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S’asseoir...

Un autre regard sur le Zen


Bushin Zendo (Patrice Julien)

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Prologue
Lorsque j'ai rencontré Deguchi Roshi pour la première fois, il m'a
dit : "je vous demande d'arrêter de lire jusqu'au Satori, tout,
vraiment tout...et après, lorsque vous aurez fait l'expérience,
vous pourrez si ça vous amuse recommencer à ouvrir des livres et
vous reconnaîtrez ceux qui savent de quoi ils parlent."
J'ai suivi ses conseils et j'avoue que c'est assez intéressant de se
remettre à lire après le "Kensho". On comprend alors que le
Bouddhisme n'est pas une philosophie mais que c'est une
pratique. Sans doute la plus simple et la plus radicale des
pratiques.
Parler de "Paix", de "Bonheur" et même d'"illumination" c'est
déjà être ailleurs, du côté de l'illusion, du côté de la dualité sans
issue. Couper dans le vif, aller tout droit devant, ça demande
d'être prêt à mourir.
Mourir, intellectuellement, tout le monde est prêt à le
faire...Reste que la mort symbolique telle que nous l'entendons
actuellement dans les pays riches n'est plus à la hauteur des
enjeux spirituels...
La vraie mort symbolique est dans la soumission absolue, tuer
l'égo c'est renoncer radicalement à l’illusion de soi. Pour les
enfants de Descartes c'est presque inconcevable. Mais il faut
savoir que le Bouddhisme, c'est le contraire du "cogito". "Je ne

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pense pas donc je suis" serait une manière assez précise de
décrire le satori...
Que reste t-il alors lorsqu'on ne pense plus? : la pensée pure en
action. Elle marche, elle mange, elle aime, elle pleure ou rit...
...c'est tout.

Une fois que cette expérience a été vécue au niveau du corps on


perçoit sans mots l'unité de toutes les traditions et on réussit à
extraire de la gangue dogmatique les joyaux ensevelis par la
pensée intellectuelle.
"Heureux les Pauvres en Esprit car le royaume de Dieu leur
appartient"
définit parfaitement le satori mais cette phrase ne dit pas
comment atteindre cet état.

Le Bouddhisme Zen donne une réponse précise :


« Asseyez-vous et réalisez ce que vous êtes déjà. »

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PREMIÈRE PARTIE : LA DECOUVERTE

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1) Soyez Zen !


Soyez Zen, devenez Zen, je suis, tu es, il est, nous sommes


zen...
Le mot semble magique : Encens, parfum, intérieur
dépouillé, objets minimalistes, musiques,...
Le « zen » s’accommode en marques, en propos de
connaisseurs, à toutes les sauces. 
“La vie Zen...” ; l’essence
d’un bonheur à portée d’esprit, visages béats, corps relaxés,
paysages de brumes éthérées... , l’envers du stress, ambiance
de spot publicitaire pour la félicité facile.

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2) Le folklore.


L’imaginaire collectif véhicule aussi une vision stoïque du


Zen ; univers silencieux des temples, moines exécutant en
tenue traditionnelle des rituels dont le moindre détail semble
empreint d’une magie fascinante et exotique.
Les plus intellectuels des aspirants disciples glosent à l’envie
sur les détails de la forme, s’extasient devant la profondeur des
trois prosternations. Ayant de longue date jeté aux orties les
actions de grâce de la tradition chrétienne, ils restent
cependant fascinés par l’offrande des 7 grains de riz qui
précède les repas des moines.

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3) Pourquoi font-ils la gueule ?


Enfant de la génération “recherche spirituelle”, j’ai passé en


revue depuis les années 70 pas mal de techniques de
développement personnel...
J’ai moi aussi fantasmé sur ce paradis en trois lettres sans
toutefois oser faire le pas pour la raison très simple que les
visages des maîtres et des disciples engagés dans cette
tradition me semblaient bien moins souriants que celui du
Bouddha et que je ne voyais pas pourquoi ils se sentaient tous
obligés de faire “faire la gueule”. Avec des copains de fac on
résumait cela en rigolant par « Là où il y du zen, il n’y a pas de
plaisir ».
J’ai tout de même connu un flirt d’un an avec une
macrobiotique bizarrement sous-titrée “Zen” qui a confirmé à
tout jamais mon attachement aux plaisirs de la table.

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4) Les hauts et les bas du méditant.


Vingt-cinq ans de hauts et de bas, regards tournés vers les


sommets puis vers les abîmes et toujours l’impression d’un
autre monde à découvrir, d’une autre réalité au bout de la
prochaine méditation.

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5) “Au secours !”


Jusqu’au jour où malgré toutes ces années de pratique,


arrivé au cap de la cinquantaine, tout s’est mis à aller de travers
dans mon quotidien : entrepreneur béni des dieux, propriétaire
de plusieurs restaurants, auteur de livres à succès, chouchou
des média,... Tous les compteurs semblaient au beau fixe,
pourtant, un jour, de l’intérieur quelque chose s’est déréglé
sans que je m’y attende.
Tout à coup, je me suis senti pris dans quelque chose
d’inextricable : une relation amoureuse sur le déclin, une course
contre la montre pour répondre à un emploi du temps
impossible, des problèmes de personnel, ... le sentiment global
d’être en pleine descente au volant d’ un camion sans freins.

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6) Le Zen ? Pourquoi pas ?


C’est dans ce contexte que le mot “Zen” est réapparu dans


ma vie. Au hasard d’une conversation, des propos de fin de
table au sujet d’un Maître Zen vivant retiré dans la montagne à
quelques heures de Tokyo : Montagne, Maître Zen, ...La
combinaison était assez alléchante, je n’ai pas pu y résister.

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SECONDE PARTIE : L’EUPHORIE DU NOVICE

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1) Bienvenue au Temple!


Le lendemain matin au réveil j’ai passé un coup de fil pour


annoncer ma visite, quelques heures plus tard j’étais dans le
train et en début d'après-midi un taxi me déposait en pleine
montagne devant un temple.
Le Maître dont on m’avait parlé était en uniforme de moine Zen
comme dans les clichés, il m’a accueilli à la porte. Il arborait le
sourire espéré de l’homme « réalisé » et c’est ainsi que mes
fesses ont fait connaissance pour la première fois avec le petit
coussin rond qu’on appelle “Zafu”.

