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AVANT-PROPOS
Ce livre est né d'une série d'entretiens et, au-delà, d'une rencontre avec celui
que la tradition philosophique tient pour le dernier grand penseur chrétien : Jean
Guitton.
On trouvera donc ici une sorte de « Philosophie à haute voix », comme elle se
pratiquait autrefois, dans d'autres cultures, chez les Grecs ou au Moyen Âge. Tout
naturellement, nous en sommes venus à ces questions simples et essentielles : d'où
vient l'univers ? qu'est-ce que le réel ? la notion de monde matériel a-t-elle un
sens ? pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?
On aura beau chercher, il n'y a que trois voies offertes à ces questions et aux
éventuelles réponses qu'elles suscitent : celles de la religion, de la philosophie et
de la science. Jusqu'ici, seules la religion et la philosophie, chacune à sa
manière, ont tenté d'apporter des réponses aux hommes.
Mais dans un monde de plus en plus occupé par la science et les modèles de
pensée qu'elle produit, par la technologie et les modes de vie qu'elle entraîne, le
discours philosophique a perdu son ancienne force de vérité ; menacé par les
sciences humaines, impuissant à produire des systèmes idéologiques qui en
feraient au moins un guide politique, le philosophe semble sur le point de
perdre son dernier privilège : celui de penser.
Reste la religion. Mais là encore, il semble que les savoirs issus de la science
s'opposent de plus en plus à l'ordre profond des certitudes inscrites dans le sacré :
Dieu et la science paraissent appartenir à des mondes si différents l'un de l'autre
que personne ne songerait même à prendre le risque de les rapprocher.
Pourtant, certains signes avant-coureurs nous disent que le moment est venu
d'ouvrir des voies nouvelles à travers le savoir profond, de chercher au-delà
des apparences mécanistes de la science la trace presque métaphysique de
quelque chose d'autre, à la fois proche et étrange, puissant et mystérieux,
scientifique et inexplicable : quelque chose comme Dieu, peut-être.
C'est cela que nous avons cherché dans ce livre. En raison des déplacements
qu'ont subis la philosophie et la religion sous la poussée formidable de la
science, il était impossible de tenter une description du réel sans faire appel aux
idées les plus récentes de la physique moderne ; et peu à peu, nous avons été
conduits vers un autre monde, étrange et fascinant, où la plupart de nos
certitudes sur le temps, l'espace et la matière n'étaient plus que des illusions
parfaites, sans doute plus faciles à saisir que la réalité elle-même.
Avec nous, le lecteur ne pourra que s'interroger sur les conséquences à peine
concevables d'une des plus grandes découvertes de la physique moderne : le
monde « objectif » ne semble pas exister en dehors de la conscience qui en
détermine les propriétés. Ce faisant, l'univers qui nous entoure devient de moins
en moins matériel : il n'est plus comparable à une immense machine, mais plutôt
à une vaste pensée.
Dès lors, si l'hypothèse de l'univers-machine de Laplace-Einstein s'effondre,
dans son sillage, c'est le grand ensemble des modèles matérialistes et réalistes
qui, progressivement, bascule et s'efface. Mais au profit de quoi ?
A observer d'un peu près l'histoire des idées, on y verra se côtoyer — et
parfois se heurter durement —deux courants opposés, deux camps conceptuels
adverses : le spiritualisme et le matérialisme. Selon le protocole spiritualiste,
tel qu'il émerge pour la première fois avec saint Thomas d'Aquin — puis
graduellement affiné par Leibniz ou Bergson —, le réel est une idée pure et n'a
donc, au sens strict, aucun substrat matériel : nous ne pouvons tenir pour
assurée que la seule existence de nos pensées et de nos perceptions.
Au contraire, la lecture matérialiste du réel impose un parti
rigoureusement inverse : de Démocrite à Karl Marx, l'esprit, le domaine de
la pensée ne sont que des épiphénomènes de la matière, en dehors de laquelle
rien n'existe.
Ces deux doctrines sur la nature de l'Être sont à compléter par les théories
de la connaissance qui leur correspondent : l'idéalisme et le réalisme. Peut-on
connaître le réel ? Impossible, répondra l'idéaliste : nous ne pouvons accéder
qu'aux phénomènes, aux représentations dispersées autour de l'Être. A cela, le
réaliste opposera le contraire : pour lui, le monde est connaissable puisqu'il
repose sur des mécanismes et des rouages certes compliqués, mais rationnels,
calculables.
Or, nous sommes à l'orée d'une révolution de pensée, d'une rupture
épistémologique telle que la philosophie n'en a pas connu depuis plusieurs
siècles. Il nous paraît qu'au travers de la voie conceptuelle ouverte par la
théorie quantique, émerge une nouvelle représentation du monde, radicalement
autre, qui prend appui sur les deux courants antérieurs pour les dépasser, en
faire la synthèse. Nous situons cette conception naissante en deçà du
spiritualisme, mais bien au-delà du matérialisme.
En quoi s'agit-il d'une pensée nouvelle ? En ce qu'elle efface les frontières
entre l'esprit et la matière. Aussi avons-nous décidé de lui donner ce nom : le
métaréalisme.
L'émergence de ce nouveau point de vue philosophique doit-elle surprendre ?
Pas vraiment, si l'on insiste sur le fait qu'il se loge lui-même au sein d'un
déplacement épistémologique de grande ampleur, pressenti par nombre de
penseurs, en particulier par Michel Foucault.
Celui-ci a décrit les variations du savoir — et donc des modes de pensée — de
la Renaissance à nos jours, découpant deux grands « moments » dans l'histoire :
après avoir été analogique, essentiellement occupée à établir des relations entre
diverses classes d'objets ou de phénomènes, la pensée gagne une dimension
nouvelle vers la fin du XVIIe siècle pour appréhender les phénomènes dans ce
qu'ils ont de quantifiable, de mécanique et de calculable : c'est le règne de la
pensée logique.
Où en sommes-nous à la fin du XXe siècle ? C'est du savoir scientifique qu'est
en train d'émerger, contre le sens commun et sans la collaboration des
philosophes, une tout autre conception du monde, une vision de l'univers qui
entre en conflit violent avec la raison ordinaire, tant ses conséquences sont
stupéfiantes, inassimilables.
Ce nouvel espace de savoir, au sein duquel s'organise peu à peu une pensée
révolutionnaire, de type métaréaliste, n'est-il pas situé, de facto, au-delà de la
logique classique ? Ne sommes-nous pas déjà en train de faire l'apprentissage
d'un mode de pensée métalogique ?
Le déplacement est d'importance : alors que le champ de la pensée logique
se limite à l'analyse systématique des phénomènes inconnus — mais, en fin de
compte, connaissables —, la pensée métalogique, quant à elle, franchit
l'ultime frontière qui la sépare de l'inconnaissable : elle se situe au-delà des
langages, au-delà même des catégories de l'entendement : sans rien perdre de
sa rigueur, elle touche au mystère et s'efforce de le décrire. Des exemples ?
l'indécidabilité en mathématiques (qui démontre qu'il est impossible de
prouver que telle proposition est vraie ou fausse), ou la complémentarité en
physique (qui énonce que les particules ou, plus justement, les phénomènes
élémentaires sont à la fois corpusculaires et ondulatoires).
Le premier acte d'une pensée métalogique, le plus décisif, consistera donc à
admettre qu'il existe des limites physiques à la connaissance : un réseau de
frontières, de proche en proche identifiées, souvent calculées, frontières qui bordent
la réalité et qu'il est impossible, absolument, de franchir. Un cas particulièrement
significatif d'une telle barrière physique a été mis en évidence, au mois de décembre
1900, par le physicien allemand Max Planck. Il s'agit du « quantum d'action »,
plus connu sous le nom de « Constante de Planck ».
