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Théâtre

Mario Paul Ahues Blanchait

LES TOURS DU LAC

2021

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Mario Paul Ahues Blanchait est l'auteur de TROIS PIÈCES INTIMISTES,
recueil contenant Rencontre souterraine, Premier Prix et Prix spécial du jury
pour la qualité et l'originalité de l'œuvre du Concours littéraire de la Fé-
dération des clubs de la défense (catégorie Réflexions, 2008), Soif et mort
ou L'itération inverse, Premier Prix du Concours littéraire de la Fédération
des clubs de la défense (catégorie Nouvelles, 2009) et Le voyage, Premier
Prix du Concours littéraire de la Fédération des clubs de la défense (caté-
gorie Théâtre, 2010), (Publibook, 2016), THÉÂTRE DANS LE THÉÂTRE,
recueil contenant Une dernière nuit à l'auberge, Une soirée chez Marlène et Alain
Roland, (SARL WMbooks, 2017), LES JEUX DU VENDREDI SOIR (SARL
WMbooks, 2017), PIEDRAS BLANCAS OU LES TORTIONNAIRES DU DIC-
TATEUR, avec María Isabel Mordojovich, (Les Éditions Ovadia, 2019) et
sa traduction en espagnol des auteurs, LOS CUERVOS DE PIEDRAS BLAN-
CAS, (Simplemente Editores, 2019), COUPLES, avec Walid Ben Medjedel,
recueil contenant La répétition, Premier Prix du Concours littéraire de la
Fédération des clubs de la défense (catégorie Théâtre, 2019), L'intéresse-
ment, Deuxième Prix du Concours littéraire de la Fédération des clubs de
la défense (catégorie Théâtre, 2018), Une conversation dominicale, Une conver-
sation mercuriale, Webness-Webless, et Gilles et John en garde à vie, (Les Éditions
Ovadia, 2019), JURISPRUDENCE, édition trilingue avec une traduction en
anglais de Neil Finn et une en espagnol de l'auteur, (Les Éditions Ovadia,
2019), UN ROYAUME UNI OU L'ÉLOGE DE L'OBSCURANTISME, édition bi-
lingue avec une traduction en anglais de Neil Finn, (Éditions Muse, 2019),
SIX BRÈVES PIÈCES DE THÉÂTRE, recueil contenant Je t'écris, Chez Madame
de Butternut, Les voyelles automnales, Le cours magistral, La nuit des adieux et
Monologue pour une femme très seule, (Éditions Muse, 2019), DEUX PIÈCES
COURTES, recueil contenant La traversée du Delaware et L’essor et la chute,
(Éditions Muse, 2019), TOUFIK (Publibook, 2020), ESSOR ET CHUTE
D’UN VIRUS IMPÉRIAL, avec María Isabel Mordojovich et Walid Ben Med-
jedel, recueil gratuit contenant Enfin libres !, Une lueur d’espoir aux temps de
la pandémie, L’entente cordiale, Allô !, L’œuf, le sexe et le confinement, Une pièce très
bien montée, Cling !, Le débat et L’assemblée, (libre de droits, Association
WMbooks, 2020) et UNE VISITE TRÈS OPPORTUNE, édition gratuite tri-
lingue en français, en anglais et en espagnol d’un texte inspiré librement
de WANDA’S VISIT de Christopher Durang et soumis aux droits d’auteur
de ce dernier, (Association WMbooks, 2020).

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Je remercie amicalement
María Isabel Mordojovich
et
Patrick Chenin
pour leurs nombreuses lectures attentives
dont ces pièces ont grandement bénéficié.
J’exprime ma reconnaissance à
Henri Jouannard
et
Élisabeth Mathieu
pour leurs remarques linguistiques.
Que mon ami d’enfance
Milovan Radišić
trouve ici l’expression de mes remerciements
pour sa contribution musicale originale.
Et j’exprime ici ma gratitude à ma fille cadette
Dalma Sofía Ahues Mardones
pour sa révision de la traduction en espagnol du Chili.

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PERSONNAGES
JUDITH, sexagénaire et célibataire, en fauteuil roulant, parle
avec un accent étranger, maîtrise l’anglais, l’espagnol et l’al-
lemand ;
ESTHER, de quelques années plus jeune que JUDITH, céliba-
taire, cultivée et quelque peu vindicative ;
DUVAL, un homme dans la cinquantaine ;
VOIX F, femme que l’on entend à la télévision ;
VOIX H, homme que l’on entend à la télévision.

DÉCOR
Une pièce servant de salon et de salle à manger chez une fa-
mille de classe moyenne en France, en 1996. Une table et au-
tour de la table, de la place pour un fauteuil roulant côté cour,
une chaise face au public et une chaise côté jardin. Un télévi-
seur tournant le dos au public placé côté jardin.

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SCÈNE 1
JUDITH et ESTHER
RÉGIE ÉCLAIRAGE – Pleins feux
RÉGIE SON – Primo Rondó in Am
JUDITH arrive côté cour dans son fauteuil roulant, s’assoit à table et
tricote.
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Qu’est-ce que tu écoutais ?
JUDITH – (Parle fort vers le côté jardin.) Ça ne te regarde pas. Et
toi, qu'est-ce que tu fais ?
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Rien.
JUDITH – Comment ça, rien ?
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Rien. Pourquoi ? Ça t'inté-
resse ?
JUDITH – (Indifférente.) Je voulais savoir ce que tu faisais, c'est
tout.
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Ça t'intéresse sûrement,
mais cela ne te concerne pas.
JUDITH – (Patiente.) Comme tu veux.
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Bien sûr. Comme je veux.
JUDITH – (Laisse le tricot sur ses genoux.) Où as-tu mis le jour-
nal ?
ESTHER – (Entre côté jardin.) Quel journal ?
JUDITH – Nous n'achetons qu'un seul journal, que je sache.
ESTHER – Je n'en achète aucun, moi.
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JUDITH – (Modestement.) Je sais parfaitement que c'est moi
qui paie l'abonnement.
ESTHER – (À table, s'assoit côté jardin.) Comme tout ce qui est
inutile dans cette maison.
JUDITH – (En espagnol.) “¿Pero qué bicho te picó, eh?”
ESTHER – Ce qui veut dire ?
JUDITH – Ça veut dire que je me demande quelle est la bes-
tiole qui t’a piquée.
ESTHER – (Le constate simplement.) Je ne suis pas de bonne hu-
meur. Et si tu me sors tes expressions « espangouïnes » au
milieu de ton mauvais français, cela va être encore pire.
JUDITH – (Avec de l'humour.) Je croyais que ça ne pouvait pas
être encore pire. Et je suppose que dire « espangouïnes »
au lieu de dire espagnoles, c’est comme dire « polaques » au
lieu de dire polonaises.
ESTHER – (Satisfaite.) Tu as tout compris !
JUDITH – Merci pour la franchisse. Maintenant, sais-tu où se
trouve le journal d'aujourd'hui ? Oui ou non ?
ESTHER – « Aujourd'hui » est un pléonasme.
JUDITH – Je m’en contrefiche.
ESTHER – (Indifférente.) N’empêche qu’il en demeure un.
JUDITH – Depuis quand sont-ils interdits, hein ?
ESTHER – M'as-tu entendu dire qu'ils étaient interdits ?
JUDITH – (Recentre la conversation.) Bon. Sais-tu, oui ou non,
où se trouve le journal ?
ESTHER – S'il n'est pas ici, les possibilités sont en nombre
fini : dans la cuisine, dans ta chambre ou dans la mienne. À
moins que tu ne te sois mise à le lire dans les toilettes.

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JUDITH – Et je suppose que je suis censée le découvrir par
moi-même.
ESTHER – Pourquoi donc ai-je acheté ce fauteuil ? D'après
toi, c'est peut-être, pour que je cherche tes affaires à ta
place ?
JUDITH – (Pose le tricot sur la table, puis se dirige vers la sortie côté
cour.) D'accord, je vais aller voir dans ma chambre. (Quitte
la scène côté cour.)
ESTHER – (Prend le tricot, défait quelques rangées, se lève et se dirige
côté jardin.) Tous les jours c'est pareil ! Ça use.
RÉGIE SON – Téléphone
JUDITH – (Voix off du côté cour.) Téléphone !
ESTHER – (Très fort vers le côté cour.) Je l'entends parfaitement.
Ce n'est pas moi qui suis sourde !
JUDITH – (Voix off du côté cour.) Tu décroches ?
ESTHER – (Idem.) Je ne sais pas où tu as mis le téléphone !
JUDITH – (Voix off du côté cour.) Ah ! Le voilà ! (Arrive côté cour
avec un smartphone qui sonne toujours.) Je l'ai trouvé. (Tend le
téléphone à ESTHER.) Tiens.
ESTHER – (Au téléphone.) Allô ? (Pause.) C'est moi, oui.
(Pause.) Je vous avais reconnu. Comment allez-vous ?
(Pause.) Nous aussi, merci. (Pause.) Si vous voulez… Oui,
elle va bien. (Pause.) D'accord. (Pause.) Nous vous atten-
drons. (Pause.) Au revoir. (Raccroche et laisse le téléphone sur la
table.)
JUDITH – Le docteur Duval ?
ESTHER – Qui d'autre.
JUDITH – Il vient nous voir ?
ESTHER – Il vient « te » voir.
JUDITH – Heureusement, j'ai trouvé le téléphone.
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ESTHER – Dans ta chambre, comme d'habitude.
JUDITH – Non. Dans la tienne.
ESTHER – Que faisais-tu dans « ma » chambre ?
JUDITH – Je cherchais le journal. Tu as oublié ?
ESTHER – Non, je n'ai pas oublié. Mais pourquoi cherchais-
tu le journal dans ma chambre ?
JUDITH – Parce que je ne l'ai pas trouvé dans la mienne.
ESTHER – Et il était dans la mienne ?
JUDITH – Je n’ai pas pu savoir. Je cherchais le journal au mo-
ment où le téléphone a sonné.
ESTHER – Je vois. Donc tu ne sais toujours pas où se trouve
le fameux journal.
JUDITH – Je ne sais pas, non. Pas encore.
ESTHER – (Quitte côté jardin.) Je vais voir s'il est quelque part
dans la cuisine.
JUDITH – (Étonnée et reconnaissante.) C'est très gentil, merci.
ESTHER – (Juste avant de quitter la scène.) Il ne faudrait pas s'y
habituer ! (Sort côté jardin.)
JUDITH – (Reprend le tricot et tricote.) Pauvre Esther…
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) J'entends.
JUDITH – (Souriante.) Je savais que tu m'entendais.
ESTHER – (Revient avec le journal et le met sur la table.) Voilà !
Ton journal !
JUDITH – (Contente, laisse le tricot sur ses genoux et prend le journal
pour le lire.) Mm ! Il était dans la cuisine, tu vois ?
ESTHER – J'ai vu, oui.
JUDITH – (Parcourant le journal.) Je me demande pourquoi tu
ne l'avais pas vu avant.

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ESTHER – (S'assoit côté jardin.) Parce qu'il n'était pas visible à
première vue.
JUDITH – (Sans quitter les yeux du journal.) Comment ça ? Pas
visible à première vue ?
ESTHER – Tu ne vois pas qu'il est un peu… refroidi ?
JUDITH – (Plie le journal et le dépose sur la table.) C'est vrai. Et
les pages sont humides.
ESTHER – Bien sûr. Tu l'avais mis dans le réfrigérateur.
JUDITH – (Naïvement étonnée.) Moi ? Dans le réfrigérateur ?
ESTHER – Non, pas toi. Le journal.
JUDITH – Mais oui ! Le journal. J'avais compris. Évidem-
ment : le journal. Pourquoi me prends-tu toujours pour
une demeurée ?
ESTHER – Ce n'est pas une question de prendre ou ne pas
prendre.
JUDITH – Comment ?
ESTHER – Tu as perdu la conscience d'être !
JUDITH – (Se rappelle.) Ah oui ! « To be or not to be ». Je me
rappelle.
ESTHER – Voilà ! Sauf que dans ton cas, c'est seulement
« not to be ».
JUDITH – (Reprend le journal pour le lire. Sur ton affirmatif de ré-
probation.) Qu'est-ce que tu racontes ! Je vais très bien. Tu
l'as dit toi-même au docteur Duval.
ESTHER – (Ironiquement.) Tu te souviens de ce que j'ai dit au
docteur Duval ? Mais c'est extraordinaire !
JUDITH – (Lit le journal.) C'est ça, moque-toi de moi. Eh ben,
continue. Je ne t'écoute plus. Je lis maintenant.

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ESTHER – (Sincèrement, sans méchanceté.) Je me demande ce
que t'apporte de lire ce journal.
JUDITH – (Lit le journal.) Je ne t’écoute plus.
ESTHER – Tu ne te souviens de rien la minute d'après.
JUDITH – (Lit le journal.) Et alors ?
ESTHER – Tu ferais mieux de regarder la télévision et on ar-
rête l'abonnement au journal.
JUDITH – (Lit le journal.) On dit n'importe quoi à la télévi-
sion.
ESTHER – Dans la presse écrite, on dit exactement les
mêmes choses.
JUDITH – (Laisse le journal sur la table.) Peut-être, mais ça reste
écrit, tu vois ? La télé, elle s'envole. Pas de trace ! (En bon
anglais.) « Gone with the wind » !
ESTHER – « Autant en emporte le vent ».
JUDITH – Pour toi, oui. Parce que tu n’as jamais appris un
seul mot d’anglais.
ESTHER – Si tu veux garder une trace de ce que tu vois à la
télévision, tu peux enregistrer le programme. Tu le sais
bien.
JUDITH – (Sûre d'elle-même.) Et tu sais bien que tout cela peut
s'effacer avec une coupure d'électricité !
ESTHER – (Ironiquement.) Et ton journal peut brûler, si la mai-
son prend feu ! (Se lève pour aller dans la cuisine.) Je vais ter-
miner de préparer le déjeuner.
JUDITH – (Étonnée.) Nous n'avons pas pris de petit-déjeuner
ce matin et nous allons déjeuner ?
ESTHER – (Se retourne pour lui parler.) Comment ça, pas de pe-
tit-déjeuner ? Tu as oublié ce que tu as mangé ce matin ?
JUDITH – (Regarde sa montre.) Quelle heure est-il au fait ?
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ESTHER – (Regarde sa montre.) Presque 13 h.
JUDITH – Ah, oui ! 1 h.
ESTHER – Ici, on dit 13 h. Parce qu'à 1 h, tu dormais.
JUDITH – Et toi aussi.
ESTHER – (Quitte la scène côté jardin.) Bon. je vais cuisiner.
JUDITH – (Contente.) Hé-hé-hé ! Je l'ai eue ! (Se remet à tricoter.)
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Qu'est-ce qu'il disait ton
journal ?
JUDITH – (Se marre.) La même chose qu'à la télé !
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Très drôle…
JUDITH – Il raconte un jeu.
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Un jeu ? C'est tout ce que
tu as trouvé dans le journal ?
JUDITH – C'est un jeu très long. Il faut parcourir plusieurs
pages pour comprendre.
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Tu peux me l'expliquer, ce
jeu ?
JUDITH – (Arrête de tricoter et laisse le tricot sur la table.) Bien sûr,
mais tu dois m'écouter attentivement et rester bien concen-
trée.
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Je t'écoute.
JUDITH – (Fait un effort pour se rappeler.) Eh ben… Tout a
commencé dans un petit supermarché. Tu sais ? Ceux
qu'on appelle des supérettes maintenant. Il a été vandalisé
par deux délinquants connus de la police. Mais le gérant
avait une arme et il a tiré sur l'un des voleurs et l'a tué. Puis,
comme il était d'origine étranger…
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Étrangère.
JUDITH – Quoi ?
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ESTHER – (Voix off du côté jardin.) On dit « d’origine étran-
gère ».
JUDITH – Pas en espagnol.
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Dans quelle langue veux-
tu me raconter ton histoire ?
JUDITH – D'accord, d’accord. Alors… Comme il était d'ori-
gine « étrangè-re »…
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Qui ?
JUDITH – Comment ça, qui ? Tu m'écoutes ou non ?
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Qui était d'origine étran-
gère, le gérant ou l'homme que le gérant a abattu ?
JUDITH – Ah, oui ! L’homme que le gérant a abattu.
ESTHER – Ah… D’accord.
JUDITH – Je continue ?
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Oui, bien sûr, continue.
JUDITH – Très bien. Alors… (Pause.) J'en étais où ?
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Le gérant de la supérette
avait une arme et il a tué l'un des délinquants qui était d'ori-
gine étrangère.
JUDITH – Ah, oui ! Alors, comme il était étranger et que
dans ce quartier habitent beaucoup d'étrangers, alors il y a
eu une manifestation pour protester contre cet assassinat.
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Le journal parlait d'un as-
sassinat ?
JUDITH – Pourquoi me demandes-tu cela ?
ESTHER – (Entre côté jardin.) Parce que rien ne prouve que ce
soit un assassinat. Un assassinat est un meurtre volontaire
commis avec l'intention expresse de tuer.

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JUDITH – Mais si tu penses que le gérant a tiré sur l'homme
sans vouloir le tuer, alors dis-moi pourquoi il a tiré ?
ESTHER – (Prend place à table côté jardin.) Je ne sais pas quelles
pouvaient être les intentions du gérant. Et toi non plus.
Alors raconte-moi ce que disait le journal et abstiens-toi de
créer ta propre version des faits. D'accord ?
JUDITH – Qu'est-ce que tu peux être pénible, tu sais ? D'ac-
cord. Le journal ne parlait pas d'assassinat. Mais moi, je
pense que c'en était un.
ESTHER – (Patiente.) Très bien, Judith. Alors, tu continues ?
JUDITH – D'abord tu m'interromps et ensuite tu veux que je
continue. Mais bon, tu ne changeras jamais. Je continue.
(Pause.) J'en étais où ?
ESTHER – La manifestation.
JUDITH – Quelle manifestation ?
ESTHER – La manifestation des étrangers qui protestaient
dans la rue parce que l'un de leurs voisins avait été tué.
JUDITH – Ah, oui ! Alors la police est venue disperser les
manifestants et les manifestants ont lancé des pierres
contre les policiers. Ils criaient « Ce n'est pas nous l'assas-
sin ! » Tu vois ? Eux aussi, ils pensaient que c'était un as-
sassinat. Mais bon, nous n'allons pas revenir là-dessus. De
toute façon, tu ne changeras pas d'avis.
ESTHER – Tu veux bien finir de me raconter l'histoire ?
JUDITH – Oui. Alors, l'un des manifestants, qui était armé, a
tiré en l'air et un policier est mort.
ESTHER – (Se moque.) Il a tiré en l'air et un policier est mort !
JUDITH – Mais tu deviens sourde, comme moi ?
ESTHER – (Patiente.) Le policier était en train de voler, alors.

