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Le foncier dans la ville algérienne

L'exemple de Skikda
Hayette Nemouchi
Dans L'Information géographique 2008/4 (Vol. 72), pages 88 à 100
Éditions Armand Colin
ISSN 0020-0093
ISBN 9782200924249
DOI 10.3917/lig.724.0088
© Armand Colin | Téléchargé le 30/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.101.205.12)

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Le foncier dans la ville algérienne
L’exemple de Skikda
par Hayette Nemouchi

Hayette Nemouchi est doctorante à l’Université de Caen, Basse Normandie, CRESO


UMR ESO 6590.

Introduction
Dans la mesure où le foncier constitue un facteur décisif de l’étalement
urbain, l’articulation entre politiques foncières, politiques urbaines et politi-
ques d’aménagement est au centre de la question urbaine.
Les changements de politiques foncières (souvent liés aux changements des
idéologies politiques) influencent aussi bien l’organisation que le fonction-
nement des villes algériennes. Skikda en est une illustration. Située en
bordure de Méditerranée, à 500 km à l’est d’Alger, l’agglomération abrite
aujourd’hui près d’un million d’habitants. Que ce soit notre ville natale
nourrit une connaissance intime de la ville, enrichie de lectures traitant du
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foncier, de recherches statistiques et d’entretiens tant auprès des administra-
tions qu’avec des habitants des différents quartiers.
D’origine romaine, Philippeville au temps de la colonisation, Skikda s’est
développée dans un site complexe de collines séparées par les Oued Saf-Saf et
Zeremna dont les vallées s’épanouissent en une large plaine alluviale (fig. 1).
L’objectif dans cet article est d’envisager, en s’appuyant sur l’exemple de
Skikda, à travers la question du foncier, les relations entre les discours poli-
tiques et les pratiques sociales.

Skikda : quelques données


En Algérie la recherche obsessionnelle, à partir de 1962, d’un maillage
urbain national et de l’équilibre régional a souvent favorisé l’affermissement
et le développement de l’armature urbaine, au détriment de l’aménagement
interne des villes dont l’accroissement s’accélère brutalement. En référence
à une doctrine socialiste, l’urbanisation en Algérie a alors été façonnée par la
stratégie nationale de développement fondée sur le principe de « l’industrie

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Fig. 1 : Topographie de la ville de Skikda
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industrialisante » conduite dans le cadre d’une planification centralisée de
l’économie accompagnée par la révolution agraire lancée en 1971 . L’Algérie
crée un puissant appareil industriel (autour de la pétrochimie, de la méta-
llurgie, de la sidérurgie et de la mécanique) localisé dans les grandes villes lit-
torales ou à proximité (Oran, Arzew, Alger, Skikda, Annaba, Constantine…).
Ces pôles industriels attirent une masse de population très importante cons-
tituée d’ouvriers, souvent d’origine rurale, et de personnels d’encadrement
techniques et administratifs.
À Skikda, la demande en infrastructures et en logements a considérablement
augmenté à partir de la mise en place, en 1971, de la zone pétrochimique,
implantée dans la plaine fertile du Saf-Saf (800 ha), ce qui a mis fin à l’acti-
vité agricole de la commune de Skikda. Dorénavant, l’agriculture n’est plus
qu’un secteur primeur de l’activité de la ville (tab. 1).
Skikda est devenue un pôle attractif d’un flux d’immigration très important
(tab. 2). L’installation des immigrants dans la ville a atteint son maximum
entre 1966 et 1977 : près de 40% de la totalité des immigrants de la ville sont
arrivés au cours de la période 1968-1977.

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Le foncier dans la ville algérienne L’exemple de Skikda

Tab. 1 : Structure de l’emploi dans la ville de Skikda

Structure
1996 1987 1999
de l’emploi

Nombre % Nombre % Nombre %

Primaire 23 240 65,7 987 3,86 1 644 3,04

Secondaire 340 1 8 950 35,1 11 268 23,34

Tertiaire 13 779 33,3 15 565 61,04 35 389 73,02

Total 35 369 100 25 501 100 48 301 100


Source : DPAT (Direction de Planification et d’Aménagement du Territoire), 2001.