D'une petitesse extrême (sa valeur est de 6,626. 11-34 joule-seconde), celle-ci
représente la plus petite quantité d'énergie existant dans notre monde physique.
Arrêtons-nous un instant sur ce fait qui est à la fois source de mystère et
d'émerveillement : la plus petite « action mécanique concevable ». Nous voici face
à un mur dimensionnel : la constante de Planck marque la limite de la divisibilité
du rayonnement et, par là, la limite extrême de toute divisibilité.
L'existence d'une borne inférieure dans le domaine de l'action physique a
naturellement pour effet d'introduire d'autres frontières absolues autour de
l'univers perceptible ; on se heurtera, entre autres, à une longueur ultime —
appelée « Longueur de Planck ». — qui représente le plus petit intervalle possible
entre deux objets apparemment séparés. De même, le Temps de Planck désigne la
plus petite unité de temps possible.
Cela nous pose une question troublante : pourquoi ces frontières existent-
elles ? par quel mystère sont-elles apparues sous cette forme si précise et, qui
plus est, calculable ? Qui — ou quoi — a décidé de leur existence et de leur
valeur ? Et enfin : qu'y a-t-il au-delà ?
Si l'on accepte d'entrer dans la pensée métalogique, si l'on ne cède en rien
devant l'inconnaissable, si l'on admet que cet inconnaissable est au cœur même
de la démarche scientifique moderne, on comprendra pourquoi les découvertes
les plus récentes de la physique nouvelle rejoignent alors la sphère de
l'intuition métaphysique. Au passage, on saisira mieux en quel sens Einstein —
dernier des physiciens classiques, persuadé que l'univers, la réalité étaient
connaissables — s'est trompé ; aujourd'hui, sur les frontières étranges et
mouvantes établies par la théorie quantique, les physiciens font tous, sans
exception, l'expérience de cet agnosticisme d'un genre nouveau : la réalité
n'est pas connaissable : elle est voilée, et destinée à le rester. Accepter cette
conclusion, c'est découvrir qu'il existe une solution de rechange à l'étrangeté
physique : l'étrangeté logique.
Une logique de l'étrange ? Il n'en fallait pas moins pour fonder cet édifice
conceptuel nouveau, le plus puissant mais aussi le plus déroutant de notre
siècle : La théorie quantique. Avec elle, les interprétations de l'univers,
conformes au bon sens, que sont l'objectivité et le déterminisme ne peuvent être
maintenues. Que devrons-nous admettre à la place ? Que la réalité « en soi »
n'existe pas. Qu'elle dépend de la façon dont nous décidons de l'observer. Que
les entités élémentaires qui la composent peuvent être une chose (une onde) et
en même temps une autre (une particule). Et que de toute façon, cette réalité
est, en profondeur, indéterminée. Bien que forte de plusieurs siècles de théories
physiques et d'expériences, la vision matérialiste du monde s'efface sous nos
yeux : nous devons nous préparer à pénétrer dans un monde totalement
inconnu.
Une autre émergence de cette étrangeté logique ? L'existence d'un ordre au
sein du chaos. Qu'y a-t-il de commun entre une colonne de fumée, un éclair
dans le ciel, un drapeau qui claque au vent ou de l'eau qui coule d'un
robinet ? Ces phénomènes sont en fait chaotiques, c'est-à-dire désordonnés.
Cependant, en les examinant à la lumière de cette approche neuve qu'est la
théorie du chaos, l'on découvrira que des événements en apparence
désorganisés, imprévisibles, recèlent un ordre aussi surprenant que profond.
Comment expliquer l'existence d'un tel ordre au cœur du chaos ? Plus
exactement : dans un univers soumis à l'entropie, irrésistiblement entraîné
vers un désordre croissant, pourquoi et comment l'ordre apparaît-il ?
Ce livre ne se limite donc pas à une exploration, somme toute classique, des
mystères de l'esprit et de la matière ; il ne se contente pas non plus d'offrir au
lecteur une approche saisissante de la croyance et de la religion : il s'ouvre sur
une nouvelle cosmologie, une manière profondément autre de penser la réalité
elle-même : derrière l'ordre évanescent des phénomènes, au-delà des
apparences, la physique quantique touche de façon surprenante à la
Transcendance.
En somme, cette première rencontre explicite entre Dieu et la science, ce travail
situé, inscrit, dans le monde étrange de la physique avancée, recueille, peut-être
aussi, l'élan d'une nouvelle métaphysique : n'existe-t-il pas, aujourd'hui, une sorte
de convergence entre le travail du physicien et celui du philosophe ? ne posent-ils
pas, l'un et l'autre, les mêmes questions essentielles ? Chaque année apporte une
moisson de remaniements théoriques sur ces lignes frontalières qui bordent notre
réalité : l'infiniment petit et l'infiniment grand. La théorie quantique comme la
cosmologie font reculer toujours plus loin les bornes du savoir, jusqu'à frôler
l'énigme la plus fondamentale qui fait face à l'esprit humain : l'existence d'un Être
transcendant, à la fois cause et signification du grand univers.
Et en fin de compte, ne trouve-t-on pas dans la théorie scientifique la même
chose que dans la croyance religieuse ? Dieu lui-même n'est-il pas, désormais,
sensible, repérable, presque visible, dans le fond ultime du réel que décrit le
physicien ?
AVERTISSEMENT
Je suis né dans la première année du XXe siècle. Ayant atteint cet âge où les
souvenirs se détachent du temps personnel pour prendre leur place dans de
grands courants historiques, je sens que j'ai traversé un siècle sans équivalent
dans l'histoire de l'espèce pensante sur cette planète : siècle de ruptures
irréversibles, de renouvellements imprévisibles. Avec les dernières années du
millénaire, une longue époque s'achève : nous entrons, en aveugles, dans un
temps métaphysique. Nul n'ose le dire : on fait toujours silence sur l'essentiel,
qui est insupportable.
Mais une grande espérance se lève pour ceux qui pensent. Et nous désirons
faire voir, dans nos dialogues, que le moment approche d'une réconciliation
fatale entre les savants et les philosophes, entre la science et la foi. Plusieurs
maîtres de pensée, animés d'un esprit prophétique, avaient annoncé cette
aurore : Bergson, Teilhard de Chardin, Einstein, Broglie, tant d'autres.
Igor et Grichka Bogdanov ont choisi cette voie à leur tour : ils m'ont
demandé de dialoguer avec eux sur le rapport nouveau de l'Esprit avec la
matière, sur la présence de l'Esprit au sein de la matière. Leur projet est de
substituer au « matérialisme » et au « déterminisme » qui inspiraient les maîtres
du XIXe siècle ce qu'ils osent nommer un métaréalisme : une nouvelle vision du
monde qui leur paraît devoir s'imposer, de proche en proche, aux hommes du
XXIe siècle.
Je n'ai pu refuser leur requête. J'ai accepté de dialoguer avec eux. Et je me
suis souvenu d'un autre dialogue, plus secret : ma rencontre avec le philosophe
allemand Heidegger, qui a exercé une si grande influence sur ce temps.
Heidegger, qui parlait par symboles, m'avait montré sur sa table de travail, à
côté de l'image de sa mère, un vase effilé, transparent, d'où émergeait une rose.
A ses yeux, cette rose, exprimait le mystère de l'étant, l'énigme de l'Être.
