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Jérôme Fillol
M ODÉLISATION MULTIFRACTALE
DU TAUX DE CHANGE DOLLAR / EURO
Jérôme Fillol1
Date de réception de l’article : 20 janvier 2003
Date d’acceptation pour publication : 4 novembre 2005
ABSTRACT. The multifractal model in finance was recently revised by Calvet and Fisher
(2001, 2002). This article presents the basics of multifractal modelling and demonstrates the
multifractal properties of the USD/Euro exchange rate. The estimation of the multifractal
spectrum of the series indicates that the exchange rate might be charaterised as multifractal,
and allows the series’ properties to be modelled. Monte Carlo simulations allow the superio-
rity of the MMAR to be demonstrated, compared to GARCH and FIGARCH models.
JEL Classification: C5; G0; G31.
Keywords: Multifractal Model; Scaling Function; Multifractal Spectrum; Exchange Rate.
1. Jérôme FILLOL, Maître de Conférences, Université Paris X Nanterre, Laboratoire EconomiX (jfillol@u-paris10.fr).
136 Jérôme Fillol / Économie internationale 104 (2005), p. 135-150.
I NTRODUCTION
Les fractales sont issues de l’observation des systèmes naturels comme l’illustre l’étude de
Mandelbrot (1977) sur la longueur de la côte de Bretagne. Mandelbrot s’est rendu compte de
deux caractéristiques : l’existence d’une relation entre le pas de mesure et la longueur totale
de la côte, ainsi que l’existence de relations d’échelle. Il établit que plus le pas de mesure,
c’est-à-dire le référentiel de mesure, est petit, plus la distance mesurée est grande. En utilisant
un pas de l’ordre de ε(ε → 0), on obtient une côte d’une longueur infinie. De plus, il
remarque que les échelles successives observées sur la côte font ressortir le caractère irrégulier
de celle-ci, mais aussi des spécificités inattendues. En effet, il apparaît un même caractère glo-
bal : le phénomène à l’origine des irrégularités observées à grande et petite échelles est le fruit
d’un même mécanisme homothétique. On passe d’un niveau d’observation à un autre par une
transformation géométrique, on dit alors que la côte présente une homothétie interne ou
encore qu’elle est auto similaire (self similar). Ces observations relatives aux notions de lon-
gueur infinie et de relation d’échelle sont les principales caractéristiques des fractales. De
telles propriétés peuvent également être mises en évidence sur certaines séries financières au
sens où quelle que soit la fréquence retenue (mensuelle, trimestrielle, annuelle…), les mêmes
caractéristiques sont observées. Les processus multifractals intègrent ces propriétés.
Les processus multifractals appliqués aux rentabilités d’actifs financiers (Multifractal Model of
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d’une série. Une série présentant des relations d’échelle dans ses moments, est une série où
il existe une même caractéristique entre l’espérance, la variance, le moment d’ordre3… On
parle de série unifractale lorsqu’il n’existe qu’une seule relation d’échelle et de série multi-
fractale lorsqu’il en existe plusieurs. Une relation d’échelle définit ainsi l’existence de caracté-
ristiques similaires pour toute échelle d’observation. Calvet et Fisher proposent une
méthodologie spécifique pour détecter et étudier le caractère multifractal des séries tout en
tenant compte des propriétés connues de ces séries financières.
L’objet de cet article est d’exposer les outils de la formalisation multifractale afin de pouvoir
présenter, de façon claire et synthétique la modélisation multifractale (MMAR). Nous démon-
trons également la supériorité de la modélisation MMAR par rapport aux modèles usuels de
type GARCH et FIGARCH.
L’article présente les outils propres à la modélisation multifractale des séries financières. Puis
il présente une application empirique sur le taux de change dollar/euro basée sur l’estimation
de modèles GARCH, FIGARCH et MMAR. Enfin, à l’aide de simulations de Monte Carlo, il
met en exergue la supériorité de la modélisation multifractale par rapport aux modélisations
GARCH et FIGARCH pour rendre compte des propriétés du taux de change étudié.
F ORMALISATION MULTIFRACTALE :
UNE BR È VE PRÉSENTATION
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3. Pour une revue des propriétés des séries financières, voir par exemple Cont (2001).