Tab. 2 : L’installation des migrants dans la commune de Skikda

Période Nombre %

Non déterminée 1 637 4

Avant 1962 12576 34,9

1966-1968 8 971 24,9


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1968-1977 12809 35,9

Total 35993 100


Source : H. Boukerzaza, 1991.

Il en est résulté une saturation en matière de logement dans l’ancien tissu


urbain. Les décideurs ont été dans l’obligation de lancer des programmes
d’habitat sur des terres agricoles conçus et réalisés dans l’urgence : l’Espérance,
la Cité des 700 logements, la Cité des 500 logements etc.… Mais les
demandes de logements ont été tellement importantes que ces projets n’ont
pas suffi à absorber l’augmentation de la population. (tab. 3)
Confrontée à cet état de fait, la population a été amenée à produire ou à faire
produire de nouvelles formes d’habitat allant, selon les catégories sociales et
leurs ressources, du bidonville aux grands lotissements de villas, juxtaposées
dans le désordre en périphérie urbaine, sur les terres agricoles.
La responsabilité des services de l’État dans la nouvelle répartition spatiale
de la population est considérable. Car en matière de législation, a été insti-
tuée en 1974 une politique de réserves foncières correspondant à une

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Tab. 3 : la croissance urbaine à Skikda (1977-1999)

Nombre Nombre Nombre moyen d’habitant


Année
d’habitants d’habitation par logement
1977 91 395 13 814 7

1987 121 495 19 108 6

1995 141 761 22 831 6

1998 144 208 25 679 6

1999 146 749 26 413 6


Source : URBAN (centre de recherche et de construction urbanistique), 2001.

municipalisation1 de toutes les terres situées à l’intérieur du périmètre urbain


des agglomérations. Pour l’État, c’était une manière de garder un regard sur
la gestion du patrimoine foncier et de le préserver de la spéculation en
confiant sa gestion à l’administration communale. Mais cette expérience a
montré ses limites : les municipalités ont consommé de vastes superficies
d’un foncier devenu facilement accessible pour elles. À Skikda, en l’espace
de 23 ans (de 1962 à 1985), la superficie du tissu urbain a été multipliée par
quatre (tab. 4). Extension qui se poursuit aujourd’hui. Au cours de cette
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période d’économie centralisée, la volonté de l’État de préserver les terres
agricoles contre la spéculation et l’urbanisation n’a guère été soutenue, que
ce soit par l’administration elle-même ou par la population
Les structures communautaires (un groupe de population originaire d’une
même commune) ont favorisé l’installation de certaines populations à proxi-
mité des grandes villes et précisément sur les terres agricoles périurbaines.
La collusion entre ces habitants et des élus ayant les mêmes origines géogra-
phiques a ensuite facilité l’installation définitive de ces populations, l’instal-
lation qui a d’abord commencé par une appropriation illicite du sol. C’est
une situation qui s’est produite dans de nombreuses villes algériennes.
En 1974, l’application de la deuxième phase de la révolution agraire, qui
porte limitation de la grande propriété foncière privée, a poussé les proprié-
taires privés à recourir à deux options différentes pour d’échapper à une
éventuelle nationalisation de leurs terres : soit augmenter leur surface bâtie,

1. Le législateur algérien a préféré attribuer aux Assemblés Populaires Communales (APC)


le monopole sur les transactions foncières. Le but était de permettre aux collectivités terri-
toriales de répondre aux besoins locaux en matière de constructions d’espaces résidentiels,
de zones d’activités et d’équipement.

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Le foncier dans la ville algérienne L’exemple de Skikda

Tab. 4 : L’évolution en surface de l’espace urbain de la ville de Skikda

Année Superficie de la ville de Skikda (ha) Nombre d’habitants

1962 162 55 757


1962-1975 230 84 543

1975-1985 688 112 860

1985-1992 1 086 135 633

1992-1998 1 698 144 208


Source : N. Hassini et S. Bragudi, 2001.