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JUDITH – Mais non, le voleur était l'étranger qui s'est intro-
duit dans la supérette !
ESTHER – Je parle de voler comme un oiseau. Ça me rap-
pelle « Taking sides ». Continue, s'il te plaît.
JUDITH – (Curieuse.) « Taking sides » ? C'est quoi ça ? « Pre-
nant parti » ?
ESTHER – Oui, mais le traducteur en français avait décidé
que c'était préférable « À torts et à raisons ». Va savoir
pourquoi !
JUDITH – À tort « ou » à raison alors…
ESTHER – Non. C’était À tort « et » à raison. Et en plus, au
pluriel : torts et raisons. Bizarre, bizarre !
JUDITH – D’accord. (Soupirant.) Alors, tu m’expliques ?
C'était quoi « À torts ‘et’ à raisons » ?
ESTHER – Tu ne te souviens donc pas ? Une pièce de
théâtre que nous sommes allées voir ensemble en ville.
Quand nous allions encore en ville… Et quand nous al-
lions encore au théâtre…
JUDITH – (Intéressée.) Et ça parlait de quoi ?
ESTHER – Oublie. Que nous apporte-t-il de nous rappeler
cette pièce ? Ça parlait de la Shoa. Continue.
JUDITH – (Très étonnée.) La Shoa ?
ESTHER – (S'impatiente.) Oui, la Shoa. Ça te dit quelque
chose, la Shoa ?
JUDITH – (Les yeux grand ouverts, regarde l’horizon.) Je ne sais…
ESTHER – Continue, je te dis !
JUDITH – Quoi ?
ESTHER – L’histoire que tu as lue dans ton journal !
JUDITH – J'en étais où ?

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ESTHER – Un policier a été tué.
JUDITH – Quel policier ?
ESTHER – Celui qui a été tué pendant la manifestation des
étrangers.
JUDITH – Ah, oui ! Alors, le manifestant qui a tiré en l'air…
ESTHER – (La coupe.) Le manifestant qui a tué un policier…
JUDITH – (Surprise par la remarque.) Mais c'est le même !
ESTHER – Bien sûr que c’est le même ! Continue !
JUDITH – (Hoche.) Qu'est-ce que tu peux être agaçante ! Bien.
Je continue. Alors le jeune a été arrêté et transféré au com-
missariat. (Se tait.)
ESTHER – (Pause.) Et ?
JUDITH – Et il a été placé en garde à vue.
ESTHER – C’est tout ?
JUDITH – Quoi ?
ESTHER – Ça se termine là ?
JUDITH – Ah ! Non. Ça continue. Alors pendant la garde à
vue, le jeune a rencontré le gérant de la supérette, qui était
détenu, lui aussi en garde à vue, parce qu'il avait assassiné
le voleur.
ESTHER – Abrège, d'accord ?
JUDITH – Et il s'en est suivi une altercation entre le jeune
manifestant et le gérant. Et un policier est intervenu. (Se
tait.)
ESTHER – (Pause.) Et ?
JUDITH – Et il a assassiné le gérant.
ESTHER – Qui a tué le gérant ?

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JUDITH – Mais tu es dans la lune ? Je viens de te le dire. Le
policier a assassiné le gérant.
ESTHER – Tu m'avais dit que c'était un jeu que tu avais lu
dans le journal.
JUDITH – Oui.
ESTHER – C’est ça le jeu ?
JUDITH – Eh ben, oui ! J'ai tout de suite pensé au chaises
musicales.
ESTHER – Aux chaises musicales ?
JUDITH – Oui ! À chaque fois, il y a quelqu'un qui se fait des-
cendre ! Le gérant assassine un étranger, un étranger tire en
l'air et un policier est mort et un policier assassine le gérant.
ESTHER – (Se lève pour retourner dans la cuisine.) Et tout cela, où
est-ce que ça s'est passé ?
JUDITH – Quoi ?
ESTHER – Ce que tu viens de me raconter.
JUDITH – Qu'est-ce que tu racontes ?
ESTHER – C'est toi qui racontes, pas moi.
JUDITH – Et qu'est-ce que je te racontais ?
ESTHER – L'histoire de la supérette, la manifestation et la
garde à vue dans le commissariat.
JUDITH – Ah oui !
ESTHER – Tu as tout inventé ou cela s'est produit quelque
part ?
JUDITH – Ça dépend.
ESTHER – Ça dépend de quoi ?
JUDITH – Je n'ai rien inventé. Qu'est-ce que tu veux savoir ?
ESTHER – Le quartier ou la ville où cela s'est passé !

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JUDITH – Ça dépend.
ESTHER – Comment, ça ? Ça dépend ?
JUDITH – La supérette c'était à New York, la manifestation
à Paris et la garde à vue à Bogota.
ESTHER – (S'immobilise et la regarde dans les yeux.) Elle est bien
bonne celle-là ! C'est la meilleure ! (Fait demi-tour et quitte la
scène côté jardin.)
JUDITH – (Reprend le tricot.) Aucun humour ! Aucun humour !
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Tu viens manger ?
JUDITH – Je suis à table.
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Ça, je le sais.
JUDITH – Alors ! Je peux manger, non ?
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) On mange dans la cuisine.
JUDITH – Pourquoi dans la cuisine ?
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Parce que c’est moi qui dé-
cide.
JUDITH – Pf… ! (Pour elle-même.) Après, je ferai ma sieste.
Que ça lui plaise ou non.
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Alors, tu viens ?
JUDITH – J’arrive ! J’arrive !
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Dépêche-toi ! Ça va refroi-
dir !
JUDITH – (Se déplace côté jardin. Pour elle-même.) De toute façon,
ce que tu as préparé est « un plat qui se mange froid »…
(Sort côté jardin.)
RÉGIE ÉCLAIRAGE – Noir

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SCÈNE 2
DUVAL et ESTHER
DUVAL est à table assis face au public. ESTHER est assise côté jar-
din. Une tasse de café devant chaque personnage.
RÉGIE ÉCLAIRAGE – Pleins feux
DUVAL – (Finit son café.) Merci pour le café.
ESTHER – C'est la moindre des choses. Nous avons déjeuné
à l’instant. (Pause.) Alors ?
DUVAL – Et vous ? Qu'est-ce que vous en pensez, vous ?
ESTHER – C'est votre opinion qui compte, pas la mienne.
DUVAL – Il faudrait que je parle avec elle plus longtemps et
sur des sujets plus variés.
ESTHER – Bien sûr. Mais vous avez vu qu'elle se fatigue très
vite. Elle n'a pas tenu dix minutes de conversation la der-
nière fois que vous êtes venu.
DUVAL – C'est toujours le cas ? C’est comme ça avec tout le
monde ?
ESTHER – Que voulez-vous dire ? Nous ne voyons per-
sonne !
DUVAL – Entre vous. Vous ne parlez pas entre vous non
plus ?
ESTHER – Ah, si vous saviez combien il est difficile d'entre-
tenir une conversation avec Judith ! Elle divague, se perd
dans ses souvenirs, essaie de régler ses comptes avec tout
le monde. Même avec les morts !
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DUVAL – Et vous perdez patience.
ESTHER – Il m'arrive de m'énerver, oui. Même si j'essaie de
garder mon calme. Parfois, elle devient insupportable.
DUVAL – Hélas, il n'y a pas de traitement efficace pour cette
dégradation de l'éveil. Ce dont elle souffre relève de la prise
de conscience de soi, vous comprenez ? Ce n'est pas, à pro-
prement parler, de la démence. Même pas de ce que l'on
appelle la démence sénile. C'est moins grave que ça, mais
en même temps, parfois, plus agaçant. Pour les autres, je
veux dire.
ESTHER – (Soupire.) Je comprends, docteur. Mais c'est telle-
ment dur par moments.
DUVAL – (Prudemment.) Elle ne se souvient donc de rien ?
ESTHER – (Sans certitude.) Il semblerait que non. De rien.
DUVAL – Vous n'avez jamais essayé d'aborder le sujet avec
elle ?
ESTHER – (Avec ironie.) « Le sujet » ? Mais quel sujet ? Il y au-
rait tant de sujets à aborder !
DUVAL – Oui, je comprends.
ESTHER – Et puis, quelle importance !
DUVAL – Vous savez, Esther… Des souvenirs refoulés peu-
vent provoquer des absences comme celles de Judith. Mais
je suis d'accord avec vous pour dire que ce n'est peut-être
plus le temps de les réveiller.
ESTHER – C'est ce que je pense, oui. À quoi bon ? Tant de
souffrance, tant de douleur !
DUVAL – (Curieux.) Comment pouvez-vous en être sûre ?
ESTHER – De quoi, docteur ?
DUVAL – Qu’il s’agit de souffrances.
ESTHER – Qu’est-ce que cela pourrait être d’autre ?
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DUVAL – Vous avez peut-être raison. Mais nous ne pouvons
pas en être sûrs.
ESTHER – Ce sont les souffrances qu’on refoule, non ?
DUVAL – La réponse dépend du spécialiste à qui vous posez
la question. (Il sourit car sa remarque se voulait une moquerie pro-
fessionnelle à l’égard de ses confrères.). Excusez-moi. Je me mo-
quais de certains de mes collègues.
ESTHER – Est-ce qu’on peut devenir une victime d’une psy-
chose en ayant refoulé un événement heureux ?
DUVAL – (Souriant.) Si vous me dites ce que vous entendez
par « un événement heureux », je vous réponds volontiers.
(Sans permettre de répondre à sa question.) Elle n’a jamais évoqué
un épisode de son enfance ? De son adolescence peut-
être ?
ESTHER – Eh ben… À une certaine époque, elle me parlait
de sa jeunesse, de ses fréquentations. Très rarement en tout
cas. De temps en temps. Comme ça, sans prévenir.
DUVAL – Vous n'avez pas remarqué si un fait particulier dé-
clenchait chez elle le besoin ou l'envie de se livrer à des
détails ? De se souvenir d’autres événements du même
genre ?
ESTHER – À l’époque de nos premières rencontres… Vous
savez que nous nous sommes rencontrées dans un bal.
DUVAL – (Rapidement.) Je sais, je sais.
ESTHER – Eh ben, nous nous racontions notre vie, comme
la plupart des jeunes femmes, même si nous, nous n’étions
pas si jeunes… Vous comprenez bien.
DUVAL – (Avec sympathie.) Cela n’a pas changé à mon humble
avis.
ESTHER – Peut-être, oui, mais comme je vous l'ai déjà dit
plusieurs fois, dans ces bals, on dansait surtout.
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DUVAL – Évidemment.
ESTHER – (Mélancolique.) Et il s’agissait de vraies rencontres.
Ça n'existe plus de nos jours.
DUVAL – En effet. Ce sont plutôt les rencontres virtuelles
qui sont à la mode.
ESTHER – On buvait beaucoup de café aussi. Dans ces bals
je veux dire.
DUVAL – Et pas uniquement du café, je suppose.
ESTHER – Parfois, on se laissait aller à des boissons plus…
DUVAL – Stimulantes ?
ESTHER – C'est une façon de voir, oui. Moi, je dirais, plus…
accommodantes.
DUVAL – Vous parlez de boissons alcoolisées ?
ESTHER – Évidemment, docteur. (Nostalgique.) Nous étions
des femmes en bonne santé. (Avec humour.) Et puis, il fallait
faire comme les autres !
DUVAL – Vous n'avez pas remarqué des effets inusuels de
l'alcool dans le comportement de Judith ?
ESTHER – Rien de particulier, non. Elle devenait plus gaie,
plus désinvolte. Comme moi, comme les autres.
DUVAL – Elle n'éprouvait jamais le besoin d’évoquer son
passé dans de telles circonstances ?
ESTHER – Pas que je me souvienne.
DUVAL – À mon avis, il faudrait que vous l’aidiez à s’expri-
mer. À parler d’elle. Se souvenir des moments importants
de sa vie.
ESTHER – Je ne sais pas comment m’y prendre, docteur.
DUVAL – (Sans sous-entendu.) Vraiment ?

21
ESTHER – Bien sûr que non. Je ne suis pas psychologue,
moi !
DUVAL – (Sincèrement.) Vous êtes une femme cultivée, Es-
ther. Parfois, à vous entendre, on dirait que vous êtes, je ne
sais pas, infirmière peut-être ?
ESTHER – Venant de vous, c’est un compliment, docteur.
J’ai… j’ai connu… J’ai eu quelques relations avec des gens
de votre milieu, mais rien de professionnel, je vous rassure.
DUVAL – Je comprends bien, Esther. Mais on n’a pas besoin
d’être un professionnel pour aider quelqu’un à se libérer
par la parole.
ESTHER – C’est tellement difficile de communiquer avec Ju-
dith. Si vous saviez…
DUVAL – Je ne l’ignore pas, mais je sais aussi que vous
éprouvez des sentiments très nobles à son égard.
ESTHER – Bien sûr. Pourquoi serions-nous encore en-
semble si ça n’était pas le cas ?
DUVAL – C’est tout à votre honneur, croyez-moi. Je n’ai pas
connu beaucoup de cas comme le vôtre. Pour ne pas dire
que vous êtes un cas unique dans ma vie professionnelle.
Vous fournissez un effort remarquable pour mener une vie
paisible avec Judith. C’est ce que vous m’avez fait com-
prendre.
ESTHER – C’est la vérité et ce n’est pas un effort remar-
quable comme vous dites. De toute façon, l’effort est tou-
jours partagé quand les sentiments l’emportent sur tout le
reste, n’est-ce pas ?
DUVAL – Vous avez sans doute raison.
ESTHER – On se chamaille souvent, mais ce n’est qu’un pe-
tit jeu. Cela nous amuse et nous sommes heureuses comme
ça.

22
DUVAL – Nous sommes tous des enfants au fond, n’est-ce
pas ?
ESTHER – (Triste.) Nous le voudrions, c’est sûr.
DUVAL – Vous permettez que je vous pose une question
personnelle ?
ESTHER – Dites.
DUVAL – Votre enfance à vous. Quels sont les souvenirs que
vous en gardez ?
ESTHER – De très bons souvenirs : des parents aimants, sur-
tout mon père. Une scolarité plutôt réussie. Pourquoi ?
DUVAL – Juste par curiosité. En fait, je voulais savoir si vous
avez parlé de votre enfance avec Judith.
ESTHER – Pas beaucoup, non.
DUVAL – C’est peut-être une porte d’entrée pour qu’elle
vous livre ses secrets à elle.
ESTHER – Vous pensez que ses problèmes remontent à son
enfance ?
DUVAL – Écoutez, je ne suis pas psychanalyste, mais…
pourquoi pas ?
ESTHER – Nous étions déjà des adultes quand nous nous
sommes rencontrées. Pourquoi son enfance ferait-elle sur-
face après tant d’années de vie commune ?
DUVAL – C’est à elle de nous le dire, Esther. Elle éprouve
sans doute le besoin de parler puisqu’elle a voulu que je
prenne son cas en main.
ESTHER – C’est vrai. C’est elle qui m’a demandé de vous
contacter. Comment a-t-elle su pour vous ?
DUVAL – Elle a dû consulter un guide de spécialistes dans la
région ou l’annuaire tout simplement.

23
ESTHER – (Se lève et prend les tasses pour les emporter dans la cui-
sine. Avant de quitter la scène côté jardin.) Voulez-vous un autre
café ?
DUVAL – Non, merci. Je vais partir avant que Judith ne re-
vienne.
ESTHER – (Revenant côté jardin.) Elle se repose tous les jours
deux bonnes heures dans l’après-midi.
DUVAL – Vous ne lui avez pas dit que je passerai vous voir ?
ESTHER – C’est vous qui m’avez dit de ne pas la prévenir.
DUVAL – Oui, je voulais vous rencontrer en privé. Je revien-
drai la voir ce soir comme convenu.
ESTHER – Vous serez toujours le bienvenu.
DUVAL – (Hésitant.) Esther…
ESTHER – Oui ?
DUVAL – (Prudent.) Ne croyez en aucune manière que j’ai des
préjugés à ce propos, mais…
ESTHER – Vous voulez dire à propos de l’amour entre deux
femmes ?
DUVAL – (Humble.) Oui. Vous savez ? On a beau se dire que
les temps ont changé et que les esprits se sont ouverts. Que
la tolérance a inspiré le législateur et que…
ESTHER – (L’interrompt avec délicatesse.) Mais vous ne compre-
nez pas comment il est possible que…
DUVAL – (L’interrompt à son tour.) Non, ce que je veux dire
c’est plutôt… Ce qui déclenche en vous une attirance pour
une personne du même sexe. Mais je vous gêne avec mes
questions. Excusez-moi. Je ne voulais pas vous importu-
ner.
ESTHER – Je ne crois pas que quelqu’un ait trouvé une ré-
ponse satisfaisante à votre question. Si vous cherchez du
24
côté des psychanalystes du siècle dernier, ils vous diront
que c’est une forme d’immaturité. Que les gens comme
moi sont restés à un stade inachevé de leur transformation
en adultes. Si vous cherchez du côté des comportementa-
listes, ils vous proposeront peut-être de vous faire soigner.
Vous le savez bien, n’est-ce pas ?
DUVAL – (Riant car il s’estime touché.) Vous exagérez… Non,
nous ne sommes pas si bêtes que ça, rassurez-vous !
ESTHER – Je suis bien placée pour vous parler d’expériences
bizarres. Surtout aux États-Unis. Avec la religion pour base
de sustentation morale…
DUVAL – Je suis au courant, ce sont plutôt des sectes.
ESTHER – Je vais vous dire ce que j’en pense. C’est de la
pure intuition, mais je le pense vraiment.
DUVAL – (Intéressé.) Je vous écoute.
ESTHER – À mon avis, dès la naissance et même avec de
l’information génétique, nous construisons un canon de
beauté.
DUVAL – Un canon de beauté ?
ESTHER – Une définition de ce qui est beau. De ce que nous
allons trouver beau tout au long de notre vie. Ce n’est pas
une définition de dictionnaire, mais un ensemble de fac-
teurs qui constituent la notion de beauté pour chaque indi-
vidu.
DUVAL – Oui, j’en conviens. Mais alors ?
ESTHER – Eh ben… Je le vois comme un mélange de carac-
téristiques physiques, d’odeurs, de sensations, d’idées, de
gestes, de comportements et d’éléments indescriptibles
avec le langage. Cette amalgame constitue ce que chaque
personne considère comme beau. Une fois qu’on devient