138 Jérôme Fillol / Économie internationale 104 (2005), p. 135-150.
Nous utilisons l’exemple de la mesure binomiale4 pour expliciter la notion de mesure multi-
fractale. La mesure binomiale se construit à partir de la procédure itérative suivante.
Soient m0 et m1 deux nombres tels que :
m0 + m1 = 1 et m0, m1 > 0 (1)
et μ0 la distribution d’une loi uniforme [0, 1].
À toute itération, on divise chaque segment en deux parties égales, on attribue alors à
chaque partie de gauche le poids m0 et à chaque partie droite le poids m1. Ainsi, à la pre-
mière itération (k = 1), on applique une probabilité (un poids) m0 au segment [0, 1/2] et m1
au segment [1/2,1]. À l’itération suivante (k = 2), on a une distribution de probabilité μ2 telle
que :
μ2 [0, 1/4] = m0m0 μ2 [1/4, 1/2] = m0m1 μ2 [1/2, 3/4] = m0m1 μ2 [3/4, 1] = m1m1 (2)
Cette procédure génère une suite de distribution (μk) qui converge vers la mesure binomiale
(μ).
Le GRAPHIQUE 1 représente une mesure binomiale pour l’ordre d’itérations k = 8 avec m0 = 0,4
et m0 = 0,6. Ce graphique illustre les effets de dépendances de structures créés par la
mesure fractale, en révélant notamment la présence de relations d’échelle et d’intermit-
tences. On peut obtenir des extensions de cette mesure, par exemple, en considérant que les
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pour tout t ∈ T, q ∈ Q
où T et Q sont des intervalles de R, τ(q) et c(q) sont des fonctions définies sur Q. De plus, il
est supposé 0 ∈ T, [0,1] ⊆ Q.
4. Appelée aussi mesure de Bernoulli. Notons que cette dernière présente l’avantage d’être une mesure multifractale
très simple dans son mode de construction (Tricot, 1999).
5. Pour une mesure binomiale, le nombre de poids est de deux (ici m0 et m1). Le nombre d’intervalles est multiplié
par deux à chaque itération. Notons b le nombre de poids distincts. On peut généraliser la construction précédente à
une mesure où b > 2 : on définit alors une mesure multinomiale.
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0,018
0,016
0,014
0,012
0,01
0,008
0,006
0,004
0,002
0
1 21 41 61 81 101 121 141 161 181 201 221 241
m = 0,4
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0,006
0,005
0,004
0,003
0,002
0,001
0
1 21 41 61 81 101 121 141 161 181 201 221 241
m = 0,6
140 Jérôme Fillol / Économie internationale 104 (2005), p. 135-150.
Sq (T , Δt ) ∑ X ( i Δt , Δt ) (6)
i =0
Avec la relation (3), X(t) est un processus multifractal si la relation suivante est vérifiée :
logE[Sq(T, Δt)] = τ(q)log (Δt) + c(q)logT (7)
Enfin, à partir des expressions (8) et (12) on obtient l’estimation suivante du spectre multi-
fractal :
fˆ (α ) = minq [qα − τˆ (q )] (9)
8. Le temps d’échange est la fonction de distribution cumulée d’une mesure fractale définie sur [0 ; T], T étant le
nombre d’observations de la série étudiée.
9. La série de taux de change dollar/euro entre 1986 et 1998 a été construite à partir d’une moyenne pondérée des
taux de change bilatéraux entre le dollar et l’ensemble des devises prenant part à l’euro. Conformément à la
méthode utilisée par l’OCDE, le système de pondération choisi est identique à celui retenu pour l’ECU.
142 Jérôme Fillol / Économie internationale 104 (2005), p. 135-150.
q=5
6
Fonction de partition S(q)
4 q = 0.4
q = 0.3
2
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–2 q=1
q = 0.5
–4
Log10 (delta t)
10. Les paramètres de la fonction d’échelle, c’est-à-dire Δt et le pas, ont été choisis de façon à rendre insensible la
valeur estimée de H à celle de Δt et au pas. Nous avons retenu Δt = 50, et un pas de 10 (c’est-à-dire que Δt = 50,
60, 70, 80,…, T).
11. Pour une comparaison de l’estimation du paramètre d’auto-affinité H entre la fonction d’échelle et les méthodes
usuelles, telles que R/S et GPH, voir Fillol et Tripier (2003).
