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En parcourant les sites sur les arts martiaux, nous découvrons diverses manières

d’appréhender le combat. On peut se poser les questions suivantes: Quel est l’objectif ultime
du combat? Quelle est la démarche pédagogique, c’est-à-dire, les apprentissages qui
permettent aux pratiquants d’atteindre la finalité proposée? Tirées des manuels techniques,
les deux chroniques qui vont suivre présentent les grandes lignes qui caractérisent
l’enseignement Shinbu-ryu karate-do en matière de combat. Cette première chronique
présente des éléments de réflexion sur la philosophie et la seconde en présentera la démarche
d’apprentissage et le lien entre les enseignements et l’acquisition des grades.

Concept de paix: un état et un projet

Le style Shinbu se définit comme un Budo. La tradition


japonaise du Budo enseigne que le karaté est une école de
formation intégrale dont l’un des objectifs est de permettre à la
personne de vivre en harmonie, en paix avec elle-même et son
environnement. Cependant, c’est lorsqu’on est confronté à
l’autre et à son système de valeurs que la paix représente un
véritable défi. La perspective de paix proposée par les arts
martiaux japonais mérite que je m’y arrête brièvement.

Par définition, la paix se présente sous deux aspects


complémentaires : un état et un projet. Ainsi, la paix est une
manière d’être, désirée au plus haut degré et elle est marquée Bu: «martial» mais
également «arrêter un
par l’entente, l’accord et la concorde. Par contre, de par sa conflit». Do: «Voie».

nature, la paix n’est pas une pure absence de conflits.

L’avènement de la paix exige, idéalement, le contrôle constant de ses passions. Cependant,


personne en ce monde n’est parfait, il n’y a que les intentions qui soient parfaites. Tout ce
que l’on fait est fragile, car il est soumis aux événements, aux valeurs, au caractère, au
tempérament et à l’expérience de l’autre. Être attentif à l’autre, avoir de la compassion et de
la patience constituent des valeurs essentielles au développement de la paix.

La paix n’est jamais acquise une fois pour toute,


elle est sans cesse à construire. La toute première
condition est l’élimination des causes de discordes
entre les hommes et les femmes: les injustices,
l’esprit de domination, le mépris des personnes et,
si nous allons aux causes plus profondes, l’envie, la
méfiance, l’orgueil et les autres passions égoïstes.

Ainsi, tant et aussi longtemps que le risque


de discordes et de violence subsistera, nous ne
saurions dénier aux hommes et aux femmes, une
fois épuisées toutes les possibilités de règlement
pacifique, le droit à la légitime défense, dont les
limites sont définies par les différents codes criminels. Et c’est pourquoi qu’il faut bien
comprendre que l’utilisation des arts martiaux pour la défense ou pour une cause juste est
une chose, vouloir s’imposer aux autres en est une autre. La puissance des arts martiaux ne
légitime pas tout. Et ce n’est pas parce que le conflit est malheureusement engagé que tout
devient, par le fait même, licite entre les parties adverses.

En somme, la paix est le fruit d’un ordre inscrit dans la société humaine et elle doit être
réalisée par des hommes et des femmes qui ne cessent d’aspirer à une justice plus parfaite. Le
karaté comme microsociété peut stimuler des conditions qui favorisent l’acquisition de
valeurs pacifiques; ce qui constitue un beau projet personnel : c'est-à-dire avoir comme
projet de favoriser la paix en soi et avec les autres, en actualisant ce désir dans ces attitudes
(sa manière d’être), ses comportements (sa manière d’agir), ses opinions (sa manière de
penser) et ses jugements (sa manière d’évaluer).

Se sauver, se battre ou mourir

De la naissance à la mort, l’être humain doit constamment


relever des défis. Et où il y a un défi, il y a la peur : la peur
d’avoir mal, la peur de faire mal, la peur de ne pas réussir, la
peur de la réaction des autres, la peur d’avoir peur, etc. Sous
des formes différentes, c’est la peur qui est à l’origine des
réactions de fuite, de combat ou de mort. Avant de traiter
brièvement de la peur, il nous faut dire quelques mots sur ces
trois notions.

