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GYMNASTIQUE :lesvrilles

par Louis THOMAS 4) Sa place dans les enchaînements.

professeur d'E.P.S. — Au sol, elle vient après un ou plusieurs flips ou


après une rondade principalement en « entrée » du
I.N.S. mouvement, plus rarement en sortie.
— A la barre fixe, les gymnastes l'exécutent en fin
de mouvement sur un salto venant du « soleil », ou
greffée sur la « lune ange », dans ce cas précis il y a
une différence sensible car il n'y a pas de rotation
complète autour de l'axe transversal du corps.
— Aux anneaux, en sortie ; aux barres parallèles, en
A partir de l'analyse de la difficulté classée C sortie du saut périlleux au-dessus, en avant ou en
dans le code de pointage de la F.I.G., que l'on appelle arrière ; au saut de cheval, sur un saut en « lune »
communément « vrille », nous aurons l'occasion de (saut par renversement) ou même sur un « saut de
formuler dans cette étude un certain nombre de pro- l'ange » (ici encore, pas de rotation sur l'axe trans-
blèmes pédagogiques qui se posent en gymnastique. versal).
Cet essai n'est pas une étude complète, son but est Nous ne parlerons pas des vrilles sur rotation avant
de permettre la mise en place et la maîtrise d'un et limiterons cet exposé aux exécutions sur rotation
processus d'apprentissage applicable directement par arrière : saut périlleux arrière tendu en gymnasti-
l'entraîneur. La tâche de ce dernier est relativement que au sol et vrilles en sortie à la barrefixeet aux
complexe car l'exécution par simple imitation s'avère anneaux.
le plus souvent difficile, sinon impossible.
Précisons que sur une même rotation transversale
on peut faire deux ou trois vrilles (3 x 360°).
Actuellement, en U.R.S.S., dans les écoles d'acrobatie,
I. - Les vrilles dans la gymnastique actuelle. les gymnastes réalisent 2 vrilles 1/2 au sol ; au tram-
poline on atteint jusqu'à 3 ou 4 rotations. Pour la situer
par rapport aux autres difficultés supérieures la meil-
1) Description sommaire. leure comparaison semble être le double saut péril-
leux aussi bien au sol qu'à la barrefixe,qu'aux an-
On appelle « vrille » en gymnastique, l'exécution neaux, qu'aux barres parallèles (en sortie de « l'équi-
dans l'espace, de deux rotations complètes simulta- libre »).
nées (360°) autour de deux axes du corps : l'axe lon-
gitudinal et l'axe transversal. Le plus souvent, la
rotation sur l'axe longitudinal vient se « greffer »
sur une rotation transversale. Les types les plus clas- II. - Comment aborder cette étude ?
siques sont : au sol, le saut périlleux arrière tendu ; à
la barrefixe,sur un lâché de barre venant d'un grand
tour arrière : aux anneaux, après un balancé d'ar- 1) Problème général de la connaissance.
rière en avant.
Si nous nous référons aux discussions qui ont lieu
2) Origines. dans les gymnases entre entraîneurs et pratiquants,
on se rend très vite compte de la nécessité qu'il y a
de s'appuyer sur des connaissances générales et de
Les vrilles ont surtout fait leur apparition avec le faire appel aux enseignements que nous donnent la
plongeon et le trampoline ; elles sont connues depuis bicmécanique et la psychologie expérimentale, afin
fort longtemps par les acrobates du cirque (cascadeurs, de dépasser la simple description de la forme du
barristes). mouvement car cette dernière entraîne nécessairement
des explications personnelles peu solides. On en vient à
3) Sa place dans les grandes compétitions. s'interroger sur le processus de la connaissance, sur les
rapports qui lient la théorie à la pratique.
L'observation (J.O. de Tokyo, coupe d'Europe d'An- Au moment de l'apprentissage du mouvement, il ne
vers, Championnats du Monde de Dortmund), nous s'agit plus seulement de décrire, mais sourtout d'ex-
indique une fréquence des vrilles de plus en plus pliquer afin d'agir avec plus de sûreté ; or, nous
grande ainsi qu'une exécution de mieux en mieux pensons que dans la pratique, les gymnastes éprou-
contrôlée. Ces réalisations sont très spectaculaires et vent souvent quelque difficulté à dégager l'essen-
semblent montrer une maîtrise corporelle supérieure tiel de l'accessoire. A cet égard, nous pouvons dire
dans le domaine des agrès. Au sol, elles sont favori- avec Henri Lefebvre que « l'analyse doit écarter les
sées par une amélioration très sensible de l'éléva- apparences pour atteindre l'essentiel. La connais-
tion dans les sauts. sance scientifique se définit comme connaissance de

