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Yolande

L'intimité
du vivant,
la vie se
charge de
nous.
Pendant quarante ans, comme tout le monde, je me suis prise pour mes pensées, pour
mon corps : je me prenais pour une personne. Et puis il y a eu ce basculement. En un
instant, spontanément, ce silence dans ma tête. Plus de pensées : le silence, une stupeur,
un étonnement profond qui ne laissait place à rien d’autre.
Alors je me suis mise à observer. Mon fonctionnement avait changé. Il y avait « cette
chose », ce silence… et tout le reste. Le reste, ce que j’appelle le je suis, c’est-à-dire le
contenu de l’instant : j’ai vu que tout apparaissait dans cette chose, d’instant en instant.
Que tout y disparaissait.

Ton fonctionnement avait changé, dis-tu ?

Il y avait une légèreté, un bien-être. Je me sentais en phase avec moi-même, en phase


comme je ne l’avais jamais été. Les choses se présentaient, les situations, les
événements, même ceux qui auparavant m’auraient dérangée… je ne trouvais rien à y
redire. Je ne réagissais plus, en fait. Et lorsque, deux mois plus tard, mon fils est mort
dans un accident… même chose. Ce silence, cette tranquillité m’empêchait de réagir,
m’empêchait d’être une mère détruite par la mort de son fils. J’ai vu que la souffrance
n’existait pas.

La souffrance n’existe pas !?

Ce n’est pas la situation qui fait souffrir. Pour moi, il y a le silence. La situation ne fait
pas souffrir quand le silence, quand cette chose est là.

Cette chose, qui la voit ? Yolande ?

C’est cette chose qui voit. En elle apparaît la vision, la clarté qui voit tout ce qui
:
apparaît. En fait, c’est simultané : à l’avant-plan il y a cette chose et… le reste, tout ce
qui apparaît, toute l’existence, au second plan.
Cette chose est l’espace qui est avant toute chose, toute pensée, tout événement. On ne
peut pas la comprendre : c’est elle qui comprend tout, qui englobe tout. Cette chose -
appelons-la Silence, Présence, Puissance, Amour ou Ultime Réalité, de toute façon
aucun mot ne peut en rendre compte - cette chose, on peut seulement la vivre. Au début,
je croyais qu’elle était au fond de moi. Maintenant je vois qu’elle est partout. Elle est
tout. Il n’y a rien d’autre, rien qui ne soit elle. Il n’y a plus à s’inquiéter, à s’accrocher à
rien.

Cette chose est au fond de toi et partout… Et Yolande, où est-elle ?

Yolande apparaît toujours, mais dans le second plan, comme le reste. Elle existe sans
exister. Elle n’existe plus mais elle est là. Elle n’a plus de pouvoir. C’est ce silence, cette
puissance qui a pris le pouvoir sur tout.

Elle a tout de même des pensées, des émotions…

Bien sûr des pensées, des émotions peuvent surgir. Mais cette puissance les balaye
instantanément, elle les laisse au second plan. Donc tu n’as aucune possibilité de
t’identifier à elles. Et cette chose est si puissante que tu ne peux revenir en arrière, tu ne
peux revenir à ton ancien mode de fonctionnement, t’identifier à… tout ce que tu n’es
pas.
Ça m’est arrivé parfois, au début, d’essayer de penser comme avant, de faire des projets
comme avant. Impossible. Tout comme, autrefois, si j’avais voulu arrêter de penser je
n’aurais pas pu, aujourd’hui, si je veux penser, eh bien je ne peux pas. C’est aussi
simple que ça.

Et les émotions, toutes ces réactions automatiques qui nous viennent ?

C’est pareil. La peur, la tristesse, c’est comme le reste : un mouvement qui passe en toi
et qui repart. S’il n’y a personne pour se l’approprier, il n’y a pas de peur, pas de
tristesse. Il n’y a pas de réaction.