Tout d’abord, il est un point d’honneur à régler un problème


moral sur la fuite, le combat et la mort. Il est très honorable de fuir quand il le faut, de se
battre quand il le faut et de mourir quand il le faut! Donc, en ce qui concerne ces trois
réactions, le jugement moral est une question de sagesse qui tient compte de la circonstance,
de l’intention et de son résultat. Ainsi, face à une épreuve, il est souhaitable de se poser les
questions suivantes : Ai-je raison de fuir? Ai-je raison de me battre? Ai-je raison de mourir?
Ma décision de fuir, de me battre ou de mourir sera-t-elle constructive? Que puis-je espérer?
Quel en est la conséquence?

Le problème crucial des trois réactions face au stress est la mort… Personne ne veut mourir.
Cependant, ce qu’il faut retenir de «la mort» dans l’étude des arts martiaux modernes,
surtout en temps de paix relative, est fondamentalement l’attitude psychologique face à nos
malheurs, nos revers, nos échecs, nos contrariétés, ce qui nous dérange, etc. Le problème sera
toujours de les accepter, de les fuir ou de les nier. Ainsi par exemple, cesser d’argumenter,
accepter une défaite lors d’un tournoi ou un échec lors d’un examen.

L’angoisse et la peur

Nous présentons la peur sous deux aspects : la peur


proprement dite et son dérivé humain, l’angoisse. La peur
tient d’un sentiment d’impuissance : non seulement de
l’incapacité d’agir, de pouvoir changer quoi que ce soit à la
situation actuelle, mais encore de l’impossibilité même de
comprendre ce qui se passe et ce qu’on est en train de faire
de nous. La peur suscite des premières réactions physiques:
les membres défaillent, les frissons s’emparent du corps,
les poils s’hérissent, la bouche se dessèche, la peau devient
brûlante, le corps ne peut se tenir debout et l’esprit semble pris d’un vertige…. Il faut
comprendre que ces premières réactions sont importantes, car il s’agit du premier
mécanisme de défense qui produira, par la suite, une formidable et puissante énergie pour la
fuite, le combat ou, malheureusement la mort. Ce qui est fascinant, c’est que tout dépend de
l’attitude mentale et de l’éducation d’une personne à relever des défis.

Bien que la peur soit un sentiment normal, on comprendra très bien pourquoi elle est
universellement détestée par l’être humain. La peur est chargée de tant de honte qu’on la
cache en l’enfouissant au plus profond de soi. Bien souvent, certains évitent les situations
telles que la compétition sportive et les entraînements avec armure où le contact est plus ou
moins sévère. Les prétextes courants : «Je ne suis pas encore prêts» ou «La compétition ne
m’intéressent pas». En cachant sa peur, la pratique du karaté devient artificielle, voire même
dangereuse! En devenant esclave de la peur, on n’affronte aucune épreuve qui permettrait
justement d’apprivoiser et de maîtriser cette peur.

L’efficacité de tout combat dépend d’une attitude mentale, d’une volonté inébranlable
soutenue et développée graduellement par un ensemble de techniques, de stratégies et de
mises à l’épreuve. On le sait maintenant, l’adversaire le plus redoutable est la peur, toujours
au rendez-vous dans une situation réelle. C’est la peur, sous toutes ses formes, qui provoque
la fuite, le combat ou la mort! C’est cet adversaire qu’il faut combattre avec vigueur, car il est
au-dedans de nous! Il faut reconnaître la peur, en accepter sa présence comme un
mécanisme naturel de défense. La peur peut être
apprivoisée, maîtrisée et être mise au service de la
volonté humaine. La vocation d’un art martial
traditionnel, d’un Budo, est de proposer
graduellement à l’adepte différentes épreuves pour
affronter ses peurs. Et en toute logique, les grades
doivent être le symbole d’un certain niveau de réussite
et de compétence en ce domaine...