25
un adulte, on cherchera inlassablement cette beauté chez
l’autre.
DUVAL – (En conclusion.) Et selon vous, on peut la trouver
chez n’importe quelle personne : un homme ou une
femme.
ESTHER – Exactement. Que nous soyons une femme ou un
homme.
DUVAL – Et vous me dites que cette… théorie, pour l’appe-
ler ainsi, relève de votre seule intuition.
ESTHER – Rien n’a été prouvé à ce propos que je sache.
D’ailleurs, je ne vois pas comment on pourrait confirmer
un tel schéma, ni comment l’infirmer non plus.
DUVAL – Qu’avez-vous aimé chez Judith, si je puis me per-
mettre cette question ?
ESTHER – Son désir de pureté. De perfection. La rigueur
surtout.
DUVAL – Des qualités rares.
ESTHER – Inatteignables surtout. Nous serons toujours des
êtres imparfaits, incomplets et donc insatisfaits.
DUVAL – Mais perfectibles…
ESTHER – Si vous le dites.
DUVAL – Parlez-moi de l’attirance physique. Elle ne compte
pas ?
ESTHER – Bien au contraire ! Elle est le commencement de
l’amour. Elle s’érige en fondations et elle perdure même
quand ce que nous avons construit au-dessus les cache.
Parce que tout est construit sur la passion charnelle.
DUVAL – Vous la voyez comme l’infrastructure ?
ESTHER – (Se moquant sympathiquement.) Ne seriez-vous pas
marxiste par hasard ? (Elle rit avec candeur avant de poursuivre
26
sérieusement.) Oui, le reste c’est la superstructure : l’admira-
tion de la pensée, l’affection asexuée.
DUVAL – Vous séparez donc l’amour et la reproduction de
l’espèce.
ESTHER – On fait bien des enfants sans s’aimer et beaucoup
de couples s’aiment sans avoir de descendance, non ?
DUVAL – C’est vrai.
ESTHER – Mais je sépare surtout le sexe de la reproduction.
Contrairement aux religions.
DUVAL – Surtout les monothéistes, oui. Et comment voyez-
vous le rapport entre le sexe et votre conception de
l’amour ?
ESTHER – (Riant.) Là, ça se complique un peu…
DUVAL – J’aimerais connaître votre avis, si vous voulez bien.
ESTHER – (Théâtrale, doctorale.) « Pas d’amour sans sexe et pas
de sexe sans amour ». Voilà mon avis.
DUVAL – Catégorique !
ESTHER – Mais ne vous trompez pas. Encore faut-il savoir
ce que j’entends par « sexe ».
DUVAL – Vous avez encore construit une définition à vous ?
ESTHER – Il faut bien en avoir une, vu toutes les inepties
que l’on dit et les atrocités que l’on voit commettre au nom
du sexe !
DUVAL – Comment voyez-vous cet aspect de l’amour alors ?
ESTHER – À chaque couple ses rapports. C’est très simple
et ce n’est pas contre Nature.
DUVAL – Vous pouvez développer ?
ESTHER – Le sexe est au sommet des plaisirs de l’être hu-
main, voyez-vous ? Mais cet accomplissement ne saurait

27
être le même selon s’il s’agit de deux femmes, de deux
hommes ou d’une femme avec un homme. C’est une ques-
tion de pureté.
DUVAL – Vous dites de pureté ?
ESTHER – À mon avis, la plus grande erreur de l’homo-
sexualité a été de copier la jouissance sexuelle sur le modèle
hétérosexuel. À vouloir identifier un rôle masculin et un
rôle féminin dans tout rapport sexuel entre deux êtres hu-
mains quel que soit leur sexe, on aboutit forcément à une
relation perverse qui ne repose pas sur les besoins réels de
plaisir de l’un et de l’autre.
DUVAL – Si je m’avance, quitte à vous choquer, je dirais que
vous considérez l’homosexualité comme un défaut de la
Nature. Et donc de la nature humaine. Mais en étant une
victime, vous vous en sortez plutôt bien en redéfinissant
les termes.
ESTHER – Qu’est-ce que vous voulez que je vous réponde ?
Entre le désir de perfection, l’effort pour mener une vie en
paix avec Dieu et surtout avec soi-même, on se déchire af-
fectivement certes, mais on s’épuise intellectuellement
aussi. On aime parce qu’on en a besoin. Appelez ça comme
vous voudrez : « instinct grégaire », « perversion innée »,
« lâcheté »… Mais on a besoin de la chair, parce que sinon,
on meurt, docteur. On meurt de ce froid qui vous pénètre.
Qui s’infiltre par les pores comme par la fissure d’une fe-
nêtre qui n’est pas étanche. Cette froideur qui vous glace et
qui…
DUVAL – Et que vous avez réussi à bannir de votre vie avec
Judith… (Pause.) Pourquoi faites-vous chambre à part avec
Judith ?

28
ESTHER – (Souriant poliment.) Votre espace de liberté a rejoint
la frontière du mien, docteur. (Rit encore aimablement.) Nous
en parlerons plus en détail un autre jour peut-être.
DUVAL – Bien sûr. Je vous prie de m’excuser.
ESTHER – Ou peut-être pas. Je n’y vois pas l’intérêt, mais si
vous insistez… Pourquoi ne pas en parler, hein ?
DUVAL – (Se lève courtoisement.) Je suis navré de vous avoir im-
portunée avec ce genre de question.
ESTHER – Ce n’est pas de votre faute, docteur. Et c’est avec
beaucoup d’intérêt et de respect que je prends vos ques-
tions.
DUVAL – Vous êtes une femme exceptionnelle. Judith a une
chance inouïe de partager sa vie avec vous, croyez-moi.
ESTHER – C’est très aimable de votre part que de vouloir me
demander mon avis sur des aspects si fondamentaux de la
vie en couple, mais je suis fatiguée. Excusez-moi, je vous
en prie.
DUVAL – C’est moi qui m’excuse.
ESTHER – C’est l’âge sans doute. Il ne faudrait pas vieillir,
docteur…
DUVAL – Il faut savoir vivre… avec son âge.
ESTHER – (Sur le ton d’une blague ironique, riant de sa boutade.) Si
c’était seulement avec l’âge !
DUVAL – Gardons cette conversation pour nous, si vous
voulez bien.
ESTHER – Bien sûr, docteur. Bien sûr.
DUVAL – Je viendrai ce soir voir Judith, comme je vous l’ai
déjà dit. (Commence à se retirer côté cour.)
ESTHER – (Suivant DUVAL.) Je vous raccompagne.
RÉGIE ÉCLAIRAGE – Noir
29
SCÈNE 3
JUDITH, ESTHER et DUVAL
JUDITH est à table dans son fauteuil roulant et tricote. Sur la table, se
trouvent le smartphone et un journal.
RÉGIE ÉCLAIRAGE – Pleins feux
JUDITH – (Parle fort vers le côté jardin.) Qu'est-ce que tu fais ?
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) La vaisselle !
JUDITH – (Parle fort vers le côté jardin.) Encore !
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Il faut bien que quelqu’un
s’en occupe, non ?
JUDITH – (Pour elle-même.) Eh ben, voilà ! Il faut toujours
qu’elle dise quelque chose de désagréable…
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Et toi ?
JUDITH – (Ironique.) Moi, quoi ?
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Qu’est-ce que tu fais ?
JUDITH – (Se moquant.) Je m’inquiète pour toi.
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Tu t’inquiètes ?
JUDITH – Oui.
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Tu ne sais même pas ce
que ça veut dire.

30
JUDITH – (Pour elle-même.) Et encore une !
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Tu pourrais faire quelque
chose de plus constructif, non ?
JUDITH – Quelle heure est-il ?
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Tu n’as pas ton smart-
phone sur toi ? L’heure est indiquée sur la page de verrouil-
lage. Tu ne l’avais jamais remarqué ?
JUDITH – (Continue à tricoter.) Je ne sais pas où tu as mis le
téléphone.
ESTHER – (Voix off du côté jardin, se moquant.) Vraiment ?
JUDITH – (Le constatant.) Ah ! Il est sur la table.
ESTHER – (Voix off du côté jardin, se moquant.) Quelle table ?
JUDITH – (Ironique.) Parce qu’on en a plusieurs ?
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Les tables de chevet par
exemple.
JUDITH – (Ironique.) Et les tables de multiplication aussi.
ESTHER – (Voix off du côté jardin, se moquant.) Alors que notre
spécialité ce sont plutôt les divisions… Alors, as-tu ton
smartphone devant tes yeux ?
JUDITH – Il est sur la table qui se trouve devant mon fauteuil
si tu veux savoir.
ESTHER – Je vois…
JUDITH – Tu mens.
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Quoi ?
JUDITH – Tu mens.
ESTHER – (Voix off du côté jardin.) Pourquoi ?
JUDITH – Parce que tu ne peux pas le voir puisque tu es dans
la cuisine.

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ESTHER – (Arrive côté jardin.) D’accord. Maintenant je le vois.
JUDITH – (Ne lâche pas son tricot.) Alors tu peux le prendre et
me dire quelle heure il est.
ESTHER – (S’assoit, prend le smartphone et l’allume.) Bien sûr. Il
est 19 h 41.
JUDITH – (Ne la regarde pas.) Et la date ?
ESTHER – (Lit sur le smartphone.) Lundi 24 juin 1996.
JUDITH – (Le constatant.) C’est bientôt mon anniversaire.
ESTHER – Vendredi, oui. Crois-tu que je puisse l’oublier ?
JUDITH – Le 28.
ESTHER – (La taquine.) Le même jour que le roi Henri VIII.
JUDITH – Le même jour que Jean-Jacques Rousseau.
ESTHER – (Doctorale.) C’est ce qu’on appelle une mémoire
sélective.
JUDITH – (Sans la regarder.) Tu ne te lasses pas de jouer au
psy ?
ESTHER – (Conciliante.) Qu’est-ce que tu veux pour ton an-
niversaire ?
JUDITH – (Après avoir réfléchi.) Un gâteau.
ESTHER – (Étonnée.) Ah bon ? Un gâteau ?
JUDITH – (Sûre.) Oui. C’est bien ce que je viens de te dire.
Tu devrais prendre rendez-vous chez l’ORL.
ESTHER – (Ne répond pas à la provocation.) Et quel genre de
gâteau ?
JUDITH – (En espagnol.) “Una torta de alfajores”.
ESTHER – (Un peu énervée mais polie.) Je ne sais pas faire ce
gâteaux et tu le sais.
JUDITH – (Se moquant.) Bien sûr que je sais le faire.

32
ESTHER – (Toujours polie.) C’est ça, moque-toi de moi. Je dis
que tu sais que je ne sais pas le faire.
JUDITH – (Resignée.) Et tu es trop vieille pour apprendre.
ESTHER – (Amicalement.) Souviens-toi que j’ai essayé une
fois et ça n’a pas marché.
JUDITH – C’est normal.
ESTHER – Nous sommes d’accord alors.
JUDITH – (Avec ironie.) Tu perds ton français.
ESTHER – (Avec ironie.) Ah oui ? Et peut-on savoir pour-
quoi ?
JUDITH – Ah, ça ! Je n’en sais rien moi. Comment veux-tu
que je sache pourquoi ?
ESTHER – (Avec patience.) Tu comprends très bien que je
veux dire pourquoi tu dis que je perds mon français.
JUDITH – (Sans la regarder, toujours en tricotant.) Parce qu’un gâ-
teau ne marche jamais. Il reste, comment dire… Il reste
toujours dans son assiette. Voila ! Pas comme certains !
ESTHER – (Sincèrement.) Il est trop compliqué ton gâteau.
C’est un millefeuilles géant. En plus, tu voudras que je pré-
pare la confiture de lait à la maison, alors qu’elle est vendue
toute faite.
JUDITH – (Critique.) Tu vois ? Tu as des préjugés toi aussi.
ESTHER – (Étonnée.) Qu’est-ce que les préjugés viennent
faire là-dedans ?
JUDITH – Aurais-tu oublié ce qu’est un préjugé? Et pourtant
la définition est contenue dans le mot.
ESTHER – (Se lève et change de sujet.) Tu devrais rester infor-
mée. Les actualités sont plutôt inquiétantes.

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JUDITH – Je ne peux pas rester informée puisque nous
n’avons pas reçu le journal. (Montre du doigt le journal sur la
table.) Celui-là est arrivé avant-hier.
ESTHER – (Allume le téléviseur.) Regardons les informations à
la télévision.
VOIX H – Un violent séisme a secoué la région australe du
Chili sans faire de victimes. Les dégâts matériels sont pour-
tant énormes ce qui posera de graves problèmes aux com-
pagnies d’assurance déjà fortement impactées par la crise
financière. La bourse a connu des pertes impressionnantes
à la clôture d’hier, le secteur banque et assurance étant
plongé dans une chute vertigineuse après une très longue
période de stabilité rassurante. C’est la fin de ce journal.
Dans quelques instants, un nouvel épisode de la série
« Crise au Pavillon C ».
JUDITH – (Très nerveuse.) Éteins ! Je ne peux pas… je ne peux
pas… Ces histoires de malades et de médecins… Tous ces
gens qui vont mourir… Désolée, je ne peux pas regarder
ça. J’ai encore un… un problème avec ça.
ESTHER – (Éteint le téléviseur.) Heureusement, il n’y a pas eu
de victimes.
JUDITH – Où, ça ?
ESTHER – En Patagonie, avec le tremblement de terre.
JUDITH – Pourquoi y aurait-il des victimes dans une région
où il n’y a personne ?
ESTHER – Mais si, il y a du monde là-bas !
JUDITH – Des-êtres humains ?
ESTHER – Bien sûr. Des êtres humains. Quelle question !
JUDITH – T’es-tu rendu compte ?
ESTHER – Rendu compte de quoi ?

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JUDITH – Ton journaliste.
ESTHER – Mon journaliste ? Quel journaliste ?
JUDITH – Tu as raison. Je ne suis pas sûre que l’on puisse
appeler ça « un journaliste ». Disons plutôt, « ton présenta-
teur » du journal télévisé.
ESTHER – Il est bien, non ? Il a une belle voix.
JUDITH – Il a parlé pendant cinquante secondes. Mais s’il
avait omis les adjectifs et les adverbes, l’information aurait
été dite en dix secondes. Au nom de quoi se permet-il de
qualifier les faits ? Ce sont les faits qui nous intéressent.
Son avis, on pisse dessus !
ESTHER – (Minimisant.) Tu exagères.
JUDITH – Si j’étais jeune, je proposerais un boycott national
de toutes les chaînes qui font des émissions avec des adjec-
tifs et des adverbes alors que le jugement revient au public.
ESTHER – Eh ben… la télévision serait alors comme un re-
tour au cinéma muet.
JUDITH – (Conciliante.) Regarde une autre chaîne pour voir.
ESTHER – (Rallume le téléviseur, zappe et dépose la télécommande
sur la table.) Une chaîne d’État, veux-tu ?
JUDITH – (Ironique.) Ça existe encore ?
VOIX F – Après des semaines d’une étonnante stabilité, les
valeurs boursières du secteur bancaire s’effondrent de ma-
nière spectaculaire. Et pour terminer cette édition, notre
invité de ce soir : le réalisateur de la toute dernière produc-
tion qui connaît un succès sans précédent dans l’histoire de
notre cinéma.
JUDITH – (Prend la télécommande et éteint le téléviseur.) Bon, ça
suffit ! C’est un journal, ce n’est pas une émission pour faire
la promotion des productions cinématographiques. C’est
un journal ! Un journal ! Pour parler de notre production
35
de films, on crée une émission du genre « Aimez-vous le
cinéma ? » ou quelque chose comme ça. On ne fait pas un
documentaire sur le cinéma à l’intérieur d’un journal. Ils
nous prennent vraiment pour des imbéciles. Au moins
dans la presse écrite, je peux choisir ce que je lis, ce que je
survole et ce que je ne lis pas.
ESTHER – (Soupirant.) Ah… Tu n’es pas contente ce soir.
(Par sympathie.) Tiens ! À propos de presse écrite, il y a une
nouvelle collection de romans que l’on peut acheter dans
les bureaux de tabac et dans les kiosques de presse. Ça t’in-
téresse ?
JUDITH – J’aurais bien aimé acheter au moins le premier vo-
lume chez mon marchand de journaux, oui, mais c’est non.
ESTHER – (Méfiante.) Et pourquoi c’est non ?
JUDITH – Parce que j’ai entendu la publicité à la radio.
ESTHER – (Méfiante.) Et ça te pose un problème ?
JUDITH – Le premier volume est à 2 euros seulement.
ESTHER – Tu trouves que c’est cher ?
JUDITH – Pas du tout. S’il n’avait pas ajouté « seulement »,
j’aurais acheté le premier numéro, mais il a ajouté « seule-
ment ». Peux-tu me dire pourquoi 2 euros mérite l’adverbe
« seulement » ? À partir de quel prix, il ne dira pas « seule-
ment », hein ?
ESTHER – (Doucement.) Tu ne sais pas vivre avec ton temps.
Ce « perfectionnisme linguistique » t’a isolée du monde
réel.
JUDITH – Perfectionnisme ?
ESTHER – (Affectueusement.) Cette « pureté » que tu exiges
dans l’utilisation de la langue courante ! On dirait un trau-
matisme obsessionnel compulsif. Un TOC.