Aucune parole ne pouvait dire ce que disait cette rose : elle était là, simple,
pure, sereine, silencieuse, sûre d'elle-même, en un mot : naturelle, comme une
chose entre les choses, exprimant la présence de l'esprit invisible sous la
matière trop visible.
*
* *
Tout au long de ma vie, ma pensée a été occupée par un problème qui se pose
à tous : le sens de la vie et de la mort. C'est, au fond, la seule question à laquelle se
heurte l'animal pensant depuis l'origine : l'animal pensant est le seul qui enterre
ses morts, le seul qui pense à la mort, qui pense sa mort. Et pour éclairer sa voie
dans les ténèbres, pour s'adapter à la mort, cet animal si bien adapté à la vie n'a
que deux lumières : l'une s'appelle la religion, l'autre se nomme la science.
Au siècle dernier — et aux yeux de la plupart des esprits éclairés —, la
science et la religion étaient contraires l'une à l'autre ; la science réfutait la
religion dans chacune de ses découvertes ; quant à la religion, elle interdisait à la
science de s'occuper de la Cause Première ou d'interpréter la parole biblique.
Or depuis peu, nous commençons à vivre —sans le savoir encore —
l'immense changement imposé à notre raison, notre pensée, notre philosophie,
par le travail invisible des physiciens, les théoriciens du monde, ceux qui pensent
le réel.
Ce que je veux montrer avec les frères Bogdanov, en prenant appui sur la part
scientifique de leur savoir, c'est qu'en cette fin de millénaire les nouveaux
progrès des sciences permettent d'entrevoir une alliance possible, une
convergence encore obscure entre les savoirs physiciens et la connaissance
théologique, entre la science et le mystère suprême.
*
* *
Qu'est-ce que la réalité ? d'où vient-elle ? repose-t-elle sur un ordre, une
intelligence sous-jacente ?
Je garde en mémoire ce que les frères Bogdanov m'ont montré : l'immense
différence entre la matière ancienne et la matière nouvelle.
Mes interlocuteurs savants en science m'ont d'abord rappelé qu'avant 1900
l'idée qu'on se faisait de la matière était simple : si je brisais un caillou,
j'obtenais une poussière ; dans cette poussière, des molécules composées
d'atomes, sortes de « billes » de matière supposées indivisibles.
Mais y a-t-il dans tout cela une place pour l'esprit ? où se trouve-t-il ? nulle
part.
Dans cet univers-là, mélange de certitudes et d'idées absolues, la science ne
pouvait s'adresser qu'à la matière. Sur son chemin, elle conduisait même vers une
sorte d'athéisme virtuel : une frontière « naturelle » s'élevait entre l'esprit et la
matière, entre Dieu et la science, sans que personne ose — ou même imagine
— la remettre en question.
*
* *
Or, nous voici au début des années 1900. La théorie quantique nous dit que
pour comprendre le réel, il faut renoncer à la notion traditionnelle de matière :
matière tangible, concrète, solide. Que l'espace et le temps sont des illusions.
Qu'une particule peut être détectée en deux endroits en même temps. Que la
réalité fondamentale n'est pas connaissable.
Nous sommes liés au réel de ces entités quantiques qui transcendent les
catégories du temps et de l'espace ordinaires. Nous existons au travers de «
quelque chose » dont nous avons bien du mal à saisir la nature et les étonnantes
propriétés, mais qui se rapproche plus de l'esprit que de la matière
traditionnelle.
*
* *
Bergson avait pressenti, plus que tout autre, les grands changements
conceptuels induits par la théorie quantique. A ses yeux — tout comme dans la
physique quantique —, la réalité n'est ni causale ni locale : l'espace et le temps y
sont des abstractions, de pures illusions.
Les conséquences de ce remaniement dépassent de loin tout ce que nous sommes
aujourd'hui en mesure de rapporter à notre expérience ou même à notre intuition.
Peu à peu, nous commençons à comprendre que le réel est voilé, inaccessible, que
nous en percevons à peine l'ombre portée, sous la forme provisoirement
convaincante d'un mirage. Mais qu'y a-t-il donc sous le voile ?
Face à cette énigme, il n'existe que deux attitudes : l'une nous conduit vers
l'absurde, l'autre vers le mystère : le choix ultime entre l'une ou l'autre est, au
sens philosophique, la plus haute de mes décisions.
*
* *
J. G . — No us vo i ci à l a fi n de no tr e di al o g ue. To ut au l o ng de
no s r enco ntr es, no us avo ns o uver t une fi ssur e dans l es hautes
m ur ai l l es édi fi ées par l a sci ence cl assi que. Der r i èr e ce m ur , no us
devi no ns à pr ésent un déco r envel o ppé de br um es, un paysag e
m i r o i tant, subti l a l ' i nfi ni , do nt l ' ho r i zo n est i m m ensém ent
l o i ntai n. A l a l um i èr e de l a théo r i e quanti que, bi en des m ystèr es
s' écl ai r ent d' une i nter pr étati o n no uvel l e, r enco ntr ent une so r te de
cohérenc e , sans r i en per dr e, cependant, de l eur vér i té o r i g i nel l e.
En par ti cul i er , l a physi que m o der ne l ai sse entr evo i r ceci : l ' espr i t
de l ' ho m m e ém er g e de pr o fo ndeur s se si tuant bi en au-del à de l a
co nsci ence per so nnel l e : pl us o n va pr o fo nd, pl us o n se
r appr o che d' un fo ndem ent uni ver sel qui r el i e l a m ati èr e, l a vi e, et
l a co nsci ence.
I. B. — A l ' appui de ce que vo us éno ncez i l suffi t de r appel er
i ci une expér i ence i nso l i te co ndui te par l e physi ci en fr ançai s
Léo n Fo ucaul t en 18 5 1. So uvenez-vo us : à cette épo que, o n n' avai t
pas enco r e l a pr euve expér i m ental e que l a Ter r e to ur nai t sur el l e-
m êm e. Po ur fai r e sa dém o nstr ati o n, Fo ucaul t suspend do nc une
pi er r e tr ès l o ur de à une l o ng ue co r de do nt l ' extr ém i té est fi xée
so us l es vo ûtes du Panthéo n. No tr e expér i m entateur di spo se ai nsi
d' un pendul e de tr ès g r ande tai l l e qui ser a l ancé par un beau m ati n
de pr i ntem ps. O r , c' est l à que co m m ence l ' éni g m e. A so n g r and
éto nnem ent, Fo ucaul t co nstate en effet que l e pl an d' o sci l l ati o n de
so n pendul e — c' est-à-di r e l a di r ecti o n de ses al l er -r eto ur — n' est
pas fi xe. Il pi vo te auto ur d' un axe ver ti cal . Al o r s qu' i l avai t
co m m encé par o sci l l er dans l a di r ecti o n est-o uest, l e pendul e se
dépl ace quel ques heur es pl us tar d dans l a di r ecti o n no r d-sud.
Po ur quel l e r ai so n ? La r épo nse de Fo ucaul t étai t si m pl e : ce
chang em ent de di r ecti o n n' étai t qu' une i l l usi o n. C' étai t en fai t l a
Ter r e qui to ur nai t, al o r s que l e pl an d' o sci l l ati o n du pendul e, l ui ,
étai t r i g o ur eusem ent fi xe.