D’où viennent, selon toi, les réactions ? Y a-t-il moyen de s’en libérer ?

Elles viennent de la pensée. De la croyance en l’idée d’être une personne. Quand cette
croyance tombe – et cela se fait en un instant, pas besoin de vingt ans de pratique pour
ça – il n’y a plus que ce silence, cette intensité, alors tu te laisses faire. Il y a ce point de
vue neuf qui est toujours là, ce vide plein, ce silence tantôt très intense et tantôt doux
mais toujours présent. C’est une sensation, comme un toucher, une présence qui ne te
lâche pas, même au milieu de l’action, de la concentration. Ce toucher omniprésent qui
t’englobe, qui englobe tout le contenu de l’instant, t’empêche de t’identifier à la pensée,
:
à l’émotion qui surgit. C’est lui qui te donne le sentiment profond que la personne n’est
pas. Et c’est lui, c’est cette sensation qui devient vision, action… parce que cette
spontanéité, cette sensation constante ne te permet pas d’être dans ta tête. C’est la
sensation qui voit, directement. Et la vision, c’est l’action.

La vision c’est l’action ?

Quand tu es dans la fluidité, il y a action, sans filtre, sans pensée. Tu vois, tu sens;
l’action, le geste, la parole se présentent spontanément, sans que tu aies eu à les penser.

Comme si la réalité de l’instant te dictait le geste juste ?

Tu vois que les choses se font toutes seules, sans besoin de les penser… La vie n’a pas
besoin d’être pensée. Juste besoin d’être vue. Le reste se fait tout seul.

Le simple fait de voir…

… fait. Tu vois cette fluidité qui agit.

Et l’amour, dans tout ça ? Tu dis que cette chose c’est l’amour… Qu’en est-il de
l’amour entre deux personnes ?

C’est la non-relation qui permet la relation.

La non-relation ?

La non-relation avec la personne que tu croyais être. La non-séparation. Et c’est cette


chose au dedans qui permet ça. C’est elle qui permet l’amour, qui est amour.
Dans la fusion amoureuse, on entre en relation avec la non-relation à l’intérieur de soi.
C’est dans cette non-relation, cette chose, que réside l’amour. Et c’est parce qu’on entre
en contact avec elle que l’on dit, que l’on sent « je suis amoureux ». L’autre n’y est pour
rien. Ni soi-même. Ni la relation entre les deux… C’est l’écoute de cette chose, en nous,
qui permet l’amour. C’est elle qui te fait découvrir que l’amour n’est pas à l’extérieur,
qu’il ne dépend de rien, d’aucun objet, d’aucun état : c’est quelque chose qui est là, à
l’intérieur. Plus besoin de chercher le bonheur à l’extérieur : cette chose qui te rend
vivante, aimante, aimée… elle est avant tout, elle est là. Et c’est de cette chose, de cette
non-relation, que l’on tombe amoureux. Un amour qui ne peut être détrôné par quoi que
ce soit.
C’est vrai aussi que dans la relation amoureuse il y a des instants d’oubli de soi-même,
des instants d’intimité qui sont cette fusion, cette non-séparation. Le problème, c’est que
quand il y a « tomber amoureux de » l’objet ou la personne, tu rentres dans une relation
avec toi-même et tu ne vas plus penser qu’à ça, qu’à cette personne. Donc tu te coupes
de l’essentiel. Cette même passion devrait être pour cette chose invisible qui te permet
:
d’être dans la non-relation avec toi-même, donc aussi avec l’autre, et te permet de sentir
l’intensité de l’instant présent plutôt que l’intensité de la seule relation avec cette
personne.

Cela signifie-t-il que tu ne peux plus tomber amoureuse de quelqu’un ?

Tu es tombée amoureuse de cette chose invisible, ça, c’est sûr. Mais tu peux quand
même tomber amoureuse de quelqu’un, puisque c’est ce que je vis. C’est beau de voir
que, dans l’instant, tu es aussi amoureuse de cette personne. Mais si elle n’est plus là, ou
si elle s’absente, rien ne manque. Cette chose est toujours là et elle te permet de vivre,
même sans cette personne, dans un bien-être total.

