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LA FILLE
DU CH 4.S S EUR
Publié avec le concours
du Centre national du livre
et de l'UMRCITERES
à.
À Fatimatou mint Ahmed Bilai
et El-Kory ould Touileb
IN MEMORIAM
Et à nos enfants :
El-Hussein, Mroum, Aline, Jérôme,
Véronique, Elie, Jacques, Clément, Jibril,
Morgane, Sophie, Mohamed, Soraya
GAVAGE
Mon père était généreux. Il était très gentil -et surtout proche
de nous. It n'etait pas du tout comme les pères maures que tu
connais, il n'avait pas cette habitude, cette coutume si contrai-
gnante de distance que les pères doivent maintenir avec leurs
el!_fants en Mauritanie. Là-bas, le père ne discute pas avec ses
filles, elfes ~e cha; tent pas devant lui. Lui, au contraire, il nous
réunissait le soir et nous disait :
- Venez, mes filles, venez chanter pollf moi.
Ses filles ! Et il s'occupait de nous. C'était très rare, je n'ai vu
ça que chez les Occidentaux. Maintenant, on rencontre de plus
en plus de pères qui regardent comment leurs filles soqt-vêtues,
qui font attention et même parfois les complimentené C'était
impensable à l'époque. Mais mon père a toujours été très libre
avec nous. C'était un pèup'arceq ü'il était c_h âsseur et que les
~madi étâiênt m~ins conformistes, mais ça venait surtOU! 4e sa
personnalité, il y avait les deux.
fl avait le sens dé la c~mmunauté, mais par certains côtés il
ét~it individualiste. Il était solidaire, il partageait, mais il détes-
tait les règles, il ne se soumettait pas du routl-A.r1en!~tne--pas
~Ja r~l~gion. Il suivait ses convictions et non ·ce qu'on lui impo-
sait. C'était un personnage particulier, sympathique, attachant,
mais très violent. Quand il était en colère, il ne pouvait pas se
,.. ...
185
. . l'ai vu lancer un couteau sur mon frère ,
contenir. Un J~' Je ____ __ - - - _ . _ est
dire! . . devais
tits Je · avoir
· trois
· ans, nous vivio
. ·
On était tout pe , ns
rands-parents paternels, et les homm
encore ch ez mes g 1 h es
. d trer de la chasse. Quand es c asseurs revenaient
venaient e ren 1
on préparait toujours pour lenfants des têtes
de 1a gaymara, . , . ,
c_
d' addax ; des petites, des têtes de Jeunes add . étau I époque
de la guetna, ge la récolte des dattes, et nous étions à Ganeb,
cette palmeraiThon loin de Tichit où mes grands-parents avaient
des palmiers. Une nuit, des chasseurs sont passés dans notre
campement avec du gibier, et ils ont préparé des têtes d' addax.
On les cuisine comme on prépare la tête du mouton et des
biches : on les fait cuire sur le feu le soir pour les manger froides
le lendemain matin, avant le thé. Je dormais quand ils sont arri-
vés, et mon grand-père a dit :
- Il faut garder cette petite tête d' addax pour Mrayyem.
On m'appelait Mrayyem, le diminutif de Mariem, parce que
j'étais petite et que je portais le même nom que ma grand-mère.
Le matin, quand je me suis réveillée, on m'a donc donné ma tête
d' addax, mais n:ion frère, qui était très gourmand, s'est approché.
Il voulait que je -le laisse manger, et -comme· je refusaitae- fui en
do~
~- il];' àa rracné un morceau de viande. ·Alors moCk----
I_!le
1!ôE
suis__!llise à crier, P1!!~ à~cl~.!!~~r· pèr~_~' est ~ev~ ~ ~s_on
co~ _3:.u et l'a lancé sur mon frère. La lame s'est plantée là, entre _
ses_ç_ôt~1rl'~~p~ignardé ! Du ëôté- droit, heu~eu~e~;;t, carlil
avait atteint le côté gaudie, î1s èraitmorr- - - - -
Tu \'ois,_c' ~tait urjJi~~~~ 4
g~~j!~~ 2
~:-~ ais qui pouvait perdre
co~plètem~nt le contrôle de lui-mêmé - ên" l'espace-d'une
seconde. Et âpres:-if étà if désespéré·! f ti.. te ;ind s- comp ~oi--
gnarder son propre fils, un enfant! Mon grand-père a couru,
tout le monde . a couru,• 1·1s ont en levé le couteau. Je me souviens
.
