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a vraie raison qui décida maître Fūnakōshi à changer les

idéogrammes de karate

I
l faut, absolument savoir la vraie Japonais essayaient de rattraper leur littéralement écrasé, cessa prudem-
raison qui décida le maître retard sur l’Occident, les Chinois ment ces rencontres.
Fūnakōshi, en 1933, à changer restaient accrochés à leur passé, et Maintenant, il organise ses propres
l’idéogramme kara (« Cathay », finalement, faisaient figure d’arriérés compétitions, comme le taekwondo le
« Chine ancienne ») par un autre par rapport aux Japonais. Il faut se fait également. Et d’autres … dont le
idéogramme se prononçant souvenir aussi que le Japon d’alors, Shōtōkan JKA.
également kara, mais signifiant mené par des ultras militaristes Mais ce ne fut pas la raison profonde.
« vide », « vacant ». Décision grave, en enivrés de succès, était parti à la Ce fut tout au plus un épiphénomène
ce sens qu’elle eut des effets pervers conquête de la Chine en 1894 (un phénomène qui s’ajoute à un
(« effets pervers » : conséquences (obtenant la cession de Taïwan, autre d’une manière fatale).
inattendues, négatives, qui dépassent anciennement Formose), avait fichu La vraie raison, il n’y a plus aucun
l’effet logique du but recherché). une pâtée mémorable aux Russes doute maintenant, est que le maître
On a émis plusieurs hypothèses, qui (toute la flotte du Tsar coulée à Fūnakōshi supprima « Cathay » (ou
sont valables. Mais, bien que cela soit Tsūshima, ce qui avait stupéfié le Chine, si vous préférez) pour « vide »,
connu, on n’a jamais dit la vraie raison, monde : n’oublions pas que trente ans dans le but de lever toute équivoque
dérangeante. auparavant, ils en étaient encore au entre le karaté martial et le karaté
On a dit qu’il décida d’utiliser stade de nos Carolingiens), avait boxe. En adoptant le vide pour le
l’idéogramme kara-vide, parce qu’il y attaqué Port Arthur en 1905 (sans nouveau karaté (l’art du poing), la
faisait ainsi une allusion au « vide déclaration de guerre, comme il le fit confusion avec le vrai n’était plus
zen ». Sans doute. Mais dans ce cas, également lors de la Seconde Guerre possible, et il devenait désormais,
pourquoi a-t-il conservé « karate­ mondiale, à Pearl Harbour en 1941, dans l’esprit du maître, le « frère des
défiant les États-Unis, de manière sports-martiaux » qui, tel le jūdō, se
jūtsū » ? Car ce ne fut que deux ans
irraisonnée). Réalisant un rêve vieux propageaient magnifiquement dans
plus tard qu’il se décida à abandonner
de cinq siècles, il avait, en 1910, le monde.
« jūtsū » (art) pour utiliser « dō »
occupé la Corée, qui resta une colonie À noter que le karaté okinawaïen, en
(voie), et à utiliser « karate­dō ». Ce jusqu’en 1945 (ce qui explique que le totale perte de vitesse à cette
qui est un pléonasme, donnant taekwondo … soit issu directement époque, se ragaillardit en axant son
quelque chose comme la voie de la
du karaté Shōtōkan ; Taïji Kase lui- enseignement sur le karaté sport, ce
voie, ou le vide du vide. En outre, en
même m’a dit avoir connu les qui est assez savoureux, car le
1933, le jūdō existait depuis plus de
instructeurs japonais qui formèrent premier à avoir fermé les poings fut
cinquante ans. Les relations de les pionniers coréens). Le Japon avait un Okinawaïen, le maître Itōsū
Gichin   Fūnakōshi avec Jigōrō occupé la Mandchourie en 1931 (en y (Yasūtsūne, dit Ankō, 1830 – 1915),
Kanō étaient étroites. Ce dernier plaçant le petit empereur Pu­I, dont lorsqu’il introduisit, en 1901, le
l’aida beaucoup. Les trois quarts des on a fait un film, dans l’espoir de karate­jūtsū (« art de la main de
premiers élèves de maître Fūnakōshi contrôler la Chine avec cette Cathay ») à la Okinawan Daiichi
furent des jūdōka envoyés par le marionnette). Et, il s’armait pour sa School.
maître Kanō, et comme ces derniers grande conquête de l’Ouest (l’Asie et Ce changement d’idéogramme,
l’Australie), qui commença réellement auquel s’ajoutèrent des changements
portaient le jūdōgi, ce type de veste
en 1937 par la Chine. de noms de katas (que l’on prétend
(non utilisé à Okinawa) fut adopté. Le
Il était donc probablement maintenant mordicus « traditionnels »