Donc, Yolande peut tomber amoureuse… Ce n’est pas une émotion, ça ?

C’est l’intensité qui guide. Auprès de telle personne elle est plus forte qu’auprès de telle
autre. L’intensité est là : tu la suis. C’est elle qui te fait être ici, ou là, avec celui-ci ou
avec celle-là. Tu ne décides pas : tu y vas, tu y es. La tête n’intervient pas. L’émotion
non plus.

Dans cette intensité, comment perçois-tu l’autre, tous les autres ?

Je les perçois comme moi, comme les arbres, la montagne, mes pensées : au second
plan. J’en reviens toujours là. Ils sont là sans être là. Ils sont passés au second plan au
même titre que moi, que mon corps, que tout ce que je croyais être.

Oui, mais comment perçois-tu chacun ? Il y a des différences de l’un à l’autre, tout de
même… même au second plan!

Ce que je sens, surtout, c’est ce qu’il y a de plus proche en moi, c’est-à-dire mon corps,
les sensations de mon corps qui se sont amplifiées à l’infini. Dans ce second plan, le
plan du je suis, c’est le plus proche. C’est sensation, intensité, mouvement. Cette
intensité varie avec ce qui se présente dans le contenu de l’instant, proximité de telle ou
telle personne incluse. Mais il n’y a pas la pensée pour dire « parce que je sens tel
mouvement dans mon corps, cette personne est comme ci », ou « je dois faire comme ça
». Ce qui va se faire dans l’instant se fera… mais ce ne sera pas le résultat d’un savoir,
d’une compréhension : c’est le silence qui agit.

Tu ne peux rien t’approprier ?

Non.

Mais perçois-tu mon psychisme, mes états d’âme ?

Tu es là, tu sens, tu te laisses traverser par ce qui se passe, par un mouvement que tu
:
sens dans ton corps, fusionné avec tout le reste. Mais tu n’interviens pas, tu n’as pas de
réaction, d’opinion, de commentaire. Quand quelqu’un entre dans la pièce, tu peux
sentir un mouvement plus inconfortable, ou sentir au contraire l’intensité qui se déploie,
mais tu n’en déduis rien. Tu ne cherches pas à comprendre pourquoi, comment, ni s’il y
a quelque chose à résoudre et comment. Tu sens, point.

Et quand quelqu’un se confie à toi, te demande conseil ?

Tu ne fais qu’être écoute. Il n’y a pas de mouvement de Yolande qui pense ceci ou cela.
Mon je suis est partagé avec tout ce contenu de l’instant, et je laisse toute la place à
cette chose à l’avant-plan, cette chose avant le je suis, pour agir si elle doit agir. Donc si
un geste vient, il vient du silence. C’est lui qui sait. C’est lui qui fait.

Que faire pour vivre ce silence ?

Je fais une totale confiance à cette présence dans l’invisible. Donc la seule chose qui
peut être dite, il me semble, c’est d’être ce que l’on est dans l’instant, de le vivre
pleinement, simplement… et de laisser la spontanéité faire ce qu’elle a à faire.
C’est quelque chose qu’on ne peut pas comprendre, pas apprendre, ni vouloir, ni savoir.
Alors : se laisser faire – quoi d’autre ?

Vivre l’instant pleinement, simplement… ce n’est pas si simple!

