LA MOTRICITÉ EN APESANTEU

L'exploration de l'espace est l'une des

entreprises majeures des dernières
décennies. Si jusque-là, le principal
moteur des découvertes revenait au
"génie individuel", l'entreprise spatiale
a été la première coopération d'hommes
relevant du "génie collectiF".
L'astronaute est l'un des
aboutissements de cette maîtrise
collective de divers champs
scientifiques. Il est l'expérimentateur
d'une mise en commun de connaissances
théoriques et pratiques ; sans
l'application de cette liaison, sa mission
ne peut réussir.
Si aujourd'hui, EPS donne la parole à
Patrick Baudry, c'est que le défi de ce
"champion d'un nouveau type" ne peut
laisser indifférent le monde du sport.
Pour pouvoir se mouvoir en l'absence de
pesanteur, l'astronaute n'a-t-il pas dû
suivre un entraînement physique
particulier dont les méthodes pourraient
PHOTO AGENCE NOVOSTI
venir compléter celles de l'entraînement
des athlètes de haut niveau ?
L'approche scientifique dont est l'objet
l'astronaute peut enrichir effectivement
le domaine de l'activité physique et
sportive, d'ailleurs, dans une réciprocité
d'apport mutuel, comme nous le
confirme P. Baudry. Cependant, à • EPS
travers cet entretien, il nous permet de interroge
dissiper un malentendu, souvent Patrick
galvaudé par les medias qui attribuent Baudry
aux seules qualités physiques le résultat - Comment
des performances de l'astronaute. Or, devient-on
tient à préciser P. Baudry, ce qui astronaute ?
caractèrise la motricité de l'astronaute,
c'est qu'elle dépend essentiellement • Le
d'un ensemble très complexe de contrôle
réactions de coordination et moteur
PHOTO : Ph. COTTRET

d'adaptation. en
Sur ce thème. Th. Pozzo et C. Deshays apesanteur
nous font part de leurs recherches.
Que tous ceux qui ont contribué et aidé
à l'élaboration de ce document trouvent,
ici, nos remerciements.
EPS

