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Coralie Camilli: «Les arts martiaux m'ont aidée à contenir la charge négativ…
INTERVIEW
Nicolas Poinsot
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19 nov.
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«L'esprit acquis grâce aux arts martiaux (...) apporte aussi quelque chose d'essentiel pour mieux vivre ces temps de confinement et de futur incertain: la patience. Au fond, le
temps est relatif et on peut prendre sur soi», analyse la philosophe Coralie Camilli. © Getty Images
FEMINA A l'ère du hygge, du yoga et de la bienveillance, vous publiez un livre faisant l'éloge du combat
physique, de la confrontation des corps par les arts martiaux. En quoi ces notions ont-elles leur place dans
notre époque qui valorise tellement la douceur envers soi-même et les autres?
Coralie Camilli En tant que pratiquante d'arts martiaux, j'ai pu remarquer que ces disciplines soulevaient beaucoup de
questions intéressantes, en dehors de considérations sur le bien-être. J'ai voulu ausculter ce qui se passe dans le corps
quand il se meut dans ces conditions et aussi ce qui se passe dans l'esprit. Le temps, le mouvement par exemple. Ces arts
sont une véritable ressource philosophique.
Et à la sensation?
Durant les premiers temps, on est tellement focalisé sur la perfection du geste à accomplir, telle position de la main, de la
tête, qu'on est assez peu attentif au corps de l'autre. Mais lorsqu'on a progressé, qu'on a intégré les mouvements au point
que c'est le corps qui s'exprime, la conscience se met en retrait et laisse place à la sensation. On réfléchit moins à la force
ou à la vitesse. En revanche, avec la boxe, il y a combat, c'est plus rapide, plus cardiaque, il y a des attaques qu'on prend en
pleine figure et on est plus dans un rapport avec un adversaire qu'avec un partenaire. Cette situation oblige à mettre en
œuvre des techniques qui marcheront ou pas. Les deux disciplines apportent chacune quelque chose d'enrichissant. Et
dans tous les cas, il y a l'adrénaline aussi.
Ces disciplines sont également propices à une certaine prise de hauteur. Après un combat, le corps a
tellement transpiré et travaillé qu'un vide s'opère en soi, facilitant la réKexion. Selon moi, corps et
esprit travaillent de concert.
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On voit de plus en plus de femmes s'orienter vers les arts martiaux, pourquoi selon vous?
Etant davantage sujettes aux agressions, elles vont en effet de plus en plus vers des systèmes d'autoprotection pour être
capables de gérer une éventuelle attaque durant quelques minutes. Elles restent cependant moins nombreuses que les
hommes sur les rings ou les tatamis. En Europe, il faut dire que certaines mauvaises habitudes subsistent envers nous lors
des cours. On tend à nous considérer trop comme des femmes, on veut nous préserver ou on nous teste plus.
Dans d'autres régions du monde, notamment en Asie, les professeurs n'agissent pas diOéremment selon
qu'on soi un homme ou une femme, ils ne cherchent pas spécialement à nous épargner. Les exigences
sont exactement les mêmes.
La pratique de ces disciplines vous ont-elles aidé concrètement dans la vie de tous les jours?
Mes apparitions dans les médias ont parfois suscité des commentaires sexistes au début et cela aurait pu beaucoup me
blesser. Mais l'esprit acquis grâce aux arts martiaux m'a aidé à contenir la charge négative, un peu comme une attaque qui
serait passée au-dessus sans vraiment m'atteindre et m'aurait laissée indemne. Il apporte aussi quelque chose d'essentiel
pour mieux vivre ces temps de confinement et de futur incertain: la patience. Au fond, le temps est relatif et on peut
prendre sur soi.
On parle souvent d'une philosophie des arts martiaux. Ces sports amènent-ils une meilleure connaissance de
soi?
Ils nous apprennent effectivement à rencontrer et à situer nos limites, nos frontières. On voit qu'on peut parfois faire
davantage que ce qu'on imaginait au départ, on se surprend à déployer plus de puissance et de persévérance qu'on pensait
pouvoir fournir. On découvre de nouvelles capacités en nous. C'est particulièrement le cas pour nous, les femmes, à qui la
société met des limites mentales très tôt en nous éduquant comme si nous n'avions pas de force. En revanche, une
pratique ardue va également nous mettre devant des frontières indépassables, au-delà desquelles nous ne pouvons encore
nous aventurer. On comprend qu'on ne peut aller plus loin dans l'effort ou la douleur. Mais ces limites sont souvent plus
lointaines qu'on le croit. Lors d'un stage à l'étranger, j'ai eu l'épaule droite déboîtée pendant un combat, la douleur était
vive et intense, mais j'ai pu continuer l'affrontement en pratiquant du côté gauche seulement. Je ne pensais pas que je
serais capable de gérer la situation tout en ayant aussi mal.
Les arts martiaux, ce sont aussi des règles strictes, une hiérarchie, un esprit quasi militaire. N'est-ce pas
aliénant pour notre époque si éprise de liberté?
Certes, accepter de prendre des coups, d'entendre des reproches, se plier à des règles inflexibles, n'est pas forcément
chose évidente. Mais dans le cas des arts martiaux, il y a une sublimation du masochisme, car on choisit ces contraintes
fortes pour rencontrer ses limites dans une certaine beauté du geste parfait. Par ailleurs, je pense que la véritable liberté
consiste à choisir sa soumission. On est déjà soumis à plusieurs impératifs au quotidien sans les avoir toujours désirés et
se soumettre à un coach dont on reconnaît l'autorité est une des plus belles soumissions qu'on puisse accepter. Avec le
temps et la pratique, on gagne en maîtrise, on arrive à une mise en œuvre plus personnelle, qui nous correspond mieux.
C'est là que notre corps prend sa liberté par rapport au savoir que nous avons engrangé. Cette élévation finale est grisante.
Pour moi, la soumission volontaire conduit à la liberté.
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Nicolas Poinsot
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