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2) Le Zafu ?

Le “Zafu” c’est un petit coussin rond, assez ferme de 40 cm de


diamètre environ que l’on installe sur un gros coussin carré que
les Japonais appellent “Zabuton”. Le carré permet de ne pas
trop se détruire les genoux sur les tatamis et le rond surélève
les fesses, juste ce qu’il faut pour permettre à la colonne
vertébrale de rester bien droite pendant l’assise.

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3) Le mal aux jambes


Au début de la pratique, le plus terrible ce sont les jambes.


Le « lotus intégral » est la vraie forme de base. Par sa symétrie
il offre la meilleure stabilité. En revanche, à part pour les
personnes très souples c’est une position qui conduit plutôt
vers l’enfer que vers le Nirvana...
Comme le but premier du Zen n’est pas de briser les jambes
des gens, j’ai tout de suite adopté le demi-lotus qui permet de
pratiquer l’assise dans des conditions à peu près supportables
pendant les 40 minutes de l’exercice.

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4) Importance de la “forme”


La technique du Zazen tient en très peu de choses mais elles


sont très importantes. Le point de départ et l’arrivée, c’est ce
qu’on appelle la “Forme”. Le croisement des jambes, pied
gauche sur la cuisse droite (pour le demi-lotus). Dos de la main
droite dans le creux de la main gauche, pouces légèrement en
contact comme pour empêcher un œuf de s’échapper.
La colonne vertébrale doit rester bien verticale, sentir que le
corps est suspendu au plafond par l’arrière du crâne. Aucune
tension, si ce n’est au niveau des reins, une petite poussée
vers l’avant provoque une légère cambrure. 
Et surtout il faut
éviter d’intellectualiser cette position dont le principal point fort
est son ergonomie.

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5) Les yeux ouverts sur la réalité


L’autre particularité du “Zazen” (Le Zen assis) c’est qu’on le


pratique les yeux ouverts. Les yeux fixés devant soi, à
l’horizontale, comme si l’on regardait quelqu’un droit dans les
yeux. On laisse tomber les globes oculaires sans baisser la
tête. Le regard se pose alors au sol, détendu, au point mort,
comme si les pupilles étaient tombés au sol.
Les yeux voient alors plutôt qu’ils ne regardent, on les laisse
opérer en liberté.

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6) Trop simple pour être facile


Jambes, mains, colonne vertébrale, reins, yeux, ... Lorsque


tout est en place, que faut-il faire ? La technique la plus pure
c’est de “ne rien faire, ne rien chercher”... : être à l’état brut...
L’essentiel du message du Zen tient dans un texte de Maître
Dogen, le « Fukazenji » qui révèle la marche à suivre...
Malheureusement, si une chose aussi simple l’était vraiment
nous réaliserions tous instantanément notre vraie nature...
S’asseoir, juste s’asseoir, ...c’est hélas quelque chose que nous
ne savons pas faire. C’est vous dire que ça risque d’être
compliqué.

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TROISIEME PARTIE, « FUKAZENJI », KEZAKO ?

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1) Maître Dogen

L’auteur de ce texte qui pose très clairement les bases de la pratique


du zen et qui à lui seul pourrait déclencher le fameux SATORI
s’appelle Dogen, Ihei Dōgen ou Dōgen Kigen, soit « Dōgen rare
mystère » ou Dōgen Zenji « maître zen Dōgen ») est né le 19 janvier
1200. C est le fondateur de l'école Sōtō, l’une des grandes écoles du
bouddhisme zen au Japon. Il l'introduisit dans l’archipel après un
voyage en Chine.
Le jeune Dōgen connut très tôt ce qu'il appela « le grand doute ». Il se
posait une question pour lui essentielle : « Dans l'enseignement
bouddhique, il est dit que tous les êtres possèdent originellement la
nature du Bouddha. S'il en est ainsi, pourquoi faut-il méditer et
adopter des pratiques ascétiques pour atteindre l'état de Bouddha ? »
Mais comme personne ne pouvait lui répondre de façon satisfaisante,
après quelques tentatives auprès de différents maîtres, il décida à l’âge
de 23 ans de quitter le Japon pour la Chine afin d’y chercher la
réponse.

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2) La rencontre du vieux cuisinier Zen

Les débuts du périple chinois du futur « Maître » méritent qu’on


les évoque car ils sont en eux-mêmes assez riches
d’enseignement.

À son arrivée en Chine, on raconte qu’il était sur son bateau


lorsqu’un qu'un vieux moine monta un jour à bord pour acheter
des champignons.

Ce moine était âgé de plus de soixante-dix ans, et il était était


tenzo, « chef cuisinier », dans un temple, sur les flancs d’une
montagne près de Shanghai.

Il faut savoir que le poste de cuisinier est l’un des plus


importants dans les temples zen vu que sans nourriture il ne
peut y avoir de vie.

Le visage de l’homme reflétait une grande profondeur et le


jeune Dōgen fut intrigué. Il invita donc le vieux moine à passer
la nuit sur le bateau, pour pouvoir s’entretenir avec lui. Mais
celui-ci refusa, arguant qu'il devait retourner le soir même au
temple car il devait cuisiner.

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3) L’origine de l’Ecole SOTO

« Dans un grand monastère tel que le vôtre, dit Dōgen, il y a


certainement d'autres moines qui peuvent préparer le repas.

- Je suis vieux, répondit l’homme, et je suis « tenzo ». C'est la


pratique de mes vieux jours. Comment pourrais-je laisser à
d'autres ce que je dois faire ?

Surpris, Dogen lui demanda pourquoi une personne âgée


comme lui devait faire un travail si éprouvant au lieu de lire et
d'étudier les sutras ?

On raconte que le moine éclata de rire et dit : « Jeune ami venu


de l'étranger, vous semblez bien ignorant de ce que signifient la
pratique et l'enseignement du bouddhisme ! »

Il l'invita à venir lui rendre visite dans le temple de son maître,


puis le salua. Dōgen, très impressionné par cette rencontre se
rendit au temple dirigé par Nyojo, sur le mont Tendo, dans le
Minshu.

Le temple de Nyojo suivait la tradition Caodong qui, au Japon,


deviendra l'école Sōtō.

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4) La « réalisation » de Maître Dogen

L'éveil de Maître rapporté longtemps après sa mort par son


quatrième successeur, Keizan Jôkin rapporte l’anecdote de la
réalisation exemplaire de maître Dôgen.