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JUDITH – (Prononçant le mot anglais en anglais.) Te voilà conver-
tie au “behaviorism” maintenant !
ESTHER – (Sans prétention.) C’est une thérapie très efficace.
Et beaucoup moins chère que la…
JUDITH – Dis plutôt que ce n’est pas une affaire de Juifs,
comme la psychanalyse.
ESTHER – (Conciliante, mais mal à l’aise.) Qu’est-ce tu vas cher-
cher ! Tu es bien contente avec le docteur Duval. Il est un
comportementaliste, lui.
JUDITH – Moi, contente avec ce Duval ? Il ne faut pas con-
fondre la joie avec la politesse, ma Chère ! Moi, je suis po-
lie. Toi, par contre, tu es contente.
ESTHER – (Ignorant le commentaire.) Au fait, quelle heure est-
il ?
JUDITH – (Contente de se venger à son tour, lui tend le smartphone.)
C’est affiché sur l’écran de verrouillage !
ESTHER – (Prend l’appareil et regarde l’heure.) Le docteur Duval
est en retard. Ce n’est pas dans ses habitudes.
JUDITH – (Ironique.) Alors ça doit faire partie de la thérapie.
Un petit peu de retard par-ci, un autre par-là…
RÉGIE SON – Sonnette de porte d’entrée
ESTHER – (Sortant côté jardin.) Tiens ! Quand on parle du
loup… !
JUDITH – (Pour elle-même.) Je ne vois pas ce que la biologie
animale vient faire là-dedans !
DUVAL – (Entre côté jardin.) Bonsoir Judith.
JUDITH – (Excessivement polie.) Docteur Duval ! Vous voilà.
(Lui serre la main.) Je vais bien. Et vous-même ?
ESTHER – (À DUVAL, lui montrant la chaise du milieu.) As-
seyez-vous, docteur.
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DUVAL – (S’assoit.) Merci, Esther.
ESTHER – (Commence à quitter la scène côté cour.) Je vous laisse.
DUVAL – (L’arrête.) Non, Esther. Restez avec nous. Je pense
qu’il est temps que nous parlions tous les trois.
JUDITH – (Méfiante.) Vous vous êtes levé courageux, docteur.
ESTHER – (S’assoit sur la chaise côté cour.) Comme vous vou-
drez.
DUVAL – (Sort un dossier de son cartable, le met sur la table et laisse
le cartable par terre à côté de sa chaise.) Écoutez, mesdames. Cela
fait maintenant presque six mois que j’étudie… votre situa-
tion et…
JUDITH – Et il n’y a rien à faire, n’est-ce pas ? Aucun cher-
cheur n’a trouvé comment soigner une vieille folle comme
moi.
ESTHER – Judith ! Tu n’es pas folle. Pourquoi dis-tu ça ?
JUDITH – (À DUVAL.) Dites, docteur : et un traitement
pour les gens qui changent d’avis devant un médecin, ça
existe ?
ESTHER – (Sans rancune.) Judith, on fait perdre du temps au
docteur Duval. Alors, on l’écoute ?
JUDITH – (À DUVAL.) Excusez-moi, docteur. Bien sûr, je
vous écoute et nous vous écoutons.
DUVAL – (Ouvre la chemise du dossier et une photo glisse et tombe par
terre.) Ah ! Excusez-moi. (Ramasse la photo.)
JUDITH – (Curieuse.) C’est une photo ?
ESTHER – (Réprimande.) Cela ne te regarde pas, Judith !
DUVAL – Ce n’est pas une indiscrétion. (Tend la photo à JU-
DITH.) Oui, c’est une photo effectivement.
JUDITH – (Prend la photo et la regarde comme hypnotisée.) C’est un
lac…
38
ESTHER – (À JUDITH.) Tu me laisses voir ?
DUVAL – Oui, c’est un lac dans le Sud du Chili.
JUDITH – (Dans un état second, en espagnol.) Torres del Paine…
ESTHER – (Essaie de réveiller JUDITH.) Veux-tu me la passer,
s’il te plaît ?
DUVAL – (Avec douceur, reprend la photo des mains de JUDITH et la
tend à ESTHER.) La voilà !
JUDITH – (Le regard perdu, reprenant en français.) Les tours du
lac…
ESTHER – (Regardant la photo.) C’est en Patagonie, n’est-ce
pas ?
DUVAL – En effet, en Patagonie. (Identifiant avec son index, les
éléments de la photo toujours en mains d’ESTHER.) Le lac Gris et
Les tours du lac. C’est comme ça qu’on appelle cet endroit
là-bas.
JUDITH – (Revenant peu à peu.) Et pourquoi avez-vous cette
photo sur vous ?
ESTHER – (Contrariée.) Mais Judith ! On ne pose pas ce genre
de question !
DUVAL – (Minimisant.) Oh ! Ce n’est rien ! Un souvenir d’un
voyage.
JUDITH – (Dans un état presque normal.) Alors, vous y êtes allé ?
ESTHER – (Ton réprobateur.) Mais Judith, tu n’as pas à inter-
roger le docteur Duval.
DUVAL – (Raconte volontiers.) Mais si, mais si. Pourquoi pas ?
Interrogez-moi. Qu’est-ce que vous voulez savoir ? Si je
suis allé aux Tours du lac ? Eh ben… Oui !
JUDITH – (Inquiète.) Ah… ! Et c’était quand ?
ESTHER – (Idem.) Judith !

39
DUVAL – (Ignorant la remarque d’ESTHER.) C’était… en 1994.
L’été 1994. L’été de chez nous bien sûr. Plein hiver là-bas.
JUDITH – (Mal à l’aise.) Il faisait sûrement très froid…
ESTHER – (Curieuse.) Ah bon ? Tu y es allé, toi aussi ?
JUDITH – (Pour elle-même.) C’est très humide, n’est-ce pas ? Et
l’humidité accentue cette impression de froid qui pénètre
dans votre corps… qui s’infiltre dans les os.
DUVAL – (Admiratif.) Effectivement. Vous avez parfaite-
ment raison. Vous y êtes allée, alors…
JUDITH – (Perdue.) Où, ça ?
ESTHER – (Exaspérée.) En Patagonie ! Tu as déjà oublié de
quoi on parle ?
DUVAL – (Rassurant.) Laissez-la. Laissez-la reconstruire ses
souvenirs.
JUDITH – (Ironique.) Mes souvenirs ? J’ai oublié ce que cela
veut dire, figurez-vous !
ESTHER – Mais tu te souviens qu’il faisait froid, que l’humi-
dité pénétrait dans les os… Tu as dû être là-bas pour le
savoir.
DUVAL – Certainement.
JUDITH – (Ironique.) Certainement ? Comme c’est beau d’en-
tendre des certitudes… !
ESTHER – (Conciliante.) Ne joue pas avec les mots, Judith.
Nous aimerions que tu nous parles de ce voyage, c’est tout.
DUVAL – (Abondant.) Bien sûr. Si vous voulez évidemment.
JUDITH – (Imitant.) « Nous voudrions » ? C’est qui « nous » ?
Vous deux ? Vous êtes de mèche ?
ESTHER – (Se reprenant.) Bien sûr que non, Judith. Qu’est-ce
que tu racontes. Et puis, de mèche pour quel motif ?
Contre toi ?
40
DUVAL – (Revenant au sujet.) Si vous avez envie de nous parler
de ce voyage, nous sommes tout ouïe !
JUDITH – (Rêveuse.) Voyage ? Quel voyage ?
ESTHER – (Courtoise.) Ton voyage en Patagonie. Tu étais aux
Tours du lac ?
JUDITH – (Sérieuse.) J’y suis allée une fois… Ou plutôt, on
m’y a conduite.
ESTHER – (Inquiète.) De quoi tu parles ?
DUVAL – (L’incitant.) Exprimez-vous, Judith. Quand avez-
vous été conduite en Patagonie. Vous vous souvenez de la
date ? De la raison, peut-être ? Des vacances de jeunesse ?
JUDITH – De jeunesse ? Non, docteur. Des vacances ? Peut-
être, oui. Comparativement, si l’on peut dire.
ESTHER – (Mal à l’aise.) De quoi tu parles, Judith ?
DUVAL – (À ESTHER.) Ne la forcez pas, Esther. Elle a sûre-
ment besoin d’organiser ses souvenirs et ça va lui prendre
du temps.
JUDITH – Je n’ai jamais oublié, docteur. Je n’osais pas en par-
ler, c’est tout. Après tout, elle m’avait sauvée. N’est-ce pas
Esther ?
ESTHER – (Se lève très nerveuse.) Je ne comprends pas de quoi
tu parles. Te sauver de quoi.
JUDITH – (Rêveuse.) Louise…
ESTHER – (Stupéfaite.) Louise ?
DUVAL – (Au public.) Une parente ?
JUDITH – Non.
ESTHER – (Se rassoit effondrée.) Une montagne…
JUDITH – Rose…
ESTHER – La couleur du granit.
41
DUVAL – (Les incitant.) Continuez…
JUDITH – La Croix Rouge…
DUVAL – Quelle croix rouge ?
JUDITH – L’organisation suisse soi-disant « humanitaire ».
DUVAL – Je vois. Mais alors ?
ESTHER – (Se confesse.) J’étais membre de la Croix Rouge à
l’époque.
DUVAL – (Insiste exprès.) De quelle époque parlez-vous ?
JUDITH – De 1941. En Alsace.
ESTHER – (En allemand.) Le KL-Natzweiler…
DUVAL – Le KL ?
JUDITH – (En allemand.) Konzentrationslager.
ESTHER – À Struthof, au pied du mont Louise, en Alsace…
DUVAL – (À ESTHER.) Que faisiez-vous dans ce camp, Es-
ther ?
ESTHER – Ce n’était pas moi, mais la Croix Rouge…
DUVAL – D’accord, la Croix Rouge alors.
JUDITH – On l’appelait « Le camp des supplices ».
ESTHER – La Croix Rouge supervisait les… installations.
DUVAL – (À ESTHER.) Vous en étiez responsable ?
JUDITH – (Tendrement.) Elle m’a sauvée, docteur.
DUVAL – (À JUDITH.) Sauvée de quoi, Judith ?
JUDITH – Vous ne comprenez donc pas, docteur ?
ESTHER – Struthof était un camp de travail pour l’extraction
du granit du mont Louise. Du granit rose. Nous avons
donné notre aval pour qu’il devienne un centre de tor-
tures…

42
DUVAL – (À JUDITH.) Vous aviez été déportée dans ce
camp ?
JUDITH – Oui. C’était l’un des premiers camps de concen-
tration en territoire français. Il avait changé d’objectif en
1941 : du granit rose à la torture. La torture à des fins scien-
tifiques. Pour améliorer l’espèce allemande.
DUVAL – (À JUDITH.) Esther vous a sauvée de quoi au
juste ?
JUDITH – Je faisais partie de leurs cobayes. Des expériences
neurologiques, des électrodes branchés sur mon crâne.
ESTHER – (Au bord des larmes.) Judith…
JUDITH – (Poursuivant indifférente.) Sur mon crâne que l’on
avait préalablement rasé pour améliorer le contact des élec-
trodes.
DUVAL – (À ESTHER.) Vous vous rappelez le but de ces ex-
périences, Esther ?
ESTHER – C’était pour étudier quelle zone motrice du corps
se trouve reliée aux excitations des différentes zones céré-
brales.
DUVAL – (À ESTHER.) Comme les fils aux extrémités d’une
marionnette ?
ESTHER – Je ne trouve pas votre comparaison très… perti-
nente. Nous… Je veux dire eux… ils cherchaient la perfec-
tion de la race. La pureté absolue. Ils étaient convaincus
que cet être immaculé et indépassable était une réalité. En-
core une incarnation de « L’Homme nouveau » que l’on
cherchait chez… Chez les autres.
DUVAL – (À ESTHER.) Sauf que le vôtre… ou le leur, si vous
voulez, n’était pas une conséquence du mode de produc-
tion mais un résultat d’une expérience de laboratoire dans
le domaine de la biologie humaine, n’est-ce pas ?

43
ESTHER – On y croyait. Comme d’autres croient en Dieu.
DUVAL – (À ESTHER en retour de son affirmation identique.) Je ne
trouve pas votre comparaison très… pertinente.
JUDITH – On étudiait aussi la réaction de l’être humain à l’in-
gestion de différents gaz toxiques par voie respiratoire.
ESTHER – C’est vrai.
DUVAL – (À ESTHER.) Judith dit que vous l’avez sauvée. De
quoi parle-t-elle ?
JUDITH – Une banale histoire d’amour, docteur.
ESTHER – Judith était arrivée à Struthof en 1942.
JUDITH – En novembre. Nous étions une majorité de
femmes. Apparemment nous étions plus intéressantes que
les hommes du point de vue expérimental.
DUVAL – Et que s’est-il passé ?
ESTHER – Je suis tombée amoureuse…
JUDITH – (L’interrompt.) Non. Nous sommes tombées amou-
reuses !
ESTHER – Merci. Oui, nous sommes tombées amoureuses.
DUVAL – Cela n’explique pas tout.
ESTHER – Quand j’ai été libérée de mes responsabilités, j’ai
emmené Judith avec moi. D’abord en Allemagne.
DUVAL – Une opération plutôt risquée, non ?
JUDITH – Nous nous sommes cachées pendant un an. En-
suite, Esther s’est vu proposer un voyage en Patagonie.
DUVAL – Avec des militaires du régime ?
ESTHER – Apparemment on commençait déjà à en sauver
quelques-uns en leur proposant un exil en Amérique du
Sud. Nous avons fait une traversée transatlantique très…

44
très bien accompagnées. Heureusement, personne ne s’est
intéressé à nous.
DUVAL – Et ensuite ?
ESTHER – Nous sommes arrivées côté argentin mais nous
nous sommes installées en territoire chilien.
JUDITH – (Reprend la photo.) En face des Tours du lac.
DUVAL – Vous y êtes restées longtemps ?
ESTHER – Jusqu’à ce que cela a recommencé.
DUVAL – Vous voulez dire un camp de tortures en territoire
chilien ?
JUDITH – Non, ce n’était pas pareil. Mais nous avons craint
que cela le devienne.
ESTHER – Le projet consistait à créer un camp d’entraîne-
ment paramilitaire.
JUDITH – Pour des jeunes qui maintiendraient allumée la
flamme de la race pure et l’esprit de combat indispensable
à la victoire. L’esprit et les compétences évidemment…
ESTHER – J’ai convaincue Judith de nous installer en France
au début des années 1970. Un président socialiste venait
d’être élu au Chili et avait nommé un gouvernement d’ex-
trême gauche.
JUDITH – Non, ce n’était pas d’extrême gauche. Mais nous
ne nous sommes jamais arrivées à nous mettre d’accord là-
dessus. Peu importe. Les fascistes avec l’aide du gouverne-
ment américain de l’époque les ont presque tous extermi-
nés ou fait disparaître…
DUVAL – (À JUDITH.) Revenons à Struthof si vous voulez
bien. Vous vous êtes tue pendant longtemps. Pourquoi ?
ESTHER – (À JUDITH.) Pourquoi as-tu parlé maintenant ?

45
JUDITH – (À DUVAL.) Vous savez très bien que je serais
morte dans le silence. C’est vous qui avez réussi à me con-
vaincre. Vous avez percé un mur construit sur un amour
complice.
DUVAL – (À JUDITH.) Vous étiez une victime de la barbarie.
Vous l’êtes et vous le resterez toute votre vie.
JUDITH – L’amour, docteur, ne connaît pas les catégories de
tortionnaire et de victime. Mais vous avez introduit le
doute. Vous avez réveillé la douleur physique, l’innom-
mable perversion de la science au service de la perfection
humaine. L’illusion de l’immortalité. L’être humain qui
prend la place de Dieu.
DUVAL – (À ESTHER.) Effectivement, c’est moi qui l’ai per-
suadée de nous parler de sa vie à Struthof.
ESTHER – Vous ? Mais pourquoi ? Vous ne pouviez pas sa-
voir…
DUVAL – (À ESTHER.) Si. Nous le savions, Esther. Ou du
moins, nous le soupçonnions. Des articles dans la presse
française peu après l’armistice, nous ont alerté sur un cer-
tain nombre de personnes à retrouver, dont certaines infir-
mières de La Croix Rouge.
JUDITH – (Triste.) Il chasse les collabos. Lui et son organisa-
tion.
ESTHER – (À JUDITH.) Tu m’as piégée ? (À DUVAL.) Vous
m’avez piégée ?
JUDITH – (Perdue dans ses souvenirs, à ESTHER.) Te souviens-
tu du dicton chilien ? (En espagnol.) “No hay plazo que no
se cumpla, ni deuda que no se pague. ”
ESTHER – (À DUVAL.) « Il n’est pas de délai qui n’arrive à
échéance, ni dette qui ne soit réglée. »

46
DUVAL – (À ESTHER.) Vous estimez-vous responsable des
victimes du camp des supplices, Esther ? Vingt-deux-mille
morts parmi les cinquante-deux-mille personnes déportées
et envoyées dans ce camp.
ESTHER – Nous devions obéir. Obéir aux ordres. Nous ren-
dions compte à nos supérieurs de nos inspections quoti-
diennes.
DUVAL – (À ESTHER.) Vous parlez du professeur Hagen ?
JUDITH – Il n’y avait pas que Hagen.
ESTHER – Il y avait aussi Ruhl.
JUDITH – Et Letz. (À ESTHER.) Ton chef de service…
ESTHER – (À JUDITH.) Moi, je t’ai sauvé la vie…
JUDITH – Je l’ai répété mille fois à Monsieur Duval.
DUVAL – (À ESTHER.) J’étais obligé d’entendre la vérité.
Nous poursuivons les criminels de guerre qui ont échappé
à la justice à Nuremberg ou à La Haye. Judith ne vous a pas
trahie. Elle ne vous a tendu aucun piège. Je lui ai demandé
de dire la vérité et elle l’a fait.
ESTHER – (À DUVAL.) Et qu’allez-vous faire maintenant ?
DUVAL – (À JUDITH.) Je vous livre à votre conscience. (Se
lève, reprend la photo des Tours du lac, remet son dossier dans son
cartable et s’apprête à quitter la scène côté jardin. À JUDITH.) Je
reviendrai demain, mais uniquement si vous m’appelez.
Autrement… (À ESTHER.) Au revoir, Mademoiselle. Inu-
tile de me raccompagner. Je connais le chemin. (Sort côté
jardin.)
ESTHER – Il n’est pas médecin, n’est-ce pas ?
JUDITH – Non. Il n’est pas médecin.
ESTHER – Et comment… ?

47
JUDITH – Il a frappé à la porte un jour où tu étais sortie faire
des courses.
ESTHER – Ah…
JUDITH – Et il est revenu plusieurs fois.
ESTHER – Je comprends. (Après un long silence.) Qu’est-ce que
nous allons faire maintenant ?
JUDITH – (Perdue dans ses souvenirs.) Nous… ?
ESTHER – Enfin… Oui. Toi et moi.
JUDITH – Toi, tu pourrais finir la vaisselle par exemple.
ESTHER – (Avec peur d’entendre la réponse.) Non, je ne parle pas
de ça. Je veux dire… Toi. Qu’est-ce que tu comptes faire ?
JUDITH – Moi ? Je vais te parler d’ici pendant que tu ter-
mines la vaisselle.
ESTHER – Tu pourrais m’accompagner dans la cuisine pen-
dant que je fais la vaisselle.
JUDITH – Je n’aime pas m’installer dans la cuisine et tu le
sais.
ESTHER – Je sais, oui. Tu pourrais écouter cette musique
que tu aimes tant.
JUDITH – Je veux bien. Va dans ma chambre et fais-moi en-
tendre ma musique.
ESTHER sort côté cour.
RÉGIE SON – Primo Rondó in Am
ESTHER – (Revient à table, timidement.) C’est bien ça ?
JUDITH – Oui, merci.
ESTHER – (Pause.) C’est assez fort ?
JUDITH – Oui.
ESTHER – (Pause.) C’est très beau.

