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André Combes
Dans Humanisme 2008/3 (N° 282), pages 57 à 63
Éditions Grand Orient de France
ISSN 0018-7364
DOI 10.3917/huma.282.0057
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DOSSIER
MAÇONNERIE,
MONDE FERMÉ
OUVERT SUR LE MONDE
André COMBES
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gation du secret sur les appartenances, les rites et le contenu des
réunions des loges. Cet engagement est concrétisé dès l’initiation par
un serment longtemps accompagné, en cas de défaillance, de
menaces dont le contenu durablement folklorique, prête aujour-
d’hui à sourire. Sans ce serment, il n’y aurait pas de Maçonnerie et
le respect du secret demeure toujours un des liens forts unissant les
adeptes de cette « antique confrérie ».
Les tenues des loges et des convents ne s’ouvrent et ne se ferment que devant des
maçons dûment authentifiés, hors des regards extérieurs. Et si, en 1884, le doc-
teur Blatin a fait adopter par le convent du Grand Orient, cet ajout à la consti-
tution de l’obédience : « La franc-maçonnerie possède des signes et des emblèmes
dont la haute signification symbolique ne peut être révélée que par l’initiation »,
c’est pour éviter toute dérive des loges vers une amicale conviviale ou un cercle
politique. Cette précision n’a pas été modifiée et, en ce sens, la Maçonnerie reste
un exemple original de monde clos, fondé sur la fraternité, l’expérience commu-
ne de la pratique maçonnique, la volonté de bâtir une société
« plus juste et plus éclairée ». La tentation de se délester de l’essentiel du rituel
ressurgira, sans succès, en fin de dix-neuvième siècle.
Dès l’origine et jusqu’à nos jours, elle n’a jamais été une société secrète.
Répondant à un député maçon qui s’inquiétait du sort réservé aux loges lors de
la discussion de la loi sur les clubs, en juillet 1848, le rapporteur, le pasteur
Coquerel, l’a définie comme une « société à secrets » ; la remarque est judicieuse.
Elle se différencie de la société secrète par le fait qu’elle a toujours eu pignon sur
rue, que ses responsables à tous niveaux sont connus des autorités et que les prin-
cipes dont elle se réclame sont à priori rassurants. Des loges ont certes pu servir
de modèle et même de point d’appui à des sociétés secrètes et les rituels maçon-
niques inspirer leurs rituels comme sous le règne de Louis XVIII, avec la
Charbonnerie, mais ce cas d’espèce est resté marginal. Il n’a concerné qu’une
petite minorité de maçons et de loges et a répondu à la nécessité pour les frères
républicains de s’abriter sous une couverture respectable. Les loges ne sont deve-
nues des sociétés secrètes que sous l’Occupation quand la Maçonnerie était inter-
dite et ses membres surveillés ou pourchassés.
UN SECRET INTRANSMISSIBLE
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tion. Cet objectif n’a pas été atteint car comme l’a écrit Irène Mainguy,
« toutes les tentatives de décrire ou de divulguer ce fameux secret maçonnique
resteront toujours vaines, car la franc-maçonnerie est avant tout une société ini-
tiatique qui transmet à ses membres un souffle de vie intérieure » 1. Le rituel per-
met aux maçons de s’extraire du monde profane, de rapprocher les frères, de dis-
cipliner les travaux. Le vécu initiatique relève de l’incommunicable.
Il en résulte que le secret exigible concerne surtout les noms des membres, pour
éviter qu’ils ne subissent des ennuis dans leurs vies professionnelle, politique ou
affective, et celui des délibérations afin que chacun ait l’assurance que ses propos
ne seront pas divulgués et surtout déformés. La confidentialité est la meilleure
garantie de la sincérité des débats.
Le serment et cette confidentialité des travaux sont à l’origine de tous les fan-
tasmes et continuent d’alimenter la suspicion à l’égard de la Maçonnerie et de ses
membres accusés de combines, d’hérésies ou de complots. Elle a conduit inexo-
rablement aux dénonciations, anathèmes et fatwas qui la frappent depuis l’ex-
communication fulminée en 1738 jusqu’aux ouvrages récents véhiculant tou-
jours le mythe de la société secrète, collationnant tous les ragots, multipliant les
sous-entendus pernicieux pour faire des maçons, des frères « invisibles ».
Société à secrets, la Maçonnerie est aussi une société ouverte sur l’extérieur avec
le désir constant d’être reconnue et estimée. D’où l’insistance sur les qualités
morales et l’exemplarité de la conduite exigée de ses membres. Une première
forme d’ouverture est la participation de profanes à des travaux maçonniques à
caractère rituel comme les tenues funèbres en usage dès l’Ancien Régime, les bap-
1
La Symbolique maçonnique du troisième millénaire, Editions Dervy, p.58.
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une République à ses débuts qu’une seule loge : celle du peuple.