EPS N° 213 SEPTEMBRE OCTOBRE 1988 57

Revue EP.S n°213 Septembre-Octobre 1988 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé
PATRICK BAUDRY
REPOND A EPS
• Sélectionné par le Centre national
d'Etudes spatiales parmi plus de 400
candidats en 1980, Patrick Baudry a suivi
l'entraînement des cosmonautes soviéti-
ques à la Cité des Etoiles près de Mos-
cou, jusqu'en 1982. Membre du
deuxième équipage pour la mission
franco-soviétique, il a été formé pour
effectuer des expériences scientifiques
dans des domaines tels que la physiolo-
gie, la biologie, l'astronomie et l'élabora-
tion de matériaux dans l'espace.
• Le 23 mars 1984, il est invité par le
président Ronald Reagan à rejoindre le
corps des astronautes de la NASA, basé
à Houston, au Texas, pour effectuer le
premier vol franco-américain à bord de la
navette américaine. Au terme d'une an-
née d'entraînement, il est affecté à la
mission 51-E sur Challenger, puis à la
mission 51-G. Le lancement a lieu le
17 juin 1985 au départ de Cap Canaveral
en Floride. A bord de la navette, il a la
responsabilité d'un programme d'expé-
riences scientifiques et médicales fran-
çaises élaboré par le laboratoire de phy-
siologie neuro-sensorielle du CNRS sous
la direction du professeur Francis Les-
tienne, et par le laboratoire de physique
nucléaire du professeur Pourcelot à
Tours. Au terme de cette mission de 112
tours de Terre à 400 kilomètres d'altitude
et à la vitesse de 28 800 km à l'heure, la
navette Discovery se posait sur le lac
asséché de la base d'Edwards (Califor-
nie) le 24 juin 1985.
• Expert en matière des activités de vols
habités, Patrick Baudry a été nommé, le
1er mars 1986, conseiller pour les vols
habités auprès de M. Poggi, directeur de
la division des Systèmes stratégiques et
spatiaux de l'Aérospatiale. Il est notam-
ment le pilote d'essais de l'avion spatial
européen Hermès dont la société Aéros-
patiale est le maître d'oeuvre industriel.
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COMMENT DEVIENT-ON ASTRONAUTE ?
• Dans votre livre « Aujourd'hui le Soleil se
lève 76 fois » [1], vous rappelez fréquemment
votre goût précoce pour la vitesse. Est-ce votre
expérience dans ce domaine qui vous a amené
à aller dans l'espace ?
• Le fait de piloter des machines rapides
peut constituer une donnée favorable dans
la mesure où face à de tels instruments il
faut réagir vite. De toute façon, tout est
utile, même le goût pour la vitesse... Cela
fait partie du caractère : cependant, cer-
tains de mes collègues n'ont pas du tout
cette passion et sont devenus quand même
des astronautes : on ne peut pas dire donc
que c'est là un critère décisif.
• Nous savons que vous avez un excellent
passé de sportif, notamment en athlétisme et
en sports collectifs ; à quel niveau, les qualités
que vous avez développées dans la pratique de
ces sports vous ont-elles servi par la suite dans
votre entraînement pour devenir astronaute ?
• Le métier d'astronaute est un métier qui
demande essentiellement des qualités de
coordination et d'adaptation. Ce sont là
d'ailleurs, les deux caractéristiques du
contenu des tests de sélection (cf. encadré
p. 59) (*).
Dès le premier saut en parachute, par
exemple, j'ai ouvert normalement et ma
chute a été stable ; tous les sports que
j'avais pratiqués antérieurement ont dû
effectivement contribuer à ce que je n'aie
rencontré par la suite aucun problème de
coordination. Mes sports de base ont été,
comme vous l'avez dit, la course et le
basket, mais j'en avais pratiqué aussi beau-
coup d'autres. Je pense que tous les sports
d'équipe sont bons pour développer les
aptitudes d'adaptation, ainsi d'ailleurs que
ceux dits individuels car ils représentent
une autre forme de la vie en équipe : il y a
Interview préparée et réalisée par Francis Fourneau (Professeur EPS, Collège Ingres, Montauban) ;
Thierry Pozzo (Professeur VFR-EPS Dijon) ; Etienne Roques (IPR, Académie de Toulouse) ; Suzanne
Forget (Revue EPS).
Revue EP.S n°213 Septembre-Octobre 1988 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé
l'entraîneur, les autres membres de
l'équipe, ceux du club et toutes les
contraintes sociales qui entourent
l'athlète...
• A ce sujet, aviez-vous reçu une formation
particulière pour vous préparer à vivre en
groupe avec les autres membres de l'équi-
page ?
• Non, c'est simplement par la pratique et
les relations de tous les jours. Il n'y a pas
eu de sociogramme établi au départ ; en
fait, nous sommes un cheptel très res-
treint !... Mais parmi les tests de recrute-
ment, notre facilité d'intégration a été, bien
sûr, prise en compte.
• Pourriez-vous nous donner d'autres préci-
sions sur le contenu de ces tests de recrute-
ment ?
• Je pense d'abord qu'il y a certaines
confusions à dissiper concernant les tests
de sélection. On montre le plus souvent des
tests physiques : or, pour recruter un as-
tronaute, les tests physiques sont intéres-
sants, mais ce n'est pas du tout comme
dans le domaine du sport de haut niveau.
Je m'explique. C'est vrai qu'il y a un
minimum de critères à remplir, mais quand
on a passé les tests physiques, on n'en parle
plus ; car ce ne sont pas eux, en effet, qui
rendront compte de la performance que
réalisera l'astronaute pendant le vol. Chez
les Russes, par exemple, le test fondamen-
tal, c'est l'expérience humaine ; c'est le
choix d'un homme qui a déjà eu dans sa vie
professionnelle au moins un gros problème
et qui a bien réagi !...
Cela implique donc qu'il serait insensé de
choisir, parmi les centaines de candidats en
attente, quelqu'un qui aurait moins de
30 ans... c'est-à-dire avant d'avoir eu une
vie active sur le plan professionnel.
PHOTOSG.METAIZON ET В. COGNET
 ensuite la personnalité de l'individu, son
expérience, sa motivation, sa capacité à
apprendre, qui démarqueront les sujets les
uns par rapport aux autres.

