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Le Courage d’Etre

Contribution de Goderig à Conférence du 25 Mars 2016 à Lorient

Organisée par La Solidarité Bretonne sur le thème de l’Engagement

L’engagement consiste à mettre ses actes en accord avec ses convictions ou avec
ses réflexions, dans un esprit de justice, de solidarité et d’efficacité. Pour cette
raison, nous avons apprécié le choix de ce thème et nous nous sommes, aussitôt,
proposés d’y contribuer.

Le rapport entre le courage et l’engagement nous paraissait évident : S’engager, ce


n’est pas, seulement, adhérer à une cause mais accepter l’organisation et les
moyens qu’elle met en œuvre, y trouver sa place et être constant dans sa
participation.

L’expérience de l’engagement montre que, sans courage, les obstacles sont


nombreux, voire insurmontables. Mais, de quel courage s’agit-il ? C’est l’objet de
cette intervention qui, pour rester dans le temps imparti, sera très incomplète et
discutable dans la forme comme dans le fonds.

Le courage se définit, communément, comme la force de caractère qui permet


d’affronter le danger, la souffrance ou les difficultés. Cette définition nous conduit
à examiner le courage sous 3 angles : Physique et moral, d’abord ; ces 2 approches
introduisant l’argument principal que nous avons dénommé « Courage d’Etre », en
référence au titre de l’ouvrage de Paul Tillich qui nous a inspiré et qui nous renvoie
à la Franc-maçonnerie (Paul Tillich est un théologien protestant allemand qui
émigra aux Etats Unis en 1933 pour y faire une brillante carrière de professeur de
philosophie à l’Université de Yale ; il est décédé en 1965). Pour compenser le
caractère arbitraire de ce plan, nous souhaitons préciser, immédiatement, qu’il n’y
a pas de petit ou de grand courage (ils sont tous, en fait, étroitement liés ; le
moindre d’entre eux contribuant aux autres).

COURAGE PHYSIQUE
Le plus compréhensible des courages est l’aptitude à affronter une agression
physique et à s’en défendre : Pour tous ceux d’entre nous qui ont appris et
pratiqué, un tant soit peu, un sport de combat ou d’autodéfense, il est clair qu’à
côté des techniques indispensables, il faut, aussi, acquérir et développer d’autres
dispositions essentielles : Condition physique rigoureuse, souplesse et agilité,
perfection gestuelle, attention et concentration, disponibilité sensorielle ...

Les Arts martiaux offrent, par les démonstrations des maitres, la preuve qu’ils
exigent et développent des capacités mentales et spirituelles hors du commun et
qu’ils nous ouvrent la voie vers d’autres formes essentielles du courage.
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COURAGE MORAL

Aristote fut le 1er à recenser, dans « L’Ethique à Nicomaque », les vertus morales
pour en dénombrer une dizaine, parmi lesquelles notre civilisation a retenu :
Justice, Force, Tempérance et Prudence, qualifiées de « cardinales » car sensées
conduire à la Sagesse.

Aristote n’en qualifiait que 3 d’essentielles : Justice, Prudence et, précisément,


Sagesse. Sans, donc, privilégier le Courage qui, notons-le au passage, est, aussi,
apparemment absent de nos Rituels ou, parfois, discrètement mentionné, par
quelques-uns (Comme le RER et Rite Français 1801, au grade de Compagnon).

Cependant il définit la conduite morale comme un juste équilibre dans la pratique


des vertus qui peuvent engendrer le pire ou le meilleur si elles ne sont pas
contrôlées et appliquées avec discernement. Définissant le courage comme un
juste milieu entre la peur et la témérité, il en fait un modèle applicable aux autres
vertus et lui reconnait, ainsi, un rôle central dans le chemin vers la sagesse.

Les Stoïciens nous ont livrés une autre clé essentielle du courage en montrant que
l'objet de la crainte est la crainte elle-même. Je cite : « Ce sont donc nos désirs
incontrôlés qui fabriquent des masques et les mettent sur les êtres humains et sur
les choses ». Le courage consiste à les faire tomber.

Sénèque considérait que le courage émancipe l’homme de la crainte de la mort et


des Dieux (pris dans le sens de superstitions faussement protectrices). En unissant
l’homme au Logos, le courage de la sagesse conquiert le destin et fait de l’homme
un être libéré de toutes les tyrannies, et particulièrement, de ses propres peurs et
de la souffrance.

Il faisait, ainsi, du courage une source de joie mais, il regrettait, paradoxalement,


que la majorité des hommes restent esclaves de leurs craintes et en arrivait à
conclure qu’il n’y a pas de plus grand courage que celui qui naît de l'absolu
désespoir.