Nous partageons la peur avec l’animal. Cependant,


l’angoisse est spécifique à l’être humain, car il est pourvu
d’une imagination. L’angoisse est une peur, mais elle n’est
pas comparable à la peur physique que provoque un
compétiteur qui est devant soi. L’angoisse repose sur des
concepts abstraits. En effet, l’humain a la capacité
«d’imaginer». Cette imagination est une force positive et
elle est utilisée dans le domaine du sport pour accroître
les performances. Prenons par exemple, un karatéka qui visualise mentalement sa technique,
son kata ou ses combats. Cependant, cette imagination peut être négative lorsqu’elle repose
sur une série de concepts abstraits ou d’images mentales qui ne représentent pas la réalité.
Pour quelqu’un, par exemple, qui n’a jamais vu ou fait de compétition sportive, l’idée d’y
participer, peut être angoissant. Cette peur peut être vaincue par une réaction combative, en
alimentant le concept abstrait «compétition sportive» d’éléments concrets (documents
visuels, petite séance d’initiation à la compétition sportive, etc.).
La plus noble des valeurs : le courage d’être

Il y a donc des femmes et des hommes qui


refusent de vivre une vie diminuée par la peur.
Ils sont persuadés qu’on peut y faire face, la
dominer ou du moins l’apprivoiser. Bien qu’il
existe plusieurs méthodes pour atteindre cet
objectif, des hommes et des femmes choisissent
de revêtir un karate-gi, symbole extérieur d’un
changement intérieur. Cependant, aucun
changement ne peut s’opérer sans le choix d’une ou de plusieurs valeurs. Pour les pratiquants
d’arts martiaux, les différents codes de la chevalerie peuvent devenir une source
d’inspiration. Or, pour le sujet qui nous intéresse, l’une des valeurs les plus intéressantes est
le courage.

Le courage est de faire ce qui est juste. Il se définit aussi par une force de caractère, une
fermeté que l’on a devant le danger, la souffrance ou dans une situation difficile à affronter.
Le courage se mesure dans l’action, dans la véracité des expériences. Personne, à mon avis,
ne vient au monde courageux. Le courage d’être se construit à tous les jours.

Il est important de faire la différence entre des comportements honteux découlant d’une
faiblesse de la condition humaine, et ceux «honorables» affirmant un courage d’être. Par
exemple, louable est l’attitude d’un adepte qui reste maître de lui devant la défaite ou l’échec
et qui fait, par la suite, une démarche d’introspection dans le but d’apprendre de cette
situation. Et que dire de cet autre adepte qui demeure conscient que sa fuite n’est pas une
concession à la peur, mais un temps d’arrêt, stratégique…

La conscience martiale

Reliée à la notion de courage, la conscience est d’abord un sentiment que l’être humain a de
lui-même et de sa propre existence. C’est aussi l’instrument avec lequel la personne exerce un
jugement.

Les arts martiaux constituent le moyen de développer et de tirer le meilleur de l’esprit de


l’homme et de la femme. La vérité est que l’entraînement en art martial se sert de moyens
irrationnels en apparence pour atteindre une fin rationnelle : développer le potentiel humain
en surmontant des valeurs extrêmes. En affrontant des conditions particulièrement dures,
des difficultés et des complications, il est possible de tremper son corps et son esprit. Ce
choix librement consenti est un privilège accordé aux seuls êtres humains. Depuis des temps
les plus reculés, ceux qui se sont consacrés aux arts martiaux traditionnels ont recherché
dans la difficulté le moyen de développer leurs talents et leurs possibilités pour se
perfectionner dans l’espoir de devenir des êtres parfaitement équilibrés.

La victoire et la défaite ne sont pas les points les plus importants. C’est plutôt se poser
constamment des problèmes, les étudier, réfléchir, chercher les moyens de les résoudre,
utiliser à fond ses possibilités et tirer quelque chose du résultat de ses expériences. En
somme, exercer sa «conscience martiale» en tout temps.
L’efficacité en combat

Pour maîtriser un art martial, il est important d’acquérir diverses connaissances. Mais
lorsque qu’on parle de combat, la connaissance est inséparable de l’action. Lors d’un stress,
d’une agression, les réactions d’un être humain ne sont pas différentes de celles que l’on
retrouve chez un animal et sont uniquement de trois ordres : se sauver, se battre ou mourir.
En tenant compte de ces trois réactions, l’art martial propose diverses stratégies dans le but
de développer la capacité d’apprivoiser la peur, la capacité de destruction ou d’imposer une
force, une puissance effective, la capacité de maîtriser la distance pour délivrer une attaque
ou une défense dans des conditions statique et dynamique, la capacité de maîtriser
l’exécution technique d’un mouvement offensif ou défensif, etc.