48
JUDITH – (Acquiesçant.) Oui.
Un silence s’installe entre les deux femmes qui ne se regardent pas.
Elles écoutent avec respect la musique dont il reste encore une trentaine
de secondes.
ESTHER – (Regardant le public.) Je t’aime, Judith… (Se retourne
vers JUDITH.)
JUDITH – (Regardant le public.) Moi aussi, Esther… (Se retourne
vers ESTHER.) Moi aussi.
RÉGIE ÉCLAIRAGE – Noir lent deux secondes après la der-
nière réplique
RÉGIE SON – Extrait musical au-delà du baisser de
RIDEAU

49
50
Teatro

Mario Paul Ahues Blanchait

LAS TORRES DEL LAGO

Traducción realizada por el autor y supervisada por


Dalma Sofía Ahues Mardones

51
Del mismo autor
TROIS PIÈCES INTIMISTES, colección que contiene Rencontre souterraine, Pri-
mer Premio y Premio Especial del Jurado por la calidad y originalidad de
la obra del Concurso Literario de la Federación de Clubes del Ministerio
francés de Defensa (la categoría Reflexiones, 2008), Soif et Mort ou L’itéra-
tion inverse, Primer Premio del Concurso Literario de la Federación de Clu-
bes del Ministerio francés de Defensa (categoría Relatos, 2009) y Le voyage,
Primer Premio del Concurso Literario de la Federación de Clubes del
Ministerio francés de Defensa (categoría Teatro, 2010), (Publibook,
2016), THÉÂTRE DANS LE THÉÂTRE, colección que contiene Une dernière
nuit à l’auberge, Une soirée chez Marlène y Alain Roland, (SARL WMbooks,
2017), LES JEUX DU VENDREDI SOIR (SARL WMbooks, 2017), PIEDRAS
BLANCAS OU LES TORTIONNAIRES DU DICTATEUR, con María Isabel
Mordojovich, (Les Éditions Ovadia, 2019) y la traducción en español de
los autores, LOS CUERVOS DE PIEDRAS BLANCAS, (Simplemente Edito-
res, 2019), COUPLES, con Walid Ben Medjedel, colección que contiene
La répétition, Primer Premio del Concurso Literario de la Federación de
Clubes del Ministerio francés de Defensa (categoría Teatro, 2019), L’inté-
ressement, Segundo Premio del Concurso Literario de la Federación de
Clubes del Ministerio francés de Defensa (categoría Teatro, 2018), Une
conversation dominicale, Une conversation mercuriale, Webness-Webless y Gilles et
John en garde à vie, (Les Éditions Ovadia, 2019), JURISPRUDENCE, edición
trilingüe con traducción en inglés de Neil Finn y en español del autor,
(Les Éditions Ovadia, 2019), UN ROYAUME UNI OU L’ÉLOGE DE L’OBS-
CURANTISME, edición bilingüe con traducción en inglés de Neil Finn,
(Éditions Muse, 2019), SIX BRÈVES PIÈCES DE THÉÂTRE, colección que
contiene Je t’écris, Chez Madame de Butternut, Les voyelles automnales, Le cours
magistral, La nuit des adieux y Monologue pour une femme très seule, (Éditions
Muse, 2019), DEUX PIÈCES COURTES, colección que contiene La traversée
du Delaware y L’essor et la chute, (Éditions Muse, 2019), TOUFIK (Publibook,
2020), ESSOR ET CHUTE D’UN VIRUS IMPÉRIAL, con María Isabel Mordo-
jovich y Walid Ben Medjedel, colección gratuita que contiene Enfin libres ¡,
Une lueur d’espoir aux temps de la pandémie, L’entente cordiale, Allô ¡, L’œuf, le
sex¡ et le confinement, Une pièce très bien montée, Cling ¡, Le débat y L’assemblée,,
(libre de derechos, Association WMbooks, 2020) y UNE VISITE TRÈS OP-
PORTUNE, edición gratuita trilingüe en francés, inglés y español, un texto
inspirado libremente en WANDA’S VISIT de Christopher Durang y sujeto
a derechos de autor de este último, (Association WMbooks, 2020).

52
María Isabel Mordojovich,
Patrick Chenin,
Henri Jouannard
y
Élisabeth Mathieu
contribuyeron grandemente a la calidad
del francés de la versión original,
lo que les agradezco sinceramente.

Mi reconocimiento a
Milovan Radišić,
amigo de la infancia,
por su creación musical,
y a mi hija menor
Dalma Sofía Ahues Mardones
por haber supervisado la traducción en español.

53
PERSONAJES
JUDIT, de unos 60 años, soltera, en silla de ruedas, habla en
castellano con acento extranjero, pero con fluidez en in-
glés, en francés y en alemán,
ESTER, unos pocos años más joven que JUDIT, soltera, culta
y algo vengativa,
DUVAL, un hombre de unos 50 años,
VOZ F, una voz femenina en la televisión,
VOZ H, una voz masculina en la televisión.

ESCENOGRAFÍA
El salón-comedor de una familia de clase media en 1996. Una
mesa y en torno a la mesa: un espacio suficiente para una silla
de ruedas a la derecha, una silla al centro mirando al público
y una silla a la izquierda. Un televisor de espaldas al público
a la izquierda.

54
ESCENA 1
JUDIT y ESTER
LUCES – Iluminación general
SONIDO – Primo Rondó in Am
JUDIT entra en escena por la derecha en silla de ruedas con un tejido
casi terminado en la falda, se sienta a la mesa a la derecha y teje.
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) ¿Qué estabas escu-
chando?
JUDIT – (Habla fuerte hacia la izquierda.) Eso no te incumbe. Y
tú, ¿qué estás haciendo?
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) Nada.
JUDIT – ¿Qué quieres decir con “nada”?
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) Nada. ¿Por qué? ¿Acaso
te interesa?
JUDIT – (Indiferente.) Quería saber qué estabas haciendo. Eso
es todo.
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) Seguro que te interesa.
Pero no te concierne.
JUDIT – (Paciente.) Como quieras.
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) Por supuesto. Como yo
quiera.
JUDIT – (Pone el tejido en su falda.) ¿Dónde dejaste el diario?
ESTER – (Entra en escena por la izquierda.) ¿Qué diario?
JUDIT – Que yo sepa, sólo compramos un diario.

55
ESTER – Yo no compro ninguno.
JUDIT – (Modestamente.) Sé perfectamente que soy yo quien
paga la suscripción.
ESTER – (Se sienta a la mesa a la izquierda.) Como todo lo que
es inútil en esta casa.
JUDIT – (En un francés muy bien pronunciado.) “Mais qu’est-ce
qui t’arrive, ma poule, hein ?”
ESTER – ¿Qué significa eso?
JUDIT – Eso significa que me pregunto qué bicho te picó.
ESTER – (Lo constata simplemente.) No estoy de muy buen
ánimo. Y si me hablas con tus términos “franchutes” en
medio de tu castellano mediocre… Pues, va a ser aún peor.
JUDIT – (Con humor.) Yo pensaba que era imposible que fuera
“aún peor”. Y supongo que decir “franchutes” en lugar de
decir franceses, es como decir “polonés” en lugar de decir
polaco.
ESTER – (Satisfecha.) ¡Lo has entendido de maravilla!
JUDIT – Gracias por el elogio. Ahora, dime: ¿Sabes dónde
está el diario del día de hoy? ¿Si o no?
ESTER – “El día de hoy” es un pleonasmo.
JUDIT – Me importa un rábano.
ESTER – (Indiferente.) A pesar de eso, sigue siendo un pleo-
nasmo.
JUDIT – ¿Y desde cuándo están prohibidos, ah?
ESTER – No dije que estaban prohibidos.
JUDIT – (Restituye la conversación original.) Bien. ¿Sabes o no,
dónde está el diario?

56
ESTER – Si no está aquí, las otras posibilidades son en can-
tidad finita: en la cocina, en tu dormitorio o en el mío. A
menos que te hayas puesto a leer en el baño.
JUDIT – Y supongo que me corresponde a mí descubrir
dónde está.
ESTER – ¿Para qué crees que te compré la silla de ruedas?
¿Tal vez, para que yo busque tus pilchas en lugar de hacerlo
tú misma?
JUDIT – (Coloca el tejido en la mesa, y se dirige hacia la derecha.)
Muy bien. Voy a ver si está en mi pieza. (Sale por la derecha.)
ESTER – (Toma el tejido, deshace unas cuantas corridas y se dirige
hacia la izquierda.) ¡Todos los días es lo mismo! Es agotador.
SONIDO – Teléfono
JUDIT – (Voz off desde la derecha.) ¡Teléfono!
ESTER – (Gritando hacia la derecha.) Lo oigo perfectamente.
¡No soy yo la sorda!
JUDIT – (Voz off desde la derecha.) ¿Contestas tú?
ESTER – (Gritando hacia la derecha.) ¡No puedo! ¡No sé dónde
dejaste el teléfono!
JUDIT – (Voz off desde la derecha.) ¡Ah! ¡Aquí está! (Entra por la
derecha con un teléfono con Internet que aún sigue sonando.) Lo en-
contré. (Tiende el teléfono a ESTER.) Toma.
ESTER – (Al teléfono.) ¿Aló? (Pausa.) Soy yo, sí. (Pausa.) Lo ha-
bía reconocido. ¿Cómo está? (Pausa.) Nosotras también,
gracias. (Pausa.) Si usted quiere… Sí, ella está muy bien.
(Pausa.) De acuerdo. (Pausa.) Lo estaremos esperando.
(Pausa.) Hasta luego. (Cuelga y deja el teléfono sobre la mesa.)
JUDIT – ¿El doctor Duval?
ESTER – ¿Quién más?
JUDIT – ¿Va a venir a vernos?
57
ESTER – No. Viene a verte a ti.
JUDIT – Por suerte que encontré el teléfono.
ESTER – En tu dormitorio, como siempre.
JUDIT – No. En el tuyo.
ESTER – ¿Qué hacías en “mi” pieza?
JUDIT – Estaba buscando el diario. ¿Ya lo olvidaste?
ESTER – No. Pero… ¿Por qué buscabas el diario en mi
pieza?
JUDIT – Porque no lo encontré en la mía.
ESTER – ¿Y estaba en la mía?
JUDIT – No alcancé a saber porque lo estaba buscando
cuando sonó el teléfono.
ESTER – Ya veo… Por lo tanto, aún no sabes dónde está ese
famoso diario.
JUDIT – No. Todavía no lo sé.
ESTER – (Sale por la izquierda.) Voy a echar una mirada en la
cocina.
JUDIT – (Sorprendida y agradecida.) Eres muy amable, gracias.
ESTER – (Justo antes de salir.) No te acostumbres… (Sale por la
izquierda.)
JUDIT – (Retoma el tejido.) Pobre Ester…
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) Te estoy oyendo…
JUDIT – (Sonriendo.) Lo sabía.
ESTER – (Vuelve con el diario y lo pone en la mesa.) ¡Aquí está!
¡Tu diario!
JUDIT – (Contenta, deja el tejido en su falda y toma el diario para
leerlo.) ¡Mm! Estaba en la cocina. ¿Viste?
ESTER – Sí. Vi.

58
JUDIT – (Habla hojeando el diario.) Me pregunto por qué no lo
viste antes.
ESTER – (Se sienta a la mesa a la izquierda.) Porque no estaba
visible a primera vista.
JUDIT – (Sin apartar los ojos del diario.) ¿Cómo es eso? ¿No es-
taba visible a primera vista?
ESTER – ¿No lo notas un poco… frío?
JUDIT – (Pliega el diario y lo deja sobre la mesa.) Es cierto. Las
páginas están como húmedas.
ESTER – Por supuesto: Lo pusiste en el refrigerador.
JUDIT – (Ingenuamente sorprendida.) ¿Yo? ¿En el refrigerador?
ESTER – No. No tú. El diario.
JUDIT – ¡Pero claro! El diario. Eso fue lo que entendí: el dia-
rio. ¿Por qué siempre me tomas por una tarada?
ESTER – No es una cuestión de tomar o no tomar…
JUDIT – ¿Qué?
ESTER – Has perdido la conciencia de ser.
JUDIT – (Recordando.) ¡Oh! (En buen inglés.) “To be or not to
be”. ¿Ves que me acuerdo? “Ser o no ser, esa es la cues-
tión”.
ESTER – ¡Claro que te acuerdas! Salvo que en tu caso, es
siempre “no ser”.
JUDIT – (Toma el diario para leerlo. En un tono afirmativo de des-
aprobación.) ¿De qué estás hablando? Estoy muy bien. Se lo
dijiste tú misma al doctor Duval.
ESTER – (Irónicamente.) ¿Te acuerdas de lo que le dije al doc-
tor Duval? ¡Extraordinario!
JUDIT – (Lee el diario.) Eso es. Ríete de mí. Bueno, pues sigue
sola. Yo no te escucho más. Estoy leyendo ahora.

59
ESTER – (Honestamente, sin malicia.) Me pregunto qué te
aporta leer ese diario.
JUDIT – (Lee el diario.) No te estoy escuchando.
ESTER – Un minuto después, no te acuerdas de nada.
JUDIT – (Lee el diario.) ¿Y qué?
ESTER – Deberías ver las noticias en la televisión y suspen-
demos la suscripción al diario.
JUDIT – (Lee el diario.) En la televisión cuentan solamente
tonterías.
ESTER – La prensa escrita dice exactamente las mismas co-
sas.
JUDIT – (Pliega el diario sobre la mesa.) Tal vez, pero lo que dice
la prensa está escrito y queda escrito. ¿Ves? La televisión se
evapora, parte volando. ¡No queda ningún rastro! (En buen
inglés.) “Gone with the wind!”
ESTER – “¡Lo que el viento se llevó!”
JUDIT – Para ti, sí. Porque nunca aprendiste una sola palabra
de inglés.
ESTER – Si quieres guardar un rastro de lo que dice la televi-
sión, puedes grabar el programa. Lo sabes muy bien.
JUDIT – (Segura de sí misma.) ¡Y tú sabes muy bien que todo
eso puede borrarse de punta a cabo con un simple corte de
electricidad!
ESTER – (Irónicamente.) ¡Y tu diario puede quemarse entero,
si se declara un incendio en la casa! (Se levanta para ir a la
cocina.) Voy a terminar de preparar el almuerzo.
JUDIT – (Sorprendida.) No tomamos desayuno esta mañana y
¿ya vamos a almorzar?
ESTER – (Se vuelve para hablarle.) ¿Cómo que no tomamos
desayuno? ¿Ya se te olvidó lo que comiste esta mañana?
60
JUDIT – (Mira su reloj.) ¿Qué hora es en realidad?
ESTER – (Mira su reloj.) Casi la 1.
JUDIT – ¡Ah, sí! Las 13 horas.
ESTER – Aquí no decimos las 13 horas. Las trece horas son
las que te pasaste durmiendo en tu cama.
JUDIT – Tú también. Y son las mismas.
ESTER – (Sale por la izquierda.) Bien. Voy a cocinar.
JUDIT – (Feliz.) ¡Ja, ja, ja! ¡Gané yo! (Vuelve a tejer.)
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) ¿Qué dice tu diario?
JUDIT – (Vengativa.) ¡Lo mismo que la televisión!
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) Muy gracioso…
JUDIT – Viene con un juego.
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) ¿Un juego? ¿Eso es todo
lo que encontraste en el diario?
JUDIT – Es un juego muy largo. Tienes que leer varias pági-
nas para entenderlo.
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) ¿Me quieres explicar el
juego?
JUDIT – (Deja el tejido sobre la mesa.) Por supuesto, pero tienes
que escuchar con atención y estar bien concentrada.
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) Estoy escuchando.
JUDIT – (Intentando recordar.) Bien… Todo comenzó en un
pequeño supermercado. Tú sabes: esos que llaman “supe-
rettes” ahora. Fue víctima de vandalismo. Lo asaltaron dos
delincuentes ya conocidos en la comisaría. Pero el gerente
del supermercado tenía un arma, le disparó a uno de los
ladrones y lo mató. Entonces, como era de origen extran-
jera…
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) “Extranjero”.
61
JUDIT – ¿Qué?
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) Se dice de origen “extran-
jero”.
JUDIT – No en francés. En francés, “origen” es femenino.
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) ¿En qué idioma quieres
contarme la historia?
JUDIT – Está bien, está bien. Entonces… Como era de ori-
gen “extranjero”…
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) ¿Quién?
JUDIT – ¿Qué quieres decir con “quién”? ¿Me estás escu-
chando o no?
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) ¿Quién era de origen ex-
tranjero? ¿El gerente o el hombre al que el gerente le dis-
paró?
JUDIT – ¡Ah, sí! El hombre al que el gerente le disparó.
ESTER – Ah… Bien.
JUDIT – ¿Continúo?
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) Sí, por supuesto. Conti-
núa.
JUDIT – Muy bien. Entonces… (Pausa.) ¿Dónde estaba?
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) El gerente del supermer-
cado tenía un arma y mató a uno de los delincuentes que
era de origen extranjero.
JUDIT – ¡Eso fue, sí! Entonces, como era extranjero y en ese
barrio viven muchos extranjeros, hubo una manifestación
de protesta contra el asesinato.
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) ¿El diario habla de un ase-
sinato?
JUDIT – ¿Por qué me preguntas eso?

62
ESTER – (Entra por la izquierda.) Porque nada indica que fue
un asesinato. Un asesinato es un homicidio cometido vo-
luntariamente con la intención deliberada de matar.
JUDIT – Pero si piensas que el gerente le disparó al hombre
sin querer matarlo, entonces dime por qué le disparó.
ESTER – (Se sienta a la mesa al lado izquierdo.) Yo no sé. No
conozco las intenciones del gerente. Y tú tampoco. Así es
que cuéntame lo que dice el diario y abstente de darme tu
versión personal de los hechos. ¿De acuerdo?
JUDIT – ¿Sabes cuán desagradable te pones a veces? De
acuerdo. El diario no menciona un asesinato. Pero yo creo
que lo fue.
ESTER – (Paciente.) Está bien, Judit. Entonces… ¿Continúas?
JUDIT – Primero me interrumpes y luego quieres que conti-
núe. Pero bueno, no vas a cambiar jamás. Continúo.
(Pausa.) ¿Dónde estaba?
ESTER – La manifestación.
JUDIT – ¿Qué manifestación?
ESTER – La manifestación de los extranjeros que protesta-
ban en la calle debido a que uno de sus vecinos había
muerto.
JUDIT – ¡Ah, sí! Mientras la policía trataba de dispersar a los
manifestantes, estos lanzaban piedras contra los policías y
gritaban: “¡No somos asesinos!” ¿Ves? Ellos también pen-
saban que fue un asesinato. Pero bueno, no vamos a discu-
tir de nuevo sobre ese punto. De todos modos, no cambia-
rás de opinión.
ESTER – ¿Quieres terminar de contarme la historia?
JUDIT – Sí. Entonces, uno de los manifestantes que estaba
armado, disparó al aire y un policía murió.