laissant juste ce qu’il faut pour leurs besoins personnels en terres agricoles,
soit vendre le surplus de leur patrimoine foncier à des prix considérables en
vue de le lotir. (S. Bedrani et A. Bouaita, in Elloumi, Jouve, 2003, p. 206).
Entre l’État et les propriétaires privés, les logiques d’utilisation de l’espace
ont toujours été contradictoires, d’où les multiples interventions de l’État sur
le foncier. Les enjeux ici portent, essentiellement, sur le droit d’accès à la
propriété foncière et la préservation de ce droit (sécurité foncière).
L’ordonnance de février 1974 créant des réserves foncières n’est pas allée au
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bout de ses objectifs : mettre fin à la spéculation foncière, dégager un porte-
feuille foncier en vue d’implanter des équipements – pour ne pas dire qu’elle
en a été détournée. C’est souvent une minorité de la population (groupes de
pression locaux, groupes d’intérêts professionnels, membres des classes
moyennes et aisées) qui a bénéficié des mécanismes mis en place.
L’attribution des lots de terrains de 400 à 600 m2, lots qui auraient pu permettre
la construction d’un petit immeuble de 10 appartements ou celle de trois à
quatre maisonnettes, a souvent servi à la construction de villas individuelles
(Bendjelid, Brûlé, Fontaine, 2004, p. 48). Le sol urbanisable, qui devait en
partie répondre aux problèmes de logement social en zone urbaine, a surtout été
utilisé par des populations ayant un statut social assez favorable ou appartenant
à des réseaux sociaux bien développés (familiaux, de clientèle, etc.).
Durant ces mêmes années (1975-1976), deux instruments urbanistiques, qui
allaient être largement utilisés en Algérie, ont vu le jour : les ZHUN (Zones
d’Habitation Urbaine Nouvelles) et les ZI (Zones Industrielles).
Instituée par la circulaire n° 355 du 19 décembre 1975, la ZHUN était
conçue comme un moyen de concrétiser le modèle de développement urbain
prévu par le Plan d’Urbanisme Directeur (PUD). Cette procédure devait

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répondre à l’énorme besoin en logements, pour héberger particulièrement les
travailleurs exposés à une intense mobilité géographique. Les décisions
concernant les approbations finales des études et les financements des opéra-
tions sont du ressort des services centraux des ministères de l’Urbanisme et
de l’Habitat et du ministère de la Planification. Les Assemblées Populaires
Communales (APC), qui devraient être sollicitées sur ces projets de ZHUN
(elles représentent les communes concernées par les programmes des ZHUN
avancés par le ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat) ne l’ont pas été. La
circulaire ministérielle n° 2178 du 12.09.1981 stipulait que les dossiers pou-
vaient être transmis au ministère de l’Urbanisme sans l’approbation des
Assemblées Populaires Communales (Abdelkader Smaîr, in Bendjelid et
alii, 2004, p. 205). Cette centralisation des décisions crée une distance entre
les acteurs centraux et les acteurs locaux, d’où les difficultés dans la mise en
application des différentes procédures d’urbanisme.
La politique des ZHUN a permis le développement rapide de certaines villes,
en multipliant par cinq leur superficie en moins de trente ans. À Skikda, les
Zones d’Habitat Urbain Nouvelles ont été ont été réalisées sans intervention
d’urbanistes ou de politiciens. Tous les terrains affectés à ces projets sont
jugés, selon les services de l’agriculture, comme des terres à haute valeur
agricole. Ainsi les ZHUN du 20 août 55, celle de Salah Boulkeroua, de
Merdj edib, de Bouyala…
L’analyse des extensions urbaines faites pendant cette période montre les
limites de la politique initiée au milieu des années 1970. Émerge une péri-
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phérie urbaine non maîtrisée dont la forme d’habitat est inadaptée à un
espace social toujours à la recherche de son identité (rurale ou urbaine). Ce
dont témoigne l’utilisation confuse de l’espace public de ces ZHUN. S’y
manifestent, par exemple, des pratiques à caractère rural (photo 1), conser-
vées par une population d’origine rurale désireuse de garder son mode de vie
chamboulé par une urbanisation à l’européenne. Comment les villes algé-
riennes peuvent-elles affronter cet antagonisme entre l’espace conçu par les
urbanistes et l’espace vécu des habitants souvent urbains de fraîche date ?
À partir de 1981, à cause de la chute des recettes des exportations d’hydro-
carbures, l’État algérien, faute de moyens financiers, ne peut faire face aux
besoins de la population en logements. Aussi se désengage-t-il du secteur
immobilier, libérant à la fois le marché foncier et la promotion immobilière.
Concernant le foncier, ont été créées des agences foncières locales ayant
pour mission de gérer les transactions foncières et d’apporter d’un soutien
technique aux municipalités. Mais le rôle de ces agences est resté très limité,
les assemblées populaires communales conservant leur pouvoir de décision.
À partir de 1985, l’État remet en cause la doctrine qui fondait la politique
d’aménagement du territoire et de planification urbaine, à savoir : la nationa-
lisation des terres agricoles, la municipalisation des sols et le monopole