du sang, et Je revois le couteau.
o.d.._~-i._-; ~ ,~Î'
\: -.; \)a_\ ~ J \~ 6
--
Dans ces cas-là, il se sentait coupable mais il n'aim · ,
''l · i: • • ait pas quon
lui parle de ce .qu 1 avaitd .rait. Il tournait autour d e mon fr'ere
tout le temps, il deman ait de ses nouvelles ; il restait l' .1
.c . D' " é ·1 a, 1 ne
savait plus quoi raire. . un cot. 1 -ne , voulait
. J·amais s'avouer en
rort.,. e-~--~~ ~ a~t!~)l ay~i~.s>~soj n ,qu'.?~ lu~p~r~~?n~. 1vraisïlétait
très maladroit, 11 ne savait pas comment s'y prendre. Il était
cQ!ll.Al.e tous let gY.~~rier~. :.H~U.Çveulent pas montrer leur sensi-
bilité.
~,.......
_....,. Po9nan.t..œ2!1J~~re eJ_ ~o~f!.è!~~ av~ient p ~rapRorts vio-
Pas forcément\ C'était juste ~ -~~cès. de..,ç;g.!,ia:i;,..C' est v;ai
-~qu après, quand mon pJ!"_e.,esJJ,C?_9}Qér. §1 g~~~.m-ent malack.,,. . 1n2_n
frère a voul!_j~.JP..laE!~!.~l'a~ap.~.~E-.}:1e, qu'elle le laisse crever.
TUpëfîsësque c'est peut-être lié, mais nous, tu sais, on lle1 aTsait
pas de philosophie, les gens ne réfléchissaient pas comme ça.
Pour eux, un enfant ne pensait pas. Pourtant tu as raison : une
agressfoh '<;pârei1Ie:Tr.'Qe19 Q~ï?!~Uir.ç:iiè.T~~ ; :··p_lu_s,:. c!iYiit
être ----
ilnprîmë f ~~~ti!e, De tels événements vous marquent né~es:-
sâifêm~Moi non plus, je n'ai pas oublié les choses pénibles ou
agréables que j'ai vécues quand j'avais trois ans.
Je crois que mon père considérait ~~.,œo,E (~~re .1:' était pas à
la lïauteur. Il aurait voulu q u"ir "soit_,clu~ ~o~urageux,-Pl.us.Jort,
'-l',..::tfb'lo ··"""· -
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c~était un pe~ pa! tic~li_er car mon _pèr,: avait quand même été
enlever ma mère dans sa famille, if' 1 avait emmenée éhez les
N maêli, _il l'avaittraîpée dans. lés Groupes NoipJt;c!.es,_ell,e n'avait
- pas ses parents à côté, et pour finir, débrouille-toi, il la quittait
aûmilieu êlu désett_àl6rs q~' e~l~ ne pouvait plus rentrér êhez elle.
Mâhfouz a· resser{'ri ~e départ comme un abanaon; et il ne s'est
pas gêné pour le dire ; pas sur le moment mais plus tard. Quand
mon père venait se plaindre qu'il avait besoin de mon frère, il lui
répondait :
- Tu n'as aucun reproche à faire, tu nous as abandonnés aussi.
En principe on ne te doit rien.
En fait, on doit toujours à ses parents. O n ne juge pas ses
parro~... ~hez nou ~. ·bu du·m~ins on ne le laisse 'pas apparaître.-
Ma mère était une femme admirable. Que Dieu ait son âme !
Quand ma grand-mère a envoyé un émissaire nous chercher après
le départ de mon père, elle a encore refusé. Elle a dit que si elle
avait été toute seule, oui, elle serait rentrée, mais qu'elle ne pou-
vait pas ramener chez elle des enfants étrangers... barani, des
étrangers à la tribu, enfin à la famille. Ça se dit souvent en
Mauritanie. Comme elle s'était mariée contre la volonté de sa
mère et de ses parents et qu'elle était restée si longtemps absente,
elle pensait qu'elle ne pourrait pas se sentir bien chez les Ladern.