L'ENTRAINEMENT DES
CANDIDATS
ASTRONAUTES
• Peut-on dire qu'il existe une évolution
entre les techniques actuelles d'entraînement
et celles que vous avez connues avant votre vol
en 1985 ?
• Pour ma part, avant d'aller en URSS, je
faisais au moins deux heures d'entraîne-
ment physique par jour, surtout du jogging
et de temps en temps un marathon, que
j'organisais moi-même à partir de la lec-
ture d'ouvrages spécialisés (ceux du Dr Jo-
court ou de S. Cottereau). Quand j'ai dû
m'entraîner avec les Russes, les choses ont
changé. Ils m'ont montré ce qu'il valait
mieux ne pas continuer à faire... Nous
avions une à deux heures d'entraînement
quotidien avec un médecin et un entraî-
neur. Notre préparation portait essentiel-
lement sur le foncier, la résistance, l'endu-
rance ; intervenait ensuite un travail de
musculation et de coordination avec,
comme élément de base, le trampoline que

Organisation d e s sélections des

Spationautes (1)
Trois catégories de candidats peuvent
être sélectionnés pour occuper la fonc-
tion de spationaute lors de vols spatiaux
habités : les pilotes, les spécialistes de
mission ou ingénieurs de bord, les expé-
rimentateurs ou "passagers".
Parmi les épreuves de sélection, on
relève :
- les examens d'expertise médicale
menés dans une quinzaine de spéciali-
tés (endocrinologie, oto-rhino-laryngo-
PHOTO : L.P.N. - CNRS

logie, psychiatrie, cardiologie...)

• N'y a-t-il pas quand même une limite
d'âge ?
• Je ne peux pas me prononcer sur la
limite de l'âge maximum : chaque être
humain est tellement riche sur le plan de sa
nature ! Si on regarde les qualités premiè-
res qui sont nécessaires à un astronaute, on
s'aperçoit que « la femme moyenne » se-
rait plus performante que « l'homme
moyen », mais il y a un critère fondamental
pour expliquer que beaucoup moins de
femmes deviennent astronautes : le nom-
bre de candidats est très supérieur à celui
des places offertes et la qualité essentielle
pour cette sélection est l'agressivité. Or, les
femmes sont moins agressives que les
hommes, donc il y aura toujours moins
d'astronautes femmes que d'astronautes
hommes...
Mais pour revenir sur ce que je vous disais
précédemment au sujet des tests physiques,
je voudrais quand même ajouter que ces
tests restent primordiaux en ce qui
concerne les qualités physiques requises :
il faut avoir un bon système cardio-vascu-
laire et aussi certaines aptitudes psycholo-
giques ; ces trois dimensions ne formant
d'ailleurs qu'un tout. Sur cette base, c'est
- les tests d'évaluation psychométri-
que
- les tests vestibulaires (épreuve du
tabouret tournant)
- les tests physiologiques à partir des
épreuves mises en place avec :
. la centrifugeuse,
. le caisson d'altitude,
. l'épreuve d'effort,
. le caisson à dépression,
. la table basculante
(1) Spationaute : terme "franco-français" est
synonyme d'astronaute et de cosmonaute mais
devrait logiquement disparaître, le programme
habité européen ayant choisi comme terme
officiel "astronaute";
Informations recueillies auprès du Doc-
teur Bernard Cornet, Médecin-ingénieur
au Centre National d'Etudes Spatiales.

