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DM- Montaigne

COMMENTAIRE COMPOSÉ

Camilla Porcella étudiante ERASMUS Italienne | 28 novembre 2022


L
’extrait que je vais prendre en compte dans ma réflexion sur Montaigne est tiré du Livre

III, chapitre 5 des Essais. « Sur des vers de Virgil » est l’un des essais les plus

intéressants et novateurs de Montaigne, où l’auteur, de façon très transgressive pour

son temps, explore la sexualité et le concept d’amour de son époque. En particulier Montaigne, tout en

utilisant les exemples des grands auctores du passé, tels que Virgile, Sénèque, Cicéron, Lucrèce et Horace

problématise la notion d’amour, de mariage et de vertu. L’auteur, dans son long dialogue qui avance de

digression en digression, nous propose une fresque de la vie sexuelle de son époque, que, comme il le dit à

plusieurs reprises, est caractérisé d’un profond machisme et d’une jalousie presque violente : « les femmes

n’ont pas tort du tout quand elles refusent les reigles de vie qui sont introduites au monde » admet Montaigne.

L’autre thème abordé par l’auteur, qui s’ancre toujours dans le cadre de la sexualité, est le mariage. L’auteur

conçoit la vie conjugale comme une contrainte nécessaire qui doit forcément s’opposer à l’amour. Quand les

époux s’aiment leur mariage est toujours plus compliqué et conflictuel et, c’est pour cela, que l’auteur suggère

de ne pas marier son amante, mais la femme ou l’homme que pour droit ou imposition la famille choisit pour

nous. Enfin, il parle de la volupté et de la sensualité dans la poésie classique, qui permettent aussi à ceux qui,

en raison de la vieillesse ou de la maladie ne peuvent plus exercer les plaisirs de l’amour, au moins de les

revivre avec la pensée. La sensualité de la poésie est aussi liée au style et au choix des termes : un art dans

lequel Montaigne est un véritable maître. Avec son style poétique et dépourvu de plan, l’auteur aborde le

même sujet, tourne autour de la même question, tout en l’approfondissant sous des différents points de vue.

La démarche typiquement Montignéenne fait ainsi que le lecteur puisse écouter plusieurs voix, y inclus la

voix de l’auteur, et, en parcourant un labyrinthe d’idées, théories et citations, soit finalement capable

d’explorer à fond le sujet. À la fin de l’essai on s’aperçoit que, même s’il a mobilisé des innombrables œuvres

littéraires du passé et il s’est beaucoup éloigné de son propos initial, il nous a répété plusieurs fois son idéal

de liberté et de jouissance de la vie, qu’il avait déjà abordé précédemment dans Du repentir et Des trois

commerces et qu’il va encore évoquer dans De la vanité et De l’expérience. Les essais sont une œuvre

extrêmement autoréflexive et circulaire, en plus, grâce au style intimiste et dialogique de Montaigne, qui

parle au papier, le lecteur a aussi la possibilité de comprendre quel est son point de vue, tout en décryptant

les métaphores et les disqualifications de la source d’énonciation utilisés par l’auteur afin d’éviter la censure.

Le chapitre V s’ouvre avec une longue réponse de Montaigne à deux objections que les lecteurs

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pourraient lui poser quand ils liront la suite de l’essai, dans laquelle il commence à parler d’amour

charnel et conjugal, sexualité intrinsèque dans la poésie et utilité de la jalousie. Les suffisants

lecteurs pourraient interroger Montaigne sur les raisons pour lesquelles il va abandonner les

questions élevées pour s’apprêter à parler du corps et de ses plaisirs, mais ils pourraient aussi se

demander pourquoi rendre publique des actions et de pensées que normalement on n’ose avouer à

personne. Notre extrait couvre les deux questions : la première partie, qui va de « Nos maitres ont

tort » à « la vertu est qualité plaisante et gaie », fait office de point de basculement entre la première

objection et la deuxième, qui commence avec « je sais bien que fort peu de gens » et qui va se

terminer bien après la fin du passage qu’on est en train d’analyser. La dernière partie du texte, qui

se termine avec « La pire de mes actions et conditions ne me semble pas si laide comme je trouve

laid et lâche de ne l’oser avouer » est l’amorce de la deuxième question, mais il nous fournit aussi

l’idée de base que Montaigne va développer, exemplifier et réexplique avec d’autres mots dans les

pages suivantes. Selon lui, il faut s’abandonner au franc-parler, tout avoué et tout dire au public,

parce que, comme il le dira plus tard dans le texte « Qui s’obligeroitar à tout dire, s’obligeroit à ne

rien faire de ce qu’on est contraint de taire ». Si, dans la totale absence de dispositio Montaignienne

on voudrait trouver un plan, on pourrait identifier quatre parties : la première, qui va de « Nos

maîtres ont tort » à « les plus éperdus », nous présente la santé comme condition nécessaire pour «

les élancements de l’esprit ». De « Or bien » à « et habet tristis quoque turba cynoedos » on assiste