Un jour où il se trouvait en méditation dans le zendō avec


d'autres moines Ju-Ching aperçut l'un d'entre eux assoupi. Il le
réprimanda : « La pratique de zazen, c'est laisser tomber le
corps-esprit. À quoi penses-tu arriver en somnolant ? »

Dôgen, frappé par ces paroles, fut soudain traversé de joie. Il


avait enfin trouvé ce qu'il recherchait. Le zazen terminé, il alla
se prosterner devant son maître qui lui demanda la raison de ce
geste.

Il répondit : « Je viens d'abandonner le « corps-esprit ».


Respectant la tradition de l'école Sōtō, Ju-ching se serait
prosterné à son tour, déclarant : « Voilà ce que l'on appelle
abandonner jusqu'à l'idée d'abandonner ».

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5) La source du Zen

Cet épisode est la source de l'enseignement de maître Dôgen,


l'abandon du corps-esprit soit l'unité enfin réalisée dans la non-
dualité de l'esprit et de la matière qu’il transmettra au Japon.

« L'abandon du corps-esprit » est l’acceptation qui libère des


conditionnements et concepts qui nous séparent de la « Réalité
ultime ».

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6) La transmission

A son retour de Chine Dogen rédigea le "Fukazazenji", texte


fondateur souvent traduit par " L'esprit de la méditation assise "

Le "Fukazazengi" est devenu un guide de référence dans


l'école Sōtō et ce bref texte est récité quotidiennement dans les
monastères lors de la méditation du soir.

C'est un manifeste qui décrit précisément la posture assise et


l’état d'esprit « au-delà de la pensée » à adopter lors de la
pratique de zazen.

Ce texte permet de comprendre en quoi l'effort concentré de


l'homme est nécessaire pour s’éveiller, alors que « la Voie est
fondamentalement parfaite et qu’elle pénètre tout ».

C'est la présentation de première main de la réponse à la


question douloureuse que s'était posé le jeune Dogen.

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7) Les préliminaires

« Pour pratiquer le zen, un endroit silencieux est nécessaire.


On doit manger et boire sobrement. On cesse toute distraction.
On interrompt toute activité. On ne pense pas en termes de
bien ou de mal. On ne prend parti ni pour ni contre. On
abandonne les activités de l’esprit, de l’intellect et de la
conscience mentale. On arrête l’agitation mentale, les
jugements, les opinions. On n’a aucun désir de devenir
Bouddha. C’est au-delà des seules positions assise et
couchée. »

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8) La forme

« A l’endroit où on a l’habitude de s’asseoir, on étend une natte


épaisse et on y place un zafu. On s’assoit en lotus ou en demi-
lotus. En lotus, le pied droit est posé sur la cuisse gauche, et le
pied gauche sur la cuisse droite. En demi-lotus, on se contente
de placer le pied gauche sur la cuisse droite.

Le kimono et la ceinture sont desserrés et proprement


arrangés. La main droite est mise sur le pied gauche et la main
gauche dans la paume de la main droite. Les pointes des
pouces se touchent.

L’assise est totalement droite, dans la posture juste, ni penchée


à gauche, ni penchée à droite, ni en avant, ni en arrière. Les
oreilles sont dans le plan des épaules, le nez se trouve à la
verticale du nombril. La pointe de la langue est contre le palais.
La bouche est fermée, les dents se touchent. Les yeux sont
entr’ouverts. On respire doucement par le nez. »

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9)Le mystère de la « Non pensée »

« Quand on a établi la bonne posture, on prend une respiration


et on expire profondément. On balance latéralement le corps et
on s’immobilise dans une assise stable et inébranlable.

On pense la non-pensée.

Comment penser la non-pensée ?

Au-delà de la pensée. C’est en soi l’art de zazen. »

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10) Vivre comme on respire

Vous aurez compris qu’il ne faut pas affronter la question de


front
La ruse c’est donc de trouver une occupation compatible avec
le vertige provoqué par le mystère.
Pour cela mon premier Maître m’a conseillé de suivre le
parcours de mon souffle : à l’inhalation, de mes narines à mon
bas ventre, puis à l’expiration, de mon bas ventre à mes
narines, en un parcours circulaire...
De quoi tenir 40 minutes sans s’ennuyer si l’on s’applique
vraiment. Essayez, vous verrez que ça occupe.

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11) I LOVE Zen!


Initié à la technique J’ai ensuite fait l’acquisition d’un zafu,


récupéré un coussin de la maison et commencé ma pratique :
40 minutes d’assise quotidienne, durée fixée par la tradition au
regard des possibilités de l’organisme humain.

Au cours de cette première étape, j’ai eu rapidement le
sentiment d’avoir atteint l’état suprême. J’aurai bien collé sur
mon T-shirt quelque chose dans le genre “Vive le Zen !”.

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12) La souffrance reste la souffrance


L’assise, les lectures,... pendant quelques mois je me suis


senti en progrès...

Le problème c’est que dans la vie, Zen ou pas, la douleur
reste de la douleur, les petites souffrances de la vie aussi.
On a beau pratiquer l’assise, lorsque quelqu’un fracture notre
voiture et emporte notre autoradio ça ne fait pas plaisir, lorsque
qu’une personne que nous aimons disparaît à tout jamais, elle
disparaît et c’est sans appel...

Et c’est comme ça que le jour où tout s’est écroulé autour de
moi je me suis dit que j’avais dû rater une sortie quelque part.

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QUATRIEME PARTIE : COMMENT RENAÎTRE ?

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1) L’Himalaya ou Internet
 ?

Comme mon premier Maître habitait à plusieurs heures de


Tokyo et que par ailleurs il me semblait n’avoir aucune solution
à me proposer pour sortir de l’impasse où je me trouvais, je me
suis mis en quête d’un nouveau guide plus proche et plus
convaincant.
La tradition du Zen est truffée d’extraordinaires rencontres entre
Maîtres et disciples... Au terme d’un long et périlleux voyage,
un ermitage au sommet d’un pic rocheux : la RENCONTRE...

Ma recherche est moins romanesque. J’ai consulté sur
Internet la liste des temples Zen les plus proches de chez moi,
le maître parlant anglais acceptait les disciples étrangers, il a
répondu dans l’heure à ma demande et en fin d’après-midi, je
me trouvais devant lui, lui exposant ma situation et mes
attentes.