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• Karlhova (URSS) photos : P. Blois

l'essence. Celui qui refuse « la notion d'essence le plus


» souvent accompagnées de mimiques : « je fixe
refuse par cela même la notion de loi. Et, récipro- mes jambes, je lance mon bras et je tire ma tête
quement, il se voue à l'empirisme pur, à la pure par-dessus
et mon épaule ». On peut rapidement con-
simple constatation des phénomènes sans pouvoirclure que ces explications sont nettement insuffisan-
discriminer l'apparence — et l'accidentel — de tesce
pour faire apprendre la « vrille ». Ces renseigne-
qui ne l'est pas ». ments sont certainement importants et riches d'infor-
Ainsi, dans le saut périlleux arrière aux barres pa- mations, mais ils restent variables parce que subjec-
rallèles de l'appui tendu renversé ; ce qui est le plus tifs. C'est donc une erreur de rechercher toute source
apparent, le plus frappant, c'est la rotation arrière de connaissance dans ses propres sensations de pra-
effectuée par le gymnaste ; or ce n'est pas l'essentiel tiquant ou d'ancien pratiquant, c'est en tout cas
qui est justement de lutter contre cette rotation. Si incomplet ; et bien des entraîneurs se limitent dans
l'élève a seulement cette image de rotation arrière, leur enseignement, pour cette raison. Bien sûr, il
il ne comprend pas le plus important qui est : une faut avoir pratiqué, et avoir vécu tous ces problèmes,
élévation du corps vers l'avant et le haut. mais ce n'est que par une réflexion permanente et
toujours renouvelée sur ce « vécu » et en s'appuyant
Notons que c'est seulement par la connaissance des sur de nombreuses observations, souvent contradic-
règles régissant les mouvements du corps humain et toires, que l'on pourra trouver les moyens d'enseigner
de son activité que l'on peut perfectionner la techni- à tous les gymnastes. Il est parfaitement normal et
que et mettre en place un processus d'apprentissage heureux qu'un entraîneur puisse faire apprendre des
qui, partant essentiellement de la pratique dépassera mouvements qu'il n'a jamais réalisés. Admettre le
l'empirisme. contraire serait nier toute possibilité d'évolution, ce
serait dire non à la création.
2) Les sensations et explications du gymnaste. Pour cela, il est nécessaire de s'informer sans arrêt,
de pouvoir être capable d'une remise en question de
Nous avons demandé à plusieurs gymnastes qui ce qui semble le plus évident. « Celui qui n'a pas
savaient faire la vrille (soit au sol, soit aux anneaux, assez fait de réflexions sur cette différence en
soit à la barrefixe)de décrire ce qu'ils recherchaient, sentir et connaître, croyant sans cesse connaître
ce qu'ils voyaient, ce qu'ils sentaient. L'analyse qu'ils fort clairement ce qu'il sent le plus vivement, ne
en font n'est pas satisfaisante et montre des différen- peut que s'égarer dans les ténèbres de ses propres
ces très sensibles entre gymnastes. Les réponses sont méditations ». disait Malebranche.