Pour elle, c'était un échec. Elle avait une conception de l'amour
qui dure toujours, comme mes grands-parents paternels. Ma
~~and-Il!ère pa_ternell~ {t_ai!.. plu.:,_ âg~~ . que mon grand-père
~madi, elle avait été m~riée avant lui, ell~ avait déjà eu deux
enfants quand elle l'a ép?~S~, deux garçons. Et lui, -quand il-était
passé dans son campement la prêrnière î ois, il avait encore ses
petites cornes de cheveux sur la tête, tu sais, les petites crêtes
qu'on rase à la puberté quand la moustache commence à pous-
ser ; il n'était pas encore adulte. Pourtant il l'a épousée et ne l'a
iamais rép.udiée. Ils ont eu deux filles jumelles et deux garçons. Ils
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ne se sont jamais quittés.
. Ma mère les aimait beaucoup , elle aura.1t
.
voulu pouvoir construire un couple aussi fort avec leur fils.
191
--
leur montrait le chemin, en quelque sort,;_;_ ~_lle striait la peau
- - - - - _ _ . - - - ... - ... -- ~-..,.. v. • ., •
tendue pour qu'elle craque joliment, mais mot, J avais une peau
qui ne le supportait pas : regarde, elle a raté, parce que c'est vrai-
ment gros.
Je ne sais pas si j'ai atteint le volume suffisant. On a été obligé
de me relâcher très vite, enfin assez vite, au bout quand même
d;-~ a~re_o~--~ ~ anS, paëcê güe jéîïe suppO~~ p"âs. ~• ét~t
pas des gavages intenses tout le temps. <Jn ne me rëTâënâ1t Jamais
vraiment, mais on ne me gavait pas toujours aussi intensêment.
C'était surtout J ; ns-les périodes 'èf'aÏ;~O:ëfa"ùêê:"-O n î{iiisistaÎtpas
trop parce que mon père
...~-- _... .....-
,_ -.,;.
n'aünalt p.a,s. tellement me voir souffrir,
or il se rendait bien compte que je ne supp9f~~~s p~s-;]g_e-j' érais
maJ~.a~ : g_~~}e ~qriîis~aü:-;i q~~-J~ i ~e s~ntai~ J~_é!§_bieJ)!-
Je deyai~ au~s! p~rJer -~ kh_lqkk~l é~orl!le~.- ~~~s:_çk~ de
chevilles en argent, tellement lourds que j'en ai toujours les
marques. D n m'en a mis très tôt, toute petite, j'en avais d~jà _à __
trois ans, il paraît. Ça fait mal, ça empêche de courir, ê~ est lÛurd !
/ :R1ais 1éSNl:aurès considèrent que la femme n'.est p as.'.'faîrè -pour
courîï-:-tes petites filles non plus
..
ne
élôivenr ·p~as couri; ,"1'~ n_ veut
..... ~RJ'... ..
qu' e!les appierinent très jeunes à ~se -·co.tripô .r 'tër comme des
ft mmei: ~ n y à.uiîproveroé qui dit : «· Lépine pousse ·pointue
depuis~sotf jeune âge ». Ça veut dire que, pour nous, il n'y a pas
de petites filles chez les femmes, comme il n'y a pas de petits feux
dans le feu. Qi:i _éduque les filles depuis qu'elles sont petites, on
leur apprend ce qui se fait, ce qui iie-s_e fâif pas:
C'est comme ici,
tu drèssesT enfant: <<Diss'TI-vôüsplaît- » ou « dis merci », « ne
coudes s~r 1~ table~- Op ap_p.r~nd ux filles à être_
de~ fe.qi~s__1}lut cf:_s~~ a ce quelles se mettent bien ça ans a
tête pour plust arCl. Comme eÏies commen~ent leur temme
tiès "Iôt;-orr-verIFqu' ell:5 appren~~nt i'unes. L$ P!l!V.œ.eg~,
c?~z une ~~~~~_ç_~~e~~~~~~~urs)_ç:ç§.t.Li.n tsUigs.n~-qlli
192
Pendant quatre ou cinq ans, on m'a fait
Manger, boire . ... « Ell e était. s1. be11e que son ch manger, manger.
, ameau ne p .