kendō et le Kyūdō existaient aussi. souhaitable qui soit affirmé un karaté et « antiques »), retourna les sangs des
Ils avaient même créé ave le jūdō japonais, né du génie japonais, sans le maîtres d’Okinawa. Ce fut le plus
« L’association des trois dō » rappel de la Chine, et ceci avec un grand scandale du karaté. On
(Sandōkaï). Si telle avait été son nom neutre. Effectivement, le karaté envisagea, dit-on, de tuer le maître,
intention en abandonnant « Cathay » japonais se distingue nettement du dans l’espoir de décapiter le karaté
karaté chinois par une plus grande
pour vide, maître Fūnakōshi aurait Fūnakōshi (en 1934, son élève
efficacité en attaque, et par la facilité
très probablement ajouté « dō » lors numéro un, instructeur officiel,
d’obtenir des combattants valables en
de cette modification. Takeshi   Shimōda, aurait été tué
trois ans environ, auxquels seuls des
On a parlé également du mépris pour cette raison). À dater de ce jour,
Chinois ayant au moins dix ans
japonais pour tout ce qui était chinois. d’expérience pouvaient faire face. Il nous expliqua le maître Nakayama,
Ce courant xénophobe fut fut un temps (vers les années 1970) où maître Fūnakōshi devint
probablement aussi une des raisons, il y eut des défis karaté-kung fu … à la extrêmement prudent lorsqu’il sortait
mais pas la raison. Alors que les suite desquels le kung-fu, dans la rue. S’il devait tourner un coin
de rue, il prenait un large virage afin Or, il est beaucoup plus difficile de
d’éviter toute attaque surprise. Le reculer que d’avancer. Et savoir
maître Ūeshiba, de l’aïkidō, eut la reculer (et même fuir) est vital sur le
même attitude … martiale, lorsqu’il plan martial. En dehors des cours,
adopta, en 1938, le nom de lorsque vous vous entraînez pour
« aïkidō » à la place de « aïki­ vous-même (c’est là où l’on fait le plus
jūtsū ». Cette prudence du maître de « progrès »), exercez-vous à
Ūeshiba était justifiée par la exécuter toutes les figures du kihōn
révélation publique de l’enseignement en reculant, en Ōie et en Gyakū.
Ōkūden (secret profond) de son Faites également tous les blocages en
maître Takeda   Sōkakū, qui ne gyakū, en avançant et en reculant. Ils
digéra jamais cette trahison (ce maître sont indispensables pour éviter que
fut le premier au Japon à avoir les hanches ne deviennent bloquées
enseigné l’aïki­jūtsū de la Daïtō­ avec le temps. L’utilisation des
hanches, surtout en rotations ultra-
ryū, qui comprend des atémis).
rapides et basculages (faire remonter
Lorsque le maître Fūnakōshi modifia d’un coup sec le nœud de la ceinture,
les idéogrammes, ce fut donc parce par exemple) est très importante dans
que son fils Yōshitaka, dit Gigō, tous les arts martiaux authentiques.
âgé de vingt ans, se dirigeait
délibérément vers le karaté sport- La pensée du mois
boxe. Le maître Ōhtsūka « Si un grand homme cherche à
Hidenōri (1892 – 1982), un des plus connaître et suivre vos conseils, soyez
vieux disciples, ne put le supporter, et pleinement satisfaits.
se sépara, cette année-là, de maître Si personne ne veut suivre un seul de
Fūnakōshi. vos conseils, soyez également
Curieux retour des choses, maître satisfaits. »
Mencius (372 – 289 av J-C)
Ōhtsūka créera son Wadō­ryū en
1939 … plus moderne et plus boxe
que la « main vide » du maître qu’il
avait quitté, cinq ans auparavant, pour
cause de modernisme à tendance
boxe. Il est vrai qu’entre-temps, cela
ne s’est que rarement dit (Draeger
donne les détails dans un de ses
livres), le jeune karaté-boxe voulut
réitérer le fameux combat de quinze
jūdōka­kanō contre quinze
jūjūtsūka (remporté par l’équipe
Kanō, avec un mort chez les
jūjūtsūka de la police). Le groupe
Shōtō en avait organisé un contre le
Gōjū­ryū à Ōsaka, et avait pris ce
que l’on peut appeler une dérouillée.
Cela arrive inévitablement lorsque l’on
combat avec des conventions (rituels)
et que, prenant la grosse tête, on
défie. D’où l’éclatement des disciples,
et même des « prises d’ermitage »
définitives en montagne (le fabuleux
maître Ōkūyama fut de ceux-là, dit-
on).

La suggestion technique du mois


pour éviter les effets pervers du
karaté sport :
Le Kihōn classique consiste en
attaques et blocages vers l’avant.

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