l’équation causale du taux


d’émigration qualifiée, mettant en évidence des caractéristiques typiques à la Caraïbe
insulaire.

– Tout d’abord, les résultats montrent qu’il y a une direction unique de la relation
de causalité entre taux d’émigration qualifiée et les autres variables explicatives.
Quatre pays, Barbade, Trinidad et Tobago, la République d’Haïti et Grenade sont
caractérisés par une non causalité entre les taux d’émigration qualifiée et les variables
explicatives. Aucun des facteurs explicatifs pris en considération ne présente un effet
causal de la fuite des cerveaux. L’analyse empirique induit un raisonnement portant
sur une absence forte de facteurs causaux de l’émigration des personnes hautement
qualifiés dans la Caraïbe insulaire. Plutôt que de conclure à l’absence d’effets causaux,
ce résultat pourrait être interprété par le fait que, quelque soit le pays, la tendance au
départ de la main-d’œuvre hautement qualifiée hors de la zone d’origine est un fait
généralisé.

– Deuxièmement, la Jamaïque est le seul pays pour lequel le taux d’émigration


qualifiée résulte principalement du taux de croissance du PIB par tête. La baisse
du taux de croissance du PIB par tête explique plus de 94 % de la variance des
mouvements migratoires des personnes hautement qualifiées. Ce résultat permet de
nuancer l’idée selon laquelle la nature et les causes des fortes propensions à émigrer
des travailleurs dans ces territoires proviennent à la fois de leurs différents traits :
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spécificités économiques, position géographique, insularité et réalités historiques.
En d’autres termes, la fuite des cerveaux s’accroît significativement à mesure que
diminue le niveau de vie du pays.

– Par ailleurs, si les fluctuations du taux de croissance du PIB par habitant


alimentent le phénomène de fuite des cerveaux, elles viennent parallèlement générer
le processus d’inégalités économiques particulièrement soutenu dans cette région.
En effet, on peut supposer que le départ hors de la zone d’origine de la main-d’œuvre
hautement qualifiée vers un marché du travail primaire (c’est-à-dire la volonté
d’accéder à un emploi stable et bien rémunéré) vient réduire le niveau des inégalités
économiques.

Ainsi, à partir de l’analyse économétrique, le taux de croissance du PIB par habi-


tant, est considéré comme étant la seule variable causale de la fuite des cerveaux
dans la Caraïbe. Il semble bien que des variations typiques des taux de croissance
du PIB par habitant et une dynamique inégalitaire se soient installées dans le temps
mais également dans la structure économique des économies insulaires caribéennes
ici étudiées. La tendance au départ des personnes hautement qualifiées questionne
les dotations en capital humain de la population caribéenne potentiellement trans-
formable en avantage compétitif. Le pouvoir amélioratif de l’émigration qualifiée,

2013 - N° 5 Revue d’Économie Régionale & Urbaine 905


La dynamique migratoire

évoqué entre autres par MOUNTFORD (1997), est de ce point de vue empirique remis
en cause.

Enfin, une discussion relative au constat de la non conformité théorique de


la Caraïbe doit ici être menée. L’étude de cette région ne conforte pas les récents
modèles théoriques, avant tout en raison de son positionnement géographique mais
pas seulement ; l’histoire et l’actualité des relations avec la métropole semblent ici
jouer un rôle bien particulier. Si DOCQUIER (2007) énonce qu’une amélioration du
niveau d’éducation vient augmenter le taux d’émigration des personnes hautement
qualifiées, l’analyse empirique menée semble venir en contradiction avec ce résultat
en ce qui concerne les économies caribéennes étudiées. Il convient de signaler que
dans la Caraïbe le taux de scolarisation (primaire ou secondaire) n’induit pas, et
ce par aucun canal de transmission, un amoindrissement ou une augmentation
avéré(e) de la fuite des cerveaux. Le cas de la Caraïbe vient donc contredire la théorie
économique classique des migrations. Les conclusions théoriques de LUCAS (2004),
qui faisaient ressortir la spécificité des économies insulaires, sont en adéquation
avec nos conclusions. En effet, les résultats semblent remettre en cause la possibilité
d’absorption des personnes qualifiées sur un marché du travail trop « étroit » dans
ces pays aux caractéristiques typiques. On peut supposer qu’au regard de l’exigüité de
ces territoires, l’absence de politiques industrielles propres à dynamiser le système
productif tend à limiter la demande d’emplois dans un secteur secondaire encore
insuffisamment développé.