63
ESTER – (Se ríe.) El manifestante disparó al aire… ¡Y un po-
licía murió!
JUDIT – ¿Acaso te estás quedando sorda, como yo?
ESTER – (Paciente.) ¿El policía era un pájaro entonces?
JUDIT – ¡Pero no, el que se fue volando con la mercadería
fue extranjero que se introdujo en el supermercado!
ESTER – Hablo de volar como un pájaro. No de arrancarse
con la mercadería robada. Me recuerdas “Tomando par-
tido”. Continúa, por favor.
JUDIT – (Curiosa.) ¿“Tomando partido”? ¿De qué me estás
hablando?
ESTER – “Tomando partido”, sí. Pero el traductor decidió
que era mejor titularla “De unas maneras o de otras”.
¡Anda a saber por qué!
JUDIT – “De una manera u otra”, entonces.
ESTER – No. En plural: “maneras” y “otras”. ¡Rarísimo!
¿No?
JUDIT – Muy bien. (Suspirando.) ¿Y me puedes explicar qué
es “De unas maneras o de otras”?
ESTER – ¿De verdad que no te acuerdas? Es una obra de
teatro que fuimos a ver juntas. Al centro. Cuando aún íba-
mos al centro… Y cuando aún íbamos al teatro…
JUDIT – (Interesada.) ¿Y de qué se trataba?
ESTER – Olvídalo. ¿De qué nos sirve acordarnos? Era sobre
el Holocausto. Sigue con tu historia.
JUDIT – (Muy sorprendida.) ¿El Holocausto?
ESTER – (Impaciente.) Sí, el Holocausto. “La Shoah”. ¿Signi-
fica algo para ti?
JUDIT – (Con los ojos bien abiertos, mirando en el vacío.) No sé…

64
ESTER – Continúa, entonces.
JUDIT – ¿Qué?
ESTER – ¡La historia que leíste en tu diario!
JUDIT – ¿Dónde quedé?
ESTER – Un policía murió.
JUDIT – ¿Qué policía?
ESTER – El que recibió una bala durante la manifestación de
los extranjeros.
JUDIT – ¡Ah! Entonces, el manifestante que disparó al aire…
ESTER – (La interrumpe.) El manifestante que mató al policía.
JUDIT – (Sorprendida por el comentario.) ¡Pero si es el mismo!
ESTER – ¡Por supuesto que es el mismo! ¡Sigue!
JUDIT – (Disgustada.) ¡Qué desagradable te pones a veces!
Bueno. Continúo. Entonces el joven fue detenido y trasla-
dado a la comisaría. (Silencio.)
ESTER – (Pausa.) ¿Y?
JUDIT – Y fue puesto en… (En francés.) “Garde à vue”.
ESTER – Debe ser en detención provisoria, supongo. ¿Eso
es todo?
JUDIT – ¿Qué?
ESTER – La historia. ¿Se termina ahí?
JUDIT – ¡Ah! No. Continúa. Entonces durante la “garde à
vue”, el joven se encontró con el gerente del supermer-
cado, que también estaba en “garde à vue” porque que ha-
bía asesinado al ladrón.
ESTER – Abrevia, ¿de acuerdo?
JUDIT – Y comenzó un altercado entre el joven manifestante
y el gerente. Y un policía tuvo que intervenir. (Silencio.)

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ESTER – (Pausa.) ¿Y?
JUDIT – Y asesinó al gerente.
ESTER – ¿Quién mató al gerente?
JUDIT – ¿Estás en la Luna o qué? Te lo acabo de decir. El
policía asesinó al gerente.
ESTER – Me dijiste que era un juego que leíste en el diario.
JUDIT – Sí.
ESTER – No entiendo dónde está el juego.
JUDIT – ¡Bueno, yo lo vi así! Pensé inmediatamente en las
“sillas musicales”.
ESTER – ¿Las “sillas musicales”?
JUDIT – ¡Sí! Cada vez, alguien pierde su silla. El gerente del
supermercado asesina a un extranjero, un extranjero dis-
para y un policía muere, y al final, un policía asesina al ge-
rente del supermercado.
ESTER – (Se levanta pero no sale .) Y todo esto, ¿cuándo suce-
dió?
JUDIT – ¿Qué?
ESTER – Lo que me acabas de contar.
JUDIT – ¿De qué me hablas?
ESTER – Eres tú la que habla, no soy yo.
JUDIT – ¿Y de qué te hablé?
ESTER – La historia del supermercado, la manifestación y la
detención provisoria en la comisaría.
JUDIT – ¡Ah, sí!
ESTER – Simplemente la inventaste o bien ocurrió en alguna
parte?
JUDIT – Eso depende.

66
ESTER – ¿Cómo que depende? ¿Qué depende de qué?
JUDIT – Yo no inventé nada. ¿Qué quieres saber?
ESTER – ¡La comuna… la ciudad donde sucedió todo eso!
JUDIT – Depende.
ESTER – ¿Qué quieres decir con “depende”?
JUDIT – El asalto al supermercado fue en Nueva York, la
manifestación, en París y la “garde à vue”, en Bogotá.
ESTER – (Paralizada, la mira fijamente.) ¡Esta sí que es buena!
¡Es la mejor de todas! (Sale rápidamente por la izquierda.)
JUDIT – (Retoma el tejido. Para ella misma.) ¡Ningún sentido del
humor! ¡Para nada!
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) ¿Vienes a almorzar? Ya
está todo listo.
JUDIT – Y yo, ya estoy sentada a la mesa.
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) Lo sé.
JUDIT – ¡Entonces! ¿Dónde está el problema? Podemos al-
morzar. ¿No?
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) No. Vamos a almorzar en
la cocina.
JUDIT – ¿Por qué en la cocina?
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) Pues, porque yo lo decidí
así.
JUDIT – ¡Qué manera de abusar! (Para ella misma.) Bien. Des-
pués, haré mi siesta. Le guste o no le guste.
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) ¡Entonces! ¿Vienes?
JUDIT – ¡Ya voy! ¡Ya voy!
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) ¡Rápido o va a estar frio!

67
JUDIT – (Comienza a avanzar hacia la izquierda aludiendo a la ven-
ganza. Para ella misma.) De todos modos, lo que has prepa-
rado “es un plato que se sirve frío”… (Termina saliendo por
la izquierda.)
LUCES – Obscuridad progresiva una vez que JUDIT sale por
la izquierda

68
ESCENA 2
DUVAL y ESTER
DUVAL está sentado a la mesa frente al público. ESTER está sen-
tada a la izquierda. Una taza de café ante cada personaje.
LUCES – Iluminación general
DUVAL – (Termina su café.) Gracias por el café.
ESTER – Por favor, no es nada. Acabamos de terminar de
almorzar. (Pausa.) ¿Entonces?
DUVAL – ¿Y usted? ¿Qué piensa?
ESTER – Es su opinión la que cuenta. No la mía.
DUVAL – Debo hablar con ella durante más tiempo y sobre
temas más variados.
ESTER – Por supuesto. Pero ha visto que ella se cansa rápi-
damente. No soportó ni diez minutos la última vez que
vino.
DUVAL – ¿Siempre es así? ¿Le ocurre con todo el mundo?
ESTER – ¿Qué quiere decir? ¡No recibimos a nadie!
DUVAL – Entre ustedes. ¿Tampoco hablan entre ustedes?
ESTER – ¡Ah! ¡Si supiera cuán difícil es tener una conversa-
ción con Judit! Divaga y se pierde en sus recuerdos tra-
tando de ajustar cuentas con todo el mundo. ¡Incluso con
los muertos!
DUVAL – Y usted pierde la paciencia.

69
ESTER – Sucede que me enoje, sí. Aunque trato de mantener
la calma. Pero a veces, se vuelve insoportable.
DUVAL – Desgraciadamente, no existe aún ningún trata-
miento eficaz para la degradación de la lucidez. El pro-
blema de Judit pertenece al ámbito de la conciencia que ella
tiene de sí misma. ¿Me entiende? No se trata de demencia.
Ni siquiera de lo que llamamos demencia senil. Es menos
grave que eso, pero al mismo tiempo, puede ser más mo-
lesto. Para los demás, quiero decir.
ESTER – (Suspira.) Entiendo, doctor. Solo que a veces… es
tan difícil.
DUVAL – (Con cautela.) ¿No se acuerda realmente de nada?
ESTER – (Sin certeza.) Yo diría que no. Aparentemente, de
nada.
DUVAL – ¿Nunca trató de abordar el tema con ella?
ESTER – (Con ironía.) ¿“El tema”? ¿Pero qué tema? ¡Hay tan-
tos temas que abordar!
DUVAL – Sí… Entiendo.
ESTER – Y al final… ¡Qué importancia tiene todo eso!
DUVAL – ¿Sabe, Ester? Los recuerdos reprimidos pueden
causar ausencias como las de Judit. Pero estoy de acuerdo
con usted: quizás sea demasiado tarde para despertarlos.
ESTER – Es lo que yo creo, sí. ¿Para qué? ¡Tanto sufri-
miento, tanto dolor!
DUVAL – (Curioso.) ¿Por qué está usted tan segura?
ESTER – ¿De qué, doctor?
DUVAL – De que se trata efectivamente de sufrimientos.
ESTER – ¿Qué otra cosa puede ser, si no?
DUVAL – Tal vez tenga razón. Pero no podemos estar segu-
ros.
70
ESTER – Es el sufrimiento que reprimimos… ¿No?
DUVAL – La respuesta depende del especialista al que le haga
la pregunta. (Sonríe porque con su comentario, pretendió burlarse
de algunos colegas.) Discúlpeme. Me reía de algunos de mis
colegas.
ESTER – ¿Puede alguien convertirse en víctima de una psi-
cosis reprimiendo un acontecimiento feliz?
DUVAL – (Sonriendo.) Si me explica lo que quiere decir con
“un acontecimiento feliz”, con mucho gusto le responderé.
(Sin permitirle que responda.) ¿Judit nunca mencionó un epi-
sodio de su infancia? ¿O quizás, de su adolescencia?
ESTER – Oh… A veces, cuando yo le preguntaba sobre su
juventud, sobre sus relaciones. Pero prácticamente nunca.
De vez en cuando, así, de repente y sin previo aviso.
DUVAL – Jamás notó si algún recuerdo en especial desenca-
denaba la necesidad o el deseo de explayarse? ¿De dar más
detalles? ¿De continuar con recuerdos de otras situaciones
similares?
ESTER – Cuando nos conocimos… Usted sabe que nos en-
contramos en un baile comunal…
DUVAL – (Rápidamente.) Lo sé, lo sé.
ESTER – Bueno, nos contábamos nuestras vidas, como la
mayoría de las mujeres jóvenes de la época. Aunque no éra-
mos tan jóvenes, claro… ¿Me entiende?
DUVAL – (Con simpatía.) Eso no ha cambiado. En mi humilde
opinión.
ESTER – Tal vez… Pero como ya se lo he dicho varias veces,
en esos bailes… Pues, sobre todo… se bailaba y nada más.
DUVAL – Por supuesto.
ESTER – (Melancólica.) Y eran verdaderos encuentros. Que ya
no existen en nuestros días.
71
DUVAL – En efecto. Son más bien los encuentros virtuales
que están de moda.
ESTER – Bebíamos mucho café también. En esas reuniones
danzantes, quiero decir.
DUVAL – Y no solamente café, supongo.
ESTER – A veces nos permitíamos bebidas más…
DUVAL – ¿Estimulantes?
ESTER – Es una forma de verlas, sí. Pero yo… Yo diría…
Más… complacientes.
DUVAL – ¿Se refiere a bebidas alcohólicas?
ESTER – Por supuesto, doctor. (Nostálgica.) Éramos mujeres
con buena salud. (Con humor.) Y además… ¡Había que hacer
lo mismo que las demás!
DUVAL – ¿Y observó efectos inusuales del alcohol en el
comportamiento de Judit?
ESTER – Nada en particular, no. Se ponía más alegre, más
informal. Como yo. Como las demás.
DUVAL – Ella nunca sintió la necesidad de hablar de su pa-
sado, en tales circunstancias?
ESTER – No que yo recuerde.
DUVAL – En mi opinión, debería ayudarla a expresarse. A
que hable de ella. A recordar los momentos importantes de
su vida.
ESTER – No sé cómo hacerlo, doctor.
DUVAL – (Sinceramente.) ¿En serio?
ESTER – Por supuesto que no. ¡No soy sicóloga!
DUVAL – (Cordialmente.) Usted es una mujer culta, Ester. A
veces, cuando la oigo hablar, me parece estar escuchando
a… No sé. Tal vez… ¿A una enfermera?

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ESTER – Viniendo de usted, es un elogio, doctor. Yo…
Bueno, usted sabe… Yo tuve relaciones con personas del
sector médico. Pero nada profesional, se lo aseguro.
DUVAL – Entiendo, Ester. Pero no es necesario ser un pro-
fesional de la salud para ayudar a alguien a que hable libre-
mente.
ESTER – Es muy difícil comunicar con Judit. Si supiera…
DUVAL – No lo ignoro. Pero también sé que usted tiene sen-
timientos muy nobles por ella.
ESTER – Por supuesto. ¿Por qué seguiríamos viviendo jun-
tas, si no fuera así?
DUVAL – Y es muy generoso de su parte, créame. No he
visto muchos casos como el suyo. Para no decir que es el
único en toda mi carrera. Hace usted un esfuerzo increíble
para llevar una vida tranquila con Judit. Es lo que me ha
dicho. ¿No?
ESTER – Es la verdad. Y no es realmente un esfuerzo “in-
creíble”, como dice. De todas maneras, el esfuerzo es siem-
pre algo compartido cuando los sentimientos tienen prio-
ridad sobre todo lo demás. ¿No es así?
DUVAL – Probablemente tenga razón.
ESTER – Discutimos y nos peleamos a menudo. Pero es sólo
un juego. Nos divierte y somos felices así.
DUVAL – Todos somos un poco… como niños. ¿No?
ESTER – (Triste.) Nos gustaría serlo. Eso es seguro.
DUVAL – ¿Puedo hacerle una pregunta personal?
ESTER – Diga.
DUVAL – Su infancia. ¿Qué recuerdos conserva de ella?
ESTER – Muy buenos recuerdos: padres cariñosos, especial-
mente mi padre. Escolaridad bastante exitosa. ¿Por qué?
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DUVAL – Solo por curiosidad. De hecho, quería saber si ha-
bló de su infancia con Judit.
ESTER – No mucho. No.
DUVAL – Puede ser una puerta de entrada para que ella le
revele sus secretos.
ESTER – ¿Cree que sus problemas remontan a la infancia?
DUVAL – Escuche, no soy sicoanalista, pero… ¿Por qué no?
ESTER – Ya éramos adultos cuando nos conocimos. ¿Por
qué afloraría su infancia después de tantos años de vida en
común?
DUVAL – Le corresponde a ella decirlo, Ester. Tal vez sienta
la necesidad de hablar, puesto que quiso que me ocupara
de su caso.
ESTER – Es cierto. Ella me pidió que lo contactara. ¿Cómo
supo de usted?
DUVAL – Debe haber consultado una guía de especialistas de
la región o simplemente la guía de teléfonos.
ESTER – (Se levanta, despeja la mesa y toma las tazas para llevarlas
a la cocina. Antes de salir del escenario por la izquierda.) ¿Quiere
otro café?
DUVAL – No, gracias. Voy a retirarme antes de que Judit se
despierte.
ESTER – (Yendo hacia la izquierda.) Ella hace la siesta todos los
días, durante un buen par de horas.
DUVAL – ¿Le dijo que yo venía?
ESTER – Usted me pidió que no lo hiciera.
DUVAL – Sí, quería hablar con usted en privado. Volveré esta
noche, como convinimos.
ESTER – Siempre será bienvenido.

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DUVAL – (Vacilante.) Ester…
ESTER – ¿Sí?
DUVAL – (Cauteloso.) No piense que tengo prejuicios al res-
pecto… Pero…
ESTER – ¿Se refiere al amor entre dos mujeres?
DUVAL – (Humildemente.) Sí. ¿Sabe usted? Siempre podemos
decirnos a nosotros mismos que los tiempos han cambiado
y que las mentes han evolucionado. Esa tolerancia inspiró
al legislador y eso…
ESTER – (Lo interrumpe con delicadeza.) Pero no comprende
cómo es posible que…
DUVAL – (La interrumpe.) No, lo que quiero decir es más
bien… Qué desencadena en usted la atracción por una per-
sona del mismo sexo. Pero la estoy molestando con mis
preguntas. Discúlpeme. No quise incomodarla.
ESTER – No me parece que alguien haya encontrado una
respuesta satisfactoria. Si mira hacia el lado de los sicoana-
listas del siglo pasado, le dicen que es una forma de inma-
durez. Que las personas como yo se han quedado en una
etapa inconclusa de la transformación en adultos. Si busca
una respuesta conductista, es posible que le ofrezcan un
tratamiento para mejorarse de la homosexualidad. Usted lo
sabe muy bien. ¿No es cierto?
DUVAL – (Riéndose, se considera aludido.) Está exagerando…
No, no somos tan estúpidos.
ESTER – Estoy bien informada sobre algunas experiencias
extraordinarias. Especialmente en Estados Unidos. Con al-
guna religión como sustento moral…
DUVAL – Lo sé, Ester. Pero son más bien… sectas.
ESTER – Le diré lo que pienso. Es pura intuición. Pero lo
digo en serio.
75
DUVAL – (Interesado.) La escucho.
ESTER – En mi opinión, desde el nacimiento e incluso a tra-
vés de la información genética, construimos un canon de
belleza.
DUVAL – ¿Un canon de belleza?
ESTER – Una definición de lo que es bello. De lo que juzga-
remos hermoso a lo largo de nuestra vida. No es una defi-
nición de diccionario, sino que un conjunto de factores que
constituyen la noción de belleza de cada individuo.
DUVAL – Estoy de acuerdo. ¿Y entonces?
ESTER – Bueno… Yo lo veo como una mezcla de caracte-
rísticas físicas, de olores, de sensaciones, de ideas, de ges-
tos, de comportamientos y de otros elementos indescripti-
bles con el lenguaje. Esa fusión constituye lo que cada uno
considera como bello. Una vez adultos, buscamos incansa-
blemente esa belleza en el prójimo.
DUVAL – (En conclusión.) Y según usted, puede encontrarse
en cualquier persona: en un hombre o en una mujer.
ESTER – Exactamente. Que seamos una mujer o que seamos
un hombre.
DUVAL – Y me dice que esa… “teoría”, por llamarla así, pro-
viene de su propia intuición.
ESTER – No se ha probado nada sobre eso, que yo sepa.
Además, no veo cómo se podría confirmar tal o cual tesis.
Ni tampoco cómo negarla.
DUVAL – ¿Qué le gustó de Judit, si me permite esa pregunta?
ESTER – Su deseo de pureza. De perfección. Sobre todo su
rigor. Su rigurosidad, más bien.
DUVAL – Cualidades muy escasas.