J. G . — Cer tes. Mai s fi xe par r appo r t à quo i ? Pui sque dans
l ' uni ver s to ut est en m o uvem ent, o ù tr o uver un po i nt de r epèr e
i m m o bi l e ? La Ter r e to ur ne auto ur du So l ei l , qui est l ui -m êm e en
m o uvem ent auto ur du centr e de l a Vo i e l actée... O ù s' ar r ête ce
fantasti que bal l et ?
I. B. — Vo i l à l a vr ai e questi o n, r évél ée par l e pendul e de
Fo ucaul t. Car l a Vo i e l actée est en m o uvem ent ver s l e centr e du
g r o upe l o cal des g al axi es vo i si nes qui so nt entr aî nées, à l eur
to ur , ver s l e super am as l o cal , c' est-à-di r e un g r o upe de g al axi es
enco r e pl us vaste. O r ce g i g antesque ensem bl e de g al axi es se
di r i g e l ui -m êm e ver s ce qu' o n appel l e « l e G r and Attr acteur », un
i m m ense co m pl exe de g al axi es m assi ves si tué à une tr ès g r ande
di stance.
O r l a co ncl usi o n à ti r er de l ' expér i ence de Fo ucaul t est
stupéfi ante : i ndi ffér ent aux m asses — po ur tant co nsi dér abl es —
que r epr ésentent so l ei l s et g al axi es pr o ches, l e pl an d' o sci l l ati o n
du pendul e est al i g né sur des o bj ets cél estes qui se tr o uvent à des
di stances ver ti g i neuses de l a Ter r e, à l ' ho r i zo n de l ' uni ver s. Dans
l a m esur e o ù l a to tal i té de l a m asse vi si bl e de l ' uni ver s se tr o uve
dans l es m i l l i ar ds de g al axi es l o i ntai nes, cel a si g ni fi e que l e
co m po r tem ent du pendul e est déter m i né par l ' uni ver s dans son
e ns e mbl e et no n pas seul em ent par l es o bj ets cél estes qui so nt à
pr o xi m i té de l a Ter r e.
Autr em ent di t, si j e so ul ève ce si m pl e ver r e sur l a tabl e, j e
m ets en j eu des fo r ces qui i m pl i quent l ' uni ver s to ut enti er : to ut
ce qui se passe sur no tr e m i nuscul e pl anète est en r el ati o n avec
l ' i m m ensi té co sm i que, co m m e si chaque par ti e po r tai t en el l e l a
to tal i té de l ' uni ver s. Avec l e pendul e de Fo ucaul t, no us so m m es
do nc co ntr ai nts de r eco nnaî tr e qu' i l exi ste une i nter acti o n
m ystér i euse entr e to us l es ato m es de l ' uni ver s, i nter acti o n qui ne
fai t i nter veni r aucun échang e d' éner g i e ni aucune fo r ce, m ai s qui
co nnecte cependant l ' uni ver s en une seul e to tal i té (4 ).
J. G . — To ut se passe, sem bl e-t-i l , co m m e si une so r te de «
co nsci ence » établ i ssai t une co nnexi o n entr e chaque ato m e de
l ' uni ver s. Co m m e l ' écr i vai t Tei l har d de Char di n : « En chaque
par ti cul e, chaque ato m e, chaque m o l écul e, chaque cel l ul e de
m ati èr e, vi vent cachées et œ uvr ent à l ' i nsu de to us l ' o m ni sci ence
de l ' éter nel et l ' o m ni po tence de l ' i nfi ni . »
G . B. — Le physi ci en Har r i s Wal ker fai t écho aux pensées de
Tei l har d l o r squ' i l sug g èr e que l e co m po r tem ent des par ti cul es
él ém entai r es sem bl e êtr e g o uver né par une fo r ce o r g ani satr i ce.
J. G . — La physi que quanti que no us r évèl e que l a natur e est un
ensem bl e i ndi vi si bl e o ù t out se t i ent : l a to tal i té de l ' uni ver s
appar aî t pr ésente en to ut l i eu et en to ut tem ps. Et dès l o r s, l a
no ti o n d' espace sépar ant deux o bj ets par une di stance pl us o u
m o i ns g r ande ne sem bl e pl us avo i r g r and sens. Par exem pl e, ces
deux l i vr es, sur l a tabl e : de to ute évi dence, no s yeux, no tr e bo n
sens no us di sent qu' i l s so nt sépar és l ' un de l ' autr e par une
cer tai ne di stance. Q u' en est-i l sel o n l e physi ci en ? A par ti r du
m o m ent o ù deux o bj ets physi ques o nt été am enés à i nter ag i r , l ' o n
do i t co nsi dér er qu' i l s fo r m ent un systèm e uni que et que, par
co nséquent, i l s so nt i nsépar abl es.
G . B. — La no ti o n d' i nsépar abi l i té est appar ue dans l es années
vi ng t avec l es pr em i èr es théo r i es quanti ques. A cette épo que, el l e
a susci té de ter r i bl es co ntr o ver ses, y co m pr i s chez l es pl us
g r ands co m m e Ei nstei n qui , en 19 3 5 , al l ai t publ i er un ar ti cl e
r etenti ssant desti né à m o ntr er que l a théo r i e quanti que étai t
i nco m pl ète. Avec deux de ses co l l èg ues, Po do l sky et Ro sen,
Ei nstei n pr o po sa une expér i ence i m ag i nai r e, cél èbr e auj o ur d' hui
so us l e no m « d' expér i ence EPR », d' apr ès l es i ni ti al es des tr o i s
auteur s.
Suppo so ns que no us fassi o ns r ebo ndi r deux él ectr o ns A et B
l ' un co ntr e l ' autr e et que no us attendi o ns qu' i l s s' él o i g nent
suffi sam m ent afi n que l ' un ne pui sse i nfl uencer l ' autr e de quel que
m ani èr e. Dès l o r s, en effectuant des m esur es sur A, o n peut ti r er
des co ncl usi o ns val abl es sur B et per so nne ne po ur r a pr étendr e
qu' en m esur ant l a vi tesse de A no us avo ns i nfl uencé cel l e de B. O r
si l ' o n s' en ti ent à l a m écani que quanti que, cr i ti quai t Ei nstei n, i l
no us est i m po ssi bl e de savo i r quel l e di r ecti o n pr endr a l a
par ti cul e A avant que sa tr aj ecto i r e ne so i t enr eg i str ée par un
i nstr um ent de m esur e pui sque, to uj o ur s sel o n l a théo r i e
quanti que, l a r éal i té d' un événem ent dépend de l ' acte
d' o bser vati o n. O r , si A « i g no r e » quel l e di r ecti o n pr endr e avant
d' êtr e enr eg i str é par un i nstr um ent de m esur e, co m m ent B
po ur r ai t-i l « co nnaî tr e » à l 'avance l a di r ecti o n de A et o r i enter
sa tr aj ecto i r e de m ani èr e à êtr e capté exactem ent au m êm e i nstant
dans l a di r ecti o n o ppo sée ?
Sel o n Ei nstei n, to ut ceci étai t absur de : l a m écani que quanti que
étai t une théo r i e i nco m pl ète et ceux qui l ' appl i quai ent au pi ed de
l a l ettr e fai sai ent fausse r o ute. En fai t, Ei nstei n étai t per suadé que
l es deux par ti cul es r epr ésentai ent deux enti tés di sti nctes, deux «
g r ai ns de r éal i té » sépar és dans l ' espace, qui ne po uvai ent
s' i nfl uencer m utuel l em ent.