à un renversement typiquement Montaignienne, dans lequel l’auteur présente sa propre condition,

pour arriver aux exempla des auteurs classiques dans lesquels l’auteur élargit son propos à la

conception de vertu, qui va de « je crois Platon » à « quod non pudeat sentire ». Enfin, la conclusion,

de « je hais un esprit » à « de ne l’oser avouer » est un autre renversement du moi-lyrique dans

lequel Montaigne, avec son style satirique, critique ceux qui «glissent par-dessus les plaisirs de sa

vie » et fait une apologie du franc-parler.

Dans mon commentaire je me propose d’approfondir le concept de vertu : dans quelle

mesure, selon notre auteur, est-il possible de « jouir la vie » tout en restant vertueux ? Pour répondre

à cette problématique, je vais d’abord analyser le terme « santé » et son rapport avec la sagesse et la

vertu, ensuite je passerai à la partie critique, dans laquelle je vais parler de la licence des essais, et

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des reproches de Montaigne envers les « esprits hargneux et tristes ». Enfin, dans ma troisième partie, je vais

déterminer comment les dualismes corps/esprit et jeunesse/vieillesse sont exploités par l’auteur afin de

représenter son concept de vertu.

D
ans la première partie du texte, Montaigne constate avec force que « Nos maitres ont

tort » de ne pas considérer la santé comme une des « causes des élancements de notre

esprit ». En utilisant un discours judiciaire le Montaigne-magistrat, accuse Platon,

car c’est lui le maître auquel il fait référence, de ne pas avoir inclus la santé dans sa théorie de l’enthousiasme.

Dans le Phèdre, le philosophe détecte quatre manies, qui sont les folies bénéfiques dispensées par les dieux.

Montaigne les énumère par métonymie, c’est-à-dire en évoquant la matière concernée, pour faire allusion à

la manie même : l’amour est l’érotique, au ravissement divin est la folie mantique, la poésie donc poétique,

et au vin renvoie à la folie télestique qui vient de Dionysos. Pour l’« âpreté guerrière », Montaigne peut

penser à Plutarque qui, après avoir résumé ce texte du Phèdre, ajoute aux quatre folies divines de Platon, la

folie guerrière. Même si Platon n’avait pas conçu la santé dans sa théorie de l’enthousiasme Montaigne

l’ajoute lui-même. Pour mieux comprendre la portée révolutionnaire du choix de notre auteur je renvoie à

l’étymologie du terme « santé » : ce terme est issu du latin sanitas, « santé du corps et de l’esprit », lui-même

dérivé de sanus, « sain, bien portant (au sens physique et moral) ». Comme toujours chez Montaigne, on

détecte un dualisme entre corps et esprit. On ne comprend pas très bien quand, dans son texte, il fait référence

à l’un et quant à l’autre, même si on sait que notre auteur relève l’importance du bien-être du corps. Il utilise

expressément des termes plutôt cryptiques, pour faire un éloge des plaisirs du corps, sans devenir hérétique :

On est au milieu des guerres de religion, son œuvre sera censurée s’il professe trop expressément ses idées.

Avec une accumulation, il liste les caractéristiques propres d’une santé qui permet aux hommes de vivre leur

vie de façon exhaustive : bouillante, vigoureuse, pleine et oisive. Ces quatre adjectifs sont déclinables soit à

l’esprit soit au corps, mais ils ont une claire connotation physique, surtout le terme « bouillante », qui renvoie

à la sphère sexuelle. En plus, dans les lignes suivantes Montaigne utilise le champ sémantique de la chaleur

« feu de gaieté », « éloises », très souvent liés aux pratiques du corps. Il s’éloigne sensiblement de la morale

catholique de son temps : pour les vrais dévots, le corps est seulement un objet à mépriser pour arriver à la

rédemption. Le janséniste Blaise Pascal, qui s’oppose totalement à notre Montaigne, arrive à s’excuser avec