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1,5
0,5
Fonction d’échelle
q = 1,935
0
0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5 4 4,5 5
– 0,5
–1
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0,9
0,8
Spectre multifractal
0,7
0,6
0,5
0,4
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moins performants pour des valeurs élevées des moments (pour q = 5 nos résultats présen-
tent en effet un intervalle de confiance plus grand que pour les autres valeurs étudiées).
Nous allons maintenant comparer les performances des modèles MMAR à celles réalisées par
les modèles usuellement utilisés en finance : les modèles GARCH et FIGARCH. Ces modèles
ont été développés afin de permettre à la variance d’une série de dépendre de l’ensemble de
l’information disponible, et notamment du temps. Les processus GARCH sont des processus à
mémoire courte par opposition aux processus FIGARCH qui visent à tenir compte des caracté-
ristiques de mémoire longue de la volatilité. D’un point de vue économique, il est primordial
de comprendre et de modéliser la volatilité. En effet, la volatilité constitue une mesure du
risque et ainsi aide à la prise de décision d’investissements sur un marché ou sur une action.
Notons que la modélisation multifractale MMAR permet également de modéliser la volatilité.
Note : Les valeurs entre crochets sont les intervalles de confiance obtenus au seuil de 5 %.
12. Pour chacun des (m) modèles testés nous effectuons J = 10 000 simulations de longueur T = 4 000 points.
146 Jérôme Fillol / Économie internationale 104 (2005), p. 135-150.
Série α β
dollar/euro 0,04646 0,93875
Les résultats obtenus pour les modèles GARCH et FIGARCH sont nettement inférieurs aux
résultats relatifs aux MMAR. En effet, par exemple pour q = 2, la valeur empirique est de
0,03 que l’on retrouve avec la modélisation MMAR, alors qu’avec la modélisation GARCH
nous obtenons – 0,004 et pour la modélisation FIGARCH 0,06. De plus, les intervalles de
confiance montrent la robustesse de la modélisation MMAR pour rendre compte de la multi-
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C ONCLUSION
À partir d’outils spécifiques nous mettons en évidence pour la série de taux de change dol-
lar/euro une propriété récemment mise en exergue : les relations d’échelle. Notre étude
montre que seule la modélisation multifractale (MMAR) permet de rendre compte de cette
propriété. Cette modélisation permet également de tenir compte des propriétés connues
(mémoire longue, regroupement de volatilité, propriétés d’échelle) des séries économiques et
financières. Ainsi, la modélisation multifractale offre un nouveau cadre d’étude des séries
financières dont les premiers résultats sur les taux de change sont très prometteurs et
ouvrent de nouvelles perspectives sur l’approche prévisionnelle des séries financières.
J. F.
A NNEXE 1
Exposants de Hölder et spectre multifractal
Un processus fractal présente de nombreuses intermittences pouvant être étudiées à partir des
exposants de Hölder qui permettent d’évaluer le degré de régularité d’une mesure. La présenta-
tion qui suit est basée sur Calvet et al. (1997b)14.
Soit g une fonction définie au voisinage de t :
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On peut alors montrer que pour la mesure binomiale il existe plusieurs exposants de Hölder. Cette
pluralité est caractéristique des mesures fractales présentant de fortes irrégularités : on parle de
mesure hétérogène. À l’inverse, une mesure homogène a un seul et unique exposant de Hölder.
Le spectre multifractal donne la répartition statistique des exposants de Hölder. À partir de la
théorie des larges déviations de Cramer15, on peut établir une relation entre la fonction d’échelle
τ(q) et le spectre multifractal f(α) énoncée par le théorème16 suivant.
Le spectre multifractal f(α) est la transformée de Légende de la fonction d’échelle τ(q) :
f (α ) = infq ⎡⎣ qα − τ (q ) ⎤⎦ (12)
Notons qu’il existe une valeur particulière notée α0 vérifiant f(α0) = 1, correspondant au maximum
de f(α). Le spectre multifractal se résume à un point si la mesure est homogène et sera par contre
composé de plusieurs points si la mesure est multifractale. Ainsi, la détermination du spectre mul-
tifractal permet de déterminer si le processus est multifractal ou non.