Nous avons intentionnellement mis la maîtrise technique d’un mouvement à la fin de


l’énumération précédente, car elle est secondaire par rapport aux autres. Par l’apprentissage
d’une multitude de techniques, bon nombre d’adeptes acquièrent un tel niveau de confiance
qu’ils pensent pouvoir faire face, en toute sécurité, à la peur, l’angoisse et l’agression. Il est
bien évident que la pratique du karaté prépare au combat. Cependant, il ne faut jamais
oublier que l’efficacité en combat est une notion très relative, car elle est dépendante de
plusieurs facteurs dont l’intensité et la diversité des mises à l’épreuve. On peut se questionner
sur l’adepte qui affirme, par exemple, avoir la certitude de vaincre un pur étranger dans un
combat de rue parce qu’il est capable de vaincre un partenaire lors des exercices de combat
dans le dojo ou dans un tournoi sportif. Pire encore est de prétendre qu’un style de karaté à la
méthode de combat la plus efficace. En fonction de ses objectifs, toutes les méthodes sont
bonnes et aucune n’est parfaite. Et on ne peut parler de «la réalité» qu’avec circonspection.
La pratique martiale pour apprivoiser et maîtriser la peur

La peur que l’on rencontre le plus


régulièrement est celle de la
douleur ou, en d’autres mots, la
peur d’avoir mal. Pour apprivoiser
cette peur, il existe une multitude
de moyens. En voici quelques
exemples.

À un premier niveau, et aussi


bizarre que cela puisse paraître,
on débute les arts martiaux
traditionnels en apprivoisant sa propre douleur. Les exercices de base (kihon) en karaté sont
simples mais procurent une douleur significative sur les muscles sollicités. Durant les
entraînements personnels, on peut contrôler l’intensité de la douleur. Par contre, pendant les
cours, le courage d’être se manifeste davantage, car c’est le Sensei qui donne le rythme et
pousse les limites de la douleur physique. À un deuxième niveau, on apprivoise la douleur
avec l’aide d’un partenaire ou de matériaux. Parmi les exercices, notons, le «ibuki», les kihon
kumite, le kotei-kitai, le tame-shiwari, le travail au sac lourd, au makiwara, etc. À un
troisième niveau, on a recours au combat. On peut noter les kihon-kumite, randori, le ju-
kumite, le bogu-kumite, le shihai et le tame-damashi, etc.
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Marie-claude Bujold Merci j'adore vous lire.


1
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Ken Jin Sensei,


Lorsque l’on rentre dans un dojo ( le mien de même) , il y a un rituel d’entrée et de salut avec claquement
des mains signifiant que toutes nos peurs, tensions, problèmes etc. restent à l’extérieur du dojo. Puis une
prise de conscience méditative de paix intérieure.
Lors de l’entraînement, nous savons tous que cette paix intérieure se manifeste par un relâchement
détendu du corps et de l’esprit...
Donc dans cet état de relâchement, toutes techniques s’exécutent alors sans tensions musculaires et
articulaires nous permettant ainsi une exécution plus que parfaite selon notre niveau d’habileté...
Lorsque nous rentrons dans notre dojo, Gilles et moi, nous laissons dehors toutes nos tensions accentuant
ainsi la précision de nos gestes et l’espace dans notre esprit pour laisser passer nos intuitions techniques
et martiales...
Un rituel d’entrée et de sortie me semblent intéressants dans tous les dojos pour tenir compte de tous les
facteurs énumérés ci-haut dans ton texte...
Qu’en penses-tu mon ami?
2
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Jean-Noël Blanchette a répondu · 7 réponses

Brandon Franck Js8 d'accord si c'est uniquement pour le côté "yin"


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Bruno Roy a l invers des autres especes animal que porte notre belle terre.. l humain a des capacités
supplémentaires, dut a des notions positives, suivant la peur a affronter et a surmonté, qui fait ressortir la
""la neutralité et la tempérance"". . ce que l on… Voir plus
J’aime · Répondre · 1 an

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