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Dieu pour avoir mal utilisé sa faible santé, il dit dans ses Pensée : « J'ai mal usé de ma santé, et vous m'en

avez justement puni ». Pour notre auteur, la santé est la seule condition qui ne lui fait pas jouir la vie au

double des autres comme il le souhaite et il lui permet de cultiver sa sagesse. Sa maladie des pierres, les

calculs, l’empêche de se consacrer dans la mesure qu’il voudrait aux trois commerces : l’amitié, les femmes

et les livres. Alors que, quand il était jeune et que sa santé le soutenait encore, il s’y dédiait pleinement. Tout

de même, il ne se considère pas un pécheur, comme il le dit dans Du repentir : « je me repens rarement et

ma conscience se contente de soi ». Dans l’extrait que je prends en compte pour mon analyse, Montaigne

utilise le champ sémantique des plantes pour expliquer quels ont été les effets de la santé sur son corps : Elle

est « vigoureuse, la verdeur des ans » lui la fournissait, et enfin, « un contraire état », c’est-à-dire la maladie,

« affaisse son esprit » comme il le ferait avec une fleur. Dans l’image du « feu de gaieté » qui « suscite en

l’esprit des éloises vives et claires » Montaigne rend explicite le dualisme entre corps et esprit qu’il avait

seulement suggéré auparavant. Dans un style sublime et fortement métaphorique, notre auteur est en train de

dire que le bien-être du corps est à la base de la plénitude de l’esprit : comme l’a dit Juvénal dans ses Satires

«Orandum est ut sit mens sana in corpore sano » . Montaigne, ensuite, s’éloigne du thème de la santé pour

entrer dans le détail de sa conception de sagesse. Il abandonne pour le moment la jouissance du corps pour

approfondir le concept d’esprit et sa culture. Notre auteur commence sa parenthèse en prononçant cette phrase,

à la guise de maxime : « J’aime une sagesse gaie et civile », donc le vrai sage, selon lui, ne doit pas s’écarter

de la société mais s’y plonger complètement. Cet énoncé par lui-même pourrait servir comme évidence du

fait que Montaigne ne s’est pas enfermé dans sa tour d’ivoire comme certains critiques affirment. En se

servant du style dialogique, il utilise la digression comme moteur de son écriture et, finalement, il donne des

exemples pour mieux faire comprendre son idée au « suffisant lecteur ». Socrate représente exactement l’idéal

de sagesse conçu par Montaigne parce que, malgré son immense culture il était serein et riant, alors que

Crassus, le symbole d’héro pas excellence, « ne fut jamais vu rire ».

Notre auteur refuse de se conformer à l’imaginaire d’homme vertueux et sage de son époque : l’héro

stoïque ou le saint qui ne ressentent aucune émotion. C’est à cause de ce si grand écart avec l’imaginaire de

son siècle qu’il pense ne pas être compris et accepté par ses contemporains.

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M
ontaigne constate avec force que « la vertu est qualité plaisante et gaie » : il s’agit

du concept autour duquel tourne tout le passage que je m’apprête à analyser et, au

fond, c’est aussi l’idée fondamentale de son œuvre. Tout de même, à cause de

cette opinion, il sait qu’il sera critiqué par les savants de son époque. La vertu avait toujours un lien avec la

religion et, la façon de vivre la foi chrétienne à son temps était extrêmement « hargneux et triste » pour

emprunter les mots de Montaigne. La rigueur et le châtiment du corps étaient les principes fondamentaux du

christianisme, alors que notre auteur refusait d’abandonner ses plaisirs au nom de Dieu. Juste après avoir

délivré sa maxime sur la vertu, il explique pourquoi il ne sera pas apprécié par ses contemporains. En utilisant

une démarche typiquement Montaignienne, il oppose lui-même aux autres, qui, en fait, vont « rechigner à la

licence de ses écrits ». Le mot « licence » vient du latin licentia qui signifie « permission, liberté de faire

quelque chose ». Montaigne qui connaissait très bien l’étymologie du terme, l’utilise pour suggérer le fait

qu’en écrivant ce livre il s’est accordé la permission de liberté d’expression totale. Il souligne la libéralité de

son œuvre et, par conséquent, il sait que « peu de gens » vont le critiquer. Selon moi, la phrase dans laquelle

il constate la licence de ses écrits est hautement satyrique : « Je sçay bienam que fort peu de gens rechigneront