EPS N° 213 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1988 59

Revue EP.S n°213 Septembre-Octobre 1988 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé
nous avons d'ailleurs abandonné en fin vous ne l'avez pas. Il n'y a pas à propre-
d'entraînement pour éviter tout risque ment parler d'entraînement en apesanteur Hermès, l'avion spatial européen
d'accident. pour un astronaute. Ariane 5 - Hermès est devenu un pro-
Mais à la Cité des Etoiles, les Russes m'ont gramme de l'Agence Spatiale Euro-
surtout appris à ne faire d'excès dans • Le vol parabolique n'est-il pas utilisé pour-
tant comme moyen d'entraînement ? Ne péenne en 1986. Ce système de transport
aucun domaine ; par exemple, courir un spatial associant le lanceur Ariane 5 et
marathon, pour eux, cela représentait un crée-t-il pas des conditions d'apesanteur ?
l'avion spatial Hermès permettra aussi
excès qui n'avait aucun intérêt. • Le vol parabolique (1) est surtout une bien les lancements de satellites auto-
Mais pour répondre à votre question sur initiation, une prise de connaissance avec matiques que des vols habités.
l'évolution des techniques, je me résumerai un milieu nouveau, mais il ne représente Le premier vol Hermès, sans homme à
en disant qu'il n'y a pas à proprement même pas un test de sélection valable. bord, interviendra en 1997 et la première
parler d'évolution ; il y a deux formes Volodia est l'un des cosmonautes qui a mission avec équipage suivra en 1998.
d'entraînement différentes : celles des réussi à réaliser le plus long travail hors
Russes et celles des Américains, et qui se d'un véhicule spatial et pourtant la pre-
différencient tant sur le plan physique que mière fois que nous avons fait ensemble
sur le plan technique. Les Russes accor- core faut-il définir ce qu'on entend par là ;
des vols paraboliques il a été malade en fait, cela veut dire que ces hommes sont
dent énormément d'importance à la di- comme un chien... Mais il a quand même
mension physique parce qu'ils font des sujets au mal de l'espace au point de
été sélectionné parce qu'il avait une très diminuer leur performance, et de compro-
vols de longue durée et parce que cela grande maturité ; une sagesse qui venait de
rejoint leur conception de l'utilisation de mettre leur capacité de travail.
son expérience. Les Russes que j'ai connus De toute façon, je pense que les tests mis
l'homme. Alors que chez les Américains à la Cité des Etoiles étaient à mon avis des
chaque individu organise son entraîne- en place pour déceler ce que l'on appelle
sages... sachant connaître et respecter les « susceptibilité au mal de l'espace » ne
ment comme il l'entend. Il est seulement limites de chaque performance mais en les
soumis à des contrôles médicaux. On peut mettant toujours en rapport avec les capa-
noter chez eux cependant une marque cités intellectuelles de chacune des per-
d'évolution avec l'apparition de l'impor- sonnalités. Exemples d'exercices pratiqués par
tance des exercices en piscine, mais conçus d e s astronautes lors de vols de
simplement comme entraînement au tra- • Existe-t-il en France des centres d'entraî- longue durée à bord de stations
vail et non comme un entraînement physi- nement pour futurs astronautes ? spatiales
que. • Ni en France, ni en Europe il n'existe Extrait de : "Critères médicaux de sélec-
Ce que l'on cherche en effet en piscine pour le moment de centre d'entraînement. tion et d'expert/se annuelle des spatio-