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Le foncier dans la ville algérienne L’exemple de Skikda

Photo 1 : La ZHUN de Bouyala : des pratiques à caractère rural


dans un espace urbain

H. Nemouchi, août 2005.


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public de la production de logements. Les opérations de rétrocession à leurs
anciens propriétaires des terrains à bâtir et des terres agricoles semblent
maintenant possibles, sauf que la procédure de reconnaissance du droit de
propriété est compliquée. Le flou qui caractérise les statuts du foncier en
Algérie (superposition de titres de propriété pour une même parcelle) est à
l’origine de cette complexité, d’autant plus que les terres concernées sont
souvent le support de nombreuses occupations illégales, des zones de bidon-
ville par exemple. L’État se trouve donc confronté à deux problèmes :
— clarifier les statuts juridiques confus des terres ;
— des populations qui occupent illégalement des terrains et demandent
ou à être relogées ou à être reconnues légalement comme propriétaires
des terrains occupés.
L’État a choisi la seconde solution en régularisant les occupations illégales
du sol urbain. Cette procédure a engendré un grand nombre de contentieux.
En 1989, la Constitution reconnaît et garantit le droit de propriété, droit qui
a été formalisé par la loi 90-25 portant orientation foncière et la loi sur la
gestion du domaine public (loi 90-30). Cette reconnaissance du droit de pro-
priété a largement contribué à accélérer l’urbanisation dans la mesure où le

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droit de construire est formulé en fonction de la légalité de la propriété :
lorsqu’on est propriétaire de son terrain on dispose de la totale liberté de le
construire.

Urbanisation anarchique
et complexité des espaces produits
Soumise à quatre contraintes majeures : la mer au nord, le site accidenté à
l’ouest, les terrains fertiles au sud et la très grande zone pétrochimique à
l’est, la ville de Skikda rencontrait des difficultés pour s’étendre. Les plani-
ficateurs sont passés du tâtonnement au bricolage. Aucune politique urbaine
ni vision urbanistique. Des grands ensembles d’habitat réalisés n’importe où
et n’importe comment, avec comme seule obligation de faire vite. L’espace
urbain s’étend rapidement : la superficie de la ville est passée de 235 ha en
1962 à plus de 1 117 ha en 1995 (selon les chiffres avancés par le Plan
Directeur de l’Aménagement et de l’Urbanisme, PDAU). En moyenne la
ville a besoin de 30 ha chaque année pour son extension (fig. 2).

Fig. 2 : Évolution de l’espace urbain de la ville Skikda depuis 1962


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L’hétérogénéité du tissu urbain caractérise la ville : habitat collectif dans les


plaines, zones de bidonvilles sur les piémonts, habitat individuel sur les ver-

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Le foncier dans la ville algérienne L’exemple de Skikda

sants des collines (photo 2). La juxtaposition de ces trois espaces traduit trois
logiques spatiales différentes : étatique, illicite, privée.

Photo 2 : Une structure urbaine hétérogène qui correspond


à une disposition non cohérente de trois types d’unités spatiales différentes :
étatiques, illicites et privées