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2) Aladin et le Zen Merveilleux


En général, lorsque quelque chose ne tourne pas rond dans


notre vie, nous avons tendance à rechercher des solutions
toutes prêtes... Donc le Maître que nous recherchons pourrait
sortir de la lampe d’Aladin...” Piooooouuuu... et déclarer « Voilà,
tu es sauvé mon Fils...! ”

J’ai tout de suite vu que mon nouveau Maître n’habitait pas
dans une lampe magique. Il se contentait de me regarder
raconter mes problèmes avec un visage inexpressif et des yeux
tout ronds.
Lorsque j’ai eu fini de lui exposer mes misères il m’a dit : “Début
décembre il y a une retraite de 5 jours ici, c’est ce que je peux
vous conseiller de mieux. Si vous participez à fond, je peux
vous garantir que votre vie va changer.”

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3) Le compte est bon


Comme il avait l’air de quelqu’un qui ne distribue pas des


garanties à la légère je lui ai répondu que j’allais participer, que
c’était décidé. Mais comme nous étions en septembre je lui ai
tout de même demandé de me dire comment poursuivre mon
assise jusqu’au grand jour.
Par rapport à ce que j’avais fait jusqu’à présent, la position ne
changeait pas, en revanche il me conseilla une technique qu’on
appelle “Sussokkan “, c’est à dire “compte des respirations”.
Mais il ajouta un point important. “En fait il ne s’agit pas de
compter vraiment, il s’agit juste de s’identifier à 100% avec le
fait de compter.”
Ce qui signifie que lorsqu’à l’expiration on compte dans sa tête
“Uuuuuuuuuuuuuuun...”, il faut y aller à fond. Pas de deux, pas
de trois, juste devenir “uuuuuuuuuun...” des pieds à la tête... et
lorsque les poumons sont absolument vides, qu’ils ne peuvent
plus rejeter le moindre millimètre cube d’air, il faut les laisser se
remplir et pousser à fond à nouveau “deeeeeeeeeeeux...”
jusqu’à dix... puis revenir à un et continuer ainsi pendant
quarante minutes.

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4) Pas de sieste Zen


Mes débuts dans cette nouvelle voie ont été plutôt difficiles,
mon nouveau Maître bousculait toutes mes idées reçues sur le
Zen.
- Ce n’est pas Zazen que vous faites, c’est de la sieste
éveillée. Le Zen ce n’est pas de la relaxation. Le véritable
objectif n’est pas de se sentir bien c’est de tuer l’égo et pour ça
il faut se battre.
Quarante minutes de Zazen c’est un match de boxe, pas une
sinécure. Allez! Uuuuuuuuuuuuuun...Deeeeeeeeeeeeeux....

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5) Un match de boxe


Et effectivement la chose tient du match de boxe car l’esprit


est habitué à jouer tout seul dans son coin et …c’est un
véritable enfant.
Vous êtes là sur votre coussin à faire de votre
mieux :Uuuuuuuuuuuuuun...” et le voilà qui se met à vous
suggérer des idées qui ne sont pas sur le mode d’emploi...

Mais il ne faut surtout pas en faire un problème. L’esprit
humain a été créé pour penser et pas pour se taire donc il faut
le laisser s’occuper dans son coin et ne pas l’écouter, il a son
petit travail à lui et nous le nôtre,il faut juste continuer à
compter :
“uuuuuuuuuuuuuuuun...” ”deeeeeeeeeeeeeux...”

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6) Douleur et pensée ; comme larrons en foire


La douleur dans les jambes s’entend comme larrons en foire


avec l’esprit pour vous détourner de votre pratique. La chose se
passe ainsi : “Ah la la, cette douleur dans les genoux, pas
possible, non, je ne vais pas pouvoir passer quarante minutes
comme ça. Mais est-ce que je peux changer de sens, décroiser
mes jambes ? Non, je risque de me faire engueuler...”

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7) Ne pas se laisser piéger

Mon nouveau Maître n’étant pas particulièrement pointilleux sur


cette question, au début je me suis laissé tenter...: décroiser les
jmbres, croiser à l’opposé, décroiser à nouveau, recroiser...
...et lorsque j’ai réalisé que je passais mon temps à écouter
mes jambes je me suis dit même si elles se paralysent, je ne
bouge plus et j’ai poursuivi “Uuuuunnnnnn...” du coup elles se
sont tues définitivement.

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8) Le son du Zen


Autre obstacle important au début, le bruit.
Pour méditer, on


pense à tort qu’il faut se retirer dans un environnement
silencieux...
En fait, comme la méditation n’est pas un retrait du monde mais
au contraire une confrontation directe avec la réalité, aussi
brutale soit-elle, quel que soit notre environnement sonore, il
faut l‘accepter.
Bruits d’aspirateur, conversation dans la pièce d’à côté, sirène
d’ambulance, marteau-piqueur sur le chantier voisin,...inutile de
se battre, de rêver de forêts silencieuses et de chants
d’oiseaux, la seule chose qui compte c’est ce qui est sur le
mode d’emploi : “uuuuuuuuuuuuunnn...”, “deeeeeeeeeeux...”
c’est tout...

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CINQUIÈME PARTIE : LE DÉPART POUR LE FRONT.

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1) Au risque de sa vie


Et voilà la date à la fois crainte et attendue... Dans les


premières froidures de décembre le jour J arrive.
Nous sommes tous prévenus, il faut jeter en bloc toutes nos
convictions, nos idées reçues et quoi qu’il arrive faire ce qu’on
nous dit, sans discuter. Dans un silence pesant on nous
apprend à plier le tissus blanc qui enveloppe les 3 bols qui nous
serviront à manger rituellement pendant 5 jours.
On sent déjà que la retraite va pas être une sinécure, il faut
l’aborder comme on part sur le front, au risque de sa vie...

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2)Mais que va-t-il donc se passer ?


Un mardi soir, 19 heures, nous sommes 25 dans le zendo (la


salle de méditation). Une majorité d’anciens participent à ce
rassemblement. Ils participent à la « sesshin » (la retraite)
depuis des années ; des hommes d’affaire, des médecins, des
professeurs d’université,... Deux fois par an ils viennent là pour
se remettre les idées en place...
Nous sommes six débutants. Le cœur battant, l’œil en point
d’interrogation, nous nous demandons à quoi le “front” va bien
pouvoir ressembler.