c'est une approche des conditions de tra- Nous en sommes encore à la phase de nautes français". CNES - Hermès - Août
vail en apesanteur ; bien qu'ici vous ayez préparation pour en étudier les moyens 1986.
un appui sur l'eau alors qu'en apesanteur pour les futurs astronautes d'Hermès. Je 1) Simulateur d'escalade pour utilisation
tiens quand même à signaler, comme en apesanteur.
pourra vous le dire, plus en détails le 2) Le survêtement "penguin" permet,
Un exemple d'entraînement Dr Comet (cf. encadré), la récente mise en grâce à des élastiques, de maintenir la
au CREPS de Toulouse place de séances d'entraînement qui ont charpente osseuse et les muscles des
Depuis le début de l'année 87, ont lieu, au lieu au CREPS de Toulouse et cela sous la astronautes sous une contrainte longitu-
CREPS de Toulouse, des séances d'entraî- conduite d'enseignants d'EPS. dinale.
nement physique pour les candidats astro- • Durant votre séjour envol,observiez-vous 3) "Nordictrack" pour effectuer des
nautes à raison de deux séances hebdoma- un entraînement physique quotidien ? Dans ce exercices cardio-vasculaires.
daires d'une durée de deux heures.
Dans un premier temps, pendant une pé- cas, repreniez-vous les mêmes exercices que
riode transitoire de six mois, nous avons fait ceux préalablement pratiqués au sol ?
l'essai suivant : une séance à été réservée à • Non, pour un vol de courte durée on ne
un travail d'endurance, l'autre à des exerci- fait pas d'entraînement physique « là-
ces de précision gestuelle. Etant donné ce haut ». Le temps coûte trop cher... On vit
qui attend l'astronaute dans la situation sur ses réserves. Pour un vol long, au
d'apesanteur, nous avons choisi de faire contraire, cet entraînement est très impor-
travailler en natation les muscles de la tant (cf. encadré).
ceinture scapulaire ; les efforts auxquels
sont soumis les astronautes dans leur sca-
phandre sont, en effet, d'une grande inten- LE M A L D E L ' E S P A C E
sité.
• Les chercheurs décrivent, chez l'astronaute
Ensuite, c'est à partir de sports relativement
le « mal de l'espace » comme un conflit inter-
attractifs : le tir au pistolet, le tir à l'arc, le
golf que nous cherchons à développer la sensorieL Comment avez-vous vécu personnel-
concentration et la capacité de précision lement cette perturbation ? Malgré toutes les
gestuelle. Dans cette deuxième séance, précautions prises pendant l'entraînement,
nous faisons pratiquer également de nom- est-ce qu'on peut quand même éviter d'éprou-
breux exercices de coordination inter-seg-ver le mal de l'espace ?
mentaires sur un trampoline, ainsi que des
exercices de renforcement musculaire pour • C'est une question à laquelle on n'a pas
encore réussi à répondre. Malgré toutes les
développer plus particulièrement la force de
préhension des mains, tout cela en vue dessimulations réalisées au sol, on ne peut pas
donner de prévisions valables. Il n'a pas
sorties extra-véhiculaires qui exigeront des
astronautes un travail en puissance et en été, en effet, possible d'établir de relations
précision. fidèles entre des performances mesurables
sur un individu au sol et sa susceptibilité
Informations recueillies auprès de Bernardau mal de l'espace, une fois qu'il est en
Cornet, Médecin-Ingénieur. Direction Her-orbite.
mès et vols habités - CNES -Toulouse. On sait que, statistiquement, plus de 50 %
d'astronautes ont le mal de l'espace ; en-