• Nakayama (Japon) photo : P. Blois

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3) L'observation. temps ? Nous allons essayer d'apporter certaines ré-
ponses qui n'auront bien sûr rien de définitif, le
Lorsqu'on voit pour la première fois un gymnaste champ d'expériences et de recherches restant à explo-
exécuter une vrille au sol ou à un appareil, on est rer.
quelque peu surpris, et l'œil a bien du mal à saisir
les différentes phases du mouvement. III. - Les problèmes que pose son exécution.
Il s'agit alors pour le technicien de passer du stade
de spectateur à celui d'observateur et d'observer au Ils sont principalement de deux ordres :
sens où l'entend Wallon « observer c'est évidemment — mécanique
enregistrer ce qui peut être constaté. Mais enregis- — psychologique
trer et constater c'est encore analyser, c'est ordon- — mécanique, car le gymnaste en tant que « corps »
ner le réel dans des formules, c'est le presser de obéit à un certain nombre de lois qui condition-
questions. C'est l'observation qui permet de posernent toutes ses exécutions.
les problèmes mais ce sont les problèmes posés qui — psychologique, car le gymnaste est avant tout
rendent l'observation possible ». un être en situation.
Au fur et à mesure que l'on se familiarise avec
la technique de la vrille, il devient plus facile d'en A — PROBLEMES D'ORDRE MECANIQUE
saisir sa structure et son organisation dans le temps
et l'espace. Ils sont fort complexes et leur étude, à notre con-
Aidés par l'apport précieux du cinéma avec l'uti- naissance, n'a pas encore été abordée, aussi allons-
lisation du ralenti et l'arrêt sur l'image, on arrive à nous essayer d'utiliser les enseignements que nous
une nouvelle représentation mentale du mouvement. donne la biomécanique en nous référant aux études
C'est alors qu'il va falloir répondre à bien des ques- faites, d'une part en athlétisme par G. Dyson dans
tions : qu'est-ce qui est important, qu'est-ce qui l'est son livre : « Principes de mécanique en athlétisme »
moins, quelle est la cause, quel est l'effet ? L'action (1) et d'autre part dans le domaine du plongeon par
des bras, de la tête, du « casser-cambrer », la vitesse Guilbert qui a étudié les « rotations en tire-bouchon »
de rotation arrière, l'impulsion ou l'interaction de ces (2) qui semblent obéir aux mêmes principes que les
facteurs ? Comment aborder son apprentissage ? Com- vrilles en gymnastique.
ment rendre compte des différences constatées entre Pour nous gymnastes, il faut toutefois noter des
les gymnastes ? de l'évolution de l'exécution avec le différences importantes avec le plongeon, en parti-