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3) Rester présent


Au cours de la retraite le plus important c’est de rester


présent. Pas de paroles, pas de salutations, pas de douche, on
nettoie ses bols après manger avec une rondelle de radis
fermenté...
Les repas, le ménage, le repos, les moments d’assise, tout suit
un rituel précis,...On observe silencieusement les autres du
coin de l’œil et on essaie de suivre ce qui se passe du mieux
qu’on peut...
Dans ce cadre, le moindre instant d’inattention saute aux yeux
du Maître qui nous rappelle aussitôt à l’ordre sur un ton sans
équivoque. Ça ressemble plus à un stage d’entrée dans le
corps des légionnaires qu’à ma vision innocente du fameux
« Zen ».

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4) Le premier Koan


Au cours des trois mois précédents j’avais pratiqué


quotidiennement le compte des respirations mais dès le début
de la retraite, changement de style.
Nous recevons notre premier Koan. Un koan, c’est un problème
à résoudre, en général sous forme d’une petite histoire
innocente et exotique dans laquelle un célèbre maître du passé
s’entretient avec un ou plusieurs disciples (ce n’est pas toujours
le cas, ça peut être une simple phrase qu’on pense comprendre
à première vue mais on réalise vite que ce n’est pas le cas). En
effet, lors des séances de vérification qui s’appellent
« Dokusan », le maître a vite fait de sanctionner toute
intellectualisation. Pas question d’expliquer. Il lui suffit de faire
une moue explicite et d’ajouter une clochette pour renvoyer les
ignorants sur leur zafu pour ajustement complémentaire

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5) L’innocence des débuts

Tout heureux, je me dis que je viens de monter en grade…J’ai


reçu mon premier Koan.
 Ce premier « problème » du Zen,
celui par lequel doivent passer tous les débutants, raconte
l’histoire d’un moine qui demande à Maître Joshu (un célèbre
moine du passé) si le chien qui passe à cet instant devant eux
possède une nature de Bouddha...
Réponse de Joshu : MUUUUUUU...!
 Voilà... Quoi faire à
partir de là ?

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6) Percer le mystère de “Muuuuuu”.


Du point de vue du novice, les Koans ça semble au fin du fin


de l’humour Zen ; entre la blague juive et la parabole soufie...
Ces innocentes conversations de moines et de moinillons sont
bourrées de paradoxe. Je me souviens m’en être régalé au
début en me disant l’oeil malin “Hahaa... je comprends tout...”

J’ai vite déchanté, le but de la pratique des koans ce n’est
pas de tout comprendre mais au contraire de mettre l’esprit en
déroute pour laisser place à un mode de saisie non dualiste de
la réalité.

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7) Les chiens aboient, le moine zen passe


Cette innocente histoire de chien bouddhiste se trouve au


seuil de la pratique car c’est le plus radical de tous les koans...
En effet, le seul moyen de percer le mystère de la réponse de
Joshu c’est de devenir MUUUU, de la pointe des pieds à
l’extrémité des cheveux. Pas d’autre moyen...
C’est ainsi que les débutants passeront cinq jours à hurler cette
simple syllabe du fond des tripes pendant toutes les assises...
Entre les séances de Zazen, en mangeant, en faisant le
ménage, en marchant, en dormant,...
A chaque instant nous devrons faire en sorte de conserver ce
son à l’esprit. Jusqu’à ce que sa réalité explose en nous et se
révèle sans l’intermédiaire de la pensée ; c’est l’état de mini-
satori qu’on appelle KENSHO.

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8) L’enfer


A partir de là, la retraite n’a plus rien à voir avec l’idée qu’on
se fait du zen... Tout à coup le temple tourne à l’asile d’aliénés,
ça hurle de tous les côtés, les coups de Kyosaku* (La batte en
bois redoutable que manie le maître) commencent à pleuvoir
sur les épaules des débutants. On est loin du dernier parfum à
la mode ou de la couverture du magazine “Vivre Zen”.

Là on prend conscience que c’est du sérieux et que le
Bouddhisme n’est ni un passe-temps agréable ni une thérapie
antistress.
Il ne faut pas perdre de vue que c’est un moyen de dépasser
des conditionnements accumulés pendant toute une chaîne
karmique... et que l’enjeu en question vaut bien 5 jours d’enfer
au regard de toutes les souffrances traversées par notre âme
au cours de ses réincarnations successives.

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9)Sauve qui peut !


Plusieurs débutants abandonneront dès le deuxième jour,


victimes de l’image qu’ils se faisaient du Zen. J’avoue avoir
éprouvé moi aussi la tentation de partir. L’épaule en sang, les
cris, les coups, il y a un moment où on se dit que ce n’est plus
possible, on se met à détester cet univers, le Maître et le
Zen.On veut retourner vers son confort, vers ses habitudes.

Ce qui m’a permis de poursuivre c’est qu’à ce moment-là de ma
vie, je ne voyais pas d’autre issue, c’était continuer ou le
suicide...
J’ai dépassé la douleur, oublié le sang qui imbibait mon T-shirt
et j’ai foncé tête baissée dans MUUUUUU avec l’intention de
faire éclater la serrure de ce maudit koan.

49
9) Le kyosaku

Faisons une pause pour présenter un peu mieux le kyosaku.


C’est une sorte de battoir en bois avec lequel on tape sur une
zone précise de l’épaule des méditants dans un but qui varie en
fonction des Zendo.
Certains maîtres l’utilisent pour faire rectifier une position,
d’autres pour réveiller des disciples endormis. Dans le temple
que je fréquente c’est principalement pour pousser les
débutants à aller au-delà de leurs limites lors de leur pratique
du koan “Mu”.
En général, pendant une sesshin, dans le temple que je
fréquentais, le maître cassait plusieurs kyosakus au cours des
5 jours de la retraite. C’est vous dire qu’il n’y allait pas de main
morte.
Je pense qu’il n’y a guère qu’au Japon on dans certaines
écoles coraniques qu’on peut vivre une telle expérience…

50
10) De nouveaux horizons


J’ai eu beau essayer de toutes mes forces, les cinq jours se


termineront sans que le chien de Maître Joshu livre son
mystère.
Par contre, le seul fait d’avoir puisé dans mes réserves, d’avoir
dépassé le froid, la douleur, la croyance dans l’évidence d’une
certaine forme de confort personnel m’a ouvert d’autres
horizons.