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sont pas très bien adaptés aux conditions capacité à les maîtriser. Pour aller sur la tés restent sur des orbites comprises entre
réelles qui attendent le sujet dans l'espace. planète Mars, par exemple, il faudra être des altitudes de 300 à 600 km et évitent
On a pu observer l'exemple du cosmonaute capable de rester au moins deux ans en certaines zones, notamment celle des pôles
roumain Dorin Prunarin, qui obtenait des apesanteur. Or, nous savons que le pro- terrestres. Il y a dans l'espace des zones où
performances médiocres dans les tests au blème d'un vol spatial ce n'est pas le la concentration des radiations est, en
sol, et qui n'a eu ensuite aucun problème phénomène de l'accélération du vaisseau effet, plus ou moins importante. Si les
de mal de l'espace pendant le vol. Inver- au départ ou au retour mais celui de l'ape- chercheurs russes voient maintenant assez
sement, d'autres exemples montrent le santeur. Au fur et à mesure que les recher- bien comment maîtriser les données phy-
contraire. ches avancent, on apprend à repousser siologiques, ils savent qu'il n'en est pas de
Le seul critère reconnu reste en fait, la certaines limites purement physiologiques même concernant les données d'ordre
progression des performances ; c'est la (exemple : la lutte contre la décalcifica- psychologique. Ils sont conscients qu'ils
manière dont elles évoluent qui est impor- tion) par l'entraînement physique appro- doivent être maintenant très attentifs à tous
tante, bien plus que la performance elle- prié, le matériel, mais aussi les moyens les problèmes psychologiques des hommes
même. médicamenteux. Par contre, pour l'instant, (ou des femmes...) qui travaillent « là-
Pour revenir à mon cas personnel, puisque la contrainte la plus pénalisante vient de haut ».
vous m'avez posé la question, l'entraîne- l'exposition aux radiations. Quand on ira Pour les Américains, qui ne font que des
ment physique que j'avais suivi en tant que sur Mars, il faudra concevoir des protec- vols de courte durée, seuls comptent le sens
sportif, avant d'envisager de devenir un tions spéciales, peut-être d'ordre électro- de la mission et bien sûr, le degré d'impor-
jour astronaute, m'a certainement aidé ; au magnétique. Jusqu'à présent, les vols habi- tance de la motivation du candidat...
cours du vol, je n'ai absolument pas été
malade, je n'ai eu aucun problème d'adap-
tation, j'étais aussi bien là-haut qu'en bas,
à l'aller qu'au retour. Mais je répète que je
suis un mauvais exemple, car j'ai toujours
été sportif et cela a toujours fait partie de
ma logique de vie ; mais j'ai connu d'au-
tres astronautes qui n'avaient jamais prati-
qué aucun sport, comme Armstrong, par
exemple, dont la devise était : « on a un
certain nombre de battements de cœur
dans notre vie. je ne vois pas pourquoi on
devrait en gâcher un certain nombre en
courant autour d'une piste »... Le sport
pour lui n'avait aucun intérêt !
L'entraînement de l'astronaute est donc
d'une autre nature que celle de l'entraîne-
ment physique ; il n'est pas comparable à
celui du sportif de haut niveau par exem-
ple.
Les médias ont très mal rendu compte,
jusqu'à présent, de cette différence.
Bien sûr, l'un des premiers critères de
sélection reste quand même le critère phy-
sique. Mais si l'on s'assure de sélectionner
un sujet qui n'aura aucun handicap d'ordre
physique, comptent, tout autant, les critè-
res d'ordre psychologique. Là, comme
l'athlète de haut niveau, l'astronaute doit
être extrêmement motivé pour choisir ce
métier qui présente toute une partie de
travail très difficile et fastidieux. Si l'on n'a
pas une volonté à toute épreuve, on n'a
aucune chance de réussir.