à la licence de mes escrits, qui n’ayent plus à rechigner à la licence de leur pensée. Je me conforme bien à

leur courage, mais j’offence leurs yeux ». Dans un style absolument sublime mais extrêmement crypté, il

veut dire que tous ceux qui vont critiquer ses essais sont aussi ceux qui partagent ses idées, mais qui n’osent

pas l’avouer. Ils sont esclaves d’une pensée restreinte, fils d’une société pleine de tabous. Aussi le choix des

termes « courage » et « yeux » est très intéressant, parce que « courage », au sens étymologique, est en

rapport avec le cœur, tandis que les « yeux » m’a fait penser aux regards désapprobateurs. Montaigne sait

que beaucoup de personnes dans leur intime, le cœur, ressentent ses mêmes passions, mais ils ont peur d’être

jugé, alors qu’il « ose dire tout ce que j’ose faire : et me déplais des pensées mêmes impubliables ». Notre

auteur pense aussi que ces mêmes personnes lisent Platon et ses pensées tout en ignorant les choses les moins

« vertueuses » qu’il a faites, comme ses relations homosexuelles. Il s’attaque donc à ceux qui négligent les

plaisirs, charnels et sociaux, de la vie. Pour bien expliquer le type humain qu’il est train de critiquer, il utilise

deux images, absolument grotesques: celle des mouches et celle des ventouses. Ces gens sont comme les

mouches qui reposent sur les lieux les plus sales et les ventouses qui boivent seulement le mauvais sang. De

la même façon, les personnes dont parle Montaigne, s’intéressent seulement aux scandales et aux péchés des

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autres (« les lieux scabreux et raboteux »), ils prennent en compte seulement les zones sombres de la vie (« le

mauvais sang »).

Notre auteur utilise deux métaphores du corps, pour faire allusion à une procédé de l’esprit : Les

hypocrites dont il parle ne sucent pas physiquement le mauvais sang comme des sangsues, mais s’attaquent

à la malignité de l’esprit. Par conséquent, on peut dire que Montaigne dans cet extrait, exploite toujours le

dualisme entre corps et esprit, pour exprimer et suggérer son idée révolutionnaire de vertu et plaisir. Au même

temps, j’ai aussi repéré une autre dichotomie très importante dans ce passage : celle entre jeunesse et

vieillesse.

M
ontaigne oppose la santé du corps de la jeunesse, qui se réverbère sur la plénitude

de l’esprit, à la maladie de sa vieillesse, qui affaisse son esprit. Afin de sceller son

propos, comme il le fait toujours, notre auteur exprime son idée en latin, tout en

utilisant les mots des grands auctores. On pourrait penser que ce procédé est de la pure virtuosité, mais en

vrai il s’agit d’une nécessité pour Montaigne : il a appris le latin comme langue maternelle, donc il est

beaucoup plus à l’aise quand il s’agit d’écrire en latin qu’en français. Les essais sont un reflet de sa pensée

aussi parce que notre auteur mélange les deux langues, juste comme le fait typiquement une personne bilingue

dans sa tête lorsqu’il réfléchit. Il cite un passage des Élégies de Maximilianus sur les effets de la vieillesse

et, en continuant la métaphore de l’esprit comme fleur fanée, il dit qu’il ne se redresse pour aucun travail et

qu’il s’affaiblit avec le corps. Montaigne, encore une fois, s’éloigne de la vision chrétienne du corps comme

objet méprisable : il est nécessaire que son corps soit sain afin de conserver une acuité d’esprit. Par

conséquent, on pourrait penser qu’il soit désespéré de ne pas être en bonne santé, mais encore une fois le

multiforme Montaigne nous étonne. Il nous invite à « chasser les maux et difficultés de notre commerce »

quand la maladie se fait moins sentir. Les commerces auxquels Montaigne se réfère sont les livres, les femmes

et les amis. Il se dédiait à ces activités sans cesse lorsqu’il était jeune, mais maintenant qu’il est plus âgé il

n’arrive plus à jouir de la vie comme auparavant. Tout de même, il refuse de s’abandonner à la tristesse et

aux regrets typiques de la vieillesse : il a encore les souvenirs de sa jeunesse et des moments de bonheur qu’il

peut vivre, par exemple en se dédiant aux voyages, comme il le dit dans De la Vanité. Avec un style