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culier au sol où la vitesse horizontale aprèsflipou Il semble qu'en gymnastique la vrille doive être
rondade est importante et le temps de suspension plus déclenchée au cours de l'appel en même temps que le
court. Il semble donc souhaitable d'augmenter ce temps tour vers l'arrière. Mais pour mieux comprendre les
de suspension et nous voyons de suite l'importance mouvements en l'air susceptibles d'en accélérer l'exé-
d'une exécution correcte et élevée du « saut périlleux cution nous nous référerons aux explications que
arrière corps tendu ». donne Guilbert du mécanisme du « tire-bouchon »
dans les plongeons.
1) Le saut périlleux arrière corps tendu. Pour lui, « la rotation en tire-bouchon doit être
réglementairement obtenue en vol. Elle est en que
Lorsque un jeune gymnaste voit un champion exé- que sorte « greffée » sur une rotation ordinaire déj
cuter un saut périlleux arrière tendu ou groupé, ce existante. Elle est obtenue par deux procédés géné
qu'il retient en général et ce qui s'associe au terme ralement combinés d'instinct par le plongeur » (2).
de « saut périlleux arrière », c'est principalement a) procédé par l'action des bras que nous pouvons
une rotation arrière du corps ; effectivement lors- résumer ainsi :
qu'il veut faire cet exercice, il cherche surtout et avant
tout à tourner vers l'arrière, ce qui se traduit par — lancer des bras dans le sens de la rotation dési-
un « coup de tête », en arrière, avec un « coup de rée, l'un appuyant en avant, l'autre tirant en arrière,
reins », dont le résultat est plus souvent un saut et transfert au corps tout entier de ce mouvement.
long et peu élevé vers l'arrière C'est là un exemple — déclenchement du mouvement pendant le pas-
où l'exécution d'un geste par un démonstrateur peut sage du corps de la position cambrée ou carpée à la
être une entrave pour l'apprentissage par l'élève La position droite pour que le mouvement des bras de-
démonstration donne l'objectif à atteindre, mais non meure constamment dans l'axe de pivotement du
les moyens d'y parvenir. En effet, pour réaliser cet tire-bouchon et n'entraîne aucune réaction sur cet
exercice, aussi paradoxal que cela puisse paraître, il axe. La réaction au mouvement des bras est
faut pour ainsi dire « ne pas vouloir le faire » car ainsi transférée sur l'axe transversal et n'a pas
le saut périlleux arrière corps tendu consiste essen- d'influence sur le tire-bouchon, elle a pour simple
tiellement à effectuer un saut en extension le plus conséquence de dévier légèrement le plongeur laté-
haut possible et secondairement à tourner vers l'ar- ralement. Pour accélérer la rotation il suffit au plon-
rière. Ce qui nécessite une impulsion bien précise geur, en allongeant le corps, de ramener les bras le
(cf. la technique des sauts, EPS n° 80 à 83). Le tra- plus près possible de l'axe longitudinal.
vail effectué avec des gymnastes de l'INS montre
que ce saut peut être réalisé aux alentours de 2 mè- b) procédé par action du buste.
tres. Supposons un sujet en suspension libre dans l'es-
pace, en engageant volontairement une action des
épaules dans un sens, la réaction peut se manifester
2) La rotation vers l'arrière. de deux façons :
— si le corps est musculairement bloqué, elle dé-
Il paraît établi qu'une rotation du corps sans l'in- clenche une rotation en sens inverse, méthode uti-
termédiaire d'appuis, c'est-à-dire en l'air, soit pos- lisée par les trampolinistes.
sible, cependant dans les conditions d'un appel de — si le corps est décontracté, il se « visse », jam-
pied ferme « le temps qui s'écoule entre l'appel et bes d'un côté, épaules de l'autre et aucune rotation
la réception est trop court pour permettre de com- ne se produit. Pour obtenir la rotation dans le sens
muniquer ainsi une rotation importante ». (1) de l'action des épaules, il suffit alors de déclencher
Pour provoquer une rotation importante, il devient une légère action de « cassé » de « cambré » ou de
nécessaire de la déclencher pendant la nhase d'appui flexion latérale.
au sol. au moment de l'appel, par une poussée excen- Guilbert conclut : « l'intensité d'une telle rotati
trique. En effet, « si à l'instant du décollage la direc- ne peut être qu'assez faible... et les deux modes d'
tion de l'impulsion ne passe pas par le centre de tion se combinent également dans une mesure varia-
gravité, il y a création d'un couple qui anime le ble corpsselon les plongeurs ».
d'un mouvement de rotation. Ce mouvement se pour- Bien sûr, une telle étude mécanique peut paraître
suit pendant toute la suspension indépendamment fastidieuse, de superficielle et assez éloignée de la pra-
tout changement volontaire d'attitude du corps » (1).et l'on serait peut-être tenté de s'en tenir à un
tique
Toutefois, ce changement d'attitude entraîne des enseignement purement intuitif, procédant par essais
augmentations ou des diminutions du moment d'iner- et erreurs, ce que l'on fait le plus souvent d'ailleurs.
tie par rapport à l'axe de rotation, de sorte que le Mais cette étude montre quelles peuvent être les
sauteur peut à son gré ralentir ou accélérer le mou- limites de nos connaissances actuelles. Elle se pro-
vement de rotation existant. Ainsi pour le saut péril- pose d'orienter nos recherches vers des expériences
leux arrière tendu, le passage de la position droite montrant l'interdépendance de l'appel et du mouve-
du décollage à la position cambrée dorsale correspond ment en l'air, l'importance de la rotation au détriment
à une diminution du moment d'inertie par rapport de l'élévation, et inversement.
à l'axe transversal de rotation et, en conséquence
augmente la vitesse de rotation vers l'arrière. D'autre part, il faut mettre en garde ceux qui se-
raient tentés d'expliquer le mouvement à partir
De même, la position des bras peut conditionner d'images statiques ; de fait, la dynamique d'ensemble
l'exécution ; ainsi, s'ils sont disposés tout près de l'axe conditionne le détail ou, comme le dit Buitendijk :
du corps, ils accélèrent la rotation de la vrille, et, « L'expérience démontre que la situation totale rè
s'ils en sont écartés, ils la ralentissent ou l'arrêtent, l'événement partiel et que le sens global du compo
pouvant même l'empêcher de s'amorcer. tement explique ce qui se passe dans chacune des
parties du corps ».
3) La vrille.
(à suivre) L. THOMAS.
Si le saut périlleux arrière s'effectue autour du seul
axe transversal, la vrille implique une rotation par
rapport à l'axe longitudinal, et le saut périlleux
avec vrille, une rotation par rapport à ces deux axes (1) G. Dyson (Ed. Vigot, 1965).
principaux. (2) « Le Plongeon ». (Edition Revue « Education Physique
et Sport », 1964).

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