P as la soulever », c est un dicton célèbre en M . _ouvau
• • .. 1-- c aur1tan1e Le
hommes_ru.ma 1enut:..LI.Cmmes.-grosses. Ma mère . é .· s
..-- f: ·
fille de ami e ne e, avait t gavée. Elle m'a raconté tau une
11 · h · é é ' qui
, f: . 1
et elle ma ait exactement a même chose.-Elle n
son gav~e
l' / '
. --..; e me ,a pas
racon:é.~~.. -m,me u~~-sou ffira~-~:' Juste une_petite souffranée, souf-
frir pour etre belfe. Quana c est la mode, on ne conr,"l'Olt· pas 1es
_ . . . . . . ., . . - - ,
-·- 0
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semoule ct ue. Elle la mouillait avec de l'eau, ajoutait un peu de
beurre, et faisait des sortes de boules qu'elle m'obligeait à finir.
Comme elle m'attachait quand elle s'en allait ramasser du bois
ou porter le r~pas chez les gens, dès qu'elle avait le dos tourné, je
me débarrassais des boulettes en les mélangeant à ce qu'elle p~:é-
parait pour les gens dans ses marmites. Elles' en apercevait parce
qu'on lui disait que son repas n'était pas cuit. Forcément, j'y
avais ajouté ma semoule crue ...
'étais attachée là tout le temps. Je ne pouvais pas me détacher:
ell~-~ a1sa1t es nœuds très difficile~, ~t parfois elle ajoutzjt ,un
{cad~IÎil's. Et surtéut elle me t~rrifiait. .[!~ai~ p.:_~~te, j_e ~ evais avoir -
}hidns, c'était juste avant mon mariage, liu1t aEs, _huit jlfil et
• demi~On ·m jemmenaftfeïnatirîëtôn vènaitm~.hg,cher le soiï.
~ S~ s ! outelâjournée _â!tàèhèe aV~,P~~-pl:i!sJJilangerr 0u
alors j'étais assise, je regardais les gens qui passaient et j'avalais ce
qu'on m'avait laissé, ça durait des heures mais j'étais obligée de
res.te.r~_!_ant que je n'avais pas fini. Je disputais la nourdtur~'âux
mouches. -- · --- · · · ,... , -- --- -- -
1
II'yàvait quelques chiens, mais ils n'aimaient pas la semoule,
•
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e ne pourrais pas te dire quel poids j'ai atteint D' b d
"
J.,,,it pas d e balance, et meme . · a or on
,
n avc:u s1 on en avait eu , on ne se serait.
pas Pesées parce que ça porte malheur de compter· Après, quand
. y a eu des balances, des èse- ersonnes O •tait O
11 • • 1 • . , · n pensait.
1
que Ça pouvait attuer e mauvais œ1 . C est comme q uan d on a
hamelles ou des enfants, on ne les. compte pas , il ne rraut pas,
deS C .
'est trop dangereux. On ne comptait nen et l'on ne s .
cas. D'ailleurs, être belîe n'étairpàs Unë'qùèS T I ~ ~ : -
~ ê fbrniê.''Ce gue··tes -c')m~p~ ,:,:,:~--~ 0
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mousse à raser mais ils se rasaient, arr_angea.iel!! leur~ m~ustc::~~s
et leurs barbes, faisaient attention à leurs cheveux, fro~taie?t
leurs dents, enfin ils s'entretenaient avec les moyens dont ils dis-
posaient. Ils étaient aussi soucieux de leurs vêtements, leurs
sandales, leurs chameaux, leurs montures, la manière d'enrouler
le turban, leur façon de fumer, enfin leur physique. Ils étaient
très soignés, on les habituait très jeunes à cultiver leur apparence.
C'était d'abord la maman, quand l'enfant était petit, et puis
~ après c'était le père. . .
t "-Actuellement, dans les villes, on voit des hommes qui ont du
1 ventre ils sont bedonnants, c'est désolant. C'est parce qu'ils ne
' -- .
font plus aucun sport~ ·n sne bougent plus, ils sont entre la voi-
\ ture et le bureau. Et puis ils mangent beaucoup trop, il~ ~ !nt
\ a.utal!t g~e les femmes ! Nqrrgalem.~_...0.1 la ,§_mme doit manger
\.elus et .Pl~ifréquemment que les hommes, ëtêllêïre ârut pas
,--- ---- . .,,. ,_..,,,.,,~.....
tb.~uger beaucoup.. Mais ·aujourd'hui, tu trouves bêaucoup
- -
196
la femme, que tous les deux se ressemblent il n'y a 1
com me ' pus
la différence. . . , .