O r , l a physi que quanti que di t exactem ent l e co ntr ai r e. El l e
affi r m e que ces deux par ti cul es appar em m ent sépar ées dans
l ' espace ne co nsti tuent qu' un seul et m êm e systèm e physi que. En
19 8 2, l e physi ci en fr ançai s Al ai n Aspect do nner a défi ni ti vem ent
to r t à Ei nstei n en m o ntr ant qu' i l exi ste une i nexpl i cabl e
co r r él ati o n entr e deux pho to ns, c' est-à-di r e deux g r ai ns de
l um i èr e, s' él o i g nant l ' un de l ' autr e dans des di r ecti o ns o ppo sées.
Chaque fo i s que l ' o n m o di fi e l a po l ar i té d' un des deux pho to ns
(g r âce à un fi l tr e), l ' autr e sem bl e i m m édi atem ent « savo i r ce qui
est ar r i vé à so n co m pag no n et subi t i nstantaném ent l a m êm e
al tér ati o n de po l ar i té. Q uel l e expl i cati o n peut-o n do nner d' un tel
phéno m ène ? Bi en em bar r assés po ur r éso udr e cette questi o n, l es
physi ci ens o nt pr o po sé deux i nter pr étati o ns.
La pr em i èr e est que l e pho to n A « fai t savo i r » ce qui se passe
au pho to n B g r âce à un si g nal qui va de l ' un à l ' autr e à une vi tesse
supér i eur e à cel l e de l a l um i èr e. Apr ès avo i r r em po r té une
adhési o n pl utô t pr udente, cette i nter pr étati o n est auj o ur d' hui de
pl us en pl us r ej etée par l es physi ci ens qui l ui pr éfèr ent ce que
Ni el s Bo hr no m m ai t l ' « i ndi vi si bi l i té du quantum d' acti o n », o u
enco r e l ' i nsépar abi l i té de l ' expér i ence quanti que (9 ).
Sel o n cette deuxi èm e i nter pr étati o n, no us devo ns accepter
l ' i dée que l es deux g r ai ns de l um i èr e, m êm e sépar és par des
m i l l i ar ds de ki l o m ètr es, fo nt par ti e d' une mê me to tal i té : i l exi ste
entr e eux une so r te d' i nter acti o n m ystér i euse qui l es m ai nti ent en
co ntact per m anent. Po ur pr endr e un exem pl e tr ès appr o xi m ati f,
di so ns que si j e m e br ûl e l a m ai n g auche, m a m ai n dr o i te ser a
i m m édi atem ent i nfo r m ée et subi r a un m o uvem ent de r ecul
sem bl abl e à cel ui de l a g auche, par ce que m es deux m ai ns fo nt
par ti e de l a to tal i té de m o n o r g ani sm e.
J. G . — Ces r ésul tats r evi ennent à m ettr e en questi o n l es
no ti o ns m êm e d' espace et de tem ps, au sens o u no us entendo ns ces
m o ts.
Cel a m e r appel l e une di scussi o n que j ' ai eue, i l y a déj à un
dem i -si ècl e, avec Lo ui s de Br o g l i e. No us éti o ns en face du
Panthéo n, et i l m e di sai t que l a physi que et l a m étaphysi que, l es
fai ts et l es i dées, l a m ati èr e et l a co nsci ence, n' étai ent qu' une
seul e et m êm e cho se. Po ur i l l ustr er sa pensée, i l a fai t appel à une
i m ag e do nt j e m e so uvi endr ai to uj o ur s : cel l e du to ur bi l l o n dans
une r i vi èr e. « A une cer tai ne di stance, m ' a-t-i l di t, o n di sti ng ue
nettem ent l ' eau ag i tée du to ur bi l l o n par r appo r t au co ur ant pl us
cal m e de l a r i vi èr e. Il s so nt sai si s co m m e deux ‘‘cho ses’’
sépar ées. Mai s en appr o chant, i l devi ent i m po ssi bl e de di r e o ù
fi ni t l e to ur bi l l o n et o ù co m m ence l a r i vi èr e : l ' anal yse en par ti es
di sti nctes et sépar ées n' a pl us aucun sens : l e to ur bi l l o n n' est pas
r éel l em ent quel que cho se de sépar é m ai s un aspect du to ut. »
G . B. — O n peut m êm e al l er pl us l o i n enco r e po ur essayer de
co m pr endr e l es physi ci ens l o r squ' i l s affi r m ent que l e to ut et l a
par ti e so nt une seul e et m êm e cho se. Vo i ci un exem pl e fr appant :
cel ui de l ' ho l o g r am m e. La pl upar t des g ens qui o nt vu une i m ag e
ho l o g r aphi que (l aquel l e s' o bti ent en pr o j etant un fai sceau l aser à
tr aver s l a pl aque sur l aquel l e une scène a été pho to g r aphi ée) o nt
eu l ' étr ang e i m pr essi o n de co ntem pl er un o bj et r éel en tr o i s
di m ensi o ns. O n peut se dépl acer auto ur de l a pr o j ecti o n
ho l o g r aphi que et l ' o bser ver so us des ang l es di ffér ents, to ut
co m m e un o bj et r éel . Ce n' est qu' en passant l a m ai n au tr aver s de
l ' o bj et qu' o n co nstate qu' i l n' y a r i en.
O r si vo us pr enez un pui ssant m i cr o sco pe po ur o bser ver
l ' i m ag e ho l o g r aphi que d' une g o utte d' eau, par exem pl e, vo us al l ez
vo i r l es m i cr o -o r g ani sm es qui se tr o uvai ent dans l a g o utte
o r i g i nel l e.
Ce n' est pas to ut. L' i m ag e ho l o g r aphi que po ssède une
car actér i sti que enco r e pl us cur i euse. Adm etto ns que j e pr enne une
pho to de l a to ur Ei ffel . Si j e déchi r e l e nég ati f de m a pho to en
deux et que j e fai s dével o pper une des deux m o i ti és, j e
n' o bti endr ai , bi en sûr , qu' une m o i ti é de l ' i m ag e o r i g i nel l e de l a
to ur Ei ffel .
O r to ut chang e avec l ' i m ag e ho l o g r aphi que. Po ur aussi étr ang e
que cel a pui sse par aî tr e, si o n déchi r e un m o r ceau d' un nég ati f
ho l o g r aphi que po ur l e m ettr e so us un pr o j ecteur l aser , o n
n' o bti endr a pas une « par ti e » de l ' i m ag e, m ai s l 'i mage ent i ère.
Mêm e si j e déchi r e l e nég ati f une di zai ne de fo i s po ur n' en
co nser ver qu' une par ti e m i nuscul e, cel l e-ci co nti endr a l a to tal i té
de l ' i m ag e.
Cel a m o ntr e de faço n spectacul ai r e qu' i l n' exi ste pas de
co r r espo ndance uni vo que entr e l es r ég i o ns (o u par ti es) de l a
scène o r i g i nal e et l es r ég i o ns de l a pl aque ho l o g r aphi que, co m m e
c' étai t l e cas po ur l e nég ati f d' une pho to habi tuel l e. La scène to ut
enti èr e a été enr eg i str ée par to ut sur l a pl aque ho l o g r aphi que, de
so r te que chacune des « par ti es » de l a pl aque en r efl ète l a
to tal i té. Po ur Davi d Bo hm , l ' ho l o g r am m e pr ésente une anal o g i e
fr appante avec l ' o r dr e g l o bal et i ndi vi si bl e de l ' uni ver s (3 ).
J. G . — Mai s que se passe-t-i l sur l a pl aque ho l o g r aphi que
po ur pr o dui r e cet effet sel o n l equel chaque « par t » co nti ent l a
to tal i té ?