Albert Camus terminait, aussi, son analyse du Mythe de Sisyphe » en disant : "Il faut
imaginer Sisyphe heureux. Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni
stérile, ni fertile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette
montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers les
sommets suffit à remplir un cœur d'homme. "

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LE COURAGE D’ETRE

C’est Spinoza qui fera la transition avec l’objet principal de ce travail car il pose
un principe fondamental à tout être vivant, je cite : « L'effort par lequel chaque
chose s'efforce de persévérer dans son être n'est rien en dehors de l'essence
actuelle de cette chose » (Éthique, III, proposition VII). Dit plus concrètement, c'est
l'effort pour la conservation ou pour l'affirmation de soi qui fait l’identité d'une
chose. Et pour un homme, cet effort s’exprime dans le courage d’être.

Il emploie trois termes pour qualifier ce courage :

– Fortitudo (puissance d’être),


– Animositas (acte total de la personne - que nous traduirons ici par sincérité
de l’engagement) et
– Generositas (altruisme et soutien mutuel).

Puisque l’engagement et la puissance d'affirmation de soi sont identiques et que la


« générosité » est l'acte d'aller vers les autres dans une disposition de
bienveillance, aucun conflit entre l'affirmation de soi et l'amour ne peut être
pensé.

La parfaite affirmation de soi n'est pas un acte isolé qui aurait son origine dans
l'être individuel, mais elle est participation à un acte universel d'affirmation de soi.
En terme moderne (dérivé de Jung), on aurait dit qu’il y a le Moi et le Soi ; que le
1er est un « Ego » individuel qui, bien assumé et bien vécu, peut conduire au Soi
universel.

Thomas d’Aquin, en commentateur d’Aristote, arrivait à des conclusions très


proches en affirmant : Le Courage allié à la Sagesse, permet d’atteindre la
tempérance dans la relation avec soi-même et la justice dans la relation avec
autrui.

Mais Spinoza, à la fin de son traité, butait sur une question que nous allons nous
poser : Pourquoi cette voie naturellement vertueuse est-elle autant négligée en
pratique ? Il conclut qu’elle est difficile et rare comme tout ce qui est sublime,
avec une forme de résignation à ne pas la voir plus répandue.

Nietzsche, dans Zarathoustra, donne une réponse en forme de fuite symbolique : La


Vie elle-même m'a confié ce secret : "Vois, dit-elle, je suis ce qui doit toujours se
surpasser"» (II, 34).

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Paul Tillich analyse 3 angoisses existentielles irréductibles qui menacent
l’affirmation de Soi et justifie le courage :

- Angoisse existentielle de la finitude,


- Angoisse spirituelle de l’absurde,
- Angoisse morale de la culpabilité.

Aucune de ces angoisses n’a de résolutions objectives et absolues ; il faut les


assumer car les nier peut conduire à des problèmes psychologiques graves.
Il désigne la vitalité comme un moyen d’assumer ces angoisses et le courage
comme une fonction essentielle de cette vitalité.
Il souligne, aussi, qu’il n’y a pas de Soi hors du monde car un individu ne peut se
déterminer tout seul. Il relie l’affirmation de Soi à la participation au monde qui
requiert une nouvelle forme de courage, celui de sortir de soi tout en restant soi-
même ; le courage de s’exposer pour pouvoir se réaliser.
Ce courage prend une forme collective et inclus celui de la transgression qui
s’applique lorsqu’un système se sclérose à force d’idées convenues. Il finit par
perdre son sens originel et le courage transgressif permet de le régénérer.

En tant que théologien philosophe, Paul Tillich arrive à concevoir la Foi comme une
confiance dans un Dieu « au-dessus de Dieu » qui transcenderait, à la fois, le
courage d’être participant et le courage d’être soi-même.

Rapporté à notre sujet, l’engagement supposerait, ainsi, le courage d’être en


harmonie avec soi-même et d’être suffisamment désintéressé pour percevoir et
comprendre les besoins des autres. L’altruisme demanderait le courage de voir
l’autre comme un autre soi-même, aussi vulnérable, par essence, que nous le
sommes. La simplicité de comportement fait, aussi, partie du courage altruiste, de
même que la loyauté absolue envers le groupe dans lequel on s’engage.

Le prix d’un engagement véritable et efficace pourrait bien être le courage d’être.

Mais pour conclure avec un peu d’humour, j’aimerai vous citer l’aphorisme d’un
Maitre Zen, si concis qu’il ne pouvait être traduit qu’en charabia : « Si
comprendre, inutile d’expliquer ; Si pas comprendre, impossible d’expliquer ».
Heureusement, entre les 2, il reste de la place pour des planches et des
interventions.

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