Je n'ai jamais pu per~re cette ide~ de différence, et de diffé-
ce radicale. Ce que Je trouve tOUJours beau chez une femme
ren r d . " ,
c'est sa féminité. Une remme Olt etre très féminine, elle ne doit
as être dure. Contr.air~~nt à ~e qu'on dit ici, je pense 9.u' elle
~oit :\YllÏLl!~ chaii:-~e,Ja,_ p<;.al!_ êiO~ce,_et~ne( ~Wil~
Les sportives de compétition ne sont pas des femmes pour moi !
Et je pense que c'est pour tout le monde pareil. Je suis persuadée
que les hommes apprécient plus une femme féminine, au sens
où je l'entends, qu'une autre. Quand tu te heurtes à un corps
dur, tu ne peux pas le trouver féminin. ~i j~ !~!?,~ hais. à ma
m~ g~!:
voir et ~e m:.a:~}Lf~]1R~~l~~.,!ne.~~?~~s_e~ ,mus-
clée~ -~~J?~~_Eite. fi!Ie, e~ me d1sa1t que les mus: "~:~, !!.~t~~ent pas
féminins. Un jour, elle apris gûn caîlloü;"ùnê·grosse pierre, et elle
- ~ --r
l'a mise sous sa melhafa, comme ça. De l'autre côté, elle a mis un
petit coussin, et quand je suis arrivée, elle m'a dit :
- Installe-toi ici !
Comme elle était sous sa melhafa, je n'avais pas vu la pierre, et
quand je me suis couchée, ça m'a fait mal, j'ai rebondi.
- Et maintenant, touche ici!
Elle m'a fait tâter l'endroit du coussin qui était aussi caché.
C'était plus moelleux, ça ne m'a pas fait mal, alors elle s'est mise
à rire. J'ai demandé :
- Mais qu'est-ce que c'est que ça ? Pourquoi tu ris ?
Elle a répondu :
- Tu vois, la différence entre une femme dure et une femme
tendre, c'est ça.
C'est vrai, c'est plus agréable de toucher une peau douce qui
recouvre une chair tendre plutôt que d'avoir l'impression d:
heurter une pierre. Elle avait raison. Et c'est une chose qm
r~vient très souvent dans la conversation des hommes maurita-
niens. On les entend dire :
197
- Oh ! Celle-là n, est pas féminine, elle n, a pas un corps assez
féminin.
Mais ils disent aussi :
- Elle n,a pas le ventre plat. Elle a un gros ventre.
On n,aime p~ les gros ventres, les.bourrelets qu'on aime sont
plu~ aux ~ras et surtout derrière les jambes. _Mais ce qu'on
apprécie le plus, c, est un pubis g!_~nd, large, 9.!JÏsë âémarque
bien du ventre. Cet endroir,lê bas du ventre, entre le ventre et
le pubis, n'est pas le même chez toutes les femmes. Certaines
\ l'ont grand, tu peux y mettre une main et même plus, ce n, est
' pas une question de graisse, c'est la forme du squelette. D'autres
sont différents, l'endroit est tout en longueur, et part en creux,
vers l'aisselle. On dit alors qu'il ressemble aux traces d,une
gazelle sur un terrain mouillé. C'est le pubis étroit. C'est rare
chez les femmes qui ont de bonnes fesses, comme beaucoup
d,Africaines, comme beaucoup de Mauritaniennes. C'est peut-
être à cause de la posture assise, en tailleur, qui élargit les
hanches. Regarde comment s'assoient les Sénégalaises, les deux
jambes tendues en avant. Pour nous c'est inélégant. Avec le
temps, leur colonne vertébrale finit par se creuser, elles sont très
cambrées. Nous le sommes moins, car nous nous asseyons plu-
tôt en tailleur. La forme du corps résulte d,une adaptationz el.le
dépend des postur es que la civilisation impose. En Mauritanie,
si tut'; ;oies comme une Sénégalaise on va te dire :
- Tu te tiens comme une esclave!