-5-
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Conclusion
Dans la littérature économique relative à l’étude des migrations, la probléma-
tique de la fuite des cerveaux s’oriente autour des effets sur les grands agrégats
macroéconomiques.

À partir des observations statistiques, fondées en partie sur les travaux empiriques
de BEINE, DOCQUIER et RAPOPORT réalisés depuis 1990, notre recherche se concentre
non pas sur les effets mais sur les causes du « brain drain ». Cette étude appliquée aux
économies insulaires caribéennes se focalise sur le taux d’émigration des personnes
hautement qualifiées dont le niveau semble historiquement élevé et la dynamique
croissante. En appliquant la méthodologie des tests de causalité en données de panel
aux pays de la Caraïbe insulaire, il est montré que la seule variable causale avérée de
cette émigration massive est le taux de croissance du PIB par habitant.

Les conclusions adjacentes de l’analyse de causalité sont variées. Les effets


présumés défavorables de cette fuite des cerveaux tels que la possibilité d’accroître
la dynamique inégalitaire ou encore la perte en capital humain venant alourdir le
paradoxe d’une croissance sans compétitivité sont ici confortés. Enfin, l’infirmation
des théories économiques traditionnelles prônant un retour sur investissement

906
Fanny-Aude B ELLEMARE, Frédéric C ARLUER

à terme de cette émigration dans le cadre particulier les économies insulaires


caribéennes vient souligner la dimension heuristique de ce travail.

En extension, il est probablement utile de poursuivre cette démarche, d’un point


de vue comparatif à partir de données finalisées, par région insulaire. Ces premiers
travaux pourraient inciter les pouvoirs publics à offrir des mesures d’accompagnement
spécifiques aux populations qualifiées désireuses de migrer et à mettre en oeuvre des
politiques économiques (en particulier au niveau du marché du travail et du secteur
industriel) adaptées au contexte géo-socio-économique dans lequel ils évoluent.

Au final, dans « la » société caribéenne, les débats récents portant sur la fuite
des cerveaux ainsi que les résultats des travaux empiriques soulignent l’importance
que joue l’éducation dans la dynamique économique de ces pays à moyen terme et
notamment son rôle de vecteur d’homogénéisation.

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Notes
1 - Le cas de la Tunisie, sur-dotée en travailleurs très qualifiés (en particulier en docteurs)
n’accédant pas à des emplois correspondant à leurs qualifications, est ici un bon exemple
de non appariement.
2 - La population de la Caraïbe s’élevait à 29,855 millions de résidents en 1980, à 34,353 en
1990 et à 41,951 millions en 2009. La population urbaine est passée quant à elle de 51,7
% en 1980 à près de 67% en 2010.
3 - Afrique Caraïbe Pacifique – Union Européenne.
4 - Caribbean-Canada Trade Agreement.
5 - La Caraïbe insulaire renferme la particularité d’être composée d’îles ayant des statuts
institutionnels divers, allant des États indépendants aux territoires rattachés ou faisant
partie intégrante de grandes puissances ou territoire national.
6 - Les termes d’hétérogénéité et de non homogénéité seront évoqués au sens de HURLIN.
7 - La statistique de Wald individuelle est la somme des moyennes calculé comme

suit : = , en fonction de l’équation (2).


8 - Le seuil de signification de la p-value est fixé à 10 %.
9 - La statistique de Fisher suit la loi de Fisher avec les degré de liberté et , égaux à K
(N-1) et N (T-2K).
10 - L’interprétation de la statistique Z s’établit à partir d’une loi normale centrée-réduite.
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