La logique étatique :
les ZHUN et ensembles d’immeubles collectifs
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Les biens de l’État sont gérés par les services des domaines. L’État n’étant
plus en mesure de prendre en charge la production de logements, cette mission
a été dévolue à d’autres organismes : l’Entreprise algérienne de Promotion du
Logement Familial (EPLF), l'Office Public de Gestion Immobilière (OPGI)
aussi qu’à des promoteurs privés, qui achètent des terres domaniales pour
réaliser des programmes d’habitats collectifs destinés essentiellement à la
location. Les prix des terres vendues par les domaines à ces organismes
(OPGI, EPLF, promoteurs privés…) sont fixés par la loi de l’offre et de la
demande (tab. 5). Ils diffèrent d’un endroit à l’autre, en particulier entre le
centre ville et les zones périphériques.
Les lots de terrains choisis sont souvent situés dans la plaine fertile de
Skikda, sans le consentement de la Direction des Services Agricoles (DSA),
qui est pourtant le gestionnaire principal du foncier agricole.
Le rôle opérationnel de la DSA pour stopper le grignotage des terres agricole
par le béton est, aujourd’hui, plus limité que jamais. Le 16 septembre 2003,
l’État légitime son accaparement des terres agricoles au profit de l’urbanisa-
tion par la promulgation du décret exécutif n° 03-313 relatif aux conditions

96 L’information géographique n° 4 - 2008


Tab. 5 : Les prix du mètre quarré dans la ville de Skikda

Années 2001-2004

Zone à haute valeur urbaine* 8 000 DA

Centre ville 1 500-6 000 DA

Zone périphérique 500-2 000 DA


Source : Direction des domaines de la willaya de Skikda.
*Ce sont des terrains situés au centre ville, plus précisément
dans des quartiers commerciaux ou bordant les voies principales
de la ville. – 100 DA = 1,07 € (Taux de change en 10 juillet 2007)

et modalités de reprise des terres agricoles du domaine national intégrées


dans un secteur urbanisable. Encore une loi qui légitime et facilite l’intégra-
tion des terres agricoles dans les programmes d’urbanisation, sans le moindre
souci concernant l’environnement ou même le devenir de l’agriculture.

Les constructions illicites et informelles :


ensembles de Gourbis et d’habitat précaires
La difficulté pour la population pauvre d’obtenir un lot de terrain et un
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permis de construire a poussé, d’une manière très significative, au dévelop-
pement de pratiques illégales. Existent cinq zones d’habitat spontané : le site
Bouabaz, le site Boulkeroua, le site Briqueterie, le site Stora et celui de
Mechtet Laghouat. Les terres occupées relèvent souvent du domaine public.
La création et l’extension des bidonvilles placent l’État devant le fait
accompli et remettent en cause sa politique du logement considérée comme
incapable de faire face aux besoins de la population locale.
Le bidonville de Boulkeroua (photos 3 et 4) est situé dans la périphérie
ouest de la ville. Sur une superficie de 17 ha, il compte 1 744 ménages
(situation au 31.03.2005). Selon la direction de l’Urbanisme de la wilaya
de Skikda, un gourbi (habitat précaire) occupe une superficie d’environ
120 m2. Le site est complètement démuni d’équipements, d’infrastructures
routières, de réseaux techniques (eau, gaz, électricité…) et d’hygiène.
Majoritairement originaire des zones rurales avoisinantes, suite à un grand
mouvement d’exode rural vers la ville pour des raisons d’emploi, la popu-
lation qui le compose occupe les lieux depuis plus de dix ans. Les tensions
sociales à l’intérieur du bidonville sont préoccupantes. C’est l’un des sites
de l’agglomération où la délinquance est particulièrement forte. S’y déve-
loppent des activités économiques informelles, comme les petites épice-

L’information géographique n° 4 - 2008 97


Le foncier dans la ville algérienne L’exemple de Skikda

ries, qui échappent à tout enregistrement officiel et à toute fiscalité. Étant


un espace intermédiaire entre deux espaces différents (étatique et privé,
voir photo 2), le bidonville de Boulkeroua peut évoluer selon deux scéna-
rios différents :
— soit améliorer les conditions de vie du bidonville en le rasant et en
construisant sur son emplacement des structures urbaines planifiées,
tout en conservant la propriété publique des terres.
— soit légaliser l’occupation du sol par les habitants actuels, en leur
attribuant des titres de propriété privée des terres sur lesquelles ils
auront la permission de construire à titre privé.
Les scénarios retenus dépendront de la manière dont le foncier sera géré et
du type d’espace qu’on veut produire selon qu’on libère ou non le marché
foncier.