C, est comme ici quand tu te tiens mal à table et qu'on te dit
que tu te tiens comme une cuisinière. C, est vrai que les esclaves
ront souvent assises comme ça.
I Quand j'étais petite, ces femmes gavées, si grosses, je les trou-
,vais belles, et je voulais être comme elles. Et toutes mes copines,
toutes mes amies, toutes mes petites voisines, qui étaient gavées
1comme moi, le voulaient aussi. Je me souviens qu'on faisait un
/ trou la nuit dans le sable pour me mettre à plat ventre, pour que
198
.
Je pu1·sse poser. mon ventre. . Il n'était pas si gros , m ais• Je
. b uvais
.
Uement que Je ne pouvais plus supporter le poids de .
te · Mais le P,ire de ce qui m'est arrivé ce n' t l ce que Je -··
buvais, , ., ..-• ,->•'"- .........--:·,,,.-~~~ ·, - " - "'t ''' · ' . ~s .. pas a torture, , /
c' j_e v~m1s~~s er, ~ ef ~sait_b1oir~ ce_ii;}'ivàis
~
1
_9;:eJ.:.,!~~~~~~~c~ plus .•Ça, c était le pire. Rien
que d y penser mamtenant, J en _frémis... Et ça marchait. Je
vomissais quand on ne me regardait pas ou directement sur mes
vêtements, ou alors dans le sable pour qu'ils ne puissent pas récu-
pérer ce qu~ j'ava~s rendu. Tu sais, chacune trouvait un moyen.
On inventait touJours des systèmes pour échapper. On voulait
être grosse,..m.ais,_quand on n'en pouvait plus, on pensait ·: ·· ·
~: ~ nt pis je ne ~sêraî~pâs'.g~o~·~@~i~-ît fa'ùtqüëçâ cesse !
Je le ~-;-êî"l'üêîn'é"jèîê'ënilih~'r'~t'fô?Cm"'â};'o'iï' ;;; ~;écou-
tait pas. Qu'est-ce que tu veux, j'étais la fille aîné~, il fallait qu'on M,,,'.._-+f;,.b,(lf~, . .,J,
.... , ........ ... ~ ~ ~ " • ' " . t ' ,., .......... ,... :-; .;.,if"~'l#~~'i,4~-:~~(;-(~;."'t,'J.'.~.,...... •• .,,ri".. .
199
- - - o-... ...,.u, 'f u1 vient
le'soir q uanchile -esr ~avec-~eiramies, --et <[ùr dit" atô"ût lêJn-Oiide
qll'i( est d'e~l~: Mais ça ne veut pàS-dîrèqü'it l'épou-
sera, et surtout c'est platql)j~ -~ ~ P.eut p~~Rlus loin.
C'est bien pour la fille d'avoir un fiancé, car ce que dit le g~ n
peut attirer l'attention ; d'autres prétendants peuvent se manifes-
ter. Si UQ garçon s'est aperçu qu'une fille était belle, les autres
vont venir voir cornmerit elle-esr. Et te gavage donne l'air cl' être
.,---~ • ,• • a
----
un peu plus âgée, un peu plùs femme. De toute façon les
1\.ommes ail!laieA_t- le~ filles gavées. D'une certaine manière les
gens ont toujours gardé cette conception de la femme qui doit
être bien ronde, car quand je retourne chez moi, on me dit :
- Mais qu'est-ce que tu as ? Tu es malade ?
r En fait, dès qu'on a arrêté de me gaver, j'ai rapidement perdu
· ce que j'avais pris. Pas au point d'être maigre évidemment, mais
j'étais bien, c'est-à-dire bien en chair. Ce n'est qu'à partir des
années soixante, quand j'ai connu un autre mode cl' existence et
d'alimentation, que j'ai vraiment diminué, que j'ai changé de
corps. On était sédentaires, on habitait en ville, je ne buvais plus
de lait, je travaillais, ce n'était plus du tout la même vie. Depuis
les années soixante-dix j'ai un poids stable, je pèse 57_kilos, ce
., l '• 'w.,,f':.;1JINTu- _. ~ , . . . •-
200
•
t d'avoir le regard changé. Avant, je trouvais ça b
e eau une femme
gavée.