A ma sortie du temple j’éprouverai ainsi aussitôt le besoin de
téléphoner à mon Père en France pour lui exprimer mon amour
et ma reconnaissance alors que j’avais jusqu’alors maintenu
certaines distances affectives avec lui.

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11) Apprivoiser le dragon


En avril suivant une nouvelle retraite était heureusement


prévue. Quatre mois à d’attente pour gagner une nouvelle
partie au jeu du koan.
Malgré une épaule en capilotade et des bleus partout je suis
fermement décidé à remettre ça. 
En attendant je poursuivrai
chez-moi mon zazen quotidien et je continuerai à me battre
avec “Mu” comme avec une bête féroce.
Au lieu des quarante minutes traditionnelles, je m’imposerai
même cinquante minutes de lutte avec le koan pour me prouver
ma résolution : à chaque expiration,, du fond de mon être,
jusqu’à ce qu’il ne me reste plus un centimètre cube de souffle
MUUUUUUUUUUUUUU...!

52
SIXIEME PARTIE : L’EVEIL

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1) Le Koan reste un mystère


Quatre mois très durs. L’impression d’être coincé entre la vie


et la mort. Le sentiment d’être un bébé coincé dans l’utérus de
sa mère.
Mais quel est donc le secret de cette simple syllabe dont la
magie est censée permettre de vivre en égal aux côtés de tous
les maîtres réalisés de la tradition Bouddhiste ?

Par quelque bout que je le prenne, le koan restera un
mystère. Chaque jour j’aurai beau m’asseoir, y penser, puiser
dans tous mes livres sur le zen*, rien ne se produira.
Au cours de la retraite notre Maître nous avait prévenu : “Je
suis désolé, je ne peux rien faire pour vous, ce Koan est le plus
exigeant de toute notre tradition, personne ne peut vous aider
en vous donnant des indices. La seule chose que je peux dire
c’est qu’il faut que vous réussissiez à vous oublier totalement et
à devenir “Muu...” de la pointe des cheveux au bout des ongles
des pieds.”..

* Malgré les conseils de mon Maître qui m’avait instamment


demandé de renoncer à toute lecture jusqu’au satori.

54
2) La déroute de l ‘esprit rationnel


Au cours de cette période je découvrirai l’inutilité de la


pensée logique voire de la pensée elle-même.
Je prendrai conscience du fait que la croyance dans les vertus
du raisonnement logique n’est qu’une illusion.
Comment atteindre le “Mu”? Question en apparence toute
simple mais devant laquelle mon mode de fonctionnement
habituel restera impuissant.
J’ai compris par la suite, en pastichant une célèbre phrase
d’Einstein qu’on pourrait presque dire que pour atteindre le
Kensho, un cerveau est inutile et qu’une moelle épinière suffit.

55
3) Aller jusqu’au bout


Le mois de décembre convenait bien à l’austérité de ma


première retraite. Début avril, avec les premiers beaux jours,
l’énergie bouillonnante du printemps japonais, les cerisiers en
fleurs un peu partout, il faudra du courage pour refaire le
“voyage au bout de l’enfer”.
En fait je n’ai pas le choix, je sens que je ne peux pas
abandonner le processus en cours, il faut que j’aille au bout de
cette “renaissance”.

Le deuxième jour de la seconde retraite, lorsque les coups
recommencent à pleuvoir, l’envie de fuir me reprendra pourtant.
“Pourquoi m’être à nouveau remis dans ce pétrin ?”.
Mais la tentation ne sera qu’effleurée, à côté de moi d’autres se
battent avec “Muu...” du fond des tripes. Une jeune fille d’à
peine vingt ans endure les mêmes souffrances que moi et elle
se donne à fond. Je n’ai pas le droit de craquer.

A la fin du second jour mon voisin de gauche dans le zendo
atteindra l’éveil. “Le veinard!”

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4) Le fameux “KENSHO”


C’est le troisième jour que je le rejoindrai.



Dans plusieurs livres sur le Zen j’avais lu des descriptifs de ce
mystérieux “Kensho” en espérant qu’ils me permettraient
d’avancer. En fait pendant mes heures d’assise sur ce premier
koan, ils ont été plutôt des obstacles qu’une aide. Un peu
comme la lecture préalable d’une description détaillée de
l’orgasme peut constituer un obstacle à la vraie jouissance...
Parfois, arrivé presque aux limites de moi-même, il m’arrivait de
me dire “Ah, voilà, J’approche, ça commence à ressembler à ce
que j’ai lu.” Et là tout était loupé, il me fallait repartir à zéro.
Pour cette raison je n’essaierai pas de vous décrire ce qui s’est
produit en moi à ce moment-là. Lorsqu’on veut connaître le
goût d’une confiture ou d’un vin, rien ne remplace la
dégustation effective.
La seule chose que je peux dire c’est que si vous êtes décidé et
que vous êtes prêt à aller résolument jusqu’au bout de vous-
même, quel que soit le prix à payer, vous connaîtrez le goût de
ce premier Koan et comprendrez pourquoi il est placé à l’entrée
de la Voie, “comme un portillon sans battants”.

57
5) “Ailleurs” c’est déjà “ici”...


Avec la découverte de “MUUU” le regard sur la vie change


radicalement. C’est un vrai bouleversement du paradigme de la
“réalité”. L’”autre monde” plus réel que celui-ci recherché au
cours de mes années de méditation est là, devant nous, dans
tous les détails du quotidien.
Je le perçois pour la première fois, semblable en apparence
mais différent dans son essence. Nos idées sur le monde nous
séparent de lui et nous poussent à rechercher ailleurs une
solution à ce que nous appelons “problèmes”. Or dans la réalité
il n’y a jamais de problème. Lorsque nous mangeons de bon
appétit, nous mangeons c’est tout...

58
6) L’avant-goût du présent

Mais tout ne se termine pas avec le “Kensho”. Ce n’est qu’un


avant-goût, que la première étape d’un voyage sans fin car le
Zen n’a pas de destination finale. Cependant, c’est sur cette
première expérience directe que va se fonder toute la pratique
future.
De cette première prise de conscience va dépendre la
résolution du cheminement.
Jusqu'alors, j’avais cru comprendre l’expression “vivre dans le
présent” mais en fait cette expérience directe n’a rien à voir
avec une croyance ou une représentation intérieure. Ce qui fait
que la plupart du temps lorsque nous pensons sincèrement
vivre dans le présent, cette pensée elle-même nous en écarte.