APESANTEUR ET
CONTRAINTES
BIOLOGIQUES
• Les limites physiologiques de l'homme
sont-elles le principal obstacle à des vols de
très longue durée ? Va-t-on pouvoir dépasser
le record de 339 jours de la dernière expédi-
tion soviétique ?
• Il vaudrait mieux parler de contraintes
physiologiques que de limites physiologi-
ques. Il est vrai qu'il y a effectivement des
contraintes d'ordre physiologiques (cf. ar-
ticle de C. Deshays) (p. 62) et si la durée
des vols est limitée par ces contraintes, elle
ne pourra évoluer qu'en fonction de notre
PHOTO : RENE BURRI

EPS N° 213 SEPTEMBRE OCTOBRE 1988 61

Revue EP.S n°213 Septembre-Octobre 1988 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé
VERS UNE CULTURE
SPATIALE...
• Parmi les retombées, à plus ou moins long
terme, des recherches et études spatiales,
pensez-vous que certaines pourront profiter au
domaine du sport ?
• Quels que soient les progrès technolo-
giques, d'où qu'ils viennent, je pense qu'ils
ont toujours des retombées diverses. Par
exemple, la vidéo, la découverte de nou-
veaux matériaux, comme le tartan, la fibre
de verre ont certainement contribué à
l'évolution de certains gestes sportifs. En
ce qui nous concerne, la mise au point de
la version spatiale de l'appareil, connu
maintenant de tous, sous le nom d'écho-
graphe, pourrait très bien servir aux athlè-
tes ainsi d'ailleurs, que nos connaissances
physiologiques acquises en particulier à
Problèmes physiologiques causés par la micro-gravité
PAR C. DESHAYS
Effets de la micro-gravité (1) sur le compartiment
hydro-électrolytique et la répartition sanguine.
Dès le début du vol. le spationaute ressent une im-
pression de tête lourde et de nez bouché, et son
visage est gonflé. Ces phénomènes sont dus à la
nouvelle répartition des fluides qui, du fait de l'absence
de pression hydrostatique, s'accumulent dans la partie
supérieure du corps. Par contre, dans les régions où
la pression veineuse se réduit (parties déclives), les
liquides intersticiels rentrent vers le compartiment
vasculaire. Ces mécanismes aboutissent à une aug-
mentation transitoire de la masse sanguine.
Après quelques jours d'impesanteur (2). la masse
sanguine a retrouvé un nouvel équilibre de répartition.
Si le vol se prolonge, il se produit alors une désadapta-
tion cardio-vaculaire progressive avec inaptitude à la
régulation orthostatique qui va se traduire par des
troubles lors du retour à la gravité terrestre pouvant
aller jusqu'au malaise par hypotension orthostatique.
Deux types de moyens prophylactiques sont utilisés
pour y remédier. D'une part, on peut tenter de limiter
cette désadaptation, par l'utilisation plusieurs heures
par jour, d'un pantalon qui permet de dépressuriser la
partie inférieure du corps (LBNP ou low body négative
pressure), et d'autre part par une mesure préventive
en équipant le cosmonaute lors du retour, d'une
combinaison anti-g, qui comprime ventre et membres
inférieurs empêchant ainsi le sang de refluer brutale-
ment dans les jambes.
Effets de l'impensanteur sur l'appareil locomoteur
L'atrophie musculaire, en particulier des muscles à
fonction antigravitaire, est constante au cours des vols
spatiaux. Elle intrique ses effets à ceux de la redistribu-
tion sanguine d'où la réduction de volume particuliè-
rement sensible aux membres inférieurs. En impesan-
teur, la charge fonctionnelle exercée sur le système
musculo-squelettique est très restreinte du fait de la
réduction des efforts nécessaires pour se déplacer et
du faible volume de la station pour s'y mouvoir. Initia-
lement rapide, l'atrophie globale du membre inférieur
se stabilise vers le 15e-20e jour du vol, et peut atteindre
7 à 10% du volume des membres. Cette atrophie
s'accompagne d'une diminution de force des muscles
62
partir de nos expériences en micro-gravité.
Mais je voudrais aussi ajouter que le
monde de l'éducation physique et du sport
peut aussi beaucoup nous apporter. Je
souhaite qu'il puisse s'établir une récipro-
cité dans nos échanges. Je pense notam-
ment au trampoline ; c'est vers l'entraîneur
de gymnastique que nous avons, nous, à
nous tourner pour trouver des exercices
plus ou moins appropriés à l'entraînement
des astronautes, et non pas l'inverse.
• La presse a récemment annoncé que vous breux domaines.
aviez créé à Toulouse un centre spatial qui Dans ces stages, nous nous sommes assurés
proposera en outre des stages d'initiation à
l'espace. Quels en seront les objectifs ?
• Ce centre sera ouvert au grand public
l'année prochaine et accueillera des jeunes
pour les initier aux diverses activités spa-
tiales. Plusieurs activités sportives leur
seront proposées grâce à des installations
concernés (20 à 25 % aux membres inférieurs après le
vol) et pourrait être un problème au cours des sorties
extra-véhiculaires dont on sait qu'elles sont physi-
quement très éprouvantes avec des crises de tachy-
cardie et une fatigue générale exagérées par le décon-
ditionnement physique.
L'intérêt porté au muscle est indissociable de celui
porté à l'os dans la mesure où l'on évoque le manque