I. B. — Sel o n Bo hm , j ustem ent, i l s' ag i t seul em ent d' une
ver si o n i nstantanée, pétr i fi ée, de ce qui se pr o dui t à une échel l e
i nfi ni m ent pl us vaste dans chaque r ég i o n de l ' espace à tr aver s to ut
l ' uni ver s, de l ' ato m e aux éto i l es, des éto i l es aux g al axi es.
J. G . — En vo us éco utant, j ' ai eu l a r épo nse i ntui ti ve à une
questi o n que j e m e sui s po sée en l i sant l a Bi bl e : po ur quo i est-i l
écr i t que Di eu a cr éé l ' ho m m e à so n i m ag e ? Je ne cr o i s pas que
no us ayo ns été cr éés à l ' i m ag e de Di eu : nous sommes l 'i mage
même de Di eu... Un peu co m m e l a pl aque ho l o g r aphi que qui
co nti ent l e to ut dans chaque par ti e, chaque êtr e hum ai n est l ' i m ag e
de l a to tal i té di vi ne.
G . B. — Je peux vo us ai der , peut-êtr e, à écl ai r er vo tr e pensée
en al l ant pl us l o i n sur l es chem i ns de cette m étapho r e o uver te par
no s fam eux ho l o g r am m es. Po ur cel a, i l faut d' abo r d no us
r appel er que l a m ati èr e, c' est aussi des o ndes, co m m e l ' a m o ntr é
Lo ui s de Br o g l i e. La m ati èr e des o bj ets est do nc el l e-m êm e
co m po sée de co nfi g ur ati o ns o ndul ato i r es, qui i nter fèr ent avec l es
co nfi g ur ati o ns d' éner g i e. L' i m ag e qui en déco ul e est cel l e d' une
co nfi g ur ati o n enco dante — c' est-à-di r e si m i l ai r e à l ' ho l o g r am m e
— de m ati èr e et d' éner g i e se pr o pag eant sans cesse à tr aver s to ut
l ' uni ver s. Chaque r ég i o n de l ' espace, aussi peti te so i t-el l e, en
descendant j usqu' au si m pl e pho to n, qui est aussi une o nde o u un «
paquet d' o ndes », co nti ent, co m m e chaque r ég i o n de l a pl aque
ho l o g r aphi que, l a co nfi g ur ati o n de l ' ensem bl e ; ce qui se passe
sur no tr e m i nuscul e pl anète est di cté par to utes l es hi ér ar chi es
des str uctur es de l ' uni ver s.
J. G . — Je do i s avo uer que c' est une vi si o n à co uper l e so uffl e :
un uni ver s ho l o g r aphi que i nfi ni o ù chaque r ég i o n, bi en qu' étant
di sti ncte, co nti ent l e to ut. No us vo i l à do nc r envo yés, une fo i s de
pl us, à l ' i m ag e de l a to tal i té di vi ne, aussi bi en dans l ' espace que
dans l e tem ps.
C' est bi en ai nsi que no us abo uti sso ns au pr em i er pr i nci pe d' un
uni ver s sans di sco nti nui té, ho l i sti quem ent o r do nné : to ut r efl ète
to ut l e r este. Il faut vo i r l à une des pl us i m po r tantes co nquêtes de
l a théo r i e quanti que. Mêm e si no tr e espr i t n' en a pas enco r e
assi m i l é to utes l es co nséquences, cette r évo l uti o n r epr ésente
quel que cho se de bi en pl us i m po r tant que l e g l i ssem ent, à l a fi n
du Mo yen Âg e, de l ' i dée d' une Ter r e pl ate ver s cel l e d' une Ter r e
r o nde. La tasse de café sur cette tabl e, l es habi ts que no us
po r to ns, ce tabl eau que j e vi ens de pei ndr e, to us ces o bj ets que
no us i denti fi o ns co m m e des par ti es po r tent l a to tal i té enfo ui e en
eux : po ussi èr es co sm i ques et ato m es de Di eu, nous t enons t ous
l 'i nf i ni au creux de not re mai n.
Tout au l ong de ce l i vre, nous avons t ent é de mont rer que l 'anci en
mat éri al i sme — cel ui -l à même qui rej et ai t l 'espri t dans l 'uni vers
f l ou de l a mét aphysi que — n'avai t , désormai s, pl us cours. D'une
cert ai ne f açon « rassurant et compl et », l e mat éri al i sme exerçai t
sur nous l 'i rrési st i bl e séduct i on de l 'anci enne l ogi que ; l es
él ément s de l 'uni vers ét ai ent f ermes et st abl es, et l es myst ères du
cosmos, ses i ncert i t udes apparent es, n'ét ai ent que l 'aveu de not re
propre i ncompét ence, de nos l i mi t es i nt éri eures : en somme, des
probl èmes qui , un j our pl us ou moi ns l oi nt ai n, serai ent résol us à
l eur t our.
Mai s l a nouvel l e physi que et l a nouvel l e l ogi que ont boul eversé
cet t e concept i on. Le pri nci pe de Compl ément ari t é énonce que l es
const i t uant s él ément ai res de l a mat i ère, t el s l es él ect rons, sont
des ent i t és à doubl e vi sage ; à l a mani ère de Janus, i l s nous
apparai ssent t ant ôt comme des grai ns de mat i ère sol i de, t ant ôt
comme des ondes i mmat éri el l es. Ces deux descri pt i ons se
cont redi sent , et pourt ant l e physi ci en a besoi n des deux à l a f oi s.
Il est donc f orcé de l es t rai t er comme si el l es ét ai ent
si mul t anément exact es et coexi st ences. De l à, Hei nsenberg f ut l e
premi er à comprendre que l a compl ément ari t é ent re l 'ét at de grai n
et cel ui d'onde met t ai t f i n pour t ouj ours au dual i sme cart ési en
ent re mat i ère et espri t : l 'un et l 'aut re sont l es él ément s
compl ément ai res d'une seul e et même réal i t é.
Ai nsi se t rouve modi f i ée, de mani ère prof onde et i rréversi bl e, l a
di st i nct i on f ondament al e ent re mat i ère et espri t . Del à, une
nouvel l e concept i on phi l osophi que, à l aquel l e nous avons donné
l e nom de mét aréal i sme.
Cet t e voi e nouvel l e of f ert e par l a physi que quant i que t ransf orme
l 'i mage que se f ai t l 'homme de l 'uni vers, ceci de f açon bi en pl us
radi cal e que ne l ’a f ai t l a révol ut i on coperni ci enne. Même si l e
grand nombre n'a pas encore pri s consci ence d'un t el changement ,
même si l es dogmes et l es t abous de l a sci ence du XIXe si ècl e sur
l es concept s d'espace, de t emps, de mat i ère et d'énergi e,
pri sonni ers de l a causal i t é et du dét ermi ni sme, domi nent encore
l a pensée de l '« honnêt e homme », l e t emps n'est pl us él oi gné où
ces not i ons passéi st es ne seront pl us consi dérées que comme des
anachroni smes dans l 'hi st oi re des i dées.
Pui sque l es physi ci ens ont démat éri al i sé l e concept même de
mat i ère, i l s nous ont of f ert , en même t emps, l 'espoi r d'une
nouvel l e voi e phi l osophi que : cel l e du mét aréal i sme, voi e d'un
cert ai n au-del à, ouvert e à l 'ul t i me f usi on ent re mat i ère, espri t et
réal i t é.
VERS LE MÉTARÉALISME
ÉPILO G UE
PO URQ UO I Y A-T-IL Q UELQ UE CHO SE
PLUT Ô T Q UE RIEN ?