14. Voir aussi Tricot (1999) ou Seuret & Lévy Véhel (2002).
15. Nous renvoyons le lecteur à Durrett (1991) pour une présentation de cette dernière.
16. Calvet et Fisher (2002).
148 Jérôme Fillol / Économie internationale 104 (2005), p. 135-150.
A NNEXE 2
Détermination des paramètres
de la modélisation multifractale
Calvet et al. (1997b) montrent que le processus X(t) a un spectre multifractal quadratique si l’on
considère une construction de la fonction de temps d’échange à partir d’une variable aléatoire M
(gouvernant la répartition des poids) de loi :
− log b M ~ N ⎡⎣ λ , ϑ ⎤⎦ , où b est le nombre de poids différents utilisé pour la construction de θt, et
[λ, ϑ], respectivement l’espérance et la variance de la distribution log-normale.
Afin de construire les MMAR il nous faut estimer les paramètres [λ, ϑ]. Les auteurs montrent que
le spectre multifractal de la fonction du temps d’échange peut s’écrire comme suit :
fθ (α ) = 1 − (1/ (2ln b))((α − λ ) /ϑ )2 (13)
Pour obtenir l’estimation de ϑ2, nous effectuons une restriction sur la répartition des poids17, en
supposant qu’il y a conservation des poids à chaque stage de la construction du temps d’échange.
On a alors la relation suivante :
1/b = E(M) (15)
On peut montrer que la relation (15) implique :
Logb = 2(λ – 1)/ϑ2 (16)
Nous obtenons par la relation (16) l’estimation de ϑ . À partir des estimations de H, λ et α0 nous
2
Série α0 λ θ
dollar/euro 0,695 1,1 0,29
A NNEXE 3
Construction de la statistique de test
{ }
T
À partir des simulations de Monte Carlo, nous formons Y j m = Y j ,t m (1 ≤ j ≤ J ) c’est-à-dire les
t =1
10 000 valeurs simulées pour chaque modèle (m) et pour chaque q = {1, 2, 3, 4, 5}. Pour chaque
simulation nous estimons la fonction d’échelle : τˆ (q,Y jm ) , cette estimation nous est donnée par
les moindres carrés ordinaires dont nous récupérons la somme des erreurs au carré SSE (q, Y jm ).
Pour chaque simulation, nous créons18 :
⎧ ⎫
h(Y jm ) = ⎨ ⎡⎣ τˆ (q,Y jm ),ln SSE (q,Y jm ) ⎤⎦ ⎬
q = {1, 2,3, 4,5 } ⎭
⎩
Nous obtenons ainsi pour chaque modèle (m) une matrice de taille (12,10000) dont nous notons
chaque colonne [ Y1m ,…, Y jm ]'.
Notons X = {Xt} (t = 1 à T) la série empirique et formons h(X). Afin d’avoir une mesure entre les
simulations obtenues pour chaque modèle et la série empirique, nous considérons :
J
H ( X ,Y m ) = h( X ) – (1 / J )∑ h(Y j m )
j =1
m
À partir de H(X, Y ), on construit la statistique globale :
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Nous pouvons estimer la fonction de distribution cumulée Fm de la statistique Gm(X) et ainsi, pour
chaque modèle considéré, nous pouvons calculer la probabilité : 1 – Fm[Gm(X)].
R ÉFÉRENCES
Baillie R.T., Bollerslev, T., Mikkelsen, H.O., 1996. Fractionally integrated generalized autoregressive
conditional heteroskedasticity, Journal of Econometrics 74 (1), septembre, 3-30.
Bollerslev, T., 2001. Generalized autoregressive conditional heteroskedasticity, Journal of
Econometrics 100 (1), janvier, 307-327.
Calvet, L., Fisher, A., 2001. Forecasting multifractal volatility, Journal of Econometrics 105 (1),
novembre, 27-58.
Calvet, L., Fisher, A., 2002. Multifractality in asset returns: Theory and evidence, The Review of
Economics and Statistics 84 (3), 381-406.
Calvet, L. Fisher, A., Mandelbrot, B.B., 1997a. A multifractal model of asset returns, Cowles
18. Nous prenons le logarithme des sommes des erreurs au carré afin d’éviter des problèmes de distributions non
symétriques.
150 Jérôme Fillol / Économie internationale 104 (2005), p. 135-150.