de sollicitations mécaniques sur l'os dans la pathogé-
nie de la déminéralisation osseuse survenant aux
cours des vols spatiaux. En effet, le tissu osseux
semble souffrir de la condition de micro-gravité et
cette raréfaction osseuse peut être source d'une
fragilisation excessive lors du retour au sol après des
vols de longue durée. Le métabolisme phospho-calci-
que est perturbé en impesanteur avec une fuite anor-
male de calcium dans les urines et les fécés, qui se
stabilise plus ou moins au cours du vol, avec des
perturbations hormonales encore incomplétement
élucidées. Au total, il s'en suit une diminution de la
densité minérale des os porteurs, c'est-à-dire ceux qui
sont habituellement en charge du poids du corps
comme le calcanéum (perte de 5 à 8 % après un vol de
plus de 80 jours). Le mécanisme exact de cette perte-
osseuse n'est pas connu, mais il existe sur les prélè-
vemenets osseux chez l'animal un ralentissement de la
croissance et de la formation osseuse. Les deux
problèmes pratiques qui restent posés sont ceux de la
prévention et de la réversibilité de ces phénomènes
au-delà d'un certain seuil au retour au sol. Le problème
n'est plus tant celui de l'adaptation à la situation de
micro-gravité que celui de la réadaptation à la gravité
terrestre après des vols de longue durée.
Claudie Deshays (*)
Médecin rhumatologue, Hôpital Cochin (Paris)
(') Membre de l'équipe de recherche en physiologie
spatiale au laboratoire de physiologie neuro-senso-
rielle(L.P.N.)du CNRS (Paris) depuis1985.
été retenue comme expérimentateur scientifique,
le CNES, pour de prochains vols habités. - Edit. Carrère-Michel Laffon. Edit. 13. 1985.
(1) Micro-gravité : L'impesanteur (2) n'est pas l'ab-
sence de gravité, mais la disparition de la manifestation forme d'encadrés, ne provient pas de l'interviewé mais
des effets de la pesanteur.
(2) Impesanteur : Terme utilisé, préférentiellement à
celui d'apesenteur par certains auteurs, pour des
raisons phonétiques.
Revue EP.S n°213 Septembre-Octobre 1988 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé
et du matériel adaptés (piscine, appareils
de gymnastique, trampoline). Nous serons
également équipés de simulateurs de vol,
de centrifugeuses et tout ce qui constitue le
matériel d'entraînement des hommes de
l'espace, mais nous nous efforcerons d'ex-
pliquer que l'activité d'astronaute n'est pas
ce que l'on croit généralement. L'espace ne
concerne que très peu d'individus qui
effectueront, un jour, un vol... L'espace
représente surtout un travail d'équipe à un
très haut niveau et touche à de très nom-
de la collaboration d'un personnel de
qualification diverse : pour les activités
purement sportives, nous ferons appel à
des enseignants d'EPS.
• Pouvez-vous définir vos fonctions actuel-
les ? Etes-vous encore candidat pour un pro-
chain vol dans l'espace ?
• Retourner dans l'espace me ferait bien
sûr extrêmement plaisir parce c'est une
expérience fantastique, mais je ne vois pas
bien à quoi cela servirait ni pour ma dé-
marche personnelle, ni encore moins pour
les programmes que l'on a entrepris en
Europe. Ma principale motivation quand
je suis revenu au sol, a été d'agir pour
« l'Europe spatiale ». Il faut bien réaliser
en effet qu'Ariane 4, qu'on lance en ce
moment, correspond à la performance que
maîtrisaient les Russes et les Américains, il
y a plus de 20 ans !... Il apparaissait donc
évident que si l'Europe n'accédait pas à la
réalisation de vols habités au début des
années 2000, son retard serait irréversible !
Il a fallu donc que l'on se batte pour arriver
à ce que les décisions soient prises dans ce
sens, mais il reste encore beaucoup de
travail à faire pour qu'elles aboutissent
toutes à un résultat.
Pour moi, travailler pour l'Europe ce n'est
pas pour l'Europe en tant que telle, mais
c'est en tant que troisième puissance fac-
teur d'équilibre de notre planète. Je ne dis
pas que c'est ni la meilleure, ni la seule
solution, mais c'est une perspective réa-
liste. Le domaine spatial va devenir de plus
en plus un domaine fondamental puisque
l'humanité est appelée à quitter, un jour ou
l'autre, la planète Terre, si elle ne veut pas
cesser d'exister. Dans ce sens-là, pour
qu'elle se survive déjà à elle-même, il me
paraît important que l'Europe soit un fac-
teur significatif dans la conquête de l'es-
pace en apportant tous ses appuis techni-
ques et culturels.
Notre vision du monde, notamment la
planète sur laquelle nous vivons, vue de
l'espace, est à l'inverse de notre champ de
vision habituel. Donc, concrètement, il
s'agit maintenant de modifier notre état
d'esprit et de délivrer une culture spatiale.
Je crois que cela est important, pour le
devenir de l'humanité •
après avoir
[1] Baudrypar
(P.) - Aujourd'hui le soleil se lève seize fois.
(*) NDLR : Le renvoi aux références, figurant sous
de la Rédaction d'EPS.
(l) Vol parabolique : Vol réalisé avec des avions de
transport (type 747) décrivant des paraboles et plaçant
les passagers en situation d'impesanteur lors de la
phase descendante.