Q uel l e cer ti tude ? quel l e espér ance ? quel savo i r ? Q ue devo ns-
no us r eteni r de cet essai de phi l o so phi e à haute vo i x ?
D' abo r d une faço n de cher cher du sens dans l ' i nsi g ni fi ant ; du «
pr o j et » dans l e pl us peti t des hasar ds ; de l ' événem ent dans l a
ténui té des cho ses : l a feui l l e d' un ar br e, l e chant d' un o i seau, l a
chute d' une g o utte d' eau, l e vent dans l e vi de.
To utes ces peti tes cho ses co nspi r ent dans l ' i nvi si bl e po ur
fo r m er l e r éel , co nver g ent au cœ ur de no us-m êm es j usqu' à y fai r e
naî tr e un beso i n i r r épr essi bl e : l e dési r de r éal i té.
C' est ce dési r m êm e qui no us a po ussés, au co ur s de no s
di al o g ues, à l a r echer che de l ' Êtr e.
Mai s qu' avo ns-no us vu de cet Êtr e ? Avant to ut, so n épai sseur ,
so n o paci té, en m êm e tem ps que sa ténui té et l a m ul ti pl i ci té de ses
fo r m es ; no tr e di al o g ue a do nc tr o uvé sa fr o nti èr e natur el l e, so n
po i nt d' ar r êt l e pl us él evé, avec cette i dée : l a r éal i té i ndépendante
no us est i naccessi bl e, l e r éel est vo i l é, i nco nnai ssabl e à to ut
j am ai s ( 9 ) .
Peut-êtr e aussi , po ur l a pr em i èr e fo i s, pr eno ns-no us
co nsci ence que l e bo nheur d' une pensée « m o der ne », à l a cr o i sée
de l a physi que no uvel l e et de l a phi l o so phi e, est d' avo i r décr i t
l ' éni g m e de l ' uni ver s, au pr i x de so n r em pl acem ent par une
éni g m e pl us pr o fo nde, pl us di ffi ci l e : cel l e de l ' espr i t l ui -m êm e.
Reste do nc cette questi o n, l a der ni èr e, l a pl us r edo utabl e. El l e a
o uver t ce di al o g ue et devr a l e r efer m er : quel l e est l a
si g ni fi cati o n de l ' uni ver s ? o ù to ut cel a no us m ène-t-i l ? pourquoi
y a-t -i l quel que chose pl ut ôt que ri en?
Ceux qui entr ent par l a pensée pr o fo nde dans cette
i nter r o g ati o n co nnai ssent d' em bl ée l e ver ti g e phi l o so phi que l e
pl us i ntense. Tei l har d de Char di n avai t à pei ne sept ans l o r sque,
so udai n, i l se tr o uva face au m ystèr e. Sa m èr e l ui avai t m o ntr é
une m èche de cheveux ; el l e avai t appr o ché une al l um ette, l a
m èche s' étai t anéanti e. Si tô t l a fl am m e étei nte, l e peti t Tei l har d
avai t senti l ' absur di té du néant. Et co m m e l es expér i ences de
nég ati o n, de m o r t, d' ang o i sse et de péché so nt pl us fo r tes que
l eur s co ntr ai r es, Tei l har d se dem ande : po ur quo i y a-t-i l des
cho ses ? po ur quo i o nt-el l es une fi n ? d' o ù a sur g i cet Êtr e qui est
en m o i — qui est moi — et qui ne sai t pas l a r ai so n pr o fo nde de
so n exi stence ?
*
* *
L' uni ver s : des centai nes de m i l l i ar ds d' éto i l es, di sper sées dans
des m i l l i ar ds de g al axi es, el l es-m êm es per dues dans une
i m m ensi té si l enci euse, vi de et g l acée. La pensée entr e en effr o i
devant cet uni ver s si di ffér ent d' el l e, qui l ui par aî t m o nstr ueux,
tyr anni que et ho sti l e : po ur quo i exi ste-t-i l ? et po ur quo i exi sto ns-
no us à tr aver s l ui ?
Vi ng t m i l l i ar ds d' années apr ès so n appar i ti o n, l a m ati èr e
po ur sui t sa co ur se dans l ' espace-tem ps. Mai s o ù no us m ène cette
co ur se ?
La co sm o l o g i e r épo nd que l ' uni ver s n' est pas éter nel . Q u' i l
aur a une fi n, m êm e si cette fi n est i m m ensém ent l o i ntai ne. Il ne
po ur r a pas échapper à l ' une de ces deux m o r ts po ssi bl es : l a m o r t
par l e fr o i d o u l a m o r t par l e feu.
Dans l e pr em i er cas, l ' uni ver s est di t « o uver t » : so n expansi o n
se po ur sui t i ndéfi ni m ent, l es g al axi es se per dant dans l ' i nfi ni
tandi s que l es éto i l es s' étei g nent une à une, apr ès avo i r r ayo nné
l eur s ul ti m es r éser ves. Àu-del à de l a dur ée de vi e du pr o to n, l a
m ati èr e el l e-m êm e se désag r èg e. Vi ent l e der ni er i nstant, cel ui o ù
l es ul ti m es po ussi èr es co sm i ques so nt eng l o uti es à l eur to ur au
sei n de l ' i m m ense tr o u no i r qu' est devenu l ' uni ver s ag o ni sant.
Enfi n, l ' espace-tem ps l ui -m êm e se r éso r be : to ut r eto ur ne au
néant.
D' un po i nt de vue m étaphysi que, r i en n' est pl us po i g nant que
cet em br asem ent, que cette m o ntée d' une nei g e de m ati èr e, cette
l ente déco ncentr ati o n, cette i r r adi ati o n i l l i m i tée, qui r evêt to utes
l es co ul eur s de l ' ar c-en-ci el avant de s' évano ui r.
De quo i ser a fai t ce néant ? que r ester a-t-i l de l ' i nfo r m ati o n
accum ul ée pendant des centai nes de m i l l i ar ds d' années, par to ut
dans l ' uni ver s ?
Une r épo nse passe, peut-êtr e, par l a m i se en évi dence d' une
r el ati o n entr e l ' i nfo r m ati o n d' un systèm e (so n o r g ani sati o n) et
l ' entr o pi e (dég r adati o n de l ' o r dr e de ce systèm e).
O n peut adm ettr e, avec l a pl upar t des physi ci ens, que
l ' acqui si ti o n de l ' i nfo r m ati o n (c' est-à-di r e d' une co nnai ssance)
co nso m m e de l ' éner g i e et pr o vo que do nc l ' accr o i ssem ent de
l ' entr o pi e g l o bal e au sei n d' un systèm e. Autr em ent di t, si
l ' entr o pi e m esur e l e déso r dr e physi que d' un systèm e, el l e est en
m êm e tem ps un i ndi cateur i ndi r ect d' une quanti té d' i nfo r m ati o n
détenue, l o cal em ent, par ce m êm e systèm e. La théo r i e de
l ' i nfo r m ati o n débo uche do nc sur cette affi r m ati o n sur pr enante : l e
chao s est un i ndi ce de l a pr ésence, au sei n d' un systèm e, d' une
cer tai ne quanti té d' i nfo r m ati o n.
A l ' extr êm e, l ' état de déso r dr e m axi m al car actér i sant l ' uni ver s
au m o m ent de sa di spar i ti o n peut êtr e i nter pr été co m m e l e si g ne
de l a pr ésence, au-del à de l ' uni ver s m atér i el , d' une quanti té
d' i nfo r m ati o n ég al em ent m axi m al e.