Photos 3 et 4 : Le bidonville de Boulkeroua, Le site est complètement démuni


d’équipements, d’infrastructures routières et surtout d’hygiène

H. Nemouchi, août 2005.


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H. Nemouchi, août 2005.

Les maisons individuelles à plusieurs étages


L’espace privé illustre concrètement les manques de la planification et de
l’aménagement urbain dans la ville (photos 5 et 6). Composé de maisons indi-
viduelles, cet espace privé est construit d’une manière anarchique. Sa réalisa-
tion est sans aucune conception d’ensemble. La disposition des habitats est
sans logique ou cohérence urbaine, conséquence de l’attribution arbitraire
voire opportuniste des lots de terrain. L’acquisition du foncier urbain dans cet
espace a souvent des origines différentes : régularisation au profit d’un ex-
occupant illégal, vente d’un héritage familial, cession d’un terrain communal,
vente par l’intermédiaire d’une promotion immobilière ou même une revente
de particulier à particulier… Ces différentes manières d’appropriation produi-
sent un parcellaire différent du fait de l’inégale superficie des ilots ainsi que du

98 L’information géographique n° 4 - 2008


prix du mètre quarré2. Sans oublier le mélange de différentes classes sociales
auxquelles appartiennent les occupants des espaces concernés. La diversité des
voies d’offre du foncier suscite la diversité sociale des acquéreurs.

Photo 5 et 6 : Habitat individuel, individuellement conçus et aménagé

H. Nemouchi, août 2005.

La coexistence de ces trois espaces : illustre les conséquences d’une gestion


approximative du patrimoine foncier, rend compte des processus d’occupation et
d’appropriation du foncier à travers la complexité des espaces produits et montre
que l’analyse des problèmes urbains doit d’abord inclure celle du mode de ges-
tion de la ressource foncière. Il est donc impératif de comprendre comment le
foncier est approprié, utilisé et redistribué ? Comment la non-concordance entre
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les politiques prises à l’échelle nationale et les réalités de l’espace local peut
avoir pour effet la dégradation de la ressource foncière ? La dimension urbaine
de cette dégradation est constatée à travers l’exemple de la ville algérienne qui
est caractérisée par : l’absence de l’urbanisme, l’inadaptation de l’habitat, l’utili-
sation abusive et spéculative des réserves foncières communales, la surcharge
des équipements collectifs, le caractère inapproprié des localisations indus-
trielles, la concurrence sur les ressources (eaux, terre), la pollution et l’utilisation
abusive des matériaux et des terrains. Ce qu’on peut qualifier de désordre terri-
torial où la ville devient synonyme de « Mal vie ».

Conclusion
L’exemple de la ville de Skikda met en évidence l’importance de la dimen-
sion sociale dans le traitement de la question foncière. En Algérie l’État a
contrôlé les droits d’accès à la terre et la maîtrise foncière n’a pas toujours

2. Confirmé par un responsable à la Direction de la conservation foncière de la wilaya de


Skikda lors d’un entretien effectué en août 2005.

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Le foncier dans la ville algérienne L’exemple de Skikda

été intégrée dans une politique urbaine bien définie, ce qui a eu pour consé-
quences : la spéculation foncière, les détournements d’usage des sols et les
abus de pouvoirs, l’extension du clientélisme, l’incompatibilité entre les
espaces conçus et les espaces vécus et les inégalités sociales. Sur le plan
urbanistique, les villes s’étalent, se fragmentent et se dégradent. Elles sont
confrontées à la surcharge humaine, à la détérioration du cadre de vie et des
équipements, aux défaillances des services publics, à l’exclusion sociale et à
la violence urbaine.
Comme instrument de l’Aménagement du Territoire le foncier doit faire
l’objet d’une réelle collaboration entre l’ensemble des départements ministé-
riels concernés, Domaines, Budget, Intérieur, Agriculture, Justice, Tourisme,
Habitat, Industrie et Équipement, les collectivités locales.
En définitive, l’ampleur de la question urbaine implique une démarche nova-
trice et la recherche d’une méthodologie d’approche qui prennent en consi-
dération le foncier à toutes les échelles géographiques.

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© Armand Colin | Téléchargé le 30/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.101.205.12)

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