Il y a des tas de moments dans la vie où l’idée de la personne disparaît, où il n’y a plus
que cette chose qui voit. Les moments de joie, d’étonnement, d’émerveillement devant
un paysage ou une belle musique. Les chocs aussi, une peur violente… Mais le plus
souvent on ne les remarque pas, parce qu’aussitôt après la pensée se les approprie…
Rester là, plutôt. Avant la pensée : sentir. Rester simplement avec cette sensation, sans
vouloir comprendre ni résoudre rien. Avoir toute son attention portée sur cette sensation,
et l’accepter surtout, l’accepter silencieusement, pas mentalement. Vraiment l’accepter
totalement, en étant… simplement.
Beaucoup de gens croient qu’il faut qu’il y ait une lumière, une grande lumière, des
choses extraordinaires… Et si simplement c’était ça ?... Quand le silence est là : rester
avec ce silence, cette tranquillité, découvrir au fur et à mesure ce que ça te procure
comme légèreté de voir que tout est là, OK, mais c’est au second plan – pas besoin d’en
faire un monde. Et quand c’est l’inconfort : rester avec cet inconfort, totalement, se
laisser engloutir par lui, se laisser mourir – une mort psychologique - pour pouvoir
laisser place à ce silence, le laisser prendre le dessus une bonne fois pour toutes…
Rester là, avec cette sensation de l’instant, cette intimité… Rien que d’être là, tu n’es
déjà plus là. Parce que tu sens tout le contenu de l’instant présent, sans interférer. Donc
tu n’as plus l’idée d’être une personne : tu n’es que sensation. Tu sens cette conscience,
peut-être encore un petit peu individuelle, que « ton » corps est inconfortable avec cette
:
tristesse, ce malaise où tu es : déjà c’est un cadeau, parce que tu te rends compte que
l’instant, l’intensité, la vérité n’est pas dans ta tête… C’est merveilleux de pouvoir
sentir ça, déjà! Déjà accepter cette simplicité de sentir que la vie c’est ça, ce n’est pas
voir des lumières ou entrer en extase : c’est ça, aussi. C’est la simplicité de ne pas être
cette personne qui ressent. C’est sensation, point.

Qu’est-ce qui fait que, pour la plupart, ces instants ne durent pas ? Que l’agitation
revient ?

C’est un problème d’identification. Le mental revient, redevient le plus fort et te piège.


Piégé, tu y crois fermement, tu oublies le silence et cette chose puissante qui est là.
Vivre ces moments quand il se présentent.

Les vivre avant la pensée…

La pensée aussi, il faut l’accepter. Elle reste au second plan. Laisser cette attention, cette
sensation, cette chose au premier plan, dans cette simplicité totale, avant d’être cette
personne qui dit « c’est à moi que ça arrive » ou « ça va passer ». Peut-être tout
simplement accepter cette simplicité du silence, cette simplicité de sentir, cette
simplicité d’être avant qui que ce soit. Rester dans cette simplicité de sentir, tout
simplement, sans pour autant avoir été chercher cette tristesse, sans chercher à sentir ton
corps ni quoi que ce soit d’autre.

Se laisser saisir par ce qui est là, parce que c’est là… Quel est le sens de la recherche
spirituelle, alors, puisqu’elle vise toujours un savoir, un état, un progrès, quelque chose
« devant » ?

Elle a encore un sens puisqu’elle est là, puisqu’elle se présente. Vouloir faire le contraire
ce serait la même chose : ce serait refuser ce qui se présente… Je crois qu’il faut
accepter tout ce qui se présente, que ce soit de méditer, de faire du yoga, d’avoir l’air
d’être dans une recherche spirituelle – alors que ce qui entraîne dans tout ça, comme
dans tout le reste de la vie d’ailleurs, c’est quand même et toujours cet état premier.
Donc continuer à se laisser faire, même s’il y a encore la personne qui est là, et qui veut,
et qui espère. Sentir, plutôt que d’essayer toutes sortes de techniques… Mais il faut
aussi accepter ces techniques : elles font partie du chemin qui se présente à soi…

Propos recueillis par Laurence Vidal

Màj: 18/07/10 - source: http://www.dsyolavie.org/yosite-textes/troisieme-millenaire-yolande/troisieme-millenaire-


yolande.html
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