La fi nal i té de l ' uni ver s se co nfo nd i ci avec sa fi n : pr o dui r e et
l i bér er de l a co nnai ssance. A ce stade ul ti m e, to ute l ' hi sto i r e du
co sm o s, so n évo l uti o n dur ant des centai nes de m i l l i ar ds d' années,
se tr o uvent co nver ti es en une To tal i té de co nnai ssance pur e.
Q uel l e enti té déti endr a cette co nnai ssance ? si no n un Êtr e
i nfi ni , tr anscendant l ' uni ver s l ui -m êm e ? Et quel usag e fer a-t-i l
de ce savo i r i nfi ni qui l e co nsti tue et do nt i l est, en m êm e tem ps,
l ' o r i g i ne ?
*
* *
Le desti n à l o ng ter m e de l ' uni ver s n' est pas pr évi si bl e. Du
m o i ns, pas enco r e. Si sa m asse to tal e est supér i eur e à une cer tai ne
val eur cr i ti que, al o r s, au bo ut d' un tem ps pl us o u m o i ns l o ng , l a
phase d' expansi o n pr endr a fi n. Dans ce cas, i l est po ssi bl e qu' une
no uvel l e co ntr acti o n r am ène l e co sm o s à so n po i nt d' o r i g i ne. La
m ati èr e fo r m ant l es g al axi es, l es éto i l es, l es pl anètes, to ut cel a
ser ai t co m pr i m é j usqu' à r edeveni r un si m pl e po i nt m athém ati que
annul ant l ' espace et l e tem ps.
Ce scénar i o a beau êtr e à l ' o ppo sé de cel ui qui pr écède, i ci
enco r e, to ut r eto ur ne au néant. Ici enco r e, au ter m e d' un l ent
pr o cessus de dém atér i al i sati o n, l ' i nfo r m ati o n se sépar e de l a
m ati èr e co m m e po ur s' en l i bér er à j am ai s.
Y a-t-i l une co ncl usi o n à ti r er de cette o bser vati o n du desti n
co sm i que ? que peut-o n penser d' un uni ver s si tué entr e deux
néants ? Essenti el l em ent ceci : cet uni ver s-l à n' a pas l e car actèr e
de l ' Êtr e en so i . Il suppo se l ' exi stence d' un Êtr e autr e que l ui ,
si tué en deho r s de l ui . Si no tr e r éal i té est tem po r el l e, l a cause de
cette r éal i té est ul tr atem po r el l e, tr anscendante au tem ps co m m e à
l ' espace.
No us vo i ci tr ès pr ès de cet Êtr e que l a r el i g i o n appel l e Di eu.
Mai s appr o cho ns-no us enco r e : par m i l es di ffér ents co nstats
sci enti fi ques établ i s sur l e r éel , i l en exi ste tr o i s qui sug g èr ent
avec fo r ce l ' exi stence d' une enti té tr anscendant no tr e r éal i té.
Pr em i er co nstat : l ' uni ver s no us appar aî t co m m e fi ni , fer m é sur
l ui -m êm e. Si no us l e co m par o ns à une bul l e de savo n qui r em pl i t
to ut, qu' y a-t-i l « auto ur » de cette bul l e ? De quo i est fai t «
l ' extér i eur » de l a bul l e ? Il est i m po ssi bl e d' i m ag i ner un espace à
l ' extér i eur de l ' espace po ur l e co nteni r : d' un po i nt de vue
physi que, un tel extér i eur ne peut exi ster.
No us so m m es do nc co ndui ts à po ser au-del à de no tr e uni ver s
l ' exi stence de « quel que cho se » de bi en pl us co m pl exe : une
to tal i té au sei n de l aquel l e no tr e r éal i té est en so m m e i m m er g ée,
un peu co m m e une vag ue dans un vaste o céan.
La deuxi èm e questi o n est cel l e-ci : l ' uni ver s est-i l nécessai r e,
o u au co ntr ai r e co nti ng ent : exi ste-t-i l un déter m i ni sm e supér i eur
à l ' i ndéter m i nati o n quanti que ? Si l a théo r i e quanti que a dém o ntr é
que l ' i nter pr étati o n pr o babi l i ste est l a seul e qui no us per m ette de
décr i r e l e r éel , no us devo ns en co ncl ur e que, face à une natur e
i r r éso l ue, i l do i t exi ster , ho r s de l ' uni ver s, une Cause de
l ' har m o ni e des causes, une Intel l i g ence di scr i m i nante, di sti ncte de
cet uni ver s.
Ter m i no ns par l e tr o i si èm e ar g um ent, l e pl us i m po r tant : l e
pr i nci pe anthr o pi que.
L' uni ver s par aî t co nstr ui t et r ég l é — avec une pr éci si o n
i ni m ag i nabl e — à par ti r de quel ques g r andes co nstantes. Il s' ag i t
de no r m es i nvar i abl es, cal cul abl es, sans que l ' o n pui sse
déter m i ner po ur quo i l a natur e a cho i si tel l e val eur pl utô t que
tel l e autr e. O n do i t assum er l ' i dée que dans to us l es cas de fi g ur es
di ffér ents du « m i r acl e m athém ati que » sur l equel r epo se no tr e
r éal i té, l ' uni ver s aur ai t pr ésenté l es car actèr es du chao s abso l u :
danse déso r do nnée d' ato m es qui se co upl er ai ent et se
déco upl er ai ent l ' i nstant d' apr ès po ur r eto m ber , sans cesse, dans
l eur s to ur bi l l o ns i nsensés. Et pui sque l e co sm o s r envo i e à l ' i m ag e
d' un o r dr e, cet o r dr e no us co ndui t, à so n to ur , ver s l ' exi stence
d' une cause et d' une fi n qui l ui so nt extér i eur es.
*
* *
Dans l e si l l ag e de to ut ce qui pr écède, no us po uvo ns
appr éhender l ' uni ver s co m m e un m essag e expr i m é dans un co de
secr et, une so r te de hi ér o g l yphe co sm i que que no us co m m enço ns
to ut j uste à déchi ffr er. Mai s qu' y a-t-i l dans ce m essag e ? Chaque
ato m e, chaque fr ag m ent, chaque g r ai n de po ussi èr e exi ste dans l a
m esur e o ù i l par ti ci pe d' une si g ni fi cati o n uni ver sel l e. Ai nsi se
déco m po se l e co de co sm i que : d' abo r d de l a m ati èr e, ensui te de
l ' éner g i e, et enfi n de l ' i nfo r m ati o n. Y a-t-i l enco r e quel que cho se
au-del à ? Si no us accepto ns l ' i dée que l ' uni ver s est un m essag e
s e c r e t , q u i a co m po sé ce m essag e ? Si l ' éni g m e de ce co de
co sm i que no us a été i m po sée par so n auteur , no s entr epr i ses de
déchi ffr em ent ne fo r m ent-el l es pas une so r te de tr am e, de m i r o i r
de pl us en pl us net, dans l equel l ' auteur du m essag e r eno uvel l e l a
co nnai ssance qu' i l a de l ui -m êm e ?
*
* *
Vo i l à un dem i -si ècl e qu' Henr i Ber g so n s' est étei nt. Hanté,
co m m e to us l es phi l o so phes, par l ' ul ti m e i nter r o g ati o n, i l avai t
m ur m ur é cette cho se étr ang e : « L' uni ver s est une m achi ne à fai r e
des di eux... »
Ce fut so n der ni er so uffl e phi l o so phi que.
J .G.
C .B .
I .B .