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ESTER – Prácticamente inaccesibles. Siempre seremos seres
imperfectos, incompletos y por lo tanto insatisfechos.
DUVAL – Pero siempre perfectibles…
ESTER – Si usted lo dice.
DUVAL – Háblame de la atracción física. ¿No cuenta?
ESTER – ¡Todo lo contrario! Es el comienzo del amor. Se
establece como una base y perdura incluso cuando lo que
hemos construido encima la disimula. Porque todo se basa
en la pasión carnal.
DUVAL – ¿Lo ve como la infraestructura?
ESTER – (Burlándose con simpatía.) ¡No me diga que es mar-
xista! (Se ríe con franqueza antes de continuar seriamente.) Sí. El
resto es la superestructura: la admiración por el pensa-
miento, el afecto asexuado…
DUVAL – Entonces, separa usted el amor de la reproducción
de la especie.
ESTER – Hacemos muchos hijos sin amor y muchas parejas
se aman sin tener descendencia… ¿No?
DUVAL – Claro, planteado en esos términos… Es verdad.
ESTER – Pero yo distingo, principalmente, el sexo de la re-
producción. A diferencia de las religiones.
DUVAL – Especialmente las monoteístas, sí. ¿Y cómo ve us-
ted la relación entre el sexo y su concepción del amor?
ESTER – (Riéndose.) Ahí, las cosas se complican un poco
más…
DUVAL – Me gustaría conocer su opinión, si no le importa.
ESTER – (Teatral, doctoral.) “No debe haber amor sin sexo y
no debe haber sexo sin amor”. Esa es mi opinión.
DUVAL – ¡Categórica!

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ESTER – Pero no se engañe. No sabe aún, a qué me refiero
con “sexo”.
DUVAL – ¿Se ha construido también una definición propia?
ESTER – ¡Por supuesto que hay que tener una propia! Dadas
las tonterías publicadas al respecto y las atrocidades come-
tidas en nombre del sexo.
DUVAL – ¿Cómo ve ese aspecto del amor?
ESTER – A cada pareja, sus propias relaciones. Es muy sim-
ple y no va en contra de la Naturaleza.
DUVAL – ¿Puede ser más explícita?
ESTER – El sexo es el placer por excelencia. ¿No es así? Pero
este logro no puede ser el mismo en el caso de dos mujeres,
de dos hombres o de una mujer con un hombre. Es una
cuestión de pureza.
DUVAL – ¿De pureza?
ESTER – En mi opinión, el mayor error de la homosexuali-
dad ha sido copiar el placer sexual del modelo heterosexual.
Identificar un rol masculino y un rol femenino en cualquier
relación sexual entre dos seres humanos, independiente-
mente de su sexo, es un error. Necesariamente llegaremos
a una relación perversa que no responde a las necesidades
reales de ambos.
DUVAL – Sin quererlo, y corriendo el riesgo de chocarla, di-
ría que usted considera la homosexualidad como un error
de la Naturaleza. Y por tanto de la naturaleza humana. Pero
siendo una víctima de ese error, se las arregla muy bien re-
definiendo los conceptos.
ESTER – ¿Qué quiere que le diga? Entre el deseo de perfec-
ción, el esfuerzo por llevar una vida en paz con Dios y so-
bre todo con mí misma, ciertamente nos destrozamos
emocionalmente, pero también nos agotamos

78
intelectualmente. Amamos porque lo necesitamos.
Llámelo como quiera: “instinto gregario”, tal vez “perver-
sión innata”, o incluso “cobardía”… Necesitamos el placer
carnal porque sin él, nos morimos, doctor. Nos morimos
de ese frío que penetra… Que se filtra por los poros como
a través de una grieta en una ventana imperfecta. Ese frío
que congela y que…
DUVAL – Y que usted logró suprimir en su vida íntima con
Judit… (Pausa.) ¿Y entonces, por qué duermen en piezas
separadas?
ESTER – (Sonriendo cortésmente.) Me parece que su libertad se
ha extendido hasta la frontera con la mía, doctor. (Se ríe
cortésmente.) Hablaremos de eso… en otra oportunidad.
DUVAL – Por supuesto. Le ruego que me disculpe.
ESTER – O tal vez no hablaremos. Yo no tengo mayor inte-
rés. Pero si usted insiste… ¿Por qué no hablar? ¿No es
cierto?
DUVAL – (Ríe cortésmente.) Siento haberla molestado con ese
tipo de preguntas.
ESTER – No, doctor. Es con gran interés y respeto que tomé
sus preguntas.
DUVAL – Es usted una mujer excepcional. Judit tiene mucha
suerte compartiendo su vida con usted, créame.
ESTER – Es muy amable de su parte querer conocer mi opi-
nión sobre aspectos tan fundamentales de la vida de pareja,
pero… Me siento un poco cansada. Le ruego disculparme.
DUVAL – Lo siento.
ESTER – Es la edad, sin duda. Al menos, en parte. No debe-
ríamos envejecer, doctor…
DUVAL – Hay que saber vivir… con su edad.
ESTER – (Riéndose de su broma.) ¡Si sólo fuera vivir con la edad!
79
DUVAL – Que esta conversación quede entre nosotros, si no
le importa.
ESTER – Por supuesto, doctor. Claro. Entre nosotros.
DUVAL – Vendré esta noche para hablar con Judit, como ya
le dije. (Empieza a salir por la izquierda.)
ESTER – (Siguiendo a DUVAL.) Lo acompaño a la puerta.
LUCES – Obscuridad progresiva mientras DUVAL y ESTER
se retiran

80
ESCENA 3
JUDIT, ESTER y DUVAL
JUDIT está sentada a la mesa en su silla de ruedas y teje. Sobre la
mesa, el teléfono y un diario.
LUCES – Iluminación general
JUDIT – (Gritando hacia la izquierda.) ¿Qué estás haciendo?
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) ¡Lavando la loza!
JUDIT – (Gritando hacia la izquierda.) ¿De nuevo?
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) Alguien tiene que lavar-
los. ¿No?
JUDIT – (Para ella misma.) ¡Y una más! ¡Siempre tiene que de-
cir algo desagradable!
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) ¿Y tú?
JUDIT – (Sarcástica.) Yo, ¿qué?
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) ¿Qué estás haciendo?
JUDIT – (Riéndose.) Me preocupo por ti.
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) ¿Estás preocupada por
mí?
JUDIT – Sí.
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) Ni siquiera sabes lo que
significa estar preocupada.
JUDIT – (Para ella misma.) ¡Y otra más!
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) Podrías hacer algo más
constructivo. ¿No?
81
JUDIT – ¿Qué hora es?
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) ¿No tienes el teléfono
ahí? La hora se ve aun cuando esté apagado. ¿Nunca lo has
notado?
JUDIT – (Sigue tejiendo.) No sé dónde está el teléfono.
ESTER – (Voz off desde la izquierda. Burlándose.) ¿En serio?
JUDIT – (Dándose cuenta. En un mal castellano.) ¡Ah! Está en el
frente.
ESTER – (Voz off desde la izquierda. Burlándose.) ¿Qué frente?
JUDIT – (Sarcástica.) ¿Porque hay varios?
ESTER – (Voz off desde la izquierda. Burlándose.) El Frente po-
pular, el Frente nacionalista, por ejemplo.
JUDIT – (Sarcástica, se palpa la frente.) Claro. Y también el
frente sobre la nariz, por supuesto.
ESTER – (Voz off desde la izquierda. Burlándose.) Se dice “la”
frente. Pero tu especialidad son más bien los traseros…
¿Entonces, tienes el teléfono ante tus ojos?
JUDIT – Está en la mesa frente a mi silla, si quieres saber.
ESTER – Ya veo…
JUDIT – Estás mintiendo.
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) ¿Qué?
JUDIT – Estás mintiendo.
ESTER – (Voz off desde la izquierda.) ¡Cómo que estoy min-
tiendo!
JUDIT – Porque no puedes verlo. Estás en la cocina.
ESTER – (Entra por la izquierda.) Está bien. Ahora lo veo.
JUDIT – (Sigue tejiendo.) Por lo tanto puedes tomarlo y de-
cirme qué hora es.

82
ESTER – (Se sienta, toma el teléfono y lo enciende.) Son veinte para
las ocho de la noche.
JUDIT – (Reprobando la manera de dar la hora.) ¿Y la fecha?
ESTER – (La lee en el teléfono.) Lunes 24 de junio de 1996.
JUDIT – Es “casi” mi cumpleaños.
ESTER – “Casi”, claro, porque es el viernes. ¿Crees que
puedo olvidarlo?
JUDIT – El 28.
ESTER – (Para molestarla.) El 28: el mismo día que el rey En-
rique VIII.
JUDIT – El mismo día que Jean-Jacques Rousseau.
ESTER – (Doctoral.) Eso se llama una “memoria selectiva”.
JUDIT – ¿Nunca te cansas de jugar a la siquiatra?
ESTER – (Conciliadora.) ¿Qué quieres para tu cumpleaños?
JUDIT – (Después de pensarlo unos segundos.) Un pastel.
ESTER – (Asombrada.) ¡En hora buena! ¿Un pastel?
JUDIT – (Irónica.) Sí. Eso es lo que acabo de decirte. Deberías
tomar hora con mi otorrino.
ESTER – (No responde a la provocación.) ¿Y qué tipo de pastel?
JUDIT – (En francés.) “Un bavarois aux framboises”.
ESTER – (Un poco molesta pero educada.) No sé hacer ese pastel.
Y tú lo sabes.
JUDIT – (Riéndose.) Por supuesto que yo sé cómo hacerlo.
ESTER – (Aún cortés.) Eso es, ríete de mí. Digo que tú sabes
que yo no sé.
JUDIT – Y que eres demasiado vieja para aprender.
ESTER – (Recordando amistosamente.) Recuerdas que lo intenté
una vez y no anduvo.

83
JUDIT – Es lógico.
ESTER – Entonces estamos de acuerdo.
JUDIT – (Con ironía.) De acuerdo con que estás perdiendo tu
castellano.
ESTER – (Con ironía.) ¿Ah, sí? ¿Y se puede saber por qué?
JUDIT – ¡Ah, eso! Yo no sé. ¿Cómo quieres que yo sepa por
qué lo estás perdiendo?
ESTER – (Con paciencia.) Entendiste muy bien que quiero de-
cir por qué dices que yo estoy perdiendo mi castellano.
JUDIT – (Sin mirarla, tejiendo.) Porque un pastel nunca anda.
Se queda, cómo decir… se queda siempre en su plato. ¡Y
ya! ¡No como otras que meten las patas en cualquier parte!
ESTER – (Humildemente.) Tu pastel es demasiado complicado.
Es terriblemente complicado. Además, vas a pedirme que
prepare la crema en casa, mientras que se puede comprar
ya hecha.
JUDIT – (Critica.) ¿Ves? Tú también tienes prejuicios.
ESTER – (Asombrada.) ¿Qué tienen que ver los prejuicios con
todo esto?
JUDIT – ¿Te has olvidado de lo que es un prejuicio? Y, sin
embargo, la definición está contenida en la palabra.
ESTER – (Se levanta y cambia de tema.) Deberías mantenerte in-
formada. Hay noticias bastante preocupantes.
JUDIT – No puedo mantenerme informada porque no he-
mos recibido el diario. (Muestra el diario en la mesa.) Ese es el
de antes de ayer.
ESTER – (Enciende el televisor.) Escucha las informaciones en
la televisión.
VOZ H – Un violento sismo sacudió la región austral de
Chile, sin causar víctimas. Los daños son enormes y ello va
84
a constituir un serio problema para las compañías de segu-
ros que están ya fuertemente impactadas por la crisis finan-
ciera. El mercado de valores ha sufrido pérdidas impresio-
nantes al cierre de ayer. El sector de la banca y los seguros
se hundió en un descenso vertiginoso después de un pe-
ríodo muy largo de tranquilidad y de extraordinaria estabi-
lidad. Así se termina esta edición. Gracias por su leal com-
pañía. En algunos instantes, un nuevo episodio de nuestra
serie “Crisis en el Pabellón C”.
JUDIT – (Muy nerviosa.) ¡Apaga el televisor! Trato, pero no…
Hago lo que puedo, pero no… Esas historias de pacientes
y médicos… Todas esas personas que van a morir… Lo
siento, pero no puedo ver esa serie. Todavía tengo…
Tengo un problema con eso.
ESTER – (Apaga el televisor.) Por suerte, no hubo víctimas.
JUDIT – ¿Dónde?
ESTER – En la Patagonia, con el temblor.
JUDIT – ¿Por qué habría víctimas en una zona donde no hay
nadie?
ESTER – ¡Sí! ¡Hay gente ahí!
JUDIT – ¿Seres humanos?
ESTER – Por supuesto. Seres humanos. ¡Qué pregunta!
JUDIT – ¿Te diste cuenta?
ESTER – ¿Darme cuenta de qué?
JUDIT – Tu periodista.
ESTER – ¿Mi periodista? ¿Qué periodista?
JUDIT – Tienes razón. No estoy segura de que se pueda lla-
mar a eso un “periodista”. “Tu locutor”. El del noticiero.
ESTER – Es muy bueno. ¿No? Tiene un hermoso timbre de
voz.
85
JUDIT – Habló durante más de cincuenta segundos. Pero si
hubiera omitido los adjetivos y los adverbios, la informa-
ción habría durado a lo más, diez segundos. En nombre de
qué, se permite calificar él mismo los hechos que relata?
Son los hechos que nos interesan. ¿Su opinión? ¡Pues me
cago en ella!
ESTER – (Minimizando.) Judit… ¡Exageras!
JUDIT – Si yo aún fuera joven, propondría un boicot a nivel
nacional de todos los canales que difunden programas con
adjetivos y adverbios, en lugar de dejar que el público juz-
gue por sí mismo.
ESTER – Bueno… Pues entonces, la televisión sería como
volver al cine mudo.
JUDIT – (Conciliadora.) Busca otro canal para ver qué dicen.
ESTER – (Vuelve a encender el televisor con el control remoto que deja
enseguida sobre la mesa.) ¿Un canal estatal?
JUDIT – (Sarcástica.) ¿Todavía existen?
VOZ F – Después de semanas de asombrosa estabilidad, las
acciones del mercado de valores en el sector bancario están
bajando dramáticamente. Y para finalizar esta edición,
nuestro invitado de esta noche: el director de la última pe-
lícula en cartelera. Una producción que ha tenido un éxito
sin precedentes en la historia de nuestro cine.
JUDIT – (Toma el control remoto y apaga el televisor.) ¡Ya basta! Se
trata de un noticiero. No es una emisión destinada a hacerle
propaganda a una producción cinematográfica. ¡Es un no-
ticiero! ¡Un noticiero! Para hablar de nuestra producción
cinematográfica, se crea un programa titulado “¿Le gusta a
usted el cine?” o alguna estupidez de ese estilo. No se in-
cluye un reportaje sobre el cine durante un noticiero. Real-
mente nos tratan como imbéciles. Por lo menos en la
prensa, puedo elegir qué leer, qué sobrevolar y qué no leer.
86
ESTER – (Suspirando.) Ah… no estás contenta esta noche.
(Por simpatía.) ¡A propósito! Hablando de prensa… Salió
una nueva colección de novelas. Las puedes comprar en los
quioscos. ¿Te interesa?
JUDIT – Claro que sí. Me hubiera gustado comprar al menos
el primer volumen. Sí que me interesa. (Pausa breve.) Pero
no.
ESTER – (Intrigada.) ¿Y por qué no?
JUDIT – Porque escuché la propaganda en la radio.
ESTER – ¿Y cuál es el problema?
JUDIT – El primer volumen sólo cuesta dos mil pesos.
ESTER – ¿Me vas a decir que te parece demasiado caro?
JUDIT – Por supuesto que no. Para nada. Si no hubiera agre-
gado el “sólo”, yo habría comprado el primer número.
Pero le puso el “sólo”. ¿Puedes decirme por qué dos mil
pesos merecen el adverbio “sólo”? ¿A partir de qué precio
ya no dirá más “sólo”? ¿Ah?
ESTER – (Incrédula. Lentamente.) No sabes vivir con tu
tiempo. Ese “perfeccionismo lingüístico” te ha aislado del
mundo real.
JUDIT – ¿Perfeccionismo?
ESTER – (Con cariño.) ¡Esa “pureza” que le exiges a todo el
mundo en el uso del lenguaje cotidiano! Es un verdadero…
Es un trastorno-obsesivo-compulsivo. Un TOC.
JUDIT – (En buen inglés.) ¡No me digas que ahora te conver-
tiste al “behaviorism”?
ESTER – (Sin pretensión.) De todos modos, es una terapia muy
eficaz. Y menos onerosa que el…
JUDIT – Di más bien que no se trata de judíos, como el si-
coanálisis.

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ESTER – (Conciliadora.) ¡Con qué me vas a salir ahora! Estás
muy contenta con el doctor Duval. Y es conductista.
JUDIT – ¿Yo? ¿Feliz con ese Duval? ¡No deberías confundir
la alegría con la cortesía, querida! Yo, yo soy educada. Y tú,
en cambio, tú eres feliz.
ESTER – (Ignorando el comentario.) Por cierto, ¿qué hora es?
JUDIT – (Feliz de vengarse, le pasa el teléfono.) ¡Está en la pantalla
del teléfono, incluso cuando está apagado!
ESTER – (Toma el teléfono y mira la hora.) El doctor Duval está
atrasado. No es usual.
JUDIT – (Sarcástica.) Entonces debe ser parte de su terapia
conductista: Un poco de atraso por aquí, otro poco por
allá…
SONIDO – Timbre de la entrada
ESTER – (Saliendo por la izquierda.) Como siempre. ¡Hablando
del diablo…!
JUDIT – (Para ella misma.) ¡No veo qué tiene que ver la reli-
gión con el atraso!
DUVAL – (Entra por la izquierda.) Buenas tardes, Judit.
JUDIT – (Exageradamente amable.) ¡Doctor Duval! ¡Cómo le
va! (Le da la mano.) Yo estoy bien. ¿Y usted?
ESTER – (A DUVAL, mostrándole la silla frente al público.) Sién-
tese, doctor.
DUVAL – (Se sienta.) Gracias.
ESTER – (Empieza a salir por la derecha.) Los dejo.
DUVAL – (La detiene.) No, Ester. Quédese con nosotros.
Creo que es hora de que hablemos los tres.
JUDIT – (Irónica.) Se ha puesto muy valiente, doctor.
ESTER – (Se sienta en la silla a la derecha.) Como usted quiera.