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7) Seule l’actualité a une existence

Lors du “kensho” on prend conscience pour la première fois,


directement, de la vraie nature du présent mais l’esprit ayant
ses habitudes tend à s’emparer de cette expérience pour en
faire un concept.

Le souvenir d’un état d’illumination n’ayant plus rien à voir
avec la réalité de l’expérience vécue, il faudra donc poursuivre
quotidiennement l’assise pour garder le contact avec la
perception directe du monde et éviter de retomber dans les
pièges de l’illusion conceptuelle.

60
6) La disparition de l’égo


La motivation la plus forte pour vraiment s’engager dans la


pratique du Zen c’est lorsque quelque chose ne tourne vraiment
pas rond dans notre vie. Lorsqu’on atteint un état où à part la
dépression ou le suicide il ne semble y avoir aucune issue.
Un choc, une catastrophe, une perte irréparable,… c’est le
moment idéal.
Sans atteindre ce cap. je n’aurai jamais eu la force d’aller
jusqu’au bout de mes retraites, je n’aurai jamais eu l’humilité de
me soumettre aux exigences de l’ascèse.
Nous acceptons facilement le concept de disparition de l’égo
mais nous avons plus de mal à faire taire toutes nos idées
reçues sur la vie.
Lorsqu’un homme même vêtu d’une robe de bonze s’acharne
sur votre épaule avec son bâton, il faut beaucoup de lâcher-
prise intérieur pour comprendre qu’il fait tout pour vous aider à
dépasser l’illusion du monde.
Lorsqu’on sent qu’on n’a pas le choix, on réussit à voir cette
main tendue. Si l’on conserve ne serait-ce qu’un micron d’égo
on ne voit là qu’une violence inacceptable.

61
7) “Oui, mais...”


Lorsqu’on parle de faire disparaître l’égo, de quoi parle-t-on


vraiment ? “Moi” ? “Ego” ? Qu’est- ce que c’est ?

Tous les gens engagés dans une quête spirituelle
considèrent comme un fait acquis l’hypothèse que sans
disparition de l’égo aucun progrès spirituel n’est possible...
Et pourtant, essayez de tuer votre Moi, de le jeter dans une
poubelle et de mettre le couvercle dessus. Tentez de courir
assez vite pour qu’il ne vous rattrape pas ...

En fait, cet “Ego” s’il n’y a aucun moyen de s’en débarrasser
c’est qu’il n’existe pas...
Vous allez me dire : “Oui,
mais...”C’est ça l’égo ! “Oui mais”... Lorsqu’il n’y a pas de
“Mais...”, il n’y a pas d’égo. C’est aussi simple que ça.
Lorsque vous réussissez à percevoir la réalité comme le font
les nouveaux nés, sans aucune représentation conceptuelle,
sans aucun mot, vous vivez sans égo, dans un état d’éveil,
c’est notre état naturel.
Ni le Zen ni le Bouddhisme n’ont le privilège de cet état. La
phrase “Heureux les Pauvres en Esprit car le Royaume de Dieu
leur appartient” décrit exactement la même chose...
Le savoir intellectuellement ou en faire l’expérience directe,
c’est toute la différence et elle est considérable.

62
8) Naturellement naturel


Essayez d’être vraiment naturel sur une photo, essayez de


marcher comme dans la rue sur une scène de théâtre... Il y a
des chances pour que plus vous essaierez et plus vous vous
éloignerez du “naturel”...De même, plus vous essayez de vivre
sans égo et plus vous renforcez l’égo.
Un pratiquant du Zen qui s’efforce d’atteindre le satori est bien
plus éloigné de l’état de Bouddha qu’un balayeur qui s’applique
à nettoyer un caniveau.

Lorsqu’on accomplit quelque chose naturellement, vraiment
“naturellement”, il n’y a pas la moindre trace d’Ego.
La véritable assise c’est cela...

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9) Que nous dit la nature ?


Dans la nature, les brins d’herbe sont des brins d’herbe, les
roses sont des roses, les oiseaux des oiseaux, les montagnes
des montagnes,... Que nous dit la nature... ? « Soyez vraiment
ce que vous êtes, à cent pour cent. » Mais attention, pas ce
que vous croyez être... Car c’est ça le piège...

Allez savoir pourquoi, dans la nature, le seul être qui dit “Moi”
c’est l’Homme...
C’est à partir de ce moment que naissent les problèmes. Posez
la question : “A qui est ce problème ?” La réponse bien entendu
c’est : “A moi”, “A toi”, à “lui” ou bien à quelqu’un d’autre...”. Ce
qui revient au même.
Et essayez de vous dire, “Bien, j’ai compris, à partir de
maintenant je ne dis plus “Moi”. Plus vous ferez d’efforts et plus
vous vous éloignerez de l’état d’éveil.
C’est la raison pour laquelle vous pourrez lire tous les livres
jamais écrits sur le Zen. Si vous ne pratiquez pas vous ne ferez
que tourner en rond dans votre intellect en vous grisant
d’illusions.

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SEPTIEME PARTIE : POURSUIVRE

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1) Alors ?


Bon...Alors comment faire ? 
Puisque cela semble si difficile


faut-il abandonner d’entrée de jeu ? Faut-il s’accrocher aux
phases de bonheur en espérant que les creux de vague
inévitables ne seront pas trop profonds ? Le fait de fermer les
yeux dans les descentes résoudra -t’il vraiment l’essentiel ?
Comment faire lorsque le corps vieillit ?
Quai faire lorsque ceux que l’on aime disparaissent ? Lorsque
les forces semblent nous abandonner ? Lorsque la peur de
vivre survient ? Les vitamines ?
Les thérapies ?
Et puis
quoi ?
...

66
2) Allez-y cuisinez !

La réponse est aussi simple que la recette des œufs sur le plat.
Vous avez les œufs, la poêle, la matière grasse, la source de
chaleur, ...tout... et même une recette...