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liers à ne pas s’immiscer « dans les affaires publiques ou les objets religieux » et à
se réjouir de la présence à la tête de la Maçonnerie « des hommes les plus recom-
mandables pour leur amour et leur dévouement pour la cause sacrée de nos rois ».
L’un d’eux, le duc Decazes, adresse une circulaire aux préfets, le 11 octobre 1818,
rappelant que la Maçonnerie est tolérée. Le Grand Orient est parfois saisi par le
ministère de l’Intérieur des problèmes que pose une loge et il lui est demandé de
diligenter une enquête ; mais il ne peut agir directement si elle a déjà été fermée
à la suite d’une dénonciation, provenant d’un de ses membres, d’un visiteur
mécontent ou d’un policier infiltré. C’est à elle qu’il revient de se justifier auprès
du préfet ou du maire ! Or, cette Maçonnerie est maintenant très représentée
dans le petit peuple des villes souvent frondeur et antigouvernemental, d’où la
nécessité pour l’Obédience d’avoir à sa tête des frères proches du pouvoir qui ont
pour fonction (officieuse) de la protéger.
En 1834, au lendemain des émeutes républicaines de Paris et de Lyon, Thiers
s’adressant également aux préfets, leur notifie les règles à suivre concernant les
loges suspectées, à tort ou à raison, d’être devenues des repaires de républicains.
Puis en 1851, le ministre orléaniste Baroche invite à son tour les préfets à sépa-
rer le bon grain de l’ivraie. La libéralisation du Second Empire, à partir de l’in-
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tervention française en Italie, va conduire le régime à relâcher sa surveillance sur
les loges et leur permettre à partir de 1865 de devenir des sociétés de pensée,
libres de débattre de tout sujet même des plus audacieux et de retrouver ainsi la
ferveur et l’enthousiasme qui les avaient caractérisées, après les Trois Glorieuses
en 1830 puis en février 1848. Les loges seront à nouveau surveillées sous la
Troisième République jusqu’en 1877 où la victoire électorale républicaine leur
rend leur totale liberté jusqu’à nos jours, à l’exception des années noires de
l’Occupation.
Cette prudence et la tradition du silence expliquent pourquoi nous ne disposons
que de peu d’impressions maçonniques originales et les écrivains comme
Stendhal ou Vallès n’ont pas fait confidence de leurs expériences. Le contenu des
livres d’architecture est souvent lénifiant ou stéréotypé. Le secrétaire pratique
l’autocensure, pour ne pas froisser des susceptibilités ou ne pas fournir matière,
avant la Troisième République, à une enquête du Grand Orient. Les revues
maçonniques, indépendantes des Obédiences mais vendues sur les parvis ou par
abonnements, sont parfois critiques comme sous l’Empire libéral où trois revues
républicaines : Le Monde maçonnique, L’Action maçonnique, proche des blan-
quistes et La Chaîne d’Union publient des comptes-rendus détaillés de tenues,
parfois sans complaisance. Puis l’usage se perd dans les années 1880 car ce genre
d’articles finit par lasser les lecteurs.
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Illustration de Jean-Pie Robillot
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Cette littérature anti-maçonnique ne s’appuie pas sur des enquêtes sérieuses
avant le « sauvetage » de La Franc-Maçonnerie démasquée par l’abbé Tourmentin
qui, grimé, s’introduit dans des loges, dispose d’un véritable service de rensei-
gnements à l’intérieur des obédiences, diffuse les comptes-rendus des convents,
établit la liste des frères députés, édite un répertoire des Maçons, crée un musée
dans ses locaux de l’Association antimaçonnique de France 2. Le Grand Orient
finit par prendre quelques précautions invitant les ateliers à ne faire connaître que
les trois premières lettres des noms des futurs initiés, sans mention de leurs pro-
fessions.
Entre les deux guerres, le Grand Orient conseille, par tracts, à voter pour le
Cartel des Gauches ; mais échaudé par la violence des campagnes anti-maçon-
niques, notamment après l’Affaire Stavisky et la publication de nouveaux réper-
toires anti-maçonniques (qui serviront à la constitution des fiches du Service des
sociétés secrètes), il porte un soutien plus discret au Front Populaire.
La politique d’ouverture sera relancée, mais prudemment, après la guerre, du fait
des récentes persécutions, par la reprise des conférences et l’émission radio men-
suelle sur France Culture. Il faudra attendre l’émergence d’une nouvelle généra-
tion, sous la Ve République, pour que le Grand Orient s’extériorise à nouveau et
cette pratique est de moins en moins mise en cause. Le premier grand colloque
national sur l’éducation (1962) suivi de tant d’autres, la parution d’Humanisme,
l’affichage à la Sorbonne en 1968, l’ouverture du musée de la rue Cadet, les expo-
sitions, la présence à diverses manifestations antiracistes, pour l’anniversaire de la
Commune et la défense de la laïcité, les prises de position obédientielle en por-
tent notamment témoignage.
2
Michel Jarrige : L’antimaçonnerie en France à la Belle Epoque, Arche Milano 2006.