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DUVAL – (Saca una carpeta de su maletín, la pone sobre la mesa y
deja el maletín en el suelo junto a su silla.) Escuchen, señoritas.
He estado estudiando… su situación durante casi seis me-
ses. Y…
JUDIT – Y no hay nada que hacer, ¿verdad? Nadie ha descu-
bierto cómo sanar a una vieja loca como yo.
ESTER – ¡Judit! No estás loca. ¿Por qué dices eso?
JUDIT – (A DUVAL.) Dígame, doctor Duval: ¿Hay algún tra-
tamiento para las personas que cambian de opinión cuando
se encuentran ante un médico?
ESTER – (Sin resentimiento.) Judit, estamos haciendo perder su
tiempo al doctor Duval. Escuchémoslo.
JUDIT – (A DUVAL.) Disculpe, doctor. Por supuesto, lo es-
cucho. Y lo escuchamos.
DUVAL – (Abre la carpeta y de ella, una fotografía se cae al suelo.)
¡Ah! Discúlpenme. (Recoge la foto.)
JUDIT – (Con curiosidad.) ¿Es una foto?
ESTER – (Regañándola.) ¡Eso no es asunto tuyo, Judit!
DUVAL – No es una indiscreción. (Le entrega la foto a JUDIT.)
Sí. Es una foto.
JUDIT – (Toma la foto y la mira hipnotizada.) Es un lago…
ESTER – (A JUDIT.) ¿Me dejas verla?
DUVAL – Sí. Es un lago en el sur de Chile.
JUDIT – (Como hipnotizada.) Torres del Paine… ¿No es cierto?
ESTER – (Intenta despertar a JUDIT.) ¿Podrías pasármela, por
favor?
DUVAL – (Suavemente, toma la foto de manos de JUDIT y se la da a
ESTER.) Tenga.
JUDIT – (La mirada perdida.) “Las Torres del Lago”…

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ESTER – (Mirando la foto.) Es en la Patagonia, ¿no?
DUVAL – En efecto. En la Patagonia. (Identifica con su índice los
elementos de la foto en manos de ESTER.) El Lago Gris y las
chimeneas. Allá, alguna gente las llama “Las Torres del
Lago”.
JUDIT – (Volviendo poco a poco a la realidad.) ¿Y de dónde
sacó…? ¿Por qué…? ¿Por qué tiene esta foto?
ESTER – (Molesta.) ¡Pero Judit! ¡No debes hacerle esas pre-
guntas al doctor Duval!
DUVAL – (Minimizando.) ¡Oh! ¡No tiene importancia! Es un
recuerdo de un viaje.
JUDIT – (Casi normal.) Entonces… ¿Estuvo ahí?
ESTER – (Tono de reproche.) Judit, no interrogues al doctor de
esa manera.
DUVAL – (Dispuesto a contar.) Sí, sí. ¿Por qué no? Pregúnteme
lo que quiera. ¿Qué quiere saber? ¿Si fui a Torres del Paine?
Pues, sí.
JUDIT – (Preocupada.) ¡Ah…! ¿Y cuándo fue?
ESTER – (Con tono de reproche.) ¡Judit!
DUVAL – (Ignorando el comentario de ESTER.) Fue… En 1994.
Durante el verano de 1994. Verano de acá, por supuesto.
Invierno allá.
JUDIT – (Incómoda.) Probablemente hacía mucho frío…
ESTER – (Con curiosidad.) ¿Ah? ¿Has estado allá, tú también?
JUDIT – (Para ella misma.) Es muy húmedo, no es así? Y la
humedad acentúa esa sensación de frío que penetra en el
cuerpo… que se infiltra en los huesos.
DUVAL – (Con admiración.) En efecto. Está absolutamente en
lo cierto. ¿Estuvo allá?
JUDIT – (Perdida.) ¿Dónde?
90
ESTER – (Exasperada.) ¡En la Patagonia! ¿Ya olvidaste de lo
que estamos hablando?
DUVAL – (Cortés.) Déjela que reconstruya sus recuerdos.
JUDIT – (Sarcástica.) ¿Mis recuerdos? Yo olvidé lo que eso
significa… ¡Imagínese!
ESTER – Pero recuerdas que hacía frío, que la humedad pe-
netraba en los huesos… Tienes que haber estado ahí para
saberlo.
DUVAL – Ciertamente.
JUDIT – (Sarcástica.) ¿Ciertamente? ¡Qué hermoso es escu-
char certezas…!
ESTER – (Conciliadora.) No juegues con las palabras, Judit.
Nos gustaría que nos contaras sobre ese viaje. Eso es todo.
DUVAL – (Insistiendo.) Por supuesto. Si lo desea, natural-
mente.
JUDIT – (Imitando.) ¿“Nos gustaría”? ¿Quiénes somos “noso-
tros”? Ustedes dos? ¿Es una confabulación?
ESTER – Por supuesto que no, Judit. ¡De qué estás hablando!
Y por qué estaríamos confabulados? ¿Por qué motivo?
¿Contra ti?
DUVAL – (Volviendo al tema.) Si quiere contarnos sobre ese
viaje, pues… ¡Somos todo oídos!
JUDIT – (Soñadora.) ¿Viaje? ¿Qué viaje?
ESTER – (Cortés.) Tu viaje a la Patagonia. ¿Estuviste en To-
rres del Paine?
JUDIT – (En serio.) Fui una vez… O más bien, me llevaron.
ESTER – (Preocupada.) ¿De qué estás hablando?
DUVAL – (Incitándola.) Cuéntenos, Judit. ¿Cuándo la llevaron
a la Patagonia? ¿Recuerda la fecha? ¿La razón, quizás? ¿Va-
caciones juveniles?
91
JUDIT – ¿Juveniles? No doctor. ¿Vacaciones? Puede que sí.
En comparación… Se puede decir.
ESTER – (Incómoda.) ¿De qué estás hablando, Judit?
DUVAL – (A ESTER.) No la obligue, Ester. Necesita organi-
zar sus recuerdos y eso le va a tomar algún tiempo.
JUDIT – Nunca lo olvidé, doctor. Pero nunca me atreví a ha-
blar de ello. Eso es todo. Finalmente, ella me salvó. ¿No es
cierto, Ester?
ESTER – (Se levanta muy nerviosa.) No sé de qué estás ha-
blando. ¿Salvarte de qué?
JUDIT – (Soñadora.) Luisa…
ESTER – (Derrumbada.) ¿Luisa?
DUVAL – (Al público.) ¿Un pariente?
JUDIT – No.
ESTER – (Se rinde.) Una montaña…
JUDIT – Rosada…
ESTER – El color del granito.
DUVAL – (Incitándola.) Continúe…
JUDIT – La Cruz Roja…
DUVAL – ¿Qué cruz roja?
JUDIT – Esa organización suiza… Supuestamente “humani-
taria”.
DUVAL – Ya veo. ¿Y entonces?
ESTER – (Confiesa.) Yo era miembro de la Cruz Roja en esos
tiempos.
DUVAL – (Insiste a propósito.) ¿De qué época está hablando?
JUDIT – De 1941. En Alsacia.
ESTER – (En alemán.) KL-Natzweiler…

92
DUVAL – ¿KL qué?
JUDIT – (En alemán.) Konzentrationslager.
ESTER – En Struthof, a los pies del Monte Luisa, en Alsa-
cia…
DUVAL – (A ESTER.) ¿Qué hacía usted en ese campamento,
Ester?
ESTER – No fui yo. Fue la Cruz Roja…
DUVAL – Bien… Entonces, la Cruz Roja.
JUDIT – Se llamaba “El campo de las torturas”.
ESTER – La Cruz Roja supervisó las… instalaciones.
DUVAL – (A ESTER.) ¿Usted fue responsable?
JUDIT – (Con ternura.) Ella me salvó, doctor.
DUVAL – (A JUDIT.) ¿La salvó de qué, Judit?
JUDIT – ¿Entonces no entiende, doctor?
ESTER – Struthof era un campo de trabajo para la extracción
de granito del monte Luisa. Granito rosado. Dimos nues-
tro visto bueno para convertirlo en un centro de torturas…
DUVAL – (A JUDIT.) ¿La deportaron a ese campo?
JUDIT – Sí. Fue uno de los primeros campos de concentra-
ción en territorio francés. Cambió de rol en 1941: del gra-
nito rosado a la tortura. La tortura con fines científicos:
Mejorar la raza alemana.
DUVAL – (A JUDIT.) ¿Y Ester, de qué la salvó exactamente?
JUDIT – Yo fui un conejillo de indias. Para los experimentos
neurológicos. Con electrodos conectados en mi cráneo.
ESTER – (Al borde de las lágrimas.) Judit…
JUDIT – (Continuando indiferente.) Me habían afeitado la ca-
beza. Para mejorar el contacto de los electrodos.

93
DUVAL – (A ESTER.) ¿Recuerda para qué servían esos expe-
rimentos? (Silencio. Insistiendo.) ¿Ester?
ESTER – Para comprender mejor qué área motriz del cuerpo
humano estaba conectada con las excitaciones de las dife-
rentes zonas del cerebro.
DUVAL – (A ESTER.) ¿Como los hilos en los extremos de
una marioneta?
ESTER – No encuentro su comparación muy… pertinente.
Nos referimos a personas… Yo… Era gente que estaba
haciendo investigación para la perfeccionar la raza. Obte-
ner la pureza absoluta. Estaban convencidos de que este
ser inmaculado e insuperable era una realidad. Otra encar-
nación del “Hombre Nuevo” que buscábamos en… En los
demás.
DUVAL – (A ESTER.) Excepto que su “Hombre Nuevo”…
el suyo… o el de “esa gente” por decirlo así, no fue una
consecuencia del modo de producción, sino el resultado de
un experimento de laboratorio en biología humana. ¿No es
así?
ESTER – Creímos en eso. Como otros creen en Dios.
DUVAL – (A ESTER.) No encuentro su comparación… muy
pertinente.
JUDIT – También estudiaban la reacción de los humanos a la
ingestión de gases tóxicos por las vías respiratorias.
ESTER – Es cierto.
DUVAL – (A ESTER.) Judit dice que usted la salvó. ¿A qué se
refiere?
JUDIT – Una banal historia de amor, doctor.
ESTER – Judit llegó a Struthof en 1942.

94
JUDIT – En noviembre. Éramos mujeres. En una gran ma-
yoría. Aparentemente éramos más interesantes que los
hombres desde el punto de vista experimental.
DUVAL – ¿Y qué pasó?
ESTER – Me enamoré…
JUDIT – (La interrumpe.) No. ¡Nos enamoramos!
ESTER – Gracias. Sí. Nos enamoramos.
DUVAL – Eso no explica todo.
ESTER – Cuando fui liberada de mis responsabilidades, partí
con Judit. Primero en Alemania.
DUVAL – Una operación bastante arriesgada… ¿No?
JUDIT – Nos escondimos durante un año. Luego, a Ester le
ofrecieron un viaje a la Patagonia.
DUVAL – ¿Junto con soldados del régimen?
ESTER – Al parecer, ya estaban empezando a salvar a algu-
nos ofreciéndoles un exilio en Sudamérica. Hicimos una
travesía transatlántica en muy… muy buena compañía. Por
suerte, nadie se interesó en nosotros.
DUVAL – ¿Y luego?
ESTER – Llegamos del lado argentino pero nos instalamos
en territorio chileno.
JUDIT – (Retoma la foto.) En Torres del Paine. Frente a “Las
Torres del Lago”.
DUVAL – ¿Cuánto tiempo estuvieron ahí?
ESTER – Hasta que todo empezó de nuevo.
DUVAL – ¿Se refiere al campo de tortura en territorio chi-
leno?
JUDIT – Sí. No era lo mismo. Pero teníamos miedo de que
pudiera ser igual.
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ESTER – El proyecto era crear un campo de entrenamiento
paramilitar.
JUDIT – Para los jóvenes que mantendrían encendida la
llama de la raza pura y el espíritu de lucha esencial para la
victoria. El espíritu… y las habilidades, por supuesto.
ESTER – Convencí a Judit de que nos vinéramos a Francia a
principios de la década de 1970. Un presidente socialista
acababa de ser elegido en Chile y había designado un go-
bierno de extrema izquierda.
JUDIT – No. No era de extrema izquierda. Pero Ester y yo
nunca logramos ponernos de acuerdo en eso. Poco im-
porta. Los fascistas con la ayuda del gobierno estadouni-
dense de la época, los exterminaron a casi todos o los hi-
cieron desaparecer…
DUVAL – (A JUDIT.) Volvamos a Struthof si no le importa.
Ha guardado silencio durante tanto tiempo. ¿Por qué?
ESTER – (A JUDIT.) ¡Sí! ¿Por qué estás hablando ahora?
JUDIT – (A DUVAL.) Sabe muy bien que me habría muerto
en silencio. Fue usted quien logró cambiar convencerme.
Perforando un muro construido sobre un amor consciente.
DUVAL – (A JUDIT.) Fue víctima de la barbarie. Lo es y lo
será toda su vida.
JUDIT – El amor, doctor, ignora las categorías de torturador
y víctima. Pero usted introdujo la duda. Despertó el dolor
físico, la indecible perversión de la ciencia al servicio de la
perfección humana. La ilusión de la inmortalidad. El ser
humano que se otorga el lugar de Dios.
DUVAL – (A ESTER.) De hecho, fui yo quien la convencí
para que me hablara de su vida en Struthof.
ESTER – ¿Usted? ¿Pero por qué? No podía saberlo…

96
DUVAL – (A ESTER.) Sí. Lo sabíamos, Ester. O al menos lo
sospechábamos. Los artículos en la prensa francesa, poco
después del armisticio, nos alertaron sobre varias personas,
incluidas algunas enfermeras de la Cruz Roja.
JUDIT – (Con tristeza.) Persigue a los colaboracionistas. Él y
su organización.
ESTER – (A JUDIT.) ¿Me tendiste una trampa? (A DUVAL.)
¿Y usted me engañó?
JUDIT – (Perdida en sus recuerdos, a ESTER.) ¿Recuerdas el di-
cho? “No hay plazo que no se cumpla…”
ESTER – (Completando.) “… ni deuda que no se pague.”
DUVAL – (A ESTER.) ¿Se considera responsable de las vícti-
mas de la tortura, Ester? Veintidós mil muertos entre los
cincuenta y dos mil deportados enviados a ese campo.
ESTER – Teníamos que obedecer. Obedecíamos órdenes.
Informábamos a nuestros superiores sobre nuestras ins-
pecciones diarias.
DUVAL – (A ESTER.) ¿Está hablando del profesor Hagen?
JUDIT – No sólo de Hagen.
ESTER – También estaba Ruhl.
JUDIT – Y Letz. (A ESTER.) Era el jefe del departamento…
ESTER – (A JUDIT.) Te salvé la vida…
JUDIT – Y yo se lo repetí mil veces al señor Duval.
DUVAL – (A ESTER.) Tenía que saber la verdad. Estamos
procesando a criminales de guerra que escaparon a la justi-
cia en Nuremberg o La Haya. Judit no la ha traicionado.
Ella no le ha tendido ninguna trampa. Le pedí que dijera la
verdad y, por fin, lo hizo.
ESTER – (A DUVAL.) ¿Y qué va a hacer ahora?

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DUVAL – (A JUDIT.) La dejo en manos de su propia concien-
cia, Ester. (Se levanta, toma la foto de “Las Torres del Lago”, la
guarda en la carpeta y se prepara para salir por la izquierda. A
JUDIT.) Volveré mañana, pero sólo si usted me llama. De
lo contrario… (A ESTER.) Adiós, señorita. No es necesario
que me acompañe. Conozco la salida. (Sale por la izquierda.)
Un silencio se instala entre las dos mujeres.
ESTER – No es médico, ¿verdad?
JUDIT – No. No es médico.
ESTER – ¿Y cómo…?
JUDIT – Tocó a la puerta un día cuando estabas de compras.
ESTER – Ah…
JUDIT – Y volvió varias veces.
ESTER – Entiendo. (Después de un largo silencio.) ¿Qué vamos
a hacer ahora?
JUDIT – (Perdida en sus recuerdos.) ¿Nosotras…?
ESTER – O sea… Sí. Tú y yo.
JUDIT – Tú podrías terminar de lavar los platos, por ejemplo.
ESTER – (Temerosa de escuchar la respuesta.) No, no estoy ha-
blando de eso. Me refiero a ti. ¿Qué vas a hacer?
JUDIT – ¿Yo? Te hablaré desde aquí mientras lavas los pla-
tos.
ESTER – Podrías venir conmigo a la cocina mientras…
JUDIT – No me gusta ir a la cocina y lo sabes.
ESTER – Lo sé. Podrías escuchar esa música que te gusta
tanto.
JUDIT – Claro. Anda a mi pieza y pon mi música.
ESTER sale por la derecha.

98
SONIDO – Primo Rondó in Am
ESTER – (Entra en escena por la derecha y se sienta a la mesa a la
izquierda. Pausa. Tímidamente.) ¿Eso es todo?
JUDIT – Sí. Gracias.
ESTER – (Pausa.) ¿Está suficientemente fuerte?
JUDIT – Sí.
ESTER – (Pausa.) Es muy bonita.
JUDIT – (Asintiendo.) Sí.
Un silencio se instala entre las dos mujeres. No se miran. Escuchan
respetuosamente la música de la que quedan sólo algunos segundos.
ESTER – (Mirando al público.) Te quiero, Judit… (Se vuelve para
mirar a JUDIT.)
JUDIT – (Mirando al público en el vacío.) Yo también, Ester…
(Se vuelve para mirar a ESTHER.) Yo también.
LUCES – Obscuridad lenta después del último diálogo
SONIDO – La música continúa después de la caída del

TELÓN

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100
101
102
INDEX

LES TOURS DU LAC 1

LAS TORRES DEL LAGO 51

Primo Rondó in Am 101

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Édité par WMbooks
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15 Rue des Docteurs Charcot
42100 Saint-Étienne, France
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