Si vous en restez au stade de la recette sans commencer à
cuisiner vous finirez par mourir de faim, Vous aurez beau la lire
et la relire, il ne se passera rien.
Si vous n’avez jamais cuisiné vous aurez peut-être peur de
vous y mettre, vous vous êtes peut-être fait à l’idée que la
cuisine c’est difficile...
…mais en fait, si vous avez vraiment
faim, il va falloir y aller...

C’est aussi simple que ça, 
ego ou pas égo, on allume le feu,
on fait fondre la matière grasse et quelques minutes plus tard,
on casse la croûte...

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3) Rien à chercher : Restez assis!


Le Zen, c’est pareil. La recette : prendre son coussin et


commencer la cuisson.
Comment le premier Bouddha a-t-il atteint l’illumination ? Il a
passé des jours et des jours à méditer, rien d’autre.
Que nous a -t’il laissé ? Juste cet exemple. Pas d’autre théorie.
Il n’a pas conçu le Bouddhisme, il n’a rien écrit, il s’est contenté
d’être Bouddha.

C’est à dire de faire Zazen...
C’est tellement simple que ça
parait difficile...
En fait, c’est tout.

Nul besoin de penser, de chercher quoi que ce soit,
 ni le
vide, ni le plein ...

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4) Continuer, c’est la clé


 »Oui mais... »
C’est ça le plus difficile... Pratiquer tous les jours, sans but.
Trouver le temps et puis tenir...
En effet...
Faire un jogging
tous les jours ce n’est pas évident. Cuisiner tous les jours non
plus, aller au bureau tous les jours non plus, se réveiller tous
les matins, ...

Et pourtant, lorsqu’on n’a pas le choix, on continue. Qu’il vente
ou qu’il neige.

Continuer. C’est la seule clé de contact. Gratter le gel sur ses
vitres intellectuelles même en plein hiver et se dire qu’il faut y
aller malgré le froid, c’est tout. *
*Ce n’est pas qu’une image, pendant mes années de Japon, il
m’est souvent arrivé, en plein hiver, de balayer la neige autour
du temple, à 5 heures du matin, les pieds nus dans les tongs
réglementaires du combattant Zen...
Je vous garantis que ça forme son homme.

69
5) Merci aux problèmes


C’est pour ça qu’avoir un gros problème dans sa vie est un


bon départ. Si vous êtes vraiment dans une très mauvaise
phase rendez grâce au Ciel et profitez de l’occasion : foncez
tête baissée dans le Zen!

Par contre si vous menez une existence confortable et que
vous cherchez un petit supplément d’âme alors permettez-moi
de douter…Achetez plutôt un billet pour une destination
exotique.

Croyez-moi, le Zen n’est en aucun cas une technique de
relaxation, ce n’est pas un outil de mieux être, c’est un antidote
contre l’illusion, l’outil d’éveil le plus radical qui soit, et il faut
savoir que s’engager sur ce chemin est une bataille avec le
plus redoutable des ennemis, l’illusion de soi-même...

70
6) Le Zazen de ma chatte

Tous les matins, ma chatte s’éveille. Elle m’attend près de la


baie vitrée qui donne sur le jardin. Dès que j’ai ouvert, elle
bondit, fait quelques pas et s’assoit dans l’herbe. Comme elle
vient de se réveiller, je suppose qu’elle ne s’assoit pas pour se
reposer mais que c’est juste sa manière à elle de faire Zazen.
Qu’un insecte passe à portée et c’est le saut périlleux. Puis elle
se réinstalle sur son séant comme si de rien n’était.

71
7) Allez-y !


Si vous m’avez suivi jusqu’ici vous allez pouvoir commencer


à faire des économies parce que le dernier investissement dont
vous aurez besoin, c’est le prix d’un zafu. Choisissez la matière
et la couleur qui vous plaisent. Le principal c’est que vous
soyez bien dessus.

A part ça, je suis sûr que vous avez une tête suffisamment
pleine pour tenir jusqu’à la fin de vos jours.
Laissez tomber tous les livres spirituels, toutes les questions et
tous les « oui mais » et adoptez-le « oui » radical,
systématique.
Dites oui à la vie en toutes circonstances, devenez-le « Oui »,
cvous deviendrez une sorte de Koan vivant.
Qu’il brûle dans votre cœur face à toutes les situations. La vie
est votre kyosaku et les coups durs vos chances de réalisation.

72
8) Ne vous retournez plus,
votre passé vous poursuit, courez !

Ne vous retournez plus, courez à fond devant vous.


Votre passé et vos souvenirs crament comme un incendie dans
une forêt de conifères. Vous en sentez l’haleine brûlante dans
votre dos et vous entendez le crépitement des branchages, ne
pensez plus à ce que vous croyez avoir perdu, à ce que vous
croyez avoir été. Il ne reste déjà plus rien de cette forêt.
Foncez devant vous sans réfléchir et vous allez découvrir que
vos jambes courent toutes seules si vous les laissez vous
sauver.

73
9) Ici et maintenant, vous êtes sauvé

A partir d’aujourd’hui, prenez juste la décision de vous asseoir


et quoi qu’il arrive, qu’il vente ou qu’il neige, que les épreuves
vous donnent l’impression de vous accabler, que vous soyez
découragé, déprimé, poursuivez, poursuivez, sans rien
attendre. Comme le brossage des dents, faites-en une
habitude...
Ne cherchez rien, n’attendez aucune transformation, aucune
illumination comme dans les livres. Il ne se passera rien de plus
et vous ne deviendrez pas plus que ce que vous êtes déjà.
Votre vie est LE KOAN qui vous permettra de réaliser que vous
êtes vous-même le Bouddha.

74
10) Éloge de l’inutilité

Continuez inlassablement sur cette voie en apparence inutile.


Il faut en faire l’expérience par vous-même. Aucun livre et
aucun maître ne pourra méditer à votre place.
Et si un jour, au cours d’une de vos assises, Jésus Christ,
Mahomet, La Vierge Marie, le Bouddha ou même Dieu
s’avance vers vous en souriant, n’y prêtez pas attention, c’est
juste une illusion, …il n’y a que vous dans la pièce.
Vous êtes seul mais vous êtes déjà l’univers tout entier, reste à
le réaliser.
Continuez à compter sur chaque expiration :

UUUUUUUUUUUNNNNNNNNNNN!
-
DEUUUUUUUUUUUUUUUUUUUX!
Et laissez faire...c’est tout...

75

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