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subtilement satyrique, Montaigne personnifie son esprit qui devient un individu séparé de son possesseur et

se justifie auprès de lui. On pourrait imaginer le Montaigne-magistrat qui interroge son esprit et lui demande

pourquoi il ne lui permet pas de lire autant de livre qu’il voudrait, par exemple ; et l’esprit, de son côté, va

lui répondre qu’il fait déjà tout ce qu’il lui est possible pour son âge. Ici, le dualisme entre corps et esprit

devient presque physique, alors que la dichotomie entre vieillesse et jeunesse est dialectique. Grâce au grand

pouvoir du souvenir, notre auteur rend sa maladie des pierres supportable : la coexistence, au moins à l’état

mental, entre jeunesse et vieillesse lui est nécessaire afin de préserver sa sagesse. Tout en continuant à « vivre

à propos », il revive sa jeunesse dans ses pensées pour « fuir l’âpreté des mœurs et l’austérité ». D’après

Montaigne, la sagesse et la vertu sont toujours liées au plaisir, donc, pour les préserver aussi pendant la

vieillesse, il faut être capable de ne pas se prendre au sérieux et, pour le dire avec les mots d’Apollinaire «

on doit égayer la tristesse par des plaisanteries ». Pour confirmer sa thèse, Montaigne nous fournit un

exemple éminent, qui sert aussi de lien conceptuel entre santé de l’âme, sagesse et vertu : Platon, dans les

Lois insiste sur le rapport entre « humeur facile ou difficile » avec « bonté et mauvaisité ». Donc, pour le dire

autrement, la sagesse gaie et civile, qui présuppose un esprit en bonne santé, est aussi à la base de la « bonté »,

c’est-à-dire de la vertu. Notre auteur, même si aux yeux de ses contemporains était assez libertin, ne souhaite

pas être aliéné soit par ses passions, soit par « le soi du passé ». Il poursuit toujours la vertu intellectuelle et

morale, qui, selon lui et Platon, est néanmoins en rapport avec la satisfaction des désirs.

E
n résumant, dans le passage que j’ai analysé dans mon commentaire, l’auteur tourne

toujours autour de la même idée : « la vertu est qualité plaisante et gaie ». L’adjectif

« plaisante » est en rapport avec le corps, alors que « gaie » s’applique à l’esprit. Avec

cette phrase, Montaigne a synthétisé tout ce que, avec une accumulation d’exemples et d’images il va

expliquer dans notre texte et dans la suite du chapitre V. Les plaisirs du corps et sa santé sont liés de façon

inextricable avec la plénitude de l’esprit, par conséquent le châtiment du corps ou la maladie vont

endommager la sagesse d’un homme. Cette idée absolument révolutionnaire pour son temps s’oppose avec

force, non seulement au model stoïque, mais aussi à la morale chrétienne de son époque.

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Pour répondre à ma problématique, selon Montaigne il est nécessaire de profiter de la vie, en fait il

« la jouit au double des autres » mais sans vraiment s’abandonner aux plaisirs. Selon notre auteur, l’homme

reste vertueux s’il est capable d’éviter la totale aliénation des passions. Prendre soin de notre corps est

nécessaire afin de conserver un esprit fort et ouvert. Il ne croit pas dans l’hédonisme libertin, mais tout de

même il est convaincu que dans la dimension privée chacun doit cultiver son bonheur, sans négliger les

devoirs publics. De la même façon, les stoïques et les chrétiens qui sont peu entrainés aux plaisirs ne sont

pas forcément vertueux, comme le dit Martiale dans l’extrait (et il nous le répète Montaigne) : “Et habet

tristis quoque turba cynædos ».

En conclusion, après s’être plongé dans les essais et avoir écouté la voix de Montaigne on a vraiment

l’impression de tout connaitre sur lui et ses pensées. Même s’il est nécessaire de décrypter toute une série de

phrases modulés et de métaphores très complexes, il exprime son idée avec extrême sincérité. Le chapitre V,

encore plus que les autres, incarne l’idéal épicurien de l’auteur: le « pour moi j’aime la vie » du chapitre XIII

en est la synthèse la plus exhaustive. Toutefois, Les essais ne sont pas seulement une œuvre licencieuse,

miraculeusement échappée de la censure, ils dévoilent sans doute une tendance de plus en plus courante chez

les humanistes : celle de s’identifier avec les modèles classiques plus que de recourir aux idéaux chrétiens.

Dans le contexte des guerres de religion, Montaigne trouve un refuge dans les œuvres latins de son enfance,

et quelle meilleure « diversion » que « les vers de Virgile » pour atténuer ses souffrances ?

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